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Articles du Vendredi : Sélection du 22 novembre

A la COP29, happenings, réseautage et coup de pression : comment les ONG font entendre la société civile dans la grande machine onusienne
Matthieu Goar (Bakou – envoyé spécial)
www.lemonde.fr/planete/article/2024/11/21/a-la-cop29-happenings-reseautage-et-coup-de-pression-comment-les-ong-font-entendre-la-societe-civile-dans-la-grande-machine-onusienne_6406744_3244.html


Le Climate Action Network, qui fédère 1 900 associations de 130 pays, fonctionne comme un relais de la société civile au cœur des COP climat. A Bakou, il s’active pour faire avancer le dossier-clé des financements Nord-Sud.
Quelques écrans pour afficher l’ordre du jour, une estrade avec des micros et une petite centaine d’adhérents assidus. Dans la salle numéro 9 de la zone B, à l’entrée du dédale de tentes de la 29e Conférence des parties pour le climat (COP29) de Bakou, le Climate Action Network (CAN) tient l’un de ses nombreux points quotidiens. « Il faut bien souligner les arguments des pays en développement, rappelle à la tribune Janet Milongo, spécialiste kényane des énergies renouvelables. Nous devons être stratégiques, ce sont les trois derniers jours de la COP. Poussons, poussons, poussons… »
Hamdi Benslama s’empare du micro. Responsable du plaidoyer pour l’organisation ActionAid, le jeune homme défend la nomination de l’Union européenne (UE) au Fossil of the Day, une récompense satirique décernée par le CAN tous les jours de la COP. « Cela fait trois ans que tout le monde discute du New Collective Quantified Goal et nous n’avons toujours pas de quantum de la part de l’UE », lance-t-il au sujet du texte central de cette conférence qui doit fixer les aides à apporter aux pays en développement. Salve d’applaudissements. La candidature de la Suisse, « très polie, trop silencieuse », dans les négociations climatiques, est aussi acclamée.
En fin de journée, dans la petite zone réservée aux actions des ONG, une jeune femme portant un déguisement gonflable de dinosaure salue les spectateurs, et un maître de cérémonie en queue-de-pie, affublé d’un masque et d’un chapeau, fait chanter les spectateurs sur la musique de Jurassic Park. Deux jeunes femmes reçoivent les récompenses au nom de l’UE et de la Suisse. « Nous méritons ce prix, ne sommes-nous pas un des plus grands émetteurs historiques ?, ironise l’incarnation des Vingt-Sept. Nous demandons aux autres pays de nous aider pour que nous puissions vous aider. » Une référence au fait que l’UE réclame un élargissement de la base des contributeurs.
La petite foule amassée hue et filme pendant que des diplomates en costume quittent au pas de course une réunion pour en rejoindre une autre. Scène classique des COP, lieu de mélange des genres où les réunions réservées aux leaders mondiaux jouxtent des happenings de la société civile.
Une des plus grandes forces de frappe
Au milieu de l’immense archipel d’une conférence des Nations unies pour le climat, la société civile a toujours représenté une île importante. A Bakou, sur les 50 000 participants prévus, 9 882 badges ont été délivrés à des membres d’ONG. Fédération de 1 900 associations présentes dans 130 pays, le CAN possède l’une des plus grandes forces de frappe de la société civile sur les sujets climatiques. Pendant les COP, le réseau a le privilège d’organiser tous les jours une conférence de presse dans l’une des deux grandes salles. De quoi donner de la visibilité aux 60 organisations adhérentes venues à Bakou.
Lors des trois dernières éditions – Charm El-Cheikh (Egypte) en 2022, Dubaï (Emirats arabes unis) en 2023 et Bakou en 2024 –, elles n’ont pas pu défiler dans les rues en raison du contexte politique local répressif, mais ont dû se résigner à organiser un rassemblement dans la Blue Zone, l’endroit géré par l’ONU. Le CAN n’a jamais boycotté une édition de la COP même si des interrogations avaient surgi lorsque les Emirats arabes unis avaient été désignés pour organiser la COP28.
