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Articles du Vendredi : Sélection du 25 mars 2022


« Nous partageons l’angoisse de la jeunesse » :
une trentaine de personnalités apportent leur soutien
à la grève mondiale pour le climat du 25 mars

Tribune collective
www.francetvinfo.fr/monde/environnement/crise-climatique/tribune-nous-partageons-l-angoisse-de-la-jeunesse-une-trentaine-de-personnalites-apportent-leur-soutien-a-la-greve-mondiale-pour-le-climat-du-25-mars_5032771.html

Dans un texte publié sur franceinfo.fr, le réalisateur Cyril Dion, l’actrice Lucie Lucas ou encore le chanteur Gauvain Sers estiment que les jeunes qui manifestent ont été « privés de leur insouciance ». « Il est temps d’écouter leur cri d’alerte », écrivent-ils.

La jeunesse va descendre à nouveau dans la rue pour réclamer davantage d’actions contre le réchauffement climatique. A l’initiative du mouvement Fridays for Future de la Suédoise Greta Thunberg, une nouvelle journée mondiale d’action des jeunes pour le climat est organisée vendredi 25 mars un peu partout dans le monde. L’occasion pour 31 personnalités, dont le réalisateur Cyril Dion, l’actrice Lucie Lucas, l’ancienne ministre Aurélie Filippetti ou le chercheur Wolfgang Cramer d’exprimer leur soutien à ce mouvement. « Nous entendons et partageons l’angoisse de la jeunesse. Cette angoisse est légitime, et surtout, cette angoisse doit pousser à l’action », écrivent-ils. Ils s’expriment ici librement.

Chaque génération a son combat. Voici le vôtre.

La crise climatique est un enjeu crucial qui requiert des mesures radicales, c’est pourquoi la jeunesse, dans un mouvement coordonné à l’échelle mondiale, a choisi de faire grève vendredi 25 mars. Cette grève est un acte puissant et un outil symbolique fort qui lui permet de retranscrire ses préoccupations, peurs et attentes dans l’action et pas seulement à travers de beaux discours.

Faire grève, ce n’est pas faire l’école buissonnière. Faire grève, quand on a 10, 15 ou 20 ans, c’est dénoncer la profonde incohérence qui gouverne notre monde : le système scolaire prépare nos enfants à leur avenir, quand les systèmes financier, industriel et géopolitique s’acharnent minutieusement à en assurer la destruction. N’y a-t-il pas une grossière hypocrisie dans ce discours à double face ? Entre promesses dans le vide et mensonges de soutenabilité, les jeunes réclament des comptes aux dirigeants et aux dirigeantes.

Pendant des années, les sociétés se sont développées dans l’insouciance, croyant en un modèle de consommation et de production infinies. Pourtant, aujourd’hui, nous sommes face au mur.

« Chaque jour, des espèces disparaissent. Chaque jour, les forêts reculent. Chaque jour, des populations voient leurs maisons englouties par la montée des eaux. » Les signataires de la tribune

La crise climatique n’est plus une hypothèse, mais une menaçante réalité : on peut lire dans le deuxième volet du sixième rapport du Giec sorti il y a bientôt trois semaines qu’au moins 3,3 milliards de personnes vivent dans des environnements très vulnérables au changement climatique.
Alors que les scientifiques appellent à un réveil des consciences depuis les années 1970, de génération en génération, il semblerait que l’humanité ait choisi de fermer les yeux. Désormais, il nous faut nous réveiller de ce doux rêve de croissance et d’abondance.

« Il est temps d’écouter les cris d’alerte des scientifiques et ceux de la jeunesse les ayant rejoints récemment avec Greta Thunberg comme porte-voix. Celles et ceux qui tentent de sortir l’humanité de son somnambulisme suicidaire. » Les signataires de la tribune

Car c’est de la vie animale, végétale et humaine dont il est question. Les jeunes, bien conscients de la précarité de la situation, se démènent jour après jour pour nous le rappeler. Privés de leur enfance, ils héritent d’une responsabilité jusque-là déniée. Privés de leur insouciance, ils se retrouvent obligés de descendre dans les rues, sécher les cours et crier dans des mégaphones.

