COP15 : l’humanité est devenue une « arme d’extinction massive », dénonce le secrétaire général de l’ONU
Le Monde avec AFP t
www.lemonde.fr/climat/article/2022/12/07/cop15-l-humanite-est-devenue-une-arme-d-extinction-massive-denonce-le-chef-de-l-onu_6153264_1652612.html
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La conférence des Nations unies sur la biodiversité réunit plus de 190 pays à Montréal jusqu’au 19 décembre. L’issue des négociations, qui portent sur une vingtaine d’objectifs destinés à sauvegarder les écosystèmes d’ici à 2030, est incertaine.
Il s’exprimait dans la foulée du premier ministre canadien, Justin Trudeau, dont l’intervention a été interrompue par les tambourins d’une dizaine de représentants d’un peuple autochtone local. « Génocide des autochtones = écocide », « Pour sauver la biodiversité, arrêter d’envahir nos terres », proclamait leur banderole, brandie quelques minutes sous les applaudissements d’une partie de la salle, avant qu’ils soient escortés, dans le calme, vers la sortie.
Les défis que la COP15 doit relever sont considérables : un million d’espèces sont menacées d’extinction, un tiers des terres sont gravement dégradées et les sols fertiles disparaissent, tandis que la pollution et le changement climatique accélèrent la dégradation des océans.
Plus de 190 pays se réunissent du 7 au 19 décembre, pour tenter de sceller un pacte décennal pour la nature et éviter ainsi une sixième extinction de masse.
« Cacophonie du chaos »
« Aujourd’hui nous ne sommes pas en harmonie avec la nature, au contraire nous jouons une mélodie bien différente », une « cacophonie du chaos jouée avec des instruments de destructions », a résumé le secrétaire général des Nations unies (ONU). « Et, en fin de compte, nous nous suicidons par procuration », a-t-il ajouté, avec des répercussions sur l’emploi, la faim, la maladie et la mort.
Si le constat scientifique est peu discuté, les points de friction restent nombreux entre les membres de la Convention pour la diversité biologique (CDB) de l’ONU (195 Etats et l’Union européenne, mais sans les Etats-Unis). L’issue des négociations, portant sur une vingtaine d’objectifs destinés à sauvegarder les écosystèmes d’ici à 2030, reste incertaine.
« Pour que l’accord de Paris réussisse, la biodiversité doit également réussir. Pour que le climat réussisse, la nature doit réussir, et c’est pourquoi nous devons les traiter ensemble », a affirmé à l’Agence France-Presse (AFP) Elizabeth Maruma Mrema, la secrétaire exécutive de la CDB, il y a quelques jours.
Parmi la vingtaine d’objectifs en discussions, l’ambition-phare, surnommée « 30 × 30 », vise à placer au moins 30 % des terres et des mers du globe sous une protection juridique minimale d’ici à 2030. Contre respectivement 17 % et 10 % dans l’accord précédent qui date de 2010.
La question du financement, point de blocage
Il sera aussi question des subventions néfastes à la pêche et à l’agriculture, de la lutte contre les espèces invasives et de la réduction des pesticides. Mais la question du financement de ces mesures pourrait être, une fois encore, un point de blocage. Des pays en développement demandent la création d’un fonds, comme celui décidé pour le climat, sans que cela leur ait été pour l’instant accordé.
Le manque de leadership politique pourrait aussi se faire sentir. En dehors du premier ministre canadien, aucun chef d’Etat ou de gouvernement n’est attendu à Montréal, alors qu’ils étaient plus de 110 en Egypte en novembre pour la COP27, conférence de l’ONU sur le climat.
Les investissements monstres des géants des hydrocarbures toujours loin de préparer un monde à 1,5°C
Margaux Lacroux
www.liberation.fr/environnement/climat/les-investissements-monstres-des-geants-des-hydrocarbures-toujours-loin-de-preparer-un-monde-a-15c-
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Au lieu de réduire drastiquement leur production de pétrole et de gaz, les producteurs d’énergie font l’inverse et continuent à miser sur des projets incompatibles avec l’accord de Paris, selon un rapport de Carbon Tracker publié ce jeudi.
