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Articles du Vendredi : Sélection du 29 novembre

De Dubaï à Belem, les trois années cruciales pour l’action climatique
Matthieu Goar
www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/29/de-dubai-a-belem-les-trois-annees-cruciales-pour-l-action-climatique_6419704_3232.html


Après l’épilogue en demi-teinte de la COP29 de Bakou, il reste moins de quatre ans pour tenter d’enrayer le volume des émissions de gaz à effet de serre afin de contenir le réchauffement climatique à + 1,5 °C d’ici à la fin du siècle.
A la fin du prologue de son célèbre livre Effondrement (Folio, 2009), le biologiste et géographe américain Jared Diamond explique les raisons profondes de son intérêt pour la disparition des anciennes civilisations. « De façon inédite dans l’histoire, nous courons le risque d’un déclin mondial. Mais nous sommes également les premiers à pouvoir rapidement tirer les leçons des événements qui se produisent partout ailleurs dans le monde aujourd’hui, comme de ce qui s’est produit pour n’importe quelle autre société du passé », écrit-il avant de décrire la fin des Mayas, des bâtisseurs des statues de l’île de Pâques ou des colonies vikings du Groenland.
Ausculter pour mieux survivre ? Cette ambition intellectuelle résume aussi parfaitement la rude tâche des conférences des parties des Nations unies sur le climat (COP). Chaque année, les 197 pays de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques ont à leur disposition de plus en plus de littérature scientifique. Chaque année, les négociateurs peuvent lire les rapports de l’Organisation des Nations unies (ONU) sur la mise en œuvre trop lente des politiques. Chaque année, ils mesurent le chemin à accomplir et la masse de sujets à dénouer en deux semaines.
A Bakou, en Azerbaïdjan, lors de la COP29, les diplomates et les ministres ont sauvé les apparences. Dimanche 24 novembre, tard dans la nuit, ils ont réussi à s’accorder sur le principal texte de cette conférence. A l’horizon 2035, les pays développés devront apporter tous les ans 300 milliards de dollars (284,71 milliards d’euros) d’aide aux pays en développement. Ces derniers ont jugé cette somme dérisoire. Leurs besoins pour faire face aux impacts et pour financer leur transition énergétique se comptent en milliers de milliards.
Confiance ébréchée
L’épilogue en demi-teinte de cette COP est à replacer dans un contexte plus large, sur une route qui mène de Dubaï à Belem (Brésil). En 2023, la COP28, aux Emirats arabes unis, a fixé une ambition, la « transition hors des énergies fossiles ». Celle de 2025 au Brésil arrivera dix ans après l’adoption de l’accord de Paris et devra être le lieu de renforcement des politiques climatiques des Etats pour entretenir le mince espoir de contenir le réchauffement à moins de 1,5 °C.
Bakou a ajouté des obstacles sur ce chemin déjà très tortueux. Car la COP29 a ébréché un peu plus la confiance entre les parties. La finance climatique est vue par beaucoup de pays en développement comme la « réparation » d’une « dette climatique » du Nord, les pays riches ayant fait tourner le moteur de leur croissance en émettant l’immense majorité des gaz à effet de serre depuis 1850. Les pollueurs doivent payer, répètent les dirigeants des Etats africains ou des îles menacées par la montée des eaux. Selon les pays en développement, ces milliards sont aussi la seule façon de mettre en œuvre les mots de Dubaï.
Comment financer la sortie des énergies fossiles sans moyens ? Comment protéger les populations alors que 93 % des pays les plus vulnérables aux catastrophes climatiques sont en situation de surendettement, selon l’ONG ActionAid ? L’affrontement entre le Nord et le Sud n’augure rien de bon, car la défiance va mécaniquement pousser certains pays du Sud à amoindrir leur contribution déterminée au niveau national – c’est-à-dire leur plan de réduction des gaz à effet de serre –, qui doit être livrée à l’ONU dans les mois à venir.
Difficile de blâmer les pays occidentaux. Dans la délégation européenne, les ministres et les négociateurs savaient que leur marge de manœuvre était limitée. En Europe, de nombreux gouvernements ont mis en place des budgets de rigueur.
L’élection de Donald Trump a aussi montré que le populisme continuait à conquérir les opinions occidentales, souvent en attisant les colères, notamment contre la transition écologique. Alors, ils espèrent que les investissements du privé vont monter en puissance pour soutenir la transition dans les pays en développement. En 2022, selon l’ONU, ils n’ont attiré que 544 milliards de dollars dans les énergies propres, alors que leurs besoins dans ce domaine s’élèvent à 1 700 milliards de dollars par an.