Face à la perspective angoissante d’un avenir incertain, la jeunesse dénonce haut et fort la passivité et le déni dans lesquels se sont retranchés les dirigeants actuels et passés.

« Aussi, nous l’affirmons à travers cette tribune : nous entendons et partageons l’angoisse de la jeunesse. Cette angoisse est légitime, et surtout, cette angoisse doit pousser à l’action. » Les signataires de la tribune  

Aujourd’hui, le changement climatique est une réalité et le combattre doit être notre priorité. Ensemble, choisissons le bon combat.

Notre lutte, celle contre la déforestation, contre la pollution et l’extinction de masse, est une lutte universelle. Face aux guerres dévastatrices, qui ravagent, divisent et meurtrissent, sachons nous unir et travailler en commun pour construire un avenir meilleur. Nous refusons la vision d’une écologie punitive mais revendiquons un engagement collectif et pacifiste.

« Nous n’avons qu’une seule planète, plutôt que la détruire, tâchons de la préserver. » Les signataires de la tribune

Dans un monde bouleversé par la guerre en Ukraine, notre futur est suspendu aux fusils à la frontière de l’Europe, et alors que notre dépendance aux énergies fossiles est remise en cause, il est plus que temps de mettre en œuvre les grandes transformations nécessaires pour nous assurer un monde durable. Un monde sans énergies fossiles et en paix.

Nous saluons cette jeunesse qui s’engage et nous mobilisons à ses côtés : les jeunes ne sont pas seuls à porter ce combat. Il nous concerne toutes et tous et nous serons à leur côté vendredi pour appuyer leurs combats vers une justice climatique.

Les signataires de la tribune :

Wolfgang Cramer, directeur de recherche au CNRS et membre du Giec
Léa Filoche, adjointe à la maire de Paris
Alice Timsit, conseillère de Paris
Lucie Lucas, comédienne
Agnès Catoire, membre de la Convention citoyenne pour le climat
Paula Forteza, députée écologiste
Cyril Dion, auteur, réalisateur, poète, militant écologique
Chloé Sagaspe, conseillère de Paris
Alice Barbe, entrepreneure et fondatrice de l’Académie des futurs leadeurs
Karima Delli, député européenne
Hugo Viel, activiste
Nicolas Dubois, photographe
Tim Dup, chanteur et compositeur
François Flahault, directeur de recherche émérite au CNRS
Alain Mestre, membre du groupe d’appui auprès de la Convention citoyenne pour le climat
Dorothée Browaeys, journaliste
Taha Bouhaafs, journaliste engagé
Alain Coulombel, porte-parole d’Europe Ecologie-Les Verts
Michèle Leclerc-Olive, chercheure
Jennifer de Temmerman, députée du Nord et autrice d’un rapport présentant l’inaction climatique comme une atteinte aux droits de l’enfant
Gauvain Sers, chanteur
Jean-Luc Bennahmias, homme politique
Johan Reboul, influenceur écologiste
Paloma Moritz, journaliste écologie pour le média Blast
Patrick Viveret, philosophe et magistrat honoraire
Emily Loizeau, chanteuse
Roxane Lundy, femme politique
Annie Lahmer, conseillère régionale écologiste et militante féministe
Roberto Roméro, conseiller régional d’Ile-de-France
Pierre Larrouturou, député européen
Aurélie Filippetti, professeure, autrice et ancienne ministre de la Culture

Stéphen Kerckhove : « Le plus sûr chemin pour accéder à l’indépendance énergétique n’est pas le nucléaire mais la sobriété énergétique »
Stéphen Kerckhove, Directeur général d’Agir pour l’environnement
www.lemonde.fr/idees/article/2022/03/22/stephen-kerckhove-le-plus-sur-chemin-pour-acceder-a-l-independance-energetique-n-est-pas-le-nucleaire-mais-la-sobriete-energetique_6118613_3232.html

Avant de penser à ajouter de nouvelles capacités de production coûteuses, il y aurait un intérêt à repenser notre modèle énergétique, estime le militant écologiste dans une tribune au « Monde ».

