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Articles du Vendredi : Sélection du 24 mai 2024

« TotalEnergies ne réduira pas sa production d’énergies fossiles parce qu’on le lui demande poliment »
Collectif
www.lemonde.fr/idees/article/2024/05/23/totalenergies-ne-reduira-pas-sa-production-d-energies-fossiles-parce-qu-on-le-lui-demande-poliment_6235053_3232.html

 

Plus de trois cents scientifiques, mobilisés par le collectif Scientifiques en rébellion, parmi lesquels l’épidémiologiste Kévin Jean ou l’économiste Yamina Saheb, dénoncent, dans une tribune au « Monde », la stratégie « climaticide » de TotalEnergies.

Pour ses 100 ans, TotalEnergies présentera, le vendredi 24 mai, son bilan et sa stratégie lors de l’assemblée générale des actionnaires. Au vu des choix stratégiques, la major fait tout pour célébrer ses 150 ans, en 2074, dans une planète qui sera devenue en grande partie inhabitable.

Car TotalEnergies n’entend pas réduire sa contribution à la catastrophe climatique en cours ; il prévoit au contraire de l’accélérer en augmentant sa production de combustibles fossiles. Lors de son audition par la commission d’enquête sénatoriale en cours, son PDG, Patrick Pouyanné, a défendu son plan d’investissement, qui prévoit d’augmenter sa production d’énergies fossiles de 2 % à 3 % par an sur les cinq prochaines années.

Au lieu de cesser tout investissement dans les nouvelles infrastructures fossiles, comme préconisé par l’Agence internationale de l’énergie afin de pouvoir espérer tenir l’objectif de l’accord de Paris, TotalEnergies a décidé de faire l’inverse.

Dénigrer les scientifiques

Pour justifier ses investissements, la tactique de TotalEnergies est maintenant bien rodée et articulée autour de six points.

  1. Verdir à peu de frais l’image de la marque : changer de nom et mettre systématiquement en avant dans sa communication publique les énergies renouvelables, alors même que celles-ci ne représentent que 2 % de la production du groupe en 2023, et qu’elles resteront inférieures à 10 % en 2030.
  2. Distordre les faits scientifiques pour rendre sa politique de développement faussement compatible avec les objectifs climatiques, ce que des auteurs du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) avaient déjà dénoncé en février 2023.
  3. Dénigrer les scientifiques s’il le faut. « Je respecte l’avis des scientifiques, mais il y a la vie réelle », avait rétorqué Patrick Pouyanné au climatologue Jean Jouzel en septembre 2023, oubliant au passage que c’est de la « vie réelle » que parlent les climatologues et écologues : canicules, fonte des glaciers, baisse de rendement agricole, températures record des océans, disparition des espèces, famines. La catastrophe écologique fait déjà et fera encore des millions de victimes, en détruisant des « vies réelles ».
  4. Justifier sa stratégie par l’argument éculé et maintes fois démonté d’une « demande » à laquelle il faudrait bien sûr répondre. Rappelons-le, la dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles, loin de répondre à un besoin, a été construite et reste entretenue par les entreprises du secteur. TotalEnergies continue par exemple de construire des centrales électriques à gaz qui contribueront à cette « demande » pendant encore des décennies.

Chantage à l’emploi

  1. Mettre en avant le gaz comme une énergie propre ou « de transition », en mettant sous le tapis le fait que les installations de gaz naturel ne réduisent que faiblement les émissions par rapport au charbon en raison des fuites de méthane et que, de plus, elles nous piègent dans un futur carboné. C’est en particulier le cas pour les infrastructures liées au gaz naturel liquéfié dans lesquelles TotalEnergies investit massivement.
  2. Enfin, faire du chantage à l’emploi, argument phare de toutes les entreprises dont l’activité est menacée par la transition écologique. Réduire la production de fossiles « signifierait fermer nos stations-service », d’après Patrick Pouyanné. Réorienter sa production vers les énergies renouvelables suffirait pourtant à fournir des emplois viables aux salariés actuels de TotalEnergies, et à beaucoup d’autres.

Rien ne semble donc pouvoir faire dévier TotalEnergies d’une trajectoire climaticide si rentable. Pour paraphraser Antonio Guterres, le secrétaire général des Nations unies : alors que nous sommes sur l’« autoroute vers l’enfer climatique », TotalEnergies a le pied sur l’accélérateur. La puissance publique semble n’avoir aucun moyen d’action et se contente de faire le constat et de « regretter » les décisions de TotalEnergies : c’est en ces termes que la ministre de la transition énergétique d’alors, Agnès Pannier-Runacher, avait accueilli il y a quelques mois ce choix d’accélérer dans le péril climatique.

