Bizi !

Articles du Vendredi : Sélection du 24 octobre 2014 !

L’Europe se fixe un cap ambitieux sur le climat

Laurence Caramel
www.lemonde.fr/planete/article/2014/10/24/les-pays-europeens-s-engagent-a-reduire-leurs-emissions-de-gaz-a-effet_4511680_3244.html

Sale nuit pour le climat: l’UE tourne le dos aux recommandations du GIEC

Maxime Combes
http://blogs.mediapart.fr/blog/maxime-combes/241014/sale-nuit-pour-le-climat-lue-tourne-le-dos-aux-recommandations-du-giec

Climat: quand l’argent fait mentir les diplomates

Jade Lindgaard
http://blogs.mediapart.fr/blog/jade-lindgaard/171014/climat-quand-l-argent-fait-mentir-les-diplomates

Après le succès de la marche pour le climat de New York, trois défis pour le mouvement pour la justice climatique

Christophe Aguiton
https://france.attac.org/se-mobiliser/vers-la-cop21/article/apres-le-succes-de-la-marche-pour

La réforme, la vraie, c’est la conversion écologique de notre économie

Guillaume Duval
http://alternatives-economiques.fr/la-reforme–la-vraie–c-est-la-conv_fr_art_633_69926.html

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L’Europe se fixe un cap ambitieux sur le climat

Laurence Caramel
www.lemonde.fr/planete/article/2014/10/24/les-pays-europeens-s-engagent-a-reduire-leurs-emissions-de-gaz-a-effet_4511680_3244.html

Vendredi 24 octobre dans la nuit, les Vingt-Huit sont finalement parvenus à un accord sur les trois objectifs qui guideront la politique de lutte contre le réchauffement climatique de l’Union européenne (UE) au cours des prochaines années : les émissions de gaz à effet de serre devront diminuer d’« au moins » 40 % d’ici à 2030 par rapport à 1990 ; la part des énergies renouvelables devra être portée à 27 % du mix énergétique  ; 27 % d’économies d’énergie devront être réalisées. Seul le premier objectif sera contraignant.

Ce nouveau «cadre d’action en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030», qui devra encore être approuvé par le Parlement européen, remplacera un premier plan dit des «3 fois 20» (20 % de baisse des émissions, 20 % d’énergies renouvelables, 20 % d’économies d’énergie) adopté en 2009 et en vigueur jusqu’en 2020.

ENGAGEMENTS CHIFFRÉS

L’Europe est la première à mettre sur la table des engagements chiffrés en vue de la conférence de Paris en décembre 2015, où pourrait être signé un accord mondial sur le climat. Elle s’y était engagée pour pouvoir faire pression sur ceux qui rechignent à prendre leur part du fardeau et rejettent l’idée d’un traité international contraignant dont l’ambition devra être de limiter la hausse moyenne des températures à 2 °C, comme le recommande le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat.

«C’est un accord très ambitieux pour la planète. L’Europe montre l’exemple», s’est réjoui le président François Hollande à l’issue de cette première journée du Conseil européen, dont le climat constituait le sujet principal. «C’est maintenant que l’Europe devait aboutir, car dans quelques semaines, tous les pays se réuniront à Lima», pour définir le cadre autour duquel devra être recherché le consensus l’an prochain.

IMPORTANTES CONCESSIONS AUX ETATS

Un enthousiasme douché par les ONG. Les objectifs «sont bien en deçà de ce qui pourrait être fait par l’Europe pour combattre le changement climatique», regrettent les Amis de la Terre, tandis qu’Oxfam estime qu’une « action insuffisante de la part des pays les plus riches fait peser le fardeau sur les populations les plus pauvres ».

Ce compromis n’a pu être scellé qu’au prix d’importantes concessions faites aux Etats. «Trouver un accord n’a pas été une chose aisée, loin de là», a admis le président du Conseil, Herman Van Rompuy. Certains s’inquiètent ainsi qu’à la demande de la Pologne et des autres pays d’Europe de l’Est, quelques lignes ouvrant la possibilité à un réexamen des différents éléments de l’accord aient été introduites dans les dernières heures de la discussion.

«Ces pays, mais ils ne sont pas les seuls, contestent l’idée que l’Europe doive faire plus que la Chine ou les Etats-Unis, et ils voulaient avoir l’assurance de pouvoir rediscuter de certains aspects de l’accord au vu des résultats de la conférence de Paris. Mais il ne s’agit pas de revenir sur ces trois ­piliers», commente, rassurant, un membre de l’équipe de M. Van Rompuy.