Tribune. Le contexte sanitaire et la situation internationale rendent notre époque particulièrement anxiogène. Cette inquiétude semble conduire à un conformisme énergétique qui postule que, pour rompre la dépendance à l’égard des pétromonarchies et autres dictatures gazières, il nous faudrait accroître nos capacités de production renouvelables et nucléaires.

Nonobstant le fait que nos réacteurs nucléaires soient principalement alimentés par de l’uranium kazakh, dont le régime oppresseur n’a rien à envier à l’autoritarisme russe, il est un fait révélateur qui devrait nous interpeller : jamais ou presque le principe d’une sobriété énergétique n’est appréhendé avec sérieux par notre classe politique.

Au mieux est-il vilipendé ou caricaturé, supposant que cette sobriété ne serait qu’une version édulcorée d’une décroissance mal assumée.

Pourtant, avant de penser à ajouter de nouvelles capacités de production coûteuses, n’y aurait-il pas quelque intérêt à repenser notre modèle énergétique en cherchant à produire ce qui est consommé et non pas à consommer ce qui est produit ?

Près de la moitié de la facture électrique des communes est induite par l’éclairage public et pourrait être réduite drastiquement en luttant contre la pollution lumineuse. Réduire de 10 km/h la vitesse autorisée sur autoroute engendre une baisse de la consommation de 14 %. Près de 10 % du trafic aérien est lié aux vols de jets privés, naviguant à vide 40 % du temps.

Par peur ou conformisme

La moitié des dix milliards de bouteilles plastiques, issues de la pétrochimie, commercialisées en France ne sont pas recyclées ! La décision de déployer la 5G pourrait, selon le Haut Conseil pour le climat, induire une augmentation de notre consommation d’électricité de 16 térawattheures (TWh) et de 40 TWh en 2030, soit entre 5 % et 13 % de la consommation nationale d’électricité du résidentiel et du tertiaire.

Des dizaines de milliers de panneaux publicitaires rétroéclairés absorbent unitairement l’équivalent électrique de trois familles de quatre personnes. Nous pourrions multiplier les exemples de gaspillage qui en disent long sur notre addiction à des ressources énergétiques perçues comme infinies et quasi gratuites.

Par peur ou conformisme, notre classe politique mésestime l’intérêt économique d’un grand retour de la « chasse au gaspi ». Faute d’ambition politique inscrite dans le temps et dans l’espace, nos logements demeurent trop souvent des passoires thermiques, nos automobiles, fussent-elles électriques, sont frappées d’obésité, et notre urbanisme tentaculaire, fait de grands projets inutiles et autres hypermarchés, court encore après ce qui fit le succès des « trente glorieuses », qui se mue aujourd’hui en cinquante gaspilleuses.

Face à cet impensé, nous devons rappeler les vertus de la sobriété. Comme le veut la formule consacrée, l’énergie la moins polluante est celle que l’on ne consomme pas. A l’heure où l’Europe redécouvre le danger de sa dépendance au gaz russe après avoir oublié son addiction au pétrole du Moyen-Orient, il est urgent d’en finir avec une certaine forme de pensée unique énergétique, qui relève souvent de la pensée magique.

Par et pour les consommateurs

Il est en effet profondément insatisfaisant que les termes du débat soient systématiquement posés par et pour les producteurs et jamais par et pour les consommateurs. Chauffer une maison à 19 °C requiert plus ou moins d’énergie en fonction de l’isolation de sa maison. Faire ses courses nécessite plus ou moins d’énergie en fonction de son éloignement et du véhicule utilisé pour accéder aux commerces de proximité.

Pourvoyeuse en emplois non délocalisables et source d’économie, la sobriété énergétique réduirait considérablement le déficit de notre balance commerciale, qui, rappelons-le, a atteint un record absolu en 2021 de 84,7 milliards d’euros. La moitié de ce déficit est due à notre facture énergétique.