Il convient toutefois de rappeler que l’impuissance des pouvoirs publics face à TotalEnergies et aux énergies fossiles est en fait très largement entretenue. Notons par exemple que l’année 2022 a été l’année record, au niveau mondial, du niveau de subventions publiques aux énergies fossiles, avec pour la seule Union européenne 350 milliards d’euros. Des dépenses décidées dans l’urgence dans un contexte de crise énergétique liée à l’invasion de l’Ukraine, et justifiées au nom de la défense du pouvoir d’achat.

Des moyens juridiques et fiscaux

L’Agence internationale de l’énergie a bien souligné que ces dépenses non ciblées ont largement bénéficié aux ménages les plus favorisés et aux actionnaires des industries fossiles, alors qu’elles auraient tout à fait pu permettre de mettre en place des changements structurels réduisant notre dépendance aux énergies fossiles tout en aidant les ménages les plus modestes à faire face à la flambée des prix de l’énergie.

Il faut se rendre à l’évidence : alors que ses bénéfices atteignent des niveaux record (21 milliards de dollars en 2023 [environ 19,89 milliards d’euros]), TotalEnergies ne réduira pas sa production d’énergies fossiles parce qu’on le lui demande poliment. Il devient donc indispensable que les pouvoirs publics se donnent les moyens juridiques et fiscaux d’empêcher des entreprises comme TotalEnergies de menacer en toute impunité les conditions d’habitabilité de notre planète, et les élections européennes prochaines constituent une opportunité pour que des candidats s’y engagent.

Plusieurs moyens ou instruments ont déjà été évoqués, comme la nationalisation, l’européanisation, ou encore la taxation des superprofits. Ajoutons-y la proposition d’introduire dans la loi la notion de faillite écologique, qui permettrait à la puissance publique d’envisager un redressement judiciaire d’une entreprise dont les impacts environnementaux vont à l’encontre des accords internationaux eu égard à sa stratégie climatique.

Ne nous y trompons pas, TotalEnergies est aujourd’hui en situation de faillite écologique envers ses créanciers carbone : les générations présentes et futures.

Liste des premiers signataires : Christophe Cassou, physicien du climat, coauteur du 6e rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ; Wolfgang Cramer, écologue, coauteur du 6e rapport du GIEC ; Jean-Baptiste Fressoz, historien ; Céline Guivarch, économiste, coautrice du 6e rapport du GIEC ; Kévin Jean, épidémiologiste ; Eloi Laurent, économiste ; Gonéri Le Cozannet, géographe, coauteur du 6e rapport du GIEC ; Yamina Saheb, économiste, coautrice du 6e rapport du GIEC ; Sophie Szopa, chimiste de l’atmosphère, coautrice du 6e rapport du GIEC ; Cédric Villani, mathématicien…

Huit victimes du chaos climatique assignent TotalEnergies en justice
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/210524/huit-victimes-du-chaos-climatique-assignent-totalenergies-en-justice

Le 21 mai 2024, trois ONG et huit victimes d’événements climatiques extrêmes à travers le monde ont porté plainte auprès du tribunal judiciaire de Paris contre les dirigeants et les actionnaires du groupe pour leur contribution au changement climatique.

La bataille juridique contre TotalEnergies s’intensifie. Le 21 mai, huit plaignant·es originaires d’Australie, du Zimbabwe, de France, de Belgique, des Philippines, de Grèce et du Pakistan ont déposé une plainte au tribunal judiciaire de Paris contre le conseil d’administration et les actionnaires de TotalEnergies.

Chacun et chacune ont été victimes de canicules, de tempêtes, de mégafeux ou d’inondations et estiment que le groupe pétro-gazier français, en tant qu’entreprise parmi les plus émettrices au monde, porte une responsabilité dans les événements climatiques extrêmes qu’ils et elles ont subis.

Trois organisations se sont jointes à cette assignation en justice : Bloom, association pour la protection des océans qui a lancé ce litige collectif, « Alliance santé planétaire », qui milite pour la reconnaissance du chaos climatique comme menace pour la santé publique, et l’ONG climat mexicaine Nuestro Futuro.

