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Articles du Vendredi : Sélection du 6 novembre 2020


La destruction de la nature prépare les pandémies futures
Claude-Marie Vadrot
www.politis.fr/articles/2020/11/la-destruction-de-la-nature-prepare-les-pandemies-futures-42467

www.liberation.fr

C’est l’alerte adressé au monde dans un rapport alarmant de l’ONU.

Une agence scientifique des Nations Unies vient de rendre public un rapport qui suggère que l’appauvrissement du vivant, qu’il s’agisse des animaux, de la flore, des insectes et de la faune aquatique, est directement lié à l’émergence d’une « ère des pandémies ». Cet avertissement argumenté a été publié par « La plate forme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité » (IPBES). Un organisme qui a été créé en avril 2012. D’après cet outil onusien qui veut fonctionner et lancer des alertes comme le GIEC le fait pour le climat, les pandémies pourraient être de plus en plus fréquentes et de plus en plus difficiles à éradiquer si l’être humain accentue sa pression insupportable sur les écosystèmes et la biodiversité.

Virus en embuscade

L’argumentation de ces scientifiques est, notamment, que les six pandémies constatées depuis la grippe espagnole de 1918 ayant ravagé l’Europe et le reste du monde, ont toutes été causées par « l’activité humaine défrichant et exploitant des aires à la biodiversité riche; l’être humain et ses animaux domestiques se retrouvant de plus en plus souvent en contact avec la faune et le monde sauvage ». Car d’autres virus nous guettent.

Le fait que l’activité humaine, explique Peter Daszak, président du groupe de travail de l’IPBES, ait été capable de changer si profondément notre environnement naturel nous amène à tenter de réduire les risques pour les pandémies futures et de réduire également les risques entrainés par le changement climatiques. La biodiversité et le réchauffement additionnent leurs dégâts. Car les spécialistes évaluent à 850 000 les virus « en attente » de franchir la barrière des espèces parmi les mammifères et les oiseaux sauvages.

Le rapport rappelle longuement que préserver ce qui reste de la biodiversité, lutter contre le réchauffement de la planète pourrait permettre de prévenir les futures pandémies plutôt que de les subir une fois qu’elles se sont propagées au sein de la population. D’autant plus que du point de vue économique cela serait plus rentable puisqu’une pandémie coûte au moins 100 fois plus cher quand il faut la subir.

Cet avertissement de l’IPBES (1), montre à quel point, notre environnement naturel est délabré, aussi bien en Europe que dans le reste de la planète. On y sent à quel point les naturalistes sont sceptiques sur leurs chances de mettre rapidement un terme aux destructions et aux morts prématurées. Dommage car à lire ce rapport on comprend que comme pour le climat dont les experts nous alertent depuis 1990, demain il sera trop tard…

(1) 130 pays en sont actuellement membres ainsi que 150 experts spécialisés

Covid-19 : le Conseil scientifique prévoit de ‘nombreux mois avec une situation extrêmement difficile’
Olivier Monod
www.liberation.fr/sciences/2020/10/31/covid-19-le-conseil-scientifique-prevoit-de-nombreux-mois-avec-une-situation-extremement-difficile_1804106

Dans son dernier avis, il estime «probable» d’autres vagues épidémiques après celle en cours. Ce qu’il faut retenir du texte.

Dans son avis du 26 octobre publié vendredi soir, le Conseil scientifique livre sa vision de l’avenir. Clairement, cela ne fait pas plaisir à lire, mais l’organisation ayant déjà correctement prédit la deuxième vague, ses avis sont à prendre au sérieux. Voici les principaux points à retenir sur la dynamique épidémique à attendre et les éléments à mettre en place pour y faire face.

Repenser la stratégie tester-tracer-isoler

Bien que l’autocritique ne soit pas la grande force du gouvernement, le Conseil scientifique lui recommande pourtant de «tirer des leçons du relatif échec de la stratégie “Tester-Tracer-Isoler” durant la période de mai à septembre 2020».

En effet, repérer tôt les cas et les isoler avec succès est la seule méthode pour «un contrôle de la circulation virale comme cela a été montré dans un petit nombre de pays d’Asie du Sud Est».