BAISSE DE L’OBJECTIF D’EFFICACITÉ ÉNERGÉTIQUE

Le premier ministre britannique, David Cameron, s’est battu jusqu’au dernier moment pour limiter le poids de Bruxelles dans l’orientation des politiques énergétiques nationales. Invitant ses partenaires à ne pas sous-estimer la nouvelle poussée d’euroscepticisme outre-Manche et prêt à user de son veto, il a en partie obtenu gain de cause. L’objectif d’efficacité énergétique a été ramené de 30 % à 27 %. L’eurodéputé Vert luxembourgeois Claude Turmes a qualifié cette ­décision de «gigantesque irresponsabilité». «Toutes les études, dont celles de la Commission européenne, montrent que faire des économies d’énergie est le meilleur instrument pour réduire la dépendance énergétique de l’Europe. En pleine crise en Ukraine et au Moyen-Orient, ce choix est un non-sens pour le climat comme pour notre sécurité énergétique», ­explique-t-il.

Les Polonais et les autres pays moins riches d’Europe orientale ont obtenu l’assurance de recevoir d’importantes compensations financières. Plusieurs mécanismes de solidarité seront mobilisés en puisant dans les revenus tirés du marché carbone européen. Ainsi, 2 % des quotas d’émissions seront mis en réserve pour financer des projets de modernisation des infrastructures électriques et d’efficacité énergétique dans les pays dont le revenu par habitant est inférieur à 60 % de la moyenne européenne. Ils ont aussi obtenu de recevoir, jusqu’en 2030, des quotas d’émissions gratuits pour leurs centrales à charbon.

« TRANSPARENCE »

Le montant a fait l’objet d’un tardif aparté entre François Hollande, la chancelière allemande Angela Merkel et la première ministre polonaise Ewa Kopacz. Le texte final prévoit que les fonds recueillis devront être utilisés de «façon transparente et pour promouvoir de réels investissements de modernisation du secteur énergétique». Une façon de signaler que cela n’est pas le cas jusqu’à présent.

Par ailleurs, 10 % de la vente aux enchères des quotas d’émissions de CO2 seront transférés «au titre de la solidarité, de la croissance, et des interconnexions» aux pays dont le revenu par habitant est inférieur à 90 % de la moyenne européenne. En élargissant l’assiette des bénéficiaires, le Conseil satisfait l’Espagne et le Portugal, dont la principale revendication porte sur la création de débouchés pour sa production d’électricité issue des énergies renouvelables, aujourd’hui en surcapacité.

Les pays riches ont, de leur côté, obtenu que la répartition du ­fardeau dans les secteurs non régulés par le marché du carbone – transports, bâtiment, agriculture – ne se fasse pas uniquement sur la base du revenu par habitant. Au bout du compte, l’effort demandé à chaque Etat ira au minimum d’une stabilisation des émissions d’ici 2030 à une baisse de 40 %. Dans le cas de la France, la contribution s’élèvera autour de 37 %. Pour François Hollande, le nouveau cap que viennent de se donner les Européens porte «une nouvelle vision de l’avenir et de nos modes de vie».

Climat: quand l’argent fait mentir les diplomates

Jade Lindgaard
http://blogs.mediapart.fr/blog/jade-lindgaard/171014/climat-quand-l-argent-fait-mentir-les-diplomates

Officiellement, le monde prépare un accord sur le climat pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Officiellement, les grands Etats élaborent des objectifs de baisse de Co2 et des trajectoires pour y parvenir afin de contenir la hausse des températures globales à + 2°. A New York, lors du sommet de Ban Ki Moon sur le climat, en septembre dernier, la France a promis 1 milliard de dollars (781 millions d’euros) pour le fonds vert. Les pays riches sont censés réunir 100 milliards de dollars par an pour le climat d’ici 2020, un horizon à ce stade purement formel.

En vrai, ce même monde continue d’investir des sommes colossales dans le développement des énergies fossiles (charbon, pétrole, gaz), première cause de rejet de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, et donc de dérèglement climatique. Le montant total des investissements fossiles dans des projets d’exploration et de développement s’élève à 674 milliards de dollars (environ 527 milliards d’euros) en 2012, selon les calculs de l’ONG Oxfam, qui publie vendredi 17 octobre un rapport alarmant sur « alimentation, énergies fossiles et financement indécent » – qu’ils ont bien voulu me transmettre avec un peu d’avance. Presque sept fois plus que ce que les Etats industrialisés prétendent mettre sur la table pour le climat d’ici six ans.

