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Articles du Vendredi : Sélection du 20 mars 2020


Le coronavirus fait la grève générale
Hervé Kempf
https://reporterre.net/Le-coronavirus-fait-la-greve-generale

La crise du coronavirus ébranle le monde d’une manière ahurissante. Et le confinement a le même effet qu’une grève générale : la mise à l’arrêt d’un système qui a failli sur les plans sanitaire et économique. C’est l’occasion de rebondir et de préparer une issue écologique et sociale.

Nous vivons un moment fascinant. Et il y a tant d’aspects éberluants dans le bouleversement causé par l’irruption du coronavirus sur la scène humaine que le phénomène échappe pour l’instant à toute interprétation globale. Même pour des écologistes réfléchissant de longue date aux perspectives de catastrophe, d’effondrement, d’extinction, la soudaineté de l’événement surprend autant que le surgissement des envahisseurs dans Le Désert des Tartares, le chef d’œuvre de Dino Buzatti : comme le réveil brutal d’un songe d’attente incertaine, un réveil si longtemps attendu qu’il est devenu inexplicable. Car bien sûr, rien ne se passe comme on l’imaginait.

Tentons cependant de semer quelques cailloux sur le chemin menant à la compréhension de ce qui se passe.

La vengeance de la biodiversité

Est-ce un pangolin, un serpent, une chauve-souris ? On ne sait pas bien qui est le transmetteur à l’humain du virus épouvantable (c’est-à-dire qui répand l’épouvante). Les scientifiques en débattent à coup d’analyse de génomes, de récepteurs de protéines, d’acide aminé, et à vrai dire, le mystère reste épais. Mais un point semble quasiment certain : le virus s’est « échappé » d’un marché d’animaux sauvages de Wuhan, en Chine, marché comme il en existe de nombreux en Asie : ils sont alimentés en partie par le trafic d’animaux, qui est une des causes majeures de l’érosion de la diversité faunistique. Certes, ces marchés, où l’on trouve aussi beaucoup d’animaux vivants élevés, découlent d’une évolution particulière à l’agriculture chinoise, mais ils sont bien l’expression de la pression que l’activité humaine exerce sur les écosystèmes, surtout forestiers, peu ou pas anthropisés. L’érosion globale des espèces est en route, on le sait, et la récurrence des pandémies du type de celle d’aujourd’hui est un effet de cette extinction massive. Et si le Covid-19 suscite une réaction aussi impressionnante, c’est sans doute à cause de la terreur des épidémiologistes de voir surgir des virus encore plus inconnus et destructeurs. Tout ceci rappelle que la question de la biodiversité est tout aussi importante que celle du changement climatique, sur lequel l’attention écologiste a tendance à se focaliser. En fait, il ne faut pas les traiter indépendamment l’une de l’autre.

La Chine moteur de la mondialisation

Dans un monde en proie au risque devenu permanent de dislocation, la vraie puissance ne réside plus dans le fait de pouvoir conquérir et imposer, mais dans la capacité de tout détruire. Voilà que le balancier des empires nuisants a déplacé son centre de gravité : alors qu’en 2008, la folie spéculative du système états-unien avait placé le monde au bord du précipice, ce sont maintenant les hoquets de la Chine qui empêchent le monde de respirer. Elle génère le poison qui menace le monde. Quand elle s’arrête pour le neutraliser, tout s’arrête. Quand elle choisit la méthode pour le contrôler, tous l’imitent. La maîtresse du jeu, maintenant, c’est elle. Et tandis que la Chine manœuvre à bords comptés comme un immense croiseur sorti d’un détroit difficile, les États-Unis s’agitent sous la houppette d’un bateleur braillard, valdinguant du déni à l’état d’urgence, sur fond de système public de santé en perdition. Si un maître est quelqu’un dont on veut suivre l’exemple, les États-Unis ne sont plus le maître du monde.

Mais ce n’est pas une bonne nouvelle, car le nouveau souverain n’est pas plus recommandable que le précédent. Le Covid-19 est un symptôme du saccage écologique que le développement industriel ahurissant de la Chine a causé en quelques décennies. Un saccage qu’elle a choisi de ralentir, pas de stopper, continuant à se fixer des objectifs de croissance de plus de 5 % par an, qui sont délirants compte tenu de la taille de son économie et de l’état de la biosphère.