« Vu que les trois dernières COP ont eu lieu dans des pays producteurs de fossiles, parfois il nous arrive nous aussi de nous poser des questions sur les COP, mais ça reste des moments importants pour porter notre argumentaire, estime Jacobo Ocharan, responsable de la stratégie au sein du CAN. Mais ça ne nous empêche pas de bien regarder ce qu’il se passe au G20 ou au G7 et de réagir à ces moments-là… »
Dans les mois qui précèdent les COP, l’Espagnol et les équipes du réseau suivent les discussions diplomatiques, font remonter les arguments et les objectifs des ONG tout en tentant de donner de la cohérence à ces milliers de préoccupations. Généralement, le CAN fixe la grande thématique de l’année au mois de février lors de sa réunion stratégique annuelle. En 2023, la thématique de la sortie des énergies fossiles paraissait évidente vu le lieu de la conférence.
En 2024, la finance s’est aussi imposée d’elle-même. En 2022, le réseau avait poussé l’idée de mettre enfin à l’ordre du jour la création d’un fonds « pertes et dommages » pour aider les pays les plus touchés par le changement climatique.
Une idée à laquelle s’opposaient de nombreux pays occidentaux, notamment la France. « Pendant la COP, on a pu organiser une rencontre entre Agnès Pannier-Runacher [ministre de la transition écologique française] et Harjeet Singh, peut-être que ça a permis de débloquer un peu les choses », se souvient Gaïa Febvre, responsable du suivi des politiques internationales dans la branche française du CAN, en évoquant le spécialiste indien de l’adaptation au changement climatique, une des figures les plus respectées de la société civile du Sud global.
Dans la délégation française, où l’on rencontre à intervalles réguliers les représentants de la branche hexagonale, on reproche souvent au CAN de cibler systématiquement les pays occidentaux en ménageant les grands émergents, comme la Chine, et les pays du Golfe producteurs de pétrole. Une façon implicite de dire que le CAN est dominé par les ONG du Sud, dont beaucoup sont marquées par les luttes anticoloniales et anti-impérialistes. Lors de cette COP29, alors que les négociateurs européens et africains ne cessent de dénoncer l’attitude des négociateurs saoudiens, l’Arabie saoudite n’a ainsi jamais été nommée au Fossil of the Day, provoquant quelques débats en interne dans le réseau d’ONG.
Depuis le début de cette COP, la récompense a été octroyée au G7, à l’Italie, à la Russie… « C’est un argument qui revient souvent quand les négociations se tendent, mais il me semble que nous n’avons pas oublié de dénoncer les pays arabes en 2023 à Dubaï quand l’Organisation des pays exportateurs de pétrole avait tenté de saper les négociations », répond Jacobo Ocharan, à qui il reste seulement quelques jours pour mettre la pression sur les pays développés.

Face au chaos climatique, « il faut faire le deuil d’une architecture déconnectée de la nature »
Lucie Delaporte
https://www.mediapart.fr/journal/ecologie/181124/face-au-chaos-climatique-il-faut-faire-le-deuil-d-une-architecture-deconnectee-de-la-nature


Avec ses cycles ravageurs d’inondations et de sécheresses, le dérèglement climatique rend certains territoires de moins en moins habitables. Pour Christophe Millet, nouveau président du conseil national de l’ordre des architectes, il est urgent de passer de « l’aménagement » au « ménagement » du territoire.
Les inondations meurtrières à Valence en Espagne, qui ont fait plus de deux cents morts, celles à répétition dans le Pas-de-Calais, ou tout récemment en Seine-et-Marne comme en Ardèche, sont venues rappeler la grande fragilité de nos villes et villages face au dérèglement climatique.
En France, les deux tiers des communes sont exposés à au moins un risque naturel. 17 millions de Français sont aujourd’hui potentiellement exposés aux risques d’inondation par débordement de cours d’eau, remontée de nappes, submersion marine ou ruissellement. À l’inverse, la sécheresse, les fortes chaleurs fragilisent, elles, déjà près de 10 millions de maisons individuelles à travers le phénomène du retrait-gonflement des sols argileux.
Comment rendre nos territoires plus résilients face aux extrêmes climatiques ? Peut-on répondre à la crise du logement que nous traversons en sortant du tout-béton ? Alors que le bâtiment est responsable de 40 % des émissions de gaz à effet de serre, le monde de la construction est-il prêt à revoir son modèle ?
Tout juste élu à la tête du conseil de l’ordre des architectes, Christophe Millet estime dans un entretien à Mediapart que l’architecture est porteuse de solutions pour l’adaptation de nos habitats au chaos climatique.