Si l’on prend en compte les allégements fiscaux et les mesures d’incitation publique, les gouvernements ont subventionné les fossiles à hauteur de 1900 milliards de dollars (1484 milliards d’euros) en 2012. En France, ces subventions s’élèvent à 5 milliards de dollars (3,9 milliards d’euros), selon l’ONG britannique. Au total dans le monde, les énergies renouvelables reçoivent cinq fois moins de subventions que le secteur des fossiles.

Pour Oxfam,  la transition vers un système énergétique plus sobre se fracasse sur un « triangle toxique d’inertie politique, de court-termisme financier et d’action des groupes d‘intérêts des énergies fossiles ».

Selon une étude de la Commission européenne, les aides publiques accordées par les Etats membres de l’Union européenne au secteur de l’énergie en 2012 ont en grande partie profité au charbon (10,1 milliards d’euros), au nucléaire et au gaz naturel (5,2 milliards d’euros), même si la majorité des subsides sont allées à l’énergie solaire et à l’éolien. Ce n’est pas que l’effet du statu quo, de l’inertie des économies et du conservatisme des élites. C’est aussi le produit d’un lobbying intense et assumé en tant que tel. Oxfam a calculé que le lobby des énergies fossiles dépense plus d’un demi million de dollars (390 000 euros) chaque jour, pour exercer une pression sous une forme ou sur un autre sur les gouvernements américains et européens. 500 000 dollars par jour.  Pour la seule Union européenne,  le budget lobbying des énergies fossiles atteint 44 millions d‘euros  par an.

En plein récession économique en Europe, il y a pourtant beaucoup d’emplois à la clé dans l’essor des renouvelables. Plus l’argent public est versé vers les fossiles (modernisation des centrales à charbon, gaz et huile de schiste, forages pétroliers offshore…), moins il servira à l’efficacité énergétique, à l’éolien, au photovoltaïque et à la biomasse. C’est une question industrielle aux implications économiques et sociales importantes dans les pays industrialisés. Les vingt plus gros énergéticiens européens ont perdu la moitié de leurs valeurs boursières depuis 2008. Un sujet pour les rubriques « économie » des médias.

Dans quelles rubriques médiatiques faudra-t-il rendre compte des catastrophes humaines qui s’annoncent si nous échouons à atténuer et à nous adapter à la crise climatique ? Externalités négatives de notre addiction aux industries polluantes ? Selon les estimations d’Oxfam,  le réchauffement global que nous allons endurer d’ici 2100 à moins d’une rupture dans nos modes de vie « pourrait faire courir le risque de graves pénuries alimentaires et d’eau à 400 millions de personnes, vivant dans certains des pays les plus pauvres de la planète, et faire augmenter de 25 millions le nombre d’enfants souffrant de malnutrition ». C’est autant que la totalité des enfants de moins de cinq ans aux Etats-Unis et au Canada.

Sans doute pourra-t-on discuter des modes de calcul et du chiffrage d’Oxfam. Ce type de données est toujours difficile à constituer. Mais au-delà du fétichisme des chiffres, ce qui compte, ce sont les grandes masses du problème. Le décalage gigantesque entre les moyens mis pour faire advenir la transition énergétique, et ceux employés pour maintenir le système actuel et ses pollutions insoutenables.
Dans ces conditions, il semble difficile de se contenter d’une diplomatie du climat focalisée sur les objectifs d’émissions de gaz à effet de serre, au risque de s’enfermer dans une bulle plus ou moins vertueuse mais théorique, déconnectée de la réalité de l’économie mondiale. Au contraire, il devient urgent d’intégrer des objectifs de désinvestissements et d’arrêt aux subventions fossiles dans l’arène des négociations internationales.

Après le succès de la marche pour le climat de New York, trois défis pour le mouvement pour la justice climatique

Christophe Aguiton
https://france.attac.org/se-mobiliser/vers-la-cop21/article/apres-le-succes-de-la-marche-pour

La manifestation de près d’un demi-million de participants à New York le 21 septembre 2014 a été la plus importante qu’aient connue les États-Unis depuis les années 1970. En nombre de participants cette manifestation a regroupé dix fois plus de monde que celle de Seattle face à l’OMC, fin 1999, manifestation qui avait marqué l’émergence du mouvement altermondialiste. D’autres manifestations ont été organisées le 21 septembre dans de nombreuses villes du monde, y compris à Paris avec plus de 10 000 participants.

