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Articles du Vendredi : Sélection du 28 octobre 2011

«Le Grenelle n’est plus qu’une opération de verdissement»

Audrey Garric
http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/10/25/le-grenelle-nest-plus-quune-operation-de-verdissement/

Un rapport détaille les effets négatifs des cadeaux fiscaux
sur la biodiversité

Laurence Caramel
Le Monde du 21.10.2011

Ikea, l’anti développement durable

Interview de Martine Bouchet
Hebdomadaire Enbata du 20.11.2011

FACE A FACE. Quand Hulot réplique à Bruckner

Recueilli par Guillaume Malaurie et Maël Thierry – Le Nouvel Observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/un-vert-pour-la-route/20111013.OBS2395/face-a-face-quand-hulotreplique-
a-bruckner.html – 13.10.2011

Ehunka txanpon txiki herriak biziberritzeko

Pello Zubiria
http://www.argia.com/argia-astekaria/2294/lekuko-monetak – 2011.10.16

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«Le Grenelle n’est plus qu’une opération de verdissement»

Audrey Garric
http://ecologie.blog.lemonde.fr/2011/10/25/le-grenelle-nest-plus-quune-operation-de-verdissement/

Le Grenelle de l’environnement a quatre ans. Le 25 octobre 2007, Nicolas Sarkozy présentait les premières conclusions des quatre mois de rencontres et discussions entre représentants de l’Etat, ONG écologiques, collectivités locales et acteurs de la société civile. « Je veux que le Grenelle soit l’acte fondateur d’une nouvelle politique, d’un New Deal écologique en France, en Europe et dans le monde », lançait alors le président français, en détaillant 268 ambitieux engagements.

Aujourd’hui, l’environnement et la croissance verte ne sont plus au cœur des préoccupations du gouvernement. A tel point que la ministre de l’écologie Nathalie Kosciusko-Morizet, en déplacement à Lyon ce mardi 25 octobre, a dû se prêter au périlleux exercice de défendre le bilan d’un processus que les autres ministres et le chef du gouvernement n’ont de cesse d’entailler. Pour  Stéphen Kerckhove, délégué général de l’association Agir pour l’environnement et auteur du livre Grenelle de l’environnement, l’histoire d’un échec, le « Grenelle n’est plus aujourd’hui qu’une opération de verdissement écologique ».

 

Quels sont les principaux reculs du gouvernement par rapport aux mesures annoncées à l’issue des concertations du Grenelle ?

Stéphen Kerckhove : Les reculs sont manifestes sur presque tous les sujets, ce qui fait du Grenelle de l’environnement un échec. La fiscalité écologique est l’une des plus mal-lotis : la taxe carbone a été renvoyée au niveau européen ; la taxe pique-nique (sur les couverts et assiettes jetables non recyclables) abandonnée ; le crédit d’impôt pour les investissements dans les énergies renouvelables divisé par deux  (de 50 à 25 %) ; le malus sur les voitures polluantes n’est pas suffisamment incitatif et le bonus va être revu à la baisse ; enfin, la taxe poids-lourds, qui doit financer le développement du rail, a de nouveau été reportée à 2013 et François Fillon a annoncé lundi qu’il allait déposer des amendements pour lui instaurer des dérogations.

En conséquence, la France est très en retard en matière de transports. Le fret ferroviaire représente 12 % du fret global au lieu des 18 % qui avaient été prévus. Le gouvernement a aussi autorisé les 44 tonnes à circuler sur les routes françaises, augmentant encore davantage la rentabilité du fret routier.

Le gouvernement avait aussi pris un moratoire sur la construction de nouvelles infrastructures. Finalement, il a été abandonné et les constructions relancées : 1 000 kilomètres supplémentaires d’autoroutes, un nouvel aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes et un incinérateur à Fos-sur-Mer.

Enfin, le secteur de l’énergie pâtit du manque de cohérence d’un gouvernement qui multiplie les annonces mais n’en met aucune en œuvre. En témoignent le durcissement de la réglementation et des conditions d’implantation des éoliennes et le moratoire sur le photovoltaïque alors que nous devons atteindre un objectif de 20 % d’énergies renouvelables en 2020. Résultat : la part d’électricité d’origine renouvelable recule en France au lieu d’augmenter : elle est ainsi passée de 15 % en 1997 à 14,7 % en 2010 selon le Comité de liaison énergies renouvelables.

Le Grenelle de l’environnement a-t-il malgré tout suscité des avancées ?

Stéphen Kerckhove : Sur la forme, le gros point positif c’est que l’environnement est devenu un enjeu à part entière, sérieux, dans l’esprit du grand public. Les gens se sont appropriés cette question car l’Etat en a parlé.

Sur le fond, les avancées se comptent sur les doigts d’une main, comme la meilleure isolation des logements neufs (avec un maximum de consommation énergétique de 50 kWh/m/an), le moratoire sur le MON810 ou l’annulation des trois permis d’exploration de gaz de schiste. Mais ces points positifs, on les doit davantage à la mobilisation de la société civile qu’au gouvernement.

 

Vous estimez donc que le gouvernement se désintéresse de la question écologique ?

Stéphen Kerckhove : La situation a bien changé depuis octobre 2007. Aujourd’hui, le chef de l’Etat ne s’appuie plus sur les associations écologiques pour promouvoir sa politique environnementale. Pire, il critique sans cesse l’action des écolos, qu’il qualifie d’intégristes, comme au salon de l’agriculture ou devant les paysans bretons. Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet, on a l’impression qu’elle ne sert plus à grand chose à force de perdre systématiquement, depuis quatre ans, face aux autres ministres sur les thématiques environnementales.

Les associations ont par ailleurs l’impression d’avoir été instrumentalisées : le Grenelle a délégitimé la notion de débat public puisque les projets n’ont pas été traduits dans la loi. Au final, le Grenelle de l’environnement n’a été qu’une vaste opération de verdissement écologique du mandat de Nicolas Sarkozy.


