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Articles du Vendredi : Sélection du 26 avril 2024

Que faut-il mettre dans son « catakit », le sac d’urgence préconisé par la Croix-Rouge ?
Blandine Le Cain
www.letelegramme.fr/france/que-faut-il-mettre-dans-son-catakit-le-sac-durgence-preconise-par-la-croix-rouge-6573079.php

Dans une étude sur notre préparation aux événements climatiques extrêmes, la Croix-Rouge formule dix recommandations. Parmi elles : préparer un sac d’urgence toujours accessible.

Retrouver la lampe de poche, attraper un sweat chaud, trouver de l’eau, ses papiers : dans l’urgence, pendant une tempête, une inondation ou un incendie, voici ce qu’on peut imaginer faire par réflexe. Sauf que le temps presse et que l’on ne dispose pas toujours du matériel dont on a besoin. La tempête Ciaran ou les inondations dans le Pas-de-Calais l’ont rappelé, ces derniers mois. Voici pourquoi la Croix-Rouge encourage à préparer un sac d’urgence, ou « Catakit », à l’heure du changement climatique et d’événements météo extrêmes plus fréquents.

« Lorsque l’on doit évacuer en urgence son domicile, le temps manque et il est difficile de savoir quels sont les éléments indispensables à emporter », souligne l’association, dans un rapport consacré à notre (im) préparation aux événements climatiques extrêmes, publié jeudi. Lister les éléments nécessaires est pourtant possible.

Cinq besoins vitaux

S’appuyant sur son expérience et les événements récents qui ont touché la France, la Croix-Rouge pointe cinq besoins vitaux immédiats en cas de crise : s’hydrater ; se nourrir ; se soigner ; se protéger ; se signaler. Quelques objets peuvent y aider, dans l’attente de secours. Pourtant, « aujourd’hui, à peine un Français sur dix détient un sac d’urgence prêt à l’emploi », d’après un sondage OpinionWay. « Il faut donc inciter les citoyens à préparer un sac d’urgence dont la composition doit leur permettre de couvrir » ces besoins.

Lampe, eau, nourriture : une douzaine d’objets de base

Que mettre dans ce kit de survie ? Dix types d’objets se distinguent. De l’eau potable en quantité suffisante, pour s’hydrater. Pour se nourrir, on ajoute des conserves et autres aliments non périssables à manger sans cuisson, avec quelques outils de type couteau suisse. Une trousse de toilette, une trousse de premier secours et des médicaments d’appoint ou d’avance permettront de se soigner.

Côté protection, des vêtements chauds et des couvertures de survie aident à supporter la température, quand la lampe de poche permet d’y voir clair et qu’une radio avec des piles de rechange permet de s’informer. On ajoute, enfin, de quoi se signaler aux secours, comme un sifflet, ainsi qu’une pochette étanche avec les documents officiels, un bloc-notes et des crayons. Une fois préparé, ce sac est rangé dans un endroit accessible. Une fois par an, on en vérifie le contenu et les éventuelles dates de péremption.

Cette recommandation figure parmi dix propositions formulées par la Croix-Rouge pour renforcer notre préparation face aux événements climatiques extrêmes. Former aux gestes de premier secours, repérer et protéger les personnes vulnérables ou encore proposer un soutien psychologique en font partie. Loin de l’alarmisme, elles s’appuient sur un constat : la perspective de ces risques suscite parfois l’anxiété et une certaine fatalité. Pourtant, « savoir comment agir avant les crises et comment réagir pendant les crises » permet d’en limiter les conséquences, souligne l’étude, qui vise justement « à esquisser des solutions et à nous redonner prise sur le cours des choses ».

A69 : une alternative ferroviaire pourrait faire annuler le projet autoroutier
Justin Carrette
https://basta.media/Alternative-ferroviaire-voici-comment-projet-autoroutier-A69-pourrait-etre-annule

Dévoilé en janvier par des opposants à l’A69, un projet de modernisation du réseau ferroviaire entre Toulouse et Castres pourrait être une alternative sérieuse à la construction de l’autoroute.