Les scientifiques appellent donc à une augmentation des «effectifs humains» dédiés et à «la mise en place de l’application “Tous Anticovid” sur une large fraction de la population». Le conseil recommande que les tests antigéniques puissent être réalisés de façon large en dehors des laboratoires de biologie.

Surveiller lycées, collèges et écoles

L’ouverture des établissements scolaires fait débat en raison du protocole sanitaire mis en place pour protéger les personnels et éviter que les enfants ramènent le Covid à la maison. C’est pourquoi les scientifiques recommandent «l’organisation d’une surveillance reposant sur les tests d’infection active (RT-PCR ou tests antigéniques) ou les tests sérologiques (personnels enseignants et élèves)» afin de prendre des décisions basées sur des faits établis.

Par ailleurs, la situation varie en fonction du niveau d’étude. Si «les adolescents de 12 à 18 ans semblent avoir la même susceptibilité au virus et la même contagiosité vers leur entourage que les adultes», en revanche, «les enfants âgés de 6 à 11 ans semblent moins susceptibles, et moins contagieux».

Durée de la deuxième vague

La prédiction de la durée de la deuxième vague n’est pas aisée, puisque cela dépend des mesures prises, de leur respect ou non par leur plus grand nombre mais aussi du climat. Ceci dit, l’hypothèse retenue par le Conseil est celle «d’une sortie de deuxième vague en fin d’année ou début d’année 2021».

Et après ?

Ce déconfinement ne sera pas comme le précédent, puisqu’il se déroulera en hiver. Les scientifiques s’attendent donc à «des vagues successives de recrudescence jusqu’à l’arrivée des premiers vaccins  et/ou traitements prophylactiques» attendus pour le deuxième trimestre 2021.

Face à cela, deux stratégies sont envisagées. L’une consiste à alterner des périodes de restrictions avec des périodes de laisser-aller. L’autre essaie de maintenir un contrôle de la circulation du virus à un taux bas. Cette «stratégie de suppression de la circulation virale comme l’ont effectué plusieurs pays d’Asie, le Danemark, la Finlande et l’Allemagne […] implique des mesures  fortes et  précoces à chaque reprise épidémique».

Climat, déchets, plastique : derrière les beaux discours écolos du CAC40, la triste réalité des chiffres
Olivier Petitjean
https://multinationales.org/Climat-dechets-plastique-derriere-les-beaux-discours-ecolos-du-CAC40-la-triste

Les grandes entreprises françaises communiquent énormément sur leur engagement pour le climat et l’environnement. Mais les beaux discours ne se traduisent pas dans des actes, et les chiffres des émissions de gaz à effet de serre, des déchets et de consommation de matières premières continuent le plus souvent d’augmenter d’année en année. C’est ce que montre le troisième chapitre, publié ce jour, de l’édition 2020 de « CAC40 : le véritable bilan annuel ».

Parmi les données inédites mises en lumière dans ce troisième chapitre de CAC40 : le véritable bilan annuel :