 

Le 21 septembre 2014 marque ainsi l’ouverture d’une phase qui va se dérouler au moins jusqu’à décembre 2015, moment où se tiendra la conférence de l’ONU sur le climat à Paris. Une phase qui verra se multiplier les initiatives et qui devrait culminer avec de nombreuses actions et mobilisations en région parisienne, pendant le sommet de l’ONU.

Pour aborder cette phase dans les meilleures conditions, le mouvement pour la justice climatique devra cependant répondre à trois défis : le premier est de savoir si un mouvement global pour la justice climatique peut se développer et se construire sur le long terme, le second porte sur la capacité de ce mouvement à dépasser les débats et divergences qui ont divisé les ONG et mouvements ces dernières années et le troisième porte sur la difficulté à faire cohabiter des mouvements et organisations enracinés dans les villes et les quartiers et des mouvements n’existant que sur l’Internet.

Construire un mouvement de long terme pour la justice climatique

Le réchauffement de la planète et le changement climatique est un des défis les plus importants que l’humanité ait jamais eu à affronter.

Cette affirmation est aujourd’hui largement partagée et, dans la grande majorité des pays, les opinions publiques sont convaincues de l’importance de l’enjeu. Pourtant, en dehors de mobilisations ponctuelles, parfois importantes comme à Copenhague en décembre 2009, il n’existe presque nulle part de mouvement militant permanent qui mobilise pour revendiquer que soient prises les mesures que la situation impose, Bizi au pays basque et 350.org aux États-Unis étant les seules tentatives réussies. Partout dans le monde, des mobilisations dures, longues et populaires se développent sur les questions environnementales, le plus souvent contre de grands projets d’infrastructures ou d’extraction minières, gazières et pétrolières ; en France on peut ainsi citer Notre-Dame-des-Landes ou les mobilisations contre l’extraction du gaz de schiste. Les animateurs de ces mobilisations font tous le lien avec la nécessité de lutter contre les émissions de gaz à effet de serre, mais sans que cela ne se traduise par l’émergence d’un mouvement spécifiquement consacré à la lutte pour la justice climatique.

Parmi les raisons qui peuvent expliquer cette quasi absence de mouvement spécifique au climat l’ampleur du sujet le rend difficilement appréhendable parce qu’il demande des réponses globales et planétaires. Il est plus facile de mobiliser sur une cause précise, contre un projet minier, un aéroport ou une ligne à grande vitesse, que de mobiliser sur une thématique qui oblige à repenser globalement le développement de nos sociétés, énergie, transports, modèles agricoles, espaces urbains, etc.

L’énorme succès de la manifestation du 21 septembre et l’ouverture d’une phase de plus d’une année de mobilisation internationale contre le changement climatique peut permettre de changer la donne. Avec près d’un demi-million de manifestants ce qui apparaissait inaccessible devient possible, ou du moins envisageable. Nous aurons donc un peu plus d’une année pour expérimenter ce que pourraient être la forme et les contours d’un mouvement pérenne pour la justice climatique.

Pour l’instant il n’existe nulle part de « comités climat » ou autre structure militante un tant soit peu massive. Le plus probable est que l’articulation entre la vision globale de la nécessité de changer radicalement nos modèles de développement et la diversité des mobilisations concrètes qu’il faudra développer amènera à un mouvement en réseau où, comme à New York, toutes les luttes locales et sectorielles convergeront avec les différents mouvements sociaux et citoyens qui ont l’environnement et le climat comme une de leurs préoccupations. Un mouvement en réseau permettrait aux luttes locales de résistance face à de « grands projets inutiles » ou aux initiatives comme « Alternatiba », qui visent à promouvoir les alternatives concrètes, de se développer sans être étouffées par un mouvement global au faible enracinement. Un réseau qui encouragerait et accélèrerait l’évolution des syndicats et autres mouvements sociaux et citoyens vers la transition écologique. Mais un tel mouvement en réseau aura besoin de centres de ressources – fournissant des analyses et des outils militants – et de nœuds de réseaux capable de coordonner les mobilisations et de préparer les grandes initiatives. Il est possible de faire le parallèle – qui vaut ce que valent toutes les analogies – avec le mouvement féministe qui, dans les années 1970, combinait des centres d’initiatives militants à forte visibilité avec le travail d’une multitude de militantes et de militants qui, dans les syndicats, mouvements ou partis politiques, faisaient progresser la conscience féministe.

Il reste un peu plus d’un an pour que ces pièces essentielles à la vie et au développement d’un tel réseau pour la justice climatique émergent, se créent et se renforcent.