« L’annulation du projet d’autoroute par la justice me semble nécessaire et évidente au vu des éléments considérés aujourd’hui. » Derrière son écran, en visioconférence, Jean Olivier conclut son exposé sur l’alternative ferroviaire à l’A69. Le 15 avril, ce docteur en écologie a été auditionné par la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur le montage juridique et financier du projet d’autoroute. Invité à s’exprimer par la rapporteure de la commission, la députée écologiste-Nupes Christine Arrighi, Jean Olivier a pu présenter durant trente minutes une solution de substitution à la construction de l’autoroute entre Toulouse et Castres.

Visiblement exaspéré par cette intervention et « le dévoiement de cette commission d’enquête », le président de la commission, le député Renaissance du Tarn Jean Terlier, coupe court aux échanges. « Vous avez compris l’agacement qui était le mien », pointe-t-il. Pourtant, le sujet de l’alternative ferroviaire se révèle central dans le dossier de l’A69.

Né dans les années 1990, le projet de liaison autoroutière A69 entre Castres et Toulouse n’a cessé de diviser la population locale. Les travaux ont officiellement débuté en mars 2023. Mais des collectifs de citoyens se battent depuis 2007 contre l’autoroute, notamment le Collectif RN126 ou La Voie est libre.

Grève de la faim

Leurs moyens d’action sont multiples. Trois Zad bloquent toujours les travaux sur différentes zones, deux près de Castres, dans le Tarn, et une à Verfeil, en Haute-Garonne. Plusieurs activistes se sont même mis en grève de la faim et de la soif pendant un mois à l’automne. D’après ses opposants, le chantier de l’autoroute va artificialiser près de 360 hectares de terres, détruisant notamment des espèces protégées et leur habitat.

« Selon le Code de l’environnement, il est interdit de détruire ces zones protégées », affirme l’avocate Alice Terrasse, spécialisée en droit de l’environnement. « Il existe une dérogation permettant la destruction de ces espaces, mais pour cela, il faut remplir des conditions strictes, notamment la recherche de solution de substitution, qui doit se faire au regard de l’environnement et des espèces protégées », poursuit au téléphone l’avocate du collectif La Voie est libre, qui regroupe des opposants à l’A69. Puisque le projet détruit des espaces naturels protégés, il ne peut se faire que si l’autoroute est le seul projet qui peut remplir les objectifs recherchés, explique l’avocate.

Pourtant, aucune étude concernant l’alternative ferroviaire ne semble avoir été produite par les pouvoirs publics. Auditionné par la commission d’enquête parlementaire le 27 février, l’ancien ministre des Transports Dominique Perben avoue « ne pas avoir le souvenir qu’on ait mis en balance à l’époque une opération routière par rapport à une opération ferroviaire ».

Pas d’étude officielle sur l’alternative ferroviaire

La députée écologiste de Haute-Garonne Christine Arrighi assure à Basta! « avoir demandé à plusieurs reprises l’étude comparative qui prouve que l’alternative ferroviaire a été envisagée. On m’a répondu qu’on ne retrouvait plus le dossier. Soit on nous ment, et c’est très grave, soit aucune étude n’a été produite et c’est tout aussi grave puisque cela signifie que le choix de l’autoroute plutôt qu’un autre moyen de transport a été fait par pur dogmatisme. »

Selon le concessionnaire Atosca, la motivation principale ayant poussé à la construction de cette autoroute serait « le désenclavement du bassin Castres-Mazamet ». Pour remplir cet objectif, l’autoroute est alors « nécessaire », estime la présidente de la région Occitanie, la socialiste Carole Delga. Début octobre 2023, elle annonçait devant la presse qu’ « il n’existe aucune alternative à l’A69 ».

« Le choix de l’autoroute plutôt qu’un autre moyen de transport a été fait par pur dogmatisme »

Quelques semaines plus tard, l’Autorité environnementale (autorité chargée de l’évaluation environnementale des projets) a rendu son avis sur le projet. Il contredit la présidente de région. « Aucune prise en compte de choix modaux alternatifs n’a été présentée, au motif que le chemin de fer utilise un autre itinéraire pour relier Toulouse et Castres. Cet argument est sans effet sur l’un des objectifs principaux motivant le projet et son utilité publique : le “désenclavement” de Castres », peut-on notamment lire dans ce document.