  • Si l’on additionne les chiffres de leurs émissions déclarées, les groupes du CAC40 ont émis directement et indirectement environ 1,6 milliard de tonnes de CO2 dans l’atmosphère en 2019. Ce chiffre correspond à environ 5% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, un niveau comparable aux émissions de la Russie.
  • Globalement, les émissions du CAC40 ont baissé de 3,13% depuis 2017. Cette baisse doit tout à Engie, l’un des plus gros émetteurs de gaz à effet de serre du CAC40, qui s’est lancé dans une politique de désinvestissement de ses nombreux actifs liés au charbon. Si l’on enlève Engie, les émissions du CAC40 sont en réalité en hausse de 2,6% depuis 2017. Or Engie n’a souvent fait que revendre ses centrales et mines de charbon à des investisseurs moins sensibles à l’opinion publique.
  • Vingt firmes de l’indice boursier parisien ont encore augmenté leurs émissions entre 2017 et 2019, dont le groupe pétrolier Total (+3,3% en deux ans). En valeur absolue, Total représente près de 30% des émissions du CAC40. Deux autres émetteurs importants de gaz à effet de serre de l’indice boursier parisien augmentent également leurs émissions entre 2017 et 2019 : PSA (+50,9%) et Danone (+29,8%).
  • De nombreux groupes du CAC40 préfèrent mettre en avant non pas le chiffre de leurs émissions en valeur absolue, mais leurs émissions de CO2 rapportées au chiffre d’affaires ou au nombre de salariés. Cela suggère qu’elles restent guidées par un paradigme d’« efficience » ou de « découplage », selon lequel il serait acceptable de continuer d’accroître ses activités et ses émissions de gaz à effet de serre, pourvu que celles-ci augmentent moins vite que les revenus. Douze firmes du CAC40 augmentent malgré tout leurs émissions rapportées au chiffre d’affaires entre 2017 et 2019, et quinze voient enfler leurs émissions rapportées aux effectifs.
  • Ces chiffres confirment que sans mécanismes contraignants supervisés par les pouvoirs publics, les grandes entreprises ne réduiront pas d’elles-mêmes leur impact sur le climat. Les engagements volontaires ne suffisent pas à changer les pratiques. Pourtant, le gouvernement français a refusé d’introduire des critères climatiques contraignants dans le cadre des aides massives qu’il a débloquées pour aider les entreprises à faire face à la crise sanitaire. Ces aides ont pourtant bénéficié à des firmes très polluantes, comme nous le rappelions dans « Allô Bercy», le premier chapitre de CAC40 : le véritable bilan annuel publié le 12 octobre dernier.
  • D’après les données partielles disponibles, les grandes entreprises françaises continuent également à produire davantage de déchets d’année en année. Elles en ont généré en 2019 plus de 700 millions de tonnes, 11,9% de plus qu’en 2017. La consommation globale d’eau s’élève à 750 millions de mètres cube en 2019 pour les 33 groupes du CAC40 qui publient des chiffres, l’équivalent de 300 000 piscines olympiques.
  • Le champion du grand écart entre les discours et la réalité est le groupe Danone. Il s’est donné cette année le statut d’« entreprise à mission », énumérant des objectifs plus vertueux les uns que les autres : « améliorer la santé », « préserver la planète », « construire le futur »… Dans le même temps, tous ses indicateurs environnementaux sont au rouge. Par comparaison avec 2017, Danone émet davantage de gaz à effet de serre, y compris rapportés à ses effectifs et à son chiffre d’affaires, génère davantage de déchets, et consomme davantage d’eau, de plastique et d’huile de palme.


Eco-productivisme :
‘ La transition écologique est une question politique ‘

Louison Cahen-Fourot, chercheur post-doctorant à l’Institut d’économie écologique de l’université d’économie et de commerce de Vienne (WU Wien, Autriche)
www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/29/eco-productivisme-la-transition-ecologique-est-une-question-politique_6057749_3232.html

L’économiste Louison Cahen-Fourot plaide pour un débat raisonné sur la croissance et la crise écologique, et invite à mieux concilier les limites de la planète avec l’organisation des sociétés modernes.

Tribune. Des voix se sont élevées récemment pour appeler à un éco-productivisme censé rendre le capitalisme écologique : la croissance serait indispensable à la lutte contre le changement climatique. Les investissements nécessaires pour affronter la crise écologique généreront certainement de la croissance. Cela entraînera une nouvelle accumulation de capital, davantage en ligne avec les exigences climatiques.

En cela, croissance et capitalisme peuvent apparaître à court terme comme des conditions de la transition. Personne ne niera d’ailleurs qu’il soit possible de rendre le capitalisme plus vert ni qu’il soit urgent de le faire. Pourtant, la proposition d’un éco-productivisme demeure à courte vue.

Epuisement et érosion

Premièrement, cette proposition fait fi de la situation écologique et la réduit trop souvent au changement climatique, évacuant deux autres dimensions essentielles : l’empreinte matérielle et la biodiversité.

Rappelons que nulle décarbonisation n’apparaît dans les données mondiales d’émission hors période de récession mondiale. La concentration atmosphérique en CO2 approche des 413 parties par million, ce qui est au-delà du niveau médian compatible avec un réchauffement limité à 1,5 degré d’ici à la fin du siècle, situé sous le niveau de 2016 (Masson-Delmotte et al., 2018 et aussi).