Rassembler les deux familles du mouvement pour la justice climatique

Il y a cinq ans les mouvements et ONG investis dans les mouvements pour la justice climatique lors de la conférence de Copenhague sur le climat étaient profondément divisés.

D’un côté « Climate Action Network » (CAN), le réseau historique des grandes ONG comme Greenpeace ou WWF, et ses alliés, OXFAM et autres ONG de développement, qui s’étaient investis en priorité dans le lobbying auprès des différents gouvernements sur un orientation qui se satisfaisait des mécanismes de marché, marché pour les émissions de gaz à effet de serre ou la protection des forêts. Ces grandes ONG s’appuyaient sur les résultats obtenus en Europe, et en particulier en Allemagne, pour dénoncer les États-Unis et la Chine comme étant les mauvais élèves de la communauté internationale. À Copenhague, CAN avait priorisé le travail de lobby interne à l’ONU, renforçant ainsi le poids des experts au détriment des équipes militantes.

De l’autre « Climate Justice Now » (CJN), créé en 1997 à Bali par la Via Campesina, les Amis de la Terre et d’autres mouvements a su s’allier à de nombreux mouvements sociaux et regroupements de peuples indigènes. CJN entendait construire un mouvement militant pour la justice climatique en s’appuyant sur ces mouvements sociaux et citoyens, refusait les solutions du type marché du carbone et s’appuyait sur des pays comme l’Équateur et la Bolivie qui étaient à l’époque en pointe dans la défense des questions environnementales.

La phase qui s’ouvre avec les mobilisations du 21 septembre 2014 et qui devrait conduire à Paris pour la conférence de l’ONU de décembre 2015 se déroule dans un climat très différent.

Aux États-Unis, comme au Pérou qui accueillera la conférence sur le climat de décembre 2014 ou en France en préparation de 2015, les coalitions qui sont formées regroupent la totalité des acteurs qui entendent se mobiliser sur la question climatique. Aux États-Unis l’initiative de la manifestation du 21 septembre revient à 350.org, un mouvement né sur internet qui a pu créer des groupes locaux dans de nombreuses villes du pays. Très vite 350.org s’est allié à Avaaz, un mouvement purement basé sur l’internet puis au Sierra Club, le plus ancien mouvement environnementaliste américain, créé à la fin du 19e siècle par John Muir, le naturaliste à l’origine des premiers parcs naturels aux États-Unis et à « Climate Justice Alliance », une alliance de mouvements de base, de mouvements amérindiens et des groupes radicaux. Au Pérou ce sont les ONG environnementales qui se sont alliées aux syndicats de salariés, aux mouvements paysans et de peuples indigènes. En France, enfin, dès le début de 2014 une coalition très large s’est mise sur pieds, avec l’ensemble des associations environnementales, l’essentiel des forces syndicales, la Confédération paysanne et les mouvements altermondialistes ainsi que ceux qui agissent dans la solidarité internationale.

Ces alliances larges n’ont bien sûr pas gommé toutes divergences, mais elles ont été possibles parce que l’échec de l’ONU à Copenhague, et dans les conférences qui ont suivi, a convaincu tous les mouvements et toutes les ONG, même les plus modérées, que rien ne serait possible sans mobilisations. Cette conviction partagée sur l’importance des mobilisations a été encore renforcée par l’évolution des politiques de l’Union Européenne, qui a beaucoup rabattu de ses ambitions, et des pays andins comme l’Équateur et la Bolivie qui multiplient les projets miniers et pétroliers.

C’est donc autour de la nécessité de mobiliser les opinions publique et les réseaux militants que se sont regroupées ces coalitions. Reste à savoir si les divergences existantes ne mettront pas en péril ces regroupements et s’ils pourront affronter les nouvelles questions qui émergent dans la préparation de la conférence de Paris.