Mediapart : Deux tiers des communes en France sont concernés par au moins un risque naturel. Vous arrivez à la tête du conseil de l’ordre des architectes dans ce contexte particulier où l’on parle de territoires, en France, qui ne seront bientôt plus habitables. À cela se greffe une crise aiguë du logement. Que peut l’architecture et comment voyez-vous votre mandat face à ces enjeux ?
Christophe Millet : Je vois ce mandat comme celui de toutes les opportunités. Comme vous l’avez dit, les crises sont réelles. On ne peut plus se contenter de mettre des patchs. Il faut trouver des solutions durables pour les habitants de cette planète, et notamment, pour ce qui nous concerne, ceux qui habitent en France. Pour autant, il faut bien s’assurer que chacun dispose d’un toit pour s’épanouir.
L’écosystème architectural se positionne en leader sur l’adaptation des territoires au changement climatique. Nous pouvons proposer des solutions efficaces, rapides à mettre en œuvre et surtout acceptables.
Lors d’un tour de France que nous venons d’achever, nous avons vu dialoguer des élus locaux et des professionnels qui, en quelques heures, sont parvenus à esquisser des solutions face au recul du trait de côte (Lacanau, en Gironde), à la densité (Bayonne, dans les Pyrénées-Atlantiques), au manque de logement, ou à la gestion des déchets du BTP (Mamoudzou, à Mayotte).
Quand on sait que des communes sont susceptibles d’être confrontées à des pluies diluviennes comme on en a vu en Espagne, il est urgent qu’elles se lancent dans des diagnostics, avec des stratégies d’hydrologie et de désimperméabilisation.
Mon rôle est de convaincre les responsables politiques de sortir d’une logique d’aménagement pour aller vers une logique de ménagement du territoire. Cela veut dire passer de la volonté de conquérir à la volonté de prendre soin. Pour cela, les maires peuvent compter sur les 30 000 architectes qui savent s’entourer de compétences interdisciplinaires.
Cet engagement sera plus efficient que de contourner la loi sur le « zéro artificialisation nette » (ZAN) ou la réglementation environnementale 2025 (RE 2025) [qui impose de réduire drastiquement les émissions de CO2 de la construction – ndlr].
Mais face à la crise du logement, certains élus avancent que le « zéro artificialisation nette » est une contrainte insurmontable parce qu’ils ont besoin de foncier pour construire. Il y a aussi toujours une forte demande sociale pour la maison individuelle. C’est difficile de passer outre, non ?
Artificialiser des terrains pour construire des quartiers de logements, ça ne marche plus. Cela entraîne des travaux très coûteux de viabilisation et d’infrastructure. Il faut préserver nos espaces libres, préserver les sols naturels et la biodiversité. Quand on voit les conséquences de l’étalement urbain, on sait qu’il est urgent d’agir.
La multiplication des zones d’aménagement, sur des fonciers libres, n’est pas la bonne solution pour répondre à la crise du logement. À Cayenne, où il y a un grand besoin de logement, il a fallu huit ans, par le biais d’une opération d’intérêt national [en clair, des opérations où l’État force la main pour que les constructions sortent plus vite – ndlr], pour mettre à disposition un foncier pour construire. Au total, il faudra au minimum douze ans pour produire 600 logements, soit 45 logements par an. Arrêtons de travailler comme ça.
Nous proposons de travailler dans la dentelle. La densification des centres-villes et des petites villes, ou celle des lotissements dans les villages, garantiraient une offre de logement de qualité et dans l’esprit du développement durable. Il faut remplacer la consommation de foncier et de matière première par la matière grise. Nous en avons à profusion et d’excellente qualité.
Un lotissement construit dans les années 1980, c’est environ cinq maisons à l’hectare. Avec l’évolution des familles et le départ des enfants, c’est moins de dix habitants à l’hectare. Il y a là une source de densification importante.
Et ces projets peuvent aller très vite. Les propriétaires de terrain peuvent tirer des revenus de la vente à la collectivité d’une partie de leur foncier, ce qui peut au passage leur permettre de rénover leur maison, car ces pavillons sont souvent les plus mal isolés.
En ville, travailler dans la dentelle, c’est aussi faire des diagnostics des espaces urbains, pour regarder où on a les capacités de construire des poches de trois, dix, quinze logements. Cela peut-être des dents creuses, de la surélévation. Ces diagnostics permettraient de massifier ce travail de dentelle.