La campagne présidentielle en cours est une occasion formidable d’ouvrir les horizons et d’enfin oser sortir des caricatures présentant les tenants de la sobriété en adeptes des amish et de leurs lampes à huile.

L’heure est venue de revisiter nos certitudes énergétiques et d’opter pour un vaste plan d’économies d’énergie. Le plus sûr chemin pour accéder à l’indépendance énergétique de l’Europe n’est pas le nucléaire, qui ne représente que 17 % de l’énergie finale consommée en France, mais la sobriété énergétique.

Gageons que nos candidats à l’élection présidentielle seront à la hauteur de l’histoire. L’énergie est notre avenir… Economisons-la.

Comment les oligarques russes détruisent la planète
Gaspard d’Allens
https://reporterre.net/Comment-les-oligarques-russes-detruisent-la-planete

La caste des oligarques russes incarne le capitalisme dans ce qu’il a de plus prédateur. Avec leur mode de vie ostentatoire et leurs investissements dans l’industrie extractive, ces ultrariches ravagent la planète sous le regard complaisant des élites occidentales.

C’est une image qui préfigure les prochaines crises climatiques. Les ultrariches refusent d’affronter l’Histoire et préfèrent faire sécession. Alors que la guerre fait rage en Ukraine et que le bas peuple s’écharpe sous les bombes, les oligarques russes fuient la tempête à bord de leurs yachts et de leurs jets privés, en quête d’eaux turquoise et de terres plus hospitalières. Face à la menace d’une saisie de leur fortune, en Occident, les milliardaires russes se planquent dans les paradis fiscaux. Comme l’écrivait le philosophe Bruno Latour [1], « à défaut d’atterrir, les ultrariches tentent d’échapper au monde commun ».

Aux Maldives, dans les ports, on assiste presque à des embouteillages. Le Titan, le yacht de quatre-vingts mètres de Roman Abramovitch, propriétaire du club de football anglais Chelsea, est arrivé la semaine dernière, rejoignant d’autres navires : le My Sky, propriété d’Igor Kesaev, le Clio de l’oligarque Oleg Deripaska et le Nirvana, impressionnant yacht de quatre-vingt-huit mètres appartenant à l’homme le plus riche de Russie, Vladimir Potanine.

Le sauve-qui-peut est général. Partout, les milliardaires russes désertent. Le Galactica Super Nova de Vaguit Alekperov est parti de Barcelone pour s’abriter au Monténégro. Le navire Nord — 140 mètres de long, 500 millions de dollars — d’Alexei Mordashov se cache aux Seychelles comme le Sea Rapsody d’Andrey Kostin. Anticipant les sanctions à venir, le Boeing 787 de Roman Abramovitch a également décollé de l’aéroport de Nice le matin de l’offensive russe. Comme le yacht de Poutine, estimé à 100 millions de dollars, qui a mystérieusement disparu du port de Hambourg mi-février alors que ses réparations n’étaient pas terminées.

L’oligarque Roman Abramovitch représente la pire empreinte carbone de tous les humains

« Poutine, ce multimilliardaire, est l’archétype de l’oligarque cupide, a réagi l’ancien candidat à l’élection présidentielle américaine, Bernie Sanders. Avant de déclencher une guerre qui risque de tuer des milliers de personnes et d’en déplacer des millions, il devrait davantage se préoccuper des peuples ukrainiens et russes, et moins de son précieux superyacht. »

L’exil de ces milliardaires n’a rien d’anecdotique. « Une poignée de super-riches s’égaillent en mer alors que des milliards de personnes luttent pour survivre et que la planète dégringole dans une catastrophe écologique, dit à Reporterre Grégory Salle, l’auteur du livre Superyachts — Luxe, calme et écocide (éd. Amsterdam, 2021). Ces grandes fortunes sont l’emblème du capitalocène. Leur mode de vie a presque littéralement rompu toute attache avec le monde social ordinaire ».

Les oligarques russes incarnent, en effet, l’ordre capitaliste dans sa version la plus démesurée et la plus ostentatoire.