Début 2021, l’Agence internationale de l’énergie envoyait un message limpide, censé marquer un tournant : pour limiter les dégâts du changement climatique, il faut arrêter immédiatement d’investir dans de nouveaux projets d’énergies fossiles (gaz, pétrole, charbon). «Aucun champ gazier et pétrolier nouveau n’est nécessaire au-delà de ceux déjà approuvés», appuyaient les experts, car la production d’hydrocarbures doit chuter de 22% d’ici à 2030 et de 44% d’ici à 2035 par rapport à 2019. Du moins si l’on veut respecter la trajectoire qui mène à la neutralité carbone en 2050 et ainsi ne pas dépasser un réchauffement climatique de +1,5°C, comme le prévoit l’accord de Paris. Plus ce seuil sera dépassé, plus l’humanité s’exposera à une augmentation rapide du niveau des océans et des événements extrêmes dévastateurs tels que les inondations, les canicules, les pluies diluviennes, les mégafeux…
Pourtant, les compagnies gazières et pétrolières, responsables d’une bonne partie des émissions de gaz à effet de serre, semblent encore loin d’avoir intégré cette logique. Selon le rapport du think tank britannique Carbon Tracker publié ce jeudi matin, les mastodontes des énergies fossiles continuent à aller dans le mauvais sens. D’abord, au lieu de planifier une chute des hydrocarbures dès maintenant, nombreux sont ceux qui comptent augmenter leur production au cours de la prochaine décennie.
Par rapport aux niveaux de 2019, Chevron mise sur +16% d’extraction d’hydrocarbures d’ici à 2026, quand la hausse prévue est de +8% pour ExxonMobil, +15% pour Petrobras et +16% pour Saudi Aramco en 2027. «Eni, Shell et TotalEnergies envisagent de réduire leur production de pétrole mais d’augmenter celle de gaz», poursuit le rapport. Au final, la production d’hydrocarbures de TotalEnergies devrait bondir de 13% d’ici à 2030.
Sur la vingtaine de compagnies passées au crible, seul BP se démarque. L’entreprise prévoit une chute à la fois de son pétrole et de son gaz, de l’ordre de 43% d’ici 2030, «ce qui est largement conforme à une trajectoire de 1,5°C», précise Carbon Tracker. C’est malheureusement la seule bonne nouvelle.
«Catastrophe climatique»
Les géants de l’énergie ne peuvent pas se contenter d’augmenter la part d’investissement dans les énergies renouvelables sans renoncer au développement des énergies polluantes, rappelle le rapport de Carbon Tracker. «Les sociétés pétrolières et gazières se vendent comme faisant partie de la solution au changement climatique, tout en planifiant simultanément des augmentations de production qui conduiraient à une catastrophe climatique. Les entreprises ne peuvent pas prétendre être alignées sur les objectifs climatiques mondiaux à moins qu’elles ne prévoient de réduire leur production», tance Thom Allen, un des auteurs, dans le communiqué du think tank.
Le rapport insiste aussi sur le fait qu’installer des technologies de capture et stockage du CO2 sur les sites d’extraction de gaz et de pétrole ne dédouane pas de réduire drastiquement la production.
Pour taper au portefeuille, Mike Coffin, autre auteur du rapport, invite les investisseurs à «examiner attentivement les plans de dépenses des entreprises» qu’ils financent. En 2021 et au premier trimestre de 2022, 62% du total des investissements des compagnies n’étaient pas alignés sur une trajectoire compatible avec +1,5°C, selon Carbon Tracker. Le secteur des hydrocarbures semble plutôt préparer le terrain pour un monde infernal dans lequel l’humanité continuera à brûler beaucoup trop de gaz et de pétrole. «Chevron, Eni, Shell, TotalEnergies et d’autres entreprises ont approuvé un investissement total de 58 milliards de dollars qui ne sera nécessaire que si la demande de pétrole et de gaz augmente au point de pousser les températures mondiales au-delà de 2,5°C», pointe Carbon Tracker.
TotalEnergies, particulièrement mauvais élève
TotalEnergies serait particulièrement mauvais élève. En 2021 et au premier trimestre de 2022, la multinationale «a consacré près de 7 milliards de dollars – soit plus que toute autre grande entreprise cotée en Bourse – à des projets» de ce type.
