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Articles du Vendredi : Sélection du 8 mars 2019


Le « paysan-chercheur » Félix Noblia invente l’agriculture sans pesticides et sans labour
Chloé Rebillard (Reporterre)
https://reporterre.net/Le-paysan-chercheur-Felix-Noblia-invente-l-agriculture-sans-pesticides-et-sans

Après avoir repris la ferme de son oncle, Félix Noblia a bouleversé la manière de travailler les sols. Il lance des expérimentations en agroécologie en souhaitant semer les graines d’un renouveau du monde paysan.

Trois rues longées de maisons blanches composent le petit village basque de Bergouey avec, en contrebas, la partie Viellenave qui se love contre la rivière. Tout autour, des collines vertes sur lesquelles se succèdent des cultures, des pâturages et des forêts. C’est dans ce décor que Félix Noblia a déboulé au début des années 2010. Lui, l’enfant de la côte, qui a grandi entre Bidart et Biarritz, aimant le surf et la guitare et dont les parents ne sont pas agriculteurs, a décidé de reprendre la ferme de son oncle sans réelles connaissances en agriculture. Il est pourtant vite devenu un « paysan-chercheur » et a fait de son exploitation un lieu d’expérimentation pour les techniques d’agroécologie.

Au bord d’un de ses champs, d’un coup de bêche, le jeune homme sort une motte de terre : « Regardez, le réseau racinaire et la faune qui s’y développe, la biologie travaille pour nous ! » En surface de la motte, un paillage en décomposition nourrit le sol. Ce paillage est la recette du fonctionnement de sa ferme, car Félix Noblia pratique le semis direct sous couvert végétal en agriculture biologique.

En agriculture conventionnelle, le semis direct — c’est-à-dire que le sol n’est pas travaillé au préalable — est répandu, les mauvaises herbes étant détruites par du glyphosate. En agriculture biologique, le travail de la terre par le labour pour arracher les plantes indésirables est souvent présenté comme inévitable. Or, les deux systèmes ont leurs inconvénients. En conventionnelle, l’usage des pesticides a des effets nocifs sur la biodiversité et la santé humaine. En biologique, l’érosion et l’épuisement des sols menace la durabilité de l’agriculture. Pour Félix Noblia, le dilemme se résume ainsi : « En utilisant des pesticides, on tue des humains ; en travaillant le sol, on tue l’humanité. » Il a refusé de choisir entre les deux et a converti sa ferme en agriculture biologique tout en pratiquant le semis direct.

Il s’est inspiré d’agriculteurs étasuniens qui ont développé le semis direct sous couvert végétal. Le principe consiste à semer des plantes qu’il passe ensuite au rouleau cranté quand elles ont atteint leur taille optimale. Elles forment alors un paillage recouvrant le sol, qui se décompose pour former de l’humus. Puis, il sème les espèces qu’il cultive : du maïs, de l’orge, du soja, du colza, etc. Sur ses 150 hectares de terres, il a eu l’occasion de tester de nombreuses combinaisons d’espèces et, grâce aux réussites et aux échecs, d’observer les rendements les meilleurs : ainsi, il a pu constater que le pois fourrager constitue le meilleur couvert végétal pour du maïs. Mais, la nouveauté par rapport à ses prédécesseurs aux États-Unis, c’est sa conversion en agriculture biologique. Félix Noblia parvient à se passer de produits phytosanitaires en jouant sur les temporalités : le paillage étouffe les mauvaises herbes jusqu’à ce que la taille des plantes issues de ses semis soit suffisante pour concurrencer toute autre pousse.

Selon Félix Noblia, les avantages de cette technique sont innombrables. Elle lui permet notamment de stocker du carbone dans ses sols grâce aux plantes en décomposition. « Si tous les agriculteurs se mettaient à cette technique, nous pourrions stocker tout le carbone émis par les énergies fossiles et stopper le réchauffement », explique-t-il.

« Si tous les agriculteurs se mettaient à cette technique, nous pourrions stocker tout le carbone émis par les énergies fossiles et stopper le réchauffement »

Des scientifiques ont calculé que, pour stocker l’ensemble du carbone émis par les activités humaines, il faudrait que le sol absorbe 0,4 % de carbone supplémentaire chaque année. L’initiative « 4 pour mille » lancée au moment de la COP21 reprend ce calcul. Or, les paysans qui utilisent cette technique depuis deux décennies ont vu la croissance du stock de carbone augmenter de 2,5 %. Pour Félix Noblia, « ça veut dire que, aujourd’hui, on sait comment faire pour arrêter le réchauffement, mais on constate que les coopératives et les institutions traînent des pieds, et c’est un euphémisme ! ».

Les sols en bonne santé évitent également les inondations et contribuent à filtrer l’eau et donc à la dépolluer. Lors du débordement d’une rivière sur une de ses parcelles, Félix a pu constater que la théorie fonctionnait et annonce, non sans fierté : « Je n’ai pas perdu un kilo de terre dans mon champ. » Lui voudrait que les paysans soient rémunérés aussi pour ces services rendus à la société. « La dépollution de l’eau aujourd’hui, c’est cinq fois le budget de la PAC », dit-il.

