Margerie s’explique sur les bénéfices de Total
Fabrice Nodé-Langlois
Le Figaro du 29.07.11
Urgence d’un changement civilisationnel face à la nouvelle ruée minière mondiale
Entretien avec William Sacher, de Maxime Combes
Samedi 30 juillet 2011
«Demokrazia eri dago, eta oligarkia batek agintzen du haren izenean»
Herve Kempf. Kazetaria
http://paperekoa.berria.info/harian/2011-07-24/011/001/demokrazia_eri_dago_eta_oligarkia_batek_agintzen_du_haren_izenean.htm – Aitor Renteria – Baiona
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Margerie s’explique sur les bénéfices de Total
Fabrice Nodé-Langlois
Le Figaro du 29.07.11
INTERVIEW – Le groupe pétrolier veut multiplier ses stations service à bas prix.
LE FIGARO. – Votre résultat net semestriel en euros augmente de 17%, à 6,7 milliards d’euros. Une partie du public français estime que Total affiche des bénéfices «insolents». Que lui répondez-vous?
Christophe de MARGERIE. – Que voulez-vous que Total réponde à ceux qui ont déjà jugé? En revanche, je suis prêt à discuter sur l’importance de nos résultats et ce à quoi ils servent. Rien qu’au premier semestre, nous avons investi 11,3 milliards d’euros. Nous préparons l’avenir, pas simplement pour aller chercher du pétrole et du gaz mais aussi en nous positionnant sur des énergies nouvelles comme le photovoltaïque. Au deuxième trimestre, nos résultats en dollars ont progressé de 7% sur un an et de 19% au premier semestre. C’est une hausse plus modérée que celles des cours du pétrole et du gaz sachant que celle-ci profite essentiellement aux pays producteurs, notre taux d’imposition moyen étant monté à près de 60%.
On reproche aux distributeurs d’essence, à commencer par Total, un certain secret sur les prix pratiqués…
Il n’y a pas plus transparent que le marché des carburants en France: les prix sont affichés quotidiennement sur Internet et sur les autoroutes. Mais la meilleure protection pour le consommateur, c’est la concurrence. Le marché de la distribution en France est hyperconcurrentiel avec des marges parmi les plus basses d’Europe, à moins de 1 centime par litre. C’est ce qui a conduit presque tous les grands groupes pétroliers à se désengager du marché français, mais en tout cas pas Total! Pour moi, la baisse du nombre de stations en France est une question préoccupante car elle touche à l’accès à l’énergie pour tous les Français. N’oublions pas que, si notre marque a l’image d’un monopole, elle ne représente jamais que 20 à 25% du marché selon le carburant. Bien loin des grandes surfaces qui comptent pour plus de 60%.
En France, Total teste des stations-service à prix bas , allez-vous étendre cette expérience?
Les premiers résultats sont satisfaisants. Nous envisageons d’étendre l’expérience. Beaucoup de points restent en suspens, notamment le nom et le positionnement par rapport à notre réseau actuel. Une chose est sûre, si nous transformons l’essai, nous le ferons à notre façon, avec des prix bas, certes, mais aussi une vraie qualité de service. Avant tout changement, un préliminaire s’impose: le dialogue avec les partenaires sociaux.
Vous explorez et exploitez toujours plus profond, plus loin. N’est-ce pas risqué?
Nous ne gérons pas une rente. Notre but, c’est d’identifier et de développer aujourd’hui les réserves qui permettront de satisfaire la demande de demain. Pour cela, il faut effectivement prendre des risques calculés mais le vrai risque est d’être freiné dans l’accès à de nouvelles réserves.
Alors oui, nous allons dans des pays «difficiles» sur les plans politique, technique ou environnemental: la Birmanie, le Nigeria, la Libye ou encore le Canada et ses sables bitumineux… Les coûts de production ont flambé. Un baril, aujourd’hui, c’est beaucoup plus d’investissement qu’hier, c’est du baril de «haute technologie». Après Macondo (l’explosion de la plate-forme BP en 2010 dans le golfe du Mexique, NDLR), nos exigences en matière de sécurité sont plus que jamais prioritaires mais cela va participer à la hausse des coûts, de même que les exigences en matière d’efficacité énergétique et de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Je vous rappelle que Total s’est engagé à diviser par deux ses volumes de gaz brûlé à la torche entre 2005 et 2014.
Quelle est votre stratégie pour accéder à ces nouvelles réserves?