Mieux exploiter la ligne existante

Quelques jours après son audition devant les députés, dans un café du centre-ville de Toulouse, Jean Olivier sort des dossiers de son sac. Il détaille le projet qu’il a mis au point avec Benoît Durand, membre de l’Association des usagers des transports de l’agglomération toulousaine. « Avec la voie ferrée existante et quelques aménagements, nous pourrions d’ores et déjà augmenter le cadencement des trains pour avoir un passage toutes les demi-heures entre Toulouse et Castres, contre un toutes les heures actuellement », défend-il, graphiques à l’appui.

« Benoît Durand, qui a une grande expertise dans le domaine ferroviaire, a réalisé de nombreuses simulations pour calculer le cadencement optimum pour que les trains puissent se croiser, en gardant une voie unique sur quasiment tout le tracé », ajoute Jean Olivier. Les deux hommes ont imaginé la construction de deux nouvelles gares de croisements (un passage en double voie de la voie ferrée sur quelques dizaines de mètres pour permettre à deux trains de se croiser), la mise en place d’un nouveau système de signalisation automatique, le rehaussement de la vitesse et l’achat de cinq nouveaux trains pour cette ligne de 87 kilomètres.

Cette simulation a ensuite été transmise à Daniel Emery, un consultant indépendant reconnu pour son expertise ferroviaire. Diplômé de l’École polytechnique de Lausanne, en Suisse, il a notamment participé en 2005 à un audit sur l’état du réseau ferré français à la demande de la SNCF. En vérifiant les cadencements et les solutions apportées par les deux militants toulousains, Daniel Emery a conclu à la faisabilité du projet.

« Ce sont des mesures et des travaux qui pourraient être faits très rapidement. Avoir un cadencement des trains à la demi-heure, c’est 32 trains par jour dans chaque sens, soit plus de 6000 personnes qui peuvent être transportées de Castres à Toulouse et inversement », lance Jean Olivier d’un ton enthousiaste.

Une bataille de chiffres

Jean Olivier et Benoît Durand ont également estimé le coût de ces travaux et de ces différents aménagements sur la ligne. Pour cela, ils ont consulté des experts et recoupé leurs chiffres avec des projets similaires menés par la SNCF en France, notamment en Loire-Atlantique. Selon leurs recherches, cette modernisation coûterait entre 80 et 120 millions d’euros.

Un montant que n’a pas tardé à démentir Carole Delga, fin janvier, dans les colonnes de La Dépêche. Selon elle, des travaux sur cette ligne coûteraient au minimum un milliard d’euros. Le 7 mars, devant l’étonnement de plusieurs députés face à l’écart entre les chiffres de la présidente de région et ceux de l’étude menée par les militants, Carole Delga a adressé un courrier aux députés insoumis d’Occitanie.

En s’appuyant sur le gestionnaire SNCF-Réseau, qui affirme lui-même s’appuyer sur des « dires d’experts », Carole Delga écrit disposer d’une solution « optimum » pour la ligne ferroviaire, qui coûterait 2,7 milliards d’euros. Une différence de coût considérable qui s’explique en partie par des choix d’infrastructures différents.

« Doubler la voie sur toute la ligne c’est inutile. Ils cherchent à discréditer cette alternative », avance Jean Olivier. « Avec nos projections, on a montré qu’avec deux gares de croisements supplémentaires on peut avoir un train toutes les 30 minutes. On pourrait transporter plus de voyageurs qu’avec l’autoroute avec ce cadencement. » Contacté par téléphone, ni la SNCF ni la région Occitanie n’ont souhaité réagir, renvoyant vers la lettre adressée aux députés insoumis.

Pour Jean Olivier, même si les travaux de l’autoroute avancent, « il est fort probable que ce projet routier soit annulé si l’on prouve que l’alternative ferroviaire n’a pas été sérieusement envisagée ». Si c’est le cas, il affirme que « les infrastructures déjà construites pour l’autoroute, notamment les viaducs, pourraient être réutilisées pour poser des voies ferrées ».

