Mardi 20 août, l’humanité entre en période de « dette écologique »
Thomas Diego Badia
www.lemonde.fr/planete/article/2013/08/20/mardi-20-aout-l-humanite-entre-en-periode-de-dette-ecologique_3463559_3244.html
Le journaliste Hervé Kempf s’explique sur son départ du Monde
Marine Jobert
www.journaldelenvironnement.net/article/le-journaliste-herve-kempf-s-explique-sur-son-depart-du-monde,36246?xtor=EPR-9
Réchauffement du climat: c’est bien l’homme et c’est encore plus grave
Michel de Pracontal
www.mediapart.fr/journal/international/020913/rechauffement-du-climat-cest-bien-lhomme-et-cest-encore-plus-grave?page_article=2
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Mardi 20 août, l’humanité entre en période de « dette écologique »
Thomas Diego Badia
www.lemonde.fr/planete/article/2013/08/20/mardi-20-aout-l-humanite-entre-en-periode-de-dette-ecologique_3463559_3244.html
Il n’aura fallu à l’humanité qu’un peu moins de huit mois, 232 jours exactement, pour consommer toutes les ressources naturelles que la planète peut produire en un an. Ce mardi 20 août correspond au « Global Overshoot Day » ou « jour du dépassement planétaire » selon l’organisation non gouvernementale Global Footprint Network (GFN), qui calcule chaque année ce « jour triste et solennel ». Principaux responsables de ces dégâts : le rejet massif de CO2 et la surexploitation des milieux naturels.
Depuis 2003, les experts scientifiques de l’ONG canadienne et le think tank anglais New Economics Foundation calculent chaque année cette empreinte écologique visant à « évaluer l’impact des activités humaines sur les écosystèmes de la planète ». Un indicateur créé pour mesurer « l’écart entre ce que la nature peut régénérer et ce qui est requis pour alimenter l’activité humaine ». Calculé en hectare global par habitant (hag/hab), il compare la quantité de ressources naturelles disponibles et la consommation réelle dans chaque pays.
Pour GFN, le premier dépassement est intervenu en 1970. Depuis, la date se fait chaque fois plus précoce, marquant une accélération importante du processus de dégradation de notre planète. En 1980, l‘ »Overshoot Day » était tombé un 8 novembre, en 2000, un 8 octobre et en 2009, un 7 septembre. « Et il est à craindre que la date va encore avancer au fil des années » ajoute-t-on chez WWF, partenaire de Global Footprint Network.
LE MONDE NE SUFFIT PAS
Les prévisions de l’ONG canadienne ne sont pas engageantes. Il faudrait aujourd’hui « plus de 1,5 Terre pour répondre aux besoins d’une population humaine toujours croissante. A ce rythme, nous aurons besoin de 2 planètes bien avant la moitié de ce siècle ». Un constat que partage WWF : « Notre empreinte écologique va encore augmenter surtout que d’après les prévisions des Nations unies, la population mondiale atteindra les 9,1 milliards de personnes en 2050. » Plus d’individus sur la planète signifiant une consommation accrue et son corollaire, l’aggravation de la « dette écologique ».
« L’humanité vit au-dessus de ses moyens », tranche le Global Footprint Network. « Le seuil critique a été atteint depuis environ trente ans et la consommation des hommes dépasse désormais ce que la nature est en capacité de lui fournir en termes de recyclage de CO2 libéré et de production de nouvelles matières premières. »
La nature n’est donc plus capable de se régénérer suffisamment vite pour absorber les activités humaines à l’origine de la diminution de la couverture forestière, de la dégradation des réserves d’eau douce ou de l’émission de pollutions. 80 % de la population mondiale vit dans des Etats qui utilisent plus de ressources que ce que leur permettent les écosystèmes de leur territoire national. Parmi ces pays « débiteurs écologiques », le Japon aurait besoin de plus de « 7,1 Japon » pour subvenir aux besoins de ses habitants et le Qatar, 5,7 fois sa superficie. La France consomme, elle, l’équivalent de 1,6 France par année.