Dans son enquête, Grégory Salle raconte ainsi comment un milliardaire russe s’obstine à vouloir installer dans son yacht une douche capable de faire jaillir à volonté du champagne, avec un débit de 45 litres par minute. Le sociologue décrit la course au gigantisme, les yachts toujours plus énormes, les sommes colossales allouées aux biens de luxe et les caprices de ces dominants avec leurs piscines en verre, leurs bars en cristal et leurs pied-à-terre sur la Côte d’Azur achetés plusieurs centaines de millions d’euros.

Leur mode de vie est insoutenable. Les navires de luxe qu’ils affectionnent consomment jusqu’à 2 000 litres de carburant à l’heure. Pour donner un ordre de grandeur, trois cents yachts émettent autant de CO2 que les dix millions d’habitants du Burundi.

Dans une étude de 2019, deux anthropologues de l’Université de l’Indiana (États-Unis), Beatriz Barros et Richard Wilk, se sont intéressés aux milliardaires qui polluent le plus. En tête, loin devant, on retrouve l’oligarque Roman Abramovitch qui détient la pire empreinte carbone sur Terre. Chaque année, il émet 33 859 tonnes de CO2 alors qu’en moyenne un citoyen russe n’en émet que 11.

Le multimilliardaire possède une collection de yachts et un jet privé qui comprend une salle de banquet pouvant accueillir trente personnes.

« C’est un crime vendu comme idéal de vie »

Cette consommation ostensible de combustibles fossiles devrait être qualifiée de crime selon le chercheur Andreas Malm. Dans son livre Comment saboter un pipeline (éd. La Fabrique, 2020), il dénonce avec vigueur « ces émissions de luxe », « fer de lance idéologique du business-as-usual  » : « C’est un crime vendu comme un idéal de vie […] Dans une atmosphère déjà saturée de CO2, cette pollution équivaut à des projectiles balancés dans les airs qui retombent au hasard sur les pauvres », écrit-il.

Le crime est aggravé par le fait que la principale source des émissions de luxe — l’hypermobilité des riches, leur débauche de déplacements en avion, en yacht, en hélicoptère — est ce qui leur permet de ne pas avoir à se soucier des conséquences, puisqu’ils peuvent toujours se mettre à l’abri ailleurs. « Être ultrariche et hypermobile au-dessus de 400 parties par million (ppm) [2], c’est déverser les périls mortels sur d’autres et y échapper dans un même coup de maître », conclut Andreas Malm.

En la matière, les oligarques russes sont parmi les plus forts. Leurs incroyables frasques ne connaissent pas de frontière. Avec leurs villas en bord de mer, leurs chalets à Courchevel, leurs manoirs à Londres — rebaptisé « Londongrad » — ou leurs hôtels particuliers à Paris, cette caste vit complètement hors-sol.

Pour ne prendre qu’un exemple, le magnat du gaz, Gennady Timchenko, dont la fortune est estimée à 22 milliards de dollars, se rend presque chaque week-end dans sa somptueuse propriété du Lavandou dans le Var. Il possède aussi des biens en Suisse, un yacht qui sillonne la mer Méditerranée, un jet privé, etc.

Il y a encore quelque temps, les oligarques russes étaient bien accueillis en France. Gennady Timchenko a été décoré du grade de Chevalier de la Légion d’honneur en 2013, tandis qu’Iskander Makhmudov – seizième fortune en Russie qui possède plusieurs domaines de chasse en Sologne (1 300 hectares) — pouvait bénéficier de la sécurité d’un certain Alexandre Benalla alors que ce dernier travaillait encore à l’Élysée.

Sarkozy et Fillon, les amis des oligarques

Plusieurs politiques français ont fricoté avec eux, sans vergogne. Avant de démissionner, sous la pression, François Fillon était administrateur du groupe d’hydrocarbures Zaroubejneft et du géant de la pétrochimie Sibur, contrôlé par Leonid Mikhelson, l’un des hommes les plus riches de Russie. L’ancien président de la République Nicolas Sarkozy a vendu ses conseils pour 3 millions d’euros à une société d’assurance russe possédée par les deux milliardaires Sergey et Nikolay Sarkisov. À Monaco, c’est un avocat, désormais garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti qui avait pour client l’oligarque Dimitri Rybolovlev.