Un rapport détaille les effets négatifs des cadeaux fiscaux
sur la biodiversité

Laurence Caramel
Le Monde du 21.10.2011

Nicolas Sarkozy n’est pas le seul à avoir célébré le 4e anniversaire du Grenelle de l’environnement : alors que le président s’est félicité, jeudi 20 octobre en Mayenne, de son bilan écologique, le Conseil d’analyse stratégique (CAS) a déposé, vendredi 21 octobre, sur le bureau du gouvernement un joli cadeau de 333 pages consacré « aux aides publiques dommageables à la biodiversité ».

 

Comme la taille du rapport le laisse présager, le sujet n’est pas léger : il s’agit d’examiner les mécanismes fiscaux à l’aune de leur impact négatif sur la biodiversité. Mais ce travail a été commandé par Nicolas Sarkozy lui-même : « Toutes les décisions publiques devront tenir compte de leur coût pour la biodiversité », avait annoncé le président dans son discours du Grenelle de l’environnement, le 25 octobre 2007.

 

Quatre ans après, l’examen de ces taxes et subventions néfastes pour la nature arrive. Le travail de réforme de la fiscalité pourrait donc en théorie commencer. Mais compte tenu de la situation économique et à moins de sept mois des élections présidentielles, il n’est pas certain que le gouvernement voudra s’engager sur un terrain où il pourrait heurter nombre d’intérêts économiques. D’ailleurs, alors que le ministère de l’écologie avait demandé aux experts de livrer leurs premières recommandations avant l’été, afin d’en disposer pour la discussion budgétaire, on ne trouve pas de trace des pistes avancées dans le projet de loi de finances 2012.

 

Le document coordonné par Guillaume Sainteny, directeur de la chaire du développement durable de l’école polytechnique, décortique avec minutie les mécanismes fiscaux qui contribuent à l’érosion de la biodiversité. Celle-ci passe par la destruction des espaces naturels, convertis par exemple en lotissements de pavillons individuels, en zone commerciale ou en routes, mais aussi par la surexploitation des ressources de la nature, notamment en raison des subventions accordées à la pêche. « Un ensemble d’aide publiques contribue à l’étalement urbain et à l’éloignement des zones d’activité (…) Les aides à l’acquisition de l’habitation principale vont préférentiellement à des logements neufs d’autant moins chers qu’ils sont loin des centre-villes », écrivent ainsi les rapporteurs en dénonçant les effets pervers du Prêt à taux zéro et des dispositifs de défiscalisation pour l’investissement locatif de type Scellier.

 

Les auteurs pointent aussi le régime fiscal des installations commerciales, qui se fonde uniquement sur le chiffre d’affaires sans tenir compte de l’implantation géographique. « Non seulement, ces mesures contribuent à une consommation inutile d’espaces mais elles sont inadaptées à la France de demain composée d’une population vieillissante qui aura des problèmes de mobilité », explique M. Sainteny. Ce dernier suggère de majorer les taxes pour les installations en périphérie de villes et de supprimer les abattements qu’accordent les collectivités locales pour attirer les investisseurs.

Le rapport consacre aussi un long chapitre aux aides publiques qui favorisent la pollution. Parmi elles, les taxes particulièrement faibles appliquées à certains rejets industriels. Le document cite l’exemple de la tonne de dioxyde de soufre ou d’oxyde d’azote (Nox). Elle est imposée en France à 50 euros et entre 3000 et 5000 euros la tonne en Suède ou au Danemark. On y découvre également que des émissions de métaux lourds – comme le sélenium et l’arsenic- ne sont pas pris en compte par la taxe générale sur les activités polluantes. De même, le taux de TVA appliqué aux pesticides – 5,5 %- est en France le plus faible de l’Union européenne, excepté Chypre, selon le document.

 

Les auteurs demandent des « aménagements » fiscaux mais regrettent aussi que les pouvoirs publics ne prennent pas assez en compte l’impact sur la biodiversité dans les grands projets d’infrastructures. Cela permettrait d’en évaluer le coût réel et d’éviter ce qui constitue pour eux des subventions déguisées. L’exercice n’est pas facile, reconnaissent les auteurs. La réflexion sur le coût de la biodiversité, entamée par les travaux de Bernard Chevassus-au-Louis en 2009, est loin d’être aboutie.

 

Combien au total les contribuables versent-ils chaque année pour détruire la nature ? Les rapporteurs ont renoncé à donner un chiffre précis mais l’enjeu porte sur plusieurs milliards d’euros.

 

Ikea, l’anti développement durable

Interview de Martine Bouchet
Hebdomadaire Enbata du 20.11.2011

Passée l’effervescence autour de la conférence de presse d’Ikea du mois d’avril 2011 et, après les déclarations de satisfaction des maires des trois communes concernées (Mouguerre, Saint-Pierre-d’Irube et Bayonne) on a pu penser que le projet Ikea était quasiment fait, puisqu’il était annoncé qu’on entrait dans «la phase opérationnelle du projet». Mais le projet suscite des remous, et l’ouverture d’Ikea, annoncée pour juin 2014, semble ne pas suivre le planning annoncé. Pourquoi ? Martine Bouchet, présidente de Mouguerre Cadre de vie, nous en donne les raisons.

 

La guerre autour des centres commerciaux

 

Voici le rappel du projet Ikea en quelques chiffres: il s’agit de construire un magasin Ikea de 24.000 m2 (pour mémoire, un magasin de type Conforama a une surface moyenne de 3.700 m2) et une galerie commerciale attenante à ce magasin de 32.700 m2 comprenant un magasin Carrefour de 5.000m2. Les nombreux restaurants prévus ne sont pas comptés dans ces m2. En comparaison, le  BAB2 couvre 35.700 m2 et est donc à peu près équivalent. Pour ne pas laisser à d’autres les bénéfices de son attractivité auprès des consommateurs, Ikea veut être le propriétaire de ce  centre commercial, dont il possèdera les murs et pour lequel il fera payer des loyers.

