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Articles du Vendredi : Sélection du 9 juillet 2021


Limiter le réchauffement climatique à seulement +2°C au lieu d’1.5°C est irresponsable
Bon Pote
https://bonpote.com/limiter-le-rechauffement-climatique-a-seulement-2c-au-lieu-d1-5c-est-irresponsable

Vouloir limiter le réchauffement climatique global à +2°C et communiquer en ce sens est une erreur. Une erreur car une immense majorité de la population française (voire mondiale) ne sait pas ce que cela signifie, et/ou n’en connait pas les conséquences. C’est parfois même un choix délibéré de certaines entreprises ou politiques souhaitant un certain Business as Usual, qui établissent leur stratégie économique sur ces +2°C, évoquant un certain “pragmatisme”.

Pour des millions de français, c’est “juste 0.5°C de plus”, “quelques degrés de plus l’été ça va !”. Non, ça ne va pas, et ça n’ira pas.

Un monde à +1.2°C et déjà en feu

Nous battons record après record aux 4 coins du monde, et nous ne sommes qu’en 2021. Sécheresses, canicules, inondations… une biodiversité dévastée, des drames humains. Des endroits sur Terre devenus invivables. Le changement (climatique), c’est maintenant. Pas en 2050 ou 2100 : il a déjà lieu.

La première semaine de juillet 2021 a été particulièrement violente. Après avoir connu un record de température de 49.6°C, le village de Lytton en Colombie Britannique a été brûlé à 90% et au moment où j’écris ces mots, on ne peut pas confirmer que la totalité de la population ait été évacuée.

Presque 50°C à 50 degrés nord. C’est la chaleur du désert au Canada. Nous n’avons jamais vu ce niveau de chaleur si loin au nord, où que ce soit sur la planète Terre, jusqu’à maintenant. Jamais.

La climatisation, symptôme de l’injustice climatique

Nous devons retenir plusieurs leçons de cet évènement “exceptionnel”, qui risque d’être beaucoup moins exceptionnel dans les décennies à venir.

Premièrement, en temps normal, nous ne pouvons pas attribuer un évènement météorologique extrême au changement climatique. Nous pouvons néanmoins affirmer que la probabilité d’occurrence de ces évènements météorologiques a fortement augmenté du fait du changement climatique anthropique. Sauf que cette fois-ci, les scientifiques, à l’image de Michael E. Mann, n’ont pas hésité à déclarer que cet évènement était dû au changement climatique. En termes de communication, c’est très important, voire structurant.

Deuxièmement, cette vague de chaleur est un drame humain qui doit interpeller à plus d’un titre. Les autorités canadiennes ont annoncé plus de 300 morts sur le territoire, provoquées par la canicule. Ces morts ne sont pas des personnes avec des revenus aisés. Ce ne sont pas des personnes qui se sont ruées dans les hôtels climatisés, complets pendant une semaine. Ces morts sont très majoritairement des personnes sans moyens de s’adapter rapidement à de tels extrêmes. Une scène d’injustice climatique qui malheureusement se répètera des centaines de fois dans les décennies à venir : les riches auront le privilège de supporter plus ou moins le changement climatique, les autres… bonne chance.

Enfin, parce que certains idiots ont osé dire “ils n’ont qu’à avoir tous la clim“, rappelons deux choses. Au-delà du fait que les climatisations consomment de l’énergie, tout le monde n’en aura pas, et assez vite, pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique. Ensuite, la faune et la flore, eux, n’ont pas la climatisation. Le climat et la biodiversité sont indissociables, nous rappellent le GIEC et l’IPBES. Sortons de cette vision anthropocentrée où seul l’intérêt de l’Homme compte.

Nous avons donc ce genre d’évènements extrêmes à un réchauffement de +1.1 ou 1.2°C (au niveau mondial). Voulez-vous vraiment vraiment savoir à quoi cela va ressembler à +1.5 ou 2°C ?

Pourquoi +1.5°C et non +2°C ?

Il n’est pas forcément évident de savoir ce qu’induirait un monde réchauffé de +1.5°C ou 2°C depuis le début de l’ère industrielle. Rappelons d’abord que ces 2 températures sont des constructions politiques, mises en avant lors de l’Accord de Paris. Ce n’est pas la planète qui a décidé qu’il fallait +1.5 ou +2°C, mais des politiques qui négocient l’avenir de la vie sur la planète Terre. Maintenir le réchauffement nettement en dessous de +2°C n’est pas un caprice utopique, mais un fait signé par toutes les parties de l’Accord de Paris et explicité dans l’article 2 : Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques.

C’est lors de ce même Accord de Paris qu’avait été commandé au GIEC un rapport appelé ‘Rapport spécial du GIEC sur les conséquences d’un réchauffement planétaire de 1,5 °C‘ (SR15). Ce rapport est une mine d’informations, que ce soit sa version complète (630 pages), ou le résumé à l’intention des décideurs de 32 pages (que tout le monde devrait avoir lu, à commencer par tous les maires, députés et chefs d’entreprise… les débats seraient vraiment d’une autre nature !).

