Interdire les vols à moins de 4 heures en train, c’est ‘ possible ‘ et bon pour le climat
Rachida Boughriet, journaliste, rédactrice spécialisée
www.actu-environnement.com/ae/news/etude-reseau-action-climat-interdiction-vols-avion-alternatives-train-loi-climat-senat-37729.php4
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Une étude du RAC montre la faisabilité de faire passer à 4 h contre 2 h 30 le seuil d’interdiction des vols intérieurs, prévu dans le projet de loi climat, lorsqu’une alternative existe par train. À la clé : une réduction par trois des émissions carbone.
Le Réseau Action Climat (RAC) revient à la charge pour soutenir la proposition de la Convention citoyenne pour le climat (CCC) d‘interdire les vols aériens intérieurs, dès lors qu’une alternative ferroviaire existe en moins de quatre heures. Le projet de loi climat, en cours d’examen au Sénat, reprend cette mesure mais la limite aux trajets réalisables en moins de deux heures et demie. Le texte exclut les vols de correspondance vers des vols internationaux. Dans une étude publiée ce mercredi 16 juin, le RAC montre que la proposition de la CCC est « possible » à mettre en œuvre et « sans impact majeur sur l’offre de train et les usagers ».
La limite à 2 heures 30 aboutirait à la suppression de seulement cinq lignes aériennes : Paris-Bordeaux, Paris-Lyon, Paris-Nantes, Paris-Rennes et Lyon-Marseille. L’ONG cible 23 lignes qui pourraient être supprimées, pour lesquelles il existerait une alternative en train en moins de 4 h. Le RAC ajoute aussi dans son étude 14 lignes aériennes qui auraient une alternative en train en moins de 5 h. Son analyse porte également sur la ligne Paris-Nice « qui, avec Paris-Toulouse, est la liaison aérienne la plus empruntée et la plus émettrice de gaz à effet de serre à l’échelle métropolitaine ». Au total, l’étude du RAC a évalué la faisabilité technique du « report complet de la clientèle aérienne sur le train pour les 38 liaisons étudiées ».
Moins de 40 minutes de différence via le train
Résultats : l’alternative en train en moins de 4 h a la capacité d’absorber la demande du trafic aérien journalier pour 21 des 23 lignes concernées. Il n’y a que deux lignes pour lesquelles il faudrait améliorer l’offre ferroviaire : Paris-Biarritz et Lyon-Rennes. Par conséquent, « il suffirait de proposer des trains de plus grande capacité (type TGV Duplex double rames) pour absorber la clientèle aérienne », estime le RAC. En heure de pointe, le train serait aussi en capacité d’absorber le report des passagers aériens, « à créneaux horaires constants et avec des trains plus capacitaires pour la très grande majorité des lignes, ou avec l’engagement d’un train supplémentaire (cas de Paris – Marseille et Paris – Clermont Ferrand) ». La fermeture de ces 23 lignes aériennes « ne justifie donc aucun investissement supplémentaire sur le réseau », conclut l’ONG.
Sur ces liaisons, le temps de trajet total (porte à porte) est « moindre ou très proche » de celui de l’avion : moins de 40 minutes de différence, estime le RAC. Et le coût n’est « pas plus élevé ». L’ONG se réfère à l’étude de l’UFC-Que Choisir, parue en avril dernier, qui estime que les billets de train sont en moyenne 4 euros moins chers que ceux de l’avion sur ces lignes. La comparaison des tarifs établie par le RAC confirme ce résultat. « Les gains de confort et de temps de trajet « utile » sont également maximisés avec l’usage du train », met aussi en avant le RAC (sièges plus larges, accès à internet, etc.).
Un gain environnemental multiplié par trois
De même, la fermeture des lignes aériennes de 2 h 30 à 4 h permettrait de « multiplier par trois le bénéfice climatique de la mesure », calcule le RAC. L’ONG estime la réduction des émissions de CO2 issues des vols métropolitains à 33,2 %, contre 11,2 % (au seuil des 2 h 30). L’UFC-Que Choisir était aussi parvenu à une réduction par trois des émissions carbone, en augmentant de 2 h 30 à 4 h le seuil d’interdiction des vols intérieurs. Et en cas de fermeture de toutes les lignes intérieures, pour lesquelles il existe une alternative en train en moins de 5 h, la réduction des émissions serait également portée à 60,6 %, ajoute le RAC.
Adapter l’offre ferroviaire en heure de pointe pour les trajets de plus de 4 h
Pour les liaisons ferroviaires de plus de 4 h, le train demeure en mesure d’absorber « l’ensemble des voyageurs aériens journaliers sous réserve d’un léger renforcement de l’offre sur la ligne Paris-Toulouse », indique le RAC. C’est également le cas pour la ligne Paris-Nice (« un train supplémentaire par sens et par jour sur chacune des deux lignes »).
En revanche, le temps de parcours plus élevé de ces liaisons nécessite une adaptation de l’offre en heure de pointe. L’ONG préconise donc l’ajout de créneaux horaires très tôt le matin, le développement de trains de nuit, ou encore l’amélioration ponctuelle de la performance du réseau.
Le RAC appelle les sénateurs, qui examinent en séance publique le projet de loi climat, à prendre en compte les résultats de son étude. En commission, les sénateurs ont néanmoins maintenu l’interdiction des lignes aériennes concernées quand une alternative en train existe en moins de 2 h 30. Ils ont par contre approuvé une baisse de la TVA sur les billets de train de 10 % à 5,5 % « pour encourager le report modal ».
Décrocheurs de portrait en cassation : a-t-on le droit de désobéir à la loi ?
Alternatiba : changeons le système, pas le climat !
https://blogs.mediapart.fr/alternatiba/blog/220621/decrocheurs-de-portrait-en-cassation-t-le-droit-de-desobeir-la-loi
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État de nécessité, liberté d’expression : en deux ans de procès, les décrocheur·ses du portrait de Macron ont obtenu six relaxes. Ces actions de désobéissance civile ont fait entrer l’urgence climatique dans le débat jusqu’au sein de la magistrature. La Cour de cassation devra statuer sur leur légitimité ce mercredi 23 juin.
Ce mercredi 23 juin, le sort de Fanny, Eric, Anne-Sophie, Thomas et douze autres personnes passe entre les mains de la Cour de cassation.