L’agriculteur est également éleveur. Il a un troupeau d’environ 60 vaches, de races angus et blonde d’Aquitaine.

Dans ce domaine aussi, Félix Noblia a changé le mode d’élevage : elles sont en pâturage tournant dynamique, c’est-à-dire qu’elles ne restent pas plus de 48 heures sur la même parcelle afin de redynamiser les herbes. Cette technique, très utilisée en agroécologie, a pour objectif de se rapprocher le plus possible des comportements des animaux en savane. Les pâturages étant moins sollicités et étant fertilisés par les déjections des animaux, ils repoussent mieux et avec des apports alimentaires plus importants.

« De l’alimentation tu feras ta première médecine », disait Hippocrate

L’autre avantage de cette technique avancé par l’agriculteur concerne l’alimentation humaine. Dans sa vie précédente, Félix Noblia a fait une première année de médecine : « Je me suis aperçu que le nombre de cancers explosait et que l’âge auquel ils se déclenchaient avait été avancé de vingt ans ! Or, comme l’a dit Hippocrate, “de l’alimentation tu feras ta première médecine”. Actuellement, les aliments que nous mangeons ont beaucoup perdu en richesse car les sols sont pauvres en azote, en phosphore et surtout en oligo-éléments à cause des techniques d’agriculture moderne. Le taux d’oméga 3 dans le cerveau humain a baissé de 20 %. » En pratiquant une agriculture de conservation des sols, il espère changer la donne.

Outre ses innovations déjà en place, l’agriculteur hyperactif continue d’expérimenter pour inventer de nouvelles façons de construire avec la nature. Il vient d’installer des panneaux solaires sur l’étable dans laquelle ses vaches passent les mois d’hiver, de décembre à février. Cela lui permet d’être autonome en énergie et de revendre le surplus de production à Enedis. Il envisage également de se lancer dans le maraîchage en construisant des terrasses et en utilisant la pente pour irriguer les plantations. Il souhaite aussi innover en agroforesterie et planter des mûriers blancs qui serviraient également de pâturage pour son troupeau. Selon sa propre estimation, environ 8 % de ses terres sont aujourd’hui utilisées pour des expérimentations : « Cela fait un trou dans ma trésorerie, mais on n’a plus le temps d’attendre », estime-t-il.

Toutes ces expériences sont chronophages et Félix Noblia passe du temps sur les routes et en conférences pour expliquer ses manières de faire. Assis au soleil à l’arrière de sa maison où deux ruches sont déjà actives en ce mois de février à cause d’un temps particulièrement clément, le jeune homme admet une certaine fatigue : « Dans une autre vie, je faisais du ski, j’allais à des concerts. Aujourd’hui, je n’ai plus le temps de faire la fête. » Il a trouvé un sens dans cette nouvelle vie consacrée au travail pour la santé des sols et le renouveau de l’agriculture. Alors que sa compagne est enceinte de leur deuxième enfant, il confie se battre également pour eux. Il a lu les essais de collapsologie et est persuadé que, « si on ne fait rien, en 2100, il n’y aura plus qu’un milliard d’êtres humains sur terre ». Pour éviter d’en arriver là, Félix Noblia a bien l’intention de continuer à innover et à convaincre. Autour de lui, des voisins se sont déjà mis au couvert végétal et il échange avec des agriculteurs de divers pays sur les techniques d’agroécologie. Les graines d’espoir qu’il a contribué à semer commencent doucement à germer.

4e leçon des jeunes au gouvernement : la lutte pour l’écologie sera féministe ou ne sera pas
Les Camille de la grève de la jeunesse pour le climat
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Le mouvement des jeunes pour le climat s’installe en France. Une partie de ces jeunes lancent au gouvernement, dans cette tribune, un quatrième « ultimatum punitif » : considérer les thèmes chers à l’écoféminisme ou une large participation à la manifestation du vendredi 8 mars.

Ce texte a été écrit par les Camille du groupe « revendications » constitué à la suite de l’assemblée générale (AG) interfac rassemblée vendredi 8 février 2019 et comportant des étudiant.e.s et lycéen.ne.s de divers établissements de la région parisienne. Cette AG a été organisée par plusieurs associations étudiantes parisiennes écologistes en vue de lancer le mouvement de grève pour l’environnement de la jeunesse reconduite chaque vendredi à partir du 15 février.

Le 12 février 2019, Reporterre publiait leur manifeste pour le climat et leur premier ultimatum : déclarer l’état d’urgence écologique et sociale afin de débloquer un plan interministériel à la hauteur des risques encourus. Leur deuxième ultimatum, concernait l’énergie et le troisième, l’alimentation.

Pour ce vendredi 8 mars, journée des droits des femmes, nous avons décidé de mettre en lumière le lien étroit entre féminisme et écologie. En effet, l’oppression des femmes et la destruction de la nature sont deux processus qui trouvent leur origine dans les mêmes structures de domination, celle de nos sociétés patriarcales et capitalistes. Tandis que dominer la nature correspond à l’apanage d’une virilité toxique que l’on nous conditionne à valoriser depuis notre enfance, préserver la nature, attitude associée à une fragilité et une sensibilité féminine, est tourné en ridicule.

