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Articles du Vendredi : Sélection du 4 décembre 2020


2020, sur le podium des années les plus chaudes, alerte l’ONU
Genève (AFP)
www.goodplanet.info/2020/12/02/2020-sur-le-podium-des-annees-les-plus-chaudes-alerte-lonu

2020 s’annonce comme l’une des trois années les plus chaudes jamais enregistrées, et il y a un risque que la hausse du mercure dépasse les 1,5°C, seuil gravé dans le marbre de l’Accord de Paris, d’ici à 2024, alerte mercredi l’ONU.

« L’équilibre écologique de la planète est rompu » et « l’humanité fait la guerre à la nature, c’est suicidaire », a dénoncé le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, réclamant que le sommet du 12 décembre pour marquer le 5e anniversaire de l’Accord de Paris sur le climat permette de déclencher un véritable mouvement.

La Nouvelle-Zélande n’a pas attendu, proclamant mercredi l’état d’ »urgence climatique ». Le pays, dont les côtes sont menacées par le réchauffement, suit un mouvement lancé le 1er mai 2019 par le Parlement britannique, suivi par l’Irlande.

« Faire la paix avec la nature » doit « être la priorité absolue pour tout le monde, partout », a lancé le chef de l’ONU, en se félicitant des premiers engagements vers la neutralité carbone émis par la Chine, l’Union européenne, le Japon ou la Corée du Sud.

Selon le rapport annuel provisoire de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) sur l’état du climat mondial, la décennie qui s’achève sera la plus chaude jamais observée, de même que les six années écoulées depuis 2015.

Selon les données provisoires, 2020 atteint le deuxième rang des années les plus chaudes, après 2016 et avant 2019, avec une température moyenne mondiale entre janvier et octobre supérieure d’environ 1,2°C à celle de la période de référence 1850-1900.

La différence entre ces trois années est cependant faible et le classement exact pourrait changer une fois les données disponibles pour l’année entière, précise l’OMM.

« Les années de chaleur record ont généralement coïncidé avec un fort épisode El Niño, comme ce fut le cas en 2016. La Niña a tendance à refroidir les températures mondiales, mais l’anomalie apparue cette année n’a pas suffi à freiner le réchauffement », a déclaré le secrétaire général de l’OMM, Petteri Taalas.

Le phénomène météorologique naturel La Niña est l’inverse du phénomène El Niño et correspond au refroidissement des eaux de surface dans le centre et l’est du Pacifique équatorial.

Et selon l’OMM, il y a au moins une chance sur cinq que la température moyenne mondiale dépasse temporairement 1,5°C d’ici 2024.

Dans l’Accord de Paris, signé en décembre 2015, 195 pays se sont engagés à limiter la hausse de la température « bien en deçà de 2°C » par rapport à l’ère pré-industrielle et de « poursuivre les efforts pour limiter la hausse de la température à 1,5°C », afin d’éviter des conséquences dramatiques et irréversibles.

« Il a fallu environ un siècle pour que nos gaz à effet de serre réchauffent la planète de 1°C, nous sommes en voie d’ajouter 1°C supplémentaire dans les 30 prochaines années seulement », a observé Neville Nicholls, professeur à l’Université Monash en Australie.

Mauvaises nouvelles

Chaleur extrême, incendies, inondations, acidité croissante des océans, saison record des ouragans dans l’Atlantique… autant de signes que le changement climatique a continué sa progression inexorable cette année.

La chaleur la plus remarquable a été observée cette année en Asie du Nord, en particulier dans l’Arctique sibérien, où les températures ont été supérieures de plus de 5°C à la moyenne.

Fin juin, 38°C ont été relevés à Verkhoyansk en Sibérie, ce qui est provisoirement la température la plus élevée constatée au nord du cercle arctique.

La saison des incendies, qui ont ravagé de vastes zones en Australie, en Sibérie, sur la côte ouest des Etats‑Unis et en Amérique du Sud, a été la plus active de ces 18 dernières années.

Et « les inondations dans certaines régions d’Afrique et d’Asie du Sud-Est ont entraîné des déplacements massifs de population et ont compromis la sécurité alimentaire de millions de personnes », a observé M. Taalas.

Au rayon des mauvaises nouvelles, la banquise arctique a atteint en septembre son minimum annuel, classé au deuxième rang des moins étendus en 42 ans d’observations satellitaires.

L’étendue de la banquise antarctique en 2020, a elle en revanche été similaire, ou légèrement supérieure, à la moyenne de ces 42 dernières années, tandis que le Groenland a continué de perdre de sa masse, bien qu’à un rythme plus lent qu’en 2019.

Quant aux océans, qui stockent plus de 90% de l’énergie excédentaire qui s’accumule dans le système climatique en raison de l’augmentation des concentrations de gaz à effet de serre, il apparaît clairement ces dernières décennies que la chaleur est absorbée de plus de plus rapidement, pointe le rapport.

Santé et dérèglement climatique, les crises convergentes
Aurélie Delmas
www.liberation.fr/terre/2020/12/03/sante-et-dereglement-climatique-les-crises-convergentes_1807461

Vagues de chaleur, qualité de l’air et inégalités croissantes, le changement climatique met notre santé à rude épreuve, constate le rapport annuel «The Lancet Countdown». Et, comme l’a montré l’épidémie de Covid-19, aucun pays n’est préparé.

Covid-19, incendies, sécheresses, pollution de l’air… À l’issue d’une année plus que bouleversée et cinq ans après l’adoption de l’accord de Paris sur le climat, la revue médicale britannique The Lancet publie ce jeudi son «compte à rebours» annuel, un état des lieux sur la santé et le changement climatique dont les avenirs respectifs sont intimement liés.

Les 120 universitaires et chercheurs de 35 institutions (Organisation mondiale de la santé, Organisation météorologique mondiale, universités…) qui ont réalisé cette édition 2020 ont pris en compte une quarantaine d’indicateurs significatifs. Leur conclusion est sans appel : les impacts de la crise climatique sont déjà perceptibles sur la santé des êtres humains, et souvent fatals. En cinq ans, «nous observons des évolutions inquiétantes, liées notamment au manque d’action», déplore auprès de Libération Jonathan Chambers, l’un des coauteurs, chercheur à l’Université de Genève.