Remettre en question le fait même de construire, s’interroger sur son impact écologique, c’est une crise existentielle pour le monde des architectes, non ? Tout cela fait-il vraiment consensus ?
Le consensus partagé est que le bâtiment est émetteur de CO2 et consommateur de ressources. Dire que le projet architectural est une des solutions face au dérèglement climatique fait aussi consensus. Enfin développer des filières de matériaux biosourcés pour construire ou rénover est aussi une évidence.
Pour les architectes, ces changements de paradigme sont une opportunité pour reprendre le contrôle du projet architectural. Lorsqu’on construit en béton, par exemple, on trace deux traits, ça fait un mur. Quand on construit en bois, d’un seul coup, il faut dessiner le détail : il y a un poteau, il y a un pare-vapeur, il y a du remplissage… et des artisans. Ces filières existent ou ont existé. Et beaucoup d’architectes expriment leur frustration face à la difficulté de concevoir de cette manière.
Mais les constructions vertueuses d’un point de vue écologique – qu’on peut observer çà et là en effet – sont-elles généralisables ? Peut-on massifier ces projets et changer d’échelle ? Hors du tout-béton, les savoir-faire n’ont-ils pas été perdus ?
Ce serait une erreur de massifier telle ou telle technique de construction, tel emploi de matériau. Ça n’a aucun intérêt. Il faut que la ressource soit disponible à proximité et soit adaptée au climat. Ce qu’il faut massifier, c’est la transition écologique. Là, on est tous d’accord.
Il n’y a pas une solution globale que nous pourrions décliner partout. Construire en bois, s’il n’y a pas de bois à proximité, ça ne marche pas. Il vaut mieux construire en pierre ou en terre, sur certains territoires.
La dernière massification qu’on a faite, c’est le béton armé. Cette massification a fait perdre un certain nombre de savoir-faire dans les territoires. Réanimer ces filières a aujourd’hui une incidence sur les prix de construction. C’est donc une question politique.
Ces savoir-faire de la pierre, du bois, de la terre, du chanvre, de la paille, de la paille de riz, du liège… existent. Sans compter l’industrie du réemploi. Ces pionniers doivent devenir des références, puis la norme. L’architecture vernaculaire entretenait une relation saine entre la filière artisanale, la ressource et l’architecture.
Si les chalets des Alpes sont en bois, c’est parce qu’il y avait des forêts à proximité et parce que le bois s’adapte très bien au climat de montagne. Dans le Sud, les carrières du Gard ont fourni une pierre légère, facile à manipuler, que le sel marin n’attaque pas. Dans l’est de Lyon, les constructions anciennes sont en pisé parce qu’on avait de la terre et un climat qui permettait de conserver ce pisé.
Faut-il désormais tourner le dos au béton ? On a vu des mouvements d’étudiants en architecture se mobiliser pour la campagne « Stop béton ». Le monde de la promotion immobilière et du BTP est-il prêt à changer de modèle ?
Pour être précis, le béton décrié est le béton armé composé de ciment Portland. Il est responsable de 6 % des émissions de gaz à effet de serre, il épuise les ressources naturelles et, en plus, il n’est pas si pérenne. On détruit des bâtiments qui, pour certains, n’ont pas 50 ans.
Pour autant, le béton armé, dans l’histoire de l’architecture, a accompagné le courant moderne, qui a permis plein de choses – comme libérer de l’espace au sol et construire en hauteur. On en a même fait une expression architecturale.
Mais nous devons faire le deuil des modernes parce que le contexte est différent. La question qui est posée est celle du bon matériau au bon endroit. Parfois, peut-être qu’il vaut mieux un poteau en béton armé que d’avoir une myriade de poteaux en bois qui viendrait raser une forêt.
Il y a des projets exemplaires, qu’il faut mettre en avant. À Lyon, par exemple, il y a un projet d’immeuble de deux cents logements en pierres massives et qui sortent au prix du marché.
Les étudiants en école d’architecture qui s’engagent pour un monde meilleur nous disent bien qu’ils ne veulent pas participer à construire un monde qui détruit l’environnement. On observe le même phénomène chez les ingénieurs, chez les agronomes… C’est un courant qui est général. Et cette jeunesse-là, nous rappelle, à nous, professionnels, qu’il faut qu’on s’engage encore plus vite.
Pour la profession, ces nouvelles contraintes imposent de faire aussi le deuil de l’architecture monumentale – la grande tour sur laquelle on va mettre son nom par exemple. Les seuls noms d’architectes connus sont souvent ceux-là et cela reste important dans l’imaginaire collectif quand on parle d’architecture.
