Bizi !

Articles du Vendredi : Sélection du 24 janvier 2025

Les événements climatiques ont perturbé la scolarité d’un enfant sur sept dans le monde en 2024, estime l’Unicef
Le Monde avec AFP
www.lemonde.fr/societe/article/2025/01/24/les-evenements-climatiques-ont-perturbe-la-scolarite-d-un-enfant-sur-sept-dans-le-monde-en-2024-estime-l-unicef_6512968_3224.html

Près de 250 millions d’enfants dans le monde ont vu l’impact des événements météorologiques extrêmes en 2024 sur leur vie scolaire. La canicule a été la principale cause, avec au moins 171 millions d’écoliers concernés.

Classes fermées, vacances avancées, réouverture retardée, horaires décalés ou même écoles détruites… Au moins 242 millions d’enfants de la maternelle au lycée – une estimation « prudente » en raison notamment de lacunes dans les données –, dans 85 pays, ont subi une perturbation de leur scolarité l’an dernier en raison de chocs climatiques, a fait savoir, jeudi 23 janvier, l’Unicef.

« Les enfants sont plus vulnérables aux impacts des crises liées aux événements météorologiques, notamment aux vagues de chaleur, aux tempêtes, aux sécheresses et aux inondations, qui sont plus intenses et plus fréquentes » en raison du réchauffement de la planète, a déclaré la patronne de l’agence onusienne, Catherine Russell, dans un communiqué.

« L’organisme des enfants est particulièrement vulnérable. Leur température augmente plus rapidement et redescend plus lentement que celle des adultes, car ils transpirent de manière moins efficace. Les enfants ne peuvent pas se concentrer dans des classes qui n’offrent aucun répit face à la chaleur étouffante, et ils ne peuvent pas non plus se rendre à l’école si la route est sous l’eau ou si leur établissement a été emporté par les crues », a-t-elle insisté.

L’Asie du Sud, région la plus touchée

La chaleur extrême a été la principale cause, avec au moins 171 millions d’écoliers concernés, dont 118 millions au mois d’avril 2024 seulement, notamment au Bangladesh, au Cambodge, en Inde, en Thaïlande ou aux Philippines. Dans ce pays, l’envolée des températures faisant courir des risques importants d’hyperthermie aux enfants, des milliers d’écoles non climatisées ont par exemple été fermées.

Le mois de septembre, qui marque la rentrée des classes dans un grand nombre de pays, a également été très impacté, avec une suspension des cours dans dix-huit pays, notamment en raison du dévastateur typhon Yagi en Asie de l’Est et dans le Pacifique.

L’Asie du Sud a été la région la plus touchée par ces interruptions de scolarité liées aux chocs climatiques, avec 128 millions d’écoliers concernés. Par pays, l’Inde arrive en tête (54 millions d’élèves en raison de canicules), devant le Bangladesh (35 millions, pour la même raison).

La moitié des enfants dans le monde, soit environ un milliard, vivent dans des pays à très haut risque de chocs climatiques et environnementaux. Et si la trajectoire actuelle des émissions de gaz à effet de serre se poursuit, environ huit fois plus d’enfants devraient être exposés à des canicules en 2050 par rapport à 2000, trois fois plus pour les inondations extrêmes ou encore 1,7 fois plus pour les incendies, selon des projections de l’Unicef.

Risques de déscolarisation complète

Au-delà de l’impact temporaire, l’agence s’inquiète que des suspensions prolongées des cours augmentent les risques d’une déscolarisation complète de certains enfants, en particulier les filles. « Le changement climatique aggrave la crise mondiale de l’apprentissage et menace la capacité des enfants à apprendre. Aujourd’hui, selon les estimations, deux tiers des enfants de 10 ans à travers le monde ne peuvent pas lire et comprendre [un texte simple] », insiste le rapport. « Les risques climatiques aggravent cette réalité », constate-t-il.

