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Articles du Vendredi : Sélection du 26 juin 2015

Une décision historique : un tribunal néerlandais impose à l’Etat d’agir contre le changement climatique

Andrea Barolini
www.reporterre.net/Une-decision-historique-un-tribunal-neerlandais-impose-a-l-Etat-d-agir-contre

Climat : crash-test sur 10 pistes visant à décarboner l’économie

Christian LOSSON
www.liberation.fr/monde/2015/06/21/climat-crash-test-sur-10-pistes-visant-a-decarboner-l-economie_1333959

Emplois « écolo » : +1 à + 1,5 million d’ici 2030 ?

Jean Gadrey
http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2015/06/17/emplois-%C2%AB-ecolo-%C2%BB-1-a-15-million-d%E2%80%99ici-2030/

Une décision historique : un tribunal néerlandais impose à l’Etat d’agir contre le changement climatique

Andrea Barolini
www.reporterre.net/Une-decision-historique-un-tribunal-neerlandais-impose-a-l-Etat-d-agir-contre

C’est une victoire historique pour la population néerlandaise et européenne. Un tribunal de La Haye, saisi par neuf cents citoyens, a condamné mercredi 24 juin l’Etat néerlandais à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. « Le gouvernement sera maintenant obligé à changer ses politiques, étant donné que les juges ont ordonné une baisse des émissions de CO2 d’ici 2020 de 25 % par rapport au niveau de 1990. Il s’agit d’une décision contraignante », explique à Reporterre Dennis Van Berkel, de l’organisation non gouvernementale Urgenda, qui a coordonné l’action judiciaire. Les 900 plaignants hollandais avaient demandé à la justice de qualifier de « violation des droits de l’homme » un réchauffement climatique supérieur à 2ºC avant la fin du siècle.

La joie des militants d’Urgenda à la sortie du procès

Le tribunal, explique Urgenda dans un communiqué, a en effet rappelé que l’Etat est « obligé par la loi à protéger ses citoyens ». L’Etat néerlandais n’a en effet jusqu’à présent pas officialisé d’engagement précis sur les émissions de gaz à effet de serre du pays, disant vouloir attendre les résultats de la Cop21, la Conférence des Nations unies sur le changement climatique qui aura lieu du 30 novembre au 15 décembre 2015 à Paris. Les Pays-Bas restent, en outre, parmi les moins avancés en Europe en ce qui concerne la production d’énergie issue de sources renouvelables : seuls Malte et Luxembourg font pire.

L’avocat qui a défendu l’Etat dans le procès a déclaré devant la Cour que « les décisions de la justice ne doivent pas interférer avec l’action du gouvernement, parce qu’indiquer un niveau de réduction spécifique suppose des évaluations politiques, dont la responsabilité, dans une démocratie, repose sur les épaules du gouvernement et du parlement ».

L’audience au tribunal de La Haye

« Dans un pays démocratique basé sur un État de droit, a répondu l’avocat de Urgenda, même un gouvernement élu par le peuple est soumis à la loi. La justice est donc censée imposer ce principe, et corriger l’action du pouvoir publique si nécessaire. »

« Si la politique n’est pas capable de changer l’état des choses, c’est aux juges de se prononcer », avait ajouté Liesbeth van Tongeren, députée du parti Groenlinks (« Gauche verte »).

Le tribunal de La Haye a finalement donné droit aux requêtes des citoyens, en demandant au gouvernement « de faire ce que lui-même avait indiqué nécessaire afin de lutter contre un changement dangereux du climat, et notamment de réduire davantage ses émissions de CO2, alors que sur la base des politiques actuelles, en 2020 on n’arrivera qu’à une baisse de 16 % par rapport à 1990 ».

Cette diminution, poursuit le tribunal, « est présentée comme indispensable par les organisations internationales comme par les scientifiques », et les coûts qu’il faudra soutenir pour atteindre ce but ne s’élèvent pas à des niveaux « inconcevables ». En outre, ajoute Urgenda, « les objectifs sont tout à fait abordables, compte tenu du fait que d’autres pays, comme la Danemark ou l’Allemagne, ont établi des politiques qui garantiront une baisse de leurs émissions à hauteur de 40 % d’ici 2020. »

Si les politiciens n’agissent pas, les juges peuvent intervenir

Afin de partager son expérience, Urgenda est en train de traduire toute la documentation légale en anglais. D’autres organisations de citoyens, en Europe, ont entamé des actions similaires (c’est le cas de la Belgique) ou les préparent, comme en Norvège. « Des millions de personnes déjà frappées par les conséquences du changement climatique espèrent que ceux qui ont causé les émissions nocives interviennent pour les diminuer. Ce verdict leur donne un atout pour préparer leurs actions en justice », dit Marjan Minnesma, directrice d’Urgenda, qui a commencé avec une équipe d’avocats à étudier la plainte en 2013.

