«Nous achetons des choses qui ne servent jamais»
Bruno Fay
www.sudouest.fr/2012/03/28/nous-achetons-des-choses-qui-ne-servent-jamais-671326-4018.php
Les événements climatiques extrêmes, nouvelle réalité
Audrey Garric
Le Monde du 23.03.2012
« Des chercheurs touchent beaucoup d’argent pour attaquer la science »
Stéphane Foucart
Le Monde du 29.03.2012
La crise épargnerait-elle l’économie verte ?
Rémi Barroux
Le Monde du 23.03.2012
Comment Sarkozy a enterré l’écologie
Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article2236.html – 28.03.2012
Rio + 20 : un sommet qui jouera petits bras
Fred Pearce*
www.courrierinternational.com/article/2012/03/29/rio-20-un-sommet-qui-jouera-petits-bras
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«Nous achetons des choses qui ne servent jamais»
Bruno Fay
www.sudouest.fr/2012/03/28/nous-achetons-des-choses-qui-ne-servent-jamais-671326-4018.php
Éric Lecoutre est adhérent du mouvement Bizi qui milite pour une consommation responsable. L’association vient d’éditer un guide de l’éco-citoyenneté, Ekobai, disponible sur Internet.
« Sud Ouest ». Qu’appelez-vous une « consommation responsable » ?
Éric Lecoutre. Nous vivons dans un modèle de société qui consomme de plus en plus. En consommant toujours plus de biens, nous détruisons les matières premières et contribuons à augmenter les émissions de gaz à effet de serre à l’origine du changement climatique. Derrière chaque produit, ce sont en effet des matières premières et de l’énergie en moins et un déchet supplémentaire à traiter en fin de vie. Être un consommateur responsable, c’est avoir conscience de l’impact de ses achats, sur le plan environnemental et sur le plan social. Il ne s’agit pas de ne plus rien consommer du tout ou de revenir à l’âge de pierre, mais de consommer plus intelligemment.
Et comment consommer plus intelligemment ?
À chaque fois que l’on s’apprête à acheter un produit, il faut commencer par se poser la question : en ai-je vraiment besoin ? Sous l’effet de la mode ou de la publicité, nous achetons souvent bêtement des produits qui ne servent jamais ou que nous n’utilisons qu’une fois ou deux avant de les ranger au fond d’un placard. S’il s’agit d’un vrai besoin, il faut privilégier le réemploi et le recyclage. Nous avons également tendance à perdre le réflexe de la réparation, à oublier qu’il existe des cordonniers, des couturières et des artisans capables de remettre en état un poste de télévision ou de donner une nouvelle vie à nos produits usagers. Dans certains cas, on peut aussi mutualiser les biens. Je pense par exemple à une perceuse électrique qui va servir une fois dans l’année. Pourquoi ne pas la prêter ou l’emprunter à des amis ? Nous avons ouvert à Bayonne, au Sankara, un centre de prêt qui fonctionne par exemple très bien.
Que faire si l’on a vraiment besoin d’un produit neuf ?
Il faut d’abord bien lire les étiquettes et privilégier les biens ou les denrées alimentaires produits près de chez soi de manière à éviter les émissions de gaz à effet de serre liées aux transports de marchandises. Il faut aussi se méfier des produits à bas coûts et s’interroger sur leur durée de vie. Nous vivons à l’ère de l’obsolescence programmée. Les fabricants ont intérêt à nous vendre des biens périssables qui ont une durée de vie limitée. C’est un modèle hyper vicieux. La responsabilité en incombe au législateur, qui pourrait obliger les entreprises à produire des biens de meilleure qualité plus respectueux de l’environnement, mais aussi à chaque consommateur qui doit apprendre à développer un esprit critique.
Les événements climatiques extrêmes, nouvelle réalité
Audrey Garric
Le Monde du 23.03.2012
Sécheresses intenses, pluies diluviennes, tempêtes tropicales et autres ouragans dévastateurs : les coups durs du climat se sont multipliés et intensifiés au cours de la dernière décennie. C’est ce que conclut une étude publiée dans Nature climate change lundi. Mais au-delà des simples courbes et statistiques, la question qui divise la communauté scientifique réside dans l’enjeu de la responsabilité : variabilité naturelle du climat ou effet du changement climatique d’origine anthropique ? Les auteurs de ce nouveau rapport sont catégoriques : il existe un lien entre les activités humaines et l’intensification des événements climatiques extrêmes.