« L’éducation est l’un des secteurs les plus fréquemment perturbés par les aléas climatiques. Or c’est un domaine souvent négligé dans les discussions malgré son rôle dans la préparation des enfants à l’adaptation aux changements climatiques », a déploré Catherine Russell. « L’avenir des enfants doit être au cœur de l’ensemble des plans et des actions en matière de climat », a-t-elle plaidé.

L’Unicef appelle ainsi à investir notamment pour rénover les salles de classe ou en construire de nouvelles plus résistantes à ces aléas. Comme au Mozambique où le cyclone Chido, en décembre, a détruit ou endommagé 1 126 salles de classe dans 250 écoles.

Trump nuira encore plus au climat que Biden
Jade Lindgaard
www.mediapart.fr/journal/international/220125/trump-nuira-encore-plus-au-climat-que-biden

La rafale de mesures anticlimatiques annoncées par le nouveau président américain ne doit pas faire oublier le mauvais bilan des démocrates au pouvoir : les États-Unis produisent aujourd’hui plus de pétrole qu’aucun autre pays dans l’histoire du monde et ne respectent pas leurs objectifs de baisse de CO2.

Depuis l’investiture de Donald Trump à la présidence des États-Unis lundi 20 janvier, chaque nouvelle seconde pèse lourd en émissions de CO2 et en pollution : retrait de l’accord de Paris sur le climat, moratoire sur les nouveaux permis d’éolien en mer et menaces sur certains projets autorisés, affaiblissement de la réglementation sur les forages pétroliers et les mines, mise en question du cadre juridique des politiques de réduction du dioxyde de carbone, remise en cause des aides aux voitures électriques, relance de terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), doute sur le maintien de la protection de l’éperlan du delta – ce petit poisson au cœur d’une polémique entre Trump et le gouverneur de Californie, Gavin Newsom.

Sans oublier la suppression de programmes antipollution d’habitant·es de quartiers populaires. Et l’annonce mardi 21 janvier d’un gigantesque programme de centres de données, très énergivores, pour développer la nouvelle génération d’intelligence artificielle (IA).

Donald Trump a signé une rafale de décrets pour « libérer l’énergie américaine » quelques heures à peine après avoir prêté serment dans la rotonde du Capitole. Reprenant le vieux slogan républicain « Drill, baby, drill » (« fore, bébé, fore ! »), il a ajouté devant ses fans : « Et faire toutes les choses que nous voulons faire. » Pendant ce temps, de hauts cadres des industries fossiles débouchaient le champagne et se délectaient de biscuits à l’effigie de Donald Trump, à l’invitation du milliardaire pétrolier et financier de sa campagne Harold Hamm, raconte le New York Times.

Même si les volontés du président américain ne pourront pas toutes s’appliquer – certaines décisions devront passer devant le Congrès, plusieurs États disent vouloir maintenir leur politique climatique –, le message est aussi fracassant que limpide : l’action pour le climat, ça commence à bien faire.

Chiffres affolants

Malgré les effets de manche et les déclarations spectaculaires, la rupture avec le mandat de Joe Biden et Kamala Harris est en réalité loin d’être nette. Car les États-Unis n’ont jamais extrait et exporté autant de pétrole et de gaz que sous la présidence démocrate. La production de brut (crude oil) est aujourd’hui 70 % au-dessus de son niveau d’il y a huit ans, lors de la première élection de Trump.

Quant aux exportations de GNL, elles dominent aujourd’hui le marché mondial – alors qu’elles en étaient presque au niveau zéro en 2016. « Les États-Unis sont un géant énergétique, nous sommes à un niveau de sécurité énergétique que nous n’avons jamais connu », s’est récemment réjoui Geoffrey Pyatt, secrétaire adjoint sortant aux ressources énergétiques pour l’administration Biden.

Les chiffres sont affolants, au regard des effets sur le dérèglement climatique de l’extraction des hydrocarbures : les États-Unis produisent aujourd’hui plus de pétrole qu’aucun autre pays dans l’histoire du monde, selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE). En 2023, 12,9 millions de barils de brut se sont ajoutés chaque jour à l’offre de pétrole états-unienne, explosant le précédent record de 2019 – avec 12,3 millions de barils. Aucun autre pays au monde ne dispose de capacités de production équivalentes.