Marjan Minnesma

« Il s’agit d’un jugement révolutionnaire pour la lutte des écologistes », selon Faiza Oulahsen, de Greenpeace Pays-Bas. « Le tribunal néerlandais a été très clair : le gouvernement est obligé par la loi de protéger ses citoyens face aux menaces liées au climat. Maintenant ces actions vont se multiplier dans le monde. Les politiciens qui se retrouveront en décembre à Paris devraient tenir compte de cette sentence. »

Selon Marjan Minnesma, , « le changement climatique est un problème énorme, qui nécessite d’être abordé avec davantage d’efficacité. Et si les politiciens ne s’engagent pas sur ce chemin, ce sont les juges qui interviennent. »

Climat : crash-test sur 10 pistes visant à décarboner l’économie

Christian LOSSON
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Que penser du rapport Canfin-Grandjean commandité par François Hollande avant la COP 21 et destiné à dégager des priorités pour financer la transition vers un monde durable malgré une hausse de 2 degrés des températures ? Résumé en 10 points et commentaires d’acteurs de la société civile.

C’est un rapport demandé le 25 février par François Hollande. Le chef de l’Etat a en effet convié un ex-ministre délégué au Développement, Pascal Canfin, désormais impliqué dans un think tank (le World Ressource Institute) et l’économiste Alain Grandjean (cofondateur et associé de Carbone 4, membre du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot), de piloter une feuille de route jugée essentielle au succès, rêvé, de la COP 21 de décembre. A l’occasion de laquelle 196 pays pourraient aboutir enfin à un accord pour limiter les gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique. Objectif : trouver les moyens de mobiliser de nouveaux financements. «L’un des points clés des négociations internationales portera sur le respect des engagements pris en 2009 à Copenhague concernant le financement des pays du Sud», justifiait Hollande dans la lettre de mission.

Le comité, qui s’est notamment appuyé sur l’audition de 76 experts, a rendu son verdict jeudi, quelques heures après une encyclique papale qui a fait beaucoup de bruit. «Ce ne sont pas les 100 milliards de dollars» promis par les pays du Nord à ceux du Sud à l’occasion de la conférence sur le climat de Copenhague en 2009 «qui vont faire toute la transition bas carbone, ce sont des milliers de milliards de dollars annuels qu’il va falloir faire basculer d’un monde carbone vers un monde bas carbone», a évoqué Alain Grandjean. Oui, mais comment parvenir à limiter à +2 degrés la hausse (à la limite) soutenable des températures d’ici à la fin du siècle pour que le monde soit encore vivable (voire moins) ? Libération a donc demandé à plusieurs acteurs de la société civile de décrypter cette proposition : Alix Mazounie et Lorelei Limousin, du Réseau Action Climat, Alexandre Naulot, d’Oxfam et enfin Dominique Plihon, d’Attac. Voici donc un résumé des dix pistes, suivies à chaque fois de leur appréciation par d’autres acteurs impliqués dans la lutte contre le réchauffement climatique.

1) Instaurer un suivi de la feuille de route du financement d’une économie décarbonée pour assurer sa pérennité au-delà de la Cop21. Supervisée par le FMI et la Banque mondiale, il s’agira de suivre en particulier les évolutions du signal prix carbone (voir le point 2), y compris la diminution des subventions aux énergies fossiles (10 millions de dollars d’aide au secteur par minute !), mais aussi les réformes permettant de lever les obstacles aux investissements dans les infrastructures bas carbone, les «feuilles de route 2°C» des banques de développement, l’intégration du risque climatique dans les réglementations financières, la part des investissements verts dans la totalité des investissements mondiaux en infrastructures, et l’évolution du découplage entre le PIB [la croissance, ndlr] et les émissions de gaz à effet de serre.

Alix Mazounie : «Difficile de commenter cette proposition qui consiste à dire qu’il faut veiller à la mise en œuvre de toutes les propositions qui suivent. Sur le principe, évidemment. Pas sûre pour autant de vouloir confier la décarbonation de nos économies aux deux institutions qui ont fortement contribué à la « carboner » à l’origine.»

Dominique Plihon : «Le FMI et la Banque mondiale n’ont aucune légitimité pour superviser le financement de la transition vers une économie décarbonée. Ces institutions sont trop liées au monde de la finance et aux pays les plus pollueurs pour avoir cette légitimité et cette capacité. Une solution serait de créer enfin l’Organisation mondiale de l’environnement, rattachée aux Nations Unies et qui pourrait être en charge de ce chantier majeur.»