Le capitalisme fondé sur la compétition est à la fois désastreux pour les femmes et pour l’environnement. Cette compétition qui induit la classification et la hiérarchisation des individus, dont les femmes sont les premières victimes, entraîne les désastres écologiques et la logique de destruction des espaces naturels. De plus, la crise écologique accroît les inégalités hommes/femmes : les premières victimes des catastrophes naturelles liées au dérèglement climatique sont des femmes.

Tout combat féministe est donc par essence un combat écologique, et inversement.

L’écoféminisme opère la synthèse à travers l’idée d’une double exploitation : celle de la nature par l’homme et celle de la femme par l’homme. On observe deux foyers principaux dans lesquels la lutte écoféministe a émergé : en Inde, autour de la question de l’agriculture, et aux États-Unis, autour de la lutte antinucléaire. Ces deux problématiques recoupent les thèmes de nos deux précédentes leçons au gouvernement, publiées dans Reporterre [1].

Mettre en place un véritable programme éducatif féministe

Pour cette semaine, l’État devra donc travailler les thèmes chers à l’écoféminisme.

Premièrement, nous sommes convaincu.e.s comme les écoféministes que nous ne sauverons pas la planète en laissant la technologie s’immiscer dans notre rapport à la nature et au vivant : contre la folie technicienne, les promesses de la géoingénierie et la promotion de solutions numériques miracles qui prétendent nous sauver de la catastrophe en cours, nous exigeons l’abandon de ces remèdes technologiques qui ne visent qu’à maintenir le statu quo et qui menacent l’intégrité de la planète. Tout cela va à l’encontre de l’idée de prendre soin de la Terre ainsi que des êtres vivants [2].

Deuxièmement, nous exigeons que soit posée l’interdiction de toute publicité sexiste faisant du corps féminin un objet de consommation et une promesse de vente. L’inaction létale et lamentable de l’État à laquelle il nous a habitué.e.s depuis le début de nos revendications risquant fort de n’aboutir à aucune prise de décision, nous appelons donc chacun.e à recourir de manière systématique et routinière à des actions antipubs, à détourner de manière créative, drôle et ingénieuse les publicités, à montrer que nous ne sommes pas dupes et que nous ne tombons pas dans le piège de l’appel à la surconsommation.

Au même titre qu’il faut plus d’écologie dans les programmes scolaires, nous appelons le gouvernement à mettre en place un véritable programme éducatif féministe. Ce programme se devra d’être intersectionnel [3], afin de se faire la narration de la pluralité des luttes féministes. Des femmes brillantes ont marqué les sciences, les arts et l’histoire et sont trop souvent oubliées dans les manuels scolaires. Un programme d’éducation spécifique doit être mis en place pour prévenir les comportements sexistes et ancrer l’égalité femmes/hommes dans la culture des générations futures.

Le système prônant la domination de la nature est le même que celui prônant la domination des femmes

Enfin, nous exigeons plus que tout l’arrêt immédiat du financement public de l’armement (dont la production et la vente d’armes) et particulièrement l’abolition des armes nucléaires. Leur présence dans le monde représente le plus haut degré de dangerosité, ces armes détenant un potentiel d’annihilation de l’humanité et de la planète. La France consacre chaque année plus de 3,6 milliards d’euros à l’entretien de ses bombes atomiques, alors même que de nombreux pays et l’ONU demandent l’arrêt de la prolifération nucléaire et l’interdiction de ces armes. De manière générale, la culture militariste et les outils dont elle dispose sont au service d’un système de domination et d’exploitation exercé par une poignée de « puissances mondiales ». Cette culture repose sur des valeurs machistes de violence, de domination et de compétition qui vont à l’encontre de notre interdépendance à la planète Terre et au vivant.

Devant l’urgence écologique et sociale, nous affirmons que le système prônant la domination de la nature est le même que celui prônant la domination des femmes, et que la révolution écologiste sera féministe ou ne sera pas.

Si le gouvernement persiste dans son manque de volonté et maintient ses notes aussi proches de 0, un conseil de discipline sera organisé pour envisager une réorientation. Face à la catastrophe, cet enseignement est celui de notre futur, l’échec n’est donc pas une option. Nous saurons vous le rappeler incessamment.

Nous donnons rendez-vous à tou.te.s les grévistes, ce vendredi 8 mars à 14 heures pour le quatrième rendu des copies. Nous invitons ensuite toute la jeunesse à converger vers le rassemblement pour les droits des femmes qui aura lieu à Paris place de la République à partir de 15 h 40.

[1Ici et .

[2] En 2010, plus de 35.000 personnes d’organisations et de mouvements populaires pour la justice climatique réunies à la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre-mère ont déclaré leur opposition à la géo-ingénierie.

[3] L’intersectionnalité (de l’anglais intersectionality) est une notion employée en sociologie et en réflexion politique, qui désigne la situation de personnes subissant simultanément plusieurs formes de stratification, domination ou de discrimination dans une société, selon Wikipedia.

Appel à solidarité : Faisons du 8 mars 2019 une journée de grève des femmes, une journée de solidarité entre les femmes
ATTAC/CADTM Maroc
www.cadtm.org/Appel-a-solidarite-Faisons-du-8-mars-2019-une-journee-de-greve-des-femmes-un

Faisons du 8 mars 2019 une journée de grève des femmes, une journée de solidarité entre les femmes.

