Le réchauffement rend incertain la sécurité alimentaire mondiale
AFP
www.goodplanet.info/actualite/2015/02/16/le-rechauffement-rend-incertain-la-securite-alimentaire-mondiale
Réduire le gaspillage alimentaire: une urgence pour le climat
Stéphanie Senet
www.journaldelenvironnement.net/article/reduire-le-gaspillage-alimentaire-une-urgence-pour-le-climat,56014?xtor=EPR-9
Les chargeurs d’ordinateur irréparables, symboles énervants du gâchis capitaliste
Vincent Liegey
www.reporterre.net/CHRONIQUE-Les-chargeurs-d
Mobiliser l’énergie sociale
Jean Merckaert
www.revue-projet.com/articles/2015-02-mobiliser-l-energie-sociale/
Écologie : pourquoi bouge-t-on si peu ?
Patrick Viveret
www.revue-projet.com/articles/2015-02-viveret-ecologie-pourquoi-bouge-t-on-si-peu/
Le réchauffement rend incertain la sécurité alimentaire mondiale
AFP
www.goodplanet.info/actualite/2015/02/16/le-rechauffement-rend-incertain-la-securite-alimentaire-mondiale
L’accélération du réchauffement climatique fait peser de fortes incertitudes sur la production agricole mondiale dans les prochaines décennies, ont averti dimanche des scientifiques, certains jugeant inévitables de profonds changements de la société pour y faire face.
« Nous pourrons nourrir le monde en 2050 mais pour cela il faudra prendre des mesures pour minimiser les effets du changement climatique sur la production agricole », a estimé Jerry Hatfield, directeur du laboratoire national américain pour l’agriculture et l’environnement.
Il a expliqué lors d’une présentation à la conférence de l’American Society for the Advancement of Science (AAAS), réunie à San Jose en Californie, qu’il faudra doubler la production alimentaire dans les 35 prochaines années pour nourrir les neuf milliards de personnes que comptera la planète en 2050 contre sept milliards aujourd’hui. Ce sera l’équivalent de ce que l’agriculture mondiale a produit depuis cinq siècles.
« Mais l’extrême volatilité des précipitations dans les grandes plaines de cultures américaines par exemple, l’accroissement de la sécheresse couplée à une montée des températures, affecte les rendements agricoles, ce qui nécessite d’agir pour minimiser le réchauffement », a-t-il insisté.
Au niveau mondial, la capacité actuelle d’utilisation des terres et la productivité vont continuer à dégrader les sols, a-t-il ajouté.
« Il y a de très grandes probabilités que les températures vont continuer à augmenter dans le Middle Ouest –le grenier à céréales des Etats-Unisr–, que les sécheresses seront plus sévères et que les très fortes précipitations vont se produire régulièrement », a souligné Kenneth Kunkel, un climatologue de l’agence américaine océanographique et atmosphérique (NOAA), qui a étudié l’impact du réchauffement sur les cultures de maïs dans le Middle West.
« La plus grande menace à la sécurité alimentaire, tout au moins pour le Middle West, est la sécheresse », a affirmé ce scientifique devant la conférence annuelle de l’AAAS.
Les grandes plaines américaines vont probablement connaître au 21e siècle des sécheresses bien pires que celles du dernier millénaire, menaçant ses habitants, avaient annoncé jeudi d’autres scientifiques au premier jour de la conférence. Leur prédiction repose sur des simulations effectuées avec 17 modèles informatiques sur l’évolution du climat.
« Le changement climatique se produit tellement vite que nous allons faire face à une situation sans précédent dans l’histoire de la civilisation humaine face à laquelle nous n’avons aucune expérience », a relevé le climatologue.
« Si nous pouvons –en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ndlr– freiner le réchauffement, nous pourrions avoir plus de temps pour trouver des solutions », selon lui. Mais cela ne paraît pas se produire vu l’absence de consensus dans la société pour agir contre le changement climatique, a-t-il déploré.
