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Articles du Vendredi : Sélection du 26 janvier 2024

La Confédération paysanne appelle à se mobiliser pour des paysannes et paysans nombreux et rémunérés !
Confédération paysanne
www.confederationpaysanne.fr/actu.php?id=14096

Le Comité National de la Confédération paysanne réuni aujourd’hui affirme sa pleine solidarité avec les mouvements d’agricultrices et d’agriculteurs en France. Le constat est partagé : la colère exprimée est légitime, tant le problème de la rémunération du travail paysan est profond. Il y a 25 ans, la Confédération paysanne dénonçait déjà les conséquences du libéralisme, du Larzac à Seattle.

Par contre, sur les solutions proposées, l’agriculture française tourne en rond depuis des décennies derrière la sacro-sainte « compétitivité » chère à l’agrobusiness et aux marchés mondialisés. Résultat : un plan de licenciement massif dramatique qui tue nos campagnes.

La Confédération paysanne nationale a aujourd’hui pris la décision d’appeler l’ensemble des structures départementales à exprimer leur solidarité au mouvement, à se mobiliser et à porter des solutions durables de sortie de crise et de système.

Nos mobilisations prendront diverses formes, en fonction du contexte local. Le mot d’ordre commun de la Confédération paysanne est clair : « Un revenu digne pour tous les paysans et paysannes » et « Rompre avec le libre-échange ».

Alors que plusieurs Confédération paysanne départementales étaient déjà mobilisées sur le terrain, la décision de notre Comité National va amplifier cette mobilisation. Plusieurs dizaines de départements ont ainsi déjà prévu de se mobiliser pour obtenir des solutions concrètes pour tous les paysans et paysannes. Demain, les Confédération paysanne du Rhône, de Loire-Atlantique et du Var manifesteront, vendredi dans les Pyrénées orientales, ce week-end en Bretagne et dans le Calvados…

Nous souhaitons collectivement apporter de véritables solutions de fond au malaise agricole. Nous demandons donc d’urgence une loi interdisant tout prix agricole en-dessous de nos prix de revient et la fin immédiate des négociations d’accord de libre-échange.

Les gouvernements successifs et la FNSEA** ont mené conjointement l’agriculture dans l’impasse actuelle d’un système économique ultralibéral, inéquitable et destructeur. Nous alerterons nos collègues sur le mirage de la « suppression des normes » et celui du « complément de revenu » par la production d’énergies.

Certes, une simplification administrative est nécessaire car beaucoup de procédures administratives et de normes sanitaires sont inadaptées à la réalité de nos fermes. Mais ne nous trompons pas de cible. La demande de la majorité des agriculteurs et agricultrices qui manifestent est bien celle de vivre dignement de leur métier, pas de nier les enjeux de santé et de climat ou de rogner encore davantage sur nos maigres droits sociaux.

Ce n’est pas, comme le font les dirigeants de la FNSEA**, en demandant à pouvoir détruire des haies, en instrumentalisant le sujet des jachères, en éludant la question du partage équitable des terres et de l’eau, en négociant des avantages pour la production d’agrocarburants, que nous résoudrons en profondeur les problématiques de notre métier de paysan, producteur d’alimentation pour nos concitoyen·nes.

Nous lutterons sur le terrain contre toute forme de récupération de nos colères pour attiser le chaos, encourager le repli sur soi et in fine poursuivre la fuite en avant d’un système qui nous met en concurrence les uns contre les autres. Nous appelons également à des mobilisations pacifiques respectueuses des personnes, des biens publics et exemptes de racisme, sexisme ou toute autre forme de discrimination.

Ce dont nous avons besoin, c’est de s’attaquer aux racines du problème en offrant plus de protection sociale et économique aux agricultrices et agriculteurs.

Instauration de prix garantis pour nos produits agricoles, mise en place de prix minimum d’entrée sur le territoire national, accompagnement économique à la transition agroécologique à la hauteur des enjeux, priorité à l’installation face à l’agrandissement, arrêt de l’artificialisation des terres agricoles : rassemblons-nous sur des solutions d’avenir pour transformer positivement cette colère et sortir du marasme dans lequel est plongé le monde agricole depuis trop longtemps.