Vous y trouverez plusieurs graphiques intéressants qui montrent ce que provoquerait un réchauffement global à +2°C : Source : SR15

Aussi, le changement climatique n’est qu’un des nombreux problèmes environnementaux. Même sans ce ‘problème de carbone‘, nous aurions tout de même une chute massive de la biodiversité, une déforestation massive, un océan de plastique, etc. Nul besoin d’attendre 2050 pour arrêter cela.

Enfin, le coût des conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1.5°C sera supérieur au coût qu’il aurait fallu mettre en œuvre pour ne pas dépasser ces 1.5°C. Nous avons intérêt, même d’un point de vue économique, à rapidement nous adapter.

3 erreurs de communication à éviter

Nous pouvons lire et entendre chaque jour 3 erreurs qu’il est urgent de corriger pour éviter l’inaction climatique.

1/ “C’est trop tard”

Même si la situation est dramatique, il est FAUX de dire que nous sommes déjà condamnés. C’est l’un des 12 discours de l’inaction climatique contre lequel il faut lutter. Pourquoi ? Parce que le GIEC le dit : nous avons encore le temps de faire les changements nécessaires pour vivre dans un monde soutenable. Valérie Masson Delmotte l’a répété lors de son discours devant la Convention Citoyenne pour le Climat : chaque mois compte.

Il est bien sûr trop tard pour empêcher qu’il y ait des dégâts (sociaux, environnementaux..). Mais rien ne sert d’avoir un discours qui exagère ce que la science nous dit sur le climat (même si cela fait vendre…). Ainsi, évitons le doomisme, ce comportement qui consiste à regarder sa cuisine s’enflammer et dire ‘on peut rien faire c’est foutu’ pendant que le feu se propage aux autres pièces.

Enfin, il n’y a pas de date butoir. Oui, c’était mieux d’agir il y a 20 ou 30 ans. Mais ce n’est pas parce que nous n’avons pas agi en 2025 ni même en 2030 que tout est foutu. L’idée, c’est que plus nous agissons tard, plus cela sera catastrophique (avec de belles boucles de rétroactions qui viendront aider cela).

2/ Si nous échouons à maintenir à +1.5°C, la prochaine cible n’est pas +2.°C, mais +1.51

Les personnes informées sur les enjeux climatiques ont la responsabilité de communiquer et d’insister sur l’intérêt de limiter le réchauffement à 1.5°C plutôt que +2°C. J’entends les arguments des personnes qui pensent que c’est impossible, qu’on y arrivera jamais, et qu’il faudrait “fixer des objectifs réalistes“. Mais ce fameux pragmatisme des “+2C°” vient systématiquement de personnes qui auront les moyens de s’adapter dans un monde à +2°C. Ceux qui subiront les conséquences d’un tel monde n’ont absolument pas la même vision de ce “pragmatisme”.

Ce sont très majoritairement des personnes qui n’ont d’ailleurs certainement jamais entendu parler du GIEC ni lu un de leur rapport, qui ont une empreinte carbone en-dessous de 5t CO2eq/an (quand ce n’est pas 2t), et qui subiront pourtant de plein fouet les excès des autres. Allez demander aux cambodgiens s’ils pensent que +2°C est pragmatique, alors que la moitié du pays a des chances de disparaître. Allez demander aux Fidjiens s’ils seraient ravis de devoir déménager parce que des occidentaux “pragmatiques” prennent leur voiture pour aller travailler à moins de 2km.

Enfin, si nous échouons à limiter le réchauffement global à +1.5 degré, la prochaine cible ne sera pas +2°C, mais 1.51. Puis 1.52. Etc.

3/ “Le climat est bouclé pour les 20, voire 30 prochaines années”

C’est très certainement l’erreur la plus répétée : le climat des 20, voire 30 prochaines années serait acté. C’est faux, et comme d’habitude, un peu plus compliqué que ça. Pour l’expliquer, nous avons traduit avec Christophe Cassou un excellent article de Zeke Hausfather, où il est expliqué ceci :

Les meilleures connaissances disponibles montrent qu’au contraire, le réchauffement devrait plus ou moins s’arrêter lorsque les émissions de dioxyde de carbone (CO2) seront nulles, ce qui signifie que l’Homme a le pouvoir de choisir son avenir climatique. Lorsque les scientifiques ont récemment mis en évidence ce résultat, il a été rapporté comme une nouvelle découverte scientifique. Cependant, la communauté scientifique a reconnu depuis au moins 2008 que des émissions nulles de CO2 impliquaient probablement des températures stables dans le futur.

Il est urgent que les personnes qui vulgarisent les enjeux climatiques prennent en compte cet élément. Avant d’être un problème d’inertie physique, c’est avant tout un problème d’inertie politique et sociétale. Cette inertie est la conséquence de deux faits : à la fois de personnes qui émettent des émissions sans en connaître les conséquences, mais aussi de dirigeants d’entreprises et politiques complètement irresponsables faisant tout pour perpétuer ce système économique mortifère.