James Gerber, expert agricole de l’Université du Minnesota, a noté que parmi les mesures utiles face au risque de crise de la production alimentaire figuraient une réduction de l’énorme gaspillage dans la consommation ainsi qu’une diminution de viande rouge dans le régime alimentaire.
Cela permettrait de réduire la taille des cheptels et leur impact environnemental. Ils sont responsables de 15% des émissions mondiales de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Ce chercheur a identifié « des facteurs un peu préoccupants comme la diminution des réserves mondiales de céréales qui réduit la marge de sécurité alimentaire. » Il s’est aussi inquiété du fait que la plus grande partie de la production céréalière soit concentrée dans des régions vulnérables au réchauffement.
Paul Ehrlich, président du « Center for conservation biology », à l’Université Stanford, a estimé que « nous sommes confrontés à un problème gigantesque qui va nécessiter un véritable changement social et culturel sur toute la planète et nous avons très peu de temps », a-t-il lancé.
« Si nous avions mille ans pour résoudre ce problème je serais très relaxe mais nous avons peut-être dix ou vingt ans », a ajouté l’universitaire.
Réduire le gaspillage alimentaire: une urgence pour le climat
Stéphanie Senet
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Le gaspillage alimentaire issu des ménages pourrait s’accroître de 50% d’ici 2030 en raison de la consommation croissante des classes moyennes dans les pays en développement, alerte un rapport publié le 26 février par le Wrap[1] pour la commission Calderon[2].
[1] Le Waste and Resources Action Programme est une organisation britannique indépendante
[2] La Global Commission on the Economy and Climate est co-présidée par l’ancien président mexicain Felipe Calderon et par l’économiste Nicholas Stern. Elle a été créée par 7 pays: Colombie, Corée du Sud, Ethiopie, Indonésie, Norvège, Suède et Royaume-Uni. Son premier rapport sur l’économie et le changement climatique est paru en septembre 2014.
Depuis un rapport de la FAO[1] de 2013, le gaspillage alimentaire est mieux cerné. Un tiers de la production mondiale part directement à la poubelle. Ce qui produit 7% des émissions annuelles de gaz à effet de serre (GES). Soit environ 3,3 milliards de tonnes équivalent CO2 par an, changement d’affectation des sols exclu. Qu’en sera-t-il à l’avenir? L’étude du Wrap estime à plus de 350 milliards d’euros le coût du gaspillage alimentaire dans le monde, sans compter celui de son traitement. Aux Etats-Unis, par exemple, l’élimination ou la valorisation des déchets de l’alimentation coûte 1,3 Md€ par an, selon l’agence fédérale de l’environnement (EPA).
530 milliards d’euros de gaspillage
L’essor des classes moyennes, en particulier en Chine et en Inde, et le changement des modes alimentaires n’arrangeront rien. Si rien n’est fait, le montant de la facture du gaspillage pourrait atteindre 530 Md€ en 2030, selon un scénario tendanciel. Le pire n’est pourtant pas certain. Des mesures ciblant les déchets des consommateurs peuvent réduire de moitié ce gaspillage. «Nous avons voulu montrer les avantages concrets d’une lutte contre ce gaspillage pour les consommateurs, les entreprises et l’environnement», explique Richard Swannel, directeur de l’alimentation durable au Wrap. Selon lui, il serait possible d’éviter l’émission de 200 Mt à 1 Mdt de GES par an dès 2030.
Des stratégies régionales
Pilote de la politique britannique de prévention des déchets, l’organisation sait que les stratégies doivent être adaptées aux régions où elles s’appliquent. Dans les pays en développement, par exemple, l’amélioration des systèmes de réfrigération permettrait à elle seule de réduire d’un quart le gaspillage. Dans les pays industrialisés d’Asie du Sud et du Sud-Est, il faut surtout s’attaquer au gaspillage des céréales, des fruits, des légumes et de la viande, dont le bilan carbone s’avère le plus lourd. La réduction de 20% du gaspillage alimentaire éviterait l’émission de 200 Mt eqCO2 d’émissions dans cette région. Atteindre de tels objectifs n’a rien d’utopique. Le Royaume-Uni a réduit de 21% en 5 ans le tonnage des déchets alimentaires des ménages, grâce à des campagnes d’information ciblées. L’une des plus efficaces reste «Love food hate waste», montrant l’économie que les familles peuvent réaliser en réduisant leur production de reliefs de repas.