« Nous ne pouvons plus continuer à creuser cette dette écologique » prévient l’ONG qui préconise plusieurs solutions : nouvelles technologies, aménagement urbain, réforme fiscale écologique ou encore des régimes alimentaires moins riches en viande. « Sinon, le dépassement des limites écologiques finira par liquider la planète. »
Le journaliste Hervé Kempf s’explique sur son départ du Monde
Marine Jobert
www.journaldelenvironnement.net/article/le-journaliste-herve-kempf-s-explique-sur-son-depart-du-monde,36246?xtor=EPR-9
Après 15 années consacrées à couvrir les questions d’écologie au Monde, Hervé Kempf claque la porte du journal et dénonce la censure dont sa direction aurait fait preuve à son endroit dans le traitement du dossier de Notre-Dame des Landes. L’écologie n’était plus en odeur de sainteté dans le grand quotidien du soir, qui avait supprimé il y a quelques mois la rubrique «Planète» et favorisé les pages consacrées à l’économie. Hervé Kempf explique pour Le Journal de l’environnement les raisons d’un départ qui sonne comme un «soulagement».
JDLE – Le conflit semble s’être cristallisé autour de votre couverture journalistique du projet de construction d’un aéroport à Notre-Dame des Landes (ici et ici). Après un suivi régulier et prolifique du sujet de 2009 à 2011, votre ancienne rédaction en chef se met à vous refuser la possibilité de partir en reportage dans le bocage nantais. Vous auriez été «trop marqué», selon les mots du directeur adjoint de la rédaction, notamment par vos précédents livres. Cette «censure», comme vous l’appelez, est intervenue à partir du moment où la situation s’est tendue sur place, devenant politiquement délicate pour le gouvernement actuel. Y a-t-il eu des pressions de la part des dirigeants politiques actuels ou des propriétaires du Monde pour que votre parole soit étouffée?
Hervé Kempf – Sur le moment, je ne me suis pas préoccupé de savoir s’il y avait des causes cachées ou non à cette interdiction, qui était injustifiée sur le plan professionnel. Mais après, dans les temps très difficiles qui ont suivi, j’ai eu des indices (que je publierai éventuellement, mais qui ne sont en aucun cas des preuves) qu’il avait pu y avoir des pressions ou des signaux envoyés à la direction du Monde, par l’intermédiaire d’un actionnaire, de mettre la pédale douce sur NDDL. Il faut se rappeler que, au moment où la bataille de NDDL commence à la mi-octobre et se poursuit en novembre, le gouvernement de Jean-Marc Ayrault est fragilisé, de façon inattendue, à la fois par NDDL et par l’affaire de la fonderie de Florange. Dans le contexte politique de l’époque, poursuivre des enquêtes fouillées sur NDDL pouvait donc poser un problème à ce gouvernement. Et effectivement, le raidissement de la direction du Monde à mon égard s’est produit après que j’ai publié l’enquête montrant que le préfet de Loire-Atlantique entre juin 2007 et juillet 2009 -Bernard Hagelsteen- avait été plus tard embauché par la société Vinci Autoroutes. Pour moi, le problème n’est pas qu’il y ait eu pression ou pas. Mais s’il y a eu des pressions, un journal indépendant devait y résister, en soutenant le journaliste qui enquêtait. Et s’il n’y a pas eu de pression, il aurait fallu laisser son ou ses journalistes enquêter sur le sujet.
JDLE – Vous écrivez que «c’est autour de cette question centrale [de la crise écologique mondiale] que peut et doit s’orienter la hiérarchie de l’information». Pourquoi, dans l’opinion comme dans les médias, donne-t-on tant de visibilité à des faits divers ou à des gesticulations politiques insignifiantes, plutôt qu’à un phénomène aussi colossal, par exemple, que le changement climatique en cours?
Hervé Kempf – Mettre en avant la gravité de la crise écologique, c’est remettre en cause ce système dominé par les plus riches, qui veulent conserver leurs privilèges et qui, pour ce faire, maintiennent l’idée qu’il faut à tout prix maintenir la production et la croissance économique qui provoquent l’aggravation de la crise écologique. Voilà pourquoi les médias, largement possédés par les capitalistes, n’attachent pas aux questions environnementales l’importance qu’elle mérite.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut parler que d’environnement, mais que la question de l’écologie au sens large devrait avoir beaucoup de place dans l’information. Si ça n’est pas le cas, c’est que ceux qui possèdent les moyens d’information ne le veulent pas.
