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Articles du Vendredi : Sélection du 5 juillet

Pfas : les militants écologistes interpellés sur un site d’Arkema relaxés au nom de la «liberté d’expression»
LIBERATION et AFP
www.liberation.fr/environnement/climat/pfas-les-militants-ecologistes-interpelles-sur-un-site-darkema-relaxes-au-nom-de-la-liberte-dexpression-20240705_FEWKPIYA3NEL7ITLPWDW53J3OI/

Des activistes d’Extinction Rebellion étaient poursuivis pour s’être introduits en mars dans une usine d’Arkema, près de Lyon, afin d’y dénoncer l’utilisation massive de polluants éternels.

La justice donne raison à la lutte écologique. Les huit militants d’Extinction Rebellion, poursuivis pour s’être introduits début mars sur un site du géant de la chimie Arkema, à Pierre-Bénite (Rhône), ont été relaxés, ce vendredi 5 juillet, par le tribunal correctionnel de Lyon. Alors que le procureur avait requis à leur encontre entre trois et six mois de prison avec sursis pour «participation à un groupement en vue de la préparation de violences ou de dégradations», les juges ont estimé, au contraire, que les poursuites représentaient «une ingérence disproportionnée dans l’exercice de la liberté d’expression». «Le tribunal reconnaît la notion d’urgence climatique et reconnaît la liberté d’expression politique», s’est félicité Olivier Forray, un des avocats de la défense à la sortie de la salle d’audience.

Agés de 23 à 43 ans, ces activistes environnementaux d’Extinction Rebellion ont participé, au début du mois de mars, et avec plusieurs centaines de personnes, à une intrusion dans une usine d’Arkema, dans le Rhône, au cœur de la «vallée de la chimie». Lors de cette action de désobéissance civile, les militants ont laissé derrière eux des graffitis, et déployé des banderoles dont une avec le mot «poison» surmontée d’une tête de mort. Le tribunal a donc estimé que leur interpellation sur un parking situé à l’extérieur du site industriel ne se justifiait pas et qu’elle allait à l’encontre de l’exercice de la liberté d’expression. Et pour cause : les activistes venaient dénoncer l’activité d’un site industriel soupçonné d’avoir émis d’énormes quantités de substances per- et polyfluoroalkylées, les Pfas, souvent surnommés «polluants éternels» en raison de leur contamination massive de l’environnement et de leur effet néfaste sur la santé des personnes.

Cet argument de la liberté d’expression a également fondé la relaxe des prévenus sur leur refus de se soumettre aux prélèvements biologiques destinés à inscrire leur ADN dans le fichier national des empreintes génétiques. Un seul prévenu a été condamné à une amende contraventionnelle de 500 euros pour «violence sans ITT», alors qu’il était poursuivi pour «violence sur agent de la force publique». Le tribunal a requalifié les faits en estimant que «les policiers ne s’étaient pas physiquement et nommément signalés» lors de leur première intervention. De son côté Bénédicte Graulle, l’avocate d’Arkema, qui s’est constitué partie civile, a estimé que si «la liberté d’expression est un des droits les plus fondamentaux de l’homme, il y a une limite c’est l’abus de cette liberté» : «Il y a eu une intrusion illicite sur le site […] sur lequel travaillent 500 salariés», a-t-elle souligné.

Après la diffusion de plusieurs enquêtes journalistiques en 2022 sur les Pfas, les autorités régionales ont enjoint à Arkema de ne plus en utiliser d’ici la fin de l’année 2024. L’industriel a depuis installé une station de filtration permettant de réduire ses rejets. Début 2024, le géant de la chimie a même fini par céder à la pression des organisations syndicales et a proposé à l’intégralité de ses salariés d’analyser leur sang pour y déceler des Pfas. L’employé d’Arkema le plus touché a été testé avec près de 280 microgrammes de Pfna (acide perfluorononanoïque) par litre de sang : un taux presque 350 fois supérieur à la moyenne française.