Un protocole mondial d’évaluation
Parmi les actions à engager rapidement, le Wrap estime qu’il faut finaliser le standard mondial d’évaluation du gaspillage alimentaire, sur lequel travaillent actuellement la FAO, le Programme des Nations unies pour l’environnement (Pnue) et le World Resources Institute (WRI). Cet indicateur est en cours d’expérimentation jusqu’à la fin 2015. Des plans d’action, soutenus par les gouvernements, doivent viser toutes les étapes de la chaîne d’approvisionnement. A commencer par les chaînes de distribution alimentaire: les 15 plus grandes enseignes mondiales vendent le tiers des aliments mondiaux. Dans ce domaine, la suppression de la date limite d’utilisation optimale (DLUO en France), que les consommateurs confondent souvent avec la date limite de consommation, s’avère efficace. En France, sa suppression est prévue par l’article 22 undecies du projet de loi sur la transition énergétique, en cours d’adoption au Parlement.
[1] Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture
Les chargeurs d’ordinateur irréparables, symboles énervants du gâchis capitaliste
Vincent Liegey
www.reporterre.net/CHRONIQUE-Les-chargeurs-d
Qui n’a pas déjà senti la moutarde lui monter au nez devant ces appareils irréparables et faits pour ne pas durer ? Un énervement qui mène à cette réflexion : « Le capitalisme rime avec toujours plus… ce qui est peu compatible avec les solutions évidentes à mettre en place face aux enjeux. »
La semaine dernière j’ai dû faire face à un terrible problème : le chargeur de mon ordinateur portable s’est tout d’un coup arrêté de fonctionner…
Il faut dire que mon portable, acheté d’occasion, a plus de huit ans ! Je me suis donc dit qu’il ne devait pas être difficile de trouver un chargeur de deuxième main inutilisé… d’autant plus que les nouvelles générations de la même marque symbolisée par un fruit continuent à utiliser les mêmes chargeurs.
Ayant juste assez de batterie, j’ai envoyé quelques messages sur des réseaux sociaux et à des amis utilisant la même marque que moi. Toutes les réponses allaient dans le même sens : « Toi aussi ? », « Y a pas le choix, il faut en acheter un en Chine sur Internet, sinon il faut casquer avec un nouveau au magasin de la même marque… »
Réparer un chargeur irréparable
Je décide alors de sauter sur mon vélo et me rends dans des petites boutiques de quartiers. Là aussi, mêmes réponses. Mes bricoleurs de quartier ne veulent pas s’aventurer dans la réparation du chargeur que l’on ne peut pas démonter.
Hors de question de participer à cette absurde logique du consommer toujours plus de saloperies fabriquées on sait dans quelles conditions en Chine ! De plus que je viens de finir l’excellent L’âge des « low tech » de Philippe Bihouix, suis actif dans le DiY (Do it Yourself, faire soi-même) depuis des années, ai participé à plusieurs projections débats autour de Prêt à jeter pour dénoncer l’obsolescence programmée. Un chargeur de portable avec deux fils et un simple adaptateur ne vont quand même pas gâcher ma journée et m’obliger à consommer !
Je commence donc à regarder la technologie du chargeur. Première remarque, c’est vraiment impossible à démonter, pas de vis, on ne peut pas ouvrir quoi que ce soit ! Je prends alors un couteau pour couper le plastique entourant la prise se connectant à l’ordinateur, j’enlève le silicone et je regarde…
A priori pas de problème de ce côté. Je décide tout de même de vérifier avec un voltmètre en me rendant à notre atelier vélo Cyclonomia. Confirmation… le problème vient du boîtier central. Problème : comment l’ouvrir ? On essaie de le déboîter, de le casser, impossible. On décide alors d’utiliser un couteau pour couper le plastique, puis une scie à métaux…
Je décide d’aller saluer mes amis du hackerspace, que je n’avais plus visité depuis pas mal de temps. Avec eux, on arrive enfin à ouvrir le boîtier à l’aide d’une scie électrique.