Ils ne mettent en avant que des journalistes qui sont compatibles avec le dogme et la pensée dominante, c’est-à-dire la pensée des dominants économiques. Pourquoi n’y a-t-il pas, par exemple, d’émission régulière de télévision consacrée à l’écologie? En 1992, je participais à l’émission «Sauve qui peut» -sur Antenne 2 à l’époque- qui faisait un bon audimat. Mais comme on faisait vraiment des enquêtes, comme on gênait les entreprises, l’émission s’est arrêtée.
Les gens, pourtant, sont intéressés par les sujets d’environnement, cela les interpelle et ils s’expriment quand on leur laisse la possibilité de le faire. Le public s’intéresse si on présente ces questions de façon équilibrée, réfléchie, vivante. Je n’arrive pas à croire qu’on a besoin de faire 10 minutes de sport tous les soirs et que les gens ne s’intéresseraient pas au climat, à la santé ou à l’agriculture: c’est un choix rédactionnel de parler de football et des aventures du CAC 40.
JDLE – Vous écrivez: «On ne peut plus feindre qu’il y aurait des journalistes ’engagés‘ et d’autres qui seraient neutres. Derrière la bataille pour l’information se joue celle des priorités, et les choix de priorité renvoient à des visions différentes du monde». Est-ce que couvrir les questions d’écologie implique nécessairement une rupture idéologique avec le modèle économique dominant? Quand on couvre l’écologie, est-on forcément un professionnel «engagé»? Et par rapport à un journaliste qui suit les questions économiques, où se situe le curseur?…
Hervé Kempf – Je me suis toujours battu durement contre ce terme d’«engagé», qui sonne comme une injure dans le milieu du journalisme. Ou alors il faut dire que tous ces chroniqueurs économiques ou politiques qui s’expriment dans tous les grands médias sont des journalistes engagés et militants du capitalisme. Moi, je suis un chroniqueur dégagé… La meilleure réponse à apporter, c’est la qualité du journalisme. En appui de ceux qui sont accusés (par les dominants et par ceux qui acceptent de relayer la pensée dominante et nous font des grandes leçons), je réponds: qui sort des informations intéressantes? Notre boulot, c’est d’enquêter, de vérifier et de porter les débats qu’on ne veut pas voir. Ce n’est pas du militantisme, c’est du travail de journaliste, qui fait bien son boulot et ennuie les pouvoirs.
JDLE – La presse généraliste est à la peine sur le plan financier et en termes d’audience, chahutée par une Toile qui, globalement, hésite à faire payer un lecteur habitué à la gratuité. Et vous, vous vous lancez dans un site gratuit! Quels sont vos projets éditoriaux? Le magazine papier Reporterre, que vous aviez fondé en 1989, va-t-il renaître?
Hervé Kempf – Reporterre était un magazine non militant, mais en empathie avec l’environnement, et qui avait trouvé un public (26.000 exemplaires par mois, 4.400 abonnés payants). Mais il ne renaîtra pas, notamment car nous n’avons pas de capital et que le paysage des médias a changé. Notre projet consiste à donner un coup de fouet à sa forme électronique –Reporterre– et de cultiver un média ouvert et libre d’accès, pour toucher le grand public. Je crains qu’un abonnement bloque l’accès d’une partie des gens à ce genre d’informations. Le pari financier que nous faisons, c’est de considérer que de plus en plus de concitoyens comprennent qu’il y a besoin d’une presse libre; et de la même manière que l’on trouve normal de payer son pain parce que le boulanger a travaillé pour le faire, on trouvera normal de payer l’information parce que les journalistes ont travaillé pour la produire. Nous faisons le pari qu’une large part de nos recettes viendra du soutien des gens qui enverront quelques euros car ils comprendront que c’est utile.
Réchauffement du climat: c’est bien l’homme et c’est encore plus grave
Michel de Pracontal
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C’est un gros pavé dans le jardin des climato-sceptiques. Le nouveau rapport du Giec, état de l’art scientifique qui doit paraître fin septembre et que Mediapart a pu consulter en avant-première, confirme une forte influence humaine sur le climat. Il revoit surtout à la hausse les conséquences d’un réchauffement accéléré de la planète.
Les scientifiques du Giec (groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) en sont désormais convaincus : l’homme est le principal acteur du réchauffement climatique observé depuis les années 1950.
Dans une version préliminaire de leur nouveau rapport que Mediapart a pu consulter, les experts écrivent que l’influence humaine sur le climat est «sans équivoque» et se manifeste « à l’échelle globale et dans la plupart des régions».