Le sommet de l’ordre judiciaire français va se pencher sur les jugements de ces citoyen·nes de tous âges et de tous horizons, qui ont en commun d’avoir, en 2019, pénétré dans une mairie avec un gilet d’Action non-violente COP21, d’avoir décroché le portrait présidentiel d’Emmanuel Macron du mur, et d’être ressorti·es avec.
Décrochons Macron : révéler l’inaction
Retour en 2019. Après les quatre premiers décrochages du 21 février, cette action symbolique est reproduite dans plus de 150 mairies de tout le pays, par plus de 1100 personnes. Chacune d’entre elles, malgré la diversité de profils, de situations familiales et professionnelles, choisit alors de prendre un risque juridique pour faire passer un message : « Climat, justice sociale : le président Macron n’est pas à la hauteur ».
Alors que le recours de l’Affaire du Siècle vient de recueillir plus de 2 millions de signatures de soutien, que les Gilets jaunes se mobilisent pour une société plus juste et plus démocratique, que les premières grèves des jeunes pour le climat se préparent en France, la réponse du gouvernement est d’un cynisme absolu. « Nous faisons ce qu’il faut, et nous ne changerons pas », disent en substance les membres de la majorité présidentielle, en nous menant gaiement dans le mur.
Face au dérèglement climatique, à l’aggravation des inégalités, à l’effondrement de la biodiversité, qui nous imposent de transformer radicalement notre modèle de société dans les plus brefs délais, la majorité présidentielle se contente de beaux discours. « Make the planet great again », a dit le “champion de la Terre”, et il faudrait s’en contenter.
C’est pour dénoncer cette hypocrisie insupportable et dangereuse que les décrocheurs et décrocheuses passent à l’action. Pour créer un électrochoc, pour ne plus laisser l’exécutif endormir l’opinion en dissimulant la réalité de son inaction.
Rendre visibles les terrains de lutte
Alors, les portraits présidentiels sont décrochés les uns après les autres ; ils sont sortis lors de marches climat à Perpignan ou à Saint-Etienne, lors de rassemblements de Gilets jaunes à Saint-Nazaire ou à Sallanches, lors de manifestations du 1er mai au Mans ou à Bayonne ; ils sont utilisés de manière pédagogique pour dénoncer des grands projets inutiles et imposés comme le grand contournement ouest (GCO) de Strasbourg ou un pont autoroutier dans une zone naturelle à Mardié, près d’Orléans, pour dénoncer un projet de raffinerie d’huile de palme à la Mède ou la privatisation des barrages à Grenoble et à Nevers ; ils sont apportés en soutien aux ouvrier·es en lutte contre les licenciements de Ford près de Bordeaux ou aux grévistes des urgences à Auch… La vague de décrochages et de sorties de portrait dans un grand nombre de territoires relie alors ces luttes locales autour de la nécessité d’un changement systémique. Le portrait présidentiel décroché devient un véritable symbole de cette conscience citoyenne.
Pendant le G7 au Pays basque en août 2019, les portraits présidentiels sont brandis tête en bas lors de la “Marche des portraits”, parmi un millier de personnes, en pleine zone interdite aux rassemblements. L’événement est l’occasion de révéler à la presse du monde entier que, derrière la façade du leader international qui critique Bolsonaro, il y a un pompier pyromane qui ne met pas son propre pays sur la trajectoire décidée lors de l’Accord de Paris. Ce message est repris par la presse internationale et nationale dans plus de 300 articles traitant de cette Marche des portraits.
Par la suite, les portraits sont régulièrement utilisés afin d’illustrer un message politique : 100 d’un coup en décembre 2019 face à la tour Eiffel, pour rappeler les engagements non tenus de la COP21 ; portés par des membres de la société civile aux abords de l’Élysée en mars 2020, pour dresser le vrai bilan de la majorité macroniste à la veille des élections municipales.
Durant les deux années qui suivent, le dérèglement climatique continue de s’aggraver, les alertes des scientifiques se multiplient.
Chaque institution qui se penche sur le sujet du climat confirme le message véhiculé par les décrochages de portrait : l’urgence climatique est réelle, et les mesures prises par la France sont dramatiquement insuffisantes pour y faire face.
C’est ce que dit le Haut Conseil pour le climat, instance créée par Emmanuel Macron lui-même. C’est ce que dit le Tribunal administratif de Paris, qui reconnaît l’État responsable de manquements dans la lutte contre le réchauffement climatique. C’est ce que disent les citoyen·nes de la Convention citoyenne pour le climat quand ils voient la majorité présidentielle saboter leurs travaux pour en faire une misérable loi climat, reniant au passage ses propres engagements. Et c’est ce qu’expérimentent durement les habitant·es des vallées des Alpes-Maritimes ou de l’Aude, frappées par de violentes inondations, ou encore d’Anglet, évacué·es de leurs maisons à la suite d’un feu de forêt en juillet 2020.
De la bataille judiciaire au débat de société
Pendant ce temps, des moyens démesurés sont mis en œuvre pour réprimer les décrocheurs et décrocheuses : 86 perquisitions, 242 personnes auditionnées, 1467 heures de garde à vue cumulées… et des procès pour 83 personnes, pour « vol en réunion » et parfois « refus de se soumettre à un prélèvement d’ADN ». Pour le pouvoir en place, l’urgence est d’étouffer la contestation. L’urgence climatique, elle, peut attendre. Lors du premier procès, à Bourg-en-Bresse, Nicolas, premier prévenu interrogé, explique que le portrait sera rendu dès que la France respectera ses engagements. Le juge lâche « ah oui, ça peut être lointain… ». Le tribunal condamne finalement cinq prévenu·es à 500 euros avec sursis et le sixième à 250 euros fermes. Pas assez pour le procureur, qui avait requis 2 000 euros fermes : il fait appel. Les procès s’enchaînent dans tout le pays. Les décrocheur·ses, qui pour la plupart se retrouvent pour la première fois dans un tribunal, incarnent le message de l’urgence climatique, avec pour chacun·e un vécu qui lui est propre et qui rend son témoignage touchant. Les soutiens affluent, en ligne et devant les palais de justice. À l’intérieur, des climatologues, des élu·es et des membres de la société civile confirment l’urgence climatique, ses effets réels, ainsi que le blocage de tout changement systémique par le gouvernement. Dans chaque territoire, la presse locale se montre très intéressée par les décrochages et les procès qui s’ensuivent, en témoignent les centaines d’articles parus dans la presse quotidienne régionale. L’acte de désobéissance a réussi à ouvrir un espace d’attention et de débat pour l’urgence climatique.