Canicules, incendies et qualité de l’air

«L’impact principal du changement climatique est l’augmentation des températures», rappelle Jonathan Chambers. Les niveaux de mortalité liée à la chaleur parmi les personnes vulnérables sont d’ailleurs en augmentation dans toutes les régions du monde (+ 54% en vingt ans), avec 296 000 morts en 2018 dont 8 000 en France parmi les plus de 65 ans. Selon le rapport, pas moins de 128 pays ont connu une augmentation de l’exposition de leur population aux feux de forêt au cours des vingt dernières années. Les «effets cardiovasculaires et respiratoires des vagues de chaleur records et les incendies de forêt en Australie, dans l’ouest de l’Amérique du Nord et en Europe de l’Ouest» sont d’ailleurs soulignés par les auteurs.

Un effet moins souvent identifié de ces vagues de chaleur, est qu’elles rendent impossible les travaux à l’extérieur, notamment dans les champs. Au total, selon le rapport, pas moins de 302 milliards d’heures de travail n’ont pas pu être effectuées en 2019 pour cette raison, dont 40% en Inde mais aussi en Chine ou au Bangladesh. C’est 103 milliards d’heures de plus qu’en 2000. Et la sécurité alimentaire en pâtit, puisque les récoltes sont souvent moins importantes en raison de ce phénomène.

Après des décennies de lutte et de progrès, le changement climatique fait également craindre un retour en arrière concernant certaines maladies infectieuses mortelles. Il favorise la propagation du paludisme, de la vibriose et de la dengue, transmise par les moustiques.

Autre inquiétude pour l’avenir : la qualité de l’air mondial, alors qu’on déplore chaque année 7 millions de morts dus à la pollution. Ainsi que le rappelle Jonathan Chambers, «la part du charbon dans la production d’électricité globale n’a que peu changé [en cinq ans], or celle-ci est une source importante de gaz à effet de serre et de pollution aux particules fines, qui font dans le monde 7 millions de morts prématurés». En 2018 en France, précise le Lancet Countdown, environ 25 350 décès prématurés ont pu être liés à la pollution aux particules fines (PM 2,5). C’est plus que la viande rouge, dont la consommation excessive serait à l’origine de 13 000 décès supplémentaires dans l’hexagone en 2017 (sur 89 000 décès imputables à des facteurs de risques alimentaires).

Impréparation et inégalités

Face au changement climatique, les systèmes de santé évoluent mais ne sont toujours pas prêts comme l’a montrée la pandémie de Covid-19. D’autant que les inégalités se creusent. «Le changement climatique crée un fossé cruel qui élargit les inégalités de santé existantes entre et à l’intérieur des pays, note le coprésident du rapport, Hugh Montgomery, […] Tout comme pour Covid-19 – les personnes âgées sont particulièrement vulnérables et ceux qui ont déjà des pathologies, y compris l’asthme et le diabète, sont encore plus à risque».

Mais, précise le rapport, les suites de la pandémie de COVID-19 peuvent devenir un moment clé pour créer une économie durable et en protéger l’environnement. «Nous ne parlons pas d’opportunité par rapport à la pandémie, car c’est une grande tragédie. Mais il est crucial que la réponse au Covid porte sur les problèmes de santé publique et environnementale, car comme le montre notre rapport ceux-ci sont étroitement liés», détaille Jonathan Chambers. «Utiliser les investissements post-Covid en réponse à la crise écologique, c’est aussi prévenir des futures crises sanitaires, ainsi que leurs dommages économiques. Effectivement, en prenant maintenant des mesures structurelles, on est trois fois gagnant – une économie plus durable et équitable, un environnement respecté et protégé, et une meilleure santé publique pour tous», poursuit-il.

Mais le temps presse. Il est l’heure d’adopter des «mesures urgentes» pour l’avenir, selon l’expression utilisée dans le rapport. Richard Horton, rédacteur en chef du magazine, insiste sur ce point : «pour réduire le risque de pandémie, nous devons agir en priorité sur la crise climatique, un des facteurs majeurs des zoonoses aujourd’hui. […] Nous devons répondre à l’urgence climatique, protéger la biodiversité et renforcer le système naturel dont notre civilisation dépend […] Comme nous l’avons constaté avec le Covid-19, retarder la réponse sera la cause de morts que l’on pourrait éviter». Pourtant, seulement la moitié des 101 pays étudiés ont élaboré des plans liant spécifiquement santé et climat, et seulement quatre ont déclaré avoir le financement disponible pour les mettre pleinement en œuvre.

Geoffroy de Lagasnerie : ‘ Guérilla juridique, infiltration, action directe… Il faut déployer un autre imaginaire de l’action ‘
Hervé Kempf
https://reporterre.net/Geoffroy-de-Lagasnerie-Guerilla-juridique-infiltration-action-directe-Il-faut-deployer-un-autre-imaginaire-de-l-action

Ecrasée par le macronisme, qui ne supporte aucune contestation, aucun contre-pouvoir, que peut la gauche ? Elle doit renouveller ses modes d’action, et ne pas rechigner à infiltrer les lieux de pouvoir, estime le philosophe Geoffroy de Lagasnerie.

Le philosophe et sociologue Geoffroy de Lagasnerie a publié Sortir de notre impuissance politique (Fayard, 2020), un manuel de réflexion et d’action pour que les différentes luttes pour un monde plus juste gagnent en efficience. Intellectuel de gauche engagé contre le racisme et les discriminations que subissent les minorités sexuelles, il est membre du Comité Adama — et l’auteur avec Assa Traoré du Combat Adama (Stock, 2019), qui relate leurs années de lutte.

Reporterre — Que vous inspire le moment actuel, entre le Covid, les attentats terroristes, et la loi « sécurité globale » ?