Même l’Arabie saoudite sort moins d’or noir de ses sous-sols, précise l’AIE. La compagnie étatique Saudi Aramco prépare un plan de développement dans le but d’atteindre 13 millions de barils d’ici deux ans. Soit moins que les États-Unis aujourd’hui. On comprend mieux avec ce contexte pourquoi Kamala Harris a défendu pendant sa campagne la poursuite des forages pétroliers. Les États-Unis ont pourtant signé au Qatar en 2023 un engagement à sortir des énergies fossiles. Un texte non contraignant, tout comme le fut en son temps l’accord de Paris sur le climat.

Concernant le gaz, autre énergie contribuant gravement au chaos climatique, les investissements dans les infrastructures (terminal portuaire, gazoduc, etc.) ont été si massifs sous la présidence démocrate que leurs exportations pourraient doubler dans les années qui viennent.

Même si Joe Biden a décidé de mettre en pause de nouveaux projets de sites gaziers à la toute fin de son mandat, pas moins de cinq équipements sont en cours de construction dans le golfe du Mexique, pour une capacité estimée à 300 millions de mètres cubes supplémentaires par jour d’ici à 2027. En plus de la capacité déjà existante de 320 millions de mètres cubes exportables quotidiennement.

Ce tsunami de pétrole et de gaz sur l’économie américaine est si puissant que les industriels du secteur ne veulent pas nécessairement produire davantage, inquiets qu’une hausse des volumes fasse baisser les prix de l’énergie et donc leurs profits. Pour la petite histoire, les prix du pétrole américain ont très légèrement baissé (− 1 %) lundi après l’investiture de Trump.

« Les États-Unis n’ont jamais voulu avoir une vraie politique de transition énergétique, au sens européen du terme, c’est-à-dire une politique qui inclut un prix carbone pour protéger le climat, même sous les démocrates », analyse Thomas Pellerin-Carlin, spécialiste de politique énergétique et aujourd’hui député européen (Place publique).

Il rappelle que l’expression « energy transition » (« transition énergétique ») a été popularisée aux États-Unis après le premier choc pétrolier de 1973, et visait à rassurer les citoyen·nes face au risque de pénurie et de dépendance vis-à-vis de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep). « Les États-Unis se mettent alors à développer beaucoup de sources d’énergie : forages de pétrole en Alaska, recherche et développement sur le photovoltaïque, l’éolien, gaz de schiste, le nucléaire… afin de ne plus dépendre du pétrole et du gaz étrangers. »

À ce titre, pour celui qui fut directeur du Centre énergie de l’Institut Jacques Delors : « Un point commun entre Trump et Biden, c’est qu’ils partagent l’objectif de sécuriser les ressources énergétiques. L’Inflation Reduction Act (IRA) soutient avant tout les énergies renouvelables et le nucléaire, mais il contient aussi des éléments qui soutiennent le pétrole et le gaz. Trump marque un changement de degré, mais pas de nature de politique énergétique. »

Responsabilité des démocrates

Les conséquences de la politique de Biden en faveur de toutes les énergies, y compris fossiles, se font cruellement sentir sur la trajectoire des émissions de CO2 des États-Unis : les rejets de carbone n’ont quasiment pas baissé en 2024 (− 0,2 % par rapport à l’année précédente), selon les expert·es du Rhodium Group. Le géant américain s’était pourtant engagé à les réduire de 61 % d’ici à 2020 – par rapport à 2005, dans le cadre de l’accord de Paris.

L’IRA mis en place par Joe Biden a bien accéléré l’essor du photovoltaïque et de l’éolien, mais la demande en électricité a augmenté davantage, si bien qu’elle n’a pu être comblée que par des centrales à gaz, émettrices de dioxyde de carbone. Depuis 2005, les rejets de CO2 ont chuté de 20 %, ce qui est « significatif », puisque l’économie a continué de croître sur cette période, estiment les analystes du Rhodium Group. Mais « pour respecter ses objectifs climatiques, les émissions américaines devraient baisser dix fois plus vite ».