Aucun sursaut
Pour redonner confiance dans la diplomatie climatique, les pays développés devraient enfin s’attaquer à une réforme de l’architecture financière mondiale ou aller chercher de l’argent par des financements innovants. Beaucoup de choses sont à l’étude, comme la taxe de 2 % sur la fortune des milliardaires du monde entier portée par le Brésil de Lula et défendue par quelques pays européens. Mais, avec l’élection de Donald Trump, ces pistes n’ont aucune chance de se concrétiser dans les mois à venir.
Ambition à Dubaï, financement pour mettre en œuvre à Bakou et renforcement des politiques climatiques à Belem… Le succès de cette trilogie de COP est crucial. Selon les données de l’« Emission Gap Report » (« Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions »), le budget carbone restant pour ne pas dépasser le seuil de + 1,5 °C est de 200 gigatonnes. Au rythme actuel des émissions mondiales (57 gigatonnes), il reste moins de quatre ans pour tenter d’enrayer les choses. A moins d’un effort radical dans les années à venir, cet objectif est mort et enterré.
Ni les données de l’atmosphère, avec une année 2024 qui bat tous les records, ni l’augmentation des impacts avec les inondations meurtrières à Valence (Espagne) quelques jours avant la COP ne semblent créer un sursaut. Ni au niveau des gouvernements ni au sein des opinions publiques. Selon Visibrain, une entreprise spécialisée dans la veille numérique, la COP29, noyée par des actualités jugées plus immédiates comme l’élection de Donald Trump ou les nombreuses guerres en cours, a suscité quatre fois moins de messages que la COP28 de Dubaï. Comme si le monde s’habituait peu à peu à voir son destin collectif lui échapper. Comme si « les leçons des événements qui se produisent partout ailleurs dans le monde » ne suffisaient plus à mobiliser l’humanité.

Banlieues Climat inaugure son «école populaire», pour démocratiser le climat et redonner du pouvoir aux habitants
Mathilde Picard
https://vert.eco/articles/banlieues-climat-inaugure-son-ecole-populaire-pour-democratiser-les-sujets-environnementaux


Récré action. L’association Banlieues Climat a inauguré son école populaire à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Un lieu pour que les jeunes des quartiers défavorisés, concerné·es au premier chef par la crise climatique, en deviennent aussi les meilleur·es expert·es. Vert y était.
«Au début, les formations, c’étaient des vieilles slides faites par Féris [Barkat, cofondateur de Banlieues Climat, NDLR]. Maintenant, c’est une formation reconnue par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche !», lance en riant Badr, futur enseignant aux enjeux de la crise climatique de la nouvelle École populaire du climat.
Ce samedi 12 octobre, une foule familiale est au rendez-vous de l’inauguration de l’établissement ouvert par Banlieues Climat, une association qui sensibilise aux enjeux de la transition écologique et développe des projets locaux avec les habitant·es des quartiers populaires. C’est avec le soutien du maire Karim Bouamrane qu’elle s’est installée dans le centre-ville de Saint-Ouen, non loin de la mairie. Devant la façade verte et blanche de l’ancienne école primaire Alexandre Bachelet, les douze futur·es profs retracent l’histoire des formations sur l’environnement imaginées pour et par des jeunes des quartiers populaires.
Lancées il y a deux ans, elles sont certifiées par le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche depuis janvier 2023. À leurs côtés, les quatre fondateur·ices de l’association : Féris Barkat, Saana Saitouli, Abdelaali El Badaoui et Youssef Soukouna, alias Sefyu.
«On a fait de nos histoires personnelles un combat. Cette école, c’est la dignité de nos parents», confie au public Sanaa Saitouli, dont le père ouvrier est mort de la tuberculose. «Je suis un fils d’immigré marocain, un fils de travailleur», ajoute Abdelaali El Badaoui. Son père, mineur dans le nord de la France, est mort de la silicose, reconnue comme maladie professionnelle. Les fondateur·ices de Banlieues Climat rappelle l’injustice qui les a menés à créer leur association : les ouvrier·res et habitant·es des quartiers populaires sont parmi les plus exposé·es aux différentes pollutions, ainsi qu’aux conséquences du réchauffement climatique.