Dans la citation d’une centaine de pages, que Mediapart a pu consulter, TotalEnergies est accusée d’avoir commis les infractions pénales et environnementales suivantes : mise en danger de la vie d’autrui (article 223-1 du Code pénal français), homicide involontaire (article 221-6 du Code pénal français), abstention de combattre un sinistre (article 223-7 du Code pénal français) et atteinte à la biodiversité (article L.415-3 du Code de l’environnement français).

Chaque infraction est punie d’au moins un an d’emprisonnement et d’une amende.

Une entreprise consciente de sa nocivité

Le nombre d’événements extrêmes a été multiplié par cinq au cours des cinquante dernières années selon l’Organisation météorologique mondiale. Des phénomènes alimentés par la combustion des énergies fossiles, responsable de près de 90 % des émissions de CO2.

Or, en se basant sur les travaux du Giec (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) et du Climate Accountability Institute, la plainte rappelle que TotalEnergies est l’un des vingt plus gros groupes émetteurs depuis 1965 et que la multinationale a connaissance de l’impact nocif de ses activités sur le climat depuis 1971.

Par ailleurs, la citation souligne que, alors que l’Agence internationale de l’énergie préconise depuis 2021 l’arrêt immédiat du développement de tout nouveau projet fossile pour contenir le changement climatique, TotalEnergies continue de lancer ou d’étendre des sites pétroliers et gaziers à travers le globe.

« Tous les combustibles fossiles sont responsables de la mort de millions de personnes. C’est déjà le cas aujourd’hui, mais cela ne fera qu’empirer avec l’augmentation de la température. Chaque euro investi dans les combustibles fossiles est un euro investi dans les crimes climatiques », résume Yamina Saheb, docteure en énergétique et autrice du Giec.

Simon Frémaux, médecin généraliste et coordinateur à l’Alliance santé planétaire, avance : « Le changement climatique est la plus grande urgence sanitaire au monde. TotalEnergies et les autres compagnies pétrolières et gazières sont parfaitement conscientes de ce qu’elles font. Une fois que l’on est conscient de ce que l’on fait, on ne peut pas dire que l’on n’est pas responsable. »

Pointer la responsabilité des actionnaires

La plainte s’évertue aussi à montrer les liens tangibles entre émissions de gaz à effet de serre et événements climatiques extrêmes.

Pour exemple, les plaignant·es Elisa et William C-R., respectivement âgés de 38 et 28 ans, ont perdu leur mère lors de la tempête Alex qui a frappé la France fin 2020, un cyclone extratropical qui a été attribué scientifiquement au changement climatique, rappelle la citation.

Âgée alors de 15 ans, Rosa, amie du plaignant belge Benjamin V., est morte lors des terribles inondations qui ont dévasté l’Europe du Nord-Ouest en juillet 2021. Dans le dossier, on peut lire que d’après une équipe de chercheurs et de chercheuses, les dérèglements climatiques ont rendu ce cataclysme jusqu’à neuf fois plus probable qu’à l’ère préindustrielle. Enfin, Khanzadi K., 25 ans, a porté plainte contre TotalEnergies car sa sœur est morte devant ses yeux durant les pluies torrentielles qui se sont abattues sur le Pakistan en 2022. Le réchauffement global a accru l’intensité de ces précipitations d’environ 50 %.

Pour terminer, la plainte déposée le 21 mai pointe, à travers l’analyse des votes durant les assemblées générales de TotalEnergies, la responsabilité des dirigeant·es et des actionnaires, lesquel·les se sont prononcé·es contre des résolutions qui visaient à aligner les émissions de TotalEnergies sur l’accord de Paris sur le climat.

« Les décisions passées du conseil d’administration et des actionnaires de TotalEnergies ont prouvé que ceux qui ont un intérêt financier dans la destruction du monde ne sont pas aptes à prendre des décisions responsables, même lorsqu’ils savent qu’elles auront un impact non seulement sur la vie des autres, mais sur la vie tout court », assène Claire Nouvian, fondatrice et directrice de Bloom.

Cette assignation devant la justice de TotalEnergies s’inscrit dans la constellation des deux mille contentieux climatiques dans le monde contre des États ou des entreprises, selon le Programme des Nations unies pour l’environnement. À titre d’illustration, le 13 mars dernier, un agriculteur belge a assigné TotalEnergies en justice, estimant que la multinationale a une responsabilité dans les catastrophes climatiques qui touchent régulièrement son exploitation.