De surcroît, la façon dont elle a contrôlé l’épidémie, par un contrôle social généralisé où la notion de liberté individuelle disparaît purement et simplement, présage d’un avenir sombre si la Chine devient le modèle que nombre de capitalistes occidentaux sont de fait prêts à adopter.

Internet, l’univers parallèle

Le virus s’est propagé à une vitesse extraordinaire, qui témoigne de l’intensité de la mondialisation, entendue comme la transmission des flux biologiques tout autant que marchands de tout point de la planète vers tout autre. En 1968-1969, il avait fallu plus d’un an au virus de la grippe de Hong Kong pour faire le tour de la planète et atteindre la France (où il a tué plus de 30.000 personnes…). Il a fallu moins de trois mois au Covid-19 pour s’inviter en Europe occidentale.

Tout aussi prodigieuse est la vitesse de l’information, et la rapidité avec laquelle des dizaines de pays se sont imprégnés de cette nouvelle culture du virus, sachant ce qui se passait en Chine, en Iran, en Italie, où en étaient les recherches, débattant des mesures, des méthodes, des solutions… Au 10 mars, 68.000 articles à propos du coronavirus étaient publiés tous les jours dans le monde sur le net. La mondialisation peut ainsi s’entendre comme la transmission des flux intellectuels tout autant que biologiques de tout point de la planète vers tout autre.

Internet en est bien sûr le vecteur privilégié. Il crée une sorte d’univers parallèle à l’univers physique dans lequel les êtres humains marchent, se rencontrent, se serrent la main, se parlent, bref, inscrivent corporellement leur existence dans les relations sociales. Nous sommes devenus, si nous en doutions encore, une culture mondiale homogène.

Par ailleurs, l’intensité des échanges dans l’univers parallèle pourrait expliquer la facilité avec laquelle, dans de nombreux pays et maintenant en France, on accepte d’être physiquement enfermés chez  soi. Puisqu’au fond, c’est bien ce dont il s’agit avec l’interdiction des déplacements qui a été décrété en France : un emprisonnement volontaire. Nous n’accepterions sans doute pas cette réclusion domestique si nous n’avions pas l’idée que nous pouvons vivre en parallèle sur Internet. Il reste à savoir ce que devient la liberté dans un tel cloisonnement des univers — alors que la domination s’exerce toujours, elle, par le contrôle physique des êtres de chair et de sens que nous sommes fondamentalement.

L’État pompier de l’incapacité néolibérale

Un des aspects les plus ahurissants de ce qui se passe est que, alors que le Covid-19 a pour l’instant des conséquences sanitaires en fait limitées (6.600 morts dans le monde au 16 mars selon le relevé de l’Organisation mondiale de la santé), ses conséquences économiques sont immenses : l’économie mondiale subit un coup de frein d’une violence jamais vue. Le spectre de la faillite surgit déjà pour nombre de compagnies importantes, à commencer par le transport aérien, et les marchés financiers ont commencé à s’écrouler sans que les banques centrales paraissent encore capables d’enrayer la chute.

Ce traumatisme économique, dont nous ne vivons encore que les prémices, révèle déjà deux choses :

. l’effet écologique de ce ralentissement brutal est déjà très perceptible, et souligne, s’il en était encore besoin, que le fonctionnement du système économique actuel est radicalement incompatible avec l’équilibre de la biosphère. Autrement dit, la crise indique de la pire des manières que pour faire face à la catastrophe écologique, il faut bouleverser le capitalisme.

. l’ébranlement actuel révèle aussi l’impéritie du dogme néolibéral — laisser les marchés agir et affaiblir le rôle économique de l’État — face aux crises. En Italie, en France, et bientôt sans doute aux États-Unis, la difficulté de gestion de la pandémie découle largement de l’affaiblissement du service public hospitalier poursuivi depuis des décennies. Quant à la crise financière qui s’amorce, elle découle largement du fait que le capitalisme n’a pas sérieusement régulé les fonds spéculatifs après la crise de 2008 ; de même, le choix des banques centrales a été depuis des années de soutenir, par le quantitative easing, les banques et les marchés financiers plutôt que l’économie réelle. Enfin, face à l’urgence, c’est à nouveau l’État qui est appelé à la rescousse des entreprises, en lâchant les vannes de la dette, du déficit public, allant même jusqu’à envisager les nationalisations de grandes entreprises en difficulté.