Dans un récent rapport consacré aux injustices climatiques, l’association Ghett’up met en lumière «le caractère discriminatoire des impacts environnementaux». Au cours de la canicule de 2003, par exemple, la Seine-Saint-Denis était le deuxième département le plus meurtri, avec une surmortalité de 160 %. Plus récemment, à l’occasion des Jeux olympiques, des purificateurs d’air ont été installés dans le village des athlètes à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), une technologie dont ne bénéficient pas les riverain·es, pourtant touché·es toute l’année par la pollution engendrée par le trafic routier de l’A86 et les usines voisines.
Dans les mouvements climat, «j’étais le seul banlieusard»
Ce samedi, ami·es et curieux·ses déambulent dans l’ancienne cour de récréation de l’école que Banlieues Climat partage avec une ressourcerie. Elle aussi vient tout juste d’ouvrir dans le bâtiment d’à côté. Dans la cour : des jeux pour enfants, une scène avec un DJ qui passe des tubes, mais aussi l’exposition itinérante Tournée du Climat et Biodiversité de l’association Météo Climat qui a posé ses panneaux dans l’école pour l’occasion. Les grandes affiches abordent des thèmes tels que l’adaptation de la biodiversité aux variations climatiques ou les émissions de gaz à effet de serre.
Parmi le public, certain·es profitent de l’inauguration pour rencontrer Banlieues Climat pour la première fois. C’est le cas de 3Z, de son nom d’artiste, qui aimerait s’investir dans l’association parce qu’il ne se reconnaît pas dans les collectifs écologistes avec lesquels il a milité auparavant. «Les mouvements climat disent qu’ils sont inclusifs, en réalité, j’étais le seul banlieusard. Tu regardes dans une salle d’une conférence par exemple, il n’y a personne de noir dans l’assistance», déplore-t-il.
Pouvoir s’identifier à celles et ceux qui parlent d’écologie, c’est l’un des objectifs de Banlieues Climat, explique à Vert Khadim Coulibaly, 19 ans, formé il y a deux ans et désormais enseignant de l’école. «Féris me ressemble, c’est ça qui m’a plu : pendant les formations, on essaye de ne pas être trop descendant, on travaille avec des références communes comme [les mangas, NDLR] One piece pour évoquer les réfugiés climatiques ou l’Attaque des titans pour parler de l’escalade de la haine».
La formule de Banlieues Climat reste la même : une première formation diplômante de huit heures sur une journée. Le but : obtenir de solides connaissances sur la crise climatique, comprendre les rapports du Giec ou encore l’enjeu de la fonte du permafrost. Un suivi plus long est aussi proposé à celles et ceux qui souhaitent devenir à leur tour formateur·ices. «J’étais déjà sensibilisé à l’écologie, mais Banlieues Climat m’a apporté des connaissances concrètes et des opportunités, j’ai pu intégrer le Bachelor Act, une formation sur la transition écologique à l’Essec», témoigne Khadim.
Porter «la voix des oublié·es» à la COP 30
L’objectif de Banlieues Climat est bien de redonner accès à un savoir académique aux jeunes. «Il n’y a que 11% d’enfants d’ouvriers à l’université, et je ne parle même pas des prépas, il y a une reproduction sociale dans les écoles et nous, on essaye de casser ça», explique à Vert Féris Barkat.
Des savoirs et une légitimité qui permettent de se réapproprier du pouvoir politique pour porter «la voix des oublié·es», selon Sanaa Saitouli.
Au-delà de la préparation pour devenir formateur·ices, l’école populaire du climat entraîne cette année une vingtaine de jeunes à intervenir à la 30ème conférence mondiale sur le climat (COP) qui se tiendra à Belém, au nord du Brésil en novembre 2025. L’école a prévu un programme pour élaborer différents plaidoyers sur la qualité de l’air ou l’accès à une alimentation saine, par exemple, des sujets qu’ils défendront durant la COP.
Cet après-midi, on parle justement d’alimentation lors des activités organisées à l’étage de la petite école. Selma vient de terminer un atelier cuisine avec deux amies : «on a discuté de notre surconsommation de viande et de son impact écologique, du fait qu’on pouvait trouver des protéines dans les amandes et le soja aussi. J’avoue, je n’avais pas de connaissances sur ce sujet-là avant».
Dans la pièce d’à côté, un public attentif est installé sur des seddaris – une banquette marocaine – pour visionner trois courts-métrages réalisés par des jeunes de l’école Kourtrajmé de Montfermeil. Les films dépeignent la vie en Seine-Saint-Denis en 2030, alors que les températures ont augmenté. Les récits abordent l’impact du réchauffement climatique sur le quotidien des habitant·es, mais aussi les violences policières, les inégalités de genre et le racisme. La salle s’émeut du personnage d’Imani, réfugiée climatique qui tente de vaincre sa peur de l’eau.