Que se passe t-il à l’intérieur ? Pas grand chose, juste une soudure qui a vécu, on appelle ça l’entropie. Je ressoude, je teste, ça marche. Sans compter le découpage du plastique, la réparation, très simple, aura pris moins de cinq minutes et a nécessité un voltmètre, un fer à souder et un fil d’étain… et une tournée de Club Maté pour les amis du hackerspace. On remonte le tout proprement avec un peu de résine et des gaines en plastique de récupération. J’ajoute un peu de pâte à modeler pour rendre le tout plus joli. Par contre, le découpage du boîtier en plastique non démontable aura pris plus d’une demi-heure et a nécessité une scie électrique…
Capitalisme = expropriation des savoir-faire
Peut-on parler d’obsolescence programmée ? Difficile de conclure si vite, il faudrait le prouver, mais force est de constater que cet adaptateur n’a été conçu ni pour durer, ni pour être réparable. Dans une logique de low-tech, cet adapteur devrait être standard, construit simplement, démontable/réparable et ne faisant face qu’à l’entropie lui offrant une bien belle espérance de vie. On en est bien loin.
Au-delà de ce petit souci de transhumaniste, en effet, on est vite perdu sans son ordinateur portable par les temps qui courent, cette expérience m’a rappelé la discussion que j’avais eue quelques jours plus tôt sur la compatibilité d’une société low-tech et autonome avec un capitalisme vert.
En effet, alors qu’au même moment, à quelques dizaines de mètres Viktor Orban et Vladimir Poutine se rencontrent pour parler parler de gaz, je participe à un débat avec Hunter Lovins, en live de New York sur le thème : économie soutenables / Décroissance… le tout à l’Université d’Europe Centrale créée par Georges Soros.
Hunter Lovins, présentée par Newsweek comme une « green business icon », a écrit plusieurs ouvrages sur des solutions capitalistes pour répondre aux enjeux environnementaux. Si on se retrouve sur le diagnostic, et même sur la critique, une critique radicale du néo-libéralisme (ce qui m’a surpris, Lovins faisant des Chicago boys les responsables de tous nos problèmes), très vite un désaccord important émerge autour du rôle joué par les multinationales et les plus riches dans la construction d’alternatives et de solutions cohérentes.
Hunter Lovins n’a pas tort quand elle souligne la force de frappe du capitalisme dans nos sociétés : ils ont les moyens de faire changer les choses. Mais la forte contradiction de son approche est que changer les choses, c’est-à-dire consommer moins, relocaliser, concevoir dans la logique des low-tech et de l’autonomie (open source, simple, interchangeable, réparable, réutilisable, recyclable), signifie une redistribution radicale, donc une remise en question de leur position de dominant.
De même, Karl Polanyi nous montre comment l’histoire du capitalisme s’est faite, à partir de l’enclosure en Angleterre dans une logique d’expropriation des terres, mais aussi des savoir-faire, de l’autonomie, dans une logique d’accumulation et d’exploitation toujours plus forte. Il est peu probable d’assister à un retournement de situation altruiste, les oligarques dilapidant leur capital pour mieux redistribuer les communs et sauver la planète…
Pour revenir à mon histoire d’adaptateur. La marque qui le construit n’a aucun intérêt à simplifier sa technologie, à le standardiser, à le rendre réparable dans chaque hackerspace de quartier. De même pour l’ordinateur qui va avec. Nous rendre autonomes avec ces produits, c’est nous « offrir » ce qui fait la richesse des multinationales… cela consisterait à dilapider son capital.
La discussion s’est donc terminée sur ce constat : capitalisme rime avec toujours plus… ce qui est peu compatible avec les solutions évidentes à mettre en place face aux enjeux énergétiques, écologiques mais aussi sociaux, économiques et politiques.
Vive la relocalisation, les low-tech, l’open source et les hackerspaces et autre ateliers DiY de quartier… donc vive la Décroissance conviviale.