Nous renforçons notre stratégie entamée depuis près de deux ans. Nous avons fait des acquisitions de grande qualité. Alors que nous étions plutôt conservateurs sur les cessions, nous prouvons que nous savons aussi vendre et bien vendre. Nous avons ainsi cédé nos participations dans la société espagnole Cepsa, pour près de 4 milliards d’euros, dans un bloc offshore en Angola, plus récemment dans le réseau de gazoducs norvégien. Nous faisons respirer notre portefeuille d’actifs et dégageons du cash-flow pour assurer notre croissance sur des actifs plus jeunes, concentrés sur nos axes de croissance à haute technologie – l’offshore très profond, le gaz naturel liquéfié (GNL) ou les gaz non conventionnels comme le gaz de schiste – tout en veillant à un bon équilibre géographique. Ces dix-huit derniers mois nous ont ainsi vu renforcer nos positions en Russie, en Australie, au Canada ou encore en Afrique de l’Est.
Avec les gaz de schiste, Total est-il en train de devenir un groupe plus gazier?
Notre stratégie porte à la fois sur le pétrole et le gaz. Aujourd’hui, le gaz est essentiel, il est plus propre que le charbon et le pétrole pour produire de l’électricité. Le gaz représente aujourd’hui 45% de la production de Total, le pétrole 55%. Le gaz de schiste a bouleversé le marché aux États-Unis. En Europe, on commence – quand on peut – à peine l’exploration, même si beaucoup de permis d’exploration pour le gaz de schiste sont déjà pris. Nous sommes cependant déjà sur des permis au Danemark, en Pologne, avec Exxon, et en Argentine.
Urgence d’un changement civilisationnel face à la nouvelle ruée minière mondiale
Entretien avec William Sacher, de Maxime Combes
Samedi 30 juillet 2011
En 2008, les éditions Ecosociété publiaient Noir Canada. Pillage, corruption et criminalité en Afrique d’Alain Deneault, Delphine Abadie et William Sacher, révélant les agissements hautement critiquables des sociétés minières et pétrolifères canadiennes en Afrique. Les multinationales minières canadiennes Barrick Gold (premier producteur d’or mondial) et Banro poursuivent la maison d’édition ainsi que les trois auteurs pour diffamation en leur réclamant un total de 11 millions de $ canadiens, dans ce qu’il y a lieu de qualifier de poursuites-bâillon (appelées SLAPP en anglais). Le procès est prévu pour cet automne. Derrière ce procès, ce sont la liberté d’expression, le droit à l’information, le droit à la participation au débat public sans intimidation et la possibilité de publier des travaux de recherches de qualité et sans complaisance, qui sont remis en cause.
Afin de soutenir (http://slapp.ecosociete.org/) les auteurs et la maison d’édition, et pour contribuer à lever le voile sur les agissements des entreprises minières sur la planète, Mouvements publie une interview de William Sacher, réalisée par Maxime Combes dans le cadre du projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org) qui explique comment le Canada est devenu un véritable « paradis judiciaire et réglementaire » pour les entreprises minières. Il contribue ainsi à une « nouvelle ruée minière » visant à satisfaire les besoins croissants en matières premières de nos modèles de consommation, sans tenir compte des conséquences environnementales, sociales et démocratiques sur les populations directement impactées par l’extraction. Là où, au contraire, un « changement de paradigme civilisationnel » serait nécessaire.
Mouvements : À l’échelle internationale, on observe une véritable ruée minière, que ce soit pour l’or, l’argent, le cuivre ou des métaux plus rares et spécifiques, dont les prix ne cessent d’ailleurs de s’accroître sur les marchés internationaux. Comment l’expliquer ? Y a-t-il des régions particulièrement concernées ? Lesquelles ?
William Sacher : Nous sommes en effet dans une nouvelle ère minière. La production de nombreux minéraux a explosé au cours des dix dernières années, tandis que les dépenses d’exploration dans l’industrie atteignent des sommets [1].
Il est possible d’isoler une série de facteurs explicatifs. Tout d’abord, il y a la croissance soutenue des pays dits « émergents » (e.g l’lnde, la Chine). L’augmentation de la demande de biens de consommation, l’explosion immobilière et les grands travaux nécessaires à l’industrialisation galopante que connaissent ces pays exercent une forte pression sur la demande mondiale en minéraux de tous types [2].
Un autre facteur important concerne le commerce des métaux précieux, et tout particulièrement le recours à l’or comme valeur-refuge. La Chine veut se constituer un stock d’or [3] afin de soutenir sa monnaie, se positionner face à la menace d’éventuelles crises ultérieures et de dévaluation de ses réserves de change. Les États, les grandes institutions financières, les fonds d’investissements, ou encore les particuliers se tournent aussi vers le métal précieux. À ceci s’ajoute la possibilité de retours sur investissements conséquents, ce qui a déclenché une vague spéculative sur le métal jaune, et l’inévitable prolifération de produits financiers dérivés. Résultat : les cours de l’or explosent. Nombreuses sont les sociétés d’exploration (dénommées juniors) qui surfent sur cette vague, en promettant des gains records à leurs éventuels investisseurs [4].
