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Articles du Vendredi : Sélection du 25 octobre 2019


Epitaphe pour l’Arriel, le dernier glacier néo-aquitain des Pyrénées
Simon Barthélémy
https://rue89bordeaux.com/2019/10/epitaphe-pour-larriel-le-dernier-glacier-neo-aquitain-des-pyrenees/

Une plaque a été posée ce mercredi par les élus écologistes de Nouvelle-Aquitaine au refuge d’Arrémoulit, à la mémoire du dernier glacier de la région, l’Arriel. Il reste désormais moins de 20 glaciers dans les Pyrénées, il n’y en aura sans doute plus d’ici 2040, à cause du réchauffement planétaire.

« Le glacier d’Arriel, le plus à l’ouest des Pyrénées, a disparu comme 50% des glaciers pyrénéens ces dernières années. Ils disparaîtront tous probablement d’ici 2040. Cette plaque atteste que nous savons ce qui se passe et que nous savons ce qu’il faut faire. Vous seul-e-s saurez si nous l’avons fait. »

Voilà ce qu’on peut lire sur l’un des panneaux que Stéphane Trifiletti et Olivier Cazaux, élus écologistes de la Région Nouvelle-Aquitaine, ont posé ce mercredi 23 octobre au refuge d’Arrémoulit, aux pieds du pic d’Arriel. L’initiative, une première en France, imite une commémoration réalisée cet été en Islande par des scientifiques, en présence des représentants du gouvernement islandais.

« C’est un lieu symbolique, selon Stéphane Trifiletti. Depuis le lac d’Arrémoulit et le refuge, le glacier d’Arriel était encore visible. On ne distingue désormais qu’un névé en train de fondre ».

C’est un effet direct du réchauffement climatique dans les Pyrénées, où la température moyenne a grimpé de 1,2° en 50 ans, soit 30 % de plus que la moyenne mondiale. Le scénario pourrait être celui d’un réchauffement de +7° à +11° par rapport à l’ère préindustrielle, ce qui modifierait totalement l’ensemble des écosystèmes pyrénéens.

Sur la Brèche

« Officiellement, l’Arriel n’est plus un glacier depuis une dizaine d’années car il est déjà passé sous la barre des 2 hectares de superficie, poursuit le conseiller régional vert. Avec ce geste symbolique, nous actons la mort définitive du dernier glacier néo-aquitain », situé à 2420 mètres d’altitude.

Il y en avait 2 dans les Pyrénées-Atlantique sur les 93 recensés dans tout le massif au début du XXe siècle. Selon l’Observatoire pyrénéen du changement climatique, qui se réunit actuellement en colloque à Jaca (Espagne), 20 des 39 glaciers encore comptabilisés en 1984 ont fondu depuis, « soit une perte de surface glaciaire équivalente à 516 ha ».

Et certains étaient « autrement plus emblématiques, comme celui de la Brèche de Rolland, le site le plus fréquenté de toutes les Pyrénées », rappelle le glaciologue Pierre René, notant que le glacier le plus important du versant français (et le deuxième du massif après l’Aneto, en Espagne), l’Ossoue est passé de 70 à 33 ha en 30 ans.

Château de cartes

Avec quelles conséquences ? Pour Stéphane Trifiletti, les glaciers, et plus généralement la chaîne des Pyrénées, sont « un véritable château d’eau permettant de lisser les phénomènes d’étiage de l’Adour et de la Garonne. La ressource n’est pas infinie, cela va avoir des impacts sur la biodiversité, l’agriculture et le tourisme, réinterrogeant nos modèles. »

Pierre René tempère et précise :

« L’impact hydrologique des glaciers pyrénéens est négligeable, car ils sont beaucoup plus petits que leurs homologues alpins, notamment. La montagne a bien d’autres réservoirs dans les roches, restitués de façon progressive aux cours d’eau. Avec le réchauffement climatique, les volumes d’eau ne changent pas, c’est le cycle et la distribution qui sont chamboulés. »

Selon le glaciologue, les conséquences de la fin des glaciers « sont surtout paysagères et touristiques, car c’est l’emblème de la haute montagne qui disparaît avec eux ». Non sans dégâts sur la biodiversité de ces écosystèmes « peuplés de bêtes pour la plupart microscopiques et peu étudiées, comme la puce des glaciers » ; mais aussi non sans risque pour les randonneurs, enchaîne Pierre René :