Mobiliser l’énergie sociale
Jean Merckaert
www.revue-projet.com/articles/2015-02-mobiliser-l-energie-sociale/
- Le consensus s’impose pour tous les acteurs du Grenelle de l’environnement : l’avènement d’un modèle soutenable passe par une taxe carbone. Mais la mesure n’est guère expliquée. Le concert des protestations s’organise. La société française n’est pas prête. L’avis contraire du Conseil constitutionnel sur les modalités de mise en œuvre viendra opportunément justifier le retrait du projet. Ce diagnostic, posé par J.-C. Hourcade dans son article « La taxe carbone, post-mortem » (Revue Projet, n° 330, oct. 2012), fut pour nous un déclic. D’évidence, la transition énergétique ne serait pas menée à l’encontre de la société – surtout si le piège devait se refermer d’abord sur ses franges les plus fragiles (cf. Revue Projet, n° 334), ni à son insu. Elle serait sociale ou ne serait pas.
Avec des chercheurs, des acteurs du champ éducatif, caritatif, syndical, des cadres d’entreprises, nous avons voulu mesurer la portée de ce constat. Déceler, par une recherche-action et un colloque (en septembre 2014), les enjeux de justice sociale derrière la question apparemment technique de l’énergie. Ce numéro est le fruit de ce processus. Si les défis techniques sont indéniables, autour de l’isolation des bâtiments ou des infrastructures nécessaires à la nouvelle géographie de la production énergétique que dessinent les renouvelables (cf. D. Maillard), l’on peut penser que l’intelligence humaine saura les relever, pourvu que la volonté politique et les financements soient au rendez-vous.
Mais la question de l’énergie traverse plus profondément l’ensemble des secteurs de notre société. Quand le seul choix qui reste est se chauffer, se nourrir ou se déplacer, ce sont les relations humaines qui sont menacées (cf. les réflexions de l’association Magdala). Pensée à l’âge du pétrole bon marché, la mobilité est devenue une nécessité professionnelle, scolaire, relationnelle. La concevoir comme un droit suppose de reconsidérer nos modes de transport, notre aménagement du territoire (cf. J.-P. Orfeuil). L’étalement urbain lui-même résulte notamment de l’explosion des prix du foncier, qui a relégué les ménages sans héritage loin des centres. Densifier la ville, la rendre moins dépendante à l’énergie demandera de revoir à la baisse la part des dépenses de logement dans le budget des ménages (cf. É. Lagandré et V. Renard). Et sans doute, à la hausse, celle de l’alimentation, dès lors qu’elle serait le fruit d’une agriculture moins gourmande en pétrole (cf. C. Couturier). Quand la précarité énergétique (logement ou transport) est déjà une réalité pour près d’un quart des Français, l’inscription dans la loi d’un droit d’accès aux services énergétiques est une bonne nouvelle. Mais, au-delà du chèque énergie, énième dispositif palliatif sectoriel, c’est à une refonte du système de protection sociale qu’invite l’affirmation d’un tel droit (cf. S. Rivoalan et F. Tocqué).
La fin souhaitable d’énergies fossiles bon marché bouscule, plus radicalement, nos imaginaires. Comment remettre en cause le consumérisme sans contester aussi l’affirmation de soi par l’avoir et le rêve de la société d’abondance (cf. D. Méda) ? Celles et ceux qui tentent de vivre ou d’échafauder d’autres rêves sauront-ils convaincre ? Séduire ? C’est finalement à l’invention d’un nouveau récit collectif que nous sommes conviés (cf. S. Lavelle). Le chantier est immense. Passionnant aussi. Si nous prenions le temps d’en débattre, afin que chacun y trouve un sens, une place ? Sauf que débattre requiert du temps. Or nous n’en avons plus guère, avertit B. Villalba, qui prédit une contraction démocratique. L’urgence est bien là, pas tant par manque de ressources fossiles (cf. J.-C. Hourcade et N. Nakicenovic) que parce que les menaces pour le climat et la biodiversité nous interdisent de toutes les exploiter. Avec le CO2 contenu dans les seules réserves en gaz de schiste, nous aurions trois fois de quoi provoquer un réchauffement de 2°C !