On peut également citer l’augmentation vertigineuse de la demande liée à l’avènement des ordinateurs et téléphones portables personnels, des consoles de jeux vidéos, etc., ou encore l’accroissement continu des dépenses militaires mondiales [5]. Les équipements de défense high-tech requièrent des alliages spéciaux à base de métaux rares comme le titane ou les métaux du groupe platine, auxquels il faut bien entendu ajouter l’uranium. L’avenir de ce dernier fait d’ailleurs l’objet de grandes spéculations. Dans ses applications civiles, en particulier comme source alternative d’énergie aux énergie fossiles, le métal radioactif n’a sans doute pas dit son dernier mot, bien qu’il n’ait pas particulièrement le vent en poupe ces derniers temps. Il faudra voir si le souvenir de Fukushima pourrait s’estomper aussi rapidement que celui de Tchernobyl.
Enfin, d’une manière générale, les grands pays consommateurs sont soucieux d’assurer leurs approvisionnements ou de parer à d’éventuelles pénuries, et s’emploient à sécuriser leur accès à des minéraux économiquement et stratégiquement sensibles qu’ils ne peuvent substituer, et dont les gisements se situent en grande majorité hors de leurs frontières [6]…
Cette nouvelle fièvre minière se déploie sur tous les continents. Certes, les veines s’épuisent dans les régions minières traditionnelles. Néanmoins, les nouvelles techniques et les prix élevés permettent encore d’extraire de façon rentable les gisements de faible concentration. C’est la raison pour laquelle il y a un regain de projets d’exploitation dans des pays comme le Canada ou l’Australie. Cela dit, l’Amérique Latine, l’Afrique ou encore l’Indonésie se trouvent particulièrement exposées à cette nouvelle avancée de la frontière d’exploitation, vers des territoires encore vierges d’exploitation industrielle, et souvent écologiquement et culturellement sensibles.
Dans nombre de pays constituant ces parties du monde, les réformes néolibérales impulsées par la Banque Mondiale au cours des deux dernières décennies ont créé des cadres d’investissement très favorables aux transnationales minières (en termes légaux, de fiscalité et de soutien gouvernemental), et ont institutionnalisé leurs droits. S’en est suivi une invasion massive d’entreprise minières étrangères dans les pays de ces régions.
Mouvements : Arrêtons-nous sur la volonté des pays les plus puissants, Etats-Unis, Europe et Chine en tête, de « sécuriser l’accès aux ressources ». Pouvez-vous nous en dire plus sur les stratégies qu’ils développent et par quels moyens ils parviennent à leur fin ?
William Sacher : La Chine aurait investi 9,2 milliards $ dans 33 opérations minières à l’étranger en 2009-2010 [7], notamment en Afrique et en Amérique Latine. Les chinois sont d’autant plus en position de force que leur pays est un gros producteur de minerais et dispose à la fois d’énormes liquidités pour développer les projets miniers, et des capacités techniques faisant défaut dans de nombreux pays du Sud, où ils octroient des prêts à taux réduits en échange de contrats miniers signés avec ses entreprises minières d’État.
Une autre stratégie consiste à acquérir des entreprises minières étrangères. Des sociétés juniors de Toronto ou de Londres sont déjà tombées entre les mains des chinois. Des offres hostiles ont même récemment été faites sur des sociétés majors canadiennes (e.g Equinoxe et Lundin mining).
Une troisième voie suivie par la Chine privilégie les alliances stratégiques avec des sociétés occidentales, dans le cadre de projets d’exploitation mixtes. Les entreprises chinoises étant moins frileuses que les institutions financières occidentales pour financer les projets miniers, notamment suite à la récente crise et la relative chute des cours, les juniors de Toronto y voient un moyen de se développer quand toutes les autres portes se ferment.
Quant à l’Europe et aux États-Unis, ils s’appuient sur les cadres imposés dans les pays géologiquement riches par les institutions financières internationales ou d’autres formes d’organisation commerciale (OMC, traités de libre-échange, …) et même de coopération ou d’aide au développement. Pour optimiser ces politiques de flexibilisation, l’Union Européenne s’est dotée en 2008 d’une stratégie dénommée l’Initiative sur les Matières Premières, dont l’objectif est notamment de veiller à s’approvisionner à bon marché en minéraux dans les pays du Sud Global [8]. Par ailleurs, des capitaux Etatsuniens contrôlent la majorité des grandes sociétés minières de Toronto, et d’autres à Londres ou à Sydney, l’exploitation minière étant largement sous domination anglo-saxonne, et leur garantie d’accès à de nouveaux gisements repose largement sur la capacité de déploiement des sociétés juniors, authentique version moderne des conquistadores de l’époque coloniale hispanique. Mais, comme nous l’avons mentionné, cette hégémonie est de plus en plus contestée par les appétits chinois.