 

Les constructions des deux structures (magasin Ikea et son centre commercial) sont donc liées, et c’est de là que vient le premier problème pour Ikea. En effet, d’autres projets d’importance sont annoncés, et le porte-monnaie des consommateurs n’étant pas extensible, tous ces projets ne seront pas viables. Il y a le projet d’Ondres (80.000 m2), qui n’est qu’à 10 km par l’autoroute, et celui de Saint-Geours-de-Marenne dans le sud des Landes (70.000 m2 prévus). Aproximité également, le BAB2 qui a la volonté de s’agrandir, et le centre commercial Carrefour de Tarnos. On peut donc parler de guerre commerciale. La presse s’est fait l’écho d’un recours de l’un des deux propriétaires du BAB2 (Unibail- Rodamco) contre le projet Ikea au niveau de la CNAC (Commission Nationale d’Aménagement commercial). Et de guerre entre élus qui espèrent des rentrées fiscales. Ils se battent pour attirer les emplois chez eux et alimenter les finances de leurs communes, sans se préoccuper d’avoir une vision plus large et plus harmonieuse du territoire, qui favoriserait des productions et des consommations locales. Et pour prendre ce pactole au détriment des communes voisines, ils déroulent le tapis rouge: les terrains publics ont été vendus à Ikea pour 10 euros le m2, prix imbattable pour un terrain qu’on rend constructible et qu’on viabilise, et les communes dépensent plus de 5 millions d’euros d’argent public rien que pour les aménagements des routes d’accès.

 

Dans cette guerre que se livrent les élus et les promoteurs de grandes surfaces entre eux, quel est l’intérêt des citoyens? Il n’est pas facile de le discerner, mais on peut quand même en profiter pour essayer de mettre à jour ce qu’est vraiment Ikea, et voir si son arrivée est une

aubaine, ou au contraire un pas de plus vers une société qui nous a conduits aux crises que nous connaissons.

 

Ikea, un mode de vie tourné vers la consommation à l’extrême

 

IKEA est l’inventeur du concept de «carton plat»: les meubles sont vendus à monter, et transportables par les clients dans des cartons plats. C’est aussi la première entreprise qui est partie s’installer en Chine, pour délocaliser la production vers des pays où la main d’oeuvre coûte bien moins cher qu’en Europe, mais travaille aussi dans des conditions critiquables. Si le meuble Ikea bon marché, portait la mention «fabriqué par un enfant», le concept aurait peut-être eu moins de succès… Le système Ikea s’articule donc autour du transport: transport des meubles fabriqués très loin des lieux de vente, mais aussi transport des clients, puisque Ikea construit de gigantesques magasins, attirant les clients jusqu’à une heure de route par autoroute. Ainsi, la «zone de chalandise» de l’Ikea de Bayonne ira jusqu’en Hegoalde, jusqu’à Pau et Mont-de-Marsan. Ikea attend 8 millions de visiteurs par an sur Ametzondo, soit 3.400 véhicules / heure le vendredi soir et le samedi. Il est dorénavant reconnu qu’il est urgent de baisser les émissions de CO2, et donc les transports. Ikea va totalement à l’encontre de cette nécessité. Leur marketing autour de ce thème essaie de redonner bonne conscience à leurs clients: publicité autour du covoiturage, quelques panneaux solaires sur le toit du magasin, mur végétal etc. Mais ce ne sont que des rustines évitant de s’attaquer au coeur du fonctionnement même du système.

 

De plus, Ikea est synonyme de consommation compulsive jetable, participant ainsi à la destruction de matières premières et à la crise écologique. De ce point de vue d’ailleurs, il faut comprendre le système Ikea: vous entrez dans un magasin où le cheminement est imposé. Il faut minimum 1 heure pour faire le circuit, 2 heures si vous le faites avec un peu d’intérêt et quand vous sortez, vous passez obligatoirement par une zone où sont vendus une foule d’objets peu chers. Et c’est là qu’intervient l’achat compulsif: vous ne venez pas de passer autant de temps dans un  magasin pour en sortir les mains vides? Alors vous achetez, 1 euro le décapsuleur à bouteille rigolo, 2 euros un torchon, 3 euros un coussin, 5 euros une table basse, votre honneur de consommateur est sauf! Avec 8 millions de visiteurs Bayonnais prévus, cela fera finalement beaucoup d’achats inutiles.

 

Vous n’avez même pas la consolation de penser que votre argent circule et permet au plus grand nombre de vivre. En effet, non seulement il est connu que 1 emploi créé dans la grande distribution en détruit 3 dans le commerce de proximité, mais en plus, en choisissant Ikea, vous choisissez une entreprise au montage financier très complexe, avec des ramifications vers des paradis fiscaux et régulièrement accusée de fuir taxes et impôts. Vous ne pouvez même pas penser que vous avez amélioré le sort des employés de votre région: outre la destruction d’emplois dans d’autres commerces, les salariés d’Ikea vont devoir travailler jusqu’à 22h, et le dimanche, risquant d’entraîner avec eux les employés des autres enseignes qui chercheront à s’aligner. Tout cela mène à une dégradation des conditions de  travail.

 

De surcroît, vous risquez de mettre des bâtons dans les roues de toutes les initiatives de consommation basées sur les circuits courts et la qualité, bien au-delà de l’ameublement. Des agriculteurs flamands ont manifesté à plusieurs reprises pour dénoncer le fait qu’Ikea vende un steak-frites à 2,50 euros, dévalorisant et mettant en péril la filière qualité du boeuf belge. A Ametzondo une très grande quantité de restaurants est prévue.