Geoffroy de Lagasnerie — J’ai l’impression de vivre une année de cauchemar. En même temps, l’espace du progrès et de la gauche ne doit pas être paralysé par une focalisation exclusive sur des sujets comme la pandémie ou le terrorisme, qui ne sont peut-être pas des remises en cause de nos vies plus puissantes que d’autres. Et peut-être même pas aussi graves qu’il y a quelques années en ce qui concerne le terrorisme. Le rôle des intellectuels, des écrivains, de la culture est de nous décentrer par rapport à ces sujets, de se méfier notamment du covido-centrisme qui nous étouffe et de faire émerger d’autres sujets dans l’espace public.

 

 

Il s’est pourtant produit un bouleversement de l’économie mondiale, et on sent qu’énormément de structures bougent.

Personnellement, je ne conçois pas du tout ce qui se passe autour du Covid comme une transformation majeure de nos sociétés. Je le perçois comme une espèce de parenthèse maléfique qui se résoudra par l’arrivée d’un vaccin ou d’un traitement. Peut-être y a-t-il eu une transformation subjective dans le rapport au risque et à la contagion mais nous verrons. En fait, l’un des problèmes est que lors du premier confinement, il n’y a pas eu la transformation qu’on pouvait attendre, notamment sur les questions du financement de l’hôpital, de la rémunération des métiers essentiels, des rapports de classes et de la santé. On a continué exactement comme avant.

On l’a très bien vu l’été dernier : dès qu’il n’y a plus eu de confinement, la vie a recommencé normalement. Le Covid est une parenthèse plutôt qu’un basculement.

Cette inertie s’explique par le fait que ce qu’on appelle le confinement radicalise le fantasme ultime de la bourgeoisie d’être une classe soulagée et protégée et dont la protection de la vie s’appuie sur l’exposition au danger des classes populaires. C’est pour ça que l’on trouve tant de gens dans les milieux journalistiques et médicaux favorables au confinement. C’est l’accomplissement de leur destin de classe. Mais ce n’est pas une manière sanitaire ou rationnelle de gérer une crise sanitaire.

Pourquoi parlez-vous alors de cauchemar, si cela ne change rien ?

Parce que c’est réel. À court terme, la police nous empêche de sortir de chez nous, c’est terrifiant. Ce qui m’a frappé est la capacité des États à suspendre les libertés en invoquant un principe supérieur qui est « la santé », qui pourrait être très bien un jour la sécurité, qui pourrait être d’autres maladies. Et ce qui m’a frappé aussi est qu’un conseil de défense, occulte et opaque, puisse décider, sans qu’on sache sur quelles bases, qu’on ne peut pas sortir de chez soi sans que la police mette une amende sauf si l’on va travailler et faire des courses. C’est une suspension des libertés comme on n’en a jamais vu. La capacité de l’État à décréter un état d’urgence et à suspendre les libertés d’aller et de venir, de se rencontrer, de faire l’amour, de se balader, de faire du sport et de faire basculer des millions de gens dans la pauvreté révèle la précarité de notre situation par rapport aux logiques d’État, notre enfermement politique — puisque c’est encore l’État qui décide si nous pouvons protester contre ce qu’il décide.

La gauche a toujours invoqué le droit comme étant plus puissant que la sécurité. Elle a toujours dit que limiter le pouvoir de l’État ou de la police peut conduire à la production d’un certain nombre d’illégalismes, mais qu’au nom de la protection des individus contre la puissance de l’État, on préférait un certain illégalisme que le contrôle absolu. Et là, sur la santé, on a accepté le raisonnement inverse, préférant le contrôle absolu à la potentialité de certains dangers. C’est une transformation de rationalité. Mais je ne pense pas que ce soit une transformation ontologique de l’État. Les gouvernements, étant quand même obsédés par la question de la rationalité économique, ont envie que cela reprenne. Mais le moment a révélé notre absence de protection vis-à-vis de l’État. C’est cela qui est terrifiant.

La tendance autoritaire de l’État s’accentue avec la loi de « sécurité globale » ?

Oui. Comme avec l’injonction qui a failli être adoptée dans la loi sur la recherche de ne plus enseigner à l’université contre les principes républicains [1]. Il a aussi été ajouté un délit « d’intention de perturber une conférence » [2]. Par exemple, si vous appelez au boycott, si vous appelez à perturber la venue d’un idéologue ou de quelqu’un de droite dans une université, ce sera jugé illégal.

Il y a une cohérence d’ensemble ici, liée au scheme de la santé : il y a un resserrement de l’idée de la nation comme ordre unifié. Toute forme de déviation est perçue comme une menace qui pèse sur la santé de la Nation. Et toute forme d’illégalisme ou de corps contestataire est perçu comme de plus en plus intolérable, insupportable. C’est extrêmement grave en ce qui concerne la contestation des pratiques policières en manifestation. Le libéralisme, qui avait toujours conçu l’État comme un espace qui organise la capacité même de critiquer l’État, le transforme en un organe qui doit exclure les individus qui ne marchent pas dans la direction définie par les gouvernements. Ce qui est insupportable également est le victimisme de la police qui ne cesse de se faire passer pour un corps faible, en danger et de demander toujours plus de pouvoir alors que c’est l’un des corps les plus forts et les plus soutenus de l’ordre politique.

En termes de rationalité politique, ce qui me frappe c’est que les gouvernants ne cessent d’ériger comme épouvantail l’islam politique et son programme autoritaire et totalitaire. Mais ils arment juridiquement l’État avec au fond exactement la même vision. Ils voient la société comme un ordre substantiel qui impose, à travers l’État, des doctrines, des pratiques, un ordre de vie. Ce qui contredit le mieux les programmes totalitaires, c’est un État neutre, qui favorise la dissidence et le pluralisme.

Vous aviez dit dans une émission radio en 2018 que Macron essaye d’instaurer un gouvernement de la terreur. Le pensez-vous toujours ?

Oui, tout à fait.

Pourquoi ?