Pour obtenir ces résultats, Dim Coumou et Stefan Ramstorf, chercheurs à l’institut du climat de l’université allemande de Potsdam, ont étudié les événements climatiques des dix dernières années dépassant de précédents records, à l’aide de 86 articles scientifiques, et les ont comparés à des séries statistiques plus longues grâce à des modèles climatiques. Ils ont analysé tout particulièrement trois types de phénomènes extrêmes :
- Les canicules.
En 2003, l’Europe a vécu son été le plus chaud depuis 500 ans (entraînant 70 000 morts), une vague de chaleur sans précédent a embrasé le bush australien en 2009, et en 2010, la Russie a été confrontée à une canicule affectant sa population (11 000 personnes en seraient mortes rien qu’à Moscou) et ses récoltes (baisse de 30 % de la production céréalière en raison de la sécheresse et des incendies, forçant Moscou à interdire les exportations de blé).
Ces chaleurs extrêmes sont de plus en plus fréquentes. Les étés, surtout, comme le montre cette courbe de Gauss de la moyenne climatique entre 1500 et 2002 – avec, en bleu, les années records de fraîcheur estivale, et en rouge, celles de chaleur. Le graphique du bas indique la fréquence décennale des étés extrêmes (définis comme les 5 % les plus chauds de la période entre 1500 et 2002).
Mais ces extrêmes ne concernent pas que les périodes estivales. Aujourd’hui, sur l’ensemble de l’année, le nombre de records atteint par les températures mensuelles sur le globe est trois fois supérieur à celui qui devrait être observé dans un climat stationnaire, comme le montre ce schéma qui établit un ratio entre les records de températures observés et ceux qui auraient été attendus dans une situation « normale » :
Au total, neuf des dix années les plus chaudes enregistrées l’ont été au cours de la dernière décennie — 2010, 2005 et 1998 constituent les trois records de températures moyennes depuis le début des relevés en 1880. Pour les deux chercheurs, un lien existe entre ces canicules et le réchauffement climatique provoqué par l’homme. Leur étude rejoint ici nombre de travaux scientifiques, et notamment ceux du laboratoire de la NASA, le Goddard Institute for Space Studies dirigé par James Hansen, pour lequel la hausse des températures est largement soutenue par l’augmentation des concentrations des gaz à effet de serre dans l’atmosphère, particulièrement du dioxyde de carbone, produit par les activités humaines (production d’énergie, transports, industrie, etc.). La concentration de CO2 dans l’atmosphère, de 285 parties par million en 1880, a ainsi aujourd’hui dépassé les 390 parties par million, soit davantage que le taux maximal « acceptable » de 350 ppm.
- Les pluies intenses
La dernière décennie a connu un nombre record de précipitations extrêmes et dévastatrices, telles que les inondations dramatiques au Pakistan en juillet 2010 (20 millions de personnes affectées et au moins 3 000 morts) ou celles dans l’Est de l’Australie en décembre de la même année (l’épisode le plus intense dans le pays depuis 1900, avec 2,5 milliards de dollars de dégâts).
Pour les scientifiques de l’université de Potsdam, ces épisodes de pluies intenses sont également à lier avec le changement climatique, du moins aux Etats-Unis, en Europe et en Australie, où des statistiques de longue durée existent et permettent d’établir des corrélations. Ainsi, les précipitations extrêmes (0,1 % des épisodes de pluie quotidiens) ont augmenté d’un tiers au cours du siècle dernier aux Etats-Unis. Et en Europe, les pluies extrêmes hivernales ont été multipliées par huit depuis 150 ans. Enfin, la quantité de vapeur d’eau dans l’atmosphère a augmenté de 4 % depuis 1970.
- Les ouragans
2004 a vu le plus grand nombre de cyclones jamais comptés dans une année, et le doublement des plus puissants d’entre eux. Cette année-là, un cyclone a pour la première fois été enregistré en Atlantique Sud. Et en 2007, c’est la mer d’Arabie qui a été frappée par le plus puissant cyclone jamais observé dans la région, entraînant la plus grave catastrophe naturelle d’Oman.
Au final, les ouragans, cyclones et tempêtes tropicales les plus puissants sont plus nombreux. C’était aussi la conclusion de deux précédentes études publiées en 2005, la première dans Nature, qui montrait que l’énergie totale dissipée par les ouragans de l’Atlantique Nord et du Pacifique Ouest avait augmenté de 70 % depuis 30 ans, et la seconde, dans Science, confirmant que le nombre d’ouragans de catégorie 4 ou 5 a augmenté de 57 % entre 1970 et 2004.