L’ingérence militaire permet aussi aux États-Unis de maintenir un contrôle serré sur nombre de ressources minérales, tandis que l’Europe n’écarte pas cette solution si la conjoncture l’exige [9]. On invoque souvent le pétrole, mais la présence militaire de l’OTAN et des États-Unis en Afghanistan et au Pakistan est sans doute à interpréter aussi dans ce sens.
On peut enfin citer la République Démocratique du Congo, dont la déstabilisation à la fin des années 90 serait, selon de nombreux analystes, l’œuvre de l’intelligence et l’armée américaine et aurait eu pour dessein l’accaparement des immenses gisements congolais.
Mouvements : Quelles sont les conséquences de cette ruée minière ? Pourquoi voit-on aujourd’hui tant de mines à ciel ouvert au détriment des mines souterraines traditionnelles ? Quelles sont les conséquences environnementales d’une telle exploitation ? Quelles réactions suscitent-elles auprès des populations locales ?
William Sacher : Cette soif accrue pour les minéraux se traduit par la généralisation d’un nouveau modèle d’extraction, bien loin de l’image d’Épinal du chercheur d’or et de son tamis : celui de la méga-exploitation minière. Ce type d’exploitation concerne les gisements où les minéraux « utiles » se trouvent en très faibles concentrations. Dans ce contexte, les mines souterraines continuent de représenter une alternative rentable dans certains cas, mais la tendance actuelle est le recours aux mines à ciel ouvert, plus rentables, et aux dimensions inouïes : des cratères de plusieurs km de diamètre et de plusieurs centaines de mètres de profondeur.
Les techniques d’extraction se sont perfectionnées (avec, par exemple, le recours quasi-systématique au cyanure dans les mines d’or) et, même si, à l’image des sables bitumineux dans l’industrie pétrolière, les besoins énergétiques et en eau liés à ce type d’exploitation sont colossaux, les prix des minéraux en hausse constante permettent d’exploiter avec de telles méthodes. Les déchets générés, souvent toxiques, s’en trouvent démultipliés au point d’atteindre des proportions inimaginables. Une seule mine, OK Tedi en Papouasie Nouvelle-Guinée, génère chaque jour 200 000 tonnes de déchets, soit plus de que toutes les villes du Japon, de l’Australie et du Canada réunies [10]. Pour les métaux courants moins d’1% de la roche est traitée, les 99% restant se convertissant en déchets. Dans le cas de l’or, le ratio frise l’absurde, puisqu’on exploite actuellement des gisements contenant moins de 0.5 grammes d’or par tonnes de roches traitées.
Les risques sont énormes en termes de pollution chronique et accidentelle des eaux et des sols, par drainage minier acide, métaux lourds, et autres substances toxiques, ou encore par le bruit et la poussière, et les conséquences généralement dramatiques tant pour les écosystèmes environnants qu’en terme de santé publique [11] Le gigantisme de ce modèle d’exploitation pose un problème pour la science : celui de son incapacité à diagnostiquer et à prévoir avec précision tous ses effets en terme d’extension spatiale et temporelle, due à la complexité des systèmes naturels ainsi physiquement et chimiquement perturbés (les phénomènes à représenter sont multilinéaires et souvent chaotiques). Ceci pose un vrai problème en terme d’héritage laissé aux générations futures.
Quant aux impacts socio-économiques, ils sont tout aussi difficiles à caractériser, bien qu’on sache que l’activité minière (et les infrastructures d’énergie et de transport qu’elle requiert), s’accompagne souvent d’une série de conséquences psycho-socio-economico-culturelles irréversibles pour les communautés affectées. Elle détruit les économies locales et les bases matérielles des cultures autochtones, tout en implantant de nouveaux imaginaires de consommation. Elle marginalise les femmes, les agriculteurs et les populations autochtones, ces dernières étant particulièrement menacées : nombre de gisements encore inexploités sont situés sur leurs territoires. Il convient également de mentionner les impacts en terme de santé publique dus aux pollutions engendrées (auxquels il faut ajouter l’alcoolisme, la toxicomanie, la prostitution, et la forte prévalence des MST).