2) Mettre en place un signal prix carbone. Pour que les marchés, les entreprises et les consommateurs soient incités à agir en faveur d’une économie bas carbone, il faut intégrer dans le prix des biens et services le coût de l’externalité négative qu’est le changement climatique. Cela passe par le fait de donner un prix au carbone… Selon New Climate Economy, seul environ 12% des émissions globales de CO2 sont actuellement couvertes par un prix du carbone. Aujourd’hui, 40 pays disposent d’une taxe ou d’un marché carbone. Pour aller plus vite, l’idée est de mettre sur les rails un corridor carbone: une zone de 15 à 20 dollars la tonne en 2020 et croissant dans le temps avec comme objectif le fait de viser une cible de 60/80 dollars la tonne en 2030/2035 selon le niveau de développement.

Lorelei Limousin : «Un signal-prix explicite, c’est bien mais un signal-prix ambitieux, c’est mieux. De nombreux pays développés ont mis en place une taxe carbone d’environ 20 euros, donc les chiffres proposés par le rapport doivent être un point de départ seulement. Dans le cas de la France, il est urgent que le gouvernement annonce une hausse de la composante carbone au-delà de 2016, suffisamment élevée pour permettre la transition énergétique et l’atteinte de nos objectifs de réduction GES : 56 euros en 2020 et 100 euros en 2030 (valeur tutélaire du carbone proposée par le rapport Quinet, publié en 2008). Or, c’est le grand absent du projet de loi de transition énergétique pour la croissante verte.»

Dominique Plihon : «Il y a un consensus pour considérer que la fixation du prix du carbone est une nécessité pour guider les investissements vers une économie décarbonée. Le rapport Quinet avait montré que le prix du carbone devait progressivement augmenter pour atteindre 100 euros la tonne en 2030, ce qui est sensiblement plus ambitieux que l’objectif du rapport Canfin–Grandjean. Par ailleurs, ce dernier rapport laisse entendre que le signal-prix du carbone pourrait être fixé indifféremment par le marché du carbone, ou la fiscalité carbone. Ce qui est contestable, car l’expérience des années récentes a clairement montré que toutes les expériences de marché du carbone ont été des échecs, avec une forte instabilité des prix qui enlève toute signification au « signal-prix » de ces marchés.»

3) Intégrer le climat dans les modèles macroéconomiques. L’intégration du scénario 2 degrés dans les modèles et les prévisions économiques des institutions internationales (FMI, OCDE…). Tout modèle ou toute prévision, par exemple dans les analyses des marchés de l’énergie, incompatible avec le respect des 2 degrés doit être signalé comme tel […]. Les exemples abondent de non-prise en compte des enjeux climatiques dans la prévision macroéconomique. Par exemple, lorsque le FMI analyse le futur du prix du pétrole, l’enjeu climatique est totalement absent. Quant aux modèles macroéconomiques utilisés par les ministères des Finances, ils ne sont en général pas construits pour prendre la mesure de l’enjeu climatique tant en termes de risque sur la stabilité financière. Or, il faut représenter les interactions entre l’évolution du capital naturel (notamment l’énergie et le climat) et les autres variables économiques comme le PIB.

Dominique Plihon :  «C’est une bonne idée de construire de nouveaux modèles macroéconomiques intégrant les dimensions de l’énergie et du climat. Il faut en particulier abandonner les modèles d’équilibre général, inspiré du paradigme néoclassique dominant, qui donnent une représentation statique et réductrice du fonctionnement de l’économie.»

4) Réaliser des stratégies nationales de financement de la décarbonation de l’économie et de son financement, public comme privé. La France en a adopté le principe dans sa loi sur la transition énergétique pour la croissance verte et les pays du G7 s’y sont engagés en juin 2015. Parmi les indicateurs clés pourrait figurer la part des investissements verts dans les investissements totaux réalisés chaque année ainsi que des cibles à atteindre. La France pourrait proposer au FMI de suivre un tel indicateur, pays par pays et agrégé au niveau mondial. Et pourrait aussi se baser les travaux en cours de l’OCDE qui propose, pour la première fois, une évaluation de «l’alignement des politiques au regard du climat», intégrant les sujets de fiscalité et de financement de l’économie.