 

 

L’arroseur arrosé ?

 

IKEA est donc une entreprise organisée autour du transport à très grande échelle, contribuant aux émissions de CO2, qui se traduit par une fréquence accrue des événements climatiques dits exceptionnels, notamment des fortes pluies.

 

Il est à noter d’ailleurs que la station météo d’Anglet a revu ses statistiques entre 1999 et 2007: les précipitations exceptionnelles qui n’avaient auparavant qu’une fréquence centennale (c’est à dire dont l’importance faisait  que statistiquement elles ne se produisaient que tous les 100 ans) ont à présent une fréquence trentennale (tous les 30 ans!). C’est donc que la fréquence des événements pluvieux augmente réellement, ce n’est pas une lubie de quelques écolos, mais un fait vérifiable et déjà quantifiable. Or Ikea veut s’installer sur un des derniers sites permettant une absorption de l’eau en cas de fortes pluies, site protégeant donc les quartiers environnants des inondations: le site d’Ametzondo. Jusque-là inconstructibles, ce sont 12 ha supplémentaires qui vont être imperméabilisés. Les quartiers avoisinants la zone d’Ametzondo ont connu depuis les travaux des ASF 3 inondations majeures, et l’implantation d’Ikea ne va faire qu’aggraver cette situation. Il est probable que des recours soient déposés à ce sujet.

 

Le terrain est d’autant plus inapproprié que pour que le projet se réalise, il fallait que les communes donnent une dérogation pour pouvoir construire à 30 mètres des axes des autoroutes, au lieu des 100 mètres réglementaires. Dérogation que les communes ont accordée, niant ainsi les problèmes de pollution de l’air aux abords de l’autoroute et les risques de cancers et maladies cardiovasculaires des futurs employés de la zone commerciale. Mouguerre cadre de vie a attaqué la dérogation au tribunal administratif. Un obstacle de plus pour l’installation d’Ikea, mais faut-il s’en plaindre?

 

Pour suivre l’actualité du projet Ikea: www.mouguerrecadredevie.fr

Maquette du

FACE A FACE. Quand Hulot réplique à Bruckner

Recueilli par Guillaume Malaurie et Maël Thierry – Le Nouvel Observateur
http://tempsreel.nouvelobs.com/un-vert-pour-la-route/20111013.OBS2395/face-a-face-quand-hulotreplique-
a-bruckner.html – 13.10.2011

Dans son nouvel essai « le Fanatisme de l’Apocalypse », Pascal Bruckner fustige l’idéologie écologiste, qu’il juge dominante, régressive et punitive. Nicolas Hulot, qui a toujours regretté le silence des intellectuels sur ce dossier, lui réplique. Vertement.

Nicolas Hulot : Journaliste, animateur-producteur d’« Ushuaïa », inspirateur du pacte écologique de 2007, il a été un des récents candidats à la primaire écologiste. Il a publié de nombreux ouvrages dont « la Terre en partage » (La Martinière, 2005), « Pour un pacte écologique » (Calmann-Lévy, 2006) et a réalisé en 2009 le film « le Syndrome du Titanic ». 

Pascal Bruckner : Ecrivain, essayiste, il est l’auteur de nombreux essais dont « la Tentation de l’innocence » (prix Médicis 1995), « la Tyrannie de la pénitence » et « le Paradoxe amoureux » aux Editions Grasset. Il vient de publier chez le même éditeur « le Fanatisme de l’Apocalypse. Sauver la Terre, punir l’homme ».

> Pascal Bruckner, vous n’y allez pas de main morte en écrivant : « L’écologie du désastre est d’abord un désastre pour l’écologie »…

– Pascal Bruckner Je distingue deux écologies, une de la raison et une autre de la divagation, une qui célèbre la nature et une autre qui accuse l’homme. Depuis une dizaine d’années, l’écologie, devenue l’idéologie dominante, instruit le procès de l’humanité et alimente l’angoisse des gens. Paradoxalement elle détourne les citoyens du souci environnemental : l’imminence de la catastrophe est telle que, quoi que nous fassions, c’est fichu.

– Nicolas Hulot Je m’inscris en faux contre l’idée que le sort de l’humain soit second. Notre référence cardinale, c’est l’homme. Celui d’aujourd’hui et de demain. Je ne vois rien de contradictoire avec la préoccupation environnementale : la science et l’observation nous enseignent qu’il y a une étroite communauté de destins entre l’homme et son milieu vivant. L’unique point d’accord que j’ai avec vous, c’est que le désespoir n’est pas mobilisateur. Ce qui rend d’ailleurs délicat l’exercice des lanceurs d’alerte parmi lesquels je me range. Si on donne le sentiment que les crises écologiques c’est toujours pour plus tard, ou que le génie humain trouvera sans coup faillir les remèdes, on devient complice de l’inertie ambiante. « L’habitude, disait Edgar Morin, c’est de sacrifier l’urgence à l’essentiel, alors que l’essentiel c’est précisément l’urgence ! » La seule fatalité que je craigne, c’est de céder au fatalisme. Et je suis triste que les intellectuels soient aussi silencieux sur ces enjeux majeurs et ne nous aident pas à redéfinir le sens du progrès.

 

 

 

> Prenons le livre de Keynes, « les Conséquences économiques de la paix », écrit en 1919. Il y décrivait les scénarios du pire. Tout s ‘est révélé exact. Faudrait-il proscrire la pédagogie de la peur quand elle est au service de la vérité ?