Enfin, les pays su Sud qui décident d’opter pour un modèle économique d’extraction-exportation s’exposent à une certaine condamnation au « sous-développement » et à la pérennisation de leur statut d’enclave coloniale, malgré l’illusion de « développement » que peut représenter l’industrie minière. Se développe plutôt une économie nationale rentière aux mains de l’oligarchie locale autour d’un secteur extractif hypertrophié, tandis que les autres secteurs de l’économie ne profitent pas de la manne. À cela il faut ajouter la fragilisation systématique des conditions d’exercice de la démocratie, la prévalence de la corruption, ou encore l’aboutissement à des conflits armés, une série de tares que l’universitaire américain Terry Karl qualifie de « paradoxe de l’abondance » [12].
Face à cette nouvelle phase « d’accumulation par dépossession » du Capital minier, pour reprendre les termes de David Harvey [13], basée sur la marchandisation, la prédation et la destruction de l’environnement, et perpétuant la domination des grands centres économiques de la planète sur leurs périphéries, des centaines de communautés se trouvent en résistance de part le monde. Elles dénoncent la fuite en avant de ce modèle en s’appuyant le plus souvent sur l’écologie politique, l’économie sociale et les cosmovisions autochtones.
Mouvements : Vous qualifiez le Canada de « paradis judiciaire et réglementaire » pour les entreprises minières. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? En quoi cette situation concerne l’ensemble des citoyens de la planète et pas les seuls citoyens canadiens ?
C’est un concept que nous développons avec mon collègue Alain Deneault pour tenter d’expliquer les raisons pour lesquelles le Canada se trouve aujourd’hui en position de leader mondial de l’industrie minière.
Au cours des dernières décennies, le Canada s’est progressivement mué en un havre privilégié pour l’industrie minière à l’échelle mondiale, une sorte de Suisse du domaine extractif. Pas moins de 75 % des sociétés minières de la planète sont canadiennes, bien que leurs capitaux soient australiens, belges, israéliens, suédois, étatsuniens, etc. Nous avons identifié 6 caractéristiques principales qui font la particularité de cette législation de complaisance :
- La possibilité de spéculer sans entraves sur les ressources minières, grâce à la Bourse de Toronto et sa réglementation permissive, historiquement taillée sur mesure ;
- L’investissement massif de fonds publics via des agences gouvernementales et l’incitation soutenue par le gouvernement auprès des particulier à investir dans le secteur minier via de multiples congés fiscaux ;
- La couverture politique et judiciaire systématique des sociétés minières au point d’offrir une impunité de fait face aux multiples externalités générées. Malgré les nombreuses allégations d’abus qui pèsent sur les sociétés de Toronto de part le monde en matière de violations de droits humains, de criminalité financière, de pollution massive ou encore d’association avec des chefs de factions armées accusés de crimes de guerre, les sociétés du secteur ne sont jamais inquiétées par les tribunaux canadiens ;
- Rendre justiciable uniquement les acteurs critiques. C’est une conséquence de la préséance du droit à la réputation sur celui de la liberté d’expression. Au Canada, cette dernière est largement menacée par l’instrumentalisation des tribunaux de la part des sociétés minières. Chercheurs universitaires, journalistes, auteurs ou encore militants se voient poursuivis en diffamation, même s’ils ne font que citer des sources publiques crédibles ;
- Développer une propagande intérieure, en particulier au sein de l’éducation. Les universités se trouvent noyautées et potentiellement bâillonnées par l’omniprésence des financements de la recherche provenant largement de l’industrie minière ;
- Assurer une diplomatie de complaisance dans les pays où les sociétés minières canadienne sont présentes, ce qui se révèle dans les pays du Sud un lobby minier officieux.
C’est cet État que nous proposons de le qualifier de « paradis judiciaire et réglementaire » de l’industrie extractive mondiale, par analogie avec le concept de paradis fiscal.
Les affres de la législation canadienne ont des répercussions partout sur la planète. Les sociétés inscrites dans ce havre minier sévissent en Amérique latine, en Afrique, en Asie, en Europe de l’Est et même dans les DOM-TOM français (cf le cas du projet aurifère à Kaw en Guyane). Le Canada leur offre sa couverture et son soutien, et constitue la plateforme idéale à partir de laquelle des projets miniers sont pilotés à travers le monde. Mais l’Europe n’est pas en reste. Nombre de projets miniers financés par la Banque Européenne d’investissement, ou encore des agences de financement nationale telle que l’AFD et sa filiale Proparco, ont été à l’origine développés par des juniors canadiennes. Les économies européennes, et celle de la France en particulier, sont hautement dépendantes de cette exploitation de minerais à grande échelle, utilisés dans tous les secteurs de l’économie : agriculture, construction, transports, électronique.
Mouvements : Vous êtes extrêmement critique de l’industrie minière. Pourtant, n’est-il pas possible de réguler ce secteur et développer des mines socialement et écologiquement responsables ?