Alexandre Naulot : «Les mesures incitatives – c’est-à-dire la mise en place d’indicateurs « positifs » au profit des investissements « verts » – sont en effet indispensables. Toutefois, avant d’investir dans les énergies renouvelables, le premier problème à régler (ou à régler de manière parallèle) est bien le désinvestissement dans les énergies fossiles. Ainsi, les banques françaises se gaussent par exemple d’augmenter leurs soutiens aux énergies renouvelables, mais leurs volumes de soutiens financiers aux énergies fossiles, notamment dans le charbon, ne cessent d’augmenter : les soutiens des banques françaises au charbon ont augmenté de 218,47% entre 2005 et 2013. Il est indispensable des objectifs de réduction des volumes investissements dans les énergies fossiles au sein des stratégies nationales de décarbonation de l’économie.»

Dominique Plihon : «Le désinvestissement dans les industries fossiles et la suppression de toutes les subventions à la production et à l’utilisation des énergies fossiles devraient constituer des mesures phares des politiques de lutte contre le réchauffement climatique. On sait aujourd’hui que pour limiter à 2° le réchauffement climatique en 2030, il faut que 80% des ressources fossiles présentes dans le sous-sol de la planète ne soient pas exploitées. Ce point essentiel n’a pas été assez souligné dans le rapport.»

5) Demander à chaque banque de développement de définir une feuille de route d’investissements compatibles avec le maintien sous les 2°C. Un suivi conjoint par les banques multilatérales, régionales et bilatérales de développement pourrait être mis en place et un rapport public présenté public tous les deux ans les Banques de développement consacrent autour de 15% à 20% en moyenne 1, à des financements climats ou ayant des co-bénéfices climat. Il est à noter d’ailleurs que l’AFD est l’une des banques de développement qui consacre la plus forte part de ses financements, 50 %, à des financements ayant des co-bénéfices climat. 

Alix Mazounie : «C’est une initiative intéressante car l’objectif est bien de « climatiser » les financements du développement et de s’assurer que les banques de développement ne financent plus de projets incompatibles avec la lutte contre le changement climatique. Or, c’est trop souvent le cas et souvent au nom de la lutte contre la pauvreté – il faut impérativement inverser cette logique qui consisterait «au nom du développement» à, par exemple, renforcer la dépendance au charbon dans les pays les plus pauvres au lieu de leur donner un accès aux énergies renouvelables et locales. Cette initiative devrait également s’appliquer au Fonds vert pour le climat qui ne s’est pas encore fixé comme règle de ne pas financer de projets climaticides. On marche sur la tête… Dans tous les cas, il faut affiner la définition de « co-bénéfice » pour le climat qui reste encore trop vague et peut recouvrir un peu tout et n’importe quoi.»

6) Utiliser de manière plus intensive au sein des banques de développement les outils à fort effet de levier comme les garanties, la dette subordonnée (lorsque son remboursement – en intérêt et/ou en principal – est conditionné au remboursement de la dette ordinaire, dite «senior» – ou prioritaire) voire le rehaussement de crédit pour augmenter les financements climat et pour en réduire le coût […]. Les banques multilatérales de développement possèdent déjà une expérience et une expertise dans les financements climat : selon le Joint report on MDB Climate Finance 2013 de septembre 2014 les BMD ont financé 23 milliards de dollars de financements climat, soit 18% du total de leurs financements. Ces financements climat proviennent pour environ 7 milliards de dollars du Groupe Banque Mondiale. Ces chiffres sont à comparer avec ceux des Banques nationales de développement qui ont financé pour 69 milliards de dollars de projets climat en 2013…

Alix Mazounie : «L’effet levier est un outil intéressant mais réservé à certaines typologies de projets (rentables) et de pays (émergents et à revenu intermédiaire). Les soutiens sous forme de dons des banques de développement comme l’AFD restent essentiels pour financer les efforts d’adaptation aux impacts du changement climatique dans les pays les plus pauvres qui n’ont pas les moyens de s’endetter et qui doivent mettre en place des politiques et mesures non rentables d’un point de vue économique. On ne peut pas financiariser la sécurité alimentaire, la santé, et la survie des communautés locales les plus démunies…»

7) Ancrer dans le programme de travail du G20 en 2016 les recommandations à venir du Conseil de stabilité financière, mandaté en avril 2015 par les ministères des finances du G20 pour analyser les impacts potentiels du changement climatique sur la stabilité financière. Par ailleurs, nous recommandons de mettre en place un système de suivi public des engagements des acteurs financiers à intégrer le risque climat, à mesurer les émissions de gaz à effet induites par leurs financements, à financer davantage l’économie verte qui se sont multipliés ces derniers mois.