Dans ce domaine, les scientifiques restent toutefois prudents. Ils estiment que si une augmentation du nombre et de l’intensité des ouragans entre 1980 et 2005 a bel et bien été mise à jour, il n’y a pas encore de preuve certaine qu’il s’agisse d’une conséquence du changement climatique d’origine anthropique.
En conclusion, les événements climatiques extrêmes se sont multipliés cette dernière décennie, et si l’on ne peut pas les lier un par un, de manière systématique, au changement climatique, ce dernier est bien responsable de cette tendance générale. « Les phénomènes météorologiques extrêmes peuvent être liés à des oscillations climatiques régionales comme El Niño ou La Niña, concèdent les auteurs. Mais aujourd’hui, ces processus se déroulent dans un contexte de réchauffement climatique. Cela peut transformer un événement extrême en un événement de tous les records. Il est même très vraisemblable que plusieurs des phénomènes extrêmes sans précédents de la dernière décennie n’auraient pas eu lieu sans le réchauffement planétaire d’origine anthropique. »
« Des chercheurs touchent beaucoup d’argent pour attaquer la science »
Stéphane Foucart
Le Monde du 29.03.2012
Historienne des sciences de la Terre, professeure à l’université de Californie à San Diego (Etats-Unis), Naomi Oreskes est coauteur, avec Erik Conway, d’un ouvrage de référence sur les racines du climatoscepticisme, qui paraît en français – Les Marchands de doute (Le Pommier, 524 pp., 29 euros). De passage à Paris, où elle donne une série de conférences, elle a accordé un entretien au Monde.
Existe-t-il un vrai débat scientifique sur la réalité du changement climatique ?
Non. Il n’y a pas de débat scientifique sur le fait que le réchauffement a bien lieu et qu’il est principalement le fait des gaz à effet de serre anthropiques et de la déforestation. D’ailleurs, les bouleversements actuels sont en accord avec ce qui a été prévu de longue date par les spécialistes.
Avoir un débat scientifique sur telle ou telle question obéit à des règles précises : il se tient entre experts du domaine qui publient leurs résultats dans des publications soumises à la revue par les pairs, c’est-à-dire à l’expertise du reste de leur communauté. Rien de cela ne caractérise ceux qui s’opposent à la science climatique.
Aux Etats-Unis, qui sont les « experts » qui contestent la science climatique ?
La plupart de ceux qui mettent en cause la science climatique, ou qui assurent qu’il y a un débat sur ses principaux constats, ont auparavant contesté la réalité des pluies acides, du trou dans la couche d’ozone, ou encore de la nocivité du tabac… C’est le premier indice qu’il ne s’agit pas réellement de science, car vous ne trouverez jamais un vrai chercheur naviguant entre des sujets aussi variés et exigeant des compétences aussi différentes.
Le fait que ces scientifiques aient défendu l’industrie du tabac jusque dans les années 1990 – alors que les dégâts de la cigarette étaient déjà massifs – est le plus frappant. Nous avons découvert que plusieurs d’entre eux avaient été rémunérés par l’industrie du tabac via des organisations écrans comme le TASSC – The Advancement of Sound Science Coalition (« Coalition pour la promotion d’une science solide »).
En réalité, cette organisation, qui pourtant se revendique de la science, a été créée par le groupe Philip Morris pour attaquer l’Environmental Protection Agency (EPA), et ce afin d’éviter qu’une législation contre le tabagisme passif ne soit adoptée.
Quelles sont leurs motivations ?
C’est une grande interrogation : pourquoi des scientifiques parfois connus ont-ils engagé leur réputation pour défendre l’industrie du tabac qui tue les gens ? On aurait pu imaginer que leur seul moteur était l’argent. Mais c’est largement insuffisant. Nous montrons qu’au moins pour les scientifiques au cœur de ce feuilleton, les motivations étaient plus politiques et idéologiques que financières. Ils étaient des tenants de ce qu’on peut appeler le « fondamentalisme du libre marché », fondé sur le refus de toute réglementation.
Beaucoup étaient animés par la peur que les réglementations environnementales contre les pluies acides, le trou d’ozone ou le tabac n’ouvrent la voie à un Etat de plus en plus intrusif et oppressif. Il n’en reste pas moins que certains chercheurs, en activité aujourd’hui, touchent beaucoup d’argent pour attaquer la science.
Lorsque vous avez publié votre livre, imaginiez-vous que le déni de la science climatique serait une thèse défendue aujourd’hui, aux Etats-Unis, par les républicains ?