« Je suis ici pour défendre l’honneur de ma mère, décédée à cause d’une catastrophe climatique, souligne le plaignant William C-R. Les choix que TotalEnergies et ses actionnaires feront lors de l’assemblée générale auront un impact décisif sur nos vies à venir. » La prochaine assemblée générale du groupe se tiendra le vendredi 24 mai.

Le droit international protège les investissements dans les énergies fossiles, et c’est un problème
Sabrina Robert
https://theconversation.com/le-droit-international-protege-les-investissements-dans-les-energies-fossiles-et-cest-un-probleme-229410

Peu connu du grand public, le Traité sur la charte de l’énergie (TCE) protège les investissements étrangers dans le domaine de l’énergie des pays signataires… mais sans distinguer les fossiles des renouvelables. Le résultat : des procès jugés à huis clos par des tribunaux d’arbitrage privés, où les industriels réclament des milliards aux États qui oseront mettre en place des politiques pro-renouvelables qui défavoriseraient leurs actifs.

Mais le vent a tourné. Le 9 avril 2024, les députés européens ont voté en faveur de la sortie de l’Union européenne et de ses États membres de ce traité que de plus en plus de personnes qualifient désormais de « climaticide ». Ils validaient ainsi la proposition de retrait coordonné faite quelques mois plus tôt par la Commission européenne.

Auparavant, cette dernière avait pourtant défendu le maintien du traité, dès lors que celui-ci pouvait être renégocié. Un texte de TCE modernisé, largement inspiré des propositions européennes, avait d’ailleurs abouti à l’été 2022. Mais le processus de renégociation a avorté en raison du retrait de plusieurs États membres, dont celui de la France annoncé en octobre 2022 – devenu effectif le 8 décembre 2023.

Dans les deux cas – renégociation du traité ou sa dénonciation – il s’agit de mettre un terme à une anomalie juridique : le TCE offre aux investissements étrangers dans les énergies fossiles une protection exorbitante, parfois proche d’un mécanisme d’assurance contre les risques climatiques. Il peut constituer un obstacle à la poursuite par les États de politiques environnementales ambitieuses.

Face à l’urgence climatique et aux engagements pris par les États dans le cadre de l’accord de Paris et des COP successives quant à la sortie progressive des énergies fossiles, la dénonciation de ce traité n’est que la manifestation d’une obligation de mise en cohérence du droit international.

Cette obligation ne concerne d’ailleurs pas uniquement le TCE. Il est devenu le symbole de l’incompatibilité entre les traités d’investissement et les enjeux climatiques parce qu’il porte précisément sur le domaine de l’énergie, et notamment les énergies fossiles. Mais en réalité, il existe à l’heure actuelle plus de 2200 autres traités du même type, susceptibles d’avoir les mêmes effets.

Il s’agit d’une anomalie juridique systémique du droit international. Les États ont l’obligation de la résoudre, en vertu d’un principe général de cohérence du droit international et de prévalence des enjeux climatiques. Pour y parvenir, plusieurs voies diplomatiques sont envisageables.

Le choc des traités internationaux

Le risque de contrariété entre le TCE et l’engagement des États de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète « nettement en dessous de 2 °C » (article 2 de l’Accord de Paris) a été pointé par le GIEC, le Rapporteur spécial de l’ONU sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable ou encore par le Rapporteur spécial de l’ONU sur la promotion et la protection des droits de l’homme dans le contexte des changements climatiques.

Le TCE, traité signé en 1994 entre l’UE, ses États membres, des États d’Europe de l’Est et le Japon, peut en effet être mobilisé par des investisseurs étrangers, devant un tribunal arbitral spécial pour contester les conséquences de mesures prises dans le but de poursuivre les objectifs climatiques de l’accord de Paris : sortie de l’exploitation du charbon, refus de nouveaux permis d’exploitation d’hydrocarbures…

En cas de requête fructueuse, les investisseurs peuvent alors obtenir des montants d’indemnisation qui dépassent de loin ce qu’ils pourraient obtenir devant le juge interne. En parallèle, ce dernier peut également être saisi de requêtes d’investisseurs étrangers, mais sur le fondement du droit interne de l’État hôte, et dans le cadre des recours de droit commun, comme le recours pour excès de pouvoir devant le juge administratif français par exemple.