Au niveau mondial, l’extraction de matériaux a plus que triplé depuis 1970, l’utilisation primaire de matériaux devrait doubler d’ici à 2060 et l’efficacité de l’utilisation de matériaux a diminué depuis 2000. Cela signifie davantage d’émissions de gaz à effet de serre, une accélération de l’épuisement des ressources naturelles et la poursuite de l’érosion de la biodiversité (OCDE, 2019 ; Schandl et al., 2018).

Une méta-analyse récente (Haberl et al., 2020), incluant 835 articles scientifiques examinant la corrélation entre le produit intérieur brut (PIB), les émissions de gaz à effet de serre, l’énergie et les matériaux, indique que cette corrélation est incompatible avec une réduction suffisante des émissions de gaz à effet de serre et de l’usage des ressources naturelles. En l’état actuel des données disponibles et au niveau macroéconomique, il n’existe pas de base empirique permettant de fonder un discours politique rigoureux et réaliste sur la croissance et le capitalisme verts.

Deuxièmement, la proposition d’un éco-productivisme réduit la transition écologique à une question d’investissement et à un défi technologique. Il n’est pas d’investissement ou de dépense quelconque qui n’ait une contrepartie physique, même pour des biens et services décarbonés ou dont le contenu matériel est réduit au minimum et fait de matériaux recyclés. Dès lors, la question du contenu de la production, de son volume, de son rythme et de la répartition de ses fruits se pose inévitablement. La transition est une question politique.

En l’état actuel des données disponibles et au niveau macroéconomique,
il n’existe pas de base empirique permettant de fonder
un discours politique rigoureux et réaliste sur la croissance et le capitalisme verts

Il ne s’agit pas d’être contre l’innovation technologique. Il s’agit de la mettre au service de l’innovation sociale et de réhabiliter cette dernière. Accroitre la productivité est perçu comme nécessaire pour lutter contre le changement climatique, et productivité signifierait croissance.

Cela est vrai historiquement car les gains de productivité ont été mis au service de l’expansion de la production. Cependant, la productivité peut parfaitement être mise au service d’une production constante ou réduite, de meilleure qualité, dont les fruits seraient bien mieux répartis et qui permette une réduction du temps de travail organisée et équitable.

Comme toujours la direction du progrès technologique dépend de l’organisation sociale dans laquelle il s’insère et des choix politiques qui décident de ses usages.

Le lien entre technologie et croissance tend à devenir de plus en plus univoque  la poursuite de la croissance rend toujours plus nécessaire la technologie pour limiter ou réparer, autant que faire se peut, les impacts sur la nature de notre organisation socio-économique. Autrement dit, l’innovation technologique devient un palliatif au manque d’innovation sociale. Or c’est bien de cette dernière qu’il sera  tôt ou tard question si nous voulons préserver un vivre-ensemble dans les limites écologiques de la planète.

La foi dans un éco-productivisme reflète la déconnexion persistante de la pensée politico-économique avec les réalités écologique et physique qui bornent le champ des possibles de la production et de la consommation.

Poursuite de la croissance irréaliste

Aussi sommes-nous face à deux paradoxes. Un paradoxe politique d’abord. D’une part, la croissance est la norme historique et ses défenseurs apparaissent donc logiquement comme le camp raisonnable et réaliste. D’autre part, toutes les données sur les émissions de gaz à effet de serre, l’empreinte matérielle et la biodiversité indiquent qu’il est complétement déraisonnable et irréaliste de prôner la poursuite de la croissance.

Un paradoxe intellectuel ensuite. D’une part, une grande partie des sciences économiques a historiquement entretenu une relation œdipienne à la science physique et aux sciences naturelles, tentant d’en épouser les méthodes et les critères de de scientificité. D’autre part, elle continue d’être largement aveugle à ce que ces disciplines ont à dire sur les processus de production-consommation et leurs limites.

De ces deux paradoxes résulte un impensé qui risque de nous laisser démunis pour imaginer l’organisation future de nos sociétés. L’enjeu n’est pas tant de dire subitement adieu à la croissance et au capitalisme. Il est plutôt d’admettre l’éventualité que les limites écologiques de la Terre rendent progressivement la croissance impossible, exacerbant les contradictions intrinsèques du capitalisme et imposant une autre organisation socio-économique. La démarche est ainsi celle d’un principe de précaution social.