Le mot de la fin

Le réchauffement climatique fait déjà des ravages alors que nous ne sommes qu’à +1.2°C de réchauffement global. Des villages brûlés, des centaines de morts, des famines, etc. Nous avons désormais chaque semaine des exemples des conséquences de notre addiction aux énergies fossiles. Pas en 2050. En 2021.

Nous avons le devoir de tout faire pour limiter le réchauffement climatique global à 1.5°C. Se fixer comme objectif +2°C est non seulement un énorme risque, mais en plus une position tenue par des personnes qui auront dans l’immense majorité des cas le privilèges d’avoir un plan B. Malheureusement, il n’y a pas de planète B, et nous ne pouvons pas jouer notre avenir et celui de nos enfants à la roulette russe.

Si nous échouons à limiter le réchauffement global à +1.5 degré, la prochaine cible ne sera pas +2°C, mais 1.51. Puis 1.52. Etc. Evidemment, ce ne sera pas facile.

Mais il serait temps d’écouter les scientifiques qui alertent sur la situation et d’arrêter de se demander si cela va vraiment arriver, et si cela n’arrivera qu’aux autres. Non, cela arrivera également en France, où les conséquences se font d’ores et déjà ressentir.

Allez expliquer aux personnes qui ont perdu leurs récoltes ou leur maison en 2021 qu’il faut “y aller tranquille (Barbara Pompili) ou qu’il faut éviter l’écologie punitive (Valérie Pécresse). Cette inaction politique tue et tuera bien plus à l’avenir. Il est urgent d’atténuer et de s’adapter. Ce n’est plus une option, mais une obligation.

Climat : ‘Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est ce que nous avions anticipé il y a une quarantaine d’années’, souligne Jean Jouzel
France-Info
www.francetvinfo.fr/monde/environnement/climat-on-voit-bien-que-la-ou-nous-en-sommes-aujourd-hui-cest-vraiment-ce-qui-etait-envisage-par-les-scientifiques-souligne-jean-jouzel_4688407.html

Pour lutter contre le changement climatique, l’ancien vice-président du Giec conseille de s’inspirer « des recommandations des 150 citoyens » qui sont « cohérentes, ambitieuses et pertinentes ».

« On voit bien que là où nous en sommes » aujourd’hui « c’est vraiment ce qui était envisagé » par les scientifiques, souligne le climatologue Jean Jouzel sur franceinfo samedi 3 juillet, alors qu’une centaine d’incendies continuent de faire rage dans l’ouest du Canada et en Californie. Ils viennent s’ajouter à une vague de chaleur inédite qui a fait des centaines de morts.

La commune canadienne de Lytton en Colombie-Britannique a notamment flirté avec les 50°C avant d’être dévorée par les flammes. L’ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) conseille de s’inspirer « des recommandations des 150 citoyens » qui sont « cohérentes, ambitieuses et pertinentes ».

franceinfo : On se souvient des 45,9°C en France, il y a deux ans dans le Gard. Les Canadiens ont frôlé les 50°C cette semaine avec des centaines de morts attribués à cette canicule. Ce sont des records de chaleur qui arrivent encore plus vite que prévu par les experts ?

Jean Jouzel : Je ne crois pas que ça arrive plus vite que prévu. Ce que nous vivons aujourd’hui, c’est ce que nous avions anticipé dans les premiers rapports du Giec il y a une quarantaine d’années. Les événements les plus intenses que nous vivons actuellement étaient dans le troisième rapport du Giec, au début des années 2000. Cela nous invite à prendre au sérieux ces mêmes modèles climatiques, envisagés à l’horizon 2050 et au-delà.

J’invite tout le monde à accorder de la crédibilité à notre communauté scientifique. Elle en a manqué cruellement dans les années 1990 et 2000 et on voit bien que là où nous en sommes, c’est vraiment ce qui était envisagé. Les gouvernants l’ont cru d’une certaine façon, quand on regarde la première convention climat qui s’appuyait sur le premier rapport du Giec. Les objectifs affichés, par exemple, dans l’accord de Paris sont à la hauteur du message des scientifiques. Mais la réalité est qu’il y un fossé entre ces deux objectifs affichés par l’ensemble des pays et la réalité de tous les jours.

Cette semaine, le Conseil d’Etat a ordonné au gouvernement d’en faire plus pour le climat parce que, justement, ces engagements ne sont pas respectés. Quelles solutions concrètes a-t-on au niveau national en France, dans les mois qui viennent pour tenter de redresser la barre ?

J’aurais aimé, comme solution concrète, qu’on mette en œuvre l’essentiel de celles proposées par les 150 citoyens. Ils ont réfléchi à des propositions concrètes et celles-ci n’ont été que très marginalement prises en compte par la loi climat énergie. Il suffirait d’aller lire ou relire les propositions des citoyens sur la publicité, sur l’obligation de rénovation des bâtiments qui n’est pas là, les transports en avion, quand on peut faire en moins de quatre heures [un trajet] sont cohérentes, ambitieuses, pertinentes. Inspirons-nous des recommandations des 150 citoyens. Nous sommes loin du compte en termes de lutte contre le réchauffement climatique.

L’élection présidentielle est dans moins d’un an maintenant. Est-ce que vous sentez la classe politique prête à se saisir réellement de l’écologie et de la défense de l’environnement ?