Non, pas dans nos pires cauchemars ! Après l’ouragan Katrina en 2005, nous pensions vraiment que les gens réaliseraient que le changement climatique est une réalité. Nous pensions que notre livre serait surtout intéressant d’un point de vue historique… Les années qui ont suivi ont montré qu’il était ancré pour longtemps dans l’actualité.
En Europe, on voit apparaître dans le débat public les arguments contre les sciences de l’environnement forgés des années auparavant aux Etats-Unis. Comment expliquer ce succès ?
Notre travail a consisté à analyser l’offre, pas la demande ! Mais il y a plusieurs pistes pour répondre. Cette campagne a été à la fois systématique et très bien financée, elle a eu recours à des cabinets de relations publiques qui ont travaillé à bien « enrober » les messages à faire passer, afin de les rendre les plus efficaces possibles, etc.
D’un côté, les scientifiques décryptent un dossier compliqué – le climat – et anticipent la survenue d’événements extrêmes (cyclones, sécheresses…) ; de l’autre, certains disent qu’il ne faut pas s’inquiéter, car le capitalisme et les lois du marché s’occuperont de tout… Quel est le message que vous préférez entendre ?
En France, les climatosceptiques se recrutent à droite comme à gauche…
L’histoire du climato-scepticisme est avant tout une histoire américaine qui prend sa source dans l’angoisse face au communisme… C’est le produit, à l’origine, d’un petit groupe de scientifiques qui ont fait leur carrière pendant la guerre froide et qui, après l’effondrement de l’URSS, ont vu dans les préoccupations environnementales un avatar du socialisme. Cette histoire résonne avec la culture américaine, qui repose sur l’individualisme et la tendance à considérer que le meilleur gouvernement est celui qui gouverne le moins.
En Europe, socialisme et environnementalisme ont une connotation différente. Mais je vois cette campagne contre la science climatique comme une sorte de maladie qui s’est propagée. Et il y a toujours des raisons différentes de tomber malade !
La crise épargnerait-elle l’économie verte ?
Rémi Barroux
Le Monde du 23.03.2012
Celle-ci a représenté 452 600 emplois en 2010, soit une hausse de 4,5 % par rapport à l’année précédente, selon des chiffres présentés par le ministère de l’écologie, mercredi 28 mars. Mais ce chiffre avancé par le Commissariat général au développement durable (CGDD) est à relativiser.
Car il ne traduit pas nécessairement des créations de nouveaux emplois. « Aucun des économistes que nous avons interrogés ne sait dire avec précision quel est le solde des créations d’emplois liées aux activités vertes : certains salariés changent d’activité, certaines entreprises basculent dans le vert sans que cela ne signifie de nouveaux emplois », explique Hélène Bégon, sous-directrice du CGDD.
Seule certitude, selon elle, les grands chantiers prévus par le Grenelle de l’environnement représenteraient, s’ils sont mis en œuvre, 440 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2020 et quelque 600 000 emplois (équivalents temps plein). « Il s’agirait autant d’emplois créés, dans les secteurs des énergies renouvelables, du recyclage, etc., que d’emplois sauvegardés et reconvertis dans les éco-activités », évalue Hélène Bégon.
Selon les chiffres du CGDD, les secteurs les plus dynamiques sont ceux de la collecte et du traitement des déchets, 97 500 emplois, celui du traitement des eaux usées, 95 000. Le secteur des énergies renouvelables, 62 500 emplois, est l’un de ceux qui connaissent la plus forte croissance, avec +19% par rapport à 2009, ainsi que l’agriculture biologique, +22 % (22 500 emplois au total).
EXCÉDENT COMMERCIAL « VERT » EN FORTE HAUSSE
Le secteur de l’économie verte représenterait aussi un atout pour notre balance commerciale. « Alors que la France enregistrait un déficit commercial de 49,4 milliards d’euros toutes branches confondues, avec une aggravation du déficit de 8,6 milliards d’euros entre 2009 et 2010, l’excédent commercial est de 1,1 milliard d’euros pour les éco-activités, soit une hausse de 38% », annonce le CGDD. « L’une des particularités de l’économie verte est de compter beaucoup de PME, spécialisées dans des niches et très actives à l’exportation », analyse Mme Bégon.
Cette réalité semble peu prise en compte par les candidats à l’élection présidentielle. Un débat organisé, mardi 27 mars, par l’association Amorce, qui regroupe des collectivités territoriales, a permis d’aborder ce thème avec les représentants du PS, de l’UMP, d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), du Modem et du Front de gauche.
« Il y a encore beaucoup de déclarations d’intention, et peu font le lien entre la nécessaire rupture environnementale et la création d’emplois », explique Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce, qui regrette que le débat sur l’environnement soit « phagocyté par la question du nucléaire« .