William Sacher : Les stratégies discursives de l’industrie minière et des gouvernements qui la soutiennent sont efficaces pour convaincre le grand public d’une telle possibilité. Le secteur minier soigne son image. La sémantique est luisante comme les couvertures de papier glacé des rapports annuels : on parle de « responsabilité sociale », « développement durable », « codes d’éthiques volontaires », etc.
Cependant, l’histoire récente de l’exploitation minière parle d’elle-même. Au Canada, pays qui se targue souvent de pratiquer les meilleurs standards en la matière, 10.000 mines abandonnées menacent les réseaux hydrographiques de pollutions aux métaux lourds, et il n’existe aucune mine ayant été fermée avec les décontaminations qui s’imposent.
Malgré toutes les précautions qu’on pourrait prendre, les inévitables impacts sociaux et environnementaux du modèle d’exploitation à l’œuvre sont à l’image de son gigantisme. Comme je l’ai mentionné, dans de nombreux cas, ils sont même incommensurables. Dans ce domaine, il est urgent de se démarquer de tout dogme techno-scientifique ou autre mythe du progrès, auxquels s’accrochent les sociétés minières. Prétendre qu’il est possible de « restaurer » un site d’extraction minière est une véritable gageure, puisqu’on ne sait pas exactement ce qu’on détruit.
Quant aux conditions de travail, redevances et autres impôts, ce sont sans doute les domaines où il serait le plus aisé d’améliorer la situation (en général, l’industrie minière paie très peu d’impôts).
Cependant, considérer les conséquences environnementales, même si elles étaient contrôlables, ou la question fiscale, de façon isolées est insuffisant pour répondre à votre question. Pour tenter d’être complet, il est nécessaire d’examiner les conditions économiques, politiques, légales, et sociologiques globales de l’avènement de l’actuel modèle d’exploitation minière. Pour de nombreux pays du Sud, l’implémentation (ou la pérennisation) d’un modèle « extractivo-exportateur » se fait dans un contexte de domination économique de la part des pays importateurs. D’une manière générale, l’exploitation minière est le fait d’une oligarchie transnationale qui dispose, avec les paradis fiscaux et bancaires, d’outils pour se soustraire aux obligations imposées par les États de droits, même les plus fortement institutionnalisés. Quant aux gouvernements de ces derniers, leur marge de manœuvre est souvent réduite tant ils sont assujettis aux intérêts de puissantes sociétés transnationales. Enfin, l’existence d’un paradis judiciaire comme le Canada permet aux sociétés minières de répondre aux exigences de rentabilité de leurs actionnaires en se livrant à une gestion environnementale et sociale exécrable, sans jamais être inquiétées par la justice.
Mouvements : Quelles sont vos préconisations ?
William Sacher : Une première voie à explorer serait celle du recyclage intensif des minéraux déjà extraits, une grande partie se trouvant d’ailleurs dans nos déchets. Cela dit, le recyclage est lui-même coûteux en énergie et éventuellement polluant.
Ainsi, la remise en question de notre mode de développement et d’exploitation des ressources naturelles est incontournable. Mais cette remise en question va bien au-delà d’une réduction de la consommation. Bien entendu, on peut se cantonner au carcan libéral et exiger l’abolition des paradis fiscaux et bancaires, l’information libre et transparente des agents économiques, ou encore le contrôle des marchés. Mais la crise systémique aux multiples dimension à laquelle nous sommes confrontés (alimentaire, écologique, économique, énergétique, migratoire, etc.), nous montre qu’il apparaît urgent de remettre en question la modernité et son bagage techno-scientifique, de définir un nouveau rapport à la nature, de prendre en compte les générations futures et de leur droit à disposer d’un environnement sain, bref changer de paradigme « civilisationnel », tant s’accumulent ses limites à travers les preuves de sa capacité de destruction de multiples formes de richesses mettant en péril les conditions de la continuité de la vie humaine à moyen terme.
Notes
[1] 13 milliards de dollars en 2008, soit près de 7 fois plus qu’en 2002, cf. La montée en puissance des acteurs miniers des pays émergents, Secteur privé et développement, la revue de PROPARCO, numéro 8, janvier 2011.
[2] La Chine, par exemple, doit importer 75% de ses besoins en cuivre et 50% de son fer et 30% de son plomb et de son zinc, cf. « Comment la Chine Profite de la Crise », HEC Eurasia Institute, mars 2009.
[3] La Chine a augmenté son stock d’or de 75% depuis 2003, portant ses actifs à plus de 1000 tonnes (ce qui est peu comparé aux États-Unis (8000 tonnes), ou d’autres pays fortement industrialisés comme la France, l’Allemagne ou l’Italie, qui possèdent chacun entre 2000 et 3500 tonnes), « China admits to building up stockpile of gold », Financial Post, Toronto, 24 avril 2009.