« Une des raisons du déclin de l’écologie politique est, à l’évidence, la criminalisation du mouvement environnementaliste »

Stéphane Foucart
www.lemonde.fr/idees/article/2024/06/09/une-des-raisons-du-declin-de-l-ecologie-politique-est-a-l-evidence-la-criminalisation-du-mouvement-environnementaliste_6238110_3232.html

Les actions de l’Etat contribuent à relativiser auprès de l’opinion la légitimité de la cause environnementale, analyse Stéphane Foucart, journaliste au « Monde », dans sa chronique.

C’est un paradoxe qui passionnera sûrement, un jour, les politistes et les historiens. Pourquoi, alors qu’à peu près tout ce que le mouvement écologiste annonce depuis un demi-siècle est en train d’advenir, l’écologie politique est-elle à ce point en déclin ? En France, il est de bon ton de moquer l’incapacité des Verts à convaincre, mais force est de constater que c’est en réalité toute la thématique environnementale qui a presque disparu de la conversation publique en vue des élections européennes du 9 juin.

Plusieurs facteurs conjoncturels expliquent cet effondrement : le retour de la guerre et l’exigence renouvelée de puissance des Etats, l’inflation, la capture de certains grands médias et leur mise au service d’intérêts idéologiques et-ou industriels, etc.

Une autre cause, plus profonde, est aussi, à l’évidence, la criminalisation du mouvement environnementaliste. Michel Forst, le rapporteur spécial des Nations unies (ONU) sur les défenseurs de l’environnement, s’en est ému à plusieurs reprises au cours des derniers mois. Toute l’Europe est touchée, mais, dans un entretien accordé début juin à Reporterre, M. Forst estime que, en termes de gestion policière des actions écologistes, la France fait figure d’exception – le Royaume-Uni se distinguant par l’extravagante sévérité de sa réponse judiciaire. « La France est le pire pays d’Europe concernant la répression policière des militants environnementaux, dit le rapporteur spécial de l’ONU. La violence des forces de l’ordre est hors catégorie. Leurs homologues à l’étranger ne comprennent pas la manière dont les Français répondent aux manifestations, ne comprennent pas qu’on puisse user d’une telle violence. »

Un pouvoir normatif

Ces mots ne sont pas ceux d’un dangereux zadiste ou d’un opposant politique. Personnalité d’une grande pondération, Michel Forst a été nommé à son poste en 2022, au terme d’un consensus des 47 Etats-parties à la convention d’Aarhus (Danemark) – signée en 1998 et entrée en vigueur en 2001, elle prévoit trois droits en matière d’environnement pour les citoyens et les associations : l’accès à l’information, la participation au processus décisionnel et l’accès à la justice.

Les formes de répression qu’il dénonce sont non seulement une menace pour la démocratie elle-même, comme il le dit en substance, mais elles ont aussi à n’en pas douter un effet politique. De fait, les actions de l’Etat ont sur l’esprit de ses administrés un pouvoir normatif, et la spectaculaire brutalité du traitement réservé aux militants écologistes agit comme une remise en cause « officielle » de la légitimité de leur cause, une relativisation de la gravité des questions qu’ils soulèvent.

Les exemples ne manquent pas. Le 24 mai, l’action de protestation menée par Extinction Rebellion et Greenpeace devant le siège d’Amundi (une société de gestion qui est l’un des principaux actionnaires de TotalEnergies), à Paris, s’est soldée, selon une note interne des services de la Préfecture de police que Le Monde a pu consulter, par 220 interpellations dont 215 gardes à vue. Parmi elles, seules cinq personnes ont finalement fait l’objet de poursuites.

Sans occulter la réalité des troubles et des dégâts provoqués par certains militants, sans ignorer non plus les gestes de violence gratuite commis par les forces de l’ordre à leur endroit, quel sens donner à un tel fiasco policier ? Interpellations de masse, gardes à vue abusives ou interdiction de manifester ne sont pas seulement des instruments d’intimidation, ils sont autant de signaux adressés au corps social. L’écologie ? Une affaire de dangereux délinquants.

Ce stigmate, les militants d’extrême droite, ou ceux de l’agriculture productiviste, y échappent largement.