Quelques pistes concrètes ont néanmoins été dégagées. Le Parti socialiste et EELV proposent de rendre obligatoire la rénovation thermique des logements avant une vente. Et, de façon consensuelle, les représentants des candidats ont jugé nécessaire l’adoption d’un plan national de lutte contre le gaspillage alimentaire. « Du côté des collectivités locales, on voit monter en puissance les questions d’énergie, et l’un des nouveaux métiers les plus prisés est celui d »économe de flux' », témoigne Nicolas Garnier.
Selon un sondage réalisé par BVA (500 enquêtes réalisées du 1er au 3 mars), et publié par le magazine Valeurs vertes le 14 mars, 64 % des personnes interrogées considèrent que l’économie verte est une opportunité pour la création locale d’emplois. Les énergies renouvelables, l’habitat et l’agriculture biologique sont les trois secteurs mis en avant.
Comment Sarkozy a enterré l’écologie
Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article2236.html – 28.03.2012
Le Grenelle de l’environnement, c’était il y a bien longtemps. Que reste-t-il de ce début en grande pompe du quinquennat ? Le transport routier a-t-il reculé ? Les énergies renouvelables se sont-elles développées ? L’agriculture bio a-t-elle été soutenue aux dépens des pesticides ? Basta ! tire le bilan des quatre grandes arnaques écolos du président-candidat.
Ce devait être « un New Deal écologique », selon Nicolas Sarkozy. La signature, en octobre 2007, des 268 engagements issus du Grenelle de l’environnement devait incarner « l’acte fondateur d’une nouvelle politique ». Le nouveau chef de l’État avait su mettre autour d’une même table organisations environnementales, syndicats, patronat et collectivités locales. Ce que n’avait jamais envisagé de faire ni le gouvernement de gauche plurielle ni Jacques Chirac. On allait voir ce qu’on allait voir. Au bout de cinq ans, 2 lois et 128 décrets, force est de constater que nous n’avons pas vu grand-chose, alors que le ministère de l’Écologie est en vacance pour cause de campagne électorale.
«Le Grenelle était avant tout une autopromo élyséenne», fustige Stephen Kerckhove, délégué général d’Agir pour l’environnement. En moins de cinq ans, les mesures de « rupture » se sont perdues en chemin. Cerise sur le gâteau, Nathalie Kosciusko-Morizet, la ministre de l’Écologie, a annoncé sa démission le 22 février, afin de devenir porte-parole du « président-candidat ». C’est désormais François Fillon qui a repris ses attributions. Pas sûr que le président sortant accepterait aussi facilement la vacance du ministère de l’Économie et des Finances…
Arnaque n° 1 : le transport routier favorisé
« Toutes les décisions publiques seront désormais arbitrées en intégrant leur coût pour le climat et la biodiversité, affirmait Nicolas Sarkozy il y a à peine cinq ans. Très clairement, un projet dont le coût environnemental est trop lourd sera refusé. » Ce principe fondamental n’a pas été traduit dans les textes de loi. De nombreux chantiers ont vu le jour malgré leur très lourd coût environnemental. Le 17 janvier 2012, le Président a notamment confirmé le lancement de l’appel d’offres du projet A45 entre Saint-Étienne et Lyon. Son tracé longe une liaison ferroviaire et constitue le doublon d’une autoroute existante, l’A47 (lire notre article). Un an plus tôt, le ministère de l’Écologie a présenté l’avant-projet de Schéma national des infrastructures de transport (Snit), qui prévoit 732 kilomètres d’autoroutes supplémentaires en France, venant s’ajouter aux quelque 10 000 km existants. Augmenter de presque 10 % la pieuvre autoroutière, ce n’est pas vraiment « le changement de paradigme » qu’on pouvait espérer du Grenelle de l’environnement.
Le gouvernement n’a pas cessé d’accorder des avantages concurrentiels à la route. Le 6 septembre 2011, à l’occasion d’une rencontre avec les salariés d’une société de transport, le Président affirme que l’augmentation du report modal – vers le transport ferroviaire, fluvial et maritime – ne se fera pas au détriment du transport routier. Mieux, il « regrette que l’autorisation de circulation des 44 tonnes ne soit pas directement généralisée au-delà du seul transport de marchandises agricoles » (lire ici). Nicolas Sarkozy peut être rassuré. La part du ferroviaire et du fluvial a diminué de 12 % entre 2006 et 2009.