Relaxe de Lyon : la première brèche
Le 16 septembre 2019, le coup de tonnerre vient du tribunal correctionnel de Lyon, qui relaxe Fanny et Pierre au nom de l’état de nécessité. Les décrocheur·ses et leur message sont projetés d’un coup au centre d’un tourbillon médiatique : l’urgence climatique fait de nouveau la une de l’actualité, et la question de la responsabilité des dirigeants politiques est posée d’une manière nouvelle, au regard de cet engagement citoyen inédit et soudainement légitimé par la justice. Dans tous les médias, les éditorialistes, les femmes et hommes politiques doivent se positionner sur le sujet. Le Parquet fait appel, bien sûr. Dans les mois qui suivent, les autres procès se concluent par des condamnations à des amendes de quelques centaines d’euros, le plus souvent avec sursis.Et puis, à l’automne 2020, advient une succession de décisions favorables : au nom de la liberté d’expression ou de l’état de nécessité, des relaxes sont prononcées à Auch, à Strasbourg et à Valence, ainsi qu’une dispense de peine à Montpellier. Au printemps 2021, deux autres relaxes, à Amiens et à Bordeaux ! On ne peut plus considérer une décision clémente comme étant l’acte isolé d’un juge « politisé ». Le débat de société s’est installé partout, y compris dans le milieu de la magistrature.
Au cœur des débats juridiques
Dans la plupart des audiences, les militant·es sont écouté·es avec sérieux par les juges et questionné·es en détail sur leurs motivations. Le caractère politique de l’action est généralement reconnu, tout comme l’absence de profit personnel tiré par la réquisition du portrait. Mais d’un côté, les procureur·es cherchent à caractériser le vol en occultant la finalité de l’acte. De l’autre, les avocat·es plaident l’état de nécessité et la liberté d’expression, en démontrant la proportionnalité de cette action non-violente au regard de la catastrophe climatique. Entre les deux, les juges sont dans l’embarras. La diversité des jugements rendus en atteste. Si certain·es juges suivent la réquisition du Parquet sans se préoccuper du sens de l’action, d’autres prennent en compte l’objectif des militant·es dans leur décision, comme au tribunal correctionnel de Valence : « l’action des prévenues ne visait évidemment pas à dépouiller la mairie de La-Roche-de-Glun du portrait du Président de la République, mais à alerter l’opinion publique […] Elle s’inscrit donc, non pas dans une démarche délinquante, mais dans un processus démocratique de revendications politiques ».
Vers un état de nécessité climatique ?
C’est un début de reconnaissance de la légitimité de l’action ; mais pour justifier une relaxe, il faut poursuivre la démonstration. Deux voies juridiques s’offrent à nous : l’état de nécessité et la liberté d’expression. L’état de nécessité est défini par l’article 122-7 du Code pénal. Il écarte la responsabilité pénale d’une personne si les trois conditions suivantes sont réunies : elle a agi pour se protéger, elle ou autrui, d’un danger imminent, elle a utilisé des moyens proportionnés et l’acte s’avérait nécessaire. Concernant la réalité de la menace climatique pour l’humanité entière, elle n’est pas discutée par les magistrats ; seule son imminence est parfois contestée. En revanche, le caractère nécessaire de la réquisition du portrait fait davantage débat. À la barre, les décrocheur·ses défendent qu’ils ont déjà tout tenté dans le domaine légal : voter, manifester, signer des pétitions, faire des recours en justice… et que cela n’est pas suffisant pour que le gouvernement prenne les mesures qu’il faut.
À Lyon et à Valence, les juges se sont appuyé·es sur l’état de nécessité pour relaxer les décrocheur·ses. C’est un signal fort, montrant que le contexte de l’urgence climatique, extraordinaire et inédit, nous impose de revoir collectivement nos critères de “nécessité”. Plusieurs avocat·es ont plaidé pour innover vers un “état de nécessité écologique” ou climatique ; c’est aussi l’objet de nombreux travaux de recherche universitaire s’appuyant sur les procès des décrocheur·ses et sur les relaxes d’activistes climat en Suisse pour d’autres actions de désobéissance civile.
Une contribution à un débat d’intérêt général ?
Les décrochages de portraits de Macron dans les mairies ont également été reconnus par plusieurs juges comme un moyen d’exprimer et de diffuser un message politique, relevant ainsi de la liberté d’expression. Cette dernière, si elle est un grand principe démocratique, vient, dans le cas des décrocheur·ses, se heurter au droit de propriété, lui aussi protégé par la Constitution. La question est particulièrement complexe pour les juges, qui doivent choisir entre deux droits fondamentaux qui s’opposent.
Là aussi, certains juges se contentent de suivre les réquisitoires terre-à-terre des procureurs privilégiant la défense du droit de propriété. D’autres se réfèrent au contrôle de proportionnalité dans l’exercice de la liberté d’expression (article 10 § 2 de la Convention européenne des droits de l’homme) et comparent les fins et les moyens.
Le tribunal de Valence reconnaît ainsi d’une part « qu’il n’est pas contestable que leur revendication porte sur un problème écologique majeur, urgent et essentiel à la survie de l’humanité. », et d’autre part « que leur acte a été réalisé sans violences, ni pressions, ni menaces et a porté sur un bien dont la portée symbolique est majeure, mais dont la valeur économique est dérisoire ». La juge estime qu’il y aurait disproportion à condamner une action de vol faite sans violence, dont le but est d’alerter sur la gravité de l’inaction climatique. Elle prononce la relaxe le 13 novembre 2020.
Un mois plus tôt, le tribunal d’Auch avait insisté sur l’apport au débat d’intérêt général pour justifier la relaxe de 5 décrocheur·ses : « Le comportement des prévenus visant à s’approprier le portrait du président de la République dans les mairies concernées s’inscrit dans le débat d’intérêt général visant à alerter les pouvoirs publics et à informer la population des conséquences des engagements pris par les autorités publiques en matière environnementales au vu de l’urgence climatique ».