On s’en souvient : le 30 janvier, au moment même où le premier ministre Gabriel Attal prononçait son discours de politique générale assorti d’un martial « Tu casses ? Tu répares ! Tu salis ? Tu nettoies ! » (adressé à la jeunesse), les forces de l’ordre ouvraient poliment le passage aux engins agricoles un peu partout en France, afin que ceux-ci puissent procéder au déversement de dizaines de tonnes de lisier et de déchets sur les bâtiments de l’Etat – avec des perspectives limitées de réparation ou de nettoyage.

Aucun communiqué

Ces asymétries, dont il faut reconnaître qu’elles confinent parfois à l’absurde, sont légion. La journée du 1er juin en offre un remarquable précipité. Ce jour-là, à moins d’une semaine des commémorations du Débarquement, la préfète du Morbihan annonce avoir porté plainte contre Les Soulèvements de la Terre, pour des « dégradations » commises sur le monument aux anciens combattants de Sérent (Morbihan). Curieusement, son communiqué n’apporte aucun détail sur ces « dégradations ». Il faut se reporter aux images de revendication de l’action pour constater que celles-ci consistent essentiellement en un collage aux dimensions de deux rangées de feuilles A4, non sur le monument lui-même, mais sur son parvis, formant la phrase : « Le vivant en résistance. »

S’agit-il, comme s’en indigne la préfecture dans son communiqué – aussitôt répercuté par la secrétaire d’Etat aux anciens combattants –, d’un « acte de vandalisme qui porte atteinte à la mémoire des combattants tombés pour défendre notre pays » ? Peut-être, après tout.

Mais le même jour et dans la même région, à Rosporden (Finistère), France Bleu Breizh Izel rapporte qu’un ancien candidat du Rassemblement national se lève au cours d’une réunion publique pour faire le salut nazi, prononçant distinctement « Heil, Hitler ! » Rien, manifestement, qui salisse la mémoire des soldats du 6 juin 1944 : aucun communiqué de la préfecture du Finistère sur une éventuelle plainte – elle sera déposée par la Ligue des droits de l’homme –, aucune déclaration ou émotion particulière du côté du gouvernement.

En miroir de la criminalisation des mouvements écologistes se construit ainsi la banalisation des postures et des mots de l’extrême droite la plus radicale, ratifiée par les silences du gouvernement et des services de l’Etat.

Nelo Magalhães : « Une autoroute, c’est un produit idéologique »

Jade Lindgaard
www.mediapart.fr/journal/france/080624/nelo-magalhaes-une-autoroute-c-est-un-produit-ideologique

 

Les infrastructures de transport sont à la fois lourdes des imaginaires de leur époque et extrêmement impactantes pour les écosystèmes, analyse le chercheur Nelo Magalhães dans un livre très original, « Accumuler du béton, tracer des routes ». Entretien avant une manifestation contre l’A69 interdite par le gouvernement.

Autoroute entre Castres et Toulouse, tunnel Lyon-Turin, canal Seine-Nord Europe : les grands projets d’infrastructures de transport mobilisent des milliards d’euros d’investissement, détruisent des écosystèmes et verrouillent des territoires dans des systèmes de déplacement très émetteurs de CO2. Comment expliquer la poursuite de ces politiques de développement, venues du XXsiècle, à l’heure du choc climatique et de l’extinction des espèces ?

Pour répondre à cette question, le chercheur Nelo Magalhães a écrit une histoire environnementale des infrastructures. Ses recherches l’ont conduit à « dénaturaliser les paysages » pour montrer « qu’ils ne vont pas de soi, qu’ils sont le fruit de forces sociales et de choix politiques ». Il s’en explique, avant une manifestation contre l’A69, interdite par le gouvernement.

Mediapart : Le projet de l’A69 en construction entre Castres et Toulouse s’étend sur 53 kilomètres, des centaines d’hectares doivent être artificialisés, des forêts en partie détruites, des collines sont aplaties. En tant qu’historien des grandes infrastructures de transport, avez-vous l’impression de voir naître sous vos yeux un projet du passé ?