Ces ultrariches, dont la grande majorité sont à la botte de Vladimir Poutine, ont bénéficié de quinze ans de complaisance politique en France et plus généralement en Europe. Pendant des années, ils se sont enrichis sous l’œil bienveillant des élites occidentales, grâce à ce que l’on pourrait qualifier de plus grand pillage de l’Histoire : le dépeçage de l’industrie soviétique et sa privatisation.

Pétrole, minerai, gaz… Au moment de la dislocation de l’Union des Républiques socialistes soviétiques (URSS), ces oligarques ont accaparé les richesses et ont réalisé de super-rentes grâce aux exportations d’hydrocarbures et au secteur extractiviste — par ailleurs ultrapolluant. Selon le Boston Consulting Group (BCG), les cinq cents plus grosses fortunes russes contrôlent 40 % de la richesse nationale. « C’est une dérive kleptocratique sans limites », a résumé l’économiste Thomas Piketty.

La Russie a abandonné toute ambition de redistribution. L’argent accumulé est dilapidé en dehors du pays. Environ 60 % de la fortune des résidents russes les plus riches (le top 0,01 %, soit environ 10 000 personnes) est détenue dans des paradis fiscaux. Les « Panama papers » et les « Paradise papers » ont révélé les pratiques frauduleuses des proches du Kremlin pour soustraire des sommes faramineuses à la Russie.

Les chercheurs Gabriel Zucman, Thomas Piketty et Filip Novokmet estiment à 1 000 milliards de dollars le montant global détenu par des Russes, particuliers ou entreprises, à l’étranger. Soit plus de la moitié du produit intérieur brut national.

À l’occasion de la guerre en Ukraine, les choses pourraient changer. Le gel des avoirs des oligarques russes est inédit par son ampleur et les images des saisies montrent qu’une régulation internationale serait possible.

« Attention cependant à ne pas surjouer l’affrontement entre “les démocraties” et “les autocraties”, les “entrepreneurs” occidentaux, utiles et méritants et les “oligarques” russes, nuisibles et parasites, prévient Thomas Piketty. On oublie trop souvent que les pays occidentaux partagent avec la Russie une idéologie hypercapitaliste débridée et un système légal, fiscal et politique de plus en plus favorable aux grandes fortunes. »

Pour l’économiste, il est temps d’imaginer un nouveau type de modèle de développement, avec la mise en place d’un cadastre financier international afin de contrôler les flux d’argent à travers le monde et mieux réguler le secteur financier. « C’est à ce prix que les pays occidentaux parviendront à gagner la bataille politique et morale face aux autocraties et à démontrer aux opinions mondiales que les grands discours sur la démocratie et la justice ne sont pas des mots creux. »

Notes

[1] Dans Où atterrir ? Comment s’orienter en politique aux éditions La Découverte.

[2] Après avoir franchi le cap des 400 parties par million (ppm) en 2015, la concentration dans l’atmosphère de dioxyde de carbone a atteint 413,2 ppm en 2020.

Reprendre les bases (2)
Nicolas Goñi
www.enbata.info/articles/reprendre-les-bases-2

Les réponses à la pandémie dans la plupart des Etats occidentaux révèlent à quel point la perte du sens de l’interdépendance, alliée à la verticalité des injonctions, amènent à une déresponsabilisation générale dont les plus faibles paient le prix. De quoi en tirer quelques enseignements pour tout ce que nous avons à construire.

Suite à l’article du mois dernier sur la réponse globale à la pandémie, intéressons-nous à ce qui détermine l’inaction ou l’action face aux risques systémiques. Sachons tirer le meilleur parti du consensus scientifique et nous organiser depuis la base.

