Bizi !

Articles du Vendredi : Sélection du 5 septembre 2014 !

La fonte des calottes polaires s’accélère

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/planete/article/2014/09/03/la-fonte-des-calottes-polaires-s-accelere_4480944_3244.html

Queensland: la « bombe de carbone » est activée

Caroline Lafargue
www.radioaustralia.net.au/french/2014-07-29/queensland-la-bombe-de-carbone-est-activ%C3%A9e/1349596

L’incinération sauvage, poison mondial

Romain Loury
www.journaldelenvironnement.net/article/l-incineration-sauvage-poison-mondial,49397?xtor=EPR-9

Un tremplin en ligne pour l’économie circulaire

Stéphanie Senet
www.journaldelenvironnement.net/article/un-tremplin-en-ligne-pour-l-economie-circulaire,49496?xtor=EPR-9

Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une nouvelle

Le Dernier Appel
www.reporterre.net/spip.php?article6204

« Toujours plus vite » : ces dissidents pour qui il est urgent de ralentir

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Toujours-plus-vite-ces-dissidents

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La fonte des calottes polaires s’accélère

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/planete/article/2014/09/03/la-fonte-des-calottes-polaires-s-accelere_4480944_3244.html

Six fois le lac Léman, le plus grand lac naturel d’Europe occidentale : c’est l’équivalent du volume des glaces que perdent, chaque année, l’Antarctique de l’Ouest et le Groenland, en conséquence du changement climatique en cours. Dans une étude publiée fin août par la revue The Cryosphere, des chercheurs allemands estiment qu’en moyenne, entre janvier 2011 et janvier 2014, les deux grandes calottes polaires se sont délestées annuellement de quelque 500 milliards de tonnes (Gt) – soit autant de glace déversée dans l’océan. Toujours plus rapide, la réduction des deux grands inlandsis est désormais un facteur majeur dans l’élévation du niveau des mers, au côté de la fonte des glaciers d’altitude et de la dilatation des océans (plus ils se réchauffent, plus leur volume augmente).

Les auteurs, conduits par le glaciologue Veit Helm (Alfred Wegener Institute), estiment que, sur ces 500 Gt de glace perdue, environ 375 Gt sont attribuables au Groenland et 125 Gt à l’Antarctique ; leurs résultats confirment des ordres de grandeur connus, mais frappent par l’ampleur de l’accélération observée. La perte de masse de l’Antarctique de l’Ouest a ainsi triplé par rapport à la moyenne relevée au cours de la période 2003-2009, et a doublé pour le Groenland.

« Ce sont de beaux résultats, commente le glaciologue Eric Rignot (université de Californie à Irvine, NASA), qui n’a pas participé à l’étude. Ils sont cohérents avec ceux obtenus par d’autres méthodes de mesure et offrent les dernières données disponibles en date. » Quant à l’accélération observée, ajoute M. Rignot, « elle est forte mais conforme à ce à quoi on pouvait s’attendre ».

UN DÉCLIN SANS RETOUR

Pour établir leurs estimations, les chercheurs allemands ont utilisé le satellite européen Cryosat-2, lancé en avril 2010, dont l’altimètre est capable de mesurer la hauteur des calottes glaciaires avec une précision jusqu’à présent inégalée. Ils ont ensuite comparé ces données avec celles obtenues au cours de la décennie précédente par la mission américaine ICESat.

La tendance obtenue est sans équivoque. « Le signal est désormais tellement fort qu’il n’est plus possible de penser qu’il ne s’agit que d’un phénomène transitoire, estime M. Rignot. Nous sommes devant un phénomène qui est installé durablement. » De fait, plusieurs travaux récents concluent que les grands glaciers de l’Antarctique de l’Ouest s’amenuisent désormais si vite que l’inertie du phénomène rend inévitable leur disparition quasi totale à terme  probablement plusieurs siècles.