Nelo Magalhães : C’est presque un cas chimiquement pur de projet des années 1960-1970, quand débute le programme autoroutier. Tant du côté des arguments développementistes que du côté des dégâts. En effet, l’autoroute, c’est d’abord une imposante matérialité. En plus du ciment et du bitume, il faut environ 100 mètres cubes de terre et 30 tonnes de sable et gravier par mètre. Il faut des pentes bien plates, des courbes de la bonne dimension, des sols rigides. Donc, ouvrir des milliers de carrières, arracher des arbres par dizaines de milliers, exploser des collines, transformer les sols, etc. Les reliefs reflètent donc, à grande échelle, le paradigme des transports : tout doit s’adapter au trafic, présenté comme une donnée indiscutable. Sur le temps long, ces milliards de tonnes et mètres cubes modifient le paysage. Les ingénieurs eux-mêmes parlent des « saignées » que font les autoroutes dans les sols. Et cela fait déjà l’objet de contestations. Un projet comme l’A69 appartient au passé.

Dans votre livre « Accumuler du béton, tracer des routes », vous écrivez que la consommation colossale de matière par les autoroutes est sous-estimée dans le discours écologiste, focalisé sur les gaz à effet de serre émis par les véhicules qui vont rouler dessus. Pourquoi est-ce important ?

Il y a un réductionnisme du débat général sur la question du carbone, qui est évidemment compréhensible, puisque le climat est un enjeu majeur de nos sociétés. Mais mon travail sur les infrastructures de transport montre que ce sont elles qui mobilisent les plus grands flux de matière du capitalisme français.

On extrait de la matière encore aujourd’hui à 80 % pour les travaux publics, c’est-à-dire pour les grandes infrastructures, et pas pour le bâtiment. Les travaux publics, ce sont les routes, les aéroports, les ports, les canaux, les lignes de chemin de fer, qui incluent tous les ouvrages d’art comme on les appelle : ponts, viaducs, tunnels, etc.

Pour construire des infrastructures, il faut surtout déplacer des terres. Les volumes occasionnés par ces chantiers sont sous-estimés.

C’est intéressant parce que cela montre que même si on construisait tous les bâtiments avec de la terre et de la paille, tant qu’on garde les infrastructures telles qu’elles existent, on doit continuer à extraire énormément de matière. Donc l’enjeu de ce point de vue, c’est vraiment les grandes infrastructures. De plus, matériellement, ce type d’infrastructure exige une maintenance énorme du fait du poids des véhicules, notamment des camions. Cela ne changera pas même si tous les véhicules roulent à l’air pur.

L’examen matériel amène aussi de nouvelles questions. Je cite dès le début du livre un chantier de barrage, Donzère-Mondragon [à Bollène dans le Vaucluse – ndlr], dont je voulais retracer l’histoire. Au début, je cherchais le béton, et je vois qu’il en a nécessité environ 800 000 mètres cubes. Mais pour ce même chantier, il a fallu 50 millions de mètres cubes de terre déplacée, plus de cinquante fois plus. Et cela s’est produit pour chaque barrage dans la vallée du Rhône. La quantité de terre a été sans commune mesure avec la quantité de béton.

En fait, pour construire des infrastructures, il faut surtout déplacer de la terre. Les volumes de terre occasionnés par ces chantiers sont sous-estimés parce que la terre de terrassement [la modification du relief d’un terrain pour y réaliser un ouvrage – ndlr] n’a pas de valeur monétaire. Donc, au niveau national, elle n’est pas prise en compte dans les comptabilités environnementales.

Dans l’ensemble, j’essaie de dénaturaliser les paysages qu’on rencontre au quotidien, pour montrer qu’ils ne vont pas de soi, qu’ils sont le fruit de forces sociales et de choix politiques. Dans les régions traversées par des infrastructures de transport, tous les remblais dans les alentours, tous les trous qu’il y a autour, toutes les carrières réaménagées sont le fruit d’une certaine production de l’espace.

Le philosophe Henri Lefebvre est à l’origine de cette notion de « production de l’espace ». Que signifie-t-elle et pourquoi est-elle utile pour comprendre la fonction sociale des infrastructures ?

La première fois que j’ai lu Henri Lefebvre, je n’ai quasiment rien compris. En le relisant plusieurs fois et en continuant mon travail d’archives, petit à petit, quelques notions ont infusé. Et finalement, je me suis dit qu’il était indispensable.