« Collapso » : les risques de l’anti-politique dans les mouvements écologistes
Nueva sociedad , SANTIAGO MUIÑO Emilio
www.ritimo.org/Collapso-les-risques-de-l-anti-politique-dans-les-mouvements-ecologistes

La « collapso » (ou effondrisme) est un courant idéologique dont l’influence grandit au sein des mouvements écologistes. Elle part du principe que l’effondrement écologique et social est un fait accompli, ou très probable. Outre ses effets démobilisateurs, l’effondrisme se caractérise par une connaissance parcellaire du monde, qui compromet la capacité de l’écologie à le transformer. Il est important de remettre en question le récit qu’il propose afin d’éviter que l’écologie finisse par alimenter le cercle vicieux de l’anti-politique néoliberale et, par conséquent, finisse par contribuer paradoxalement au désastre qu’il cherche à éviter. Ritimo restitue dans cette synthèse en français les principaux arguments développés par Emilio Santiago Muiño dans son article en espagnol pour Nueva Sociedad.

La notion d’effondrement écologique et social est devenue hégémonique, au point que des personnalités comme Antonio Guterres, secrétaire général des Nations Unies, affirmait le 30 novembre 2023 que « nous sommes en train de vivre un effondrement climatique en temps réel, et l’impact est dévastateur ». Dans sa bouche, s’il ne s’agit pas d’un diagnostic conceptuel précis, l’idée d’effondrement est plutôt un effet de communication, une métaphore qui parle de l’urgence de la situation – une stratégie qui n’est pas nouvelle. Cet ensemble de croyances que l’on peut appeler « effondrisme » est un imaginaire culturel diffus qui présente le désastre écologique comme inévitable.

C’est sur cette optique défaitiste qu’une partie des mouvements écologistes construit actuellement un courant idéologique qui s’appuie sur une série de penseur·ses partageant une hypothèse commune, plus ou moins explicite : iels projettent un futur écologique et social catastrophique marqué par un évènement ou un processus appelé « effondrement », présenté comme inévitable ou tellement probable qu’il conditionne les stratégies politiques du présent. Ces stratégies perdent donc leur potentiel transformateur au sens classique du terme, pour prendre une approche palliative : pour les chantres de l’effondrement, l’utopie matériellement possible s’est réduite à une opération pour limiter les dégâts – « mieux s’effondrer », en quelque sorte, au lieu d’éviter le désastre. Dans le meilleur des cas, il s’agirait de penser la reconstruction de nouvelles formes de vie entre les décombres de la modernité dans un monde caractérisé par le manque, la décomposition de l’État, le recul technologique, etc.

La perspective de l’effondrement, ou « effondrisme », est un discours de plus en plus influent dans la façon d’interpréter la crise écologique et climatique dans les sociétés du Nord global – celles qui craignent un recul matériel traumatique. Or le mouvement décolonial ne cesse de mettre en avant qu’il faut jouir d’un certain niveau de confort pour avoir peur de le perdre, raison pour laquelle l’effondrisme ne rencontre que bien peu d’écho parmi les populations déjà précaires du Sud global. Une autre critique explique que cette perspective défaitiste mène à la résignation au lieu d’appeler à l’action collective.

Mais pour comprendre l’ampleur du problème, il faut considérer l’effondrisme au-delà du mouvement écologiste : la sensation d’apocalypse est largement partagée dans les sociétés actuelles. Le marxisme prophétisait déjà l’autodestruction du capitalisme avec l’exacerbation de ses propres contradictions ; les économistes orthodoxes annoncent depuis longtemps l’effondrement fiscal ; l’effondrement technologique était déjà pronostiqué par certain·es avec l’avancée de l’intelligence artificielle ; et le « grand remplacement », l’effondrement civilisationnel, est proclamé par les extrêmes droites… Toutes ces perspectives relèvent de ce que le philosophe anglais Mark Fisher appelle « l’annulation du futur » – et en ce sens, les effondrismes du XXIe siècle comportent un élément nostalgique de retour vers un passé simplifié et idéalisé. Ces effondrismes (y compris la collapsologie écologiste) plongent leurs racines dans le triomphe politique du néolibéralisme : son hégémonie absolue et envahissante se traduit par un pessimisme des collapsos qui se déclarent, dès ses prémisses, incapables de proposer un changement de direction politique pour nos sociétés. En un sens, c’est une variation du « There is No Alternative » de Margaret Thatcher, mêlé d’imaginaires dystopiques dominants.