Macron détruit tout ce qui protège de l’exposition au pouvoir arbitraire, par plein de petites réformes : le démantèlement du droit de travail qui a augmenté la soumission des employés à leurs patrons, l’augmentation du pouvoir des préfets pour le contrôle des manifestations, l’accroissement des possibilités de rétention… Le macronisme démantèle les protections juridiques, syndicales… Et il expose les individus à de plus en plus de pouvoirs arbitraires : le pouvoir du patron, le pouvoir du préfet, le pouvoir du ministre, le pouvoir du directeur d’établissement… Cette multiplication des petits pouvoirs soumet les individus à une forme de terreur continue, la peur des sanctions qu’on peut subir si l’on dévie, si l’on conteste, si l’on est indocile.

Et la peur du policier dans la rue…

Et bien sûr, la peur du policier. Quand vous multipliez les zones dans lesquelles les sujets politiques sont terrifiés, vous les soumettez à un ordre psychique extrêmement puissant en terme de conformation. La conséquence de cela à long terme est de ne même plus voir qu’il y a des problèmes parce que les gens se seront entièrement autocensurés.

Serait-ce un État terroriste ?

Ah non, je ne dirais pas terroriste. Parfois je me demande si derrière la dénonciation de la « dérive autoritaire du macronisme » ne se cache pas un phénomène plus général, à savoir une prise de conscience de plus en plus marquée du caractère insupportable du fait politique — c’est-à-dire le fait d’être gouverné par d’autres que nous ne n’avons jamais choisi. Ce ne serait pas Macron qui serait rejeté mais l’idée de gouvernement elle-même : comme une augmentation de la « conscience politique » générale et la prise de conscience de la brutalité de notre condition politique comme j’en parle dans mon ouvrage La conscience politique (Fayard, 2019). Et donc la gauche devrait aujourd’hui tenter, plutôt que restaurer les mythes politiques du peuple et de la souveraineté, de trouver un moyen de clore définitivement la possibilité de la domination politique de la droite.

Le macronisme serait alors un gouvernement par la peur ?

Non, la peur c’est trop faible, trop psychologique. Prenons l’exemple de la police. Je ne suis pas complètement en phase avec la mobilisation contre le floutage des visages des policiers car je pense que puisque nous ne cessons d’affirmer que le problème de la police est structurel et ne concerne pas seulement des déviations et des bavures, nous devons prendre conscience du fait que ne pas pouvoir montrer tel ou tel visage n’est pas nécessairement un inconvénient pour une lecture structurale du réel. Mais d’un point de vue plus global, on constate une tendance de l’État à toujours donner plus de pouvoir et de soutien à la police. Or plus la police a le sentiment d’être soutenue, plus elle se lâche et plus elle est dangereuse pour toutes celles et tous ceux qu’elle perçoit comme indésirable. Le macronisme fonctionne à l’élimination systématique — sociale, pénale, carcérale, économique — des indésirables.
Pourquoi écrire un livre sur l’impuissance politique ? Qu’y a-t-il qui pèche dans les stratégies du mouvement émancipateur et écologiste ?

La jeunesse militante éprouve un sentiment d’impuissance. L’idée domine selon laquelle les luttes sont trop difficiles, les ennemis sont trop grands, et que l’on perd toujours. Si l’on regarde sur une trentaine d’années les grandes luttes sur la santé, la prison, les pratiques policières, les droits du travail, la violence de classe, l’écologie.. on constate un écart extraordinaire entre l’énergie déployée et les résultats, d’où ce sentiment d’échec permanent qui n’est pas seulement français, mais international. Une forme de désespoir s’est emparée des forces de gauche. J’ai été traversé, comme tout le monde, par cette expérience.

On sait faire des manifestations, attirer l’attention publique, obtenir des échos médiatiques, occuper un lieu. Mais ne nous sommes-nous pas piégés par des rituels politiques devenus inefficaces, même s’ils sont des conditions de l’action ? Mon écart par rapport au rituel politique est né de Nuit debout, en 2016 qui a été, pour moi une expérience déprimante. Au même moment sont apparus des lanceurs d’alerte comme Edward Snowden [3] ou Wikileaks [4], qui m’ont semblé beaucoup plus nouveaux, radicaux, déstabilisateurs. Et donc a germé l’idée de me demander si la politique contemporaine n’était pas plus de l’ordre du rituel et du happening que de l’action. À quelle condition pourrait-on donner des armes au mouvement social pour redevenir puissant politiquement ? Car l’espace de la contestation démocratique est paradoxalement l’un des plus codifiés de la vie sociale. Lorsque nous ne sommes pas d’accord, nous recourons à des formes pré-existantes qui nous construisent comme sujet contestataire, que ce soit la manifestation, le lobbying, la pétition ou l’émeute. Mais quand on recourt à ces formes, déstabilise-t-on le système ou le fait-on fonctionner ?

Nous nous satisferions de l’impression de lutter alors qu’en fait, notre efficacité serait quasiment nulle ?

Oui. Les formes d’actions actuelles sont tellement inefficaces qu’on peut s’interroger sur ce qu’on fait quand on fait de la politique. Veut-on vraiment gagner ou se faire plaisir comme militant ? La vie militante devient presque autonome par rapport à ses buts, évaluée par rapport à ses propres critères : y a-t-il eu du monde à la manifestation, les médias en ont-ils parlé, ai-je reçu beaucoup de vues sur mon post Instagram ? Une construction de soi comme appartenant au milieu de la lutte est presque en déconnexion avec la réflexion concrète sur l’effectivité pratique de ce qu’on fait.

Je propose des choses très différentes, telles par exemple que l’adresse à la jeunesse, la guérilla juridique, l’infiltration, l’action directe, le travail sur les habitus de la culture quotidienne… Il faut déployer un autre imaginaire de l’action. Il faut que la gauche rompe avec ses imageries traditionnelles pour penser en terme d’efficacité. Si on prend l’exemple de la lutte contre la réforme des retraites, le métro parisien a été fermé pendant trois semaines à Paris. Toute personne de gauche a pensé que cela ferait basculer n’importe quel gouvernement. Mais non, cela n’a pas suffi.