En défense de nos revendications économiques, sociales et juridiques.

Pour exprimer notre rejet de toutes formes de violence dans les lieux publics et privés.

Faisons entendre nos voix contre toutes les formes de discrimination et d’oppression.

Unissons-nous, nous femmes du Maroc, privées de nos droits : les femmes aux foyers, les ouvrières, les paysannes, les étudiantes, les chômeuses, les employées du secteur public, que nous soyons dans les villages ou dans les villes.

Si nous nous arrêtons toutes, le monde s’arrêtera.

Nous quitterons notre lieu habituel, le travail et la maison, et remplirons les rues le 8 mars 2019.

Le 8 mars est un jour remarquable dans l’histoire de la lutte des femmes du monde entier pour faire valoir leurs droits et imposer l’égalité. Les femmes continuent leur lutte dans le monde entier sous diverses formes pour mettre fin aux inégalités économiques et sociales et elles résistent quotidiennement contre l’injustice de la culture patriarcale qui prive les femmes de leur dignité et de l’égalité des droits dans tous les domaines de la vie.

En dépit des progrès réalisés par la lutte des femmes, leurs conditions d’exploitation n’ont pas changé radicalement et elles n’ont pas cessé de souffrir d’injustices économiques et sociales dans une économie capitaliste qui recherche le maximum de profits. Le refus de reconnaître le travail des femmes domestiques comme un travail salarial est une caractéristique de cette exploitation, toutes les tâches du travail domestique continuant de consommer la vie et d’épuiser les femmes.

Les conditions de vie des femmes se détériorent de jour en jour à cause de la violence des politiques libérales, qui visent à tout marchandiser, à abolir les lois sur la protection sociale et oblige les femmes à assumer le prix de la privatisation de l’éducation, de la santé et de la destruction des opportunités d’emploi. Le taux de mortalité des femmes enceintes est élevé car elles ne peuvent accéder aux services de santé. Les taux élevés d’analphabétisme chez les femmes indiquent la discrimination dont elles sont victimes depuis des décennies.

C’est cette discrimination qui cible les femmes dans tous les aspects de leur vie qui explique en grande partie leur statut inférieur en matière de travail et de salaires.

Ainsi, la plupart des femmes employées sont dans des secteurs de travail fragiles, aux contrats de travail temporaires. Leur syndicalisation est faible comparée à celle des hommes, ce qui permet à l’employeur de s’en débarrasser plus facilement. L’inégalité dans l’emploi s’étend même aux femmes titulaires de diplômes universitaires, leur taux d’emploi restant faible par rapport aux hommes. Leurs salaires sont en moyenne inférieurs à ceux des hommes dans la plupart des secteurs. Les conséquences de l’introduction de la vulnérabilité dans la fonction publique exacerberont la situation d’exploitation des femmes et augmenteront les inégalités, d’autant plus qu’elle a constitué depuis des décennies des secteurs essentiels de l’emploi des femmes.

Dans les villages, les terres agricoles sont extorquées et rapidement concentrées entre les mains des investisseurs locaux et étrangers. Les femmes rurales restent privées de leur droit à la terre, en raison de la domination persistante de la mentalité patriarcale sur le partage de la terre, l’utilisation de ses revenus et la progression de projets d’investissement sur ces terres. La montée de la lutte de Salaliyat (femmes des terres collectives) est l’une des formes de résistance des femmes contre le vol de leurs pleins droits à la terre et à ses richesses.

La destruction de l’agriculture de subsistance à cause de la prédominance du modèle industriel agricole orienté vers l’exportation affecte négativement les besoins alimentaires des femmes, parce que toute la production est dirigée vers les marchés étrangers et que l’on importe la majeure partie des aliments de base, privant ainsi les femmes de nourriture saine en raison des prix élevés sur les marchés intérieurs. À la suite de politiques de fixation des prix sanctionnés par l’État dans le cadre d’une politique d’ouverture libérale, les maladies associées à la malnutrition chez les femmes vont encore se multiplier.

Les femmes au Maroc, en particulier les femmes pauvres, ne bénéficient pas de la protection de leur dignité et de leur droit à la vie. La violence masculine fait de nombreuses victimes, parfois avec des pertes de vies humaines.

La loi contre la violence à l’égard des femmes ne prévoit pas de mécanismes efficaces pour la protection des femmes et le suivi des auteurs de crimes violents, et ce malgré le fait que les femmes sont victimes de violences sexuelles. Les légers gains réalisés par les lois précédentes n’affectent pas l’essence de la culture patriarcale qui légitime l’infériorité des femmes. La discrimination à l’égard des femmes ne peut en aucun cas être éliminée sans éradiquer la source de l’oppression économique et sociale.

À toutes les femmes du Maroc et aux organisations de lutte syndicales et associatives, et à toute la dynamique de la lutte dans laquelle les femmes existent pour défendre la liberté et la dignité et la justice sociale, la démocratie et l’égalité :

Nous appelons toutes les organisations de lutte marocaines à s’impliquer activement dans le déclenchement d’une grève des femmes le 8 mars sous toutes ses formes possibles et à inclure sa reconnaissance en tant que jour férié dans la liste des revendications syndicales en l’honneur des sacrifices consentis par les femmes travailleuses qui ont sacrifié leur vie pour faire reconnaître les droits des femmes.
Manifestons-nous, femmes du Maroc, comme les femmes du monde, le 8 mars 2019 pour repousser toutes les violations par l’État des droits sociaux et économiques du peuple marocain et pour condamner toutes les formes de violence à l’égard des femmes.