L’objectif général a toujours été le même pour l’ensemble des mouvements se mobilisant sur les questions climatiques : respecter les recommandations du GIEC, le groupe des experts du climat, qui considèrent qu’une augmentation de 2 °C des températures moyennes sur la planète est le maximum possible, un dépassement de ce seuil risquant de déclencher une série d’évènements climatiques aux conséquences dramatiques. Pour respecter ces recommandations, un principe général, issu de l’accord de Kyoto, fait également accord, en tout cas jusqu’à aujourd’hui : il faut un accord international contraignant, basé sur le principe de la « responsabilité commune mais différenciée » qui prend en compte le fait que les premiers responsables du réchauffement climatique sont les pays dits industrialisés, Europe, Amérique du Nord et Japon, qui doivent faire les efforts les plus importants, alors que les pays en développement ont droit à augmenter leur consommation énergétique et doivent recevoir des compensations financières pour compenser les dégâts environnementaux et s’adapter au réchauffement climatique. Un dernier domaine fait aussi accord, au moins sur un plan très général : un rejet des « fausses solutions » présentées par certaines entreprises ou gouvernements comme le moyen de résoudre la crise climatique, comme par exemple les utopies technologiques comme « l’ensemencement des océans ». Mais c’est dans ce domaine, quand on entre dans les détails, que se cachent des désaccords qui ne sont pas secondaires :

  • L’énergie nucléaire est globalement rejetée, surtout depuis Fukushima, mais des zones de frictions existent, en particulier avec les organisations syndicales dans des pays comme la France où le nucléaire est une composante importante de la production d’électricité et les projets de nouvelles centrales, en particulier en Asie et en Amérique latine peuvent redonner de l’importance à cette question,
  • Plus substantiel est le désaccord sur l’introduction de mécanisme de marché pour réduire les émissions de gaz à effet de serre ; ces mécanismes sont prévus par les accords de Kyoto et ont été étendus par des accords spécifiques de compensation carbone, comme REDD pour les forêts, et ont profondément divisés les mouvements impliqués sur le climat,
  • Le rapport aux grandes entreprises et aux multinationales est également un point de frictions, certains mouvements considérant qu’elles sont une des causes majeures du dérèglement climatique pendant que d’autres les considèrent comme des partenaires qu’il s’agit de convaincre et de faire évoluer. Derrière ces deux dernières questions se trouvent deux appréciations différentes du rapport entre crise climatique et crise du capitalisme. Pour les mouvements qui se reconnaissaient dans « Climate Justice Now », le capitalisme – avec la loi du profit qui s’impose au détriment des questions sociales et environnementales – est au cœur du problème et les mobilisations avec le slogan « system change, not climate change » doivent lier le social et l’environnemental. Une autre aile du mouvement, en cohérence avec le soutien aux mécanismes de marché et avec les relations avec les multinationales, s’inscrit dans un système qu’elle souhaite corriger mais ne pas remettre en cause. Cette différence d’approche ne pose réellement problème que quand elle s’incarne dans des désaccords pratiques mais elle est suffisamment profonde pour resurgir régulièrement.

Pour poursuivre avec les questions qui peuvent être sources de divergences, il faut s’arrêter sur l’état actuel des discussions dans le cadre de l’ONU. Jusqu’à présent la structure de l’ONU en charge des négociations climatiques (UNFCCC, ou CCNUCC en français) travaillait en parallèle dans deux sous-cadres de discussion, celui des signataires de l’accord de Kyoto et celui qui regroupait tous les états, y compris les non-signataires (dont les États-Unis) avec l’objectif de réunir tous les états dans un accord général post-2020 qui serait une suite de Kyoto et qui engagerait tous les signataires. Aujourd’hui cette ambition est de fait abandonnée et une autre perspective est engagée. Fin août 2014, Barak Obama a annoncé que les États-Unis annonceraient leurs engagements de réduction de gaz à effet de serre et de soutien aux pays du sud (dans le « fond vert » créé par l’ONU) de façon unilatérale, sans s’engager dans un accord contraignant, avec une formule, « name & shame », qui propose que tous les états s’engagent sur leur niveau de réduction de gaz à effet de serre et de contribution au fond vert et que l’ONU se contente de faire l’addition de ces engagement pour vérifier qu’ils correspondent aux recommandations du GIEC. Le gouvernement français, qui veut éviter à tout prix un échec comme celui de Copenhague, est, comme l’Union Européenne, prête à accepter cette nouvelle perspective qui permettrait également à la Chine – premier émetteur de gaz à effet de serre – d’éviter d’être soumis à un accord contraignant.