En mai, des chercheurs américains avaient ainsi étudié les six plus grands glaciers de l’ouest du continent blanc, contribuant à eux seuls à un dixième de l’élévation du niveau de la mer – actuellement d’environ 3,3 mm par an. Ils avaient conclu que ces six léviathans de glace, qui couvrent ensemble une superficie comparable à celle de la France, étaient engagés dans un déclin sans retour. Au Groenland, d’autres campagnes de mesures ont montré, en février, que le grand glacier Jakobshavn s’écoulait vers la mer à la vitesse vertigineuse de 46 mètres par jour.

Les données obtenues par le satellite Cryosat-2 vont dans le même sens. Cette accélération de la perte de glace des inlandsis polaires a pour principal corollaire une augmentation du niveau marin qui, sans politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre, pourrait excéder un mètre d’ici à 2100 – la fourchette haute des estimations publiées à l’automne 2013 dans le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Depuis la fin du XIXe siècle, les océans se sont élevés d’une vingtaine de centimètres en moyenne (avec de fortes disparités). Une réalité déjà tangible dans de nombreuses régions du monde – comme l’Aquitaine ou l’est des Etats-Unis –, où l’élévation des mers, combinée à des épisodes de hautes eaux (tempêtes, marées, etc.), provoque de plus en plus de dégâts.

Queensland: la « bombe de carbone » est activée

Caroline Lafargue
www.radioaustralia.net.au/french/2014-07-29/queensland-la-bombe-de-carbone-est-activ%C3%A9e/1349596

Elle produira 60 millions de tonnes de houille et émettra 130 millions de tonnes de CO2 par an. La méga-mine de Carmichael, dans le Queensland, sera l’une des plus grandes au monde, et la plus grande d’Australie.

 

Ces 60 millions de tonnes de houille annuelles vont partir à l’exportation, vers l’Inde, où elles serviront à produire de l’électricité pour 100 millions d’Indiens.

Le ministre de l’Environnement, Greg Hunt vient de donner son feu vert final. L’étude d’impact environnemental a été déposée et acceptée lundi.

 

Selon Greenpeace, les Verts et les Travaillistes australiens, la méga-mine de Carmichael menace très concrètement la Grande Barrière de Corail. Mais selon Greg Hunt :

 

« Cette mine est située à près de 500 kilomètres de la côte, dans l’Outback, donc je ne vois pas comment on peut dire qu’elle aura un impact sur la Grande Barrière de Corail. » 

 

Ces 60 millions de tonnes de houille annuelles vont partir à l’exportation, vers l’Inde, où elles serviront à produire de l’électricité pour 100 millions d’Indiens. L’exploitant de la mine, la compagnie indienne Adani, devra construire un terminal spécial dans le port d’Abbott, d’où partiront 450 navires par an. Pour ce faire, Adani draguera 5 millions de tonnes de sédiments, qu’elle déposera dans le parc naturel de la Grande Barrière de Corail. Et pour aller en Inde, ces navires chargés de charbon traverseront la Grande Barrière de Corail. C’est ce qui inquiète le plus les écologistes.

 

Maintenant que le gouvernement australien a autorisé le projet de Carmichael, il reste un seul espoir aux écologistes : qu’Adani ne parvienne pas à réunir le capital pour exploiter la mine. Il lui faut en effet trouver 16.5 milliards de dollars. Car la mine étant en plein Outback, la compagnie minière devra construire une ligne de chemin de fer, et un réseau de distribution d’électricité et d’eau avant de commencer à extraire le charbon. Pour Tim Buckley, de l’Institut d’analyse financière et économique de l’énergie, le projet de Carmichael n’est tout simplement pas réaliste :

 

« En Australie, il y a des mines de charbon qui sont situées juste à côté d’une ligne de chemin de fer, cinq fois plus près du port que celle de Carmichael. Et les exploitants de ces mines perdent de l’argent, ils sont contraints de les fermer. Dans ce contexte, il est difficile de comprendre pourquoi Adani se lance dans le projet de Carmichael, alors qu’elle n’a pas encore réuni le capital nécessaire pour construire la mine, et que toutes les infrastructures sont à construire. » 