Pour comprendre la matérialité du monde, on pourrait faire des séries statistiques mesurant les flux de matière d’une économie en train de se développer, façon Jancovici. Se contenter de ça, c’est renforcer le cadre technocratique des questions environnementales. Selon moi, il faut saisir comment ces séries s’ancrent dans des sols, donc partir de l’espace qui est produit. Ici vient Henri Lefebvre : l’espace est un produit social, ou de l’histoire matérialisée, et fait pleinement partie de la société.

Une autoroute, c’est un produit idéologique, un produit symbolique qui est pris en charge par des forces sociales qui y projettent des imaginaires – « la civilisation, le progrès ». C’est pareil avec d’autres grandes infrastructures : aéroports, grands ports, etc. Il y a donc une lutte symbolique pour dire la vérité des espaces. Cela permet de politiser ces questions, parce qu’on n’a pas tous le même pouvoir, non seulement de dire l’usage de l’espace, mais en plus de l’imposer à d’autres groupes. Quand un conflit ouvert se joue à cet endroit-là, sur l’A69 ou Sainte-Soline, c’est un conflit socio-environnemental.

Donc le choix de la route aujourd’hui, c’est le camion. Les routes sont construites, entretenues et maintenues pour les camions.

Ceci vaut aussi pour les carrières, l’espace agricole ou encore sur les terrils du nord de la France, édifiés à partir de déchets miniers – c’est par exemple la colline qu’on voit près de Lens (Pas-de-Calais) et dans tous les lieux de charbonnage. Longtemps, les terrils sont vus comme des gisements de ressources pour les infrastructures. Or, depuis les années 1990, des associations s’opposent à leur extraction au nom du patrimoine, et d’un imaginaire ouvrier, qu’ils représentent. Ils sont la trace d’une mémoire, d’un héritage. Si le même espace connaît une nouvelle valorisation symbolique, c’est qu’il est produit autrement, sous d’autres rapports sociaux.

Utiliser des déchets de mines ou du BTP comme matière première pour une infrastructure (remblai, fabrication du bitume, ciment, etc.) est-il un gain écologique ?

Il y a une symbiose matérielle entre les grandes infrastructures et les grandes industries fordistes. Plus on a besoin de masses de matière gigantesques, et plus c’est intéressant pour les industriels de se débarrasser de leur masse aussi énorme. Donc les uns veulent se débarrasser de leur matière et les autres nécessitent beaucoup de matière.

Il y a une boucle vicieuse qu’on appellerait aujourd’hui de la valorisation, ou de l’économie circulaire. Mais cela ne sert à rien puisqu’en fait, pour valoriser beaucoup de matière, il faut construire beaucoup d’infrastructures. Et donc produire beaucoup de déchets. Il n’y a quasiment jamais de recyclage là-dedans.

Cela remet en question toute cette idée que valoriser des matières, c’est une bonne chose pour l’environnement. Historiquement, le « réusage » de déchets dans les infrastructures a été massif en France, pris en charge par des pouvoirs très importants, ce n’était pas du tout quelque chose d’anecdotique. Et il n’a servi qu’à créer des boucles entre des grandes industries et des grands chantiers de l’époque fordiste.

C’est du business as usual, de la valorisation. L’extraction n’a pas du tout baissé. On n’a jamais produit autant de ciment. On n’a jamais consommé autant de ciment et on n’a jamais autant valorisé dans l’industrie cimentière. Valoriser beaucoup de masse de matière ne change absolument rien aux questions environnementales, tant que le niveau de production ne baisse pas. C’est un peu toujours pareil avec le technosolutionnisme : croire qu’il y a des solutions techniques ou technologiques à des problèmes sociaux, c’est vain. Or, tous les problèmes environnementaux sont des problèmes sociaux, car rattachés à un espace socialement produit – ici encore, Lefebvre aide.

Dans votre livre, vous expliquez qu’il n’y aurait pas d’autoroute sans libre-échange. Pourquoi ?