L’une des affaires les plus récentes a opposé l’entreprise britannique Rockhopper à l’Italie. Le tribunal a considéré que le refus d’exploiter de nouveaux gisements de pétrole dans la mer Adriatique, décidée par le gouvernement dans le but de préserver la biodiversité marine et de limiter l’exploitation des hydrocarbures, était une expropriation illicite pour laquelle l’investisseur avait droit à une indemnisation de 190 millions d’euros.

D’autres affaires comparables sont actuellement en cours de jugement devant les tribunaux arbitraux, sur le fondement du TCE ou d’autres traités d’investissement. Une étude récente estime que le coût total des dommages et intérêts décidés dans le cadre de tels arbitrages pourrait s’élever à 340 milliards de dollars américains, soit plus que les financements globaux dédiés à la lutte contre les changements climatiques pour 2020.

Si toutes n’aboutissent pas, ce contentieux peut avoir un effet dissuasif qui retarde d’autant l’adoption de mesures urgentes d’atténuation et d’adaptation au changement climatique.

Résoudre une anomalie juridique

La contrariété entre les traités d’investissement et le droit international du climat apparaît d’autant plus intenable à l’aune des derniers engagements pris par les États lors de la COP 26 à Glasgow et de la COP 28 à Dubaï, qui mentionnent :l’accélération des « efforts destinés à cesser progressivement de produite de l’électricité à partir de charbon sans dispositif d’atténuation » et l’engagement dans « une transition juste, ordonnée et équitable vers une sortie des combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques ».

Si la portée juridique des décisions des COP n’est pas claire (les engagements qui y sont pris ne sont pas, en tant que tels, juridiquement opposables aux États), il n’en reste pas moins que les États ont, unanimement, reconnu la nécessité d’amorcer un changement profond du système énergétique mondial. Or, maintenir en vigueur des traités qui protègent les énergies fossiles est clairement incompatible avec cet objectif.

Face à cette anomalie juridique, une obligation de mise en cohérence des traités internationaux devrait être reconnue à la charge des États.

Cette obligation repose d’abord sur le principe général de bonne foi. Si le droit international attend d’un État qui a signé un traité – mais ne l’a pas encore ratifié – qu’il s’abstienne d’actes qui priveraient cet accord de son objet et de son but (article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités), sans aucun doute attend-il également d’un État qu’il ne maintienne aucun instrument international susceptible de compromettre la réalisation d’autres engagements internationaux de portée universelle et visant à répondre à une urgence unanimement reconnue. S’il en était autrement, quel serait le degré de sincérité et d’efficacité des engagements climatiques des États ?

Elle repose ensuite sur le principe d’équité, au cœur de la justice environnementale. Non seulement l’équité impose que le coût de la transition climatique soit supporté par les acteurs économiques, d’autant plus que le caractère insoutenable des activités dans le domaine des énergies fossiles est établi depuis longtemps. Mais cette équité exige également de protéger plus particulièrement les pays en développement, qui sont les plus exposés aux risques de contentieux climatiques devant les tribunaux d’investissement. Et cela alors même que le droit international du climat leur reconnaît le droit de bénéficier du soutien – notamment financier – des pays développés dans la mise en œuvre de leurs propres obligations climatiques.

La difficile mise en cohérence climatique des traités d’investissement

Afin de satisfaire cette obligation de mise en cohérence, les États disposent de plusieurs options. La première est celle à laquelle s’est finalement ralliée l’UE au sujet du TCE : la dénonciation pure et simple. Toutefois, cette option est pavée d’incertitudes.

D’une part, la dénonciation du seul TCE ne suffit pas. Pour s’inscrire dans une posture parfaitement cohérente, l’UE devrait également demander aux États membres de dénoncer l’ensemble des autres traités d’investissement, de même facture que le TCE qui peuvent avoir les mêmes effets potentiels que celui-ci. La France, par exemple, est partie à 84 traités bilatéraux de ce type, avec des pays d’Afrique, d’Amérique du Sud ou encore d’Asie et d’Europe de l’Est.

L’UE et les États membres devraient aussi s’abstenir de soutenir de nouveaux traités qui reproduisent en grande partie le dispositif de protection juridique exceptionnelle pour les investissements fossiles. Or, de ce point de vue, on peut mentionner le CETA, qui a fait l’objet d’un vote négatif au Sénat français le mois dernier, mais qui continue d’être soutenu par le gouvernement. S’il devait entrer en vigueur, il aurait pour conséquence d’offrir aux investisseurs canadiens – y compris ceux dans les énergies fossiles – ce type de protection renforcée.