Les sources de l’inaction

On peut esquisser deux grands parallèles dans les obstacles auxquels ont fait face la prévention de la propagation d’un virus pandémique et la prévention du changement climatique:

– les rêves de technique qui va nous sauver la mise sans que nous ayons à changer d’un millimètre des modes de vie et de production non soutenables : pulvériser du soufre en haute atmosphère pour réfléchir vers l’espace le rayonnement solaire, stocker le CO2 dans la roche, construire tant et plus de centrales nucléaires ; faire reposer toute la réponse à la pandémie sur des vaccins (dont aucun pour l’instant ne donne d’immunité durable ni stérilisante) ou sur tel nouvel antiviral (qui comme les vaccins n’ira pas en priorité aux plus pauvres). Ces approches qui ne remettent pas en cause les inégalités actuelles participent de la sécession des riches.

– les paralogismes et sophismes “rassuristes” : on a connu Claude Allègre, Vincent Courtillot, feu Jacques Duran, Bjørn Lomborg et autres qui se sont évertués, à l’aide d’analyses trompeuses ou de données falsifiées, à minimiser l’ampleur voire nier l’existence même du changement climatique. Pour se donner à peu de frais une image de contrarien iconoclaste et vendre des livres, ou pour faire avancer l’agenda des lobbys des énergies fossiles, les implications concrètes de leurs discours étant qu’il n’y aurait aucune raison d’ordre climatique de modifier notre mode de production et nos modes de vie. Et, pour mieux asseoir leurs sophismes, prétendre que la raison était de leur côté, et que ceux (le GIEC et les militants climat) qui lancent l’alerte sur l’ampleur du danger étaient mûs par la peur, la déraison et le désir de restreindre les libertés. On n’entend plus aujourd’hui ces “rassuristes” climatiques (l’évolution du climat a eu malheureusement assez d’occasions de leur donner tort), mais ils ont énormément freiné la prise de conscience du danger et la mise en place d’actions sérieuses pour y faire face.

Sans surprise, depuis la pandémie, nous avons eu droit à la transposition de ces mêmes discours dans le domaine de la santé publique, avec les mêmes lobbys des énergies fossiles finançant les think-tanks qui prônent l’inaction.

 

 

Leviers d’action

Si le discours de l’inaction, ou celui de la foi absolue en la technique (qui d’une autre façon justifie également l’inaction) a gagné autant de terrain, c’est en grande partie faute de pouvoir imaginer des alternatives concrètes qui puissent être l’objet d’une prise en main collective par la base.

Une des raisons est un manque d’information générale sur les risques systémiques et les phénomènes multiplicatifs, que nos amatxi qui ont grandi dans un monde beaucoup moins sécure que le nôtre prenaient au sérieux et dont elles avaient une compréhension instinctive. Mais la raison majeure est à chercher du côté de la perte générale de lien : le monde de l’hyperconnexion est aussi celui de l’atomisation, de l’affaiblissement des réseaux de solidarité, laissant un grand vide qu’occupent les injonctions venues d’en haut.

C’est ainsi que les mesures visant à freiner les contagions ne se sont pas nommées préventions mais restrictions. Il y a énormément de choses en jeu dans l’usage de l’un ou l’autre terme, qui, répété dans les médias pendant plusieurs mois, affecte dans un sens ou dans l’autre la perception de la crise et la capacité collective à agir sur les événements.

Dans un monde de restrictions, une instance, située au-dessus de nous, nous ordonne de faire ou de ne plus faire, individuellement, tel ou tel geste et activité, sous peine de contravention ou de privation d’accès à tel lieu.

Avec un calendrier et des explications souvent confuses, parfois non-justifiées scientifiquement (le masque en extérieur), tandis que d’autres d’importance majeure (la ventilation), sont trop peu mises en avant. Chaque erreur commise dans la mise en place des restrictions alimente la déresponsabilisation et les sophismes de l’inaction.

À l’opposé, dans un monde de prévention solidaire, l’interdépendance est palpable, nous ne dédaignons aucune catégorie de personnes (précaires, âgés, “à risque”…), des liens se retissent à partir du sentiment de responsabilité vis-à-vis d’autrui, nous comprenons que prendre soin d’autrui est indirectement prendre soin de soi-même, et nous sommes en mesure de tirer le meilleur parti du consensus scientifique pour mettre en pratique, de façon collectivement autogérée, ce qui à la fois prévient le risque et évite de l’augmenter.