«Aux pics de Vignemale ou de l’Aneto, les glaciers deviennent instables, rendant très délicats les itinéraires d’accès aux plus hauts sommets. Alors qu’ils servaient de marchepieds, il faut désormais escalader, et prendre garde aux blocs de pierre qui se détachent. »

Si le phénomène semble délicat à enrayer, les élus régionaux espèrent que la Nouvelle-Aquitaine prendra sa part dans l’atténuation du changement climatique, via notamment sa feuille de route Néo Terra. Le prochain budget de la région donnera une indication sur sa volonté de mettre le paquet sur la sobriété énergétique dans l’habitat (avec un outil comme Artee), les transports et l’agriculture. L’objectif est pour la Nouvelle-Aquitaine d’atteindre la neutralité carbone en 2040.

Extinction Rebellion, peu politique ? « Nous avons occupé le centre de Paris pendant cinq jours ! »
Des membres d’Extinction Rebellion
https://reporterre.net/Extinction-Rebellion-peu-politique-Nous-avons-occupe-le-centre-de-Paris-pendant-cinq-jours

En réponse à ceux qui critiquent la faiblesse politique d’Extinction Rebellion, les auteurs de cette tribune affirment que leur « message politique est dans l’action même : une autre organisation de la société est possible ». Et répètent que la non violence stricte est un choix « calculé et déterminé ».

La semaine d’action d’Extinction Rébellion a suscité de nombreux commentaires : certains purement anecdotiques et d’autres qui se veulent plus politiques. Les uns et les autres passent à côté de ce qui fait la raison d’être d’Extinction Rébellion. Explications…

Nous n’allons pas revenir sur les nombreux commentaires anecdotiques qui ne servent qu’à masquer les questions importantes. Nous allons essayer de nous concentrer sur les critiques qui portent sur la nature et les méthodes d’Extinction Rébellion.

Nous ne sommes pas un mouvement politique au sens classique.

Certains voudraient retrouver chez Extinction Rébellion les slogans et les prises de position partisanes contre tel ou tel pouvoir politique ou économique. Ces commentateurs reproduisent les schémas classiques du jeu politique et voudraient faire rentrer Extinction Rébellion dans leur cadre d’analyse habituel. Ils tirent des conclusions hâtives — et souvent contradictoires — sur un mouvement qui refuse la rhétorique et l’incantation pour choisir l’action dans un cadre très précis : la désobéissance civile.

Pendant cinq jours, nous avons soustrait un espace public stratégique aux pouvoirs publics

Un exemple concret de notre approche est l’occupation du centre de Paris du 7 au 11 octobre. Certains ont reproché à cette occupation d’être légère en contenu politique. Vraiment ? Pendant cinq jours, au cœur de la capitale, nous avons soustrait un espace public stratégique aux pouvoirs publics. Nous y avons fait vivre une démocratie directe (trois assemblées générales tenues par jour), des lieux d’échange et de formation, des cuisines collectives ouvertes à tous… Nous avons entretenu et nettoyé l’espace public à la place des services de la Mairie. Nous avons aidé les commerçants dans leur ravitaillement et les services de la propreté à assurer la collecte des déchets. Le tout à 100 mètres de la préfecture de police. Notre message politique est dans l’action même : une autre organisation de la société est possible. Nuit Debout en discutait, nous l’avons fait à Châtelet.

Notre approche dépasse le cadre politique habituel. Nous ne contestons pas un régime en particulier, nous questionnons un système de valeurs qui conduit à la destruction du vivant. Et notre proposition est que les citoyens s’emparent de ce débat et fassent des choix eux-mêmes. Nous défendons une démocratie directe, car elle seule nous permettra d’être résilient face aux crises à venir.

L’action non-violente détourne la violence de l’État pour le placer face à ses contradictions

Elle serait naïve, ne dérangerait pas les pouvoirs en place et surtout ne prendrait pas en compte la violence institutionnelle, voilà une critique qui revient souvent au sujet de la désobéissance civile non-violente. C’est un contre-sens complet ! Martin Luther King, apôtre de la non violence, n’aurait ni vu, ni pris en compte la violence institutionnelle ? Ce qu’on appelle non violence est justement une stratégie qui vise à révéler la violence institutionnelle. Comme dans les arts martiaux, il s’agit de retourner la violence de l’attaquant (ici l’État) contre lui-même.

Les activistes d’XR lors de « l’occupation » du pont de Sully, à Paris. Ils avaient été copieusement aspergés de gaz.