– P. Bruckner La peur a toujours été l’instrument des dictatures, qui veulent paniquer les peuples pour les infantiliser. On renverse complètement les présupposés de l’éducation classique, où l’on enseignait d’abord aux enfants comment affronter les dangers. Maintenant on brandit effroi comme école de lucidité. Or le catastrophisme n’a pour seul effet que de nous désarmer. Il y a dans de nombreux discours écologistes une tentation dictatoriale, déjà présente chez Hans Jonas, qui voulait confier la planète à une élite éclairée. Si demain, par malheur, on crée des commissaires politiques du carbone, je ne donne pas cher de nos libertés. Et puis, face à la menace d’une fin des temps, on oppose des gestes dérisoires : abandonner la voiture, manger végétarien, ne plus prendre de bains mais des douches. Remèdes ridicules !

– N. Hulot Vous confondez tout ! Les incitations aux économies d’eau ou d’électricité n’ont pour objet que de sensibiliser aux enjeux écologiques. Pas de les résoudre. Il faut maintenant trouver un autre modèle de développement en sachant qu’une croissance illimitée dans un monde limité n’est pas viable. Que 90 % des matières premières et des ressources naturelles puissent disparaître à la fin du XXIe siècle, ce n’est pas une vue de l’esprit. Nous ne sommes là ni dans la morale, ni dans l’idéologie, ni dans la religion. Je ne m’aventure pas à faire des pronostics sur la fin du monde, mais je suis convaincu que l’univers de demain sera bien différent de celui d’aujourd’hui. Contrairement aux apparences, la norme, ce n’est pas l’abondance mais la rareté. Or la rareté s’anticipe et se gère. Il ne faut pas s’inquiéter d’avoir à édicter collectivement et démocratiquement des limites.

> Pascal Bruckner, vous avez remarqué que Nicolas Hulot fait appel aux intellectuels. Que lui répondez-vous ?

– P. Bruckner Les intellectuels sont utiles pour éviter au mouvement écologiste les dérives dans lesquelles il s’enferre. Tout comme le mouvement ouvrier du XIXe siècle était divisé entre le socialisme démocratique ou libertaire d’un côté et le prébolchevisme totalitaire de l’autre, l’écologie devra choisir. Ce courant autoritaire est d’ailleurs celui qui a battu Nicolas Hulot lors de la primaire. Je ne suis pas surpris qu’on lui ait préféré une juge d’instruction, certes talentueuse, mais qui mettrait volontiers des menottes au genre humain pour lui imposer des limites. Vous avez vous-même mis en garde contre une écologie punitive. Le slogan ridicule «Sauver la planète» ne sert qu’à culpabiliser les enfants ! Si les opinions ont été sensibles au climato-scepticisme, c’est que la thèse du réchauffement climatique a été assénée de façon dogmatique.

– N. Hulot Soyons sérieux ! La question du réchauffement ne se tranche pas à l’applaudimètre ! Ce n’est pas une affaire de sensibilité ou d’opinion. Il faut rappeler qu’à la suite de la Conférence de Rio en 1992 la communauté internationale a confié aux meilleurs experts mondiaux la mission de synthétiser les travaux scientifiques. Il s’avère que la part des activités humaines dans les changements climatiques est réelle. Et que certaines projections à long terme sont catastrophiques si on ne fait rien. N’est-ce pas un devoir d’alerter sur les risques du pire ?

Je crois que chacun doit prendre sa part de responsabilité sur le futur. Je retourne bientôt au Tchad avec la représentante des peuples sahariens et nomades dans les négociations sur le changement climatique. A Copenhague, elle m’avait dit cette phrase : «Pour vous, le réchauffement, c’est parfois agréable parce que vous êtes en tee-shirt l’hiver. Mais nous, nous sommes déjà dans le tunnel de la mort !»

– P. Bruckner Que je sache, il a toujours fait assez chaud dans les pays sahéliens ! Plutôt que d’élaborer des scénarios effrayants, pourquoi ne pas s’adapter ? La meilleure réponse aux dérèglements du climat, c’est le développement des pays pauvres, qui doivent se donner les moyens de résister aux aléas naturels. C’est d’ailleurs ce que font les pays émergents, qui tentent de corriger les dégâts de la croissance. Eux connaissent la catastrophe, c’est-à-dire la faim, la pauvreté, la maladie. C’est pourquoi nos discours alarmistes sont inaudibles en Chine, en Inde ou au Brésil, même si ces pays sont conscients des problèmes environnementaux. Leur pari, c’est de promouvoir une vie décente pour des milliards d’hommes sans épuiser les ressources. Les Chinois sont numéro un pour la fabrication des panneaux solaires. Je me demande si le discours catastrophiste n’est pas que le cri dépité des anciennes nations dominantes, Europe et Amérique, réalisant qu’elles ont perdu la main et que les colonisés d’hier leur ont volé le feu. Nous voudrions mettre un terme à l’histoire industrielle, mais les autres peuples nous laissent à nos anathèmes et poursuivent autrement l’aventure du progrès.

– N. Hulot Quand vous dites qu’il a toujours fait chaud au Sahel, ça me choque. Il faut tout de même réaliser ce qu’un minuscule degré de plus signifie dans la bande sahélienne. Au Darfour, c’est précisément ce degré-là qui a déclenché un basculement climatique et contraint les éleveurs de chameaux nomades à se déplacer et à entrer en compétition avec les pasteurs. Vous me reprochez de ne pas avancer de solutions toutes faites et vous avez raison : je n’ai pas réponse à tout. Mais ma vision est très nette. Il convient d’abord de fixer des limites qui ne soient pas des privations. Car le progrès, c’est ma conviction, vaut autant par des acquiescements que par des renoncements. Et à cet égard vous faites une lourde erreur quand vous évoquez la Chine. Pékin a cent fois mieux que nous anticipé l’épuisement des ressources. Là où l’Europe a un diplomate en Afrique, les Chinois en ont dix pour accaparer les terres rares ! Ils ont pris conscience qu’ils ne pourront pas se développer à l’identique de l’Occident.