Le nouveau rapport du Giec sera le cinquième depuis 1990, et paraît six ans après le précédent, daté de 2007. La phrase sur la responsabilité humaine doit figurer dans la partie stratégique du rapport, le résumé à l’intention des décideurs, destiné à inspirer les politiques environnementales. Ce texte de vingt à trente pages ne sera rédigé définitivement qu’au dernier moment, lors d’une réunion à Stockholm du 23 au 26 septembre.
Mais le corps du document ne devrait connaître que des modifications mineures. Il constitue une somme exceptionnelle de connaissances scientifiques sur les mécanismes physiques du changement climatique, soit plus de deux mille pages écrites et révisées par 209 auteurs et 50 éditeurs d’une quarantaine de pays. Précisons par ailleurs qu’en plus du document qui paraîtra le 30 septembre, le Giec publiera au printemps 2014 deux autres volets : l’un sur les impacts du changement climatique ; l’autre sur les mesures à prendre pour en atténuer les conséquences.
Quelles que soient les nuances introduites dans la formulation finale du résumé, l’essentiel du rapport dresse un tableau qui ne laisse guère de place au doute : l’accumulation dans l’atmosphère
de gaz à effet de serre issus de l’activité humaine, principalement de gaz carbonique (CO2 ), est en train de transformer le climat de la planète à un rythme extrêmement rapide, sans précédent dans l’histoire récente de la planète.
Les experts du Giec considèrent comme pratiquement certain que, dans la plupart des régions, les épisodes de froid extrême, à l’échelle saisonnière, seront plus rares tandis que les épisodes de grande chaleur seront plus fréquents. Il y aura aussi plus de vagues de chaleur et de canicules, tandis que des hivers très froids resteront possibles, mais rares. D’ici 2100, la température de surface de la planète pourrait monter de 1,5 à 3 °C, selon le rythme d’augmentation des émissions de CO2 (les estimations les plus hautes allant jusqu’à 4,8 °C). Dans le même temps, le niveau des océans pourrait s’élever de 0,28 mètre à près d’un mètre (et même jusqu’à plus de 2 mètres selon certaines projections jugées peu probables par les experts).
Comparé au précédent rapport paru en 2007, ce document met nettement plus l’accent sur la responsabilité humaine dans le changement climatique. « Depuis 1950, on a observé des changements dans tout le système climatique : l’atmosphère et l’océan se sont réchauffés, l’extension et le volume de la neige et de la glace ont diminué et le niveau des mers a monté, écrivent les experts.
La plupart de ces changements sont inhabituels ou sans précédent à l’échelle de décennies ou de millénaires.» Il pronostique aussi une élévation plus importante du niveau d’eau des océans, qui ne dépassait pas 0,59 mètre dans l’estimation de 2007. L’écart est dû à une meilleure prise en compte de la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, dont l’observation a fait de très gros progrès depuis quelques années.
Le rapport confirme un point qui peut sembler paradoxal : le rythme du réchauffement s’est légèrement ralenti pendant les 15 dernières années (même si le climat continue de se réchauffer). La
température moyenne de surface a augmenté de près d’un degré (0,89 °C) entre 1901 et 2012. Mais alors que la hausse moyenne de 1951 à 2012 a été de 0,12 °C par décennie, elle n’est que de 0,05 °C par décennie depuis 1998. Ce ralentissement ou « hiatus » du réchauffement a été exploité par les climato-sceptiques pour nier la réalité du phénomène, mais il peut s’expliquer par le rôle des océans. Ceux-ci absorbent une partie de la chaleur en excès, car il se produit des échanges thermiques entre les couches supérieures de l’océan et les eaux plus profondes.
Du fait du hiatus du réchauffement, les experts considèrent qu’une augmentation de température moyenne ne dépassant pas 1,5 °C est possible, alors que le rapport 2007 jugeait très peu plausible une hausse inférieure à 2 °C. Les scientifiques ne sont pas encore unanimes sur le mécanisme précis qui explique le hiatus. Un article paru ces jours-ci dans la revue Nature l’attribue au refroidissement de la température de surface du Pacifique équatorial. Le phénomène La Niña, dû à un renforcement des alizés, se traduit par une remontée d’eau froide en surface dans le Pacifique tropical. Ce phénomène se produit en alternance avec El Niño, qui produit l’effet inverse, le tout sur un rythme approximativement décennal.