Avec Trump, la politique climatique des États-Unis va se dégrader, de façon irrémédiable, et à un moment particulièrement dramatique, car c’est au contraire aujourd’hui qu’il faudrait renforcer les efforts. Leurs émissions de carbone pourraient ne baisser que de 24 à 40 % d’ici à 2030, loin des 61 % attendus, insiste le site spécialisé Carbon Brief.

Même si le ministre de l’énergie pressenti pour ce début de présidence Trump 2, Chris Wright, lui-même fondateur d’une compagnie pétrolière, a essayé de rassurer les parlementaires démocrates en assurant penser que le dérèglement climatique était un « défi mondial que [les États-Unis doivent] régler », et qu’il soutiendrait l’éolien et le photovoltaïque, l’élection de Trump est une catastrophe pour le climat.

Simplement, l’expliquer par la montée d’un « carbofascisme » et le climato-négationnisme désinhibé de Trump et du mouvement Maga est trompeur. C’est bien dans les insuffisances des engagements climatiques des démocrates qu’il faut en chercher les racines.

« Nous vivons une époque impensable »
Hervé Kempf
https://reporterre.net/Nous-vivons-une-epoque-impensable

Comment s’engager politiquement dans cette ère de destruction inouïe ? Le philosophe québécois Alain Deneault évoque l’écoangoisse qui nous saisit, et comment réorienter cette énergie vers l’action. Une piste ? Les biorégions.

Alain Deneault est philosophe et enseigne à l’université de Moncton, au Canada. Il vient de publier Faire que ! L’engagement politique à l’ère de l’inouï, aux éditions Lux.

Reporterre — Pourquoi vivons-nous une époque inouïe ?

Alain Deneault — Nous sommes soumis à des discours alarmants. Des scientifiques nous expliquent la perte de biodiversité sur des millions d’années et les mutations climatiques sur des milliers d’années, tout cela n’ayant pas de pareil dans l’histoire. Dans une telle situation, penser devient presque impossible.

Penser, c’est comparer, mettre en relation des événements singuliers mais analogues, et les distinguer les uns des autres pour en percevoir la spécificité.

Et là, nous n’avons pas de point de comparaison ?

Non. Quand on pose la question du climat et celle de la perte de biodiversité, de ces mutations annonciatrices de crises, de catastrophes, de secousses graves et nombreuses, on ne sait pas se rapporter à un précédent pour le penser. C’est inouï, ça n’a pas été ouï, ça n’a pas été entendu. Et il est même difficile d’en parler. On est dans une situation non pas tant d’écoanxiété que d’écoangoisse.

Quelle est la différence entre l’anxiété et l’angoisse ?

L’anxiété consiste en des pathologies qui concernent le fait de surinvestir un objet. Vous avez peur, par exemple, de rater vos rendez-vous, vous craignez la foule… Vous avez de l’anxiété parce que vous craignez quelque chose de spécifique et vous investissez tellement cet objet de peur que vous en êtes déstabilisé, avec perte de sommeil, perte d’appétit…

Et l’angoisse ?

L’angoisse est une émotion qui n’a pas d’objet. Être angoissé, c’est être en quelque sorte envahi par des affects déstabilisants qui ne portent sur rien. Et c’est pire que l’anxiété, parce qu’on ne sait pas à partir de quoi travailler.

Avec le changement climatique ou l’extinction de la biodiversité, il n’y a pas d’objet ?

Il y a de l’écoanxiété lorsque l’inquiétude porte sur quelque chose de précis. Par exemple, un agriculteur qui craint pour ses semences en raison des sécheresses répétées, ou quelqu’un qui habite sur les côtes, qui peut craindre de perdre sa maison.

Mais quand la chaîne alimentaire est perturbée, qu’on va perdre un million d’espèces, que le climat change énormément, que le méthane va se libérer de la croûte glaciaire qui le contient — lorsqu’on regarde la question dans sa généralité, on ne peut se rapporter à rien dans l’histoire qui nous permette de nous situer. On est face à de l’impensable.