 

Réunir le financement sera ardu. Mais un partenaire coréen, Posco, est pressenti. Il co-financerait la ligne de chemin de fer de la mine au port. Michael Roche :

 

« Il y a plein d’exemples de mines isolées dans le Queensland, pour lesquelles les exploitants ont du construire les infrastructures de base, routes, chemin de fer, réseau d’électricité, etc. Ça n’a rien d’inhabituel. C’est ce qui s’est passé dans le bassin de Bowen dans les années 50. Ce sont des obstacles surmontables. » 

 

Michael Roche, au micro de Stephanie Smail. L’investissement dans la méga-mine de Carmichael s’annonce considérable, mais le retour sur investissement est prometteur : d’ici 2030, l’Inde achètera 290 millions de tonnes de charbon, et la Chine, plus de 300 millions.

L’incinération sauvage, poison mondial

Romain Loury
www.journaldelenvironnement.net/article/l-incineration-sauvage-poison-mondial,49397?xtor=EPR-9

Dans le monde, 41% des déchets seraient incinérés à l’air libre dans des arrière-cours ou des décharges sauvages, révèle une étude publiée dans la revue Environmental Science & Technology, la première à livrer des données par pays. De quoi revoir largement à la hausse les émissions de polluants.

 

Quiconque a voyagé en Afrique ou en Asie s’en est aisément rendu compte: rarement collectés, les déchets sont le plus souvent incinérés sans aucun contrôle, que ce soit à domicile ou dans des décharges improvisées. Or ce phénomène pourrait bien faire exploser les compteurs en matière d’émissions de polluants. Car contrairement aux incinérateurs officiels, cette pratique omniprésente, difficile à quantifier, est rarement prise en compte dans les calculs.

Menée par Christine Wiedinmyer, du National Center for Atmospheric Research (NCAR) de Boulder (Colorado), et ses collègues, une nouvelle étude, la première à évaluer le phénomène au niveau mondial, révèle son ampleur. Bien que forcément entachée d’approximations, cette modélisation mathématique montre que 41% des déchets mondiaux seraient détruits de cette manière. Soit 970 des 2.400  millions de tonnes que produisent chaque année 7 milliards de Terriens, dont 620 millions de tonnes brûlées à domicile et 350 millions de tonnes dans des décharges.

Pour parvenir à cette estimation, les chercheurs se sont livrés à un véritable travail de fourmi. Pour chaque pays, ils ont estimé la masse de déchets non collectés et brûlés à domicile, ainsi que la masse de ceux collectés mais brûlés en décharge. Le tout en tenant compte de nombreux paramètres, tels que taux de collecte des déchets par pays, profil urbain/rural de la population, quantité de déchets totaux produits par habitant, etc.

En matière d’incinération sauvage, ce sont, sans surprise, les grands pays en développement qui s’avèrent les plus importants pollueurs: Chine, Inde, Brésil, Mexique, Pakistan et Turquie. En Chine, 278 des 478 millions de tonnes de déchets produites chaque année, soit 58,2%, sont ainsi détruites de cette manière.

64% des émissions de HAP

Les chercheurs vont jusqu’à estimer l’impact de ces incinérations sauvages par type de polluant. Et il y a de quoi prendre peur: elles seraient responsables de 64% des émissions mondiales d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), de 29% des particules PM2,5, de 25% du benzène, de 10% du mercure et de 10% du monoxyde de carbone.

Si l’impact est plus faible pour le CO2 (5% de celui d’origine humaine) et le méthane (1%), il peut s’avérer très élevé localement: par exemple au Sri Lanka ou au Mali, dont les émissions de CO2 liés à l’incinération sauvage dépassent les émissions totales telles qu’estimées actuellement. Marginal au niveau mondial, le phénomène est donc majeur au niveau local pour ces gaz à effet de serre.