Le refroidissement entraîné par La Niña expliquerait le hiatus du réchauffement, selon les auteurs de l’article qui est paru trop tard pour être inclus dans le rapport du Giec. « Dans la période de réchauffement accéléré de 1970 à 1990, la variabilité du Pacifique tropical expliquait 25 % du réchauffement total », explique Yu Kosaka, de la Scripps Institution of Oceanography (université de Californie, San Diego), coauteur de l’article de Nature. Lorsque le cycle va s’inverser, d’ici quelques années, le réchauffement devrait à nouveau s’accélérer.
« La température de surface est un indicateur utile, mais partiel, explique Valérie Masson- Delmotte, climatologue au CEA. Il faut savoir que 93% de l’excès de chaleur dû à l’effet de serre sont stockés dans les océans ; 3% sont retenus par les sols, 3% sont absorbés par la fonte des glaces, et 1% va dans l’atmosphère. Par conséquent, ce n’est pas parce que le réchauffement
ralentit en surface qu’il est en train de s’arrêter.»
Dans tous les cas de figure, la température de la planète va continuer d’augmenter : comme les gaz à effet de serre retiennent une partie des rayons du Soleil réfléchis par la Terre et les renvoient vers le sol, la planète accumule plus d’énergie qu’elle n’en émet vers l’espace. La concentration de CO2 dans l’atmosphère a augmenté de 40 % depuis le début de l’ère industrielle, passant de 278 ppm (parties pour million) en 1750 à 379 ppm en 2005 et à 390,5 ppm en 2011. Les concentrations en méthane (CH4) et en protoxyde d’azote (N2O) ont aussi augmenté très fortement. Pour ces trois gaz, les concentrations actuelles excèdent celles qui ont été mesurées dans les carottes glaciaires depuis 800 000 ans, et leurs taux d’augmentation en un siècle sont sans précédent depuis 22 000 ans.
Le Groenland apparaît menacé, l’Antarctique est instable
Le rapport du Giec considère plusieurs scénarios d’évolution des émissions de CO2 . Le moins plausible est celui d’une réduction drastique des émissions permettant de stabiliser la concentration en CO2.
Il est plus vraisemblable que celle-ci continuera d’augmenter. Les estimations les plus probables se situent entre 1,5 et 3 °C.
Dans un scénario avec fortes émissions (dit RCP8.5), la concentration en CO2 doublerait avant la fin du siècle, ce qui entraînerait une hausse de la température moyenne de l’ordre de 3 °C ou plus en 2100. Une telle hausse moyenne pourrait se traduire par une montée du thermomètre de l’ordre de 10 °C aux pôles.
Le point sur lequel le rapport de 2013 apporte le plus d’éléments nouveaux est le bilan de la fonte des glaces polaires et la contribution de celle-ci à la hausse du niveau des océans. Le rapport de 2007 avait été critiqué par les glaciologues parce qu’il ne prenait pas suffisamment en compte la fonte des calottes polaires de l’Antarctique et du Groenland. Il n’expliquait pas non plus
suffisamment le rôle des océans. Ce dernier est désormais beaucoup mieux connu, grâce à la multiplication des bouées qui mesurent la température de surface de la mer et celle de l’air, la
pression atmosphérique, les courants de surface, la salinité, etc. Ces bouées permettent de valider les modèles d’analyse de la circulation océanique.
L’étude de l’évolution des calottes glaciaires a également accompli des progrès considérables ces dernières années, grâce à l’apport de nouveaux instruments de mesure. Trois méthodes, utilisant des satellites d’observation, permettent de quantifier les variations de masse des calottes glaciaires :
• l’altimétrie, qui consiste à mesurer la hauteur d’une couche de glace grâce à un écho laser ou radar;
• la gravimétrie, dans laquelle on mesure très précisément le champ de gravitation de la Terre pour en déduire la masse d’une couche de glace (ces mesures sont faites par un système de deux satellites appelés GRACE) ;
• l’interférométrie, qui permet d’estimer la perte de masse en mesurant la vitesse d’écoulement de la glace quand elle se détache.