Parmi eux, le contesté méga projet d’oléoduc en Afrique. Il est composé d’un côté de «Tilenga», un forage de 419 puits en Ouganda, dont un tiers dans un parc naturel, et de «Eacop» (East African Crude Oil Pipeline), le plus long oléoduc chauffé au monde, destiné à transporter les hydrocarbures jusqu’à l’Océan indien en traversant la Tanzanie.
Depuis quelques années, des voix s’élèvent pour prendre le mal à la racine en interdisant l’extraction des combustibles fossiles et demandent un traité de non-prolifération qui reprendrait le modèle de celui existant pour les armes nucléaires. En octobre, peu avant la COP27 en Egypte, le Parlement européen s’y est dit favorable. Si le sujet est loin de faire consensus au niveau international, il est théorie possible qu’un petit groupe de pays décide d’adhérer à ce traité, qui serait placé sous l’égide de l’ONU. Mais le contexte de crise énergétique ne constitue pas un contexte favorable.
Coupures de courant : va-t-on fermer des écoles pendant que les remontées mécaniques seront préservées ?
Maxime Combes , Economiste, travaillant sur les politiques climatiques, commerciales et d’investissement
https://basta.media/Coupures-de-courant-va-t-on-fermer-des-ecoles-pendant-que-les-remontees-mecaniques-seront-preservees
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Le gouvernement a dressé une liste confidentielle de 14 000 sites « prioritaires » qui ne subiront pas les coupures d’électricité. L’économiste Maxime Combes invite à réfléchir sur l’utilité sociale et économique des activités à préserver.
adame la Première ministre Élisabeth Borne,
Le 7 juin dernier, dans un entretien à la presse régionale, le président de la République Emmanuel Macron avait assuré qu’il n’y aurait « aucun risque de coupure d’électricité cet hiver ». Ce risque semble pourtant bien réel si l’on en croit la circulaire que vous venez d’envoyer aux préfets et dont la teneur a été rendue publique par plusieurs médias. On y apprend que des coupures d’électricité sont envisagées aux heures de pointe, entre 8 h et 13 h et 18 h et 20 h, et qu’elles pourraient concerner 60 % de la population. Si 14 000 sites jugés prioritaires (gendarmeries, casernes de pompiers, commissariats, hôpitaux, etc.) sont visiblement protégés de ces délestages volontaires, ce n’est pas le cas des établissements scolaires et des transports collectifs que vous ne considérez manifestement pas comme « prioritaires ».
Puisque cette liste des 14 000 sites préservés est à ce jour confidentielle, pourriez-vous a minima rendre publics les critères qui vous ont permis de discriminer les sites « prioritaires » des sites « non prioritaires » ? Que ce soit en période de confinement obligatoire ou à l’occasion d’un rationnement de l’accès à l’électricité, définir ce qui est essentiel ou prioritaire et ce qui ne l’est pas, n’est pas qu’une affaire technocratique : en plus de charrier une lourde charge symbolique – au risque d’être perçus comme du mépris envers les activités jugées « non essentielles » comme pendant la pandémie de Covid 19 – de tels qualificatifs transcrivent nécessairement une certaine vision de notre société.
De telles incompréhensions et sentiments d’injustice ne peuvent que se renforcer si vous persistez à rendre chacune et chacun d’entre nous responsable de ces éventuels délestages [2] : avant d’être le résultat d’insuffisantes réductions de nos consommations individuelles, cette situation est le fruit d’années d’errance des pouvoirs publics. On ne le rappellera sans doute jamais assez : si les objectifs du Grenelle de l’Environnement (2008) en matière d’isolation des bâtiments avaient été tenus, nous économiserions l’équivalent du gaz importé de Russie avant le début de la guerre en Ukraine. Or, vous venez de rejeter toute augmentation significative des crédits dévolus à la rénovation énergétique des bâtiments, comme si aucun enseignement n’en avait été tiré.
La France est le seul pays de l’Union européenne à ne pas avoir atteint ses objectifs de déploiement d’énergies renouvelables, et à devoir payer environ 500 millions euros de pénalités pour cela, alors qu’atteints, ces objectifs fourniraient aujourd’hui 64 TWh (Terawattheure) de production de plus, soit 20 % de la consommation industrielle ; de plus, ces retards accumulés ne cessent de s’accroître.