Avec cette mise en demeure du Conseil d’Etat, cela mettra forcément le problème climatique au cœur des préoccupations. Mais ce qu’il faut voir, c’est que cette transition est aussi porteuse d’emplois, de dynamisme économique. Et là, nous repartons sur le monde d’avant, mais en faisant cela nous ne nous mettons pas sur une trajectoire qui permette aux jeunes d’aujourd’hui d’avoir un climat auquel ils puissent faire face dans une cinquantaine d’années. C’est ça le problème. C’est ce décalage entre les causes du réchauffement climatique et les conséquences.

Les glaciers sont-ils voués à disparaître ?

On voit bien que les glaciers continentaux perdent de la masse chaque année. Et puis, le Groenland et l’Antarctique contribuent également à l’élévation de la mer. Le rythme de l’élévation du niveau de la mer a pratiquement doublé entre le 20e siècle et la décennie actuelle. Mais, il n’y a pas que les glaciers qui souffrent. On va encore voir cet été les parois rocheuses de nos montagnes, de nos massifs montagneux des Alpes qui se désagrègent parce qu’ils sont largement tenues par de la glace, par le gel et l’augmentation des températures qui est deux fois plus rapide dans certaines régions montagneuses, donc il y a des problèmes locaux, mais avec des conséquences en termes d’élévation du niveau de la mer qui sont à l’échelle planétaire.

Nous n’avons pas ‘la conscience lucide que nous marchons vers l’abîme’, alerte le philosophe Edgar Morin, qui fête ses 100 ans
Lorrain Sénéchal / Radio France
www.francetvinfo.fr/culture/livres/edgar-morin/grand-entretien-nous-n-avons-pas-la-conscience-lucide-que-nous-marchons-vers-l-abime-alerte-le-philosophe-edgar-morin-qui-fete-ses-100-ans_4693409.html

Dans l’entretien qu’il a accordé à franceinfo, le sociologue et essayiste pointe les dérives identitaires et autoritaires de notre époque. Mais au moment de tirer les « leçons d’un siècle de vie », il se défend de tout fatalisme : « Je demande aux jeunes de lutter contre toutes les forces de haine ou de mépris ». 

Il est l’un des théoriciens de la pensée complexe et il fête jeudi 8 juillet son siècle d’existence. Edgar Morin, sociologue, philosophe, directeur de recherche émérite au CNRS, intellectuel humaniste, est reçu à l’Élysée par Emmanuel Macron, en présence d’une centaine d’invités. Dans l’entretien qu’il a accordé à franceinfo, il tire les « leçons d’un siècle de vie », évoque son entrée dans la Résistance alors qu’il avait à peine plus de 20 ans, en 1941. Il s’inquiète de la montée des égoïsmes, des nationalismes, et de cette société qui se renferme sur elle-même. Pour autant, il garde un optimisme raisonné et appelle les jeunes à « prendre parti pour toutes les forces positives et à lutter contre toutes les forces de destruction ».

franceinfo : Edgar Morin, vous êtes sociologue, philosophe. Vous êtes aussi directeur de recherche émérite au CNRS, ancien résistant. On peut vous présenter de beaucoup de manières différentes. Penseur et humaniste sont des qualificatifs qui vous conviennent ?

Edgar Morin : Moi, j’ai horreur d’être enfermé dans une seule étiquette. Alors, si vous, vous en mettez cinq ou six, ça peut aller !

En tout cas, vous êtes centenaire ce 8 juillet. Vous allez fêter cela ? Vous êtes notamment reçu à l’Élysée.

Oui. Il y a aussi déjà eu une cérémonie à l’Unesco. Il va y en avoir une à la mairie de Paris. J’en ai fait une familiale, avec mes enfants, et il y en aura une en Avignon. Il y a un peu une avalanche de cérémonies, mais cela n’arrive que tous les cent ans !

100 ans, c’est en tout cas l’occasion de faire le bilan, en quelque sorte. C’est ce que vous faites dans votre ouvrage Leçons d’un siècle de vie aux éditions Denoël. Cet ouvrage est une autobiographie, un essai ?

Non, ce n’est pas de l’autobiographie. Il y a des éléments biographiques pour éclairer le lecteur, sur les leçons que, moi-même, j’ai tirées de ma vie, dans différents domaines. Disons que c’est un essai.

 

Vous avez une vie riche, qui a mal commencé. Votre mère a essayé d’avorter. Vous êtes né avec le cordon ombilical autour du cou. Vous avez vécu le traumatisme de la mort de votre maman quand vous aviez 10 ans seulement. C’est dans tous ces événements traumatiques que vous avez puisé la force de vivre aussi longtemps ? 

Peut-être que c’est la résistance que ça m’a donnée, quand j’étais un fœtus et qu’on a voulu m’avorter. C’est peut-être aussi qu’après la mort de ma mère, j’ai eu une maladie bizarre. À nouveau, j’étais envahi par des forces de mort, et mon organisme a résisté. Peut-être que tout ça a joué un rôle. Mais il y a aussi le fait que j’étais enfant unique. Ma mère avait une lésion au cœur et ne pouvait avoir d’autre enfant. Donc il y avait un rapport d’adoration mutuelle totale.