Lors des discussions de New York, en septembre, les pays du sud se sont exprimés par la parole d’Evo Morales ; ils ont rappelé leurs positions traditionnelles et donc exigé un accord contraignant, dans la lignée de l’accord de Kyoto. Cette position est également, aujourd’hui, celle de toutes les ONG et mouvements pour la justice climatique. Mais il est clair que la proposition des États-Unis et les premières réactions (ou absence de réaction) européennes et chinoises va déplacer les termes du débats avec des conséquences parfois imprévues. La première conséquence apparemment paradoxale d’une logique purement déclarative est de rendre impossible la mise en place d’un marché mondial des émissions de gaz à effet de serre : un tel marché ne peut exister sans gendarme ou organisme de règlement des différends qui ne peut être mise en place que si un accord international le prévoit. La Banque mondiale ne s’y est pas trompée et propose maintenant de donner la priorité au fait de fixer un prix au carbone, par des mécanismes laissés au choix de chaque État, taxes ou marchés locaux, nationaux ou régionaux de gaz à effet de serre. Si un accord international comme celui de Kyoto n’offre pas la garantie absolue d’être respecté par ses signataires, une simple déclaration d’intention d’un gouvernement est évidemment encore moins crédible dans la durée. Les États devraient annoncer en mars 2015 ce que seraient leurs engagements pour la COP 21 de Paris, mais le niveau des espoirs est aujourd’hui au plus bas… et la réaction des différentes composantes des coalitions pour la justice climatique sera un test de la capacité à travailler ensemble sur le long terme !

Mouvements militants et acteurs basés sur l’Internet

Le troisième défi est d’un toute autre niveau et il peut sembler le plus simple à surmonter, mais il permet de pointer des questions d’ordre plus général.

Les organisateurs de la marche de New York sont de natures différentes. Sierra Club et Climate Justice Alliance sont des mouvements militants, avec des groupes locaux qui s’investissent dans des luttes concrètes. 350.org est une organisation hybride. Créée en 2007 aux États-Unis par Bill McKibben, elle se concentre sur la lutte contre le changement climatique (son nom vient de la recommandation de la communauté scientifique de ne pas dépasser 350 parts de CO2 par million) et est à la fois un mouvement sur internet et un mouvement militant, avec des groupes dans les universités américaines. Avaaz est une structure basée seulement sur l’internet. Avaaz a été créé en 2007 aux États-Unis, mais avec une ambition mondiale, sous l’impulsion principale de MoveOn, un outil de mobilisation en ligne proche de la gauche du parti démocrate. Avaaz est un outil de mobilisation sur tous les sujets, le soutien au soulèvement en Syrie, la lutte contre le changement climatique, contre le virus Ebola ou la disparition des 43 étudiants mexicains de l’état de Guerrero. Avaaz revendique 38 millions de « membres » (dont 4 millions en France), qui sont tous des membres sur internet et les finances d’Avaaz sont basées sur ce que leur apportent des fondations mais aussi sur de très nombreux dons en ligne.

La cohabitation et la collaboration de mouvements de natures aussi différentes est difficile pour des raisons de structures et de pratiques militantes. Avaaz est animé, de New York, par une petite équipe de salariés, et des équipes équivalentes de salariés se trouvent dans différents pays, mais sans qu’aucun d’entre eux n’aient de compte à rendre devant des structures militantes. Le lien avec les millions de « membres d’Avaaz se fait par sondage en ligne auprès de panels de membres tirés au sort, sondages qui permettent de savoir quelles priorités préfèrent les membres du panel. Une telle structure, extrêmement centralisée et bénéficiant de la rapidité et de la puissance des outils informatique et de l’internet, peut décider de lancer une pétition en quelque jours et recueillir des millions de signatures en ligne et des centaines de milliers de dollars de dons, là aussi payés en ligne, en moins d’une semaine. On comprend facilement que face à ces pratiques, les mouvements qui s’appuient sur des réseaux militants locaux, qui ont des congrès ou assemblées générales et qui doivent en permanence discuter avec les groupes de base ne puissent pas rivaliser avec cette puissance de frappe et soient plus qu’agacés de voir une structure aussi centralisée et pratiquant une démocratie totalement virtuelle imposer son agenda et ses messages !

S’il ne faut pas tomber dans l’admiration béate devant ce type de mouvement internet et croire sur parole Avaaz qui se félicite de pouvoir être « un mouvement supranational qui est plus démocratique et qui pourrait être plus efficace que l’ONU », il serait tout aussi dangereux de sous-estimer l’action de ces nouvelles structures. Certes, à New York, il était très difficile de trouver un badge ou une banderole signée Avaaz dans la manifestation du 21 septembre, mais Avaaz n’est pas pour rien dans le succès de cette journée et, dans le reste du monde, là où il ne s’étaient pas mis en place de cadres de mobilisation associant les groupes militants plus « traditionnels », les manifestations du 21 septembre ont regroupé beaucoup de monde, et cela grâce pour l’essentiel à la mobilisation en ligne d’Avaaz.