À Saint-Ouen, comme à Montfermeil, les jeunes se réapproprient les récits des inégalités environnementales. De quoi faire de l’École populaire du climat, selon Sanaa Saitouli, «plus qu’une école, une école de la réparation».

Naomi Klein : “La gauche n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale”
Olivier Tesquet
www.telerama.fr/debats-reportages/naomi-klein-la-gauche-n-a-pas-pris-la-mesure-du-projet-civilisationnel-de-la-droite-radicale-7023052.php

Dans son dernier ouvrage, “Le Double. Voyage dans le monde miroir”, l’essayiste canadienne explore la droite radicale américaine. De passage à Paris, elle analyse les erreurs du Parti démocrate, qui ont participé à la victoire de Trump.
Le dernier ouvrage de Naomi Klein est un curieux objet littéraire. Son postulat de départ : depuis des années, l’essayiste est confondue sur les réseaux sociaux avec une presque homonyme, Naomi Wolf. Même âge, ou presque, même apparence. Féministe et conseillère d’Al Gore dans les années 90, ce doppelgänger a progressivement perdu son crédit médiatique pour devenir une égérie conspirationniste ralliée au trumpisme le plus radical. La confusion fait des dégâts. Mais Wolf n’est pas le vrai sujet du livre. C’est un moyen littéraire, le lapin blanc d’Alice au pays des merveilles, que Klein suit pour observer « le monde miroir », celui de la droite radicale américaine, de Steve Bannon et des apprentis fascistes, « qui nous observe mais qu’on préfère ne pas regarder ». Alors que Donald Trump vient de remporter l’élection présidentielle en emportant tous les États clés, Le Double. Voyage dans le monde miroir pose un regard critique et sincère sur les erreurs stratégiques du camp démocrate.
Quels enseignements tirer de la victoire de Donald Trump ?
Les chiffres autour du vote des jeunes, de la classe ouvrière noire et latino, doivent pousser à une profonde prise de conscience chez les libéraux. La gauche doit comprendre pourquoi elle parle un langage qui n’est plus en phase avec les travailleurs et les personnes en situation de précarité. Je pense que nous faisons désormais partie de l’élite, et cela devrait nous inquiéter au plus haut point.

L’enquête que vous menez dans votre ouvrage sur votre double est un prétexte pour un examen de conscience. Dans quelle mesure Trump est-il le reflet qu’on n’arrive pas à regarder dans le miroir ?
En 2016, j’ai écrit un livre sur Trump, No is Not Enough. Dans la conclusion, j’avançais qu’il fallait le regarder comme une œuvre de science-fiction dystopique. C’est un miroir tendu à la société, qui nous demande : est-ce que vous aimez ce que vous voyez ? C’est pour ça qu’il aurait fallu interpréter sa première élection comme un avertissement. Au lieu de cela, il est devenu un prétexte pour renforcer la polarisation, et les libéraux ont passé les huit dernières années à déverser sur la droite ce qu’ils ne supportaient plus de voir dans leur propre camp : « Ils ont toutes ces idées horribles, mais nous sommes purs, nous croyons en la science et la raison, nous sommes compatissants. »
La gauche s’est réfugiée dans un cocon de récits flatteurs, mais elle n’a pas pris la mesure du projet civilisationnel de la droite radicale. Vous savez, Trump n’est pas seulement une figure de ce mouvement, c’est aussi et surtout une figure extrêmement américaine, au même titre que la tarte aux pommes de chez McDonald’s, les concours de beauté, les combats de catch, Hollywood et la publicité. Cela lui confère une étonnante capacité d’attraction.
Y compris auprès de ses adversaires politiques ?
À certains égards, nous lui ressemblons de plus en plus. Regardez la campagne de Kamala Harris. Sur l’immigration, elle a passé son temps à répéter qu’elle était plus dure que lui. Elle a joué selon ses règles, adopté son discours, abandonné tout principe de solidarité, d’universalisme. C’est un renoncement collectif. Maintenant que Trump promet de mener une politique qui ressemble de plus en plus au fascisme, nous allons voir qui nous sommes vraiment. Je ne peux pas regarder mon double, l’autre Naomi, fréquenter Steve Bannon, voter Trump, se procurer une arme et avaliser les attaques contre les droits reproductifs en la réduisant à une altérité lointaine. Dans les prochains mois, j’ai peur que nous assistions à une grande opération de rationalisation dans laquelle certains vont s’accommoder de la politique de Trump, au nom du respect des électeurs de la classe ouvrière.