« Des décisions technocratiques qui mériteraient d’être débattues »
Comment dès lors ne pas avoir l’impression, à nouveau, comme lors de la pandémie de Covid 19, que votre gouvernement tente de masquer ces terribles manquements derrière des décisions technocratiques qui mériteraient d’être débattues et derrière une stratégie politique consistant à faire de chacune et chacun d’entre nous le coresponsable d’une situation énergétique qui nous échappe pourtant ? Que penser de l’application Ecowatt [3], qui, sous couvert de mise à disposition de l’information, laisse 14 millions d’entre nous, en situation d’illectronisme, hors d’un système d’alerte numérisé alors que, dans le même temps, l’accès aux numéros d’urgence n’est pas garanti ?
Chacune et chacun d’entre nous est capable de comprendre qu’il est préférable d’anticiper et préparer d’éventuelles coupures d’électricité et que des délestages ponctuels de deux heures valent mieux qu’un black-out général. Néanmoins, telles que les choses sont désormais posées, et compte tenu de notre (mauvaise) expérience de la pandémie de Covid 19, vous ne saurez vous exonérer d’une nécessaire réflexion collective sur l’utilité sociale, économique et écologique des activités qui pourraient ne plus être alimentées en cas de rationnement ou qui ne devraient plus l’être au nom de la sobriété : non ciblées, les coupures d’électricité seront vécues comme injustes et inégalitaires.
Vous avez contribué à ouvrir un légitime et important débat public sur la sobriété. C’est très bien. Mais vous ne pouvez rester au milieu du gué : la nouvelle situation énergétique et le manque de préparation collective nécessitent une discussion démocratique sur la priorisation des besoins à satisfaire tant face aux risques de délestages qu’au regard des besoins de sobriété énergétique.
Que cette sobriété soit subie ou choisie, il devient nécessaire de consommer moins de ressources et de réintroduire des limites : quand il faut économiser l’électricité, le pétrole, le gaz ou même l’eau, alors brûler du kérosène pour aller boire un café à Biarritz ou gaspiller de l’eau pour arroser un green de golf ne saurait être accepté. Nos écoles et nos crèches valent plus que leurs jets privés ou les remontées mécaniques de Megève ou Courchevel.
Veuillez recevoir, Madame la Première ministre, mes sincères salutations.
Boris Cyrulnik : « L’humain est sculpté par le milieu où il vit »
Catherine Marin
https://reporterre.net/Boris-Cyrulnik-L-humain-est-sculpte-par-le-milieu-ou-il-vit
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Dans cet entretien, le chercheur Boris Cyrulnik évoque la psychoécologie, qui pense les interdépendances entre les humains et leur milieu. Et invite notre espèce à ne plus « créer les conditions de sa mort ».
Boris Cyrulnik est neuropsychiatre, directeur d’enseignement à l’université de Toulon. Essayiste prolifique, il est célèbre pour sa réflexion sur la notion de « résilience » – la capacité à se transformer pour survivre à l’adversité. Dans Des âmes et des saisons, ouvrage de vulgarisation de la « psychoécologie » paru en 2021, aux éditions Odile Jacob, il montre en quoi l’humain est « sculpté » par les différents environnements qu’il traverse au cours de sa vie – fœtal, puis familial, environnemental, social, culturel.
À l’ouverture de la COP27, en Égypte, le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a notamment dit ceci : « L’humanité a le choix : coopérer ou périr. Il s’agit soit d’un pacte de solidarité climatique, soit d’un suicide collectif. » Qu’est-ce que cela vous inspire ?
Boris Cyrulnik — Je le pense aussi : soit on fait les réformes encore possibles rapidement, soit on disparaît de la planète avec la dégradation progressive des conditions de vie : sols non résilients, sécheresse, inondations, augmentation des maladies (qu’on songe à la peste de 1348 qui, en deux ans, a tué un Européen sur deux), pollutions de l’air, de l’alimentation… l’espèce humaine est en danger.
Toutefois, l’expression de « suicide collectif » n’est pas adaptée parce qu’elle désigne une intention de se donner la mort. Or, les gens ne veulent pas se donner la mort, mais vont être entraînés vers la mort avec le maintien de politiques environnementales néfastes. Elles vont faire mourir un grand nombre d’entre nous.
Dans « Des âmes et des saisons », vous nous parlez « psychoécologie », un mode de réflexion qui pense les interdépendances entre les humains et leurs milieux. Quand est née cette discipline ?