Et si le ministère de l’Écologie se réjouit de l’augmentation des lignes de tramways, elles sont principalement financées par les collectivités locales… Dans le même temps, Sarkozy multiplie les appels du pied aux transporteurs routiers : après avoir allégé la taxe à l’essieu en 2008, il a également repoussé la taxe kilométrique poids lourds en 2013. C’est très discrètement que le Parlement a adopté le 29 février 2012 la levée de l’obligation d’un sixième essieu pour les 44 tonnes, ce qui va accroître l’usure des routes [1]. Or, le transport routier représente le premier secteur émetteur de gaz à effet de serre avec 27 % des émissions totales françaises, rappelle l’Union Solidaires Transports.
Arnaque n° 2 : les énergies fossiles subventionnées
Le secteur aérien, le plus énergivore par passager et kilomètre parcouru, est lui aussi préservé. L’aéroport Notre-Dame-des-Landes est bien inscrit dans le projet de Schéma national des infrastructures de transport (lire nos articles), et le kérosène reste le seul carburant exonéré de taxes pour les vols intérieurs. Un manque à gagner de 1,3 milliard d’euros qui n’a pas échappé à la Cour des comptes. Dans un rapport sur l’impact budgétaire et fiscal du Grenelle de l’environnement publié le 18 janvier 2012, elle constate que le « réexamen des dépenses fiscales défavorables à l’environnement (…) fournirait des marges de manœuvre très importantes qui permettraient aisément d’équilibrer le volet fiscal du Grenelle ». La seule suppression du taux réduit de la taxe sur le gazole et le fioul domestique permettrait de dégager des marges de manœuvres fiscales à hauteur de 16 milliards d’euros pour, par exemple, financer la rénovation thermique des bâtiments trop énergivores.
Au contraire, « la crise a eu raison des incitations fiscales pour la rénovation des logements, en supprimant l’aide pour les propriétaires de logements anciens », relève l’association les Amis de la Terre. Cet abandon en rappelle un autre : la « contribution climat énergie », initialement appelée « taxe carbone », devait être « la » mesure permettant d’asseoir enfin une fiscalité écologique efficace en France. En décembre 2009, le Conseil constitutionnel estime que les nombreuses exonérations inscrites dans le texte de loi créent une rupture de l’égalité devant l’impôt et rejette la nouvelle taxe. En matière de fiscalité écologique, au sens entendu par le gouvernement, seuls la prime à la casse et le bonus-malus ont été mis en œuvre, dopant l’achat de véhicules neufs, certes un peu moins polluants.
Arnaque n° 3 : les énergies renouvelables stagnent
La loi Grenelle 1 affiche l’objectif de 23 % d’énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie d’ici à 2020, un objectif partagé par les pays européens. Or, les dispositions de la loi Grenelle 2 ont rendu plus contraignantes les règles d’implantation d’éoliennes avec un seuil minimum de cinq éoliennes par parc. Surtout, elle les considère comme des « installations classées pour la protection de l’environnement » (ICPE, voir notre analyse), au même titre qu’une décharge ou qu’un oléoduc. L’élan de la filière photovoltaïque est également stoppé avec la dégringolade des tarifs de rachat, et malgré la demande des industriels du secteur de dégonfler progressivement la bulle spéculative qui s’était constituée. 10 000 à 15 000 personnes ont été licenciées à la suite des décisions politiques prises en 2010 et en 2011 (lire ici). Résultat, la part des énergies renouvelables n’atteignait dans la consommation d’électricité que 14,6 % en 2010… soit le même niveau qu’en 1997.
Le gouvernement a-t-il fait mieux dans la maîtrise de la consommation d’énergie ? Nathalie Kosciusko-Morizet avait promis une révolution énergétique avec la nouvelle réglementation thermique (RT 2012) encadrant les constructions neuves. Le manque de formation des professionnels, les mauvais calculs des performances thermiques, les faibles contrôles et l’absence de transparence analysés ici par Basta ! révèlent une terrible imposture. Et l’incapacité du gouvernement à penser l’émergence de nouvelles filières industrielles.
Arnaque n° 4 : les pesticides plutôt que le bio
Sur le papier, enfin, c’est vive le bio ! Dans les faits, le gouvernement a assoupli les normes d’épandage et autorisé l’augmentation des rejets de nitrate. Et a réduit les aides à l’agriculture biologique. La loi de finances 2011 stipule que le crédit d’impôts alloués aux agriculteurs qui se convertissent en bio sera divisé par deux (il passe de 4 000 à 2 000 euros). Lors du fameux Grenelle de l’environnement, le gouvernement avait promis de multiplier par trois la surface des champs cultivés en bio, histoire de grimper à 6 % de surface agricole utile. Aujourd’hui, la France n’aligne que 2,5 % de surfaces cultivées en bio contre 15,7 % en Autriche.