Quand les forces de l’ordre gazent à bout portant nos activistes non-violents sur le pont de Sully à Paris, les images font le tour du monde, et la condamnation est unanime. Il faut le dire avec force, l’action non-violente c’est détourner la violence de l’État pour le placer face à ses contradictions. Ce n’est pas être naïf, c’est un choix calculé. Déterminé. Et nous l’assumons dans chacune de nos actions. L’État peut esquiver cette confrontation comme il vient de le faire, mais c’est une tactique intenable à moyen terme pour le pouvoir.

Certains groupes appellent à des actions plus radicales, qui auraient — selon eux — un impact plus grand. Qu’ils montent ces actions eux-mêmes ! Leurs tribunes et leurs lettres ouvertes ne sont que de la rhétorique. L’incantation est sans limites, l’action va les cadrer. Pour Extinction Rébellion, la désobéissance civile non-violente est à la fois une éthique et une stratégie à long terme. La non violence stricte est la seule stratégie inclusive !

« Rétablir l’état de droit face à ces nouveaux despotes que sont les multinationales et les marchés financiers »
Olivier Petitjean
www.bastamag.net/Onu-devoir-de-vigilance-multinationales-droits-humains-crimes-environnementaux-impunite

Les Nations-Unies travaillent à un nouveau traité pour contraindre les multinationales à respecter les droits humains et l’environnement. En France, une loi impose, depuis 2017, un « devoir de vigilance » aux grandes entreprises, à leurs filiales et sous-traitants. Cet outil juridique mettra-t-il fin à leur quasi impunité ? Explications de notre journaliste Olivier Petitjean, via ces bonnes feuilles tirées de son ouvrage Devoir de vigilance. Une victoire contre l’impunité des multinationales.

Le 27 mars 2017, la France promulguait, à l’issue d’un laborieux parcours législatif de plusieurs années, la loi sur le devoir de vigilance des multinationales – ou, plus précisément, des « sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre ». De manière très inhabituelle pour la France, cette loi n’a pas été conçue dans les ministères, mais par un petit groupe de députés indépendamment du gouvernement, en collaboration étroite – ce qui est encore plus rare – avec une coalition d’associations, de syndicats et autres acteurs de la société civile. C’est une loi d’une grande simplicité, qui tient en trois articles. Son objectif pourrait paraître modeste : corriger une lacune du droit existant en donnant la possibilité, dans certaines conditions, de saisir la justice lorsqu’une entreprise multinationale basée sur notre territoire est mise en cause pour des atteintes graves aux droits humains et à l’environnement, commises en France comme à l’étranger.

Pollutions pétrolières ou chimiques, main-d’œuvre surexploitée dans les usines des fournisseurs, conflits et répression autour des sites d’implantation des multinationales, complicité avec des dictatures, accaparement des ressources naturelles, tout le monde a entendu parler de cette face obscure de la mondialisation, où l’internationalisation des chaînes de production et la chasse aux profits se développent aux dépens des femmes et des hommes et de la nature. Que les victimes puissent porter plainte pour faire respecter leurs droits fondamentaux, ou que des associations puissent exiger l’intervention d’un juge pour mettre fin aux abus, quoi de plus naturel, quoi de plus normal soixante-dix ans après l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et après de multiples traités internationaux sur la lutte contre l’exploitation, le climat ou la protection de l’environnement ?

Un chaînon manquant dans la mondialisation

Et pourtant, en pratique, mettre en cause une grande entreprise et ses dirigeants pour les violations des droits humains ou la dégradation de l’environnement occasionnées par ses activités reste souvent mission impossible. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, comme nous le racontons dans ce livre. D’un côté, il existe une multitude de textes de droit international ; de l’autre, une impossibilité apparente de les faire appliquer et de leur donner effet dans des situations impliquant des multinationales. Voilà manifestement un chaînon manquant dans la mondialisation.

Beaucoup de raisons entrent en jeu pour créer cette situation d’impunité. D’abord les soutiens et les complicités politiques dont bénéficient généralement les milieux d’affaires internationaux dans les pays où ils sont implantés. Ensuite la faiblesse du pouvoir judiciaire, par manque de moyens ou par manque d’indépendance. Sans compter que, bien entendu, les grandes entreprises et leurs dirigeants peuvent mettre en branle des armées d’avocats pour faire traîner en longueur les procédures, épuiser tous les recours ou exploiter les failles de l’accusation. Les personnes et les groupes les plus affectés par leurs activités, en revanche, comptent souvent parmi les plus démunis. L’histoire de David contre Goliath semble donc infiniment répétée – mais sans fronde à disposition des « petits ».