Ces décisions ne semblent pas appréciées en haut lieu : après chacune des six relaxes sur le fond obtenues par les décrocheur·ses, le Parquet a fait appel. De leur côté, les activistes font appel le plus souvent quand les peines semblent disproportionnées, notamment avec des amendes fermes. Quatre cours d’appel ont déjà jugé, et condamné, des décrocheur·ses de portrait, qui n’ont pas souhaité en rester là. C’est ainsi que, ce mercredi 23 juin 2021, la Cour de cassation devra statuer sur le cas de 16 décrocheurs et décrocheuses de Villefranche-sur-Saône, de Bordeaux et de Lyon. L’enjeu est de taille : il s’agit de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire français. La décision qu’elle prendra donnera des indications sur la façon dont on peut interpréter les textes de loi et influencera l‘issue des prochains jugements.
Désobéir et assumer
Dans l’attente de cette audience à la Cour de cassation, les débats juridiques sur la légitimité de la désobéissance civile battent leur plein. En assistant aux audiences ou en lisant les motivations des jugements, il est évident que les débats vont au-delà du cas particulier des décrochages et qu’ils touchent à la légitimité même de la désobéissance civile.
Au fond, ces préoccupations sont précisément celles que décrit Jean-Marie Muller dans son Dictionnaire de la non-violence (1) : « N’est-il pas dangereux de laisser à chaque citoyen l’appréciation de la légitimité des lois ? Permettre à chacun la liberté d’agir à sa guise, n’est-ce pas instituer le désordre dans toute la société ? Ne va-t-il pas suffire qu’une loi déplaise à un individu pour qu’il revendique le droit de lui désobéir ? » Et de répondre :
« À toutes ces interrogations, on ne peut répondre autrement qu’en affirmant que le citoyen doit assumer l’entière responsabilité de ses décisions et de ses actes. » C’est dans le sillage de cette réflexion que nous nous inscrivons : toutes les actions d’ANV-COP21 sont faites à visage découvert, de manière non-violente et publique. Ces éléments font partie de notre consensus d’action, ils sont expliqués dans nos formations et sont rappelés avant chaque action.
Lors du procès qui s’est tenu à Valence le 13 novembre 2020, Léa, Anne-Marie et Lucie assument leur acte, comme l’atteste le jugement : « À l’audience, toutes les trois reconnaissaient leur implication dans ces faits et exposaient les raisons de leur acte, inspirées par la crainte de l’urgence climatique et de l’insuffisance des solutions apportées à la dégradation de l’état de la planète ». Les risques pris par les décrocheurs sont grands : le vol en réunion est passible de peines de 75 000 euros d’amendes et de 5 ans de prison.
Et sans même parler de la condamnation possible, l’impact sur les vies quotidiennes est réel et s’étend sur des mois, voire des années : aller en garde à vue et passer des heures seul·e dans la cellule d’un commissariat, voir son domicile perquisitionné et ses affaires fouillées, avoir son ADN fiché ou faire face à des poursuites supplémentaires, vivre dans l’attente d’un procès dont on ignore le dénouement, devoir expliquer à sa famille, à ses proches ou à ses collègues le geste et l’engagement politique qui l’accompagne et les rassurer. Des risques dissuasifs, qui garantissent que les actions ne sont pas effectuées à la légère.
Des risques pris au nom de l’intérêt général et assumés par chacun·e : les décrocheurs et décrocheuses sont prêt·es à faire passer l’intérêt collectif avant leur confort personnel tant la cause défendue est vitale. Leurs témoignages en sont la démonstration.
Un mode d’action légitime et nécessaire
Les actions de désobéissance civile ne se placent pas dans une démarche de contestation de l’État de droit : il s’agit de révéler l’injustice des lois en vigueur et d’en promouvoir de nouvelles qui permettent de réparer l’injustice.
À celles et ceux qui voient la désobéissance civile comme un danger pour la démocratie, nous répondons qu’elle est non seulement légitime mais aussi nécessaire pour préserver nos libertés et la protection de l’humanité. Le traitement juridique de la désobéissance civile est essentiel pour la démocratie car il met à l’épreuve les grands principes démocratiques que sont la séparation des pouvoirs, notamment du juridique et de l’exécutif. Les décisions de plusieurs juges d’acquitter les décrocheurs montrent que la justice est capable de s’opposer au gouvernement lorsqu’il va à l’encontre de l’intérêt général et ne tient pas sa responsabilité politique à agir face à l’urgence climatique.
Les réactions virulentes du gouvernement suscitées par ces décisions juridiques montrent l’efficacité de la désobéissance civile. Après les tweets outrés de ministres lors des actions de décrochage, la première relaxe avait aussi désarçonné certains responsables politiques. On a récemment appris que Jean-Pierre Pont, député de la République en Marche, avait réclamé une enquête disciplinaire contre « les intolérables manquements du tribunal correctionnel de Lyon ». Les services du garde des Sceaux ont finalement conclu ce 8 juin 2021 qu’aucune faute déontologique grave n’avait été commise par le juge. La réaction disproportionnée de l’exécutif n’est qu’un exemple du bafouement des principes démocratiques et de la répression étatique réservée aux militants écologistes.
Quand un dialogue constructif n’est plus possible, que le gouvernement continue de prendre des décisions qui aggravent le dérèglement climatique, la désobéissance civile permet d’instaurer un rapport de force qui contraint le pouvoir à renouer le dialogue. Ainsi, quand elle est faite au nom de l’intérêt général et exercée de manière collective, elle peut être considérée comme un moyen d’action légitime pour les citoyen·nes. Il est du droit et du devoir de tou·tes de se saisir de leviers d’action pour s’exprimer et préserver notre démocratie. C’est en ce sens que les juges ayant relaxé les décrocheur·ses ont justifié leur action. À Lyon, le 16 septembre 2019 : « Face au défaut du respect par l’État d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ».
La désobéissance civile à l’épreuve du recul des libertés
Une décision favorable de la Cour de cassation aurait une portée qui dépasserait les décrochages de portraits. Alors que l’espace démocratique se resserre, que la dérive autoritaire passe de nouveaux seuils, confirmer la légitimité de la désobéissance civile serait une réelle avancée pour les mouvements sociaux et, plus globalement, pour la société.