Il nous faut réfléchir collectivement et délibérer démocratiquement sur la question suivante  comment organiser nos sociétés d’une manière compatible avec les limites écologiques de la planète par exemple d’une façon qui ne fasse pas de la croissance une condition de la stabilité politique, de la cohésion sociale et du bien-être individuel et collectif ? Même adjectivé ou assorti d’un préfixe, un productivisme reste un productivisme  plutôt que de croissance, ce dont la transition écologique a besoin est surtout d’approfondissement démocratique et d’innovation sociale.


‘ L’écologie naît d’une conscience de la mort : en maltraitant la planète, on se conduit à notre fin ‘
Entretien avec Tanguy Châtel , Propos recueillis par Laure Hänggi et Eva Gomez
https://reporterre.net/L-ecologie-nait-d-une-conscience-de-la-mort-en-maltraitant-la-planete-on-se-conduit-a

Les sociétés humaines ont répondu de nombreuses manières à la mort, de l’embaumement égyptien au procédé nouveau d’humusation. Le rapport à la mort des sociétés occidentales évolue rapidement, notamment avec la conscience écologique, explique Tanguy Châtel.

Cet article est le troisième volet d’une série en quatre épisodes. Il suit « Mort, on pollue encore » et « Après la mort, devenir un arbre ».

Reporterre — D’où vient la volonté de conserver les corps après la mort ?

Tanguy Châtel — Les pratiques de conservation des corps sont très archaïques : on peut les faire remonter à la Haute Antiquité et à l’idée qu’il faut permettre au corps de faire son voyage dans l’au-delà, ainsi l’embaumement dans l’Égypte ancienne. Il y a toujours eu ce respect particulier lié au « corps de gloire », qui a perduré avec la religion chrétienne, car on a cru pendant longtemps que le corps devait être en bon état pour la résurrection. C’est la raison pour laquelle dans la chrétienté, il n’y avait pas d’autopsie, par exemple.

Dans les milieux d’origine protestante, en particulier chez les Anglo-Saxons, il y a moins de sacralité à l’égard de la mort. Si on prend soin du corps, dans le milieu protestant, ce n’est pas vraiment pour le défunt lui-même, mais plutôt pour les proches, avec une volonté de charité, de compassion à l’égard des vivants. Ce qui justifie les soins esthétiques particuliers, combinés avec un soin de conservation, à visée hygiénique.

La thanatopraxie serait donc une pratique destinée à rassurer les vivants ? Comment peut-on interpréter cet attachement viscéral au corps ?

La conservation des corps après la mort fait écho au matérialisme des pays occidentaux et à un certain culte de la personne. Mais pas seulement : elle est symptomatique de sociétés qui ne consentent pas à perdre. C’est très différent dans d’autres cultures, au Tibet par exemple. Les corps sont donnés en pâture aux animaux, pour que le défunt ne « pollue » pas les vivants.

Cet attachement au corps a-t-il toujours été aussi important ?

Il a connu un creux au XVIIIe siècle, sous l’influence des philosophes des Lumières. C’est le siècle qui voit le recul de la religion et l’essor de la science. Le point culminant de ce phénomène sera au XIXe siècle, avec la médecine, l’astronomie, la physique : à ce moment-là, les visées spirituelles prennent moins d’importance que les visées temporelles et matérielles. Petit à petit, on va accorder plus d’importance au sort du corps, alors qu’avant, il n’y avait pas de soin de conservation particulier : on le mettait en terre et on oubliait vite. Peu à peu, on a cherché à donner une autre symbolique à la mort, qui ne passe pas par les canons de l’Église catholique. Le « corps de chair » remplace le « corps de gloire » : la chair n’est plus sacrée et la crémation se développe de plus en plus. [1], au même moment que les lois de séparation de l’Église et de l’État et la création de l’école laïque. La crémation était alors mise en avant par des gens qui refusaient catégoriquement la mainmise de l’Église catholique. C’était une marque de modernité athée. Mais cette pratique a finalement été reconnue par le Vatican en 1962, ce qui a entraîné une expansion de sa pratique.

Comment expliquer l’engouement pour la crémation, même au sein de la communauté catholique ?