L’écologie peut sauver l’agriculture : voici comment
Gaspard d’Allens, Justine Guitton-Boussion, Laury-Anne Cholez
https://reporterre.net/L-ecologie-peut-sauver-l-agriculture-voici-comment

Prix planchers, audit sur les dettes agricoles, moratoire sur le libre-échange, Sécurité sociale de l’alimentation… Les écologistes fourmillent d’idées pour répondre à la crise agricole. Seront-ils entendus ?

C’est une bataille de récits, un conflit sur notre vision de l’avenir. En pleine crise agricole, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) fustige les règles environnementales, arcboutée dans la défense du modèle productiviste. Le gouvernement lui prête le flanc et a annoncé ce jeudi 25 janvier un vaste « chantier de simplification des normes ». Gabriel Attal devrait présenter cet après-midi des mesures concrètes pour essayer de convaincre les agriculteurs de rentrer chez eux.

En face, les écologistes tentent de se faire entendre. La voie est étroite. L’écho fragile. De nombreuses propositions existent pourtant. Reporterre en fait le tour d’horizon. Car, oui, l’écologie peut sauver l’agriculture, en garantissant le revenu des agriculteurs, en donnant accès à tous et à toutes à une alimentation de qualité et en engageant dès maintenant une transition agroécologique qui protège la biodiversité.

1 — Assurer un revenu digne

Au cœur de la crise actuelle, la question du salaire des agriculteurs et des agricultrices est centrale. Dans un communiqué, la Confédération paysanne a appelé à ce que les paysans soient mieux rémunérés. « Ce n’est pas en demandant à pouvoir détruire des haies, en instrumentalisant le sujet des jachères, en éludant la question du partage équitable des terres et de l’eau, en négociant des avantages pour la production d’agrocarburants, que nous résoudrons en profondeur les problématiques de notre métier de paysan », argue-t-elle. Au contraire, c’est en s’attaquant aux règles du jeu néolibéral que les paysans pourront enfin respirer.

Concrètement, la Confédération paysanne demande un moratoire sur les accords de libre-échange, l’arrêt des négociations en cours avec la Nouvelle-Zélande ou dans le cadre du Mercosur pour éviter des formes de concurrences déloyales et la compétitivité généralisée entre les différentes agricultures du monde.

Elle exige une loi pour interdire tout prix agricole en dessous des prix de revient et l’établissement de « prix planchers ». Elle appelle aussi à ce que la loi Egalim sur le partage de la valeur ajoutée au sein de la filière soit pleinement respectée. « L’État devrait jouer un rôle d’arbitre mais en réalité, il laisse faire », regrette Mathieu Courgeau, éleveur laitier en Vendée et coprésident du collectif Nourrir.

Fin novembre, un rapport de la Fondation pour la nature et l’Homme (FNH) révélait comment la répartition de la valeur s’était dégradée ces dernières années, notamment dans la filière laitière. Entre 2001 et 2022, la part de l’éleveur dans le prix d’une brique de lait conventionnel a baissé de 4 %, celle des industries agroalimentaires a augmenté de 64 % et la grande distribution de 188 %. « La répartition de la valeur est de plus en plus inégale, alors que la consommation et les prix augmentent, il y a très peu de ruissellement au sein de la filière », note Élyne Étienne de la FNH.

Les négociations commerciales sont asymétriques et les paysans écrasés sous le poids des firmes agroalimentaires. L’association plaide pour des contrats tripartites et une taxation à hauteur de 15 % des bénéfices engendrés par les entreprises agroindustrielles et les enseignes de grandes distributions afin de financer un fonds mutualisé pour la transition agroécologique.

« En 2021, la grande distribution a fait 145 millions d’euros de bénéfices dans son rayon laitier, les entreprises agroalimentaires 697 millions d’euros, elles doivent contribuer au changement d’agriculture et accompagner, elles aussi, les agriculteurs dans des pratiques plus vertueuses », souligne Élyne Étienne.