Il faut faire le deuil d’une architecture qui serait déconnectée de la nature. Ce n’est en aucun cas une contrainte. L’imaginaire des architectes et des ingénieurs reste complètement ouvert. Il n’y a pas de limitation en réalité.
J’étais récemment à La Réunion pour la biennale d’architecture tropicale. On a vu des projets incroyables, tout en étant extrêmement respectueux de l’environnement. Des projets réalisés avec des matériaux locaux : de la terre, de la pierre, parfois de l’acier parce qu’à côté il y avait une aciérie, mais avec des structures extrêmement légères pour qu’on utilise le moins d’acier possible.
Le chantier de la réhabilitation est un chantier gigantesque. On le nomme le chantier du siècle.
On a vu des projets de toutes tailles…
Le sujet, c’est de se dire qu’on a besoin d’une architecture qui soit connectée à ses usagers, connectée à son environnement et au service de son écosystème. Avec ça, on peut faire tous les projets du monde les plus spectaculaires comme les plus modestes.
Vous soutenez surtout qu’on va moins construire et plus réhabiliter. Là aussi, c’est un changement majeur de modèle. Or, vous défendez l’idée que la réhabilitation soit reconnue comme un geste architectural. Pourquoi ?
Avant de démolir et de reconstruire, il faut effectivement s’intéresser à l’existant. La situation nous impose de faire avec le déjà là. 90 % des constructions de 2050 sont déjà là. Or, même les constructions les plus récentes ne sont toujours pas adaptées au climat de 2050. Donc, il va falloir les réhabiliter.
Il ne faut pas voir cela comme un renoncement pour notre profession. Quand on a une usine et qu’on nous demande de faire une crèche, c’est hyper enthousiasmant. Ce sont des sujets d’architecture qui sont formidables.
Le chantier de la réhabilitation est un chantier gigantesque. On le nomme le chantier du siècle. Et c’est aussi un chantier culturel, qui doit travailler avec l’identité des territoires. Il faut aussi y voir une opportunité pour développer, ou redévelopper les filières des territoires en structurant des économies locales.
Dans les territoires qui ont une histoire avec la brique, on peut faire de l’isolation très efficace en brique par exemple. C’est plus intéressant que d’aller se procurer un produit issu de la pétrochimie. Je combats l’idée d’une France homogène qui gommerait son histoire.
Or, aujourd’hui, beaucoup de réhabilitations sont faites sans le recours d’un architecte, avec toutes les conséquences que cela amène. Donc oui, il est urgent d’inscrire la réhabilitation dans la loi.

Mona Chollet : « Sous le capitalisme, être l’écolo parfaite n’est pas vraiment possible »
Laury-Anne Cholez
https://reporterre.net/Mona-Chollet-Sous-le-capitalisme-etre-l-ecolo-parfaite-n-est-pas-vraiment-possible

À cause d’un conditionnement profond, issu du christianisme, nous sommes terriblement enclins à la culpabilisation, écrit l’essayiste féministe Mona Chollet dans son nouveau livre.
La journaliste et essayiste Mona Chollet vient de publier Résister à la culpabilisation (éd. La Découverte). Elle y analyse avec habileté les mécanismes de ce puissant « ennemi intérieur » qu’est la culpabilité, notamment pour les femmes et les minorités raciales et sexuelles. Elle remonte aux origines historiques du phénomène (le christianisme) et étudie ses manifestations dans l’éducation de nos enfants comme dans nos pratiques militantes.
Reporterre — Pourquoi avoir décidé d’écrire un livre sur la culpabilité ?
Mona Chollet — Je m’étais beaucoup confrontée à ce sujet en travaillant sur des thèmes féministes, notamment sur la beauté [elle est l’autrice de Beauté fatale (2012)]. Par exemple, les femmes qui se laissent vieillir naturellement reçoivent des commentaires horribles. Celles qui font des injections ou des liftings également. Il n’y a jamais de bonne solution : on est coupable quoi qu’on fasse. Il y a aussi une histoire plus ancienne due à mon éducation protestante. J’ai grandi à Genève, une ville très marquée par le calvinisme. Il y a un côté très austère et sévère. Calvin avait interdit la musique, la danse, le théâtre, ça a laissé des traces.