Et, donc, il est temps de déritualiser notre rapport à la politique pour le penser de manière beaucoup plus rationnelle et efficace. Malheureusement, cela peut nous faire rentrer dans une forme de tristesse parce que parfois, une action efficace n’est pas spectaculaire, pas heureuse. Mais passer un concours peut être beaucoup plus important que d’aller occuper la place de la République, ouvrir une école peut être plus important que casser une voiture de police.

Votre critique n’est-elle pas adressée à la gauche classique ? Parce que le mouvement écologiste développe des formes d’actions souvent différentes, et a remporté des victoires sur les OGM, sur le gaz de schiste, sur Notre-Dame-des-Landes.

Deux mouvements me semblent avoir un peu échappé à la paralysie des forces progressistes ces dernières années : le mouvement écologiste et le mouvement LGBT. Le mouvement écologiste a incontestablement, en termes de sensibilité de la jeunesse, de rupture de paradigme, produit des effets de conquête. Et le mouvement LGBT a emporté des conquêtes considérables depuis les années 1970. Ces mouvements ont produit des transformations, parce qu’ils ont été non pas réactifs mais pro-actifs. Ils ont établi une temporalité politique, ils ont fait émerger des sujets, ils ont travaillé à long terme sur la production de nouveaux paradigmes de perceptions en prenant l’État par surprise. Ils ont aussi utilisé des méthodes d’actions nouvelles : ce que faisait Act Up, la Gay Pride, les fauchages d’OGM, la destruction d’un MacDo, des sabotages, des actions directes. Beaucoup de ces actes ont été des formes d’actions – comment dire…

… disséminées ?

Ciblées et fécondes. L’écologie a aussi infiltré les lieux de pouvoir en termes de doctrine et de perceptions. Et le mouvement gay a réussi en terme de lobbying et de guérilla juridique. Ces combats sont vite montés en terme de généralité, par le droit, et donc ont vite été en contact avec les instruments de pouvoir.

Vous écrivez aussi que les néolibéraux ont réussi par la subversion.

Absolument. L’objection toujours opposée à la méthode de l’infiltration radicale est le fait que les institutions seraient plus fortes que les gens, et qu’on serait voué à se faire récupérer par les institutions. Ce n’est pas toujours vrai. Un des exemples d’une transformation de l’intérieur de la rationalité d’État est justement le néolibéralisme.

Il a été une subversion de la rationalité politique opérée à partir des années 1970 et qui a conduit à une redéfinition complète de la manière dont l’État pense l’hôpital, le travail, le droit… Le néolibéralisme a changé l’État ou, en tout cas, une bonne partie de la rationalité politique (mais pas sa totalité loin de là), l’État n’a pas changé le néolibéralisme… C’est la preuve d’une infiltration réussie.

En fait, une institution n’a pas d’essence. Toutes les institutions, même la police, peuvent fonctionner de manières très diverses. L’école peut être une machine à broyer tout autant qu’une machine à émanciper. La justice peut être un lieu d’extrême violence ou un lieu de protection des innocents. Il en va de même pour la police, la sécurité sociale, l’hôpital. Tout cela peut fonctionner de plein de manières. Donc, plus nous serons nombreux à investir et à revendiquer ces lieux et à vouloir en faire jouer les fonctions émancipatrices, plus ils pourront le faire. La gauche ne doit pas voir comme négatif ce qui est paradoxalement capable de lui donner des pouvoirs. C’est-à-dire : voter, entrer dans les institutions, passer des concours, etc.

C’est une vision très différente de celle du Comité invisible qui propose de « destituer » les pouvoirs existants.

Je ne pense pas qu’il y ait de pouvoir à « destituer ». Le pouvoir est là, les gens s’en saisissent et la seule manière de produire des transformations systématiques dans un monde où il y a un système de pouvoirs, c’est par les institutions et par des formes d’appropriation de l’appareil d’État. La destitution politique est un mythe. Croire que parce que les gens n’adhéreront plus aux institutions, elles s’effondreront n’a aucun sens. Cela ne les empêche pas de fonctionner parce qu’elles fonctionnent à la répression et à l’habitude.

Une lutte est puissante quand elle peut identifier des mesures concrètes radicales pour transformer la vie des gens. Par exemple, destituer la police, cela ne veut rien dire. Dans un monde antagoniste, il y aura toujours quelque chose de l’ordre de la police. Si vous êtes pour l’hôpital public, pour la sécurité sociale, pour payer des impôts, vous êtes pour la police, parce qu’une contrainte fiscale est nécessaire pour les gens qui ne veulent pas payer d’impôts ou qui ne veulent pas partager leur richesse. La gauche doit poser la question ainsi : que veut dire transformer la police de manière qu’elle ne puisse plus exercer des violences sur les individus des classes populaires ou dans les manifestations ? De ce point de vue, si on pose la question de l’effectivité pratique d’une action, la réponse est dans la saisie des appareils de pouvoir et la production de transformations systématiques des dispositifs de pouvoir.
Une autre idée qui intéresse beaucoup le mouvement écologiste est l’approche anarchiste communaliste de Murray Boockchin. Qu’en pensez-vous ?

Je ne la connais pas. Mais je sais qu’il y a un retour très fort dans la gauche d’une forme de localisme par le municipalisme. Je pense que c’est une forme de transcription de l’impuissance politique : quand les individus n’ont pas les capacités de faire la révolution, ils ont tendance à adopter des comportements de fuite et de retrait. On se replie sur un petit monde qu’on essaye de créer à son échelle. J’ai beaucoup de respect pour les gens qui font cela, je les comprends. On n’est pas obligé de sacrifier sa vie pour une cause. Mais dans le monde global où nous vivons, il faut penser en généralité la question écologiste, la question raciale… Si l’on veut produire des transformations rationnelles du monde, il faut penser haut, nationalement et internationalement. Cela ne peut pas être à l’échelle locale.