Est-ce que l’une des grandes défaites de la gauche, c’est d’avoir perdu cette bataille du langage, cette capacité à nommer les choses ?
Tant de choses auraient dû être dites dans cette campagne — sur les soins de santé, les augmentations de salaire, l’injustice économique, la domination des entreprises… —, et sont restées tues. Lorsque Bernie Sanders s’est présenté [Naomi Klein l’a activement soutenu, ndlr], qu’il a nommé la souffrance des gens et qu’il a proposé un plan pour y remédier, le Parti démocrate a déployé une énergie folle pour le salir et le saboter. Aujourd’hui, tout le monde parle comme lui pour analyser les résultats ! Je ne pense donc pas que notre langue soit morte. Nous avons un dirigeant syndical aux États-Unis, Sean Fain, d’un genre que nous n’avions pas vu depuis longtemps. Il dirige le syndicat des travailleurs de l’automobile et a lancé une grève simultanée chez les « Big Three » : General Motors, Ford et Stellantis (Chrysler). Il prenait la parole en portant un tee-shirt sur lequel était inscrit « Eat the rich », et Donald Trump ne savait pas quoi répondre, parce qu’il ne s’agissait pas seulement d’un slogan, il organisait les travailleurs et leur obtenait de meilleures conditions de travail. En d’autres termes, il mettait réellement les riches au défi. Et redonnait leur sens aux mots.
Tout de même, vous reprochez beaucoup à votre camp de ne parler qu’à lui-même…
Il y a une forme de lâcheté à utiliser un langage qui n’est pas vraiment compris pour dire des choses radicales. Si personne ne vous comprend, vous excluez les gens que vous prétendez défendre, vous signalez votre dédain. J’aime beaucoup cette phrase du regretté Mike Davis [historien et géographe, figure de l’activisme américain, décédé en 2022, ndlr] : « Parlez comme tout le monde. L’urgence morale du changement acquiert sa plus haute noblesse quand elle est dite dans un langage commun. »

Et dans le « monde miroir » que vous décrivez, la droite radicale, elle, sait trouver les mots.
Ils traduisent ce langage abscons et universitaire, et disent aux classes populaires : « Ces gens-là vous méprisent. » La droite s’empare de la théorie critique de la race ou de la théorie du genre pour mentir sur ce que ces concepts signifient, mais aussi pour souligner l’hypocrisie de la gauche. Bolsonaro s’est fait élire président du Brésil en utilisant cette stratégie. Ron DeSantis, le gouverneur de Floride, gouverne de cette façon. Je pense que nous n’avons pas encore mesuré à quel point le langage académique est utilisé comme une arme par la droite.
Dans l’effondrement du cours des mots que vous évoquez, il y en a un qu’on entend avec de plus en plus d’insistance : « fascisme ». Est-ce justifié ?
Nous assistons indéniablement à un tournant fasciste dans des pays autrefois démocratiques, en Inde, en Italie… Pour autant, ce n’est pas parce que Trump est un fasciste qu’il va réussir à introduire le fascisme aux États-Unis. Mais nous ne devrions pas avoir peur de le nommer en ces termes alors qu’il animalise ses adversaires et n’hésite pas à menacer les journalistes ou désigner des ennemis en pagaille. Il faut s’y opposer. Mais comment ? Le travail sur mon double m’a été d’une grande aide pour comprendre comment je veux naviguer dans ce monde : en me demandant constamment si mes valeurs ou mon éthique sont cohérentes et lisibles. Si nous avons peur que le fascisme s’installe dans nos sociétés et qu’il s’exprime par des formes extrêmes de contrôle de la pensée, des attaques contre l’université, des licenciements massifs et la traque d’intellectuels, peut-on raisonnablement accepter de « déplateformer » à discrétion quelqu’un dont on ne partage pas les idées [Donald Trump avait été banni des principaux réseaux sociaux après l’invasion du Capitole le 6 janvier 2021, ndlr] ? C’est comme ça qu’Elon Musk a réussi à se présenter comme un prétendu champion de la liberté d’expression : en exploitant nos incohérences
Y a-t-il une part de grotesque dans le monde que vous décrivez ?