Mobilisons-nous toutes le 8 mars, où que nous soyons. Nous sommes des femmes impliquées dans la lutte de notre peuple pour la défense de la liberté et contre l’oppression et la détention.

En ce jour, marchons, femmes solidaires, pour mettre fin à la destruction de notre planète, et l’empoisonnement de notre environnement et dénoncer les guerres, le racisme et le déplacement forcé de femmes.

Nous, femmes dans notre lutte et notre solidarité, sommes capables de créer une autre vie basée sur le respect de la nature, la liberté, la paix et la coexistence

Feminismoa ezin da ez zuritu, ez erosi
Jule Goikoetxea – EHUko irakaslea
www.berria.eus/paperekoa/1876/022/001/2019-03-05/feminismoa_ezin_da_ez_zuritu_ez_erosi.htm

Iberdrolak, espainiar erreginarekin batera, Martxoaren 8a ospatzeko gonbita egin digu. Iberdrola da gure lurraldeetako sistema neoliberalaren pribatizazio patriarkala aurrera daramaten eragileetako bat; prekarizazioa, muturreko merkantilizazioa eta finantzarizazioa ditu xede; Latinoamerikan emakumeak desagerrarazi eta miseriara zigortzen dituzten desjabetzen aldekoa da eta, bere langileak esplotatzeaz gain, prekarizatuak nahiz pentsionista emakumeak pobrezia energetikora kondenatzen ditu, tartean, emakumeen pentsioak gizonenak baino %43 txikiagoak direlako, hain zuzen ere, gure herriko enpresa askotan bezalaxe, emakumeak subkontratatzen dituztelako, eta goi-karguak, berriz, gizonez bete. Ondorioz, nahiz eta emakumeek gizonek baino lan karga handiagoa izan (urtean 400 ordu gehiago), haiek baino kapital ekonomiko gutxiago dugu. Horregatik, 65 urtetik gorako DSBEaren (RGI) hartzaileen %76,6 emakumeak dira; besteak beste, emakume horiek guztiek egin izan (eta egiten) duten lanak, gizonenarekin alderatuta, kapital ekonomiko murritza sortzen duelako edo batere ez, tartean, zaintza-lanak oro har ez direlako ordaintzen (%86), nahiz eta zaintzaren beharra geroz eta handiagoa izan (demografia gogoan). Hain justu horregatik:

Gure agintari neoliberalek, diru publikoa emakumeen lan ez ordaindura bideratu ordez, edo ordaindu gabeko lana publifikatu ordez, langile oro prekarizatzea eta erakundeekin batera lan oro pribatizatzea erabaki dute, ez bakarrik osasungintza, erresidentziak, haurtzaindegiak, eguneko zaintza-zentroak eta zerbitzu publikoak; alegia, ez dituzte bakarrik jantokiak eta erresidentziak pribatizatu emakumeen lan ez ordaindua eta lan-karga handituz, hezkuntza ere pribatizatzen ari dira oso helburu zehatzarekin: geroz eta kapital gehiago geroz eta esku gutxiagotan metatzea. Adibidetzat, Euskal Herriko Unibertsitatea: gure diru publikoa karrera eta master pribatuak sortzeko erabiltzen hasi da, (hedabide pribatuen eta hainbat enpresaren jabe diren) korporazioei diru publikoa emanez haien interes finantzario eta merkantilistetara egokitutako curriculum eta masterren bidez menderakuntza neoliberal eta patriarkala finduko dituzten ikasleak prestatzeko eta baliabiderik ez duten ikasleak sistematik kanporatzeko.

Horregatik, enpresen interesen arabera gobernatzen dutenek eta emakumeak* pobretzen dituzten politika publiko patriarkal horien guztien arduradunek deia zabaldu dute Martxoaren 8an etenaldia egiteko. Emakume* gazteen emantzipazioa eta pentsionistentzako zahartzaro duina ezinezkoa egiten duten horiek feminismoaren alde agertu dira.

Etxebizitzak munizipalizatu nahi ez dituzten horiek, lurra eta lurzorua merkantilizatuz eta pribatizatuz populazioari bizitzeko toki duin bat (beroa, garbia, osasuntsua) izateko eskubidearen kontra mobilizatzen diren horiek, hau da, lobbyak eta haien alderdiak feminismoarekin lerrotzen saiatu dira.

Hau da, administrazio publikoan ordainsari handienak gizonei ematea erabakitzen dutenek, osasungintza publikoan kontziliazio neurri eraginkorrik garatu ez dutenek, eta irakaskuntza publikoan emakumeen behin-behinekotasuna muturrera eramatea erabakitzen dutenek haiei soldatarik txikienak egokituz (heziketa berezia, sukaldea eta garbitasuna, haur-eskolak…), feministok haien kontra egingo dugun grebara batu nahi omen dute.