Quelles sont les origines historiques de la culpabilité ?
Je me suis fondée sur le travail de l’historien Jean Delumeau et de son livre Le Péché et la peur — La culpabilisation en Occident (éd. Fayard, 1983). Il y explique que la culture chrétienne insiste sur la faute individuelle. La peur de l’enfer est très importante, avec des descriptions terrifiantes à des époques où les gens étaient persuadés que c’était un lieu réel et qu’ils pouvaient y atterrir pour l’éternité. Il y avait aussi la confession obligatoire. Tout cela forge une culture anxieuse, avec une vision très noire de l’être humain. C’est l’idée qu’on est mauvais par essence. Cette toile de fond culturelle me paraît vraiment importante. Elle a laissé des traces y compris quand on est athée.
Vous expliquez également le rôle crucial joué par le théologien saint Augustin (354-430).
C’est lui qui a forgé le dogme du péché originel. Cette idée que les êtres humains naissent coupables et sont marqués par la faute d’Adam et Ève. Or, avant saint Augustin, la Genèse n’avait pas du tout cette place centrale dans le christianisme. C’est lui qui l’a instaurée après une longue bataille politique. À l’époque, beaucoup de personnes trouvaient absurde cette idée de faute originelle transmissible. Il y a eu des débats assez vifs et il a gagné. Avoir une théorie qui disait que les êtres humains étaient mauvais par nature et qu’ils avaient besoin d’un gouvernement extérieur devait arranger l’Église.
Pourquoi, aujourd’hui, les femmes sont-elles plus enclines à culpabiliser ?
Comme tous les groupes dominés dans la société, les femmes intègrent beaucoup de stéréotypes négatifs. Même si on en est conscientes et qu’on s’en défend, ces images sont tellement présentes et envahissantes qu’on les intériorise. C’est dur d’avoir une bonne opinion de soi-même quand on est une femme dans une société foncièrement misogyne.
Ce qui m’a frappée également, c’est de réaliser combien nous dirigeons nos vies de manière à échapper à certains stéréotypes. Dans Sorcières (2018), j’avais écrit sur le personnage de la célibataire à chat. C’est une arme puissante pour nous faire rentrer dans le rang.
On va chercher à se mettre en couple et fonder une famille parce qu’on n’a pas envie d’être assimilée à ce stéréotype affreux de la vieille fille, de la sorcière. Ces images négatives sont des manières de nous faire marcher droit, de nous interdire de sortir du rang.
En travaillant sur la maternité, je me suis aussi rendu compte que cette figure de mère idéale est tout aussi nocive qu’un stéréotype négatif parce qu’elle est inaccessible. On a le sentiment de ne jamais être à la hauteur de cet idéal qu’on est censé incarner.
Vous avez rédigé un chapitre sur l’éducation où vous parlez de la violence envers les enfants. Comment l’expliquer ?
La norme du châtiment corporel est omniprésente dans toutes les sociétés humaines, sauf quelques exceptions. Dans le christianisme, il y a cette idée qu’il faut les corriger car ils seraient diaboliques. Avec une éducation très rude, y compris physiquement, on va en faire des êtres bons et vertueux.
J’ai aussi lu quelques livres de spécialistes contemporains de l’éducation. J’ai été vraiment sidérée de découvrir à quel point il y a toujours cette vision diabolique de l’enfant. L’idée que si on le laisse trop libre, il va prendre le pouvoir. Il y a un sentiment de hiérarchie très fort : l’enfant doit rester à sa place et ne doit pas être trop insolent. Mais dans quelle mesure faut-il adapter les enfants à la société ? On pourrait leur apprendre à avoir un regard lucide sur le système qui les entoure pour intégrer l’idée que ce système, on peut le changer.
Vous faites un éloge de la paresse contre la productivité et contre le rythme effréné du système capitaliste. Cette notion de paresse est peu utilisée dans les milieux de gauche. On lui préfère le terme de décroissance.
Les courants de gauche qui assument de dire que le travail n’est pas épanouissant et qu’il faut en sortir sont ultraminoritaires. Historiquement, il a toujours fallu affirmer que le travail est une source de fierté, de construction de soi. Or, sous un régime capitaliste, c’est discutable. C’est toute l’histoire de Paul Lafargue [intellectuel socialiste (1842-1911)] dans son livre Le Droit à la paresse (éd. La Découverte, 2010). On aurait eu des oppositions de gauche beaucoup plus puissantes si Lafargue avait fondé un courant politique dominant.