Quelles conséquences cela a-t-il de ne pas avoir d’objet sur lequel porter son angoisse ?

Le réflexe d’un sujet qui n’est pas particulièrement informé ou pas particulièrement courageux sera de se rabattre sur des objets de substitution. Il va isoler un enjeu social alors qu’à l’évidence, un problème criant, inouï, nous crève les yeux et porte sur le vivant lui-même.

Quand on entend un député ou une députée du Rassemblement national, quel que soit le sujet, à un moment ou à un autre, il revient sur les migrants comme si c’était la seule problématique. On va éliminer du champ de la légitimité politique les pauvres, les écologistes, les militants, les citoyennes et citoyens préoccupés par le sort des Gazaouis, et ainsi de suite.

L’extrême centre comme l’extrême droite tiennent un discours qui ne consiste pas à engager la citoyenneté dans un sens pertinent, à savoir se mesurer à ce défi inouï qui est le bouleversement du climat et la perte de biodiversité. Ils disent au contraire que tout irait bien s’il n’y avait pas ces éléments perturbateurs qui nuisent à la santé du corps commun.

Face à cela, le travail des philosophes, des intellectuels, des citoyens et citoyennes tout simplement, est d’élaborer des objets conformes à l’époque.

L’écologie propose-t-elle un objet substitutif ?

La difficulté de l’écologie politique aujourd’hui est précisément de peiner à proposer un objet de pensée qui motive l’action. Nous sommes confrontés à des mutations techniques, informatiques, culturelles, managériales, géopolitiques qui s’accélèrent à un rythme tel qu’il est impossible pour un cerveau humain de suivre ces réalités. Donc, on est en désarroi. Et on nous somme de créer quelque chose qui va structurer l’action.

Il faut le faire, sinon on va avoir les objets de substitution de l’extrême droite.

Qu’est-ce qui caractérise l’objet qu’il faut se donner ? Il faut qu’il soit à la fois lucide et gai. Pourquoi lucide ? Parce que s’il n’est pas lucide, il n’est pas adapté à la gravité des enjeux, il n’est pas adapté à l’inouï et il n’est que substitutif. Il faut se donner un objet dont on se dise, “ah oui, là on tient quelque chose, c’est sérieux ”, dans le sens où on se mesure au problème.

Vous citez dans votre livre des exemples de tels objets dans le passé, tels le christianisme au Moyen âge, le progrès scientifique au moment des Lumières, le socialisme au XIX siècle.

Pour nombre de catégories sociales, au XIXe siècle, le socialisme était structurant. Et il ne proposait pas des objets négatifs ou privatifs du genre anticapitalisme, anti-impérialisme, antiracisme, décroissance, anarchisme, insoumission… mais des termes qui structuraient l’action. Ce qu’on n’arrive pas à trouver aujourd’hui, c’est quelque chose qui joue le même rôle que ces termes à l’époque.

Alors que faire ? Vous, vous retournez l’expression et vous dites « faire que ». En quoi cela va-t-il nous aider à faire face à l’inouï ?

Une situation d’angoisse, lorsqu’on la prend au sérieux, lorsqu’on ne se rabat pas sur le premier objet de substitution venu, appelle la question : « Que faire ? » On l’entend partout, cette question-là, c’est étonnant à quel point elle fourmille.

On n’en est plus à l’époque où un Lénine publiait un livre qui était un guide nous disant quoi faire de manière programmatique, avec des directives, un embrigadement, une autorité, un parti. Néanmoins, il y a un nombre extraordinaire de livres qui ont pour titre Que faire ? Comme le dit Jean-Luc Nancy dans un livre qui s’intitule lui aussi Que faire ? se demander que faire est déjà faire, déjà être engagé.

« Que faire ? » est une question qui annonce un ressort, un élan. Au fil des décennies, la question a perdu de son tonus. Car il n’y a rien à faire : ils sont trop puissants pour nous. Ils ont l’armée, ils ont le capital, ils ont les médias, ils ont le gouvernement.