Sur le papier, l’action complémentaire de mouvements internet et de mouvements militants au fonctionnement plus traditionnel pourrait multiplier les forces et accroître l’impact des campagnes et mobilisations. C’est ce qui s’est passé à New York et c’est une des causes du succès de la marche du 21 septembre. Mais cela ne s’est pas fait à New York sans débats et tensions. Pour l’avenir, il faudrait pouvoir se mettre d’accord sur des principes de fonctionnement qui donne la priorité à ceux qui sont les premiers affectés par le changement climatique ou qui luttent jour après jour contre des « grands projets inutiles » qui ne peuvent qu’aggraver la situation climatique. Ces principes concernent évidemment les acteurs internet mais aussi ceux qui bénéficient d’une forte visibilité nationale ou internationale et ils doivent se combiner avec un principe de respect mutuel et d’appui réciproque même quand les choix tactiques peuvent être différents. Trois exemples venant des États-Unis permettent d’être plus concret :

  • Un débat a eu lieu dans la coalition américaine de préparation du 21 septembre sur l’ordre de la manifestation, certains voulaient avoir en tête de cortège les « personnalités » comme Al Gore ou Leonardo DiCaprio ; finalement, et cela a donné une tonalité très forte à la marche, ce sont des jeunes de communautés marginalisés, afro-américains ou issues de l’immigration, qui ont ouvert la marche,
  • Dans le même esprit, une discussion est ouverte entre les fondations progressistes américaines (qui financent les mouvements et associations qui, contrairement à la France, ne bénéficient pas de subventions de collectivités locales, par exemple), les mouvements de base et les « big green » (Greenpeace, WWF, Sierra Club) pour se fixer des règles communes qui portent sur la répartition équitable des aides des fondations et sur les pratiques à appliquer sur le plan local, en donnant la priorité à celles et ceux qui se battent sur le terrain,
  • La marche du 21 septembre a été critiquée, dans une première étape, par son absence de revendications et d’objectifs clairs ; une des réponses données par des mouvements issus de la mouvance de « Occupy Wall Street » a été de soutenir la marche du 21, mais aussi d’organiser le 22 septembre une vaste action directe non-violente appelée « Flood Wall Street », inonder Wall Street en référence au cyclone Sandy a affecté New York en 2013 ; 350.org n’a pas appelé directement à cette action, mais y a envoyé beaucoup de leurs militants et Bill McKibben a envoyé de nombreux Tweet de soutien, démontrant ainsi sa solidarité avec l’action en cours.

Ces exemples sont évidemment datés et situés dans leur contexte, mais ils sont illustratifs de l’état d’esprit et des principes qui devraient guider les coalitions pour la justice climatique, en France comme ailleurs. Si ces conditions sont remplies, les deux premiers défis présentés dans cet article seront plus faciles à franchir !

La réforme, la vraie, c’est la conversion écologique de notre économie

Guillaume Duval
http://alternatives-economiques.fr/la-reforme–la-vraie–c-est-la-conv_fr_art_633_69926.html

Lettre ouverte à ceux qui nous gouvernent.

Cher Manuel Valls et cher Emmanuel Macron,

La principale réforme qu’il nous faut absolument réussir ensemble, celle sur laquelle vos enfants vous jugeront, ce n’est pas de s’en prendre aux chômeurs et aux pauvres pour pouvoir recoller au peloton de la course au moins disant social engagée depuis cinq ans en Europe. C’est d’abord et avant tout d’engager (enfin) le pays dans la transition énergétique et la conversion écologique de son économie. Depuis trente ans, en effet, la France a pris dans ce domaine un retard considérable tant sur le terrain des énergies renouvelables, que sur celui de l’efficacité énergétique, de l’étalement urbain ou encore de l’empoisonnement chimique de son environnement…

Cette conversion écologique de notre économie passe nécessairement par la réforme en profondeur d’une fiscalité qui est pour l’instant une des moins vertes d’Europe. Or la priorité absolue que vous accordez actuellement à la « compétitivité coût » à court terme des entreprises vous a fait renoncer à toute ambition en ce domaine comme vient encore de le montrer la pantalonnade de ces derniers jours à propos de l’écotaxe poids lourd. Ce qui empêche, et empêchera encore plus à l’avenir si on ne change pas rapidement de cours, le pays d’affronter la crise écologique qui sera de toute évidence la grande question du XXIème siècle pour la France comme pour le monde. Loin d’avoir préparé l’avenir du pays comme vous le prétendez régulièrement avec emphase, vous l’aurez alors compromis.