Mais vous critiquez dans votre livre cette montée en généralité : « Recourir au capitalisme, au libéralisme, au racisme, au patriarcat, etc., c’est en fait nous affaiblir et on ne pense pas à la lutte concrète qu’on doit avoir ».

Oui, je me suis mal exprimé. Cette question est toujours un problème : jusqu’où monter en généralité, jusqu’où le monde est-il cohérent, jusqu’où est-il unifié ? Ce que j’essaye de mettre en question, ce sont les abstractions incantatoires qui nous éloignent des systèmes de pouvoir pratique. Par exemple, je ne pense pas qu’on puisse lier la question carcérale à une catégorie comme l’État capitaliste ou l’État raciste. Parce que si vous dites que l’État est raciste, vous ne savez pas trop contre quoi vous battre, c’est trop général. Par contre, si vous dites qu’on va se battre contre l’emprisonnement pour des questions de drogue ou contre la détention provisoire, vous identifiez un ordre concret qu’on peut mettre en question. Les systèmes de pouvoir qui traversent le monde sont spécifiques, c’est-à-dire qu’ils ne regroupent pas l’ensemble des autres formes de systèmes de pouvoir. Ils ne sont pas unifiés.
On retrouve une idée posée par un écologiste des années 1970, René Dubos : « Penser globalement, agir localement ».

Je dirais « Pensons spécifique, agissons spécifique ».

On observe un renouveau du mouvement écologiste par une critique de la technique, parce que son développement a un impact écologique désastreux, et parce qu’il exerce des effets de pouvoir. Qu’en pensez-vous ?

J’ai publié dans ma collection [« À venir »] chez Fayard le livre de Félix Tréguer, L’utopie déchue. C’est un livre très important sur la manière dont Internet, perçu d’abord comme un lieu de la contre-offensive, est devenu une technologie qui renforce les Gafam, le capitalisme, et la structure d’État. Tréguer est passé d’une position techno-positive à une position techno-critique. Je le comprends mais j’ai beaucoup de mal à penser la technique du point de vue du pouvoir. La technique, on peut toujours s’en retirer. Je ne vois aucun effet de pouvoir de Facebook, de Twitter ou d’Instagram parce que je peux les fermer. Le seul pouvoir dont je ne peux me retirer, c’est l’État. Mais Facebook ne me met pas en prison. Instagram ne me met pas en prison. Mon Iphone ne me met pas en prison.

En même temps, l’expansion de la technique conduit à des effets inacceptables sur le plan écologique.

Oui, mais je n’appellerai pas cela des effets de pouvoir ou de contrainte. Ce sont des choix de société, des choix éthiques, des manières différentes d’organiser la vie sociale.

Je reviens à la question de la stratégie. Vous proposez à la fois l’action directe pour sortir du rituel des manifestations, et infiltrer l’État. N’est-ce pas contradictoire ?

Pas vraiment, parce que par exemple des juges ont relaxé récemment des gens qui avaient décroché des portraits de Macron. Il est possible de contester ce qui est posé comme légal en invoquant une autre lecture du droit. Autre exemple, le groupe 269 Libération animale entre dans des abattoirs pour libérer des animaux tout en menant une action juridique sur le droit de sauver des individus de la mort. Par ailleurs, on doit parler de gouvernants plutôt que de l’État, parce qu’il n’y a pas d’unité de l’État. L’État, cela peut être vous, cela peut être Macron. Qui l’accapare à un moment donné ? Qui en fait quel usage ? Il n’y a pas de nature de l’État. Il y a des individus qui occupent des positions et qui ont des intérêts spécifiques ou pas.

Il faut sortir la politique de l’ère de la défense et de la réaction pour la faire entrer dans l’ère de l’action. Il faudrait que l’action directe occupe dans l’imaginaire politique contemporain la place de la grève ouvrière au XIXe siècle.

Et l’action directe et l’action juridique ont un équivalent du point de vue des structures institutionnelles qui est leur « saisie » pour faire de notre volonté des lois. L’infiltration est une forme d’action directe. Pas seulement dans l’État, mais dans toutes les institutions et les entreprises.

Vous écrivez par ailleurs qu’il faut avoir une stratégie sur trente ans. Trente ans pour des écologistes, vu la gravité et l’accélération de la catastrophe écologiste, cela paraît irréaliste, trop tardif. Comment penser à trente ans quand l’urgence est là ?

Le grand problème de la gauche est que c’est toujours l’urgence. L’urgence de l’accident du travail, de quelqu’un tué par la police, de quelqu’un en prison, du migrant qui se noie, de la destruction de la vie, l’urgence écologique. Toutes les luttes politiques de gauche sont liées à l’urgence et à la vie. Je suis pour refonder la gauche à partir du vitalisme.

Le vitalisme ?

Penser quelles sont les formes de vie exposées et les protéger. C’est cela la gauche : quels sont les corps souffrant ? À quelles conditions souffrent-ils ? Comment enrayer les mécanismes qui les font souffrir ? Effectivement c’est toujours l’urgence. Le problème est que ce qui nous conduit à agir au nom de l’urgence est souvent ce qui nous fait perdre dans le présent et dans le futur. Alors que renoncer à cette forme de présentisme peut nous faire gagner dans quelques années. Vaut-il mieux donc perdre et avoir le sentiment d’avoir conjuré l’urgence, ou gagner en acceptant la perte d’un certain nombre d’exigences du temps présent ? C’est un dilemme affreux. Mais un dilemme qui explique la faiblesse ontologique de la gauche.

Sur le mouvement écologiste, je pense différemment de vous. Parce qu’on a déjà avancé avec la génération étudiante et lycéenne et que les mentalités ont énormément bougé, même si les effets juridiques et paradigmatiques ne se sont pas encore concrétisés. Le basculement est profond.

Le combat culturel a été gagné même s’il y a des hypocrisies par rapport aux solutions concrètes.
Pourtant, la droite n’est-elle pas en train de gagner ?