Alexandre Naulot : «Tout à fait d’accord…»

Alix Mazounie : «Cette année, le G20 a amorcé un premier virage en mandatant le Conseil de stabilité financière. Le climat nous donne une raison de plus de plus réguler les marchés financiers.»

Dominique Plihon : «La crise climatique est une source potentielle d’instabilité financière et risque de fragiliser les banques et investisseurs en les exposant à de nouveaux risques auxquels ils ne sont pas préparés. Il est donc essentiel d’introduire explicitement le « risque climatique » dans la palette des risques à anticiper et prévenir.»

8) Faire définir par la Banque des règlements internationaux (Comité de Bâle) des méthodes permettant d’élaborer des stress-test climat pour les banques et les compagnies d’assurance en évaluant le comportement des actifs détenus par les banques et les assurances dans un monde à +4 degrés, selon les scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec). La France et d’autres pays pourraient saisir officiellement le Comité de Bâle de ces sujets.

Alix Mazounie : «Cette proposition est intéressante tout simplement parce qu’aucun gouvernement, entreprise ou acteur économique et financier n’envisage un monde à 4°C alors que c’est bien la trajectoire sur laquelle nous nous trouvons actuellement à cause de notre inaction. Si cette proposition est mise en œuvre, elle pourrait radicalement changer la donne dans les choix d’investissement et les décisions des gouvernements.»

Dominique Plihon : «Il est essentiel de compléter le dispositif actuel de la régulation prudentielle des banques (Bâle 3) et des assurances (Solvency 2) en introduisant les risques climatiques. Mais il faudra aller plus loin, et interdire certaines opérations aux acteurs financiers qui relèvent de la spéculation sur les risques climatiques futurs, par exemple les catastrophes naturelles liées au réchauffement de la température.»

9) Mettre en place un système de suivi public des engagements des acteurs financiers à intégrer le risque climat, à mesurer les émissions de gaz à effet de serre induites par leurs financements, à financer davantage l’économie verte qui se sont multipliés ces derniers mois. Ces engagements pourraient faire l’objet d’un rapport public annuel.

Alexandre Naulot : «Le suivi public est en effet indispensable. La loi de transition énergétique oblige désormais (a) les entreprises cotées à publier dans leur rapport annuel à intégrer le risque climatique et la manière dont ils doivent y répondre ; et (b) les entreprises et banques doivent désormais mesurer l’impact de leurs activités et services sur le changement climatique (empreinte carbone). Toutefois, le décret d’application n’est pas publié. De source de Bercy, il est tout à fait possible que le ministère des Finances décide de laisser le champ libre aux acteurs financiers privés concernant la manière dont ils mesurent leur impact sur le changement climatique (empreinte carbone). Le risque ? Chacun aura son empreinte carbone. Conséquences ? Au-delà des risques du greenwashing, le gouvernement sera confronté à une multiplicité de modèles, des données éparses, incomparables et ne pourra pas orienter les financements des acteurs privés vers la transition énergétique. Pour rappel, il existe aujourd’hui 12 méthodes différentes en matière d’empreinte carbone et uniquement 50% des émissions des principaux indices boursiers. Conclusion : il faut (a) une mesure commune de l’empreinte carbone appliquée aux entreprises et banques françaises et tout acteur financier français (b) promouvoir ce standard au niveau international comme évoqué ci-dessus (G20). Les décrets d’application doivent absolument être publiés avant la COP et intégrer une empreinte carbone commune, comme évoqué dans le point ci-dessus. Dans le cas contraire, le momentum se dégonflera, et l’initiative sera laissée aux acteurs privés.»

10) Adopter la méthode développée par l’OCDE en juin 2015 pour analyser l’alignement des politiques publiques au regard des engagements climat. Il s’agit d’un outil déterminant pour s’assurer de l’intégration des objectifs de décarbonation progressive dans toutes les politiques publiques. Dans le cas particulier de l’Union européenne, les financements du plan Juncker, d’un montant total de 315 milliards d’euros, devraient être conditionnés à des critères de co-bénéfices climat et les projets qui concernent l’impulsion de la transition énergétique (projets d’efficience et technologiques) considérés prioritairement.

Alix Mazounie:  «C’est un message important à envoyer à l’Union Européenne: globalement, le Plan Juncker n’est pas cohérent et compatible avec une politique climatique ambitieuse de l’Europe. L’efficacité énergétique reste le parent pauvre et le plan propose d’investir dans de nombreux projets d’infrastructures climaticides. Et l’accord commercial transatlantique va venir affaiblir plus encore les efforts fournis contre les changements climatiques. Tant que l’Europe ne fera pas de la transition énergétique l’objectif, le moyen et le résultat prioritaire, elle fait fausse route et le climat aussi.»