Mieux équipés en matière de collecte, les pays riches ont évidemment moins de souci à se faire. Les résultats -issus d’une modélisation, doit-on rappeler-, n’en révèlent pas moins des différences d’un pays à l’autre: la France s’avère ainsi plutôt vertueuse, avec 524.000 tonnes brûlées chaque année à domicile pour 45,5 millions de tonnes de déchets annuels (1,15%). Un peu mieux que les Etats-Unis (1,28%), que l’Italie (1,7%). Mais largement devant l’Allemagne (4,6%) dont le taux de collecte n’est que de 71%, contre 87% en France.

Un tremplin en ligne pour l’économie circulaire

Stéphanie Senet
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Le premier magasin en ligne de produits certifiés «cradle to cradle»[1] (C2C) vient d’ouvrir ses portes sur internet. Un lancement qui devrait permettre aux produits estampillés «économie circulaire» de changer d’échelle et d’être accessibles au grand public.


[1] Du berceau au berceau

 

Doucement mais sûrement, le cradle to cradle quitte la clandestinité en Europe. Cela fait une trentaine d’années que le concept du «berceau au berceau» a été théorisé par le chimiste allemand Michael Braungart et l’architecte américain William McDonough. Mais il a fallu attendre 2002 pour que sorte la version anglaise du livre qui le présente[1]. Un opus qui a d’ailleurs décidé les deux jeunes entrepreneurs britanniques Paul Capel et Brendon Rowen à lancer leur plate-forme de vente en ligne de produits C2C auprès du grand public, Cradle to cradle Marketplace.

Pour rappel, le cradle to cradle vise à fabriquer des produits recyclables ou réutilisables à l’infini, sans aucun dommage pour la santé ni l’environnement. C’est le cas des serviettes de toilette de la marque belge Jules Clarysse qui inaugurent le magasin en ligne britannique. Mis en vente à partir de ce 1er septembre, ces produits sont fabriqués en coton biologique biodégradable (et donc compostable), étiquette et fils de couture compris. Les colorants et l’encre utilisés sont également certifiés «cradle to cradle». «Le véritable défi a été de créer des pigments biodégradables répondant aux critères du C2C. Cela nous a pris deux ans», précise Peter Bauwens, directeur de la firme belge.

 

Une certification évolutive

«Le standard de certification C2C se décline en 5 critères principaux, touchant à l’analyse des matériaux (qui ne doivent être ni toxiques[2] ni irritants ni allergènes), la réutilisation des produits (selon leur recyclabilité et l’utilisation de matières recyclées), la consommation d’énergie (énergies renouvelables et non carbonées en tête), la consommation et la qualité de l’eau (qui doit ressortir aussi pure qu’elle est entrée) et la responsabilité sociale de l’entreprise (législation du travail et contrôle des fournisseurs)», détaille Eric Allodi, co-fondateur d’Epea France, une société accompagnant en France des entreprises vers la certification C2C.

Au cœur de la transition vers le C2C, cette certification s’avère par ailleurs évolutive, ses critères étant régulièrement mis à jour par une cinquantaine de chercheurs travaillant pour trois laboratoires d’évaluation.

 

Plus d’un millier de produits dans le monde

Plus d’un millier de produits, issus de 250 entreprises, en bénéficient dans le monde, selon l’organisme certificateur C2C Product Innovation Institute, situé en Californie et dont une antenne a également ouvert à Venlo aux Pays-Bas.

«Les Pays-Bas, les pays scandinaves et la Suisse sont clairement en avance sur le sujet. L’Allemagne et l’Autriche proposent aussi des produits dans une moindre mesure. Quant à la France, on sent un démarrage depuis un an et demi», analyse Eric Allodi. Des grandes entreprises comme Veolia ou Castorama sont intéressées. Le spécialiste du traitement de déchets préparerait une plate-forme pour permettre aux déchets-ressources collectés d’être réutilisés ou recyclés, dont la sortie est prévue avant la fin de l’année.