Du côté du parti Les Écologistes, on réclame « un allégement des charges qui pèsent aujourd’hui sur les agriculteurs ». « J’entends leur colère, leur angoisse légitime, qui vire trop souvent au désespoir », assure Marie Toussaint à Reporterre, tête de liste du parti aux élections européennes. Elle propose de réaliser un audit national des dettes paysannes, en particulier pour les petites exploitations, puis d’annuler les dettes dues à la Mutualité sociale agricole (MSA, le régime de protection sociale de la profession).

Marie Toussaint plaide également pour une garantie de revenus pendant trois ans. « On veut un modèle agroécologique, mais aujourd’hui les agriculteurs et agricultrices n’ont aucune visibilité sur leurs revenus, du fait du modèle économique dans lequel ils sont enfermés, poursuit-elle. Pour engager des transformations dans les années qui viennent, ils ont besoin d’y voir clair. On doit leur garantir une prévisibilité. » L’élue écologiste évoque un revenu minimum garanti, qui passerait par un salaire fixe défini, ou encore par une régulation des volumes produits. « Tout ça doit être organisé avec eux et avec chaque filière », estime-t-elle.

2 — Engager la transition alimentaire

Les écologistes ne défendent pas seulement une transition agricole mais une transition de tout le système alimentaire. Pour y arriver, ils parient sur une mesure phare, qui a pris de l’ampleur ces dernières années : la Sécurité sociale de l’alimentation. Des expérimentations existent déjà notamment dans la Drôme. Notre ancien chroniqueur Mathieu Yon en est d’ailleurs une des chevilles ouvrières. Des expériences se déroulent aussi à Montpellier.

Concrètement, ses promoteurs proposent la sanctuarisation d’un budget pour l’alimentation d’au moins 150 euros par mois et par personne, intégrée dans le régime général de Sécurité sociale. Ce budget devra être établi par des cotisations garantes du fonctionnement démocratique de caisses locales de conventionnement. Chacune de ces caisses, gérées par les cotisants, aurait pour mission d’établir et de faire respecter les règles de production, de transformation et de mise sur le marché de la nourriture choisie par les cotisants.

« La Sécurité sociale de l’aliment permet de s’extraire de l’agro-industrie »

Cette Sécurité sociale de l’alimentation permettrait à tous les habitants d’un territoire de décider, main dans la main avec les paysans, de ce qu’ils veulent manger et des conditions dans lesquelles ces aliments vont être produits. « Cette démarche permettrait alors de s’extraire des choix agricoles guidés par l’agro-industrie, la recherche de volumes, d’export, de nouveaux marchés, qui ont fait oublier la raison première de l’agriculture : nourrir la population », racontait à Reporterre Nicolas Girod, ex porte-parole de la Confédération paysanne.

Le chantier est vaste. À court terme, les écologistes et les Insoumis proposent de reprendre la mesure de la Convention citoyenne pour le climat et de créer un chèque alimentaire. « On pourrait évidemment aller plus loin mais ce serait déjà une avancée alors que des millions de personnes peinent à bien se nourrir en France, insiste la députée La France insoumise (LFI) Manon Meunier. « Il faut ouvrir de nouveaux débouchés pour l’agriculture de qualité et la rendre accessible à tous. » L’approvisionnement local et bio dans la restauration collective et le soutien au circuit court sont également jugés prioritaires. Le groupe parlementaire de LFI a par exemple déposé une proposition de loi pour favoriser la viande française dans la restauration collective.

3 — Financer l’agro-écologie

Le nerf de la guerre reste cependant la question des financements et des aides publiques. Les écologistes plaident pour une réorientation des subventions de la politique agricole commune (PAC) pour accompagner les agricultrices et agriculteurs dans des pratiques plus vertueuses d’un point de vue environnemental.

Dans un rapport publié le 25 janvier, le Haut Conseil pour le climat (HCC) a souligné que les scénarios pour atteindre la neutralité carbone en 2050 étaient ceux qui développaient l’agriculture biologique et l’agroécologie sur 50 % de la surface agricole. « L’agroécologie est plus large que juste l’agriculture biologique, précise Corinne Le Quéré, présidente du HCC.