Bonus, puisqu’il ne figure pas dans les dix points essentiels :  

11) Dans le rapport très attendu, il est question de mobiliser «davantage de ressources à travers les financements innovants». Au cœur du dispositif: la taxe sur les transactions financières. Elle a été évaluée, rappelle le rapport, de 50 milliards par an selon le rapport de Bill Gates au G20 en 2011, jusqu’à 300 milliards de dollars par an. A l’échelle européenne, 11 pays ont décidé de la lancer. Mais voilà Le chiffrage d’une TTF autour de 10 milliards d’euros apparaît comme une solution de compromis, loin des 34 milliards avancés dans le projet de la Commission européenne, plus large dans la définition de l’assiette ou le taux de la taxe… Et la France est accusée par les ONG de la rendre la plus indolore et incolore possible…

Alexandre Naulot : «A quelques mois d’échéances clés en matière de financement climatique et de développement, tels que la COP21 ou les Assemblées générales de l’ONU, l’appel de Pascal Canfin et Alain Grandjean visant à faire de la Taxe sur les transactions financières européennes (TTFE) un outil de financement ambitieux au profit de la lutte contre le changement climatique et les grandes pandémies comme le Sida est la bienvenue. Mais la position de la France est opaque. François Hollande et Michel Sapin doivent lever le voile sur deux points : entre les 10 milliards proposés par le rapport et les 34 milliards estimés par la Commission européenne, quel est l’objectif de revenus de la France ? Si François Hollande s’est engagé à taxer tous les produits de la finance, pourquoi Michel Sapin défend-il l’exemption de 70% des transactions sur actions et du trading à haute fréquence ? Enfin, François Hollande doit maintenant passer la vitesse supérieure. Il lui reste trois mois, d’ici aux Assemblées générales des Nations Unies en septembre, afin d’annoncer, aux côtés d’autres Chefs d’Etats comme Angela Merkel, son souhait d’affecter 50% des revenus de la TTF à la solidarité internationale et à la lutte contre les changements climatiques et les grandes pandémies.»

Verdict

Alix Mazounie : «La valeur ajoutée de ce rapport, c’est de démontrer qu’il existe un éventail de solutions pour financer la transition énergétique et la lutte contre les CC dont les gouvernements, y compris la France, pourraient se doter. Ce qui n’est pas suffisamment mis en avant dans les points clés, c’est, d’une part, l’urgence de désinvestir des énergies fossiles dans tous les pans de l’économie et, d’autre part, l’adoption d’une taxe sur les transactions financières ambitieuse pour appuyer la transition et l’adaptation des pays les plus pauvres.»

Dominique Plihon : «Ce rapport est un pas en avant utile sur la question du financement de la transition climatique. Il comporte des pistes intéressantes, mais certaines propositions sont contestables, comme celle de donner au FMI et à la Banque mondiale, un rôle de pilotage au niveau mondial. Et certaines pistes pourtant essentielles ne sont pas assez mises en avant, en particulier la nécessité du désinvestissement dans le secteur des énergies fossiles, et la suppression des subventions à ce secteur. Ces deux mesures procureraient un « double dividende » à notre société. D’une part, elles permettraient de réduire fortement les émissions de CO2, d’autre part, elles dégageraient des ressources financières importantes pour le financement de la transition énergétique.»

Le rapport Canfin-Grandjean commandité par François Hollande avant la COP 21 et destiné à dégager des priorités pour financer la transition vers un monde durable malgré une hausse de 2 degrés des températures :Rapport Canfin publié par g.dhers

Emplois « écolo » : +1 à + 1,5 million d’ici 2030 ?

Jean Gadrey
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On commence à disposer d’un large éventail de bons scénarios sur les perspectives de créations d’emplois dans les activités et métiers directement ou indirectement liés à la transition écologique. L’exercice reste difficile car le périmètre de ces activités est forcément flou, certaines étant clairement « vertes » pendant que d’autres ne le sont qu’en partie ou indirectement. Il faut donc des conventions, qui ont commencé à se mettre en place internationalement et nationalement, en commençant par les « emplois verts ».

Pour ces derniers, une bonne référence mondiale est l’OIT (organisation internationale du travail) dont le premier rapport « Emplois verts : pour un travail décent dans un monde durable, à faibles émissions de carbone », rédigé avec le PNUE, date de 2008. En 2012, l’OIT publiait un rapport « Vers le développement durable : travail décent et intégration sociale dans une économie verte » estimant que « la transition vers l’économie verte pourrait générer jusqu’à 60 millions d’emplois » dans le monde. Les travaux de l’OIT ont le grand avantage de mettre l’accent à la fois sur la finalité écologique des emplois et sur l’exigence de travail décent.