- Année décisive pour le climat. Beaucoup regardent hébétés le monde qui les fait vivre se détruire sous l’effet de leur propre action. Les dirigeants tergiversent. D’où l’impératif que nous, citoyens, déjouions le risque de paralysie : en montrant qu’autre chose est possible et, plus encore, en recourant à la seule émotion qui permette de surpasser la peur : la joie (cf. P. Viveret). Une chance que cette énergie soit renouvelable !
Écologie : pourquoi bouge-t-on si peu ?
Patrick Viveret
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Notre maison brûle, nos sociétés marchent sur la tête, mais l’on regarde ailleurs. Pourquoi ? La sidération se conjugue avec l’illusion qu’on aura le temps et l’incapacité à imaginer d’autres issues. D’où l’importance de démontrer, par l’exemple, qu’autre chose est possible. Et enthousiasmant.
On peut lire les grands enjeux de notre temps à travers le prisme de trois grandes insoutenabilités (financière, sociale, écologique)[1]. Si cette dernière n’est guère perceptible à l’aune du seul produit intérieur brut, elle est évidente si l’on regarde l’aggravation de l’empreinte écologique. L’alerte a été lancée maintes fois : il faudrait plusieurs planètes pour étendre le mode de production, de consommation et de déjection des pays occidentaux à toute la population humaine. Dès lors que l’Inde et la Chine ont adopté ce modèle, l’insoutenabilité est patente. Les pays en développement sont les premiers concernés. Selon les autorités chinoises, au rythme actuel de désertification, d’urbanisation, d’usage de la voiture, il faudra déménager Pékin d’ici une trentaine d’années : la barrière forestière qui sépare la ville du désert de Gobi est de plus en plus fragilisée et les vents de sable menacent la capitale, déjà gravement polluée, d’ensablement.
L’insoutenabilité sociale se manifeste de façon spectaculaire par le creusement des inégalités : selon Oxfam, la fortune personnelle de 67 personnes[2] est égale aux revenus cumulés de la moitié des habitants de la terre (3,5 milliards). En 1998, selon le Programme des Nations unies pour le développement, la fortune de 225 d’entre elles équivalait au revenu de 2,5 milliards d’êtres humains. On marche sur la tête ! Jamais les inégalités entre classes sociales n’ont été si fortes. Ce que confirme Warren Buffet : « Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner. » Cette situation est aggravée par la machine à aspirer la richesse au profit d’une petite fraction de la population mondiale[3]. Les effets sont dramatiques sur le plan démocratique : le passage d’une économie de marchés à une société de marchés[4] signifie que tout devient marchand, y compris les relations humaines ou amoureuses, le politique, les enjeux éducatifs et spirituels, etc. En détruisant la substance même des sociétés, leurs valeurs, leur identité, ce fondamentalisme marchand ouvre des autoroutes au fondamentalisme identitaire.
L’insoutenabilité financière est perceptible, elle, dans le volume des transactions sur les marchés financiers, trente fois supérieur à celui des échanges de biens et services. Une montagne spéculative gonfle des bulles aux conséquences de plus en plus désastreuses.
Face à un tel constat, tout le monde devrait être sur le pont, interpeller les responsables publics, déclencher des pressions citoyennes, des mouvements alternatifs. Mais dans le flot des catastrophes annoncées tous les matins (sans être hiérarchisées), les problèmes liés au climat, à l’énergie, à la biodiversité, à la crise financière, finissent par tomber dans l’escarcelle du « tout va mal ». Et même si, pour des fractions croissantes de la population, les conséquences sont redoutables, nos modes de vie et d’organisation ne sont guère ébranlés. Bernard Perret évoque une situation de « drôle de guerre » : on sait que l’on est entré dans une période absolument dramatique de l’histoire, mais rien n’a fondamentalement changé. Pourquoi ? Comment dépasser l’inertie ?