Depuis plusieurs années, faire entendre sa voix dans le débat public est de plus en plus difficile. Les manifestations sont régulièrement interdites ou réprimées par des forces de l’ordre plus agressives et plus armées.
Des lois plus contraignantes sont votées, donnant plus de pouvoir aux forces de l’ordre et renforçant les mesures de surveillance. Les décrocheurs et décrocheuses de portraits l’ont aussi vécu, tout un arsenal de répression a été déployé : des gardes à vue, des perquisitions, du fichage ADN et des procès par dizaines ; la saisie du bureau de lutte anti-terroriste ; l’enquête contre le juge qui a osé prononcer la première relaxe.
Pourtant la répression ne peut nous faire plier : notre cause est juste, nos moyens sont légitimes, nos actions font bouger les lignes.
Dans les tribunaux et dans le milieu juridique, les décrochages de portraits ont soulevé de nouvelles questions sur l’interprétation du droit à l’heure du dérèglement climatique et font progresser les débats. Dans différents secteurs de la société, notamment dans le milieu scientifique, de nouvelles personnes prennent publiquement position, voire participent aux actions désobéissantes.
La campagne Décrochons Macron est un exemple. Elle rappelle la pertinence et l’efficacité de la désobéissance civile. Elle montre que cette stratégie tient ses promesses : alors que les possibilités d’expression démocratique rétrécissent, nos actions portent leurs fruits et pourraient même ouvrir de nouveaux espaces pour faire entendre nos voix !
À nous de continuer à en tirer le meilleur pour stopper l’aggravation du dérèglement climatique et avancer vers un monde plus soutenable, plus juste et plus solidaire.
(1) Le Dictionnaire de la non-violence, p. 102, Jean-Marie Muller, Le Relié, 2014
André Gorz, cet écolo socialiste qui voulait libérer le temps
Entretien avec Françoise Gollain, docteure en sociologie et retraitée de l’enseignement supérieur qui vient de publier André Gorz & l’écosocialisme (2021, éd. Le Passager clandestin)
https://reporterre.net/Andre-Gorz-cet-ecolo-socialiste-qui-voulait-liberer-le-temps
Article
Françoise Gollain ravive la brillante actualité de la pensée d’André Gorz pour une société écosocialiste. Aux impasses de la gauche réformiste et productiviste, elle rappelle que la baisse radicale du temps de travail et le revenu universel défendus par le penseur sont « des instruments vers l’expansion de l’autonomie » face au capitalisme.
Reporterre — Vous avez bien connu André Gorz ?
Françoise Gollain — Oui, c’était un ami. À 19 ans, j’ai d’abord découvert le journaliste : ses articles étaient les premiers sur lesquels je sautais dans Le Nouvel Observateur [1] — ils sont peu nombreux encore aujourd’hui à développer des idées aussi radicales ! Et puis je l’ai rencontré quand je finissais ma thèse publiée en 2000 sous le titre Une critique du travail. Entre écologie et socialisme. Je n’étais pas encore diplômée, mais il m’a prise au sérieux tout de suite.
Gorz ne raisonnait vraiment pas en matière de réussite matérielle ni de statut social. Lui-même n’était pas un philosophe officiel, d’ailleurs : il n’avait qu’un diplôme d’ingénieur chimiste, et était simplement disciple et ami de Sartre. Son activité intellectuelle, qu’il a menée assez fébrilement durant une cinquantaine d’années, provenait d’un intérêt sincère pour la manière dont les gens vivent. Ce qui l’intéressait, c’était d’élaborer une philosophie qui favorise l’accomplissement, par chacun, de sa propre liberté : contre l’impératif de profit, et contre l’État si nécessaire. L’écologie de Gorz est fondamentalement humaniste.
En 1972, il a été le premier à appeler à la « décroissance ». Dans quel contexte, et pourquoi ?
1972 est l’année durant laquelle a émergé une conscience écologique mondiale, avec plusieurs publications : le rapport Meadows, commandé par le Club de Rome, dont le titre français était « Halte à la croissance ». Et, moins connue du grand public, la lettre ouverte au président de la Commission européenne, de Sicco Mansholt, un homme d’État néerlandais qui remettait en cause l’orientation vers la croissance de ladite Commission.
En avril de la même année, Gorz a publié dans Le Nouvel Obs un article en défense de ces deux textes, particulièrement contre des critiques acerbes du journal l’Humanité. Pour lui, ces publications montraient que le capitalisme, qui exige le rendement et la croissance pour garantir des profits, n’est tout simplement pas compatible avec la survie de l’humanité. Conclusion : il faut engager l’économie dans une logique de décroissance.
Malgré les avertissements des scientifiques et les alertes, qui donnent raison à André Gorz sur la nécessité de réduire la consommation énergétique, le terme de « décroissance » reste marginal. Europe Écologie – Les Verts, par exemple, parle sur son site de « post-croissance ». Quelle en est la raison à votre avis ?
Je pense que ce mot de « décroissance » reste choquant dans un contexte qui continue à considérer que la croissance est la seule manière de satisfaire les besoins. Or Gorz a montré très tôt — dès 1964, dans Stratégie ouvrière et néo-capitalisme — que c’est plutôt l’inverse : c’est la croissance qui se nourrit des inégalités et de la frustration, en suscitant un désir infini de consommation. Et puis on ne nous propose que la décroissance subie. Les gens la perçoivent donc comme une « condamnation à la médiocrité sans espoir », selon les termes de Gorz.
« Mieux, ce peut être moins », écrivait-il…
Oui, Gorz a montré comment une « décroissance productive », par opposition à la « croissance destructive » actuelle, pouvait à la fois enrichir la vie et préserver la planète. Œuvrer à la création d’une société post-capitaliste, c’est faire le choix de vivre mieux avec moins, en travaillant et en consommant moins, mais en s’impliquant davantage socialement. La base, c’est que l’objectif ne doit plus être la production maximale. Cela constitue un projet politique de démocratie économique, qui implique une redéfinition collective et souveraine de nos besoins : que produisons-nous, comment, à quel prix — en termes de travail humain, de peine, mais aussi d’environnement ? À partir de 1980, pour accompagner cette redéfinition des besoins, il a proposé une diminution planifiée du temps de travail, avec l’octroi d’un « revenu universel » découplé du temps de travail. Le but : libérer un temps croissant pour la poursuite d’activités qu’il appelle « autodéterminées » : donc hors-marché, individuelles, mais aussi coopératives. Un moyen de développer la sphère de l’autonomie, c’est-à-dire de favoriser la prise en main, par chacun, de sa propre vie, et l’implication dans la collectivité. C’est cette société, dégagée des impératifs de l’accumulation et du gaspillage, et dans laquelle le salariat aurait perdu sa centralité, qu’il appelait écosocialiste.