On distingue d’abord 1) les emplois de « l’économie verte » dans les SECTEURS ET BRANCHES spécifiquement dédiés à l’environnement, encore appelées « éco-activités » (exemples principaux : gestion des eaux usées, déchets, énergies renouvelables), et 2) des emplois ou métiers qui ne font pas partie de ces « secteurs verts » mais correspondent en totalité ou en partie à des fonctions à finalités environnementales exercées dans des secteurs non verts. C’est la dualité des approches par secteurs et par métiers.

On distingue ensuite, dans l’approche par métiers, les métiers typiquement verts et les métiers « potentiellement verdissants », qui sont beaucoup plus nombreux. On en trouve par exemple dans l’agriculture, l’entretien des espaces verts, le tourisme, l’industrie, le bâtiment et en fait presque tous les secteurs. Cette dénomination curieuse reflète l’embarras des producteurs de chiffres mais correspond à une difficulté réelle. Une référence en France est ici l’étude de 2014 de l’Observatoire national des emplois et métiers de l’économie verte (ONEMEV) « Le marché de l’emploi de l’économie verte », dont voici une citation :

« Un métier verdissant est un métier dont la finalité n’est pas environnementale mais qui intègre de nouvelles “briques de compétences” pour prendre en compte de façon significative et quantifiable la dimension environnementale dans le geste métier ». Par exemple les architectes ou les métiers de l’isolation thermique dans le secteur du bâtiment, etc.

Quoi qu’il en soit, pour se faire une idée du potentiel de création nette d’emplois dans la transition écologique, il vaut mieux raisonner dans un premier temps par branches, en distinguant celles qui seront à l’origine de créations et celles dont l’emploi aura tendance à régresser à terme si l’on veut prendre soin du climat et des écosystèmes et réduire fortement des pollutions de toute sorte. Le premier bon exemple de cette démarche est issu du scénario NégaWatt (voir mes quatre billets) complété par une étude sur l’emploi que l’on doit à l’économiste Philippe Quirion.

ENERGIE : NEGAWATT/QUIRION, + 600.000 A 870.000 EMPLOIS

La dernière version date de 2013 et, point essentiel, elle ne porte que sur la transition ENERGETIQUE (et climatique), qui est certes le plus gros morceau de la transition écologique mais pas le seul. Autre point essentiel, les prévisions de créations et de suppressions d’emplois sont effectuées non pas dans l’absolu (par rapport à la situation actuelle par exemple) mais par rapport à un « scénario tendanciel » (en gros : sans renforcement des politiques de transition). Et bien entendu ce scénario tient compte aussi bien des secteurs créateurs d’emploi que des autres.

Voici le tableau de synthèse obtenu en 2013 dans une hypothèse assez basse. En effet, l’étude précise que « selon les hypothèses, les créations d’emplois nettes vont de 220 000 à 330 000 en 2020 et de 570 000 à 820 000 en 2030 par rapport au scénario tendanciel », chiffres en ETP (équivalents temps plein). EN NOMBRE REELS D’EMPLOIS, CELA FERAIT ENTRE 605.000 ET 870.000. Un chiffre intermédiaire pour 2030 serait donc proche de 700.000 en ETP, ou 750.000 en nombre réel. C’est selon moi un chiffre très prudent (voir ce billet où j’explique pourquoi le gain en emplois semble sous-estimé). Cliquer sur le tableau pour l’agrandir.

ECONOMIE CIRCULAIRE : 200.000 A 400.000 EMPLOIS AJOUTES

L’Institut de l’économie circulaire vient de publier une étude sérieuse « Quel potentiel d’emploi dans une économie circulaire ? ». En voici deux extraits :

« Notre étude estime que l’économie circulaire, telle que définie par les sept piliers développés par l’ADEME, emploie déjà près de 600 000 personnes en France. L’extrapolation à la France d’une étude commandée par la Commission Européenne en 2012 indique qu’une réduction substantielle de notre consommation en ressources naturelles permettrait d’en créer entre 200 000 et 400 000 supplémentaires. Nous tentons de préciser ce potentiel en répertoriant l’ensemble des travaux qui ont été menés sur la relation entre créations d’emplois et économie circulaire. Les études les plus poussées proviennent du Royaume-Uni, où il est estimé que plus de 500 000 emplois pourraient être créés à l’échelle nationale. »

« L’ADEME a identifié les sept composantes opérationnelles sur lesquelles il est possible d’agir afin de favoriser la transition :• l’approvisionnement durable ;• l’écoconception ;• l’écologie industrielle et territoriale ;• l’économie de fonctionnalité ;• la consommation responsable ;• l’allongement de la durée de vie (réparation, réemploi et réutilisation) ;• le recyclage et la valorisation des déchets.