– P. Bruckner Je vous accorde que vous incarnez une écologie humaniste. Et c’est pourquoi vous avez été battu à la primaire. Il y a d’autres courants, notamment chez les militants pour qui les droits du vivant ont la préséance sur les droits de l’homme. On nous explique, c’est la position d’un Michel Serres, qu’il faut accorder un droit à la nature ou encore «penser comme une montagne» (Aldo Leopold) contre les humains prédateurs. Ce faisant, on oublie que défendre une forêt contre la cupidité d un entrepreneur minier, c’est toujours opposer certains hommes à d’autres hommes. Les falaises, les bovins, les oiseaux ont droit à notre protection, mais ils ne peuvent plaider leur cause eux-mêmes. Au lieu d’invoquer une guerre entre l’homme et les espèces animales, il conviendrait de plaider pour une solidarité du vivant. Pour un anthropocentrisme élargi.

 

> Les écologistes, écrivez-vous, seraient des «ventriloques» qui parlent au nom des générations futures. Préserver les intérêts de l’humanité à venir ne date pourtant pas d’aujourd’hui. C’était déjà une préoccupation de Condorcet…

– P. Bruckner Le chantage à l’avenir a toujours été un moyen de tyranniser les hommes : le christianisme expliquait déjà que les péchés commis sur terre se paieraient au centuple en enfer. Le marxisme exigeait le sacrifice des masses populaires pour le bonheur des générations qui vivraient un jour dans le paradis socialiste. Nous sommes responsables de nos enfants et de nos petits-enfants, mais au-delà, cette charge devient abstraite : l’étendre à notre descendance sur cent ou deux cents ans est absurde ! On prend le risque de tyranniser les générations présentes sous prétexte de sauver une humanité future dont on ne sait rien. Tout subordonner à la survie permet en outre de détourner le regard des injustices du temps présent. Ce que je vois dans le courant écologique, c’est un phénomène très classique en Occident : le retour, au nom de la défense de la Terre mère, de la peste ascétique. Est-ce se conduire en enfant gâté que de vouloir, quand on appuie sur l’interrupteur, que la lumière soit et non qu’on réduise de 50% notre consommation d’électricité comme le suggérait Yves Cochet ? Va-t-on éteindre les villes la nuit, revenir à l’époque de la bougie, comme semblent le souhaiter les décroissants ?

– N. Hulot Ce qu’il faudrait surtout éviter, c’est de n’avoir pas d’autre alternative que celle de la bougie ! Encore une fois, nous puisons l’essentiel de notre énergie et de nos ressources dans des stocks finis qui arriveront forcément à épuisement. Si on veut éviter le rationnement et la régression, il faut que nous nous fixions collectivement des bornes. Exactement comme on l’a décidé pour les ressources halieutiques. On a imposé en Europe des quotas de pêche et les scientifiques contrôlent régulièrement les résultats. Parfois, oui, ils disent : là, il faut arrêter, sinon les thons rouges ne pourront plus se reproduire et ils disparaîtront. Quand on intervient trop tard, comme ce fut le cas avec la morue, les stocks ne sont toujours pas reconstitués cinquante ans après. Nous sortons à peine de cette illusion de l’abondance. Je ne plaide pas pour une société ascétique, mais je crois qu’il y a certainement un point d’équilibre qu’il faudra bien trouver entre l’ascétisme obligatoire et le gâchis inconscient. 20% de l’humanité qui consomme 80% des ressources de la planète, comment appelez-vous ça ? L’idée n’est pas de pénaliser l’homme d’aujourd’hui au nom de l’homme hypothétique du troisième millénaire. C’est plutôt de concilier l’ensemble des contraintes et, dans beaucoup de domaines, on sait déjà faire. Prenons l’exemple de l’injustice sociale dont vous supposez à tort que l’écologie ne se préoccupe pas. C’est tout le contraire ! Si nous ne partageons pas les richesses, et vite, un risque majeur d’explosion est à craindre parce que, dans un monde interconnecté, tout se voit et tout se sait. Vous mettez donc dans le baril de poudre des inégalités un puissant détonateur : l’humiliation. Pour moi, l’écologie ce n’est pas une préoccupation de plus à un moment critique de l’histoire, c’est l’histoire tout court.

– P. Bruckner Je reste confiant dans le génie humain, dans sa capacité à surmonter les problèmes qui se posent à lui. Tout en étant conscient de l’extrême difficulté de notre situation. J’observe une attitude ambiguë dans le mouvement écologique vis-à-vis de la science. D’un côté, il dresse une critique du progrès et de ses dérives déjà présente chez Rousseau. De l’autre, il invoque en permanence les études des savants qui justifient son combat. « Les scientifiques nous disent… », ainsi commencent toutes les objurgations vertes.

C’est sur des travaux savants que les écologistes s’appuient pour asséner que la Terre a épuisé les ressources disponibles. Mais la science est d’abord une école du doute qui ne cesse de réfuter ses erreurs passées. A bien y regarder, l’écologie est en fait piégée dans l’idéologie qu’elle dénonce : celle du progrès, du calcul et du scientisme. Que savons-nous des capacités de la Terre à encaisser les pollutions contemporaines ou même le réchauffement ? Vous remarquerez que les bonnes nouvelles ou les progrès déjà réalisés sont généralement passés sous silence puisqu’il s’agit en permanence de nous accabler, de nous décourager. On ne nous dit jamais, par exemple, qu’il y a plus de forêts en France en 2011 qu’au XIXe siècle, qu’on respire mieux à Paris aujourd’hui qu’en 1960 ou encore que les déchets de plastique qui flottent dans l’océan Antarctique sont déchiquetés en petites billes par des bactéries. Il y a une réversibilité des dommages, la nature peut produire des contre-pouvoirs aux pollutions qu’elle affronte. Et si les stocks naturels sont limités, les ressources intellectuelles, elles, sont illimitées. Je refuse à me complaire dans une vision sombre des temps à venir. Je crois que le remède se trouve dans le mal et au sein même du progrès et de la science qui ont généré, c’est exact, des ravages effroyables mais les ont aussi corrigés. Je ne comprends pas la diabolisation des OGM ou plutôt je comprends trop bien qu’en détruisant les parcelles les faucheurs volontaires font le jeu, sans le savoir peut-être, des puissantes multinationales américaines qui n’ont plus de concurrents français.