On parle de diversification des cultures, de plantation d’arbres et de haies qui fournissent de l’ombrage aux troupeaux, qui protègent les cultures des températures élevées en plus de stocker du carbone… » Pour développer ces pratiques, le HCC insiste : il faut davantage de financement. Le Réseau Action Climat soutient aussi une rémunération plus sérieuse des services écosystémiques rendues par l’agriculture, afin d’être plus incitatif pour les paysans et les paysannes.

Pour l’instant, la PAC est à la peine. Les mesures agro-environnementales et climatiques, dites Maec, l’un des principaux dispositifs destinés à soutenir la transition agroécologique, représentent moins de 7 % du budget PAC de la France pour la période 2023-2027. « La faiblesse du budget qui leur est alloué ne permet pas, dans plusieurs régions (Bretagne, Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Auvergne-Rhône-Alpes notamment), de répondre aux demandes des agriculteurs et conduit à des tensions et des renoncements, note le récent rapport de la députée La France insoumise Manon Meunier.

Pour pallier ces insuffisances, le gouvernement a décidé en décembre dernier d’ajouter 150 millions d’euros au budget des Maec. Un chiffre encore insuffisant pour le coprésident du groupe Nourrir, Mathieu Courgeau. « Beaucoup de paysans qui se sont lancés dans cette démarche l’année dernière n’ont pas encore été payés », déplore l’agriculteur. Il estime plus globalement que le gouvernement devrait mieux soutenir la filière bio.

« On a seulement 7 % de bio dans la restauration collective »

En 2023, le ministère de l’Agriculture avait lancé un plan d’aide de 10 millions d’euros destiné à l’agriculture biologique. Un montant jugé trop bas. Tout comme l’objectif de 20 % de produits bio dans la restauration collective, obligatoire depuis janvier 2022. Aujourd’hui, nous sommes seulement à 7 %. Mais l’État pourrait aider les collectivités pour monter ce chiffre à 40 ou 50 %, poursuit-il. Cela permettrait sans doute d’inciter les paysans à se convertir car en 2022, seulement 11 % de la surface agricole utile (SAU) était cultivée en agriculture biologique.

Pour restaurer la confiance des consommateurs envers ces produits et enrayer la crise du bio, le rapport Meunier préconise une meilleure transparence sur les labels, notamment le « Haute valeur environnementale » que certains agriculteurs estiment trompeur, voire le considèrent comme un concurrent déloyal à l’agriculture biologique.

En attendant les annonces du gouvernement, les défenseurs de l’agriculture paysanne restent fébriles. « Faire des normes environnementales la cause du problème agricole est une imposture », enchérit Manon Meunier. Le problème doit être pris à la racine. En cinquante ans, la surface moyenne d’exploitation est passée de 21 hectares à 69 hectares (en 2020), plus de 4 exploitations sur 5 ont disparu, 70 % des haies ont été éliminées, la polyculture a diminué. En quarante ans, le nombre d’agriculteurs a été divisé par quatre et la France est devenue le deuxième pays européen le plus utilisateur de pesticides, rappelle-t-elle dans son rapport. En parallèle, la biodiversité s’est effondrée : les populations d’oiseaux ont diminué de 43 %, plus de 40 % des eaux de surface sont affectées par des pollutions diffuses, et les sols sont de plus en plus dégradés. Il y a urgence à agir pour une transition agricole juste et écologique, plaide-t-elle.

Les renouvelables bientôt première source d’électricité mondiale, devant le charbon
LIBERATION et AFP
www.liberation.fr/environnement/climat/les-renouvelables-bientot-premiere-source-delectricite-mondiale-devant-le-charbon

L’Agence internationale de l’énergie estime dans un rapport publié ce mercredi 24 janvier que les capacités électriques produites par les énergies renouvelables détrôneront le charbon en 2025.

L’énergie la plus polluante bientôt supplantée par les renouvelables ? Celles-ci devraient devenir la première source de production d’électricité mondiale en 2025 devant le charbon, estime l’Agence internationale de l’énergie (AIE) dans un nouveau rapport publié ce mercredi 24 janvier.