Enjeu global

Si cette pandémie est un événement majeur de notre époque, outre du fait de son lourd bilan en vies humaines (perdues ou durablement abîmées), c’est parce que la réponse apportée à ce problème systémique est un indicateur de notre capacité globale à répondre à des problèmes d’une ampleur et d’une complexité supérieures, comme le changement climatique.

Ajouter un problème supplémentaire à ceux auxquels nous devions déjà faire face – et réduire ce faisant notre capacité à y faire face –, ou bien faire en sorte que la résolution d’un problème global développe en nous les qualités nécessaires à la résolution de problèmes globaux d’une plus grande complexité.

C’est cela qui est en jeu aujourd’hui.

Energia berdea?
Iñaki Barcena
www.argia.eus/argia-astekaria/2772/energia-berdea

Zein da energiaren kolorea? Zergatik energia berde izendatzea? Hiztegiak dio energia dela sistema batek lan egiteko duen ahalmena, eta horrek ez omen du kolorerik. Baina guk jatorrizko iturriaren arabera, kolore bat jartzen diogu energiari. Beltza edo grisa esaten diogu baliabide fosiletatik (ikatza, petrolioa, gasa) lortzen denari. Hidrogeno arrosa da uraniotik eratortzen dena eta hidrogeno horia nahastutako iturrietatik (fosilak eta berriztagarriak) lortzen duguna. Eta berdea litzateke baliabide berriztagarrietatik datorrena. Ulertzekoa da publikoaren haserrea Europako Batasunak (EB) 2021an modu trantsitorioan gasa eta energia nuklearra berdetzat izendatu zituenean. Hau trikimailua!  

Paradoxa energetikoa. Frantziak ez dio energia nuklearrari uko egin nahi eta Alemaniak Errusiako gasaren dependentzia handiegia du. EBeko bi buru/motore nagusiek “berdetasun” hori inposatu dute trantsizio energetikoaren bidean arnasa hartzeko. Eta kea saltzeko ere bai! Paradoxa txundigarri horrek Europa bere energia-sistemaren ispilu lotsagarriaren aurrean jartzen du: klimaren mende alde batetik, eta petro-estatu autoritarioetatik ekarritako erregai fosilen dependentzian, bestetik. EB Errusiaren energia-bezero nagusia da oraindik; EBko gas naturalaren %46 eta petrolioaren %25 inguru Errusiako Federaziotik etorri zen 2021ean. Eta erretolika berdearen gainetik ez dugu ahaztu behar: EBk %25etik %40ra handitu ditu gasen inportazioak azken hamar urteetan.

« Ez soilik Europako gobernuak, korporazio energetikoak ere presaka ari dira
energia berdeen bila negozio energetikoa mantendu ahal izateko »

Energia nuklearraren alorrean Ekialdeko Europan ugaltzen ari diren proiektuak (Bulgarian eta Hungarian adibidez) eta uranioaren merkatu nuklearra Errusiaren kontrolpean daude. Ukrainaren inbasioaren ondotik zentral nuklearren inguruan bizi izandako tentsioek ez dute berri onik ekartzen; hots, nuklearra ezin da etorkizuneko energia iturria izan.

Orain presaka. Ez soilik Europako gobernuak, korporazio energetikoak ere presaka ari dira energia berdeen bila negozio energetikoa mantendu ahal izateko. Energiaren Nazioarteko Agentziaren ustez, 2025erako petrolioaren erauzketa %20ra jaitsiko da kasurik onenean, eta halakorik ez da ikusi II. Mundu Gerratik hona. Antonio Turielek dioenez, egungo energia trantsizio-ereduaren arazoa ondokoa da: energia bizia, energia berriztagarriak alegia, fosilizatu nahi dela; naturaren erritmoak jarraitzen dituen eta lurralde osoan barreiatuta dagoen energia, merkatu kapitalistaren erritmoak jarraituko dituen energia kontzentratuan bihurtu nahi dela. Eta bide horretan berdetasun bakarra dolarrena da.