La particularité de l’effondrisme écologiste est l’immense quantité de preuves scientifiques qui donnent une base réelle à des prévisions pessimistes des temps qui viennent (il ne s’agit pas du tout de minimiser la gravité de la crise écologique et climatique, dont les conséquences sont déjà en train de se faire sentir). Cependant, alors même que l’éco-anxiété touche une partie grandissante de la société, force est de reconnaître que la question écologique n’est plus périphérique ni sectorielle : elle se positionne aujourd’hui au cœur de l’agenda politique au niveau mondial. Paradoxalement, alors que les écologistes sont en train de gagner une bataille culturelle majeure et que de nouvelles opportunités politiques s’ouvrent, la dérive « collapso » prend de l’ampleur et sabote le potentiel insurrectionnel de l’écologie.

Une usine à hyperboles scientifiques contre-productives

Les effets démobilisateurs des discours effondristes ont été solidement démontrés : les messages catastrophistes créent généralement de la paralysie, de la résignation, un désintérêt croissant envers ce que l’on ne peut pas changer. Outre cet effet démobilisateur, il y a un problème analytique dans les discours effondristes : la connaissance du monde qu’ils produisent est inexact, ce qui limite par la suite notre capacité à transformer la réalité. Ces discours fonctionnent généralement sur la base d’hyperboles contre-productives.

Ainsi, Jem Bendell (et le mouvement pour l’adaptation profonde) considère que l’atténuation du changement climatique est perdue d’avance et annonce un effondrement écologique et social imminent. Son travail a été largement réfuté par des scientifiques qui ont montré que ses pronostics se basent sur une science climatique mal interprétée et que ses conclusions sont, par conséquent, biaisées. Ces biais et ces distorsions scientifiques se retrouvent ensuite dans les esprits des activistes et de l’opinion publique

Alors que l’année 2023 est marquée par de nouveaux records climatiques dramatiques, le débat scientifique reste ouvert, légitime et nécessaire : mais les arguments avancés dans le cadre de ce débat ne peuvent ni ne doivent être pris comme des preuves scientifiques irréfutables. Les exagérations des données scientifiques amènent certaines personnes, par exemple, à confondre le ralentissement de la circulation des eaux atlantiques avec leur mise à l’arrêt total. La réalité écologique et sociale est assez dramatique pour ne pas avoir à l’exagérer avec des sensationnalismes qui, loin de proposer une réponse cohérente et rapide, diffusent le désespoir, un sentiment qui excite les passions que les négationnistes et autres extrêmes droites savent si bien canaliser pour croître. Tout mouvement transformateur doit s’appuyer sur des données fiables, analysées la tête froide, pour être en mesure de trouver des fenêtres d’opportunités pour des actions effectives.

Les hallucinations sociopolitiques du collapsisme

La deuxième erreur analytique des collapsos tient à leurs analyses largement spéculatives de ce à quoi pourraient ressembler les évènements sociopolitiques au cours des prochaines années. Sur la base d’élaborations théoriques et méthodologiques pour le moins controversées, l’effondrisme fait gravement dévier l’intelligence politique de l’écologie transformatrice.

Tout d’abord, il alimente une relation extrêmement problématique avec la technologie, dans la mesure où il considère que le système technologique contemporain est insoutenable et inévitablement voué à disparaître. Il a ainsi contribué à jeter des suspicions sur les énergies renouvelables – notre seul espoir climatique raisonnable, malgré les conflits socio-environnementaux que leur mise en place capitaliste implique. Paradoxalement, la technophobie des collapsos fait le jeu des industries fossiles et contribue à détourner l’attention de ce qui devrait être au cœur de nos engagements politiques : la réforme des systèmes électrique, fiscal et foncier, de pair avec le déploiement d’énergies renouvelables de manière coopérative et juste.

Ensuite, l’effondrisme contribue à diffuser une lecture simplifiée et inutilisable (politiquement) des processus économiques en cours. Par exemple, beaucoup ont affirmé que la crise de 2008 ne finirait jamais. Cette façon de sous-estimer la résilience, la capacité de transformation et l’innovation sociale témoigne d’une certaine paresse empirique et intellectuelle, qui a coûté cher à d’autres mouvements sociopolitiques par le passé.