[4] L’or représente à lui seul 40% des dépenses totales d’exploration de l’industrie minière, cf Rapport sur la situation de l’industrie minière canadienne faits et chiffres, Association Minière du Canada, 200, p. 29.
[5] plus de 1.500 milliards de $ en 2009, une augmentation de 49% par rapport à 2000, cf. « 2009, année record pour les dépenses militaires mondiales », Le Monde, 2 juin 2010.
[6] À titre d’exemple, l’est de la République Démocratique du Congo, pays en proie à une guerre civile depuis près de 15 ans, détient près de 60% des réserves mondiales de cobalt.
[7] « Influence croissante de l’Asie dans la production minière mondiale », Deloitte et Touche, Montréal, 2010.
[8] « Ressources naturelles : mettre l’Union européenne et sa politique commerciale sur les matières premières hors d’état de nuire », AITEC, Oxfam Deutschland, WEED, Traidcraft Exchange (UK), Comhlámh (Irelande), février 2011.
[9] cf. intervention d’Elmar Brook, Commission des affaires étrangères au parlement européen,
[10] Scrapping Mining Dependence, Payal Sampat, State of the World 2003, The WorldWatch Institute.
[11] on se souvient par exemple de Baia Mara en Roumanie en 2000.
[12] The paradox of plenty : Oil booms and petro-states, Terry Karl, Berkeley, Los Angeles et Londres, London, California University Press.
[13] « The ’New’ Imperialism : Accumulation by Dispossession », David Harvey, Socialist Register, Vol. 40.
Propos recueillis par Maxime Combes, dans le cadre du projet Echo des Alternatives (www.alter-echos.org)
Pour soutenir la maison d’édition et les auteurs : http://slapp.ecosociete.org/
Publié par Mouvements, le 8 juillet 2011. http://www.mouvements.info/Nouvelle-ruee-miniere-contre.html
«Demokrazia eri dago, eta oligarkia batek agintzen du haren izenean»
Herve Kempf. Kazetaria
http://paperekoa.berria.info/harian/2011-07-24/011/001/demokrazia_eri_dago_eta_oligarkia_batek_agintzen_du_haren_izenean.htm – Aitor Renteria – Baiona
Herritarren ezina eta itolarria handitzen doan heinean banketxeen eta enpresaburu handien etekinak handitzen direla dio.
Manu Robles Arangiz fundazioak antolaturik, Herve Kempf kazetariak (Frantzia, 1957) Aski da oligarkiaz, gora demokrazia izeneko mintzaldia egin zuen ostiral gauean Baionan. Demokraziaren oinarriak zangopilaturik daudela dio Kempfek, eta haren funtzioa oligarkia txiki batek ordezkatu duela. Gizakiek eragin duten krisialdi ekologikoak eta klima aldaketak berak ohitura aldaketen behar larria islatzen dutela dio. Sistema politikoak bultzatzen ez duen aldaketa hori aberastasunak bertze molde batez partekatuz egin behar dela dio.
Mintzaldiaren izenburuan demokraziaren beharra islatzen duzu, eta oligarkiaren boterea gaitzetsi. Oligarkia batean bizi ote gara?
Demokrazia eri dago. Oligarkia batek agintzen du haren izenean, eta hortik heldu da mintzaldiaren izenburua. Hain dago eri non galde dezakegun ez ote garen oligarkia sisteman murgildu. Jende multzo txiki batek eztabaidatzen du egoera, eta ondoren erabakiak hartzen ditu eta gizarteari inposatu. Eritasun horren adibide ugari daude. Gogora dezagun 2005ean Frantziako herritarrek, Herbehereetakoek eta irlandarrek ezezkoa eman ziotela Europako konstituzioari. Erreferendumaren emaitzak saihesteko, Lisboako Ituna egin zuten, eta hori inposatu. Ez zuten kontuan hartu herritarren erabakia. Politikaren gordegietan enpresen lobby-ak daude, eta haien interesak defenditzen dituzte. Botere politikoak haiei begira daude, eta herritarren nahiei muzin egiten diete. Frantziaren kasuan nabarmena da, aski da ikustea Sarkozyren ingurua. CAC 40 eta enpresa handietako buruzagiak dira haren aholkulari eta lagun. Gisa berean, erabat kontrolatzen dituzte hedabideak, bereziki telebista nagusiak. Kasu batzuetan, enpresa handiak dira horien jabe, eta, bertze batzuetan, gobernuak berak erredaktoreburuak inposatu ditu, haien irizpideak hobesteko. DSK aferan ere argi gelditu da hedabideen funtzioa. Hedabide horiek entzunez bazirudien Dominique Strauss-Khan eta Nicolas Sarkozy zirela Frantziako presidente izateko hautagai bakarrak. Funtsean bozkatu beharrik ez zegoen, aski zen zundaketa bat aintzat hartzea.