Pourquoi ça n’a pas marché ?
Je pense que le mot paresse a une mauvaise réputation. C’est lié au fait qu’on apprend à se valoriser grâce à notre capacité au sacrifice et à l’ignorance de nos limites physiques et psychiques. L’idée de refuser du travail militant ou rémunéré pour rester chez soi à ne rien faire est dure à assumer. Même pour moi. J’adore le concept de paresse mais je suis un lapin Duracell, je ne sais pas comment faire pour être paresseuse. Il y a un conditionnement tellement profond qui fait qu’au moindre vide dans notre quotidien, on devient hyper anxieux.
En parlant de paresse, vous donnez une explication intéressante à la passion des gens pour les chats.
Ce sont les créatures paresseuses qu’on n’ose pas être. Sur les réseaux sociaux, les gens postent des photos de leur chat étalé sur le clavier de l’ordinateur en disant : « J’aimerais bien travailler, mais je ne peux pas. » Comme si on avait besoin du chat comme excuse pour ne rien faire !
Est-ce que vous vous définissez comme écologiste ?
Non, ce serait beaucoup dire.
Pourquoi ?
Peut-être qu’il y a un sentiment de culpabilité là-dessous. J’ai peur que, si je me prétends écolo, tout le monde va me tomber dessus en me disant : « Tu as pris l’avion cette année. » C’est d’ailleurs exactement ce que je décris dans le livre. Mon problème aussi, c’est que je ne sais pas comment être écolo. Aller à Notre-Dame-des-Landes, participer à des actions devant le siège de Total : voilà pour moi les écolos aujourd’hui. Des gens qui sont dans l’action, sur le terrain, qui risquent leur peau. Je n’ai pas tellement l’étoffe d’une activiste. Je suis une intello.
Vous parlez de culpabilité militante, qui est très présente, notamment dans les mouvements écologistes. Comment s’en détacher ?
En ayant étudié le discours religieux chrétien, j’ai l’impression de voir beaucoup de points communs. Ce modèle du fidèle obsédé par sa morale personnelle, son idée d’être sans tache, parfait, digne du paradis. J’ai l’impression qu’on a transposé ça aujourd’hui. Il faudrait être l’écolo parfaite.
On oublie que dans un milieu capitaliste, avec une culture de la consommation qui nous environne depuis qu’on est enfant, ce n’est pas vraiment possible. On subit les choix des industriels.
Notre marge de manœuvre au bout de la chaîne de production est toute petite. L’énergie qu’on met à engueuler quelqu’un qui a acheté une bouteille en plastique, il vaudrait mieux la mettre dans la contestation des entreprises qui fabriquent le plastique.
Vous critiquez aussi les petits gestes, estimant que cela distrait les gens d’une contestation plus radicale du système.
On est renvoyés à notre impuissance, au fait que nous sommes de simples citoyens face à des géants des multinationales. On peut se sentir facilement écrasés. On peut préférer l’illusion d’avoir une marge de manœuvre grâce à notre pouvoir d’achat. Ces petits gestes ne sont pas à mépriser mais je pense qu’ils relèvent plutôt de la qualité de vie. On les fait parce que c’est plus agréable de se sentir dans un rapport plus sain à son environnement. Après, il ne faut pas se faire d’illusion sur leur portée.
S’il n’y a pas de régulation politique stricte, on n’y arrivera jamais. Parce que d’un côté, on nous dit de moins prendre l’avion. Mais, de l’autre, il reste cette norme sociale de poster ses photos de vacances à l’autre bout du monde. Il y a une grosse dissonance cognitive.
Avez-vous arrêté de culpabiliser ?
Non, la preuve, je n’ose pas me définir comme écolo, parce que j’ai l’impression que je ne m’estime pas digne de cette étiquette (rires). Mais ce livre m’a clarifié les idées et m’a fait beaucoup de bien. Après, évidemment, cela ne résout pas tout puisque je parlais de la culpabilisation comme une atmosphère environnante dépréciative. Cette atmosphère est toujours là.

Lehen aldiz 1,5ºC-ko langa gaindituko du tenperaturaren igoerak 2024an
Urko Apaolaza Avila
www.argia.eus/albistea/lehen-aldiz-15-graduen-langa-gaindituko-du-tenperaturaren-igoerak-2024an?mtm_campaign=HariaBuletina

Copernicus ingurumen behategiaren arabera 2024ak errekorra hautsiko du Lurreko tenperaturari dagokionez, eta hori bakarrik ez, industria aurreko garaiko batez bestekoa baino 1,5ºC altuagoa izango da lehen aldiz.