Enfin, la plus dangereuse de ces hallucinations spéculatives est liée au fait de penser que le pouvoir politique moderne, incarné par l’État national, est destiné à se décomposer du fait de variables écologiques. Pour les collapsos, cela serait une fenêtre d’opportunité pour les actions communautaires et locales face à l’effondrement des institutions complexes. Cette idée fantasque est particulièrement dangereuse, car elle fait renoncer automatiquement à la lutte pour le pouvoir étatique, à un moment où la responsabilité écologique des gouvernements n’a jamais été aussi cruciale et où l’offensive coordonnée des extrêmes droites cherche à revenir sur des conquêtes sociales historiques, comme la démocratie ou les droits humains.

Or, si l’on échoue à impulser un changement décisif face à la crise climatique, on va assister à un long processus de dégradation des conditions matérielles de vie d’une grande majorité de la population mondiale, à une accélération des inégalités et à un accroissement du totalitarisme et du militarisme ; bref, une situation qui va de plus en plus s’apparenter un apartheid écologique. Plutôt qu’une décomposition du pouvoir politique provoqué par un désastre écologique qui cédera la place à une autogestion populaire, on assistera plus probablement à la violente reconfiguration antidémocratique du pouvoir. D’une certaine manière, on se rapproche plus de l’écofascisme que de l’effondrement. Et les réponses à ce scénario devront être radicalement différentes.

Sortir du cercle vicieux de l’anti-politique de l’effondrisme

Enfin, pour terminer de saisir tous les risques que présentent les hallucinations spéculatives des discours sur l’effondrement, il faut prendre la mesure de combien ils alimentent le profond sentiment anti-politique que le néolibéralisme a fait naître.

D’une part, une grande partie de la population a tendance à comprendre tout changement possible en termes individualistes. Des études sur les mouvements collapso aux États-Unis ont montré que les trois-quarts de leurs membres commençaient à faire des réserves de nourriture, contre seulement un quart qui ont pris part à des actions collectives. D’autres études montrent que les effets démobilisateurs se traduisent, par la suite, par des positions sceptiques et anti-politiques proches de l’extrême droite, critique des « big governments ». Si le contexte étatsunien est particulier, l’avertissement au sujet de ces dérives doit être pris au sérieux.

D’autre part, il est urgent d’aborder la question de l’abandon, conscient ou non, des mouvements collectifs et organisés pour se saisir des pouvoirs étatiques. De fait, l’écologisme – en bon enfant de Mai 68 – promeut une intense décentralisation des relations économiques et sociales. Y transparaissent les revendications anarchistes d’une démocratie pleine et vertueuse en lien avec un appareil productif adapté à la réalité écologique et sociale locale, dans un contexte d’écroulement du « socialisme réel ». Or ces positions perdent de vue l’importance des politiques publiques, et l’urgence à y dédier nos forces à travers les partis politiques, les disputes électorales et les cycles de gouvernement, dans un contexte où le néolibéralisme rend les initiatives autonomistes terriblement fragiles. De plus, le pari politique de l’autonomie autarcique a maintenant largement démontré ses limites substantielles à transformer la réalité mondiale. Bien sûr, nous avons besoin de mouvements écologiques forts, autonomes, dédiés à la défense territoriale, ou encore à développer l’économie coopérative : cependant, pour changer d’échelle et impulser les changements qui s’imposent face au changement climatique, le rôle de l’État est central – il faut donc le conquérir. Pour faire face aux turbulences à venir, il nous faut des outils électoraux attractifs capables de mettre en place des projets écologiques transformateurs, avec un programme climatique ambitieux, un horizon économique post-croissance et une orientation socialiste et démocratique. Évidemment, rien n’est joué et cet horizon paraît lointain ; la première bataille à mener semble celle de la défense de la démocratie.