Du côté des produits déjà labellisés C2C, le choix s’avère éclectique. On trouve aussi bien des revêtements de sol (Tarkett), des produits d’entretien (Ecover ou Method), que des collants (Dim)! Des vêtements produits par le fabricant allemand Trigema seront par ailleurs les prochains vendus en ligne sur le site britannique.

Le lancement de C2C Marketplace montre surtout que les entreprises ne sont plus les seules destinataires des produits cradle to cradle. Le grand public aussi a droit à des produits sains pour sa santé et son environnement.

 


[1] «Cradle to cradle, remaking the way we make things»

[2] La non-toxicité n’est pas appréciée par rapport à la réglementation mondiale mais à l’état de la recherche scientifique

Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une nouvelle

Le Dernier Appel
www.reporterre.net/spip.php?article6204

 « Nous sommes pris au piège de la dynamique perverse d’une civilisation qui ne fonctionne pas si elle ne croît pas et qui, avec sa croissance, détruit les ressources naturelles qui la rendent possible. (…) Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une nouvelle. » Et vite ! Voici le Manifeste « Le dernier appel » lancé il y a peu en Espagne.


Il y a peu en Espagne, le manifeste « Le dernier appel » a été lancé par plus de 250 chercheur-e-s, militant-e-s, syndicalistes, politiques de différents partis, etc., afin d’alerter sur l’effondrement écologique et social à venir si rien n’est fait pour y remédier.

En peu de jours, ce manifeste a reçu plus de six mille signatures et a été diffusé largement au travers des réseaux sociaux et de la presse en Espagne et bien au-delà, en anglais, en portugais, en italien, en grec, en esperanto… Le voici en français.


Les citoyennes et citoyens européens, dans leur grande majorité, pensent que la société de consommation actuelle peut « s’améliorer » dans le futur (et qu’elle devrait le faire). En même temps, une bonne partie des habitants de la planète espère se rapprocher petit à petit de nos niveaux de bien-être matériel.

Néanmoins, ces niveaux de production et de consommation ont été atteints au prix de l’épuisement des ressources naturelles et énergétiques et d’une rupture des équilibres écologiques de la Terre.

 

Vers un effondrement de civilisation

Rien de tout cela n’est nouveau. Les chercheur/ses et scientifiques les plus lucides tirent la sonnette d’alarme depuis le début des années 1970 : si les tendances de croissance actuelles (économique, démographique, d’utilisation des ressources, de génération de pollution et d’augmentation des inégalités) se poursuivent, le résultat le plus probable sera l’effondrement de la civilisation.

Aujourd’hui, les nouvelles indiquant que la voie de la croissance est un génocide au ralenti s’accumulent. La baisse de la disponibilité d’énergie bon marché, les scénarios catastrophiques du changement climatique et les tensions géopolitiques pour les ressources montrent que les tendances de progrès du passé s’écroulent.

Face à ce défi, ni le mantra superficiel au sujet du développement durable ni le simple fait d’adopter les technologies éco-efficaces ou ladite « économie verte » — qui dissimule la marchandisation généralisée des ressources naturelles et des services écosystémiques — ne suffisent. Les solutions technologiques censées lutter contre les nombreuses crises environnementales ou contre le déclin énergétique ne suffisent pas non plus.

De plus, la crise écologique n’est pas quelque incident isolé. Elle est essentielle et affecte bien des aspects de la société : alimentation, transport, industrie, urbanisation, conflits militaires… En fin de compte, elle concerne le fondement de notre économie et de nos vies.
L’impasse

Nous sommes pris au piège de la dynamique perverse d’une civilisation qui ne fonctionne pas si elle ne croît pas et qui, avec sa croissance, détruit les ressources naturelles qui la rendent possible. Notre culture, qui idolâtre la technologie et le marché, oublie que nous sommes, fondamentalement, dépendants des écosystèmes et interdépendants.

La planète ne peut pas soutenir la société productiviste et consumériste. Nous avons besoin de bâtir une nouvelle civilisation capable d’assurer une vie dans la dignité pour une énorme population humaine (aujourd’hui, plus de 7,2 milliards de personnes), en constante croissance, qui habite un monde dont les ressources sont en déclin. Ce but ne peut être atteint que si nous changeons radicalement de mode de vie, de formes de production, de conception des villes et d’aménagement du territoire.