A cette date, les énergies renouvelables (notamment le solaire photovoltaïque) devraient générer plus du tiers de l’électricité de la planète, passant de 30 % en 2023 à 37 % en 2026, affirme le rapport «Electricité 2024». Elles devraient ainsi compenser la forte croissance de la demande dans les économies avancées, comme aux Etats-Unis et en Europe.

Cela pourrait être le cas aussi en Chine, qui produit aujourd’hui plus de la moitié de l’électricité mondiale issue du charbon, mais des incertitudes demeurent encore à cause de la météo et son impact sur les barrages, tout comme à l’évolution de la reprise économique et de la demande, note le rapport. Néanmoins, le charbon est voué à «un lent déclin structurel», pointe l’AIE.

Le charbon, une énergie nocive

Globalement, la montée en puissance des capacités électriques renouvelables, combinée avec le retour en force de la production nucléaire mondiale, devrait faire reculer le charbon, l’énergie la plus nocive pour le climat et la qualité de l’air. Celle-ci passerait à moins du tiers de la production électrique globale.

Pour l’AIE, la production électrique à base de charbon devrait ainsi baisser en moyenne d’1,7 % par an d’ici 2026, après une année 2023 au contraire marquée par un regain de 1,6 % dans un contexte de faible production hydraulique en Inde et en Chine. En revanche la production des centrales à gaz, également fortement émettrice, devrait s’accroître «légèrement» dans les trois ans à venir, de l’ordre d’environ 1 % par an.

Quant au nucléaire, la production globale devrait retrouver ses niveaux de 2021 d’ici 2025, avec la fin des travaux de maintenance en France, la réouverture de réacteurs au Japon et des inaugurations en Chine, en Inde et en Corée du Sud, estime encore l’AIE.

« Avec l’adaptation, le capitalisme utilise le climat pour étendre son emprise »
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/240124/avec-l-adaptation-le-capitalisme-utilise-le-climat-pour-etendre-son-emprise

Alors que le ministère de la transition écologique élabore un « plan national d’adaptation au changement climatique », le politiste Romain Felli revient sur l’histoire intellectuelle de cette notion forgée dans le creuset néolibéral américain des années 1970.

C’est le terme climatique qui monte en puissance. Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) a voté le 20 janvier dernier que son prochain cycle de travail, prévu pour 2029, mettrait l’accent sur l’adaptation au changement climatique. Et le ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, a réuni le 23 janvier élu·es, dirigeant·es du privé et expert·es pour échanger sur l’adaptation de la France à + 4 °C de réchauffement d’ici la fin du siècle. « Cette année 2024, ce sera l’année de l’adaptation », a-t-il promis.

Chargé de cours en sciences de l’environnement à l’université de Genève (Suisse), Romain Felli est l’auteur de La Grande Adaptation. Climat, capitalisme et catastrophe (Le Seuil, 2016). Dans cet ouvrage, il raconte comment l’idée d’adaptation a été mobilisée dès les années 1970 aux États-Unis parmi les élites scientifiques comme réponse à la crise climatique, dans un contexte géopolitique marqué par la décolonisation et l’affrontement avec le bloc de l’Est.

L’archéologie intellectuelle de cette notion démontre que les tenant·es de l’adaptation ont aussi contribué à l’élaboration du néolibéralisme comme idéologie politique, avec comme credo de profiter du choc climatique pour étendre le marché dans tous les domaines sociaux de la vie.

Selon Romain Felli, la possibilité de réduire les émissions de gaz à effet de serre ayant été dès les années 1980 perçue par plusieurs économistes comme beaucoup trop coûteuse, l’adaptation est dès lors apparue comme la voie la plus raisonnable pour répondre à l’urgence climatique. Au détriment des populations les plus vulnérables, néolibéralisme oblige.