D’autre part, la dénonciation d’un traité d’investissement emporte avec lui l’activation systématique d’une clause de survie qui permet aux investisseurs de continuer à bénéficier de la protection conventionnelle, pendant une période qui peut aller de cinq à vingt ans. Pour le TCE, cette période est de vingt ans, ce qui signifie pour la France qu’elle pourra encore faire l’objet de plaintes d’investisseurs étrangers jusqu’au 8 décembre 2043.

Selon les spécialistes, il semble que la clause de survie puisse être neutralisée en cas de dénonciation par l’ensemble des parties au traité. Mais il est peu probable que la communauté internationale s’entende pour une solution si radicale.

La deuxième voie est celle de la renégociation. Elle était initialement privilégiée par l’UE au sujet du TCE. Celle-ci, avec le Royaume-Uni, était d’ailleurs parvenue à sortir les investissements fossiles du champ d’application du TCE modernisé. Toutefois, les autres parties contractantes ne l’avaient pas suivi. Dès lors, cette modification n’aurait eu qu’une portée limitée.

Un processus de renégociation des traités d’investissement de plus grande envergure, qui prendrait la forme d’un traité multilatéral modificateur, à l’image de la Convention BEPS négociée sous les auspices de l’OCDE en matière de fiscalité internationale, pourrait être imaginé.

L’objet pourrait être d’exclure les énergies fossiles du champ d’application matériel des traités, d’introduire des clauses de carve-out, qui permettraient aux États d’invoquer une exception climatique, ou même un veto climatique. Celui-ci empêcherait tout simplement les investisseurs d’attaquer les mesures étatiques prises en application du droit du climat devant un tribunal spécial.

De nouvelles voies de renégociation

En réalité, les propositions de renégociation ne manquent pas, ni dans la doctrine, ni dans les travaux des institutions internationales. Le plus difficile est de déterminer le modus operandi de cette renégociation.

La renégociation au cas par cas de chaque traité serait un processus trop long. L’adoption d’un moratoire multilatéral pourrait être plus efficace. Mais se pose alors la question du forum dans lequel cette renégociation pourrait avoir lieu. De nombreuses institutions économiques semblent être des candidates toutes désignées (Banque mondiale, CNUCED, OCDE…).

Mais l’hypothèse d’un « dépaysement » de la question qui pourrait être confiée à une instance non économique mérite aussi d’être examinée. Ici, l’inscription de la négociation de ce moratoire lors d’une prochaine COP sur le climat aurait tout son sens. Il s’agirait d’une étape forte dans la lutte contre les changements climatiques, qui viendrait attester que les engagements précédents des États au sujet des énergies fossiles ne sont pas de simples bouts de papier, mais des objectifs qu’ils entendent sincèrement et efficacement poursuivre.

Sabrina Robert , Professeure de droit international public à l’Université de Nantes, membre associée à l’Institut de recherche en droit internationale et européen de la Sorbonne à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Energia herritarrak
Elise Dilet
www.enbata.info/articles/energia-herritarrak

Gaur egun, etengailu bat sakatzea keinu hutsala da. Gehiengoak ez daki energia-ekoizpenaren gibelean zer dagoen, energia-ekoizpen orok eragina baduelarik. Erregai fosiletan eta nuklearrean oinarritutako energiaereduaren hauskortasunari buru egiteko, energia herritarren proiektuen garatzea premiazkoa da, Europako Parlamentuak berak definitzen dituen “Energia Berriztagarrien Komunitateen” eta “Energia Herritarren Komunitateen” kontzeptuak lagun.

XX. mendearen hastapenean, Ipar Euskal Herrian, eiherazain batzuek turbinak ezartzen zituzten beren eiheretan, elektrizitatea ekoizteko. Lurraldeen elektrifikazioa hastapenetan baizik ez zen garai haietan, eiherek ekoizten zuten energia horrek auzoko etxeak, saltokiak eta berdin ostatuak ere hornitzen zituen. Baigorrin kontatzen dute eiherazain horietako bat aski bestazalea zela eta, auzoko ostatuan gehiegi luzatzen zelarik bertsotan eta zurrutean, gaua jin ondotik haren emazteak, senarra itzultzen ez ikusteaz asperturik, etengailu nagusiari eragiten ziola, auzotegi osoa eta bereziki ostatua ilunpean utziz. Oso sistema eraginkorra ostatuko nagusiak eiherazaina etxera berehala igor zezan!