Le rapport entre l’humus (la terre) et le corps s’est perdu, et avec lui l’idée que la terre est une matière organique, qui fait vivre. La terre est de plus en plus vue comme sale, sombre, pleine de vers. Aujourd’hui, on préfère la lumière, on veut que ce soit rapide et flamboyant. Le feu est devenu un symbole spirituel.

L’inhumation représente donc un retour à la terre. Peut-elle être vue comme plus écologique que la crémation ?

Cela dépend de quelle écologie on parle. Si on fait le bilan carbone, la crémation est beaucoup moins écologique que l’inhumation. Les émissions polluantes sont cependant atténuées avec l’obligation progressive de l’installation de filtres dans les crématoriums.

Pour l’inhumation, des études qui montrent que les corps mettent très longtemps à se décomposer, car ils sont bourrés de conservateurs alimentaires ou de substances injectées pendant la thanatopraxie. Le bilan écologique de l’inhumation n’est pas du tout évident à établir. D’autant plus que, pendant longtemps, les corps étaient enterrés en cercueil ou en pleine terre. Maintenant, les cercueils sont placés dans des cuves en béton. J’aurais tendance à dire qu’en matière de bilan carbone, la crémation est moins écologique que l’inhumation immédiatement, mais pas forcément dans la durée. L’entretien des tombes, les cuves en béton, les liquides issus de la thanatopraxie peuvent inverser la tendance à long terme.

Que pensez-vous des initiatives écologiques, telles que les urnes et les cercueils biodégradables ?

De plus en plus d’objets « écolos » font surface, avec une symbolique de mort plus propre. Selon moi, il s’agit surtout d’un concept marketing, car le corps est naturellement biodégradable. Cette volonté de mort écologique, du retour à la terre, peut se rapprocher des pensées païennes. Mais la religion catholique s’empare aussi de la question écologique, notamment grâce à l’encyclique sur l’écologie du pape François, Laudato Si, parue en 2015.

La peur de la mort est-elle un obstacle à une société plus écologique ?

La mort est la réflexion de fond de toutes les sociétés humaines : on donne de la valeur à la vie, car on sait qu’il y a la mort. Le monde contemporain a peur de la mort et la refuse. On retrouve ce refus dans le transhumanisme. L’homme augmenté, le transhumanisme, c’est un refus immature de la mortalité : l’homme pense pouvoir mettre à mort la mort. Aujourd’hui, on cherche la performance à tout prix, et on ne veut donc plus mourir. Pour moi il existe deux types de scientifiques : ceux qui ont une conscience de la mort et donc poussent à changer les comportements, et ceux qui pensent que le génie humain est si extraordinaire qu’il trouvera une solution à la mort. Et l’écologie naît d’une conscience de la mort : en maltraitant la planète, on se conduit à notre propre mort.

Comment sensibiliser des sociétés qui rejettent l’échec et la mort, à une approche plus verte de la mort ?

Tout comme l’écologie prend une importance croissante dans les mentalités, la mort n’est pas un épisode coupé du reste de la vie. Donc, si dans la vie l’écologie prend de plus en plus de place, elle en prendra aussi dans la mort. Ce n’est pas pour rien, d’ailleurs, que les cimetières deviennent un peu plus paysagers, pour apporter du végétal, de la vie, de la beauté. On voit déjà quelques techniques — qui peuvent parfois hérisser le poil — qui consistent à faire du compost avec le corps des défunts : c’est l’humusation. La crémation devrait de plus en plus paraître comme polluante, pas très vertueuse. Je ne serai pas étonné que l’on retombe un jour ou l’autre, dans des pratiques funéraires « plus naturelles ».

«Bioaniztasuna babestea ez da arazo ekologiko huts bat»
Iñaki Petxarroman
www.berria.eus/paperekoa/1857/016/001/2020-11-03/bioaniztasuna-babestea-ez-da-arazo-ekologiko-huts-bat.htm

NBEren txosten baten arabera, pandemiak izateko arriskua murriztu egin daiteke bioaniztasunaren galera apalduz eta habitat naturalak babestuz. Ekonomikoki ere askoz merkeagoa dela ohartarazi dute.