Cette libération du temps de travail devait, selon lui, s’accompagner d’une politique de l’expérimentation sociale. Qu’entendait-il par là ?
Gorz n’a jamais défendu le revenu universel en soi. Dans « De l’aptitude au temps libre », il écrit que le temps libéré sera celui de la consommation, de l’ennui ou de la frustration s’il n’y a pas une diversité de politiques pour accompagner sa mise en œuvre. C’est une dimension que ne mettent pas suffisamment en avant, je pense, les gens qui aujourd’hui font campagne pour la garantie du revenu.
Au-delà de la nécessité d’un changement d’imaginaire, pour parler comme Serge Latouche, il s’agissait pour lui de donner aux gens les moyens concrets de mettre en œuvre leur autonomie : du temps, donc, mais aussi de l’espace. Il avait été très frappé, lors des trois voyages qu’il fit aux États-Unis de 1969 à 1971, par l’organisation coopérative qu’il avait pu observer au sein de la contre-culture — qu’il s’agisse des gardes d’enfants, de l’alimentation, de l’énergie. Sur ce modèle, il suggère notamment une autre politique de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme, qui encourage, au niveau le plus micro possible, la mutualisation dans tous les domaines : avec, par exemple, des bibliothèques d’outils pour favoriser, grâce à l’emprunt de ces derniers à très bas coût, la réparation des objets et la fabrication du superflu, selon les goûts et les désirs de chacun.
Pour Gorz, la « décroissance productive » doit s’accompagner d’une transformation culturelle. Le capitalisme, écrivait-il, a institué « le travail en tant qu’activité purement fonctionnelle, séparée de la vie, amputée de sa dimension culturelle et coupée du tissu des rapports humains ». Il s’agit de restaurer ces liens entre l’activité, la vie et la culture.
Gorz liait-il le revenu universel à l’obligation de ne pas dépasser un certain quota d’heures de travail ?
La question pour lui, c’est plutôt de ne pas être obligé d’effectuer sur une vie entière plus de dix à quinze ans en équivalent temps plein ! Au départ, il s’agissait de dissocier le montant du revenu de la durée du travail fourni individuellement. Puis, vers 1995, Gorz s’est aperçu que cette formule n’était déjà plus pertinente, avec la montée de la précarité et de l’extrême discontinuité de l’emploi (et donc du revenu) pour beaucoup. Il proposa alors de dissocier le revenu de l’emploi lui-même.
Comment imaginait-il d’inscrire l’autolimitation énergétique dans la société ?
En mutualisant le plus possible les fonctions essentielles, et en sollicitant l’imagination collective. À ce propos, il s’est très tôt intéressé à l’habitat partagé, un antidote à ses yeux aux cages à lapins où le couple familial est délié des autres habitants. Il proposait d’y créer des salles de télévision, des buanderies, des jardins, des ateliers de bricolage communs, etc., pour engendrer une autre socialité et une réduction de la consommation.
Finalement, son but n’était-il pas de redonner chair au désir d’émancipation des travailleurs ?
Si, parce que Gorz était fondamentalement marxiste. Pour lui, la révélation de la menace que fait peser le capitalisme sur les ressources naturelles était d’abord une possibilité nouvelle de motiver sa subversion — et cela dès « Pour un bon usage du Mansholt », un texte de 1972 [2].
C’est une des dimensions de la singularité de sa perspective décroissante, l’articulation entre une critique écologique radicale et un socialisme associatif, qui renouerait avec l’aspiration initiale des mouvements ouvriers d’un contrôle sur la production et la consommation.
Il était par ailleurs très critique envers l’imaginaire de la gauche officielle…
Gorz s’intéressait au Marx passionné par le développement des individualités, pas à ses textes marqués par le productivisme. Il ne croyait pas au credo marxiste de l’émancipation par le travail et, très tôt, a dénoncé cette vision d’un prolétariat comme classe révolutionnaire prédestinée. Il pensait que c’était les gens réels qui devaient vouloir leur émancipation, et en créer les modalités.
Dans un de ses derniers textes, il regrette « la complicité structurelle entre le travailleur et le capitalisme », favorisée par les syndicats qui demandent le partage du gâteau sans remettre en question son augmentation par la croissance.
Quelle part Gorz donne-t-il à l’État dans le processus de rationalisation des besoins et de libération du temps ?
Au départ, il pensait qu’une réduction massive du temps de travail ne peut être réalisée qu’au moyen d’une planification étatique. Mais en considérant que ce processus de démarchandisation de l’existence doit se fonder sur une société civile active, qui tarabuste l’État.
À partir de 1997, il a proposé une version plus radicale encore de l’écosocialisme : une reconnexion entre production et consommation. C’est le moment où il se disait proche du municipalisme libertaire de Murray Bookchin. Il imagina alors une gestion coopérative et décentralisée de la production, donc sa relocalisation, grâce à un usage subversif du numérique — logiciels libres, fablabs, hackers…
Aujourd’hui, dans un contexte néolibéral où l’État perd sa fonction régulatrice, comment la population pourrait-elle envisager une réorientation de la production ?
Il faut qu’elle redevienne très active. Gorz écrivait dans une période où il y avait des mouvements importants dans la société civile — c’était l’après-68 —, et il comptait beaucoup sur les résistances au travail, les mouvances écologiques, mais aussi féministes, qui questionnaient l’idéologie du travail, le rapport à la nature, le productivisme et l’hyperconsommation, pour contraindre les instances régulatrices, étatiques en particulier, à une réorientation.
On peut avoir des doutes là-dessus aujourd’hui. En même temps, on est peut-être dans un creux de l’Histoire, un creux de la vague, mais ça ne veut pas dire qu’on n’aura pas une autre vague à un moment donné. Gorz pensait comme Sartre qu’il y a chez tout individu, même dans une situation très contrainte, une aptitude foncière à la liberté. Il avait vu beaucoup de mouvements de grève pour « changer la vie », c’est ce qui le rendait optimiste.