 

 

Dans votre ouvrage, on apprend avec stupéfaction que dès les années 1960, certaines élites intellectuelles, américaines notamment, plaidaient déjà pour une « adaptation » des sociétés aux dérèglements climatiques plutôt que pour la réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre…

Romain Felli : J’ai essayé dans mon livre d’avoir une vision moins « romancée » de la montée de la question climatique, c’est-à-dire celle, pour caricaturer, du « scientifique seul dans son laboratoire » qui tente d’alerter l’opinion publique sur le réchauffement planétaire, puis qui est contré par des « méchants lobbyistes », des semeurs de doutes qui ont conduit à l’inaction politique. Ce qui n’est pas faux, bien évidemment. Mais ce récit cache une histoire plus complexe.

Aux États-Unis, à cette époque, les premiers climatologues, scientifiques spécialistes de l’atmosphère ou de l’agronomie, sont alors aussi des individus proches des sphères politiques et, très vite, dans la haute administration américaine, ils vont attirer l’attention sur les variabilités croissantes du climat − le réchauffement planétaire est encore une hypothèse à solidifier dans les années 1960 − et travailler sur les capacités d’adaptation qu’on peut mobiliser dans la société pour faire face à leurs impacts. En somme, ces cercles intellectuels vont réfléchir à comment s’adapter économiquement à cette nouvelle donne climatique.

Rapidement, cette idée d’adaptation va se confronter à des cas très pratiques, comme la sécheresse prolongée au Sahel, e

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tre 1968 et 1973, et la famine meurtrière qui s’ensuit. Les États-Unis vont alors y voir des opportunités pour l’industrie et la recherche agroalimentaires américaines d’accroître leur influence dans les pays du Sud.

Vous précisez dans votre livre que ces premières réflexions autour de l’adaptation au changement climatique s’insèrent aussi dans un contexte politique international particulier…

Effectivement, cette histoire se combine avec le basculement des décolonisations entre les années 1950 et 1970 et un certain fond néo-malthusien rance chez cette élite intellectuelle américaine, qui les conduisent à redouter que les pays du Sud, dans un contexte de bouleversement climatique et géopolitique, ne parviennent pas à « juguler » la croissance de leurs populations dans un contexte de crises.

Par ailleurs, ces réflexions s’enracinent aussi dans un cadre mondial de confrontation aiguë entre le bloc capitaliste occidental et le bloc de l’Est. Face aux variabilités climatiques, le premier défend une vision où le marché est le mécanisme naturel qui répondra à ce défi. Le second garantit qu’un État central et planificateur est en mesure de surmonter les crises.

Comment, avec l’assaut néolibéral de la fin des années 1970, la voix des économistes devient-elle déterminante pour recadrer le problème climatique ?

À travers les lunettes néolibérales, le changement climatique n’incarne qu’un des nombreux autres changements qui affectent la société. L’incertitude climatique fait écho à d’autres incertitudes géopolitiques ou sociales qui pointent l’échec des politiques publiques d’après-guerre à faire face aux périodes de crise.

Selon le régime néolibéral, la rationalité économique est la meilleure boussole. En ce sens, l’économiste américain Thomas Schelling va donc opérer des comparaisons des coûts et des bénéfices de différentes réponses possibles au problème climatique. Il calcule que la réduction massive des émissions diminuera les capacités futures de la société à innover. C’est une politique beaucoup trop coûteuse, car elle implique de changer l’organisation économique du capitalisme, fondée sur les énergies fossiles.

La logique n’est pas de réparer les dégâts commis, mais bien de saupoudrer les pays pauvres d’un peu d’argent.

D’autre part, il juge que l’effort que produiraient les pays riches pour baisser leurs émissions serait bénéfique pour la totalité des nations du globe, ce qui est inacceptable d’un point de vue économique pour les néolibéraux.

Par contre, avec les politiques d’adaptation, les investissements (comme construire une digue ou rehausser des bâtiments) sont déployés localement et bénéficient directement au pays.

Enfin, un autre argument est avancé par les économistes libéraux : il existerait des capacités d’adaptation spontanées dans les sociétés. Et le mécanisme qui concentre le plus les qualités de flexibilité, de réactivité, d’adaptabilité est, d’après eux, le marché.