Autre promesse non tenue : alors que la France s’était engagée à réduire de moitié l’usage des pesticides d’ici à 2018 grâce à son plan Ecophyto, elle reste le premier pays européen consommateur de pesticides. Au même moment, la recherche en santé environnementale est mise à mal. Ainsi, la décision de suspendre un registre sur les malformations congénitales va à l’encontre des dispositions du Grenelle et du Plan national santé environnement, qui insistent sur l’urgence de mieux connaître les facteurs toxiques qui affectent les nouveau-nés (lire notre article). « L’environnement, ça commence à bien faire », avait lâché le Président désormais candidat lors de l’édition 2010 du Salon de l’agriculture. À l’aune du maigre bilan sur le sujet, c’est peut-être sa seule déclaration vraiment sincère.
Notes
[1] En permettant aux camions de circuler avec quatre tonnes de plus sans avoir à ajouter un essieu supplémentaire, cette disposition va entraîner l’usure accrue de la route, engendrant un supplément annuel d’entretien de 400 millions d’euros, selon le conseil général de l’Environnement et du Développement durable.
Rio + 20 : un sommet qui jouera petits bras
Fred Pearce*
www.courrierinternational.com/article/2012/03/29/rio-20-un-sommet-qui-jouera-petits-bras
• 1992. La conférence de Rio marque un tournant dans la prise de conscience mondiale sur les questions d’environnement. • 2012. Le prochain sommet de la Terre, Rio + 20, se déroulera du 20 au 22 juin dans la métropole brésilienne. On sait déjà qu’il n’y aura pas de nouveau traité, s’insurge le journaliste britannique Fred Pearce. • Mais si gouvernements et institutions délaissent l’écologie, scientifiques et associations locales sont plus que jamais engagés.
Il serait facile d’être cynique. En 1992, plus de cent dirigeants du monde entier, parmi lesquels George H. W. Bush, étaient venus à Rio de Janeiro assister au sommet de la Terre. Ce méga événement de deux semaines avait suscité un intérêt énorme, conduit à la signature de deux traités révolutionnaires sur le changement climatique [la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc)] et sur la biodiversité [la Convention sur la diversité biologique (CDB)], et donné lieu à de grandes déclarations sur la création d’un monde vert et équitable.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux décennies qui ont suivi n’ont pas vraiment tenu ces promesses. George W. Bush a rompu le traité sur le climat signé par son père en refusant de ratifier le protocole de Kyoto. Les émissions de gaz à effet de serre ont considérablement augmenté, le pillage des ressources naturelles s’est intensifié, la nature recule toujours, le monde est devenu moins équitable et le changement climatique, qui était une perspective lointaine, est désormais une réalité effrayante.
Les aspirations du sommet de Rio ont été confiées à un nouvel organe, la Commission des Nations unies pour le développement durable (CDD). Vous n’en avez probablement jamais entendu parler. Et c’est mauvais signe puisque c’est cette commission qui organise Rio + 20, le prochain événement qui doit permettre de laisser une planète habitable aux générations futures. Rio + 20 se tiendra dans la mégalopole brésilienne en juin. Il est aisé de conclure que nos dirigeants ne s’y intéressent pas vraiment. Le sommet ne durera que trois jours (du 20 au 22 juin) au lieu de quatorze pour le précédent. Le président Obama n’y assistera pas. Les organisateurs craignaient tellement qu’aucune personnalité importante ne se déplace qu’ils ont repoussé l’événement après avoir appris, il y a quelques mois, qu’il risquait d’empiéter sur les célébrations du jubilé de diamant de la reine Elisabeth II.
Vingt ans de marche arrière
Le draft zero [projet zéro] (ah, le jargon des Nations unies, quel régal !) communiqué par la CDD à la fin de janvier laisse entendre qu’on ne demandera pas aux participants de signer quoi que ce soit de substantiel qui ne figure pas dans la déclaration de Rio d’il y a vingt ans. Donc, il n’y aura pas de nouveau traité, il y aura beaucoup de belles paroles mais pas de plan d’action.
C’est bien beau d’appeler à une “économie verte” mais, comme le fait remarquer la Green Economy Coalition, un regroupement d’ONG, d’instituts de recherche, d’organisations des Nations unies, d’entreprises et de syndicats, le texte ne mentionne pas comment y parvenir.