Il est aussi une raison moins visible et plus structurelle à cette impunité des multinationales, qui gît dans le droit lui-même et dans sa déconnexion d’avec la réalité économique. On peut dire qu’aujourd’hui la « multinationale », le « groupe », voire l’« entreprise », n’existent pas réellement d’un point de vue juridique.

Là où nous voyons un sujet cohérent et autonome – Total, Apple ou H&M –, avec sous son égide des dizaines d’établissements, de filiales, de co- entreprises ou autres relations d’affaires gérées en fonction de l’intérêt du tout (ce qui signifie malheureusement souvent le seul intérêt des actionnaires et des dirigeants), le droit voit une nébuleuse d’entités distinctes, seulement liées entre elles par des liens capitalistiques et des contrats.

Il ne s’agit pas seulement d’un simple détail technique. Une conséquence directe de ce hiatus est qu’il est souvent extrêmement difficile de responsabiliser la multinationale elle-même (autrement dit la « société mère » qui chapeaute tout l’édifice et le dirige) pour les manquements d’une de ses filiales à l’étranger. Et à plus forte raison pour des abus constatés chez l’un de ses sous-traitants ou fournisseurs, quand bien même ces abus seraient directement liés aux exigences ou aux pressions de la multinationale en question.

Coup porté à l’impunité des multinationales

C’est précisément cette lacune, cet angle mort du droit, que la loi sur le devoir de vigilance entend combler. À certains égards, ce n’est qu’un point de détail, un simple aménagement législatif qui crée une possibilité de recours judiciaire ne visant que les abus les plus criants, selon une procédure très spécifique, et qui impliquera d’apporter la preuve que la société mère (vis-à-vis de ses filiales) ou donneuse d’ordre (vis-à-vis de ses fournisseurs et sous-traitants) a clairement manqué aux responsabilités qui étaient les siennes en proportion de son influence réelle. On voit mal cette loi donner lieu à une floraison de procès intentés contre des entreprises, comme l’ont suggéré ses détracteurs.

À d’autres égards, cependant, cela change tout. C’est d’ailleurs pourquoi cette législation d’apparence modeste, ciblant des situations que personne ne pourrait considérer comme acceptables, a suscité, et continue de susciter, une opposition aussi acharnée de la part d’une partie des milieux d’affaires français et internationaux. La loi française sur le devoir de vigilance est un coup porté à la barrière de protection juridique qui isole les multinationales des impacts de leurs activités sur les sociétés et l’environnement.

De ce fait, elle remet en cause la condition d’« irresponsabilité sociale » intrinsèque à la notion même d’entreprise multinationale, se jouant des frontières et des juridictions. Elle modifie ce qui, en apparence, n’est qu’un petit rouage juridique de la mondialisation, mais qui affecte virtuellement tout le fonctionnement de la machine – notamment au profit de qui et au détriment de qui elle opère.

Tout ceci ne vient pas de nulle part. L’adoption de la loi française en 2017 n’est ni le commencement ni la fin. La manière dont elle sera effectivement utilisée et mise en œuvre fera certainement l’objet de controverses aussi virulentes que celles qui ont entouré son élaboration et son adoption. Sa portée dépasse les frontières de l’Hexagone, comme l’illustre l’intervention dans le débat législatif français d’organisations comme la Chambre de commerce des États-Unis, principal lobby patronal américain, ou la Confédération syndicale internationale, porte-parole du monde syndical à l’échelle globale.

Des chaînes de responsabilité souvent complexes et diffuses

Cette loi constitue une étape dans une histoire qui commence, au moins, dans les années 1970 – date à laquelle la régulation des entreprises multinationales dans le cadre du droit international émerge en tant qu’enjeu politique. Elle est issue, dans sa conception, de l’expérience concrète d’associations et d’avocats, en France, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en Inde, en Équateur et ailleurs, qui ont tenté pendant des années d’utiliser les armes du droit existant pour mettre les multinationales et leurs dirigeants face à leurs responsabilités. Parallèlement à la France, d’autres pays européens débattent de législations similaires – ce qui prouve à quel point le sujet est à l’ordre du jour. Dans les enceintes onusiennes comme le Conseil des droits de l’homme ou l’Organisation internationale du travail, les discussions se poursuivent sur des instruments de droit international visant à donner, comme la loi française, une effectivité juridique à la responsabilité des multinationales.