Vous expliquez que, pour les néolibéraux, le meilleur exemple que le marché représente la réponse idoine au changement climatique est la gestion de l’eau…

Dans les années 1980-1990, des chercheurs comme Peter Gleick ou des économistes militent pour l’introduction de mécanismes de marché dans la gestion de l’eau afin de répondre à l’impératif d’adaptation climatique.

Ils dénoncent pêle-mêle les droits d’usage d’eau qui ne sont pas marchandisables et donc pas transférables, les contrôles publics ou la régulation des tarifs de l’eau qui concourent, selon eux, en réduisant l’action du marché, à réduire la capacité d’adaptation du secteur hydraulique puisque, en fonction des sécheresses ou des pluies diluviennes, la disponibilité de la ressource en eau peut énormément varier.

Ces solutions ont les faveurs du premier rapport du Giec en 1990, qui plaide également pour une gestion de l’eau plus flexible, reposant sur le mécanisme des prix et la création de marchés d’eau. Pour résumer, avec l’adaptation, le capitalisme peut désormais utiliser le climat pour étendre son emprise sur toutes les ressources vitales.

Pourquoi soulignez-vous dans votre livre que l’incapacité des conférences internationales sur le climat (COP) à réduire les émissions de gaz à effet de serre a donné un nouvel élan à la notion d’adaptation à partir des années 2010 ?

L’échec actuel de la politique d’atténuation des émissions pousse l’idée que, pour réduire la vulnérabilité des populations les plus affectées par les impacts climatiques, il suffit de déployer des politiques de développement économique pour qu’elles s’adaptent à la catastrophe.

Ce ne serait donc pas le capitalisme qui a provoqué leur précarité, mais au contraire le fait qu’elles ne soient pas intégrées au marché. Pour ce faire, toute une culture des mécanismes financiers va être infusée dans les pays du Sud. Acteurs privés, grandes ONG et organisations internationales ont dès lors développé une cascade de projets de microassurance, de microcrédit et de microfinance pour permettre aux paysans et paysannes du Sud de s’adapter aux aléas climatiques.

En conséquence, on peut se demander si ces programmes économiques d’adaptation visent à réduire la vulnérabilité des populations affectées par le climat ou plus prosaïquement à accroître leur adaptation au capitalisme global.

Est-ce que l’adaptation permet de masquer la responsabilité́ historique des pays riches, plus émetteurs, vis-à-vis du chaos climatique ?

Je le pensais il y a dix ans lorsque j’ai rédigé ce livre et je le crois encore plus aujourd’hui : l’adaptation va malheureusement être au cœur des politiques climatiques. Parce qu’effectivement, d’une certaine façon, en aidant financièrement les pays du Sud à accroître leurs « capacités adaptatives » − à travers des fonds qui ont été négociés durant les COP −, les pays du Nord évitent de reconnaître une quelconque responsabilité dans cette crise climatique. La logique n’est pas de réparer les dégâts commis, mais bien de saupoudrer les pays pauvres d’un peu d’argent pour qu’ils soient poussés à s’adapter au chaos engendré par les nations riches. Ensuite, et surtout, l’adaptation prendra le pas sur les politiques d’atténuation parce que l’augmentation des émissions est si intrinsèquement imbriquée à notre modèle de croissance que sortir des énergies fossiles est une tâche impossible tant que domine l’organisation capitaliste. Hormis un renversement radical, l’adaptation incarne donc la meilleure réponse, tout en maintenant le business as usual.

Le mouvement climat peut-il se réapproprier cette notion d’adaptation ?

Les effets du changement climatique sont très inégalitaires et touchent en premier lieu les personnes les plus vulnérables, même dans les pays riches. Les mouvements sociaux doivent déterminer s’ils doivent uniquement se concentrer sur la réduction des émissions et/ou s’ils doivent articuler ce combat à une vision solidaire de l’adaptation. C’est-à-dire une adaptation non pas basée sur la responsabilité individuelle et la flexibilité du marché, mais sur un État social qui serait garant d’un service public de protection contre les événements climatiques extrêmes, qui pourrait répondre à l’urgence climatique dans le champ du travail, du logement ou de l’urbanisme, pour éviter tout décrochage social entre les plus privilégiés et les plus pauvres face à la crise climatique.