“Comment allons-nous financer une économie verte et juste ? Comment faire en sorte que les plus pauvres en profitent ?[…] Comment une économie verte améliorera-t-elle la gestion de la nature ?” demandait-elle dans une déclaration rendue publique le mois dernier. Les responsables politiques occidentaux pensent peut-être qu’avec la crise économique, l’année 2012 n’est pas le bon moment pour s’attaquer aux questions d’environnement. On peut leur répondre que si nous sommes dans ce pétrin, c’est, entre autres, à cause de la rapacité avec laquelle on a exploité les ressources naturelles au cours des vingt dernières années – ce qui a provoqué, par exemple, une forte augmentation du prix des matières premières – et que “l’économie verte” est la seule solution à long terme.
Le fait est que nous sommes allés en marche arrière au cours des deux dernières décennies. La puissance croissante de grands pays en développement comme la Chine et le Brésil fait souvent reculer les projets internationaux en matière de développement durable. Les gouvernements de ces pays considèrent même que les directives internationales actuelles, qui prônent mollement des normes sociales et environnementales dans les projets de développement, empiètent sur leur souveraineté nationale et freinent leur croissance économique au lieu de les renforcer et de les rendre durables.
Résultat, selon Andy White, coordinnateur de Rights and Resources Initiative, une association de Washington, “il n’y a rien dans le projet de document Rio + 20 qui évoque les droits des pauvres sur leurs terres et leur forêt, alors que nous savons qu’ils protègent bien mieux la nature que les gouvernements ou les entreprises privées”.
Le bricolage habituel ne suffit pas. Ce qu’il faut, c’est une gouvernance écologique pour cette planète surpeuplée au bord de l’épuisement. Il est temps de redéfinir le programme du sommet Rio + 20.
Et, dans cette optique, les chercheurs du monde entier font leur possible. Ils savent mieux que quiconque à quel point les écosystèmes se sont détériorés depuis 1992 et à quel point une catastrophe écologique et climatique est imminente.
Le Conseil international de la science (Icsu), qui représente les organismes scientifiques de 140 pays, parmi lesquels l’Académie nationale des sciences des Etats-Unis, a tenu une conférence à Londres ce mois-ci dans le but de pousser les responsables politiques à entreprendre des actions concrètes à Rio. Intitulé “Planet Under Pressure” [Planète sous pression], cet événement était l’une des conférences préparatoires officielles du sommet. Selon l’Icsu, “la forte recrudescence des catastrophes naturelles et des problèmes de sécurité alimentaire et d’eau ainsi que le recul de la biodiversité figurent parmis les signes d’une menace planétaire sur le point de se concrétiser”.
Rhétorique verte
Les chercheurs mettent en place des systèmes d’alarme pour repérer ces points critiques. Si ces systèmes avaient existé il y a quarante ans, ils auraient peut-être signalé l’émergence brutale d’un trou dans la couche d’ozone au-dessus de l’Antarctique.
Mais les scientifiques n’entendent pas se contenter de prédire des catastrophes, ils veulent aussi les arrêter. Pour cela, il faut de nouvelles institutions et de nouveaux acteurs.
Selon Frank Biermann, de l’université libre d’Amsterdam, qui dirige le projet Gouvernance du système Terre à l’Icsu, “nous devons réorienter et restructurer nos institutions nationales et internationales”.
“Il nous faut un moment constitutionnel, précise-t-il, un moment similaire au grand mouvement transformateur d’après 1945 qui a mené à l’établissement des Nations unies et d’autres institutions internationales, comme la Banque mondiale. Il nous faut au minimum quelque chose comme un Conseil de sécurité environnementale des Nations unies – un organe qui ait vraiment le pouvoir de demander des comptes aux gros pollueurs, aux ravageurs d’écosystèmes et aux pilleurs de ressources.”
Le sommet Rio + 20 manque cruellement d’apports extérieurs. D’après le programme et le projet de texte officiels, les responsables politiques ne semblent vraiment pas décidés à aller au-delà de la rhétorique verte que nous avons entendue dans la bouche de leurs prédécesseurs il y a vingt ans, dans la même ville. Ce n’était déjà pas suffisant à l’époque, ce n’est assurément pas suffisant aujourd’hui.
Note : *Journaliste et écrivain spécialiste de l’environnement, Fred Pearce contribue à de nombreux journaux, sites et revues anglophones comme The New Scientist, The Guardian, Yale Environment ou The Boston Globe. Il est l’une des voix les plus influentes au monde dans les domaines de l’écologie et du développement.