L’État ne supporte plus la déviance et a un rapport hystérique aux contre-pouvoirs. On peut en fait l’analyser comme le signe d’un pouvoir qui se sait faible, qui est friable et qui sait que la contestation et le renversement peuvent venir assez rapidement. Les forces progressistes sont plus puissantes aujourd’hui. Je ne suis pas pessimiste.

‘Entrenamendu bat da Euskaraldia; partida ez da hasi ere egin oraindik’
Lander Muñagorri Garmendia
www.berria.eus/paperekoa/2109/008/001/2020-12-01/entrenamendu-bat-da-euskaraldia-partida-ez-da-hasi-ere-egin-oraindik.htm

Jauregik uste du euskararen erabileraren benetako unea ezagutza unibertsalizatzen denean hasiko dela. Bien bitartean, etorkizunean hiztunek hartu beharko dituzten jarreretan trebatuz joateko tresna izango da Euskaraldia, hark dioenez.

Euskararen normalizazioaren alde egindako lana aitortzen du Gipuzkoako Foru Aldundiak urtero banatzen duen Abadia sariak, eta aurtengoa Pello Jauregi (Pasaia, Gipuzkoa, 1958) ikerlari eta Aldahitz proiektuko zuzendariak jasoko du. Euskaraldiaren «teorizatzaile» gisa egindako ekarpena aitortu dio aldundiak, eta hizkuntza ohiturak aldatzeko bidean egindako ekarpenekin «euskararen hedapenerako aukera neurtezinak» sortu dituela. Gaur jasoko du saria Jauregik, Gipuzkoako foru jauregian egingo duten ekitaldian.

Euskara ulertzen dutenak hizkuntza praktikara erakartzeko lana egin duzu Aldahitz proiektuarekin, eta horrek bide eman du Euskaraldia antolatzea. Ulertzen dutenak aintzat hartzeak panorama berri bat ekarri du?

Baliteke hori izatea gure ekarpenik handienetakoa. Alegia, ulermenari lotutako fenomenoak begi bistara ekarri ditugu, eta batzuentzat sorpresa bat izan da. Mintzamena funtsezko elementua da, baina, komunikazioa eginkizun kolektiboa denez, bi elementuak behar ditu. Agian ulermena ez zegoen hain agerian, ezkutuan zegoen, eta, haren garrantzia azaleratu dugunez, aukera berriak zabaldu zaizkigu. Horrek aukera eman digu euskaldunon eragiteko eremuak zabaltzeko, eta, neurri handi batean, esango nuke horrek jartzen gaituela etorkizuneko egoeran.

Zer egoera da hori?

Irakaskuntzak bere helburua lortzen badu, hau da, haur gehienei eskolaren bidez euskararen ezagutza transmititzea, gehienek izango dute euskaraz egiteko nolabaiteko gaitasuna. Beren zailtasunak izango dituzte ulertzeko edo hitz egiteko, baina herritar gehienen tipologia hori izango da etorkizunean: gutxiengoak izango dira ondo hitz egingo dutenak, eta hiztun gehienek zailtasunak izango dituzte. Gaur egungo egoeran, euskaraz egiten dugunok antzematen badugu gure solaskideak zailtasunen bat duela, gehienetan erdarara pasatzen gara. Euskaraz bizi nahi dugunok, beraz, etorkizunari begirako entrenamendu bat behar dugu, eta kontuan hartu beharko dugu honelako egoera bat izango dugula hemendik urte batzuetara: euskaraz nonahi egin dezakeguna, baina ez beti erosotasunarekin. Euskaraz egiteko ezinbestekoa bada gure solaskideak erosotasunez eta erraztasunez egitea, egoera asko zailduko litzateke.

Diozunera badoa egoera, euskaraz egiteko ardura euskaldunen gain geratuko litzateke, eta horrek nekea eragin dezake euskaldun horiengan…

Esango nuke errealitateak eskatzen digula euskaraz hitz egin nahi dugunoi deserosotasun kuota bat gure gain hartzea, ezinbestean.

Militantzia eskatzen zaio?

Bai, baina jakitun naiz hori ezin dela zabaldu euskaldun guztiengana. Batzuek izango dute indarra hori egiteko, baina denek segur aski ez. Ezin dut imajinatu egoera bat non euskaraz hitz egiteko gaitasuna duten euskaldun guztiek kontzientziaz eta gogoz horrelako ezerosotasunei aurre egiten dien. Hori oso zaila iruditzen zait. Fenomeno sozial guztietan beti dago minoria bat kontzientzia duena, eta horrek egiten du orean legamia lana. Inguruan behar dira nolabaiteko gaitasuna dutenak, eta legamiaren eraginez kutsatu egiten dira. Baina horrek eskatzen du lan bat batzuentzat. Ele biko elkarrizketena, esaterako, ikusten dut ezin dela orokortu, ezin da pentsatu euskaldun guztiek egingo dutenik. Baina gutxi batzuek egingo balute, hamarretik bik, horrek izugarrizko dinamika ekarriko luke, eta askoz ere jende gehiago erakarriko luke. Eta hasiko ginateke apurka egoera hobe batera bideratzen.

Etorkizunean halako elkarrizketak ohikoagoak izango direla diozu. Euskaraldia egoera horren abiapuntua al da?

Bai. Euskaraldiak asko dauka pedagogia sozialetik. Alegia, beste begi batzuk lantzen ari gara. Ulermenari ematen zaio garrantzia, eta, ele biko elkarrizketak denok egingo ez baditugu ere, gutxi batzuk egiten badute izugarrizko tresna daukagu hor. Baina horrek eskatzen du beste begirada bat, eta praktika sozial bat. Euskaraldiak aukera ematen du ingurune babestu batean horrelako gauzak praktikatzeko. Txapak sekulako laguntza dakar, babestua sentitzen zarelako. Askok ikusten dute egin daitekeela, eta ondorenerako zerbait gelditzen da hor. Aurrerapausoak egin behar ditugu, baina euskararen normalizazioaren partida ez da hasi ere egin.