Eredu zaharkituak

Historia horrek erakusten du, garai batean, elektrizitatea etxean eskuratzeko aukera zuten bizilagun horiek bazekitela zehazki nondik zetorren. Gaur egun, oso bestelakoa da egoera: etengailu bat sakatzea keinu hutsala da, eta horren ondorio bakarra faktura merkeagoa edo garestiagoa izanen da. Usatu gara erraztasun eta arduragabetasun horretara. Gutariko gehienek ez dakigu energia- ekoizpenaren gibelean zer dagoen, gure elikadura ekoizteko moduaz edo gure eguneroko gauzak egiteko moduaz gutxi dakigun bezala. Hala ere, energia- ekoizpen orok badu eragina: kliman, bioaniztasunean, osasunean… Bestalde, azkenaldiko krisiek erakutsi dute gure energia-ereduen hauskortasuna, bai erregai fosiletan oinarritutako energiarena, bai nuklearrarena: baliabideen agortzea eta garestitzea, burujabetasun eza, arrisku oso handiak, maila anitzetan. Aldiz, energia berriztagarriek, neurritasun-neurri indartsuekin batera garaturik, egokiagoak direla erakutsi dute. Multinazional batzuek ez dute huts egin, eta masiboki inbertitzen ari dira megaproiektuetan, irabazi ederrak izanen dituztelakoan. Proiektu horiek, bistan da, ez dute neurritasunaren aldeko apustua egiten, eta lurraldeko beharrak kontuan hartu gabe abiatzen dira.

Horrek bizilagunen oposizio masiboak sortzen ditu, zeinek usu, azpiko logika kapitalista baztertu ordez, energia berriztagarriak blokean baztertzen baitituzte. Ahanzten dute proiektu horien aurka egiten baldin bada beste aukerarik proposatu gabe, energia fosilen edo nuklearraren alde egiten dela.

XXI. mendeko energiaren zirkuitu laburra

Aterabidea energia herritarren proiektuak garatzetik etorriko da: « energia horrek herritarren eta kolektibitateen parte-hartze zuzena ahalbidetzen du, proiektuaren ustiapen denbora osoko erabakietan, eta ekoizleen eta kontsumitzaileen arteko zirkuitu laburrak sortzea du helburu, beharren eta ekoizteko bideen arteko loturaz jabetzeko. »(1) Bizilagun talde batek (kolektibitate batek lagundurik ala ez) bere beharrak eta lurraldeko baliabideak ebaluatzen ditu. Ondotik, energia sortzeko unitate batean inbertitzen du, zeinak, nahiz eta sare global bati loturik egon, bere beharrei erantzungo baitie.

Eredu honek abantaila anitz baditu:

– demokrazia eta gardentasuna: hunkiak direnek erabakiak kolektiboki hartzen dituzte.

– neurritasuna eta ingurumena errespetatzea: erabiltzaileek ekoizpenaren eraginak zuzenean ikusten dituzte eta beren kontsumoarekin lotura egiten dute. Horrek neurritasuna sustatzen du. Eragin saihestezinak ttipitzeko indar eginen da eta, gainera onartuagoak ere izanen dira.

– sozialak: sortzen den aberastasuna tokiko komunitatearen esku gelditzen da eta elkartasuna ahalbidetzen du. Energia herritarra sortzeko eredu hori ez da idealista batzuen amets hutsa. Europako Parlamentuak «Energia garbia europar guzientzat» izeneko lege-pakete bat bozkatu zuen 2019an, Energia Berriztagarrien Komunitateen eta Energia Herritarren Komunitateen kontzeptuak definitzeko.

Komunitate energetikoak honela definitzen dira: « Energia berriztagarria ekoiztu, kontsumitu, biltegiratu eta sal dezaketen entitate juridikoak, non tokiko eragileen arteko lankidetza sustatzen baita. Irabazi mugatua eta gobernantza demokratikoa dute ezaugarri ».

Ipar Euskal Herriko energiaren ekosistemak tirabirak bizi dituen garai hauetan, on da gure borroken funtsa buruan atxikitzea: Euskal Herriaren energia burujabetza lortzea, eta horrela bertako bizilagunen oinarrizko behar energetikoak asetzea, ingurumenean eragin kontrolatua izanez.