Pour un lecteur non averti, tout ceci pourrait peut-être paraître irréel. Nous ne sommes pas préparés, culturellement et historiquement, à imaginer une multinationale ou un patron d’entreprise dans un tribunal, devant un juge, obligés de répondre de leurs actes, sauf peut-être dans les cas les plus flagrants d’escroquerie ou de corruption. Les tribunaux sont faits pour les délinquants et les criminels ordinaires, en chair et en os, dont les actions sont clairement identifiables, avec des conséquences tout aussi claires sur la vie humaine ou l’intégrité des personnes et des biens.

Par comparaison, la délinquance ou la criminalité « en col blanc » – celle des spéculateurs, des fraudeurs fiscaux, des hommes d’affaires et des cadres d’entreprise – ne nous apparaît pas avec le même sens de gravité et d’immédiateté, même si ses conséquences directes ou indirectes peuvent être beaucoup plus sérieuses. Nous imaginons facilement juger l’assassin qui aurait fait une seule victime, et non juger l’entreprise ou le dirigeant dont les décisions froides ont directement entraîné une pollution, la commercialisation de produits dangereux ou un affaiblissement des règles de sécurité affectant la vie de centaines de riverains, de consommateurs ou de travailleurs.

Il y a de bonnes raisons à cela. Lorsqu’il est question d’abus de la part de multinationales, les actions, les processus de décision qui ont mené à ces actions, les causes et les chaînes de responsabilité sont souvent complexes, diffus et délicats à déterminer. Mais cette difficulté ne signifie pas qu’il n’y ait pas effectivement décision, action et nécessité de répondre de leurs conséquences. L’impression de discontinuité et de distance entre les décisions apparemment « impersonnelles » prises dans les salles de réunion des sièges des multinationales et leurs conséquences très concrètes pour les gens et pour la nature, parfois à l’autre bout du monde, est précisément ce qui facilite les abus et laisse libre cours à la seule recherche du profit financier.

Ramener les multinationales et leur pouvoir au sein d’un véritable « état de droit »

Parfois, ce principe d’irresponsabilité finit par entraîner des scandales de grande ampleur : effondrement au Bangladesh en 2013 de l’immeuble du Rana Plaza qui abritait des ateliers textiles travaillant pour de grandes marques occidentales ; marées noires avec leurs déversements de pétrole comme celles de l’Erika, de Chevron-Texaco dans l’Amazonie équatorienne ou celles qui polluent au quotidien le delta du Niger ; pollutions chimiques à grande échelle comme à Bhopal en Inde ; collaboration avec des dictatures ou des groupes terroristes. Mais il régit aussi, au quotidien, d’innombrables décisions prises par les directions d’entreprise, dont nous sentons indirectement les conséquences dans nos vies et qui font du monde d’aujourd’hui ce qu’il est, avec ses multiples défis sociaux, politiques et environnementaux.

En ce sens, la loi sur le devoir de vigilance n’est pas une loi « de niche » qui n’intéresserait que les ONG de solidarité internationale ou les défenseurs de l’environnement. La place croissante et, pour être clair, le pouvoir des multinationales – elles-mêmes de plus en plus dominées par les marchés financiers et leur logique de profit à court terme – sont aujourd’hui une réalité qui dépasse largement la seule sphère économique. Impossible d’y échapper. Elle engage nos modes de vie, la préservation des écosystèmes et du climat, notre cohésion sociale elle-même, au sein de chaque pays et entre pays. Ce pouvoir est aussi de plus en plus contesté par une grande partie de l’opinion publique, par les communautés qui accueillent (et souvent subissent) ces activités, et parfois par les travailleuses et travailleurs des multinationales eux- mêmes. Une forme de contrat social semble s’être rompue.

Face à ce constat, la tentation de beaucoup est d’en appeler simplement à une réaffirmation du pouvoir politique face aux pouvoirs économiques, d’exiger des autorités publiques qu’elles (ré)imposent enfin leurs règles et leurs volontés aux acteurs économiques et fassent primer l’intérêt général sur les intérêts privés. Difficile d’être en désaccord. Mais il ne faut pas non plus passer à côté de ce qui fait la spécificité de ce « pouvoir » qui est celui des multinationales, qui justement ne fonctionne pas sur le modèle de celui des États et ne s’oppose pas frontalement à eux – sauf, bien sûr, cas extrêmes. C’est un pouvoir de fait qui s’exerce dans les creux du pouvoir politique et de la législation, en occupant tout l’espace de ce qui n’est pas expressément interdit et effectivement sanctionné par les pouvoirs publics, ou en jouant de l’« extraterritorialité » que lui permet sa dimension multinationale par rapport aux frontières administratives et judiciaires. Il s’exerce aussi d’une certaine façon par le droit, en s’appuyant sur un « droit des affaires » qui le rend invisible et quasi naturel – par exemple celui des accords de libre-échange. C’est pourquoi le terrain juridique est tout aussi important que les terrains politique et économique face aux abus des multinationales.