Cette évasion de ma propre douleur me faisait découvrir la réalité à travers l’imaginaire. Je voyais des films sur la Guerre de 1914 qui m’ont montré la guerre. Je voyais des films sur la société. Les romans et le cinéma ont été pour moi des éducateurs plus importants même que l’école.

Vous avez employé le mot « résistance ». Vous aviez 21 ans quand vous êtes entré dans la Résistance. « C’est dur d’avoir 20 ans en 2020 », a dit Emmanuel Macron. Est-ce que vous trouvez aussi que la période est difficile, vous qui avez connu la Seconde Guerre mondiale ?

Il y a une précarité qui n’est pas du tout la même. Mais je pense que c’est aussi l’adversité qui doit stimuler. La Résistance était surtout composée de jeunes : nos chefs avaient entre 24 et 28 ans. C’était un mouvement où la jeunesse exprimait aussi bien ses aspirations que sa révolte. Moi, je pense que les jeunes doivent exprimer leurs aspirations et leurs révoltes en même temps, comme nous l’avons fait. Aujourd’hui, ce n’est pas la même cause. Nous, c’était la défense de la patrie et même, plus largement, c’était l’humanité mise en danger par les forces totalitaires. Mais aujourd’hui, c’est la Terre qui est menacée. Ce n’est pas seulement le monde animal et végétal. C’est nous-mêmes, avec les pollutions, l’agriculture industrialisée. Nous avons mille menaces avec des conflits, les fanatismes, les refermetures sur soi. Il y a des causes absolument magnifiques pour les jeunes, la défense de la Terre, la défense de l’humanité, c’est-à-dire l’humanisme. On voit aussi bien la petite Greta Thunberg que d’autres jeunes, qu’ils sentent ceci. Moi, je pense que nous avons besoin, toujours, de nous mobiliser pour une chose commune, pour une communauté. On ne peut pas se réaliser en étant enfermé dans son propre égoïsme, dans sa propre carrière. On doit aussi participer à l’humanité et c’est une des raisons, je crois, qui m’ont maintenu alerte jusqu’à mon âge.

On fait souvent le parallèle entre la France d’aujourd’hui et celle des années 30, avec cette montée de la violence, et ce repli sur soi. Faites-vous aussi ce parallèle ?

C’est un parallèle que je fais, sur un certain plan. C’était une époque de dangers qui montaient sans cesse et que l’on vivait presque en somnambule, sans nous en rendre compte. Mais le type de danger aujourd’hui n’est pas du tout le même. A l’époque, c’était l’Allemagne envoûtée par Hitler et par une conception de la supériorité aryenne qui projetait de dominer, avec son espace vital, toute l’Europe, et d’esclavagiser le monde slave. C’était la menace de l’Allemagne nazie qui était le danger principal. Aujourd’hui, il y a plus de dangers. Ils sont multiples. Vous avez le danger nucléaire. Vous avez le danger économique, celui de la domination de l’argent un peu partout. Vous avez les crises de la démocratie, comme il y en a eu à l’époque, et qui aujourd’hui sont aussi graves. Donc, il y a des traits semblables, mais aussi des traits très différents. Surtout, il y a l’absence de conscience lucide que l’on marche vers l’abîme. Ce que je dis n’est pas fataliste. Je cite souvent la parole du poète Hölderlin qui dit que « là où croît le péril croît aussi ce qui sauve ». Donc, je pense quand même qu’il y a encore espoir.

Vous qui êtes le chantre du concept philosophique de la pensée complexe. Vous ne trouvez pas qu’il y a parfois des raccourcis qui peuvent être faits, comme par exemple, quand on entend qu’on est en dictature aujourd’hui en France ? Vous n’avez pas l’impression qu’une certaine partie du pays va trop loin, fait des raccourcis ?

Nous n’en sommes pas là, mais nous voyons que nous en subissons la menace. Là aussi, c’est à venir. Même à quelques années, ne serait-ce qu’avec cette élection présidentielle, personne ne sait ce qui va se passer. On est dans une incertitude totale.

Vous écrivez d’ailleurs dans une tribune publiée dans le journal Le Monde : « Nous devons comprendre que tout ce qui émancipe techniquement et matériellement peut en même temps asservir ». Vous parlez du premier outil qui est tout de suite devenu une arme. Vous parlez des dangers de la technologie moderne et notamment de la vidéosurveillance, des algorithmes. Ce sont des dangers immédiats ?

C’est un des dangers dans cette société, appelons-la néo-totalitaire, qui pourrait s’installer. Mais il ne faut pas oublier la biosphère qui va aggraver tout ça si la crise climatique continue. Il ne faut pas oublier que les fanatismes se déchaînent un peu partout.

Ce qui me frappe beaucoup, c’est que nous sommes à un moment où nous avons, tous les humains, une communauté de destin – et la pandémie en est la preuve, on a tous subi la même chose de la Nouvelle-Zélande à la Chine et à l’Europe. On a subi les mêmes dangers physiques, personnels, sociaux, politiques.