Klima larrialdiak beste mugarri bat ezarriko du aurten. Oraingoan albistea ez da 2024a erregistroak daudenetik urte beroena izango dela, tamalez ohituta gaudelako urtez urte errekor hori hausten. Lehen aldiz, erreferentziatzat hartzen den 1850 eta 1900. urteen arteko industria aurreko garaiko batez besteko tenperatura baino 1,5 gradu altuagoa izango da aurtengoa. Datu hori nabarmendu du Europar Batzordeak bultzaturiko Copernicus ingurumen behategiaren programak, bere Larrialdi Klimatikoaren Zerbitzuaren bidez. Zehazki, azaldu du urtarriletik urrira anomalia hori jadanik 1,59ºC-koa izan dela, eta seguruenik 1,55ºC altuagoa izango dela 2024ko urte osoko tenperatura.
1,5ºC-en langa gainditzeak esan nahi du jadanik 2015eko Parisko Akordioan finkatutako konpromisoa ez dela beteko. Konferentzia horretan adostu zen tenperaturak ezin duela 2 graduko igoerarik izan, baina herrialdeek esfortzua egingo zutela 1,5ºC-en mugan mantentzeko 2150 urtera arte.
1,5ºC-en langa gainditzeak esan nahi du jadanik 2015eko Parisko Akordioan finkatutako konpromisoa ez dela beteko. Herrialdeek adostu zuten esfortzua egingo zutela muga horretan mantentzeko 2150 urtera arte
« Honek mugarri berria jartzen du tenperatura globalaren erregistroetan eta balio behar luke COP29 gailurrean anbizio gehiago izateko », azaldu du Copernicuseko alboko zuzendari Samantha Burgessek.
Europar erakundearen txostenaren arabera, tenperaturaren gorakada hori Europako ia kontinente osoan erregistratu da, baita Kanadan, AEBetako erdialde eta mendebaldean, Tibeteko iparraldean, Japonian eta Australian ere. Gainera, itsasoaren batez besteko tenperatura ere oso altua izan da, 20,68ºC-koa, 2023ko baino 0,10 gutxiago soilik. La Niña fenomenoa sortzen ari dela eta, tenperatura hori jaitsi egin da Pazifikoan.
Euri-jasak, lehorteak eta hezetasuna
Euri-jasak, lehorteak eta hezetasuna dira klima larrialdiaren beste sintoma garbia, berriki Valentzian ikusi dugun moduan.
Copernicusek azaldu duenez, prezipitazioa batez bestekoaren gainetik geratuko da Europako toki askotan eta hezetasuna ere altuagoa izan da Txinan, Floridan eta Australian. Aldiz, lehorteak Afrikan eta Hego Amerikan sumatu dira gehien.
Zor ekologikoa
Egoera larri horren aurrean zientzialariak gero eta ozenago eta garbiago mintzo dira. Bioscience aldizkarian 1.500 zientzialarik sinaturiko txostena argitaratu dute berriki, AEBetako Oregon Estatu Unibertsitateko William Ripplek koordinatuta.
« Berotze globala, katastrofikoa den arren, polikrisi baten alderdietako bat besterik ez da, ingurumen degradazioa, desberdintasun ekonomikoa handitzea eta biodibertsitatearen galera ere barnebiltzen dituena »
Rafael Poch kazetariak bere blogera txosten horren zertzelada batzuk ekarri ditu, Patrick Mazzaren eskutik, eta ondorio nagusietako bat da sobregiro edo zor ekologiko baten aurrean aurkitzen garela: « Berotze globala, katastrofikoa den arren, polikrisi baten alderdietako bat besterik ez da, ingurumen degradazioa, desberdintasun ekonomikoa handitzea eta biodibertsitatearen galera ere barnebiltzen dituena », dio txostenak.
Beren esanetan, zor horrek ezin du modu mugagabean iraun: presioa handitu ahala eta Lurraren klima-sistema hondamendi egoerara pasatzen den heinean, gero eta zientzialari gehiago ari dira pentsatzen « kolapso sozial » bat gertatuko dela. « Entzungo ote du munduak? » galdetzen dute.