Enplegu partziala egotea eta bertan hamarretik zortzi emakumeak izatea ahalbidetzen dutenak, eta muturreko segregazioa eta prekarizazioa pairatzen duten zaintza eta etxeko langileen eskubideak eta ongi bizitzeko baldintza materialak ezeztatzen dituztenak, Martxoaren 8ko grebaren alde agertu dira.

Irain eta umiliazio horren aurrean, Euskal Herriko Mugimendu Feministak era anitzean eta irmoan erantzun du, anitzak bezain irmoak baitira greba antolatu eta parte hartuko dutenak: etxeko langileen elkarteak; pentsionista antolatuak, eta antolatugabeak; tren eta autobuseko langileak; hoteletako, erakunde publiko eta enpresa pribatuetako garbitzaileak; erresidentzietako, jantokietako eta derrigorrezko hezkuntzako langileak; sexu-langileak, irakasleak eta batxilergoko ikasleak; migratuak, errefuxiatuak eta exiliatuak; ijito feminista euskaldun gazteak, ez euskaldun ez gazte direnak, amak, amonak, ipurdiak egunero garbitu behar dituztenak, ikasketarik ez dutenak eta goi-mailako ikasketak dituzten unibertsitarioak, Euskaldunako emakumeak, paper fabriketako langileak, gorputz sexualizatu eta arrazializatuak, heteronormatibitateari alergia diotenak, gaindosi normatiboari eusteagatik antsietateak edo depresioak jota daudenak, emakume transak, bollerak, presoak, zutik, lau hankan edo gurpil-aulkian bizitzeko ez baimenik ez barkamenik eskatzen ez dutenak, meatzaritzan urteetan aritu eta sekula langile kontsideratuak izan ez direnak (gora Meatzaldea eta Ezkerraldeako feministak), sindikalizatuak, bertsolariak, kazetariak eta makinetako muntatzeetan doikuntzak egiten dituzten azpikontratatuak, haurrak egunero eskolatik jaso eta jaten ematen dietenak, lan ordaindura joan aurretik komuna garbitu eta arropa zintzilikatzen dutenak, gauero titia ematera altxatzen direnak, emakume izateagatik tratu txarrak jasaten dituztenak, umeak portaleko eskailerara lotu behar dituztenak erosketak bosgarren pisura igotzeko, zaintzailerik ez duten emakume* edadetuak, apenas ezer egiteko edaderik ez dutenak, eta bizitza osoa ezkonduak igaro eta gero, senarra hiltzean, askatasuna ezagutu dutenak.

Etsaiak eta arerioak nortzuk diren argi duen mugimendua gara. Horrenbeste aldiz lapurtu eta zuritu digute gorputza, ezen gure diskurtsoa zuriezina eta lapurtezina den.

Feminismoa ezin da erosi emantzipazioa ez dagoelako salgai.

Euskal Herriko Mugimendu eta Greba Feminista ezin dira zuritu. Zikinak garelako.

Politizatuak gaudelako.

Gure kontrako gerra izendatzen aspaldi ikasi genuelako.

George Monbiot : « On ne sauvera pas la planète en achetant des baskets écologiques »
Entretien avec George Monbiot
https://reporterre.net/George-Monbiot-On-ne-sauvera-pas-la-planete-en-achetant-des-baskets-ecologiques

La dégradation des conditions de vie sur Terre est rapide et inquiétante mais George Monbiot, dans cet entretien, refuse de céder au fatalisme. Selon lui, la reprise en main de notre destin passe par l’implication politique des citoyens, notamment à l’échelle locale, où s’écrivent les histoires du changement.

Le journaliste George Monbiot, 45 ans, est une personnalité phare du militantisme écologiste en Grande-Bretagne. Il tient depuis plusieurs années une chronique hebdomadaire dans le grand quotidien progressiste The Guardian.

Changer sa façon de consommer peut-il changer le monde ?

George Monbiot — Il faut se sortir de la tête l’idée qu’on sauvera la planète en achetant des baskets en coton biologique. C’est tout simplement faux. On nous bassine avec cette idée selon laquelle on peut voter avec son porte-monnaie. Mais c’est une illusion de croire que votre ticket de caisse peut être un moteur du changement décisif. Aussi bien intentionnée soit la consommation éthique, celle-ci ne sera jamais la recette pour une transformation en profondeur. Voilà pourquoi on a besoin du groupe. Je sais que certaines personnes sont frileuses par rapport à l’idée de communauté. Dans les milieux progressistes de gauche, en particulier, on réagit en général de façon assez réservée à l’idée que la géographie soit à l’origine d’un sentiment d’appartenance, parce que cette idée charrie un parfum de chauvinisme et d’exclusion. Mais ce n’est pas une fatalité. On peut très bien concevoir une communauté large, conviviale, à la fois cosmopolite et généreuse. Se sentir de quelque part est tellement essentiel pour la vie des gens, pour leur santé physique et mentale… C’est selon moi le socle de toute action politique pleine de sens. Parce que la plupart des citoyens auront confiance dans des acteurs politiques qui sont proches d’eux, qui partagent leurs soucis et leurs indignations.