Ce que j’ai réalisé en enquêtant sur les techniques de construction, c’est que les routes sont faites matériellement pour les camions : en rigidité, en masse, en épaisseur, en largeur… La voiture ne compte pas du tout, ceci pour une raison technique qui m’est apparue en étudiant des débats dans le début des années 1960 : l’impact d’un véhicule sur une chaussée est exponentiel au poids. Cela signifie que si on passe d’un camion de 44 tonnes à un camion de 60 tonnes, comme la Commission européenne le veut aujourd’hui, l’impact en poids sera des millions de fois plus important.

Donc le choix de la route aujourd’hui, c’est le camion. Les routes sont construites, entretenues et maintenues pour les camions. C’est un choix qui a des conséquences énormes car aujourd’hui l’extraction des carrières sert d’abord à la maintenance des routes, et pas à leur construction. Or le camion sert le libre-échange, qui est depuis le début au cœur de la constitution européenne. On va fluidifier les marchandises en Europe. Aujourd’hui, on veut créer des corridors européens de camions d’Espagne vers les Pays-Bas. C’est aussi le cas pour les grands ports. Le fret maritime transporte une grande partie du commerce international. Les ports sont dimensionnés pour les plus grands navires : les plus grands vraquiers, les plus grands minéraliers. Le port de Fos-sur-Mer doit pouvoir accueillir des pétroliers de 200 000 tonnes.

Tant qu’on ne change pas ce verrou du libre-échange, les infrastructures devront toujours être maintenues et réparées. Même si on mettait des panneaux solaires et du béton vert là-dedans, le poids matériel des infrastructures se maintiendrait. Il y a des choix politiques qui sont beaucoup plus décisifs que ces technologies dites vertes.

Existe-t-il des exemples de réappropriation citoyenne d’infrastructures ?

C’est un peu anecdotique mais je peux prendre le cas des autoroutes qui ont été bloquées en janvier par les agriculteurs.

À Grenoble, l’autoroute est devenue un lieu de promenade, de jeux, de pique-nique. On y faisait des soirées dansantes, du badminton, on graffait. Alors certes, cela n’a duré que deux ou trois jours, mais c’était incroyable. Puisque les structures sociales qui le prennent en charge n’avaient plus prise sur lui, le même support matériel a pu être réapproprié pour d’autres usages, révélant une perspective légère : l’infrastructure de transport n’a aucun pouvoir intrinsèque. Mais d’abord, il faudra briser les verrous.

Zenbat dira gehiegi eta nahikoa?
Jauzi Ekosoziala
www.argia.eus/albistea/zenbat-dira-gehiegi-eta-nahikoa

Zeintzuk dira gure benetako beharrizanak ondo bizitzeko? Zer da ondo bizitzea? Galdera hauei erantzutea funtsezkoa da gehiegikeriaren gizartean, are gehiago larrialdi klimatiko, ekologiko eta zibilizazio krisiaren garaiotan.

Gaurko sistemak desirak sortu eta behar faltsu bihurtzen ditu. Horretarako, etengabeko kontsumo neurrigabera deitzen duen publizitateaz baliatzen da, sare sozialen, telebistaren eta abarren bidez. Horrela, bizimodu idealaren eta zorionaren iturri, xahutze-bizitza eta luxua saltzen dizkigute.

Lotura artifizial hori nabariagoa da oporretan, are nabariagoa udako oporretan. Urte osoa lan prekarioan eta abiadura ansiosoan eman ondoren, oporretan joateko eskubidea aldarrikatzen dugu, eta haren izenean edozein kontsumo egiteko eskubidea (armairua berritu, hegaldi merkeak, herrien kontsumoa, udako kredituak…). Nahikotasunean bizitzea, aldiz, urte osoan lasai eta duin bizitzean datza.

Luxua eta xahuketa, bizitzaren kontra eskutik lotuak doazelako, jomugan jarri ditugu eta pertsona guztion bizitza duin eta desiragarrien alde nahikotasuna aldarrikatzen dugu.