Ce champ nouveau de réflexion a été proposé il y a une trentaine d’années, en Allemagne et en France, par le psychiatre autrichien Bronfenbrenner, et quelques décennies plus tôt par le psychologue américain Abraham Maslow, que j’ai fait traduire en France. Mais leurs théories sont restées marginales parce que notre culture demeure attachée à un postulat épistémique : l’inné et l’acquis [l’inné étant la part liée aux gènes dont une personne hérite à la naissance ; l’acquis, les caractères post-nataux dépendant de l’environnement].
Or on sait maintenant que, sur un plan philosophique et biologique, ce postulat est un non-sens. Les découvertes en neurosciences démontrent que l’inné et l’acquis sont inséparables, que le cerveau d’un être humain est entièrement sculpté par son environnement : fœtal, puis familial, social, environnemental et culturel – le monde des récits, des imaginaires dont nous héritons nous façonne aussi. J’ai adopté cette approche des choses lorsque j’ai présidé la commission des « 1000 premiers jours », qui a remis un rapport au gouvernement sur le mode de développement des enfants au cours de l’enfance préverbale.
Le stress produit sur le corps de sidérants effets. Vous évoquez, par exemple, ces jeunes ouvriers embarqués dès 10 ans à l’usine, au XIXe siècle, dont la croissance était bloquée à la suite de mauvais traitements.
J’ai pu observer la même chose en Chine il y a peu. Après la mort de Mao, le changement de culture opéré avec l’occidentalisation du pays, le développement du tertiaire notamment, a façonné des corps étonnamment différents : alors que leurs parents sont petits, avec des jambes arquées – car leurs cartilages de conjugaison se sont tassés du fait qu’ils ont été mis au travail trop tôt, dès l’âge de 7, 8 ans, dans les rizières ou à l’usine –, les jeunes Chinois, eux, sont grands. J’ai vu des filles chinoises dépassant les 1,80 mètre ! Mais on pourrait aussi parler de l’influence du climat, plus important qu’on ne croit dans le développement des individus et la structuration d’une culture.
Il n’y aurait donc pas de séparation entre nature et culture ?
La séparation entre nature et culture est venue de toutes les religions du Livre, qui représentent le corps comme une pourriture biologique, et l’âme comme une tentative élevée de transcendance pour devenir immortel. La médecine s’est développée avec ce clivage : d’un côté, le corps biologique ; de l’autre, l’âme, dont on ne pouvait pas faire une étude scientifique parce qu’elle était sans substance et sans étendue, comme disait Descartes.
Or, aujourd’hui, beaucoup de publications prouvent que les êtres vivants, animaux et humains, voient leur métabolisme corporel fortement modifié par le milieu naturel, notamment le climat et l’altitude — tout comme leur psychisme. Plus un groupe humain monte en altitude, plus les femmes ont leurs règles tard, plus elles sont petites, et mettent au monde des bébés petits. Et plus, sur le plan culturel, les rituels sont durs, sévères – parce que la moindre défaillance en haute montagne peut provoquer la mort d’un animal, qui nourrit les enfants, ou la mort d’un enfant ou d’un être humain négligent.
Lorsque le même groupe humain redescend dans la vallée, au fur et à mesure que les conditions climatiques s’adoucissent, les femmes ont des règles retardées, la taille des bébés s’allonge, et les rituels deviennent moins répressifs. Donc, on voit que biologiquement, et psychosocialement, notre manière de vivre est gouvernée par la structure environnementale du climat.
« On ne peut plus se considérer comme au-dessus de la nature »
Et puis le Covid vient de montrer qu’on ne peut plus se considérer comme au-dessus de la nature. Aujourd’hui, 60 à 70 % des agents pathogènes qui causent les maladies humaines sont des zoonoses, c’est-à-dire des maladies transmises par des animaux. Mais ces animaux, c’est nous qui les avons rendus malades, par l’élevage industriel, qui a modifié leur écologie, avec des nourritures produites industriellement, des antibiotiques, une grande promiscuité…
L’être humain vit aussi sous l’influence des récits culturels qui construisent sa représentation du monde, expliquez-vous. En Occident, parmi ces grands récits, celui de la supériorité de l’Homme sur la nature. Faut-il en revenir ?