– N. Hulot Comme disait un des mes amis économiste américain, Amory Lovins, l’optimisme et le pessimisme sont les deux facettes d’une même médaille : la résignation. Dans les deux hypothèses, soit que tout s’arrange, soit que tout s’effondre, on reste passif. Or il y a des processus irréversibles et d’autres sur lesquels on peut agir. Pour la couche d’ozone, l’amélioration s’explique pour une bonne part par l’interdiction des aérosols. En revanche, quand mon camarade Yves Coppens lançait l’idée que pour limiter le réchauffement climatique on pourrait modifier l’axe d’inclinaison ou de la rotation de la Terre grâce à des charges atomiques, je crois qu’on s’égare. Comme le disait Jean Rostand : « La science a fait de nous des dieux avant défaire de nous des hommes. Et pour l’heure nous ne sommes encore que des hommes. » J’ai autant foi que vous dans le génie humain, mais les menaces ont changé d’échelle. Pour la première fois, les emballements risquent bien de nous échapper. Peut-être bien qu’après-demain on pourra capter une infime partie de ce que le Soleil fournit en énergie à la Terre et que cela suffirait à répondre à nos besoins. Mais on n’en est pas là. Et pour arriver sain et sauf à ce rendez-vous, il faudra un nouveau modèle économique pour que l’ère des vanités fasse place à celle de l’humilité.

> Vous n’avez pas évoqué Fukushima. Cette catastrophe ne vient-elle pas précisément donner raison aux catastrophistes écolos ?

– P. Bruckner Quand c’est arrivé, j’ai noté une étrange volupté du désastre chez certains prophètes de l’horreur annonçant «la fin du progrès», tel Ulrich Beck ! Pour eux, ce fut une divine surprise : enfin ils avaient leur second Tchernobyl. Il y a des amoureux de la catastrophe qui l’attendent comme d’autres l’arrivée du Messie. Six mois après, on compte peu de morts, même si des conséquences funestes sont à craindre et que les négligences de l’entreprise Tepco sont criminelles. Je veux bien qu’on arrête l’énergie nucléaire civile, mais par quoi la remplacer dès lors que les énergies renouvelables ne renouvellent pour l’instant pas grand-chose ?

– N. Hulot Je ne peux pas laisser dire qu’un seul écologiste digne de ce nom puisse se réjouir de la catastrophe de Fukushima ! Que les événements viennent avaliser ou infirmer mes inquiétudes ne me conduit pas à faire des hiérarchies dans l’affliction. Simplement, lorsqu’une société n’est pas capable de contenir dans le temps et l’espace les conséquences d’un risque technologique, il faut arrêter. A Fukushima, on a vu que le personnel scientifique et politique était dépassé. Pour moi, c’est la démonstration de trop. Si on répond aux besoins énergétiques de la planète par l’atome, on aura statistiquement un accident tous les cinq ans. Et qu’un territoire puisse être contaminé sur 50 kilomètres pendant plusieurs générations, ce n’est pas l’idée que je me fais du progrès.

 

Ehunka txanpon txiki herriak biziberritzeko

Pello Zubiria
http://www.argia.com/argia-astekaria/2294/lekuko-monetak – 2011.10.16

Urte bete barru Lapurdin, Nafarroa Beherean eta Zuberoan lekuko moneta propioa eduki dezakete, Bizi! mugimenduak sustatuta. Munduan horrelako lekuko txanponak ehunka dira gaur egun, globalizazioari aurre eginez bertako ekonomiak, enplegu berriak, herritarren arteko elkarlana eta iraunkortasuna sustatzen dituztenak.

 

 

Bizi! mugimendua, Iparraldean 2009tik ekologiaz eta justizia sozialaz okupatzen den talde gaztea, joan den udaberritik ari da aztertzen lekuko diru berri bat abiaraztea. Gara egunkarian irailean azaldu duten ideia maiatzean Txetx Etxeberrik aurkeztu zuen Enbata astekariarekin banatzen den Alda gehigarrian: Demain une monnaie basque?.

“Bihar euskal moneta bat?” ikusita zenbaitek ulertu lezakeen arren diru abertzale bat aipatzen duela, nazionalismoarekin ez baina justizia sozialarekin eta ekologikoarekin kezkatuta mundu osoan ugaritu diren ehunka sasi-diruen ildotik dator asmo berria. Antolatzaileek aitortu dutenez, Okzitaniako Villeneuve-sur-Lot herrian darabilten Abeille (erlea) eta Alemaniako Bavariako Chiemgau eskualdean darabilten Chiemgauer (chiemgautarra) dauzkate inspirazio iturri.

Villeneuve-sur-Lot eta inguruetan bizi diren biztanleek aukera dute euroaz gain delako erlearekin ere erosketak egiteko 2010eko urtarriletik. Prezioetan ez daukate nahasterik: abeille 1 = euro 1. Badira 1, 2, 5, 10 eta 20 erleko billeteak. Agir pour le Vivant elkarteak kudeatzen du lekuko moneta, bere bulegoetan saltzen ditu erleak.

Ez denetik baina gauza eta zerbitzu asko eros daitezke erlez ordainduta: jokoan parte hartzea erabaki duten dendari, artisau, profesional eta elkarteek atarietan iragartzen dute. Beraz, abeillak usatu ditzakezu Villeneuve-sur-Loten ogia erosteko, ordularia konpontzeko, umearen zaintzaileari pagatzeko, eta abar luze bat.