Et, plus que tout, il ne peut être atteint qu’au moyen de changements radicaux dans les valeurs qui orientent ces notions. Nous avons besoin d’une société axée sur la récupération de l’équilibre avec la biosphère et pour qui la recherche, la technologie, la culture, l’économie et la politique sont des moyens pour avancer vers cet objectif.

Pour y arriver, toutefois, nous aurons besoin de toute l’imagination politique, de toute la générosité morale et de toute la créativité technique dont nous disposons.

 

Une profonde rupture politique avec l’hégémonie en vigueur

Mais, pareille Grande Transformation se heurte à deux obstacles titanesques : l’inertie du mode de vie capitaliste et les intérêts des groupes privilégiés. Afin d’éviter le chaos et la barbarie vers lesquels nous nous dirigeons actuellement, nous avons besoin d’une profonde rupture politique avec l’hégémonie en vigueur et d’une économie qui soit destinée à satisfaire les besoins sociaux dans les limites imposées par la biosphère, et non pas l’augmentation du bénéfice privé.

Aujourd’hui en Espagne, l’éveil de la dignité et de la démocratie qu’a signifié le « Mouvement indigné » du 15M (depuis le printemps 2011) est en train de jeter les bases d’un processus constitutionnel qui ouvre des possibilités à d’autres formes d’organisation sociale.

Cependant, il est essentiel que les divers projets alternatifs prennent conscience des implications associées aux limites de la croissance. Ainsi, doivent-ils proposer des changements beaucoup plus audacieux. La crise de régime et la crise économique ne pourront être surmontées qu’en même temps que le sera la crise écologique.

Dans ce sens, les anciennes politiques fondées sur les recettes du capitalisme keynésien sont loin d’être suffisantes. Ces politiques nous ont amenés, dans les décennies qui suivirent la 2e guerre mondiale, à un cycle d’expansion qui nous a conduits au bord des limites de notre planète.

Un nouveau cycle d’expansion n’est pas envisageable : il n’existe ni la base matérielle, ni l’espace écologique, ni les ressources naturelles qui le permettraient
Le siècle le plus déterminant de l’histoire de l’Humanité

Le 21e siècle sera le siècle le plus déterminant de l’histoire de l’Humanité. Il sera une épreuve remarquable pour toutes les cultures et les sociétés, voire, pour l’espèce dans son ensemble. Une épreuve qui décidera de la continuité de notre présence sur la terre et de la possibilité de qualifier d’« humaine » la vie que nous organiserons à l’avenir.

Nous sommes confrontés au défi d’une transformation dont le calibre est analogue aux grands événements historiques tels que la révolution néolithique ou la révolution industrielle.

Mais, attention : la fenêtre d’opportunité est en train de se refermer. Certes, il existe dans le monde entier de nombreux mouvements de résistance qui poursuivent la justice environnementale (l’organisation « Global Witness » a enregistré près d’un millier d’écologistes morts au cours des dix dernières années, au cours de leur lutte contre des projets miniers ou pétroliers, alors qu’ils défendaient leurs terres et leurs eaux).
Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une nouvelle

Mais nous disposons de cinq ans tout au plus pour établir un débat large et transversal sur les limites de la croissance et pour bâtir démocratiquement des alternatives écologiques et énergétiques qui soient tout à la fois rigoureuses et viables. Nous devrions être en mesure de convaincre de grandes majorités en faveur d’un changement de modèle économique, énergétique, social et culturel.

Outre la lutte contre les injustices causées par l’exercice de la domination et de l’accumulation de la richesse, nous parlons d’un modèle qui prenne en compte la réalité, qui fasse la paix avec la nature et qui rende possible le « vivre bien » dans les limites écologiques de la Terre.

Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une nouvelle. Ne rien faire ou en faire trop peu nous mènera directement à l’effondrement social, économique et écologique. Mais si nous commençons aujourd’hui, nous pouvons encore être les protagonistes d’une société solidaire, démocratique et en paix avec la planète.


Source : Le Dernier Appel (Ultima Llamada)

Première mise en ligne le 29 juillet 2014.

Photos : Wikipedia / Domaine public
(Crédit photo Terre : NASA / Bill Anders)

Lire aussi : Le manifeste convivialiste

« Toujours plus vite » : ces dissidents pour qui il est urgent de ralentir

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Toujours-plus-vite-ces-dissidents

Toujours plus vite, toujours plus pressés. Nous sommes entrés dans l’ère de l’immédiateté, celle des profits, celle de l’information, celle de la satisfaction individuelle. Que traduit cette accélération de nos modes de vie ? Avec quels risques dans une planète aux ressources limitées ? Comment résister à cette injonction du toujours plus vite ? C’est ce qu’interroge Philippe Borrel dans son dernier film, L’urgence de ralentir, diffusé le 2 septembre sur Arte. Il est allé à la rencontre de ceux qui expérimentent des alternatives concrètes à contre-temps du modèle dominant néolibéral. Basta ! et Mediapart vous proposent des séquences inédites de son film.

L’immédiat et la vitesse sont devenus la norme. L’accélération, notre rythme quotidien. « Mais à quel prix ? Et jusqu’à quand ? » interroge le réalisateur Philippe Borrel [1] dans son dernier film, L’urgence de ralentir. « Ce que nous vivons, appuie l’économiste Geneviève Azam, c’est vraiment la colonisation du temps humain dans toutes ses dimensions – biologique, social, écologique – par le temps économique. C’est un temps vide, sans racine, sans histoire, seulement occupé par la circulation des capitaux ». Directement pointés du doigt, les milieux financiers et la logique d’actionnaires en attente d’une rentabilité immédiate.

Illustration de cette accélération financière et technologique, le trading haute fréquence dans lequel les algorithmes ont remplacé les hommes. « Le marché est un serveur mettant en relation des acheteurs et des vendeurs qui sont désormais des algorithmes, relate Alexandre Laumonier, auteur de 6. Un ordre est exécuté au New York Stock Exchange en 37 microsecondes, soit 1350 fois moins de temps qu’il n’en faut pour cligner de l’œil… » Le rythme est désormais dicté par les machines. « Celui qui compressera le temps le plus rapidement possible gagnera la partie », assène le sociologue Douglas Rushkoff. A moins que les catastrophes écologiques, économiques et sociales annoncées ne prennent les devants.

Résister à la société de consommation

Croisant les réflexions de sociologues, philosophes et économistes, le film de Philippe Borrel ne montre pas seulement les effets du néolibéralisme. Il filme celles et ceux qui tentent de faire émerger des alternatives constructives à la logique d’accélération généralisée. C’est dans le Val de Suse, en Italie, que Philippe Borrel pose d’abord sa caméra. Depuis vingt ans, la résistance s’organise face au projet de ligne à grande vitesse entre Lyon et Turin évalué à 26 milliards d’euros (voir nos articles). Outre les scandales financiers de ce projet, les militants interrogent le modèle de développement qu’il préfigure. « Si quelque chose doit s’accélérer ce sont les idées et pas les personnes ou les marchandises, confie un membre des No Tav. La modernité ce n’est pas d’aller plus vite, c’est d’avancer avec plus de sagesse. »

Passage incontournable à Notre-Dame-des-Landes, où les occupants de cette zone dénoncent « le projet d’aéroport et le monde qui va avec » (notre dossier). Dans cette zone de bocage, ils réinvestissent les terrains en plantant des vergers, des haies, en défrichant, drainant, repiquant des semis… « Rendre fertile ce qu’ils veulent rendre stérile, là est notre force », assurent les opposants au projet d’aéroport. Bien évidemment, d’une lutte à l’autre, les stratégies varient. Certains ont décidé de se couper complètement de la société de consommation. C’est le cas de la Wildroots Community, basée dans les Appalaches en Caroline du nord. Elle a été fondée par un ancien ingénieur et sa compagne. En pleine forêt, cette communauté de « survivalistes » accueille ceux qui, comme eux, veulent réapprendre à vivre en pleine autonomie au cœur de la nature.