Euskaraldia entrenamendua da. Alegia, benetako partida hasiko da bi taldeek hamaika jokalari dauzkatenean. Eta, egun, euskaraz egin nahi dugunon taldeak ez ditu hamaika jokalari, sei baizik.

Eta denak defentsak.

Eta besteek ez dutenez ulertzen, ezin da jokatu. Gure ingurune sozial gehienetan nahastuta bizi garenez, nahikoa da batek ez ulertzea hizkuntza aldatzeko. Kondenatuta gaude gutxi batzuk gaudenean entrenamenduak egitera, baina ezin dugu partida jokatu. Orduan, partida jokatzeko gutxieneko baldintza da jokalari denek ulertzea. Euskaraldiak ematen du aukera beste begirada bat emateko, beste praktika batzuk sortzeko. Horrez gain, baldintzak sortu behar ditu herri gogoa piztu eta neurri politiko ausartagoak hartzeko. Batera doaz.

Aurreko Euskaraldian egin zen inkestetan, aipatzen zen puntuetako bat hori zen: erakunde batzuek txapak jarri bai, baina gero ez zirela ikusi neurri errealik. Nola eragin horretan?

Lau alor daude elkarren beharrean: hizkuntza politika, plangintza, irakaskuntza eta praktika soziala. Euskaraldia bete-betean kokatzen da praktika sozialean, eta, hori beharrezkoa den arren, ez da hori bakarrik. Lau alor horiek elkar elikatu beharko lukete. Ez du zentzurik neurri politikorik hartzeak, edo plangintzak egiteak, gero ez badago hizkuntza praktika koherente bat. Eta hizkuntza praktika ez badago lotuta ezarritako planekin, neurri horiek zilegitasuna galtzen dute. Aldi berean, herri gogo edo behar hori hizkuntza praktikatik sortzen denean, aukera eman beharko luke erabaki politiko instituzional edo sozioekonomiko ausartagoak hartzeko. Ez badago herri gogo bat, garbi ikusten da zailagoa dela neurri politiko sozial ausartagoak hartzea. Horregatik elikatzen dute elkar.

Eskatzen duzuna da, orduan, herritarrak eskatzaileago izatea?

Hemen helburu bakoitzak dauka berea, eta batek aprobetxatu behar du besteak egiten duena. Guk herritar moduan daukagun tresnarik handiena erabilera da, horren bidez ematen diogulako euskararen auziari koherentzia eta beharra. Ematen diogu herri gogoa. Hori da guk egin dezakeguna, eta egiten ari gara. Baina horrek sortu behar du dinamika bat irakaskuntzatik gauzak hobeto egiteko, plangintza kontuetan uholde hori aprobetxatzeko, eta politikak egokitzeko. Adostasun sozial eta politiko zabalagoak egiteko, azken batean.

Eta herri gogorik ez badago?

Erakundeak Euskaraldiaren parte diren heinean, herri gogo hori piztearen parte dira. Batuketa horretatik etorri da Euskaraldiak hartu duen dimentsioa, eta herri indarren sinergia batzuk ikustea. Horrek babesa eman dio.

Beldur zara batzuk Euskaraldiaren txapa jartzera mugatuko ote diren, eta ez duten egingo eskatzen zaien hori?

Arrisku hori badago, jakina. Kontua da zenbat diren: gehienak, erdia edo laurdena. Gehienek txukun egiten dute, eta horretan konfiantza dut. Egongo dira salbuespen batzuk, baina jendeak joera izan zuen eskatutakoa betetzeko. Horietatik guztietatik, gainera, zerbait geratzen da.

Soziolinguistika Klusterrak bost urtean behin egiten duen euskararen kale erabileraren neurketaren hurrengo inkesta 2021. urtean egingo da. Euskaraldiaren ondoriorik sumatu beharko litzateke hurrengo urteko neurketa horretan?

Tamalez, ez dut uste sumatuko denik. Aurreikusi daiteke, eta egon daitezke aldaketa txiki batzuk, baina zaila da salto kualitatibo handiak ematea. Hizkuntza eremu zulatuetan bizi gara, eta, orduan, gure ingurunean ez dago erabateko ezagutzarik. Badago jendea zailtasuna duena euskaraz egiteko, edo ulertzen ez duena. Orduan, Euskal Herria arigune bihurtzen ez den artean, taldeko baldintza horiek asko mugatuko dute erabileraren bilakaera.

Baina euskararen ezagutza handitzen ari da, eta kale erabileran ez da halako igoerarik sumatu.

Bai, baina talde batean, euskaldunen dentsitatea handia izan arren, bik ulertu ezean horrek eragiten du.

Euskaraldi gehiago beharko ditugu aurrerapausoak ikusteko?

Erabileraren benetako partida ikusten hasiko gara denok euskaraz ulertzen dugunean. Orduan ikusi ahal izango da benetako jauzi kualitatiboa. Bitartean egingo ditugunak entrenamenduak izango dira. Baina komenigarria izango litzateke, nik uste, itun sozial bat proposatzea, epeekin. Ados, orain arte ez ditugu baldintza egokiak sortu, baina noiz arte? 25 urteko epean iritsi beharko ginateke ulermen unibertsala ziurtatzera gutxienez euskal herritar guztien artean. 0tik 10erako eskalan 5eko ulermen mailara gerturatu beharko genuke.

Egungo egoera kontuan hartuta, Araban, Bizkaian eta Gipuzkoan bide hori ezarri daiteke, baina Nafarroan eta Iparraldean zailagoa da aukera hori…

Zailagoa da, bai, eta hori egokitu beharko litzateke egoera administratiboen arabera. Orduan hasiko litzateke benetako Euskaraldia, eta ikusi beharko genituzke urte horietan egindako entrenamenduen emaitza argiagoak.

Aurtengo Euskaralditik zer espero duzu?

Garapentxo bat pedagogia sozialaren alorrean. Ideiak hobeto ulertuko dira, parte hartzea txikiagoa izaten ari den arren. Egia da ariguneen tresna erdibidean geratuko dela aurten, baina ildo horretan lan egiten jarraitu jarraitu beharko dela iruditzen zait.