Dans Opération Shylock, qui met en scène son double maléfique, l’écrivain Philip Roth forge un mot à partir du nom qu’il donne à cet homonyme : le pipikisme, soit « cette force anti-tragique qui transforme tout en farce, banalise et superficialise tout ». Il y a de ça chez Trump. On se demande en permanence si l’on doit rire ou pleurer. Il est trop sérieux pour être tourné en ridicule, et trop ridicule pour être pris au sérieux. Car son sens du grotesque n’enlève rien au danger, à la monstruosité, à la cruauté, au fascisme. Ce n’est pas un hasard si pendant son premier mandat, les late shows humoristiques ont offert le meilleur commentaire politique sur son action.
En quoi ce second mandat sera-t-il différent, selon vous ?
Quand j’observe Trump, Musk ou Robert Kennedy Jr. [neveu de JFK et figure des antivax complotistes, que Trump vient de nommer à la Santé, ndlr], cette triade d’hommes narcissiques coureurs de jupons, je me demande ce qu’ils vont faire. À quoi ressemblera la fusion totale de l’État et de l’algorithme ? Quelles seront les conséquences d’une culture de la conspiration au plus haut sommet de l’administration ? Je pense que la différence ne sera pas marginale, mais radicale. Toutes nos stratégies d’organisation se déploient sur des plateformes et des appareils qu’ils contrôlent ou peuvent contaminer, c’est vertigineux.
Quels sont les motifs d’espoir ?
Nous allons devoir nous mobiliser davantage hors ligne, dans le monde réel, et retrouver des moyens de se trouver les uns les autres sans s’en remettre aux algorithmes de recommandation. Il va falloir se mettre au judo intellectuel, reprendre les armes qu’ils nous ont confisquées. C’est encore une raison pour porter des valeurs claires et un discours simple, même s’il peut sembler naïf : défendre l’humain, le vivant, la solidarité. Nous devons nous opposer à une machine qui transforme le monde en ruines et ne fait que broyer la vie, qu’il s’agisse de Gaza ou du climat.

LEtorkintza batera bidean
Gorka Julio, Talaios kooperatibako kidea eta Koop57ko kooperatibista. Garatzailea, Irakaslea, hacktibista eta hedabide ezberdinetako kolaboratzailea.
https://etzi.pm/etorkintza-batera-bidean/

Euskararen etorkizun digitala, hizkuntza txikiek beren biziraupena eta garapena bermatzeko duten erronka globalaren adierazgarria da. Digitalizazioaren eremuan, hizkuntza handiak nagusitzen dira, eta teknologiak euskarari balio behar dio biziraupenerako eta, gainera, garapenerako tresna izateko. Artikulu honetan, etorkizuneko eszenatokiak eta euskal komunitate digital bat eraikitzeko zenbait ideia jaso ditugu.
Oraina
Digitalizazioak abantaila ugari eskaintzen dizkie hizkuntza handiei, eta euskarak hainbat muga ditu sarean duen presentzia areagotzeko. Nahiz eta W3Techs-ek jasotako datuak ez izan oso fidagarriak, horren arabera, euskarak presentzia sarean %0,012-koa da eta horrek agerian uzten du bide luzea dagoela egiteko. Wikipedian euskarak toki duin bat eskuratu du eta 33. postuan ageri da estatistiketan. Hizkuntzen egoera teknologikoa aztertzen duen European Language Grid ekimenak plazaratutako datuetan faktore teknologikoei erreparatuz gero 25. postuan kokatzen du euskara. Aldiz, testuinguru orokorrari begirako faktoreak aztertuz gero 60. postura jaisten da.
Zetorrena
1997an Wired aldizkariak “The Long Boom” artikuluan hurrengo hamarraldiarentzako arrisku nagusiak aurreikusi zituen, eta hauek ziren:
AEB eta Txinaren arteko tentsioak: Gerra Hotz berri baten arriskua AEBren eta Txinaren artean.
Teknologiarekiko frustrazioa: Teknologia berriek espero zen produktibitate eta ekonomi onura nahikorik ez emateko aukera.
Errusiako ezegonkortasuna: Errusiak kleptokrazia edo nazionalismo autoritario batera bihurtzeko aukera, Europako segurtasunari mehatxu eginez.
Europar Batasuneko arazoak: Mendebaldeko eta Ekialdeko Europako tentsioen ondorioz batasuna apurtzeko arriskua.