Au fond, ce qu’on a compris, c’est que cette question-là, qui a été roborative et stimulante, a aussi été un frein. Pour deux raisons. Il est absurde de se demander que faire pendant qu’on fait, parce que ça nous inhibe dans le mouvement alors qu’on s’y trouve. D’autre part, il y a un problème dans la formule, c’est le statut du « que » qui est un pronom interrogatif qui appelle un complément d’objet direct, un objet, mais qui est donné directement, comme une consigne.

Alors que faire ? Cela ! L’inversion de la formule « que faire » pour « faire que » a pour vertu de modifier le statut du « que », qui devient une conjonction de subordination.

On n’est plus dans la prescription, mais dans l’invitation : faire qu’un monde nouveau advienne ?

On est dans le mouvement quand on « fait que ». Il n’y a pas d’interrogation. On est engagé dans quelque chose.

Ce que je suis en train de faire contribue à ce vers quoi nous voulons aller.

C’est ça. Le subjonctif est le mode des aspirations, des projections, de l’espérance. Parce qu’on ne sait pas exactement ce qui est à espérer. On le découvre en même temps qu’on y tend.

Vous-même, avez-vous été angoissé ?

Oui, très fortement, au point de quitter les villes. Il faut souligner qu’être écoanxieux ou écoangoissé est un signe de santé mentale. Il est important de passer à travers. Comment ? En se donnant un objet qui nous stimule. Sortir de l’angoisse, c’est mobiliser cette énergie qui évolue à vide et qui nous perturbe au profit d’un objet qui en vaut la peine.

Retourner cette énergie négative ?

Oui, c’est comme ça que l’énergie psychique se dépense. Cela peut s’incarner dans une association, dans un collectif, dans un journal. L’idée est de mettre cette énergie au service d’un dessein. Et selon moi, la notion de biorégion est un vecteur pour cette action.

Qu’est-ce qu’une biorégion ?

C’est un mode de pensée politique qui consiste à situer la politique dans le vivant, dans une réflexion sur les dynamiques propres du territoire. Comme dit Peter Berg [un théoricien des biorégions], la biorégion, on la reconnaît en marchant et en observant ses dynamiques intrinsèques. Est-ce qu’il y a un plateau ? Est-ce qu’il y a une forêt ? Des montagnes ? Un littoral ? Qu’en est-il des bassins versants ?

L’idée, c’est qu’une fois qu’on a reconnu toute cette géographie vivante, la façon dont le territoire vit et quels sont ses équilibres et ses interactions, on va s’y intégrer. Quel y est le mode d’existence ?

La biorégion sera une réponse à la conjoncture qui va s’imposer. Il y a un impératif qui consiste en une contraction géopolitique de l’échelle de la mondialisation ultralibérale à celle de la région. Elle risque de s’imposer d’une manière brutale, comme à Valence, en Espagne, où il y a eu d’énormes inondations et où les gens se sont découverts laissés à eux-mêmes.

Alors, il faut comprendre le territoire qu’on habite, il faut le chérir parce qu’on en dépend désormais. Ne plus dépendre d’un régime de production extrêmement complexe où on fait venir des amandes de la Californie, ou des raisins d’Afrique du Sud.

Pour reprendre l’exemple de Valence, peut-être que s’ils avaient eu la conception de biorégion, ils n’auraient pas recouvert de béton, de lotissements et de zones industrielles plein d’endroits où l’eau, du coup, n’a plus pu s’écouler. Ils auraient pris en compte le vivant de la rivière.

Bien sûr, parce qu’ils auraient davantage soigné le lieu qu’ils habitent, parce qu’ils auraient compris à quel point ils en dépendent. Si vous habitez dans un espace dont vous savez dépendre, dans lequel vous cohabitez, que vous réhabilitez, vous vous savez lié à des gens que vous connaissez. Et que découvrez-vous ? Que vous êtes interdépendants, des gens qui vous entourent et du sol que vous habitez, parce qu’en dernière instance, c’est lui qui va vous permettre de tenir.

La biorégion ne peut-elle pas être associée à l’idée d’autonomie ?