Erakunde eta profesionalek baldintza plegu zehatza onartu behar izan dute horretarako. Agir pour le Vivantek produkzio eta zerbitzu ekologikoak eta hurbilekoak sustatzen baititu, lan baldintza duinetan ekoitziak, ahalik eta iraunkorrenak. Sei hilero erleak balioaren %2 galtzen du, horrela lekuko dirua gorde ez baina erabili dadin.

Ipar Euskal Herriko proiektuaren sortzaileek aipatu duten beste eredua Alemaniako Chiemgau eskualdekoa da. Erleak bezala, chiemgauerrak ere euroen parekide dira. Baina sei hilabetero balioaren %8 galtzen dute. Diru honekin funtzionatzen duten herritar eta saltzaileek hiru hilabetez behin jasotzen dute billete bakoitzaren %2 balio duen tinbrea, paperari erasteko. Horrela eragotzi nahi dute sos horiek herdoiltzea.

2003an sortu zuen chiemgaurra Christian Gelleri maisuak bere ikasleekin elkarlanean. Helburuok ezarri zizkioten txanpon berriari: enplegu berriak sortzea, kultur jarduerak ugaritzea, iraunkortasuna sustatzea, elkar-laguntza sendotzea, lekuko ekonomia indartzea eta espekulazioa eragoztea.

2008an diru hori 3.000 herritarrek usatzen zuen, 600 komertziotan onartzen zen eta 370.000 chiemgauer zeuden zirkulazioan. Urte hartan hiru milioi fakturatu ziren chiemgauerretan, horiei esker eskualdeko elkarteen artean 33.000 banatu zirelarik diru-laguntzetan.

Hurbiltasuna eta integrazioa

Frantsesez SEL Système d’Echange Local eta ingelesez LETS Local Exchange Trading System deitzen diren lekuko diruok mundu osoan daude zabalduta. Horretan dabiltzanek diote lehenbizikoa Kanadako British Columbia estatuan Michael Lintonek abiarazi zuela, 1983an. Frantzian lehenbiziko SELa 1994an sortu zuten, guregandik hurbil Ariège departamenduan.

Munduan lekuko diruon paradisutzat Australia aipatzen da, 1995erako 250 sare baino gehiago zeuzkalako. Kanadan asko dira. Ekuadorren 140. Hortik aurrera, Japonia, Holanda, Hego Afrika, Hego Korea, Erresuma Batua, Suitza, Venezuela eta abar luze bat.
Ugaritasun horrek berekin ekarri du aniztasuna ere. Gorago aipatu erleak eta chiemgauerrak euroaren baliokide eta beste asko nor bere moneta ofizialaren parekide diren moduan, badira beste batzuk denbora banku legez funtzionatzen dutenak, unitatetzat lan ordua harturik. Internetek are gehiago bilakarazi ditu sistemok, kudeaketa asko burutzeko bezala kontrolatzeko ordenadoreak usatzen direlako orain.

Diru “sozialak”, “paraleloak”, “alternatiboak”, “osagarriak” eta horrelako izen gehiagoz bataiatu direnokin beren bultzatzaileek erantzun nahi izaten diete sistema finantzario nagusiak burutzen dituen desmasiei. Ez dira antzinako moneta txiki lokaletara edo diru nazionaletara itzultzeko ahaleginak.

Patrick Viveret filosofo eta ekonomia sozialean adituak bost funtzio aurkitzen dizkie sos berrioi. Salerosketen izaera aldatzen dute, gizarte barruko harremanak berrantolatuz. Ekonomia berriro lekuan finkatzen laguntzen dute, txanponok ez daukatelako baliorik hurbileko zirkuituetatik kanpo. Txirotasunari aurre egiten laguntzen dute, bestela saldu ezingo liratekeen produktuak edo zerbitzuak zirkulazioan sartuz. Bazterketaren kontrako borrokan balio handia dute, lanposturik gabeko jendeen integrazioa ahalbideratzen dutelako. Eta ingurumena zaintzen laguntzen dute, hurbileko produkzio eta kontsumoa sustatzeaz gain produktuak behin eta berriro usatzea baimentzen dutelako.

Abantailak asko izanik, diru berri bat abian jarri bezain pronto azaltzen dira arazoak ere. Hasteko, zer egin zergekin: non-nola ordaindu BEZa. Espainian eta oro bat Hego Euskal Herrian ez da arazo handia, hemen diru beltza barra-barra baitabil ohiko sistema ekonomikoan ere. Gauzok zorrotzago kontrolatzen dituzten Frantzian salaketak eta epaiketak izan dira, elkarlaguntzan ari ziren batzuk lantegi klandestinoan ari zirelakoan. Parisko Gobernuak gaur ez du BEZik eskatzen baldin eta SELez pagatzen dena tartekako lan bat baldin bada, enplegaturik gabea.

Jardinons la planète blog interesgarriak martxoan plazaratutako De l’écologie monétaire artikuluan pausatzen zituen lekuko diru hauen zenbait kontraesan. Bere burua decroissance edo herturaren militantetzat daukan egileak ikusten die gaur nagusi den neoliberalismoari jokoa egiteko arriskua: “Estatuek monetaz duten monopolioa hausten dute, baina gainera sustatzen dituzte harreman sistema batzuk berekin dakartenak lanpostuen malgutasuna, zerbitzu publikoen kostuak pagatzetik aldentzen dira; sozialdemokraziak ekarritako ongizate estatuaren eraisten laguntzen dute”.

Alderantzizkoa uste du Txetx Etxeberrik:“Tokiko diruak balioa duen lurraldean, proiektu komunitate bat sortzen da, idekia eta integratzailea, jendeen neurrikoa, bere oraina eta geroaren aktorea, munduaren beste parteekin eta datozen belaunaldiekin solidarioa dena”. Laster ikusiko dugu.