Krisialdi ekologikoa: Klima aldaketak janari horniduran eragina izatea, prezioen igoera eta gosete posibleak eraginez.
Kriminalitate eta terrorismoaren gorakada: Gizartean beldurra zabaldu eta askatasunari eragiten dioten neurriak hedatzea.
Osasun krisia kutsaduraren ondorioz: Kutsadurak minbizi kasuak areagotzea eta osasun sistema gainkargatzea.
Energia krisia: Energia prezioak goratzea, Ekialde Hurbileko gatazkek eta energia alternatiboen garapen motelak eraginda.
Pandemia global bat: Biztanlerian eragin handia izango lukeen izurrite edo gripea zabaltzeko arriskua.
Erreakzio kulturala: Gizarte erreakzionario baten ideien hedapena gizarte ezinegonaren erantzun gisa.
Zetorrena, ez da guztiz gertatu, baina eszenatoki hauek gaur egun irakurrita zentzu nahikoa dute oraindik. Etorkizuna asmatu ezin bada, zertarako etorkizunean jarri jomuga?
Datorrena
James A. Dator Hawaii Research Center for Futures Studieseko zuzendariak idatzitako Datorren legeak ekartzea otu zait; datorren etorkizuna asmatzen eta amesten has gaitezen.
1. Etorkizuna ezin da iragarri, existitzen ez delako. Etorkizuneko ikasketek ez dute etorkizuna iragartzeaz jardun behar. Etorkizunari buruzko ideiak (etorkizuneko irudiak) aztertzen ditu, norbanako bakoitzak (eta talde bakoitzak) dituen etorkizunari buruzko irudiak.
Etorkizuna ezin da iragarri, baina etorkizunean alternatiboak izan daitezke. Etorkizunen azterlanen zeregin nagusietako bat da edozein unetan eta tokitan dauden etorkizun alternatiboak identifikatzea eta aztertzea.
Etorkizuna ezin da iragarri, baina etorkizuneko desiragarriak, berriz, bistaratu, asmatu, ezarri, ebaluatu, berrikusi eta etorkizunera proiektatu behar dira. Horrela, Etorkizunen Azterlanen lanik garrantzitsuena, pertsona eta taldeei, beren etorkizun desiragarriak formulatzea, inplementatzea eta berrikustea da.
Erabilgarria izateko, etorkizuneko ikasketek plangintza estrategikoarekin eta hortik administrazioarekin lotuta egon behar dute.
2. Etorkizunaren inguruko edozein ideiak barregarria izan behar du. Teknologia berriek portaera eta balio berriak gaitzen dituzte, antzinako sinesmenei eta balioei erreparatuz lizunak, ezinezkoak, zientzia-fikzioa, barregarriak… dirudite hasieran, gero ezagunak izaten dira, eta azkenik, normalak.
Futuristak baliagarriak izatea espero badute, beren ideietako batzuk barregarriak eta errefusa merezi dutela ulertu behar badute ere, era berean, ideia horien arteko batzuk ideia baliagarriak direla ere ulertu behar dute. Egingarriak izateko beharrezkoak diren ebidentziak biltzea eta horien garapen posibleak bilatzea ere beren ardura da.
3. Gure tresnei forma ematen diegu, eta haiek forma ematen digute. Aldaketa teknologikoa gizartearen eta ingurunearen aldaketaren oinarria da. Testuinguru zehatzetan nola funtzionatzen duen ulertzea funtsezkoa da, etorkizun alternatiboei forma emateko eta etorkizun desiragarrietarako aukerak eta mugak zehazteko ere. Nahiz eta teknologia oinarria izan, behin balioak, prozesuak eta erakundeak teknologiek gaitu dituztenean, horiek bizitza propioa izaten hasten dira.
Datorrek proposatutako “Etorkizuneko Legeak” inspirazio iturri hartu daitezke adibidez. Etorkizuna aurreikusi ezin bada ere, eszenatoki batzuk irudikatzeko balia daiteke. Horretarako interesgarria izan daiteke “Etorkizuneko konoa” bezalako tresnak erabiltzea.
Etorkizunen konoa
Etorkizunen Konoa gizartean etorkizuneko eszenatoki posibleak ulertzeko eta antzemateko erabiltzen den tresna da. Tresnak etorkizunera begira, probabilitate desberdinak kontuan hartuta, etorkizun aniztasuna eta horien mota desberdinak irudikatzen ditu:
1. – Etorkizun probableak: Gertatzeko litekeenak direnak egungo joeretan oinarrituta.