Le concept de la biorégion est adapté à ce que l’histoire va nous faire subir. Nous allons passer un sale quart d’heure universel. Nous allons vivre des moments exigeants et il est important qu’une avant-garde soit informée de ces concepts, de cette histoire, qu’elle soit en mesure de les mobiliser au bon moment. C’est-à-dire en situation de crise, lorsque la plupart de nos concitoyennes et concitoyens auront l’attention requise pour en entendre parler. Et ce, de façon à que ce ne soit pas un néofascisme de province qui l’emporte.

Parce que l’angoisse, la panique, le désarroi sont des terreaux fertiles pour différentes formes fascistoïdes. L’important est donc de constituer une avant-garde. Une avant-garde radicalement nouvelle, qui consiste simplement à être prête lorsque le temps viendra de susciter l’entraide, de susciter le respect, de susciter le soin, en créant un espace qui sera celui auquel on se découvre réduit.

Karbono biltegi izateari utzi dio Artikoko tundrak
Jenofa Berhokoirigoin
www.argia.eus/albistea/karbono-bilkegi-izateari-utzi-dio-artikoko-tundrak

AEBetako Ozeanoko eta Atmosferako Administrazio Nazionalaren (NOAA) ikerketaren emaitza zabaldu du Nature Climate Change aldizkariak: bereganatzen zuen karbono dioxido eta metano kopurua baino gehiago isurtzen du orain tundrak.

Ondorio klimatiko gaitzak izanen dituen aldaketa baten berri eman du Nature Climate Change aldizkariak: Artikoko tundrak isurtzen duen karbono dioxido (CO2) eta metano kopurua bere baitan atxikitzen duena baino handiagoa da. Tundraren gaineko zuhaixka, landare, goroldio ala bestelako belardiek karbono dioxidoa xurgatzen dute, baita zimeltzerakoan berekin ere bideratzen dute permafrost deitu lurpe izoztura. Arazoa da beroketa klimatikoaren ondorioz permafrost geruza urtzen ari dela.

Ondokoa esplikatzen du Florent Dominé Quebeceko Takuvik laborategiko CNRSko ikerketa zuzendariak: « Mikrobioen jarduera oso murritza da lurzoru izoztuan. Baina desizoztearekin batera, mikrobio horiek esnatu egiten dira, eta antzinako materia organikoa kontsumitzen dute; kasuaren arabera, karbono dioxido edo metano bihurturik”.

Suteak, Artikoan ere

Munduko edozein eskualdetan bezala, latitude altuenetan ere areagotu ditu suteak klima larrialdiaren eraginez. Hori horrela, bertako karbono isuriak emendatzeaz gain, bigarren kalte bat ere dakar fenomenoak: permafrostaren urtzea bizkortzen du –eta hortik, CO2 eta metano gehiago askatzen dira–.

Tenperatura beroagoen eraginez landaretza garatuagoa eta oparoagoa baldin bada ere, hori ez da nahikoa permafrostaren urtzeak askaturiko gasen eragina konpentsatzeko.

Iazko abenduan AEBetako Ozeanoko eta Atmosferako Administrazio Nazionalak (NOAA) egindako txostenean oinarritzen da Nature Climate Change-ren artikulu zientifikoa. « Gaur egungo tundra duela hamarkada bat ala bi izandakotik erabat ezberdina da. (…) Aro berri batean sarturik gaude », zioen txostena publikatzerakoan AEBetako erakunde zientifikoak.

Permafrostan, atmosferan dagoenaren bikoitza

Ipar hemisferioan dagoen permafrostak 1.460 eta 1.600 gigatona karbono organiko artean lituzke bere baitan, IPCC Klima Aldaketari Buruzko Gobernu Arteko Taldearen arabera. Hau da, atmosferan dagoen CO2 kantitatearen kasik bikoitza. Askatze prozesua ez da bat-batean gertatuko: « Hamarkada batzuk hartuko ditu. (…) « , IPCCren azken txostenaren egileen artean den Gerhard Krinner-en arabera.