L’idéologie collapso exclue la possibilité d’imaginer être un gouvernement ou de l’influencer ; elle occulte également l’analyse des conséquences si l’on échoue à cette tâche. Si le postulat de base est de nier ou réduire les marges de manœuvre politiques dans le cadre des évènements à venir, on alimente l’indifférence, le cynisme, le désespoir – un terrain affectif qui ne favorise que les élites oligarchiques ou les ennemis des classes populaires. L’année 2024 sera marquée par de nombreuses élections décisives : en particulier, celle au Parlement européen en juin où une alliance entre la droite et l’extrême droite menace de revenir sur le Pacte vert européen (déjà insuffisant) ; et celles aux États-Unis qui pourraient ramener au pouvoir un des plus grands climatosceptiques au monde, Donald Trump. L’écologie transformatrice a le devoir d’affronter ces dates de façon offensive.

Nous avons toutes les cartes en main. Malgré cela, peut-être échouerons-nous, car la politique n’offre jamais aucune garantie. Cependant, ce que les générations futures ne pourront pas nous pardonner, c’est d’avoir renoncé avant l’heure, pour avoir cédé à la tentation d’une mythologie confuse et pleine de spéculations qui présente l’effondrement écologique et social comme un fait accompli.

Mecaner ez itxi!
Iñaki Barcena
www.argia.eus/argia-astekaria/2867/mecaner-ez-itxi

Euskal autogintzaren industrian gertatzen ari den adibide esanguratsu batekin natorkizue. Duela urte erditik (2023-09-01), Mecaner Urdulizko (Uribe Kosta) autogintzako trokelgintza enpresako 148 langile euren lanpostuak galtzeko zorian daude. Enpresa bideragarria da eta produkzio eskariak ditu, baina Stellantis automobilgintzako multinazionalak lantegia ixtea erabaki zuen, produkzioa Txinara eramateko.

Stellantis. Multinazional erraldoi horrek hiru talde ditu bere barnean: FCA Italy (Fiat, Abarth, Alfa Romeo, Lancia, Maserati…) FCA US (Chrysler, Dodge, Jeep, Ram Trucks…) eta Groupe PSA (Peugeot, Citroën, DS Automobiles, Opel, Vauxhall Motors…). Bai, auto marka horiek guztiak korporazio multinazional bakar baten eskuetan daude. Euren datuen arabera, 281.595 langile zituen 2021eko abenduan eta urte berean 15.428.000.000 euroko irabaziak aitortu zituen. Diru gehiago irabazteko, Stellantis-ek Mecaner itxi nahi du, langile batzuk beste lantokietara bidali eta kaleratzeak kalte-ordainekin konpondu. Merkatuaren lege gordina!

Trantsizio ekosozialak eragileen arteko lehia dakar. Eta egun gertatzen ari den aldaketa multinazionalak eta elite ekonomikoak gidatzen ari dira

Alternatiba ekosoziala. Enpresa komiteak Urdulizko Udalari (EH Bildu) eskaria egin zion ikerketa bat egiten laguntzeko, enpresaren bideragarritasuna aztertzeko irizpide ekosozialekin. Helburu garbi horrekin, langileen etorkizuna eta eskualdeko enplegu duin eta iraunkortasun sozial eta ekologikoaren aldeko apustua egin da.

Produkzio eraldaketa baten aldeko plana gauzatzea ziur ez dela erraza izango, baina esperientzia eredugarria izan daiteke oso, etorriko diren beste gatazka industrialen aurrean. Alternatiba ekosozialak produkzio-prozesua eraldatzea dakar. Idatzitako planak lau produktu desberdinen aukerak ematen ditu. Horretarako makineria egokia, langileen prestakuntza eta kapitala (publiko zein pribatua) beharrezkoak dira… baina, batez ere, indar sozial nahikoa, plan alternatibo hori bultzatzeko.

Trantsizio ekosozialak eragileen arteko lehia dakar. Eta egun gertatzen ari den aldaketa multinazionalak eta elite ekonomikoak gidatzen ari dira, kapitalaren logikan eta gizartearen gehiengoaren aurka. Horregatik, mugimendu sindikal eta ekosozialen arteko aliantza indartsua eratu beharrean gaude, administrazio publikoei eta agintari politikoei eskatzeko planaren babesa egin dezaten. Batzuek esango digute hori “merkatu eta kapitalismoaren logikan jarraitzea” dela, baina etorkizun justuagoak irudikatu eta metamorfosi ekosozial justuagorako norabidea posible dela erakusteko urratsak ematea ezinbestekoa dugu. Mecaner ez itxi!