NBEren IPBES Bioaniztasunari eta Ekosistemen Zerbitzuei Buruzko Plataforma Gobernu Artekoak argitaratu duen txostenaren arabera, klima aldatzen eta biodibertsitatea suntsitzen ari diren gizakien jarduna eragiten ari da pandemia gehienak, eta ohartarazpen bat egin dute: askoz ere merkeagoa da haiek prebenitzea haiei aurre egitea baino. Mundu osoko 22 zientzialari, 700 erreferentzia zientifiko baino gehiago aztertuz, ondorio honetara iritsi dira: goraka doazen epidemien eta pandemien %70 zoonosiak dira, animalietatik gizakiengana iritsitakoak. Benjamin Roche (Puy en Velay, Frantzia, 1981) gaitz infekziosoetako eta ekologia ebolutiboko ikertzaile eta Montpellierko Garapenerako Ikerketetarako Institutuko zuzendaria da ikerketa horretan aritu direnetako bat.

Kalkulatu duzue 1,7 milioi birus daudela animalietan eta haietako erdiak-edo irits daitezkeela gizakiengana. Zergatik ez ditugu zoonosiak benetako mehatxu gisa hartzen?

Birusak gizakiengana iristen direnean ohartzen gara arriskuaz, gaixoak eta hildakoak daudenean. Baina ez dugu planteatzen nondik iristen diren eta nola hedatzen diren gizakiengana. Datuei erreparatzen badiegu, eta hedatu diren gaixotasunak aztertzen baditugu, ohartzen gara badutela komunean kontu bat: gehienak basanimalietatik etxeko animalietara eta pertsonengana heldu dira. Eta ohartu gara jende gehienak ez dakiela hori. Horregatik, garrantzitsua da informazio horiek zabaltzea.

Izan dira zoonosiak iraganean ere. Mundua kalteberagoa da orain halakoekiko?

Datuei erreparatzen badiegu, jabetzen gara gero eta pandemia gehiago daudela, larriagotzen ari dela egoera. Biodibertsitateak babestu egiten gaitu animalia basatietan gordetzen diren birus eta patogenoetatik. Eta gizakien jardueraren ondorioz —deforestazioa, lurren erabileran egindako aldaketak, urbanizazioa, basanimalien salerosketa—, gero eta arrisku handiagoa zaizkigu mikrobio eta birusak. Azken hamarkadetan bioaniztasunaren galera prozesua azkartu den hein berean bihurtu gara kalteberago pandemia berriekiko. Joera aldatu ezean aurrerantzean ere arrisku hori handitu daitekeela aurreikusten dugu. Kalkulatzen dugu hamar urtean behin pandemia bat izan dezakegula.

Giza populazioaren hazkundeak ere bihurtzen gaitu kalteberago zoonosi berriekiko?

Bai. Zeren, horren ondorioz, indarrean diren giza jarduerek eragin handiagoa daukate ingurumenean, eta bioaniztasunaren galera ere bizkortu egiten du horrek. Bestalde, gero eta gizaki gehiago izateak ere ekartzen du birusak hartzeko arrisku handiagoa izatea, eta baita gaixotasunak gure artean azkarrago zabaltzeko arriskua handitzea ere.

Animalia basatien salerosketak arrisku handia dakar zoonosi berriak sortzeko. Litekeena da COVID-19a bera hortik etorri izatea ere, ezta?

Giza populazioek arrisku oso argia dute basa faunaren gaitzekin. COVID-19aren kasuan, hipotesi nagusia da saguzarretatik igaro dela gizakiengana. Nola heldu den zehazki, hori argitzeko dago.

Kalkulatzen da basanimalien laurden bat inguru salerosten direla, eta badira herrialdeak, batez ere Asian, merkatu hori sustatzen dutenak. Nola arautu beharko litzateke hori?

Guk egiten ditugun gomendioei jarraituz, merkataritza mota horretan badira hobetu beharreko bi kontu. Batetik, merkataritza horren erradiografia zehatz bat egitea, adieraziz zer animalia mota saltzen den, zer merkatutan… Horrek aukera emango liguke hobeto jakiteko zenbaterainoko arriskua ekar diezaguketen animalia eta birusek. Bestetik, kontrol hori eginez gero, aukera handiagoa izango genuke nonbait larrialdi egoera bat sortuko balitz garaiz iristeko balizko agerraldi horren ondorioak mugatu eta herritarrak babestera.