Pour la présidentielle de 2022, La France insoumise annonce vouloir « aller vers les 32 heures et la semaine de quatre jours ». EELV, en l’occurrence la maire de Poitiers Léonore Moncond’huy, soutient que la libération du temps de travail doit s’inscrire dans « une politique sociale de vacances, d’accès aux loisirs pour toutes et tous »… Qu’aurait pensé Gorz de ces approches de la libération du temps de travail ?
Pour Gorz, les deux mesures, la réduction du temps de travail et, plus fortement à partir de 1997, le revenu inconditionnel d’existence, ne sont que des « instruments » vers l’expansion de l’autonomie. Il ne s’agit absolument pas pour lui de favoriser la société des loisirs. Parce que le temps du loisir, ça peut n’être qu’un temps de la consommation marchande. Il ne contrevient pas au fonctionnement de la société capitaliste, qui nous modèle en tant que travailleurs-consommateurs : on gagne avec son travail les moyens de consommer pendant son temps libre. Mais c’est un « temps libre », pas un « temps libéré ».
Personnellement, je suis contente que La France insoumise propose une mesure de réduction du temps de travail. Chez Gorz, on est néanmoins dans un projet beaucoup plus large, même s’il paraît utopique. Mais il acceptait le terme d’« utopie », car l’utopie est ce qui permet de regarder la réalité présente et de l’interroger de manière radicale.
André Gorz et l’écosocialisme de Françoise Gollin, aux éditions Le passager clandestin, janvier 2021, 128 p., 10 €.
Zer lege behar dugu Nafarroan Klima Aldaketari eta Trantsizio Energetikoari buruz?
Nafarroa Bizirik Nahi dugu
www.argia.eus/albistea/zer-lege-behar-dugu-nafarroan-klima-aldaketari-eta-trantsizio-energetikoari-buruz
Article
Nafarroako Parlamentuan egindako 2020ko Erkidegoko Egoerari buruzko azken eztabaidan, ebazpen bat onartu zen Klima Aldaketari eta Trantsizio Energetikoari buruzko Legearen izapidetzea premiatzeko.
Berebiziko eragina izango duen legea da: nola egingo diogu aurre klima-aldaketari? Nola ordeztuko da erregai fosilen erabilera? Nola egokitu beharko lirateke sistema ekonomikoa, sanitarioa, gure mugikortasuna, dauzkagun azpiegiturak, aurkituko ditugun arriskuen aurrean?
Gure bizitzetan hainbesteko garrantzia eta eragina duten gai hauen aurrean, Nafarroa Bizirik osatzen dugun ingurumen-, gizarte- eta sindikatu-erakundeok gogoeta kritiko batzuk azaldu nahi ditugu planteatutako aurreproiektuaren inguruan.
Lege bat presio politiko eta enpresarialen menpean. Beharrezkoa den lege-proposamen baten aurrean gaude, aspaldi eztabaidatu behar zena. Baina gure kezka adierazi behar dugu eztabaida, onarpena eta erregelamendu-garapena gertatuko diren testuinguruagatik. Berdearen mozorropean, azpiegitura handiak mantentzen eta ugaltzen ari dira (AHT, Esako urtegia, Nafarroako ubidea, eguzki industrialdeak eta eolikoak, hondakinak tratatzeko megainstalazioak, Castejongo zentralak, meatzaritza estraktibista, hidrogenoa ekoizteko energia-premia handia eta 5G garatzea). Eta horrekin batera, enegarrenez, multinazionalen erasoa jasaten ari gara, orain Berreraikuntzarako Europako Funtsen bila.
« Beharrezkoa den lege-proposamen baten aurrean gaude, aspaldi eztabaidatu behar zena. Baina gure kezka adierazi behar dugu eztabaida, onarpena eta erregelamendu-garapena gertatuko diren testuinguruagatik »
Klimaren eta energiaren arazo nagusia gizarte kapitalista da. Eta gero eta gehiago dira zientziaren alorretik hori agerian uzten duten analisiak. Planetaren egoera globala lazgarria da (biodibertsitatea galtzea, ekosistemak aldatzea…) Berotegi-efektuko gasen isurketek maila jasanezinetan jarraitzen dute. Klima-aldaketa/kaosa, ingurumenean eta gizartean dituen ondorioekin, azkar eta intentsitate basatiz gertatzen ari da. Horren atzealdean, ekoizpen- eta kontsumo-sistema global aseezin bat dago, nekazaritza eta abeltzaintza industrialekoa, petrolioa eta gasa euskarri energetiko gisa dituena, eta hazkunde mugagabea eta etekina helburu bakarrak dituena. Ondorioz, CO2 eta berotegi-efektuko beste gas batzuen isurketak nabarmen murrizteaz gain, beharrezkoa da zalantzan jartzea egungo gizarte-eredua: kontsumo gutxiagoarekin, tokikoagoa, banatzaileagoa eta desmerkantilizatuagoa. Zalantzan jarri behar dugu Nafarroak nazioarteko merkatuan duen posizioa bera multinazionalen eskuetan, eta hurbileko ekonomia berri bat sortu behar dugu, gizarte soilagoa antolatuz eta munduko eskualde pobretuekiko solidarioagoa izango dena.
Parte-hartze prozesua galarazi dute. Eta ez dugu esaten esateagatik. Hona hemen froga: aurreproiektua ekainean jarri zen jendaurrean, hamabost egunez bakarrik, pandemia egoeran eta epeak luzatzeko eta azterketa-foroak sortzeko eskakizunei jaramonik egin gabe. Makinaria instituzional eta administratiboa larderiaz aritu da, arrazoizko epeak eta eztabaidatzeko aukerak ukatuz. Seinale txarra da, eta hasieratik zalantzan jartzen du aurreproiektuan jasotako gobernantza partekatuaren eredua.