La Bible reconnaît la violence de l’Homme, qui doit dominer la nature, dominer les animaux, dominer les femmes. Entre parenthèses, elles sont censées être sorties de la côte d’Adam, alors que, biologiquement, on sait que c’est le contraire : on a tous été des femelles jusqu’au quatorzième jour de la vie fœtale, et les mâles ne se forment que sous l’effet de minuscules différences de sécrétion de testostérone.
Et pendant des millénaires, notamment durant les périodes glaciaires, la violence sur la nature a eu valeur de survie. La nourriture végétale manquait, et la survie de l’humanité a été assurée grâce à l’intelligence qui nous a permis de fabriquer des armes, avec du silex et des os, et en partie grâce à la violence physique des hommes, capables de tuer de grands animaux. Les femmes ont aussi participé à la chasse, en traquant les animaux ou en les rabattant, et prenaient une part plus importante que les hommes à la production de l’alimentation, car elles récoltaient les végétaux et les fruits. Mais la capacité de mise à mort d’un grand animal, plus spectaculaire, a mis dans l’ombre cette fonction nourricière des femmes, et héroïsé les hommes.
C’était une violence adaptative, écrivez-vous.
Voilà, c’était une violence adaptative, provoquée par des variations du climat. Cette violence s’est poursuivie tout au long de l’Histoire, en cas de sécheresse notamment. La muraille de Chine a été construite par les Chinois (1368-1644) pour se protéger des invasions des peuples du Nord, des Mongols entre autres, qui mouraient de faim et de soif.
Or, désormais, la domination sur la nature produit des effets délétères. Quand les sols ne produisent plus de végétaux, ce n’est pas seulement parce qu’il y a sécheresse, mais parce qu’ils sont pollués par des substances toxiques, ou parce que, pour des intentions de bénéfice économique, on ne respecte pas la jachère, la variation des cultures… Le processus s’est inversé, c’est l’espèce humaine qui met en danger sa propre survie en intensifiant le réchauffement climatique, par sa technologie industrielle, les modifications du transport, de l’élevage, etc. Maintenant c’est en coopérant avec les milieux et avec les autres que nous pourrons continuer à vivre.
Si l’humain et le milieu naturel sont interdépendants, la conception libérale de l’individualisme (l’individu est libre et entièrement responsable de soi) n’est-elle pas hors-sol ?
Personnellement, je n’emploie pas le mot « individualisme » parce que je pense que l’individualisme est une illusion : on est sculptés par le milieu où l’on vit. Bien sûr, on garde une part de liberté, et l’on peut agir sur le milieu qui nous sculpte : par exemple, dans les mois qui viennent, on peut se déplacer moins, manger moins de viande pour réduire notre empreinte énergétique, et donc la dégradation de notre environnement.
Mais on ne se fait pas tout seul comme le raconte la conception néolibérale. Selon elle, un homme, c’est Rockefeller, quoi ! C’est un pauvre type qui arrive à New York et qui trouve par terre une épingle. Il se trouve que cette épingle est une épingle de cravate en diamant. Il la ramasse et devient follement riche parce que c’est un « battant ». Sous-entendu, un individu suffisamment fort n’a pas besoin d’un milieu favorable pour se développer.
Or, c’est faux. Car la structure du milieu, social, environnemental, facilite ou entrave le développement d’un cerveau sain. Quand la sécheresse devient chronique, par exemple, comme en Somalie ou au Darfour, il y a aussi des impacts psychologiques : les enfants n’acquièrent pas l’attachement confiant à leurs proches nécessaire à la vie parce qu’ils sont toujours en alerte pour ne pas mourir…
C’est la perception écosystémique de la psychoécologie. Si un enfant ne parvient pas à se développer, c’est peut-être parce qu’il est sous l’effet d’un grand stress, lui-même favorisé par les difficultés économiques de ses parents, eux-mêmes soumis à des politiques agricoles inadaptées… et non parce qu’il est « malsain », comme on l’a longtemps pensé.
Donc, pour revenir à la proposition de M. Guterres, aller vers la « solidarité climatique », ce serait comprendre ces interrelations ?
Ce serait comprendre pour modifier, quand on le peut. Il faudrait, par exemple, diminuer les immenses élevages de viande, pour éviter la propagation des épidémies virales et diminuer les gaz à effet de serre… Mais il faut une volonté politique !