Question : n’y a-t-il pas de double emploi entre cette étude sur l’économie circulaire et le scénario NégaWatt ? Réponse, oui en principe (car l’économie circulaire, incluant ici l’économie de fonctionnalité, si elle vise d’abord à économiser de la matière, concerne aussi pour une part des économies d’énergie), mais en fait pratiquement pas sur le plan des emplois concernés. Les gros bataillons de l’emploi de l’économie circulaire sont en effet dans cette étude le recyclage, l’allongement de la durée de vie des produits et la réparation, la réutilisation et le gros poste de l’approvisionnement durable, autant d’activités qui ne sont pas comptabilisées dans le scénario NégaWatt. On ne commet donc pas d’erreur significative en ajoutant les perspectives de création d’emplois de ces deux scénarios, ce qui nous mène déjà à UNE FOURCHETTE COMPRISE ENTRE 800.000 ET 1,27 MILLION D’EMPLOIS D’ICI 2030.

AGRICULTURE, SYLVICULTURE ET PECHE : + 200.000 à 250.000

Reste à tenir compte de la réorientation écologique de l’agriculture (son verdissement) et de son potentiel de création d’emplois, en y ajoutant les activités de la pêche et des forêts (le secteur primaire). En étant très restrictif, on ne comptera comme emplois vraiment verts dans l’agriculture que ceux de l’agriculture bio ou agro-écologie. Je me contenterai d’un chiffre issu de rares sources (concordantes mais malgré tout pas très fiables), chiffre selon lequel il faudrait 30 à 40 % d’emplois en plus, à production identique en quantités, lorsqu’on passe de l’agriculture traditionnelle actuelle à une agriculture bio (moderne, mais ni chimique ni industrielle). Sur cette base, j’estime – en attendant de disposer d’études sérieuses qui pour l’instant font défaut mais qui sont annoncées pour cette année – que le potentiel de création d’emplois d’ici 2030 en cas de vraie politique de transition/relocalisation est de + 100.000 à 150.000, nettement plus si l’on raisonne (comme le fait NégaWatt) par rapport au scénario tendanciel, lequel continuerait à détruire des emplois agricoles. Le secteur primaire a perdu environ 100.000 emplois entre 2004 et 2014. On peut penser qu’il en perdrait autant dans les 15 ans qui viennent, de sorte qu’en comparaison le scénario le plus écolo serait à + 200.000 à 250.000.

AU TOTAL, LES EMPLOIS VERTS TELS QUE DEFINIS ICI POURRAIENT AJOUTER ENTRE 1 ET 1,5 MILLION D’EMPLOIS EN 15 ANS. EN MOYENNE 1,25 MILLION, SOIT 4,6% DES 27,3 MILLIONS D’EMPLOIS DE L’ECONOMIE FRANÇAISE EN 2014.

CONFIRMATION : LES SCENARIOS BASQUES

L’ordre de grandeur de 4,5 % à 5 % d’emplois verts ajoutés correspond très exactement à ce qui a été obtenu sous l’égide de l’association basque BIZI ! (voir ce billet) si on ne retient parmi les 10.000 emplois anticipés d’ici 2030 pour le « pays basque nord » (en France) que les emplois verts au sans précédent, soit 6.800 emplois sur un territoire qui en compte environ 140.000 : cela fait 4,85 %. Un scénario semblable existe pour le pays basque sud (en Espagne) et je sais qu’un livre doit prochainement en rendre compte, mais il y a fort à parier qu’on aura un ordre de grandeur semblable.

PRECISIONS

Il ne s’agit dans ce qui précède que d’emplois « écolos » dans les principaux secteurs et branches considérés comme directement affectés. J’avais dans une série de billets antérieurs (« On peut créer des millions d’emplois utiles dans une perspective durable ») nettement élargi la perspective de la création d’emplois futurs dans d’autres domaines, dont celui des besoins criants de services destinés aux personnes âgées, à la petite enfance, dans certains services publics, etc. J’avais aussi envisagé des mesures d’urgence ciblées : chômeurs de longue durée, droit de préemption et reprise des entreprises en coopératives, emplois aidés… J’avais également intégré alors le potentiel de la RTT. Il faut donc voir le présent billet comme une actualisation d’un seul des volets d’une stratégie collective favorable à l’emploi utile au service de besoins soutenables.