Burujabetza energetikorako plangintza. Aurreproiektuan faltan sumatzen da energia, uraren antzera, ondasun komun, urri eta lehen premiazkotzat hartzea. Erabaki energetikoak oligopolio energetikoen esku geratzea saihestu behar da. Denak ez du balio deskarbonizazio-prozesuan. Plangintza demokratiko bat behar da, behar dugun eta eskuragarri dugun energia-kopurua identifikatzeko; energia hori lehentasunezko erabileretatik nola egokitu eta nola banatu behar den ezartzeko; diseinu deszentralizatua izateko; udal-jardueraren ahalmen handiagoa izateko eta kudeaketa herritarren kontrolpean jartzeko. Plangintza bat behar dugu subiranotasun eta justizia energetikoa bermatzeko, eta ez negozio energetikoaren beste engranaje bat bihurtzeko. Gai horietan ez sakontzeak dakar gure erkidegoan diren energia ekoizteko eta banatzeko tokiko esperientzia baliagarriak anekdota gisa bihurtzea, eta enpresa handien esku uztea energia-merkatuaren kontrola, Iparraldeko herrialdeetan hazkunde-ereduari eusteko asmoz, Hegoaldeko herrialdeetako baliabideen kontura.
Helburu eta konpromiso argi eta anbiziorik gabe. Aurreproiektuak ez du anbiziorik, eta ez da nahikoa ezarritako helburuei dagokienez. Zenbait adibide. 1) Hala, 2030erako berotegi-efektuko gasen isurketak %45 murriztea eta 2050erako %80 murriztea adierazten du testuak (2005ekoekin alderatuta, urte horretan izan baitziren isurketa gehien); Europako Parlamentuak, berriz, 2030ean %60ko murrizketa eskatu du, gutxienez, 1990ekoarekin alderatuta. 2) Aurreproiektuak ez du karbono-aurrekonturik, ezarritako mugak ez gainditzeko urtero zenbat isurketa erabilgarri dauden adierazten duenik, Katalunian eta Balear Uharteetan egiten duten bezala. 3) Helburuak ez dira zehaztu, ez nekazaritza-sektorean berotegi-efektuko gasak murrizteko, ez nekazaritza ekologikoa sustatzeko, ez pestiziden eta ongarri sintetikoen erabilera murrizteko, ez eta lurzoruaren erabilera-aldaketak murrizteko ere (adibidez: Nafarroako Ubidean proposatutako ureztatze berriak) 4). Ez da energia-kontsumoa murriztearekin lotutako helbururik tasatzen, eta ez dira bete beharreko beharrak zehazten. 5) Ez dira inoiz adierazten CO2 murrizteko helburu horiek lortzeko energia-kontsumoan eman beharko liratekeen eraldaketak, Emisioei eta kontsumoei dagokienez helburu zehaztugabeak mantentzeak erantzunkide egiten gaitu gure eta gizateriaren etorkizunerako dakartzaten ondorio lazgarrietan.
« Aldaketa Klimatikoaren aurrean, trantsizio energetikoa berriztagarriak soilik jartzea baino zerbait serioagoa da »
Trenbiderik gabe, ez da serioa mugikortasun iraunkorraz hitz egitea. Aurreproiektuak mugikortasun jasangarria bultzatzeko beharra planteatzen du, ibilgailu elektrikorako trantsizioa nabarmenduz (partikularrak, publikoak, errepideko garraioa…), baina trenbidea aipatu gabe, mugikortasun kolektiborako modurik errazena eta elektrifikatzeko eta deskarbonizatzeko errazena. Bidaiariak eta salgaiak garraiatzeko modalitate horri uko egiteak, eta horren onuradun izan daitezkeen milaka pertsonaren eguneroko jokabidetan ez integratzeak, arduragabekeria handia adierazten du. Ibilgailu elektrikoa alternatiba bakar gisa pentsatzeak ikuspegi laburra adierazten du, eta horiei lotutako arazo eta muga berriak ezkutatzen ditu (material finituen eskuragarritasuna, energia-kontsumo handiak eta lotutako prozesu kutsatzaileak, ibilgailu astunetan sartzeko zailtasunak, hala nola makinerian, kamioietan).
Alarma: nekazaritzako lurra arriskuan dago. Nekazaritzako lurzoruan plaka fotovoltaikoak jartzea debekatuta egon behar da. Ez da nahikoa hiri-lurzoruaren edo lurzoru urbanizagarriaren lehentasunezko erabilera gomendatzea. Beharrezkoa da nekazaritza-lurra babestea, kantitateari eta kalitateari dagokienez; izan ere, lurzoru urria da, berriztaezina eta funtsezkoa gure elikadurarako. Eguzki-poligonoak, berdez jantzita badaude ere, landa-ingurunearen heriotza dira.
Gehiengoaren sakrifizioa dakarren trantsizio energetikorik ez! Datozen hamarkadetan aldaketa sakonak eta egoera mingarriak izango dira, desberdintasunaren eta monopolioen boterearen eskemak mantentzen ditugun neurrian. Dagoeneko ikusten ari gara: milaka lanpostu mehatxatuta, deslokalizazioak, lurzorua suntsitzea eta nekazaritza-jarduera arriskuan, pobretzea, eta milioika euroko makroproiektuak, jendearen ongizatearen bizkar.
Une honetan ez dakigu noiz eztabaidatuko den Legebiltzarrean aurreproiektu hau, baina bada garaia gehiengo sozialari entzuteko. Ez dugu nahikoa lege bat gure eredu energetikoa birplanteatzeko eta energiaren ekoizpena despribatizatzeko. Horrekin batera, hainbat neurri hartu beharko dira: lanaren eta aberastasunaren banaketa, eragindako pertsonei eta eskualdeei arreta emateko planak, ongizatea birplanteatzea muga naturalak kontuan hartuta, autoeustearen eta alferrikako kontsumoak murriztearen kultura berria, eta antolaketa deszentralizatua eta demokratizatua. Aldaketa Klimatikoaren aurrean, trantsizio energetikoa berriztagarriak soilik jartzea baino zerbait serioagoa da.
Nafarroa Bizirik Nahi dugu koordinadorako kide Pablo Lorente Zapateríak eta Mirian Uhalte Estebanek sinatu dute artikulua.
Koordinadora osatzen dute:
AHT Gelditu Elkarlana Nafarroa, Compañía de las 3 Erres, Ekologistak Martxan Iruñea,
Fundación Sustrai Erakuntza, Mugarik Gabe Nafarroa, CGT-LKN Nafarroa,
ELA Nafarroa, ESK Nafarroa, LAB Nafarroa, Steilas Nafarroa.