On voit émerger dans les villes de nombreuses initiatives en matière d’alimentation, d’énergie, de mobilité. Comment faire en sorte que ces initiatives locales ne servent pas d’excuse pour masquer les lacunes de la gestion publique ?

Cette résistance à petite échelle, ce fourmillement d’alternatives locales, c’est un point de départ très important, le socle de base d’une culture de participation, cela entretient la vitalité des communautés. Mais cela ne suffit pas, loin de là. Pour faire la différence, il faut traduire ces initiatives en une réelle politique de participation. Un cas d’école est celui de la capitale islandaise, Reykjavik. Là-bas, la ville est réellement administrée par les citoyens. Ils peuvent introduire des propositions, ou voter pour les idées émises par d’autres habitants ; le conseil communal est obligé d’examiner ces idées et ces propositions. Dès lors, le pouvoir municipal est un pouvoir partagé. On pourrait penser que les mandataires politiques y voient une atteinte à leurs prérogatives, mais beaucoup vivent ce processus comme une libération. Enfin, ce ne sont plus toujours eux qui doivent, seuls, amener les idées et prendre les décisions !

Partager le pouvoir signifie en effet partager la responsabilité, et partager les reproches si le résultat n’est pas à la hauteur des attentes. Si un projet tourne à l’échec, on peut dire : les habitants le voulaient, ça a foiré, mais nous avons essayé ensemble. Cette façon de procéder réduit le fossé entre le citoyen et la politique, et elle accroît la légitimité des mandataires politiques locaux.

Cela implique-t-il de permettre aussi aux citoyens de participer à la gestion du budget municipal ?

Oui, les budgets citoyens — ou budgets participatifs — sont incontournables. On ne peut véritablement parler de participation que si les citoyens ont la possibilité d’exercer un contrôle direct sur l’utilisation de l’argent public. C’est l’exemple classique de la ville de Porto Alegre, au Brésil, où les habitants participent aux budgets sur l’infrastructure et le transport public. Grâce à ça, les habitants acquièrent une tout autre perception du mécanisme et de l’utilité des impôts. Ils découvrent à quoi sert l’argent public, ils réalisent que beaucoup plus de choses sont possibles quand l’argent est regroupé dans un budget municipal plutôt qu’investi de manière individuelle.

Après la première année d’expérimentation, les citoyens de Porto Alegre ont décidé ce que tout leader politique traditionnel considérerait comme un suicide politique : ils ont proposé une augmentation des impôts ! Je pense que si les citoyens de tous les pays pouvaient eux-mêmes décider de la destination de leurs impôts au niveau local et même national, le visage de la politique serait partout modifié en profondeur.

Votre raisonnement suppose que le pouvoir de décision se trouve encore au niveau politique. Mais n’assiste-t-on pas aujourd’hui à une concentration des pouvoirs entre les mains d’acteurs financiers et économiques, que vous appelez l’« oligarchie économique mondiale » ?

C’est une question cruciale. Comment allons-nous faire en sorte que la majorité des citoyens obtienne un réel pouvoir économique ? Comment détrôner l’oligarchie ? Prenez le problème de la propriété foncière. En Grande-Bretagne et dans de nombreux autres pays d’Europe, une toute petite portion de la population possède de grandes étendues du territoire. À l’inverse, une grande part de la population consacre une part invraisemblable de ses revenus à la location d’un logement ou au remboursement d’un emprunt. Si l’inégalité de revenus est grave, je suis convaincu que l’inégalité immobilière est au moins aussi grave.

Il me semble indispensable d’introduire une taxe sur les plus-values pour les propriétés immobilières dont la valeur est supérieure à un million de livres sterling (1,12 million d’euros). Ce serait une forme de redistribution tout à fait justifiable. La question suivante est : que faire avec cet argent ? On pourrait l’utiliser pour améliorer toutes sortes de services collectifs, mais une partie du produit pourrait être reversée à des comités de quartier à travers le pays, à condition qu’ils mettent en place un fonds d’investissement foncier, une fiduciaire communautaire par l’entremise de laquelle les citoyens pourraient obtenir un droit de préemption sur les terrains disponibles.

Cela a été régulièrement démontré : les meilleurs projets d’habitation sont développés par les habitants mêmes. D’une part, les aménagements urbains sont mieux conçus — on ne pense pas seulement aux voitures mais aussi aux enfants qui jouent. D’autre part, et c’est encore plus important, les personnes qui se mettent autour de la table pour imaginer les nouveaux plans du quartier forment par là même une communauté dynamique. Elles apprennent à discuter ensemble, à argumenter, à se disputer et, espérons-le, à faire la fête. C’est une super recette contre la solitude, cette autre malédiction de notre société.

Mais comment transposer ce processus de « relocalisation politique », comme vous l’appelez, au niveau national et mondial ?

Là réside le véritable enjeu, et la grande difficulté. Plus l’échelle est grande, plus la démocratie devient diffuse et plus grande est aussi la sensation d’éloignement par rapport au processus de décision. Des institutions mondiales ne seront jamais parfaites.

Toutefois, je suis convaincu que nous pouvons améliorer la manière dont fonctionnent aujourd’hui le Conseil de sécurité de l’ONU, le Fonds monétaire international, la Banque mondiale, les différentes zones de libre-échange, ou encore la Banque centrale européenne.