Ces trois techniques ont transformé complètement le tableau des connaissances sur l’évolution des calottes polaires. Les nouvelles observations ont montré que les calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique fondent à un rythme accéléré sous l’action du changement climatique. D’après les estimations du Giec, le Groenland perdait 34 milliards de tonnes de glace par an entre 1992 et 2001 ; ce nombre est passé à 215 milliards de tonnes dans la période 2002-2011. Pour l’Antarctique, la perte était estimée à 30 milliards de tonnes par an de 1992 à 2001, et serait passée à 147 milliards de tonnes par an dans la décennie 2002-2011.
Une autre estimation, publiée fin 2012 par un consortium de 47 glaciologues (voir notre article ici), donne un bilan total à peu près équivalent, mais avec un contraste plus fort entre les deux calottes : le Groenland fondrait au rythme de 263 milliards de tonnes par an, 5 fois plus vite qu’au début des années 1990 ; pour l’Antarctique, la perte serait de 81 millions de tonnes par an. En fait, la situation de l’Antarctique est assez différente de celle du Groenland, car elle est hétérogène : la région est du continent ne fond pas, elle est même en léger bénéfice ; les pertes viennent principalement du nord de la péninsule antarctique et de l’ouest du continent (région de la mer d’Amundsen).
Schématiquement, le Groenland apparaît plus menacé, du moins à l’échelle d’un siècle. Va-t-il disparaître ? « Non, mais il pourrait devenir nettement plus petit, estime la climatologue Catherine Ritz (Laboratoire de glaciologie LGGE, CNRS, Grenoble). Le Groenland peut trouver un nouvel équilibre avec une taille plus restreinte. Il y a 125 000 ans, alors que le niveau des océans était plus élevé de 6 mètres que le niveau actuel, il y avait encore de la glace au Groenland. »
Le cas de l’Antarctique est encore plus complexe : « La dynamique du continent antarctique n’est pas encore tout à fait comprise, poursuit Catherine Ritz. Il existe un point faible dans l’Antarctique ouest, le glacier Thwaites. S’il se déstabilise, la perte de glace s’accélérera fortement, mais on ne sait pas aujourd’hui quelle est la situation exacte de ce glacier. »
Bien sûr, l’énorme quantité de glace perdue par les deux calottes polaires contribue à l’élévation du niveau des mers (la contribution du Groenland étant plus importante que celle de l’Antarctique).
Deux autres facteurs s’ajoutent : la fonte des glaciers et la dilatation thermique des océans. Selon les données du rapport du Giec, le niveau de l’océan s’élève actuellement d’environ 3 millimètres par an. Schématiquement, un tiers de cette élévation est due à la fonte des glaces du Groenland et de l’Antarctique, un tiers à celle des glaciers et un tiers à la dilatation thermique de l’eau. Le rythme de 3 mm par an aboutirait à une hausse de 30 centimètres d’ici la fin du siècle. Il est probable que ce rythme va s’accélérer pendant les décennies à venir. L’élévation probable du niveau des océans d’ici 2100 serait d’un peu moins d’1 mètre dans le scénario avec les émissions les plus fortes (RCP8.5). Les experts estiment que la limite d’un mètre ne serait dépassée que si l’Antarctique se déstabilisait très fortement, entraînant l’effondrement de nouveaux secteurs de couche glaciaire. En revanche, à l’échelle de deux ou trois siècles, le niveau des mers pourrait monter de plusieurs mètres.
Quel que soit le scénario, les conséquences de l’influence humaine sur le climat sont en train de devenir une réalité concrète, comme le constate le climatologue Hervé Le Treut (Institut Pierre-Simon Laplace), qui a participé à la rédaction de deux des précédents rapports du Giec : « Depuis une décennie, l’image est devenue de plus en plus nette, dit-il. On n’est plus dans la situation initiale, où l’enjeu principal était de savoir s’il y avait ou non un changement climatique. C’est une affaire réglée, même si les climato-sceptiques continuent d’affirmer le contraire.
La question importante, aujourd’hui, est de savoir comment on va s’adapter au changement. Quelles sont les mesures importantes à prendre ? Quelle culture faut-il développer dans telle région ? Comment arbitrer l’usage des différentes sources d’énergie ? C’est une discussion plus concrète, mais aussi plus difficile, qui porte sur des choix pratiques. Les échecs des dernières conférences en témoignent. Mais ils ne sont pas forcément définitifs : la Chine et l’Inde, premier et troisième émetteurs de CO2 , sont aussi très vulnérables au changement climatique, et ont intérêt à agir. »