Disparekotasun handiagoa duten herrialdeek kutsadura- eta indarkeria-maila handiagoak eta osasun-datu okerragoak izateko joera dute, estatusa igotzearen kontsumo-lasterketa amaigabea abiatzen baitute. Alegia, disparekotasuna anti-ekologikoa da. Eta noski, bidegabea: munduko biztanleriaren % 1 aberatsenak 2/3 pobreenek adina isuri ditu. Aldiz, Zaurgarritasun Klimatikoaren Monitoreak ziurtatzen duenez Hego Globaleko herrialdeek karbonoaren ekonomiak eragindako kostu guztien 2/3-3/4 artean jasango dituzte. “Atmosferaren kolonizazio” moduko bat gertatzen da, Malmen hitzetan, behin itsasontzietan bidaiatu zen bidegabekeria orain Taylor Swiften eta Jeff Bezosen jet pribatuetan baitago.

Kutsadura atmosferikoari opor garaian kutsadura kulturala gehitzen zaio, lurraldeak eta gizarteak eraldatuz, merkantilizatuz; gure gastronomia, kultura, hiri edo paisaiei gertatzen ari zaien moduan (Vueling, Airbnb eta BBKLive). Ze aldaketa eragiten ote ditu gure turismo azkarrak beste herrietan ere?

BPGaren izenean garapena, garapenaren izenean turismoa, turismoaren izenean edozer, eta bertako zerbitzu eta denden desagerpena: tokian tokiko ehuna desegiten da auzoak parke tematiko bihurtuta. Behar faltsu horiek asetzeak, ordea, ez du luxuaren pareko den ezer sortzen. Bizimodu, lan eta planeta prekarioak eta turbo-oporrak ekonomia kapitalista bera dira. Jet pribatuak eskandalagarriak dira, baina, iaz Loiuko aireportuak 6,33 milioi bidaiariren errekorra lortu izana ez da onargarria.

Bizitza ona da norberaren zein kolektiboaren oinarrizko beharrizanak betetzen dituena, zaintza sistema publiko-komunitarioa, adibiderako. Bizitza on horrek behar duen egitura aldaketa martxan jartzeko ezberdintasunak ezabatzea funtsezkoa da. Gizartea ez da sentituko ahalegin kolektibo baten partaide, hari ihes egiten dion jendea dagoela sentitzen duen bitartean. Horregatik da hain garrantzitsua aberatsen portaera eta bizimodu jasanezin horiek mugatzea, bizi-baldintza kolektiboez hitz egin ahal izateko. Nork utziko du kotxe pribatua jet pribatuak dauden bitartean?

Eraldaketa kulturala ezinbestekoa da nahikotasunean oinarrituriko bizimodu bat irudikatzeko eta desiratzeko. Luxua aspirazioa da gure gizarteetan. Baina, luxu hori gutxi batzuentzat bakarrik dago eskuragarri, elkarren arteko lehia eta desberdintasunak areagotzen dituen sistema batetan. Desberdintasun sozialak murrizte aldera eta larrialdi klimatikoa leuntzeko nahikotasunaren balioa berreskuratu nahi dugu. Nahikotasuna ez da austeritatea, ongizatetik kontsumismoa erauztea baizik. « Gero eta gehiago hobeto » delakoaren ideia oso zabalduta dago, baina, oso gauza gutxik jarraitzen dute arau hori. Gehiegikeriaren gizartean ezinbesteko gauza gehienak urritu egiten dira.

Hazkunde ekonomikoari inolako mugarik jarri ez dion gizartean lurraren muga biogeofisikoen barnean bizitzen ikasi behar dugu. Orain arte gutxieneko soldataz edo gutxieneko zerbitzuez hitz egin bada, zentzua edukiko luke gehiegikeria murriztea, jabetzak mugatuz, gehieneko errentak jarriz, edo kontsumoari neurria jarriz (ura, gasolina, CO2 isurketak, hondakinak). Bizi baldintzak ziurtatzen dituzten mugen barruan kontsumoaren jaitsiera antolatu behar dugu gure beharrizanen asetzeko. Izan ere, ondasun material gutxiko, baina, harreman-ondasun handiko aberastasun batez ari gara. Nahikotasuna beharrezkoa dena (eta ez gehiago ez gutxiago) izatean datza.

Ihesa saiheste aldera, joko dugu oinarrira?