Se réapproprier la technologie

« La réponse du capitalisme à l’urgence climatique reste uniquement technologique et ne remet jamais en cause ce qui, dans son fonctionnement, contribue au dérèglement des écosystèmes », analyse Philippe Borrel. Fort de ce constat, il est allé à la rencontre de Bunker Roy, le fondateur du Barefoot College en Inde. « Depuis quinze ans, il recrute des femmes illettrées dans les milieux ruraux d’Afrique, d’Amérique latine ou d’Asie pour les former pendant six mois à l’ingénierie solaire et à l’autonomie énergétique », relate le réalisateur. Plus de 300 ingénieures solaires auraient ainsi été formées depuis le lancement du projet. Ici, la technologie est démystifiée et réappropriée collectivement.

 

 

 

Aux États-Unis aussi, des systèmes d’apprentissage alternatifs se mettent en place. C’est ainsi qu’à deux pas des sièges de Google et de Facebook, au cœur de la Silicon Valley, une école interdit l’usage des ordinateurs ou des portables aux élèves jusqu’à la classe de seconde. « Nous amenons la technologie aux élèves seulement quand ils sont en mesure de la comprendre, explique une professeure. Je veux que mes élèves soient excités à l’idée d’apprendre. » Au-travers d’apprentissages concrets comme la permaculture, les enseignants espèrent développer chez les enfants des capacités d’innovation et d’adaptation à un monde en mutation accélérée. « L’éducation est la clé, c’est l’espoir de voir des êtres humains capables de penser librement ».

Un autre rapport à l’argent

Questionner notre rapport au temps conduit irrémédiablement, dans une société capitaliste, à interroger notre rapport à l’argent. Philippe Borrel s’attache notamment à rencontrer les porteurs de monnaies locales, de Romans-sur-Isère (Drôme) à Bristol (sud-ouest de l’Angleterre). Une manière de relocaliser l’économie qui essaime dans une grande diversité de territoires (nos articles). « On résiste beaucoup mieux aux chocs extérieurs lorsque l’on a une économie locale solide » confirme Lionel Astruc, auteur de (R)évolutions.

Sa caméra nous conduit à Tomkins Time Traders, la banque du temps d’Ithaca, dans l’État de New York. Ici, le temps n’est plus forcément synonyme d’argent. Des services peuvent être échangés gratuitement avec d’autres habitants du quartier, tous à égalité, que l’on soit avocat ou électricien. « Nous avons tous des savoirs-faire uniques et quelque chose à partager ou à donner aux autres », confie une membre du projet. L’enjeu est de créer un nouveau système qui revalorise le travail au cœur de l’économie. Dans cette banque, une heure d’une compétence particulière – en plomberie ou comme dentiste par exemple – équivaut à une heure de soins pour les personnes âgées ou une heure de garde pour les enfants. Un moyen de sortir du système capitalisme monétisé mettant en concurrence les uns avec les autres.
Des adeptes du mouvement de la simplicité volontaire aux villes en transition (nos articles), en passant par des expériences en permaculture telles que la Ferme du Bec Hellouin, le film de Philippe Borrel nous amène à prendre le temps de s’arrêter pour réfléchir. Il égrène d’autres façons de vivre ensemble pour façonner un autre monde. Plutôt que de suivre un rythme qui nous mène vers des catastrophes écologiques, économiques et sociales, le réalisateur nous propose de redonner du sens au temps et de reprendre le contrôle de nos vies. Une invitation à amorcer dès aujourd’hui une véritable transition écologique et sociale. Un film à voir de toute urgence.

 

L’Urgence de ralentir sera diffusé le 2 septembre sur Arte, à 22h40.