Or, aujourd’hui, il y a beaucoup de gens angoissés par le fait de choisir. Dites-moi où est la vérité ? Dites-moi ce qu’il faut croire ? Et ils ont tendance à voter non pour des gouvernants déterminés à transformer les choses, mais pour des gouvernants autoritaires – j’allais dire totalitaires –, qui les rassurent. Erdogan, par exemple, élu et réélu démocratiquement, ou Bolsonaro, battu de peu aux dernières élections brésiliennes.
Donc on a un degré de liberté, comme le rappelle António Guterres, qu’on peut utiliser pour agir favorablement sur le milieu qui agit sur nous. L’espèce humaine pourra alors survivre, mais dans d’autres conditions techniques, affectives et sociales. Ou alors, on néglige ça, et on crée les conditions de notre mort en nous laissant entraîner par les anciens systèmes, politiques, économiques.
COP27-ak klima kudeatzeko eredu falta eta legedia ekonomikoen indarra agerian utzi ditu
Nicolas Goñi
www.argia.eus/argia-astekaria/2804/cop27-ak-klima-kudeatzeko-eredu-falta-eta-legedia-ekonomikoen-indarra-agerian-utzi-ditu
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Aurten Egipton iragan den COP27 gailurrak emaitza gazi-gozo bat eman du: klima aldaketaren aurrean estatu zaurgarrienen galerak eta kalteak konpentsatzeko funts baten sorrera. Garaipen historikoa izanik ere, funts hori oraindik mekanismo ahula da, eta zehaztu gabeko osagai asko ditu. Ahultasun horrek estatuetan oinarrituriko negoziazioetan du errua, eta gizateriaren ondasuna den klima gobernatzeko eredu falta agerian uzten digu.
Azaroaren 20an bukatu da klima aldaketari buruzko NBEn 27. konferentzia (COP27). Aurten lehen aldiz klima aldaketaren aurrean herri zaurgarrienen galerak eta kalteak konpentsatzeko funts bat adostu dute, nahiz eta muga asko ukan. Alde batetik garaipen garrantzitsua da, COP horren hasierako gai zerrendan ez baitzen horrelakorik aipatzen, eta herrialde zaurgarrienen eta klimaren aldeko aktibisten 30 urteko ahaleginen emaitza konkretua baita. Bertzaldetik, funts hori ez da oraindik ezer konpontzeko gai, eta erantzunik gabe uzten ditu galdera zehatz asko: zenbatekoak izanen dira finantzamenduak? Juridikoki zeintzuk izanen dira diru emaileak?
Zein izanen dira finantzamenduak lortzeko baldintzak eta arautegiak? Aski zehazten ez den elementu bakoitzak dakar atzerapausoen arriskua. Hala ere, urrats bat baizik ez bada ere, urrats esanguratsua da lehen aldiz NBEk ofizialki aitortzea estatu zaurgarrienen egoera eta berotegi efektuko gasen (BEG) isuri gehien duten estatuen ardura.
Estatuak, arazoari aurre egiteko eragile ezegokiak
Maxime Combes ekonomialariak oroitarazten duen bezala, beren egitura juridikoa dela eta, konferentzia horiek ez diete estatuei neurririk inposatzen ahal. Erabaki guziak borondatezkoak dira, eta emaitza konkreturik ez bada lortzen –edo emaitzak lortzeko plangintzarik aurkezten ez bada ere– ez zaie orain arte inongo zigorrik aplikatzen. Gainera, Pariseko hitzarmenak (2015eko COP21ean izenpetu zena) estatuen arteko emulazioa sortzeko apustua egiten zuen, helburuak nork azkarrago lortzeko lehia bat, alegia. Baina ez zuen aurreikusten estatu multzo batengatik helburu orokorra lortuko ez litzatekeen egoera zuzentzeko mekanismorik. Gainera, gaur egun apustu haren kontrakoa ikusten ari gara, nor mantsoagoka ari baitira estatu gehiegi. Horrela galtzen ari gara beroketa bi gradutara mugatzeko aukera, ehunka milioi bizitza mehatxatuz. Era berean, konferentzia horiek ez dute trantsizio energetikoa bultzatzeko ahalmenik; horregatik erregai fosilak ez dira hitzarmenetan aipatzen, António Guterres NBEko idazkari nagusiak hainbatetan arazoaren larritasuna esplizituki adierazi badu ere.