Au fond, l’enjeu est de maintenir ou de ramener les multinationales et leur pouvoir au sein d’un véritable « état de droit » et d’un espace public démocratique. Les grands principes des droits de l’homme et des libertés civiles se sont construits, historiquement, en réponse à l’arbitraire des monarchies absolues ; il faut aujourd’hui les protéger ou les reconstruire face à ces nouveaux despotes que sont les grandes entreprises et les marchés financiers.

Le devoir de vigilance se situe en ce sens à l’une des plus importantes « frontières » actuelles de notre démocratie – une démocratie de plus en plus mondialisée et de plus en plus soumise aux pouvoirs économiques. C’est un outil et un point d’appui pour rééquilibrer, à la fois de l’intérieur et de l’extérieur des entreprises, un système de plus en plus biaisé en faveur des puissances de l’argent. Son avenir et la manière dont il sera mis à profit restent aujourd’hui à écrire.

Ce texte est tiré de l’introduction du livre d’Olivier Petitjean : Devoir de vigilance. Une victoire contre l’impunité des multinationales, 2019, éditions Charles Léopold Mayer, 174 pages, 10 euros.

 


Errudunak, berriz ere
Jon Alonso
www.argia.eus/argia-astekaria/2663/errudunak-berriz-ere

Duela hamabi bat urte irakurri nuen Spencer Weart zientzialariaren Beroketa globalaren aurkikuntza (The Discovery of Global Warming) liburua, artean gai hori hasia zenean protagonismoa hartzen batzuen (txoropito batzuen, orduan, askoren ustez) elkarrizketetan. Konbentzitu egin ninduen, adiskide batzuei pasatu nien. Liburu hura irakurtzera eraman ninduena Pirinioetako glaziarren egoera izan zen: mendizaleok ikusi ahal izan dugu, gure garai historikoan eta neurtzeko tresna sofistikatuen beharrik gabe, begi hutsez, alegia, Aneto, Russell edo Vignemaleko glaziarrak nola joan diren urritzen, txikiagotzen eta are desagertzen ere urtez urte.

Alabaina, aldaketa klimatikoa benetan gertatzen ari dela seguru-seguru jakiteko azken froga El Pais-en aurtengo abuztuko editorial batek eman zidan (abuztuaren 9koa). Editorial hartan, munduaren alde honen jabeen bozeramailea den egunkariak gu guztiok –bai, zu zeu, irakurle; ni neu, zure lankidea, kaletik doan hura…– egiten gintuen aldaketa klimatikoaren erantzule: “Gizarteak onartu duelarik aldaketa klimatikoa benetakoa dela, errua bota die industria energetikoari, Amazonia, bioerregaia lortzeko, soiltzen duten enpresari harrapakariei eta beste hainbat susmagarriri (…) Eta hori egia da, baina historiaren erdia baino ez da. Beste erdia erantzukizun indibiduala da, munduko biztanle bakoitzari dagokiona”. Ulertu dut mezua: “Mundua erremediorik gabe izorratuta dago, bai horixe, baina errua ez da gurea, errua zuena da”. Munduaren alderdi honen jabeak erruak besterenganatzen hasten badira, zer besterenganatu badagoen seinale.

Esaten zuten, ba, garai bateko kapitalistek: aseezinak gara. Baina urtero itsasora doazen ez dakit zenbat milioi tona plastiko horien erantzule nagusia naiz, supermerkatura joan eta plastikoz bildutako gurdi bete produktu besterik eskaintzen ez badidate? CO2-ren isurketen errudun nagusi, publizitateak minuturo denetarik kontsumi dezadan matxakatzen banau? Abuztu minean Hego Afrikako laranjak saltzen badizkidate? Enpresari harrapakariek eta gizabanakook ez ezik, politikariek, legeak egiten dituztenek, alegia, ez dute erantzukizunik honetan guztian?

Neurriak hartu behar dira, jakina; baina inork ez du bizarrik hartu behar diren neurriak hartzeko, gure munduaren eta bizimoduaren goitik beherako aldaketa lekarketelako.