Moi, je ne suis pas contre la nation, au contraire. Mon idée de Terre patrie, c’est qu’elle englobe les patries et les nations sans les dissoudre. Mais cette conscience n’est pas là. Elle peut venir, elle peut se développer. Mais elle n’est pas là. 

Comment avez-vous vécu, sur le plan intellectuel, le confinement, cette idée de confiner sa population ? Est-ce que pour vous le confinement, c’est la santé qui a primé sur l’économie ? Ou est-ce qu’au contraire, vous retenez qu’on a confiné au détriment des libertés ?

La complexité, c’est de voir l’ambivalence des choses. Je vois très bien une volonté d’une politique sanitaire mais qui, peut-être, n’était pas totalement adéquate à la situation. Le confinement, c’est une chose qui a provoqué aussi bien des réflexions salutaires chez certains que des tragédies chez d’autres. C’est profondément ambivalent. Mais ce que je crois, c’est qu’on n’a pas bien pensé ce virus. On continue à être dans une aventure inconnue et dangereuse et je pense qu’il y a une grande repensée politique et sanitaire à faire aujourd’hui.

Vous avez 100 ans. Forcément, à cet âge-là, on commence à penser à la fin. Axel Kahn, qui nous a quittés mardi 6 juillet, a presque chroniqué la fin de sa vie. Est-ce que vous aussi, vous vous y êtes préparé ? 

Il y a une grande différence avec Axel Kahn, qui se savait atteint d’un cancer fatal. Jusqu’à présent, je n’ai pas d’atteintes, je ne peux pas avoir la même attitude qu’Axel Kahn. Je dispose encore, du moins cérébralement, des forces de vie qui me donnent des envies, des projets, des désirs, des plaisirs. Je vis bien entendu d’une façon beaucoup plus restreinte que dans le passé. Mon audition a faibli. Mes yeux ne lisent plus les choses microscopiques. Mes jambes ne peuvent plus cavaler.

« Moi qui adore la musique, maintenant les sons m’arrivent déformés, j’ai beaucoup de choses qui sont rétrécies. Mais même dans ce rétrécissement, je continue à participer à la vie de la nation et à la vie du monde. »

Donc, si vous voulez, je sais que la mort peut arriver d’un moment à l’autre, je sais que je peux m’endormir un soir et ne pas me réveiller. Mais ça, c’est le destin humain.

Axel Kahn s’est beaucoup battu pour la fin de vie dans la dignité. C’est aussi un combat que vous portez ? 

Je comprends très bien ce besoin d’éviter les souffrances les plus atroces à des gens qui se sentent condamnés. Mais les médecins sont devant une contradiction éthique. D’un côté le serment d’Hippocrate, qui leur dit de prolonger la vie au maximum, et de l’autre, une part d’humanité qui leur dit : arrêtons les souffrances de cette pauvre personne. Je suis pour ce point de vue, mais je sais qu’il y a des cas rares où des malheureux dans un coma qui semblait irrémédiable, au bout de quelques années, se réveillent soudain.

Vous diriez qu’il faut changer la loi sur la bioéthique ?

Il faut réfléchir sur les contradictions de la bioéthique. On voit que la génétique permet des manipulations qui peuvent être dangereuses, et en même temps des interventions qui peuvent être très salutaires. Il faut penser que dans ce domaine-là, nous avons affaire souvent à des devoirs contradictoires. Donc, il faut surtout faire une loi selon la complexité des choses, et pas d’une façon simplifiée.

C’est toujours cette ambivalence et la « pensée complexe ». On l’a peut être vue également avec l’affaire Mila, concernant la liberté d’expression cette fois-ci. J’imagine que vous êtes d’accord pour dire qu’il faut défendre la liberté d’expression. 

Ce n’est pas un accord, c’est une cause permanente qu’il faut défendre !

Mais jusqu’où ? Est-ce qu’une lycéenne peut insulter une religion en ligne ? Et est-ce qu’en réponse des personnes peuvent appeler à son meurtre ? Est-ce que la justice a eu raison de condamner les harceleurs de Mila à 4 à 6 mois de prison ?

Je pense que, là aussi, nous avons affaire à une contradiction éthique. Je suis pour la liberté d’expression totale, mais bien entendu, je pense aussi que sur la fameuse histoire des caricatures, non seulement elles pouvaient être considérées comme immondes par des jihadistes, mais pouvaient même offenser des pieux musulmans. Donc, je n’étais pas pour la censure, mais je suis pour que les journalistes aient le sens de la complexité et de la responsabilité. C’est de ça dont il faut tenir compte. C’est aux journalistes de savoir à quel moment éviter quelque chose d’offensant. Un exemple, pour éviter toute comparaison avec des choses actuelles, l’islam ou le christianisme. Quand en Amérique, des Blancs vont dans les forêts sacrées des Indiens, des forêts qui, pour eux, sont plus que sacrées puisque c’est là où il y a leurs ancêtres, je pense qu’il faut condamner ce qui est un sacrilège pour les Indiens. Il faut dans chaque cas réfléchir et ne pas avoir des idées abstraites générales.