Des contradictions qui paralysent
Nous sommes confrontés à plusieurs contradictions. La contradiction émotionnelle est liée à la gravité même de la situation. Les diagnostics alarmistes n’émanent plus simplement de militants, mais aussi de groupes d’experts comme le Giec, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (on prend le chemin de ses prévisions les plus pessimistes). Un rapport financé par la Nasa, étudiant dans l’histoire les effondrements d’empires et de civilisations, explique qu’il est en train de se produire la même chose, au niveau mondial cette fois. Il repère deux causes majeures : la destruction des écosystèmes et le creusement des inégalités sociales, avec des oligarchies complètement autistes.
Seulement, plus on en reste à une logique d’alerte et de dramatisation qui, rationnellement, devrait provoquer davantage de convergence et d’énergie, plus le choc, au contraire, produit de la peur, du repli et, finalement, de l’impuissance.
Cette contradiction se retrouve face à l’explosion des inégalités : les catégories intermédiaires devraient repérer combien la logique de captation des richesses par les ultra-riches est la cause principale de leur déclassement. Mais les ultra-riches leur paraissent tellement inaccessibles que les classes moyennes, se sentant menacées, cherchent à maintenir une distinction sociale en se retournant contre plus pauvres qu’elles : aujourd’hui contre les immigrés, les « fainéants » au RSA, les Roms… Wilhelm Reich parlait de la « peste émotionnelle ».
À cette contradiction émotionnelle, il faut ajouter la contradiction temporelle. Certes, la gravité des enjeux écologiques est à court terme (2050 est un très court terme écologique) mais, sur le plan social, pour des milliards d’êtres humains, « le projet de vie est à 24 heures » pour reprendre une expression de Bertrand Schwartz. 2050, ou même 2030, c’est une éternité quand on se demande comment survivre ou faire survivre sa famille dans les jours qui viennent. Cette double contradiction tend à faire diverger les forces écologiques et sociales.
Or on n’avancera pas sur les défis écologiques si l’on n’avance pas aussi – et prioritairement – sur la question sociale. Il revient aux mouvements écologistes de l’entendre, et au mouvement syndical de faire sienne la question écologique. Une vaste coalition qui dirait, par exemple : « Les dizaines de milliards de la fraude fiscale, profitant du poumon des paradis fiscaux, sont intolérables au regard des investissements écologiques et sociaux nécessaires », donnerait une base de négociations. Elle pourrait inviter à substituer la sobriété (on attaque le superflu des ultra-riches) aux logiques d’austérité (on attaque le nécessaire des plus pauvres). Une troisième contradiction est celle de l’imaginaire.
On avancera dans le traitement du problème que si l’on imagine des solutions possibles.
Sinon, le mécanisme de protection psychologique est le déni (« de toutes façons, on ne peut rien y faire »). Quand votre imaginaire est structuré par la fameuse trinité macroéconomique croissance, compétitivité, emploi, sans savoir de quel type de croissance, de quels types d’emplois on parle, quand on ignore les vaincus du système, la priorité sera de rétablir la compétitivité, nécessaire à la croissance, elle-même condition de l’emploi… Et on verra après. Or cet imaginaire du capitalisme, laissé à sa propre logique de puissance, détruit le sens des échanges, y compris les marchés sur la longue durée.
On a l’habitude de ne voir les croyances que dans l’univers religieux. Or l’imaginaire économique est lui aussi peuplé de croyances ! L’être humain est un animal croyant beaucoup plus qu’un animal rationnel ! Leur rôle est d’autant plus important qu’il n’est pas reconnu. Par exemple, une croyance attribue l’arrivée au pouvoir d’Hitler à l’inflation. Faute de l’interroger, il devenait raisonnable de priver les États du pouvoir de création monétaire, de rendre les banques centrales indépendantes. Or cette croyance est fausse : le moment critique de l’ascension de Hitler est lié à la politique de déflation du chancelier Brüning et au chômage de masse qui s’en est suivi. Même sous la République de Weimar, l’hyperinflation était liée à la démesure des réparations exigées par le traité de Versailles, et non à ses dépenses sociales.