2. – Etorkizun sinesgarriak: Gertatzeko aukera dutenak munduaren ulermenean oinarrituta (lege fisikoak, prozesu sozialak, eta abar).
3. – Etorkizun posibleak: Gertatzeko daitezkeenak oraindik ez daukagun baina etorkizunean izan genezakeen ezagutza edo joera batean oinarrituta.
4. – Etorkizun desiragarriak: Gertatu beharko luketenak kolektibo jakin batek edo gizarteak desiratzen dituelako, eta lehen aipatutako etorkizun probable, sinesgarri edo posibleen barruan egon daitezke.
Pentsamentu sistemikoa
Datorren ideiak eta etorkizunen konoa tresna bezala hartuta lanketa interesgarriak egin daitezke, baina gauzak aldatzeko helburua duten ekimenek pentsamentu sistemikoa ere kontutan hartu behar dute. Aldatu nahi duten hori, zein nolako aldaketa suposatu dezakeen eta zein kapatan eragin behar den pentsatzea garrantzitsua da horretarako. Iceberg batez irudikatu ohi da askotan pentsamentu sistemikoa.
Posible litzateke horiek guztiak antolatu eta etorkizun desiragarriak aurreikusteko erabiltzea?
Etorkintza
Datorrena bai, baina etortzea nahi duguna posible egitea da behar duguna. Etorkizuna ez da fenomeno atmosferiko bat. Datorrena guk idatzi behar dugu, begirada sistemiko eta konplexu batetik, baina eszenatoki desiragarriak irudikatuz. Tresna hauek baliagarriak izan daitezke, baina ez dugu tresnetan jarri behar konfiantza osorik. Horregatik etorkizunera begiratzeko perspektiba zehatz berri bat proposatzen dugu Etorkintza.
Etorkintzak, etorkizunaren sorkuntzan agente aktibo bihurtzen gaitu, beste hainbat eragileekin batera etorkizun desiragarri bat ekartzeko lan egingo duen agente batean hain zuzen ere. Ekintzatik, lokatzetatik, tripetatik hitz egiten duena eta ez pentsamentu soiletik. Etengabean gure burua berrikusi eta aztertzeko zaintza mekanismoak ezarriko dituen eredu bat ere bada, baina ekintzara bideratua eta etika bat ere barne biltzen duena. Hau da, ekintzetatik bere buruari zergatik, zertarako eta nola galdetzen dion etorkizuneko perspektiba konplexu bat.
Horretarako, begirada berriak ere beharko ditugu adibidez Bruno Latourren Aktore-Sare teoriak interesgarriak dira. Aktore-Sare Teoria, Latourren arabera, gizartearen eta teknologiaren arteko interakzioak aztertzen ditu, aktoreak (pertsonak, objektuak, ideiak) sare batean konektatuta daudela iritzita.
Etorkintza digitalerako 10 ideia
Beste arlo askotarako baliatu daiteke, baina etorkintza digitalari dagokionez hemen ideia batzuk. Lanketa oso bat beharko du, baina hemen etorkizuneko komunitate digital baten eraikuntzarako oinarriak ezartzeko aukerak irekitzen dituzten 10 ideia azkar.
• Burujabetza teknologikoaren perspektiban azpiegitura propioak eta ekosistema digital lurraldetuak beharko ditugu.
• Behar kultural espezifikoei lotutako modeloetan teknologia ikertu eta sortzeko garaian elkarlan erradikala ezinbestekoa da.
• Jakintza biltegi irekiak eta libreak sustatu behar ditugu, kulturalki egokiak diren baliabideak sortu ahal izateko.
• Tresna libreen kaxa erabili eta elikatu.
• Teknologiaren erraldoiak hurbil izan, beraiengan eragiteko diplomazia edo aldarrikapena estrategia guztiak eskura izateko.
• Hizkuntzak ikasi eta irakasteko modu eta lengoaia berriak aztertu eta landu.
• Bizitza osorako prestakuntza eta ahalduntzea sozioteknologia lotu hizkuntza ohituren eragitean.
• Hiztun komunitatea indartuko duten online eta aurrez-aurreko komunitateen sorrera eta sustapena.
• Federazioaren indarrean pentsatu. Egin handira, egin lokal.
• Konbergentzia transmedia, soziala, nahierakoa eta nonahikoa da. Batzuetan ez da garestia.
Etorkintza da bidea!
Josianitori eskerrak, Wireden artikulua gogoratu izanagatik