CNRSeko ikerlari eta klima gobernantzan aditu Amy Dahanek azpimarratzen du Munduko Merkataritza Erakundeak (MME) eta bertze hitzarmen bilateralek, aldiz, estatu izenpetzaileei arau hertsagarriak aplikarazten dizkietela, ekonomia globalizatua babesteko. Bertze hitzetan esanda, azken 30 urteetan merkataritzaren eta inbertsioen nazioarteko eskubideak gailentzen zaizkio klima larrialdiari. Dahanek “errealitate-zisma” izendatzen du egoera hori: alde batetik, NBEren gobernatze indargabea klimari dagokionez –kontrolatzeko, helburuak igotzeko edo egiaztatzeko mekanismo guziak geldirik daude –, bertzaldetik, eta gobernatze horretatik kanpo, nazioarteko marko juridikoa moldatzeko gai den estatu eta enpresa handien lehia ekonomikoa. Arrakala horren ondorioak ditugu klimari buruzko negoziaketen mantsotzea eta klima aldaketaren larritzea.
Europaren kontraesanak
Europak atzerapen handia du energia trantsizioa martxan jartzeko neurrietan, eta horren ondorioz zaigu aurtengo otsailean gordinki agertu Errusiako erregai fosilen menpekotasuna. Europako estatuak presaka ibili dira ikatz zentralak berriz irekitzen edota gasa garraiatzeko portu azpiegiturak eta interkonexioak eraikitzen, bitartean bertze hornitzaileekiko (Aljeria, AEB, Azerbaijan…) kontratuak izenpetuz. Egoera honetan, Europak sinesgarritasun guti duela deitoratzen du Combesek, adibidez, Afrikako estatuei aholkatzen dienean gasa ustiatzeko azpiegituretan ez inbertitzea. Europan erregai fosilen menpekotasunaren ordez energia-neurritasuneko politika ausarta bultzatu nahiezak denbora asko galarazten digu klima aldaketaren aurkako borrokan. Dahanen iritziz, Europak nazioarteko klima-aitzindari izateko asmoa bateragarri egin behar du planetaren mugak kontuan hartuko dituen ekonomia berri baten ikusmoldearekin –ezin baitugu gehiago funtzionatu 1990eko hamarkadan ezarritako eredu ekonomikoarekin–. “Errealitate-zisma” gainditzeko, klimari buruzko arau hertsagarriak inposatu behar dira merkataritza hitzarmenetan.
Aterabideak COP-atik kanpo
Globalizazioaren sehaska ideologikoa den AEBn, Joe Bidenek bultzaturiko Inflation Reduction Act legediak industria sektore batzuk sustatuko ditu baldin eta ekoizpenak birtokiratzen badituzte. Hori esplizituki MMEren arauen aurkakoa da eta duela guti arte irudikaezina zitekeen. Bertze adibide esanguratsu bat dugu azken asteotan Herbehereak, Frantziak, Alemaniak, Espainiak, Esloveniak eta Poloniak Energia Kartaren Hitzarmenetik irtetzeko adierazitako asmoa. 1998tik atzerriko inbertsioak babesteko xedea du kartak, konkretuki klimaren aldeko politikak oztopatuz. Bi adibide esanguratsu: Herbehereak eta Italia auzipetuak izan ziren, bata ikatz zentralak itxi nahi zituelako eta bertzea ur sakoneko petrolio-prospekzioa debekatu nahi zuelako. Gaur egun, lehen aldiz, Energia Kartaren Hitzarmenetik irtetze horiek aitortzen digute globalizazioaren alde sorturiko arautegi bat bateraezina dela klimaren babesarekin. Bi ondorio dakarzkien aurrekari garrantzitsua dugu: erregai fosiletatik irtetea ez da COPetan erabakiko; eta mundu mailako trantsizio energetikoa bultzatu nahi izanez gero, nazioarteko arautegi ekonomiko eta politikoa sakonki aldatu behar da. Horretarako, tokiko ekimenak funtsezkoak izanen dira Dahanen iritziz: estatu, eskualde eta udalerri bakoitzak eraldaketa ekologikorako politikak martxan jarri behar ditu, indar harreman ekonomikoen oreka globalean eragin ahal izateko.