Demokrazia utzi eta oligarkian sartu garela erran daiteke?
Ez naiz ausartzen erratera horrela denik sistema gisa, baina banketxeen boterea izugarria da. Adibide xume bat emanen dut. 2011n Londresko enpresek banatu dituzten bonusak 2010eko heinera heldu dira. 16.000 milioi euro banatu dituzte haien enpresaburuentzako gainsarietan. Grezia eta Irlanda kinka ezin larriagoan daudelarik, merkatuek Espainia, Portugal edo Italia bera inarrosten dute, eta haiek, berriz, etekin lotsagarriak banatzen dituzte. Herritar horiek gorriak ikusten dituzte: haien lanak galdu dituzte, edo hilabete sariak apaldu dizkiete. Langabeziak gora egiten du, erretreta hartzeko adina gora doa eta hilabete saria apalduko da. Milaka gutxi batzuek dirua mugitzen segitzen dute, deus gertatuko ez balitz bezala, eta izugarrizko dirutza banatzen dute haien artean. Finantzarien boterea neurriz kanpokoa bihurtu da, eta erabaki politikoak baldintzatzen dituzte.
Nora doa sistema hori orduan?
Hazkunde materiala sistema horren obsesioa da, gero eta gehiago ekoiztea, gero eta gehiago irabaztea. Horretarako, herri ondasunak salgai bihurtzen dituzte; hala nola hezkuntza sistema, osasun sistema, kultura… Aski da begiratzea Greziari inposatu diotena. Guztia pribatizatzea, alegia. Gehiago kontsumitzea, bertzerik ez dute proposatzen. Baina horrek muga bat dauka: ekologian duen eragina. Klima aldaketa ez da desagertu, gero eta gehiago higatzen da biodibertsitatea. Baina azpiegitura erraldoiak egiten segitzen dute, zentzurik ez duen hirigintza sistema hedatzen jarraitzen dute. Ikuspegi horretan kokatzen da AHTarena. Hori ez da gizartearen interesa, baina balio du diruaren mugimendua sustatzeko eta enpresa handiek etekinak egiteko.
Aipatu duzun pribatizazio ereduan obragintza ere partekatzen da eragile publiko eta pribatuen artean. Zer suposatzen du horrek?
Gizarteak beharko lituzkeen azpiegiturak egiteko orduan, estatua ez da eragile bakarra. Enpresa pribatuak obragintzaren oinarrian daude. Dirua irabaztea da haien helburua. Xedeak diru galerak eragiten baditu, ez dute enpresek ordainduko, estatuak baizik. Adibide nabarmena da Pau-Langon autobidea. Egin zutelarik espero zuten 10.000 auto ibiltzea egunero xedea errentagarria izateko. 4.000 baino ez dabiltza. Estatuak ordaintzen du falta den parte hori. Ez zegoen horren beharrik, baina egin dute, erabat suntsituz natura gune paregabeak. Herritarrek pairatuko dute naturaren suntsiketa, eta, gainera, haien sakelatik ordaindu.
Krisialdia ikusi ez duten mailegu etxeek Junk bond edo zabor bonuen pareko ezarri dituzte zenbait estaturen bonuak. Ez ote du horrek sistema ekonomiko guztia inarrosten?
Herritar gehienek pentsatzen dute agintariek herri nahiak dituztela helburu, baina ez da horrela. Gutxi batzuen onura bilatzen dute, eta horrek kalteak eragiten baditu, izan dadin herritar gehienengan edo estatu batzuetan, bost axola. Herri interesen alde egiteko banketxeen interesak alde batera utzi beharko lituzkete, eta ezin dute. Baliatzen dituzten diskurtsoak adierazgarriak dira. Merkatuak lasaitu behar direla diote. Baina nor dira merkatu horiek, banketxeak eta oligarkia hori ez badira? Oligarkiak ez du epe luzerako ikuspegirik. Logika ero batek itotzen ditu herriak, ez du guztien interesa helburu, ontasunen legez besteko banaketa atxikitzea eta handitzea dira horren helburuak.
Ba ote da bertze eredurik?
Gero eta gehiagok ikusten dute ekologia krisialdia saihetsezina dela. Ez zen hori gertatzen duela hamar urte. Sistema kapitalista amaiturik dago. Guztiak hobe bizi gaitezke ingurumena errespetatuz eta aberastasunak egokiro banatuz. Eta oligarkiak, berriz, eskuin muturra sustatzen du, herritarren beldurra haien interesen arabera baliatzeko.