Klimaren narratiban uraren kudeaketa sartu beharraz
Daniel Hofnung
www.argia.eus/argia-astekaria/2856/klimaren-narratiban-uraren-kudeaketa-sartu-beharraz

Urarena da Lurra planetak bizi dituen krisi nagusietakoa. Zehatzago esateko, ur gezaren krisia. Batean alarma pizten du lehorteak eta biharamunean uholdeak, eta bata bestearen gainean pilatuz doaz gizateriaren biziraupena arriskuan jartzen duten ondorioak. Landa eremuak gaur idortzen dira elikagaiak sortzeko ahalmena eta biodibertsitatea murriztuz eta berehala euriteek eragindako higadurak lurrazalaren geruza bizidunak arrastan daramatza itsasorantz. Hirietan –eta mundu osoa ari da bilakatzen hiri– atzo egarriz zeuden kaletarrak gaur kontrolik gabeko uholdeek asaldatzen dituzte.

Klimaren zoratzearen inguruan narratiba nagusia zentratuta dagoen arren berotze globalean eta berotegi eragineko gasen kontrolatu behar eta ezinean, gero eta aditu gehiagok egiten diote arreta euri uraren kudeaketa okerrak klima hondatzearen argazki osoaren barruan daukan garrantziari. Uraren paradigma berri bat aldarrikatzen dute, azken hamarkadetan ezarritakoa ordezkatzeko: euriek ekarritako ura gure ondotik ahalik eta laster eta urrutien bidaltzeko ordez lekuan eusten saiatu, lurzoruan barnatzen lagundu, ur gez horrek lehorrean ematen duen denbora luzatzen ahalegindu… eta biziberritu lurzoruetako bizia, landareak, heskaiak, itsasoetatik lehorrerantz are euri gehiago erakar dezaten.

Paradigma berriaren aplikazioak egunero ari gara ikusten. Landa eremuan, lurra lantzeko ereduak eztabaidan daude eta aldaketa handiak daude martxan, goldatzerik gabeko lurgintza, lurzoruak estalita atxikitzea, eta abar jada agroekologiako nekazari txikien artetik soro zabalak lantzen dituzten industrialen artera hasi dira zabaltzen. Hirietan, berriz, zenbait planifikatzaile aspalditik ari da praktika berriak ezartzen: euri urak lekuan pilatzea, lurzoruak ahalik gutxien inpermeabilizatzea, ‘belaki-hiriak’ (sponge city), ur gezaren birziklatzea, agintariak hasi dira aipatzen lurzoruen erabileran ‘zero artifizializazioa’ araua ezarri beharra…

Daniel Hofnung ingeniari frantsesak orriotan eskaintzen digu uraren zikloaren inguruan indarrean datozen gogoeta eta ikerlanen laburpen bat. Daniel Hofnung, ikasketa eta lanbidez ingeniaria, gaur erretretan sartua, Ile de France (Paris Metropolitanoa) eskualdeko Coordination Eau IDF gizarte erakundearen lehendakaria da. ARGIAk 2023ko martxoan argitaratu zion ‘Ibai hegalariak’, munduko klimaren protagonista funtsezko horiek.

Oraingoan LARRUNerako Hofnungi euskaratu diogun artikulua Attac mugimendu altermundialistaren webean argitaratu zuen 2022ko abenduan Distinguer changement climatique et réchauffement climatique, Comment le cycle de l’eau et le cycle du carbone se complètent (Aldaketa klimatikoa eta berotze klimatikoa bereizi. Nola elkar osatzen duten karbonoaren eta uraren zikloek) tituluarekin. Egileak bere artikulu eta hitzaldiak bibliografia aberatsez osatzen baititu, irakurleak LARRUNen Interneteko bertsioan topatuko ditu idatzian aipatutako iturriekiko loturak.

Egilea: Daniel Hofnung
Itzulpena: Pello Zubiria Kamino
Azala: Joseba Larratxe Josevisky