On a beaucoup évoqué des choses sombres dans l’actualité ou dans le passé. Est-ce que vous avez une note d’espoir à donner du haut de vos 100 ans ? Est-ce que vous voyez un ciel bleu possible dans l’avenir ? 

D’abord, je sais que rien n’est irrémédiable. Malheureusement, la démocratie n’est pas une chose irréversible, mais une dictature non plus n’est pas irréversible. On a vécu des périodes sombres comme l’Occupation où pendant des années, il n’y avait pas d’espoir, jusqu’à ce qu’arrive le miracle de la défense de Moscou et de l’entrée en guerre des États-Unis. Donc l’improbable arrive dans l’histoire. Des évènements heureux arrivent. Parfois, ils n’ont qu’un sens limité, mais quand même important. Prenez le pape François. C’est le premier pape depuis des siècles qui soit retourné aux principes de l’Évangile et ait pris conscience des périls qui menacent la Terre, de la pauvreté et de la misère humaine. C’était imprévu que ce pape succède à un autre pape qui était si fermé, si réactionnaire.

« L’imprévu peut arriver, en bien ou en mal. Et moi, je compte donc sur l’improbable. L’Histoire n’est jamais écrite d’avance. »

Dans le fond, il y a toujours la lutte entre ce qu’on peut appeler les forces d’union, d’association, d’amitié, Eros, et les forces contraires de destruction et de mort, Thanatos. C’est le conflit depuis l’origine de l’univers où les atomes s’associent et où les étoiles se détruisent, se font bouffer par les trous noirs. Vous avez partout l’union et la mort. Vous l’avez dans la nature physique, vous l’avez dans le monde humain. Moi, je dis aux gens, aux jeunes : prenez parti pour les forces positives, les forces d’union, d’association, d’amour, et luttez contre toutes les forces de destruction, de haine et de mépris.

« Biodibertsitatea sustatzeko mundua berriz basati uzteko ideia mito batean oinarrituta dago, diote zientzialari kritikoek
Pello Zubiria Kamino
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Biodibertsitatearen galera eta klimaren aldaketa konpontzen lagundu behar luke Lurreko eremu zabalak berriro basati garatzen lagatzeak, hala defenditu du luzaz ekologiaren korronte nagusiak. Aldiz, zenbait zientzialarik aldarrikatu dute natura aberatsagoa zeneko mundu hartan gizakiak ere esku hartzen zuela aspalditik. « Wilderness » ideiaren inguruko eztabaida mahairatu dute, berriro ere.

Laborari ELB sindikatuaren aldizkarian Mikel Hiribarrenek “Natura eta laborantza, buruz buru ala eskuz esku” laburbildu du nekazarien eta kontserbazionisten arteko eztabaida. Mundu aberats osoan elkarte ekologistek aspaldi piztu eta berrikitan larrialdi klimatikoaren kariaz agintari askok –baita klima hondatzen duten multinazional ugarik ere– berenganatu duen wilderness dela-koa da afera, alegia, gizakiak egin dituen sarraskiak konpontzeko planetaren eremu zabalak basati utzi beharra dagoela.

Nazio Batuen Erakundeak helburutzat ezarri du Txinaren lurraldea adinako eremua berreskuratzea naturari, mundu osoan gutxienez 1.000 milioi hektarea. Egia da wilderness kontzeptua ñabardura ezberdinez ikusten dutela horren sustatzaileek, baina denak ere oinarritzen dira historiaurrearen interpretazio batean: Lurrak duela mende gutxi arte gizakiak ukitu gabeko eremu zabalak zeuzkala eta oihan birjina haiek zirela biodibertsitate handienaren jabe. Hauxe da berriro auzitan jarri duena hamazazpi zientzialarik publikatu berri duten azterlanak.

Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS) zientzia aldizkarian Erle Ellis eta beste hamazazpi ingurumen zientzialari, antropologo eta arkeologok plazaratu dute People have shaped most of terrestrial nature for at least 12,000 years (“Gizakiak moldatu du lurreko naturaren zati handiena gutxienez azken 12.000 urteotan”), « biodibertsitatea berdin basatia » formula berriro auzitan jarriz eta Antropozeno delakoaz dauzkagun aurreiritziak uzkailduz. « Gero eta ebidentzia gehiagok erakusten dute –idatzi dute Ellis eta lankideek– gizakiaren jarduerak onura ekologiko iraunkorrak eragin dituela bere jokamoldearekin beste espezieei habitat berriak zabalduz, landareen aniztasuna handituz, ehizaren jasangarritasuna areagotuz, funtzio ekologiko garrantzitsuak burutuz haziak barreiatzean, lurzoruaren elikagaiak ugarituz…”.

Eta aurrerago: “Ehiztari-biltzaileek, hasieretako nekazariek eta artzainek sarritan partikatzen zituzten eremu berak eta hauen itxura egokitu zuten intentsitate ahuleko biziraupen praktika ugarien bidez: ehiza, transhumantzia, bizileku mugikortasuna, landare ekoizpenerako erabiltzea lugorriak, labore aniztasuna eta zuhaitzen kimaketa. Horrela sortu zituzten lursail anitz, dina-miko eta emankorreko mosaikoak eta komunitate ekologiko berriak. Eskualde askotan mosaiko motako paisaia horrek milaka urtez iraun du”.