Quand on réfléchit à la façon de donner un effet national à une multitude d’initiatives locales, il y a beaucoup à apprendre ce que Bernie Sanders, figure de proue de l’aile gauche du Parti démocrate aux États-Unis, appelle le « big organizing ». C’est une méthode qui ne dépend pas des pouvoirs financiers et qui considère en outre la volonté humaine comme centrale dans le processus de changement. Becky Bond et Zack Exley, les consultants qui ont conçu la campagne de Bernie Sanders aux primaires démocrates de 2016, racontent dans le livre qu’ils ont écrit sur cette expérience comment, avec peu d’argent mais avec beaucoup d’enthousiasme et de bénévoles, ils ont fait naitre un mouvement à l’échelle nationale, qui continue encore de grandir. Il n’y a rien de plus puissant que le bouche-à-oreille. Parce que c’est personnel, parce que c’est l’antidote à cette sensation d’éloignement et d’indifférence qui nous encercle.

Vous qui écrivez depuis trente ans sur le réchauffement climatique, vous devez constater avec des yeux horrifiés à quel point le climat change bien plus vite que ne le font les attitudes politiques. Et pourtant vous semblez optimiste.

Je connais la vitesse à laquelle nous détruisons nos écosystèmes, mais s’en lamenter continuellement n’aide pas à mobiliser les citoyens, au contraire. Je répète depuis trente ans déjà que nous n’avons plus le temps de tergiverser, qu’il est urgent d’agir. Cela ne se passe pas, car nous nous heurtons toujours à des personnes dont les intérêts économiques sont inextricablement liés aux énergies fossiles. Ces personnes-là préfèrent un monde en ruines plutôt qu’un changement de trajectoire. Voilà pourquoi nous n’arriverons à rien tant que nous ne changerons pas de modèle. Le système doit être changé radicalement, et ce n’est possible que par la voie politique. Se concentrer exclusivement sur la question climatique, ça ne mène qu’à des mesures à la marge. Si nous voulons protéger efficacement notre environnement naturel, nous devons nous attaquer à la politique et à l’économie. Ce changement commence au niveau local. Et quand je regarde ce qui bouge dans nos quartiers et dans nos villes, quand je vois ce bout de nature qu’on a réussi à préserver en plein cœur d’Oxford, alors je ne peux qu’être plein d’espoir.

Cet espoir est néanmoins conditionné à la possibilité de formuler une nouvelle réponse politique.

Oui. Le changement climatique exige une réponse structurelle, et celle-ci ne peut venir que de la politique. Si vous racontez aux gens qu’ils peuvent voter avec leur portefeuille, qu’ils peuvent exercer une influence en mettant tel produit plutôt que tel autre dans leur caddie au supermarché, vous leur faites miroiter un pouvoir qu’en réalité ils ne détiennent pas. Dans ce monde, les décisions cruciales ne se prennent pas dans un rayon de supermarché, mais bien plus haut, dans les conseils d’administration des firmes de l’agroalimentaire, dans le top management de l’industrie de la confection, ou au sein du pouvoir législatif.

Je ne dis pas que les consommateurs ne peuvent pas essayer d’adapter leur comportement d’achat, mais la véritable réponse ne pourra venir que des autorités publiques. Par exemple, on pourrait dorénavant sanctionner les processus de production polluants, et à l’inverse, récompenser les initiatives sociales et écologiques. Cela équivaudrait à taxer la pollution et à subventionner ce qui a un effet positif sur l’environnement.

Nous vivons dans un monde où les publicitaires ont acquis une connaissance si fine de la psychologie humaine qu’ils savent parfaitement comment nous faire craquer. En laboratoire, on parvient à trafiquer de façon si sophistiquée les aliments que nous sommes devenus esclaves au sel et au sucre ajoutés, aux graisses et à tout ce qui nous pousse à consommer toujours plus. Et malgré tout ce contexte, quand vous devenez trop gros, c’est de votre faute ? Cela ne va pas. Comment s’y opposer ? Simplement en vous unissant et en faisant à nouveau de la politique.

Votre discours n’est-il pas démobilisateur ? Des gens s’efforcent de modifier leur comportement, en empruntant davantage le vélo ou en mangeant moins de viande, et voilà qu’ils s’entendent dire : c’est sympa que vous fassiez ça, mais ça ne changera pas grand-chose.

Je peux comprendre que, vu sous cet angle, mon discours en déçoive certains. C’est pourquoi il est à mes yeux crucial que tout message de changement politique raconte aussi une histoire remplie d’espoir — pas de faux espoirs, mais d’un espoir réaliste. Nous devons à présent échafauder un plan crédible qui indique comment nous pouvons changer notre relation à la société, à la politique, à l’économie et à la nature.

C’est très facile de devenir cynique et de décrire la politique comme dénuée de sens. Parfois, c’est même mieux pour votre santé mentale. Mais ça ne mène nulle part. Le cynisme n’est pas une recette pour le changement, mais pour le maintien de l’ordre établi. Si nous tournons le dos à la démocratie que nous avons construite — et qui est loin d’être parfaite — alors les fascistes l’emporteront. La menace est là, partout en Europe, en Amérique latine, en Asie et aux États-Unis.