Il faut avoir une conscience claire de ce nœud de contradictions pour concevoir une alternative. Un sommet sur le climat comme celui de Copenhague, en 2009, a été un échec institutionnel, mais aussi un échec pour la société civile, qui s’est contentée, avec des formes d’action militantes classiques, d’alerter et de dire aux gouvernements : « Agissez, agissez », participant ainsi à l’aggravation du sentiment d’angoisse.
La joie, un enjeu politique
Certains mouvements, comme Alternatiba, né à Bayonne en 2013, ont compris que l’on ne pouvait avancer sur les risques majeurs que si l’on débloquait des perspectives émotionnellement porteuses.
Il faut faire une démonstration positive, créative – le plus possible porteuse de joie de vivre – de la possibilité de changer de modes de consommation, d’organisation, de production.
Sans que cela signifie l’ascétisme le plus complet ou le retour à la bougie ! Alternatiba a lancé un mouvement, qui s’internationalise, un relais de villes et de territoires afin de mettre en avant tout ce qui se fait déjà et ce qui pourrait se déployer : circuits courts, finance solidaire, etc.
Démontrer par l’exemple qu’il est possible de faire autrement, c’est sortir de la logique du déni. Les différents acteurs sociaux et écologiques peuvent se retrouver pour construire, avec les pouvoirs publics et les collectivités territoriales. Car le rôle des territoires et la capacité d’y construire un processus démocratique autour des enjeux de transition sont ici essentiels. L’échelle, quand elle est à la portée des acteurs, permet de sortir des logiques de panique, de mettre en œuvre une intelligence du cœur.
Un mouvement dans ce sens est en train de monter dans la préparation du sommet de Paris sur le climat. Le collectif citoyen pour la transition, Alternatiba, avec l’appui de divers mouvements associatifs (Dialogues en Humanité, villes et territoires en transition, Terre de liens, la Nef, Attac, Roosevelt 2012, etc.), voient dans le sommet de Paris en 2015 un enjeu non seulement pour les institutions, mais pour la société civile elle-même.
Des philosophes comme Spinoza avaient déjà mis en évidence ce constat anthropologique fondamental : seule l’énergie de la joie est suffisante pour s’opposer aux émotions engendrées par la peur.
Il ne faut donc pas hésiter à faire du bonheur, de l’entraide, de la joie de vivre, des enjeux politiques et sociétaux, et pas seulement personnels.
Les défis d’éducation populaire sont énormes. Dans les réseaux citoyens pour la transition, la logique qui prévaut est celle de la transmission aux jeunes : « On vous passe le relais, c’est vous qui allez nous dire, en quoi, sur quoi et comment vous avez besoin de nous. » Avec l’énergie qui les anime, les jeunes ne veulent pas passer leur vie à se désoler d’être nés au XXIe siècle. Ils recherchent un récit positif sur le devenir de la famille humaine.
Débloquer les imaginaires commence ainsi par nommer la nature de la transition souhaitable : il ne suffit pas de dire que l’on a besoin d’une transition ! Convivialisme, « buen vivir » : ces mots-clés font de plus en plus figures de facteurs communs. Le convivialisme est une qualité de société et de vivre ensemble, qui suppose de sortir de l’imaginaire et de la sémantique du capitalisme, non pas en allant chercher dans les alternatives antérieures, mais comme un mouvement à co-construire. La question du buen vivir, elle, est apparue fortement au Forum social mondial de Belém, en 2009. Ce référent fait sens pour nombre d’acteurs : il se situe d’emblée dans une co-construction par rapport à des enjeux qui nous dépassent tous.
La conscience de la gravité est nécessaire, mais le chantier d’espérance est passionnant, voire enthousiasmant : nous sommes à ce moment critique de l’humanité où notre famille humaine risque la sortie de route, la mortalité infantile (qu’est-ce que 200 000 ans par rapport à d’autres espèces ?). Elle peut aussi, si elle transforme ces défis en opportunités, franchir un saut qualitatif : grandir en humanité. Edgar Morin parle de « métamorphose ». C’est là un enjeu tout à fait passionnant !