PNASen argitaratutako ikerketak gezurtatzen ditu aurretik egindako modelizazioak, ziotenak duela 8.000 urte Lurraren %82 basatia zela.

Ellis eta kolegek diote nekazaritza asmatu aurretik gizakiak naturan zeukan eskuhartzea gutxietsi zutela: “Ereduok hain ziren txarrak ezen eta arkeologoek ez baitzituten beren lanean erabili nahi”. Arkeologoek demostratutzat jotzen dutenetik abiatuta, ageri da jada duela 12.000 urte gizakiak esku hartzen zuela planetaren eremuaren hiru laurdenetan, eremu epeletako basoen %95ean eta oihan tropikalen %90ean: “Gaur natural, ukitu gabeko edo basati jotzen ditugun eremu gehienetan ageri dira gizakiak esku hartu izanaren arrastoak”. 12.000 urtean jarri dute muga, orduan amaitu zelako azken glaziazioa, gaur ezagutzen dugun naturari bide eginez.

KOLONOEN AURREIRITZIAK

Erle Ellisek berak sortutako antroma motak (« anthrome » ingelesez, gizakiaren esku hartzearen ezaugarri berdinak dauzkan eremua) oinarritzat hartuta, hiru kategoriatan sailkatu dituzte: eremu “basatiak”, hots, batere gizakirik gabeak; eremu “landuak”, lurrazalaren %20 baino gutxiagotan nozitzen dituztenak giza jarduera intentsiboak; eta antroma edo habitat “intentsiboak”, lurrazalaren %20 baino gehiagoan giza jarduera intentsiboak dauzkatenak (hiriguneak, aniztasun gutxiko labore alorrak, abeltzaintza intentsibokoak edo erregadiokoak).

Hiru ereduok praktikara ekarrita, adibidez, Amazoniako oihanaren gehiena bigarren ataleko antroma landutzat jotzen da, askok oker uste arren berez basatia dela. Aldiz, munduko gaurko landa eremu gehienak antroma edo habitat intentsiboak dira.

Historiaurrera joz, azterlariek aurkitu dute duela 12.000 urte Lurraren %27,5 baizik ez zela erabat basatia; gainerako %72,5 ehiztari-biltzaileek eta nekazariek okupatzen zuten baina lurraren erabilera intentsiborik gabe. Gaur egun, aldiz, basatia lurrazal globalaren %19 da, gizakiak ez intentsiboki landua %30era murriztu da eta, aldiz, erabilera intentsiboa bilakatu da nagusi, %51.

Datuok, gero, biodibertsitatearen aberastasunarekin gurutzatu dituzte eta horra askorentzako ezustekoa: gaurko kontserbazio politikek ezarritako lehentasunei erreparatuz gero, bioaniztasunean aberats diren eremu gehienak aspalditik gizakiak jarduera ez intentsiboz landutako eremuetan daude. Ikuspegi berri honek biodibertsitatearen historia bestela ulertzera garamatza. Horrela, biodibertsitatea ez da galdu gehien bat lur basati birjinetan gizakia berrikitan sartu delako, baizik eta aspalditik gizakia bizi zen eremuetan lurraren erabilera intentsifikatu delako, hazkunde demografikoak, kolonizazioak, populazioaren lekualdatzeek, nekazaritza intentsiboak eta hiritartze-industrializazioak eraginda. Intentsifikazioak XIX. mende amaieran hartu zuen abiada eta batik bat 1950etik aurrera egin du jauzi historikoa.

Biodibertsitatearen galerak urrats handiak egin ditu historiako kolonizazio bakoitzean, Txinako bezala Erromatar inperioetan edo europarrek Amerika kolonizatzean. Ez da kasualitatea ikerlanaren atalburuetako bat deitzea « Biodibertsitatea dekolonizatu« . Amazonian bezala Amerika osoan, Australian zein beste eremuetan… kolonoek eremu ustez basatiak aurkitu zituzten, haiek ulertzen ez zuten moduan humanizatuta zeudelako, hau da, nekazaritza eta bilketa eredu eze-zagunekin era ez intentsiboan landuak zeudelako. Kolonizazioak ekarritako intentsifikazioak –lekuko biztanleak beren jakintza guztiarekin desagerrarazteare-kin batera– eragin zuen hango biodibertsitatearen hondamendia.

Biodibertsitatearen dekolonizazioa beharko da Europa barruan bertan ere. Jada hasiak dira kalapitak, alde batetik daudela ustez biodibertsitatea handitzeko lur eremuak erosi eta basati utzi nahi dituzten erakunde publiko eta pribatuak eta, bestetik, aspalditik paisaia horiek moldatuz bizi diren laborariak. Ala esan beharko genuke gatazka dela “naturaren zati direla ahantzi duten kolono kaletarren eta naturan txertatuta bizi ziren baserritar indigenen artean”?