La grève générale est arrivée !

Il est encore bien trop tôt pour dire comment les événements vont se dérouler — mais il faut s’y préparer ! Le point de focalisation va rapidement devenir la question économique : le capitalisme va vivre sa plus grande crise depuis 2008, et encore moins armé, puisque les dettes publiques et privées ont atteint des niveaux bien plus importants qu’alors.

Le pire, en tout cas, serait qu’il veuille se remettre en marche sans rien changer de ses principes, par le biais d’une relance massive au nom du salut de la nation (les termes grandiloquents de M. Macron dans ses deux discours du 12 et du 16 mars, et l’emploi répété du mot « guerre » indiquent assez les ressorts unanimistes que les dirigeants vont vouloir actionner).

En fait, puisque la table est renversée, il faut saisir le choc du coronavirus comme une chance. Il a déjà permis deux victoires inattendues, certes partielles : la suspension de la privatisation d’Aéroports de Paris et le report de la réforme des retraites. Et plus généralement, on peut voir le confinement actuel comme la mise en œuvre de la grève générale rêvée par tant de militants ! Le système économique est à genoux, et c’est maintenant qu’il faut réfléchir activement pour préparer la relève. Le principe en sera d’imposer la refonte écologique et sociale profonde que le mouvement alternatif revendique depuis des années : une régulation réelle des marchés financiers, une réévaluation des missions de l’État, notamment à l’égard des biens collectifs tels que la santé, une économie fondée sur le respect des limites de la biosphère, la réduction des inégalités.

Le coronavirus rebat les cartes. Très bien. Usons le confinement pour préparer le nouveau jeu.

« De la crise du coronavirus, on peut tirer des leçons pour lutter contre le changement climatique »
François Gemenne est chercheur en science politique, directeur de l’Observatoire Hugo – Observatoire mondial des migrations environnementales à l’Université de Liège (Belgique) et membre du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ; Anneliese Depoux est chercheuse, codirectrice du Centre Virchow- Villermé de Santé publique, Université de Paris, et membre de l’Initiative Lancet Countdown, groupe international de recherche sur la santé et le changement climatique.
www.lemonde.fr/idees/article/2020/03/18/de-la-crise-du-coronavirus-on-peut-tirer-des-lecons-pour-lutter-contre-le-changement-climatique_6033464_3232.html

Les mesures radicales et pourtant acceptées par la population pour endiguer l’épidémie éclairent sur la manière de mener le combat contre le réchauffement de la planète, estiment la spécialiste en santé publique et le chercheur en sciences politiques dans une tribune au « Monde ».

Face à la crise du coronavirus, de nombreux gouvernements ont fait le choix de mettre en place des mesures radicales pour contenir l’avancée de l’épidémie, avec un impact économique sans précédent, encore difficile à chiffrer aujourd’hui.

Même si nous manquons encore de recul, il est prévisible que beaucoup de ces mesures de ralentissement forcé de l’économie ont induit une baisse significative des émissions de gaz à effet de serre. On estime ainsi que ces émissions ont baissé de 25 % en Chine au cours du mois de février 2020, tandis que le trafic aérien mondial baissait de 4,3 % au cours du même mois – avant même que Donald Trump n’annonce, le 11 mars, l’interdiction pour les Européens de se rendre aux Etats-Unis.

Réduction des particules fines en Chine

Paradoxalement, certaines de ces mesures ont même des effets bénéfiques pour la santé publique : la concentration de particules fines a baissé de 20 % à 30 % en Chine pendant la période de confinement, ce qui a vraisemblablement épargné, dans ce pays, un nombre de vies plus important que le coronavirus n’en a coûté : la pollution atmosphérique y est responsable au bas mot, d’une surmortalité annuelle de 1,1 million de personnes, selon les estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Il sera sans doute difficile d’estimer l’ensemble des effets, à moyen et long terme, de la crise du coronavirus sur le climat. Mais cette crise montre en tout cas une chose : il est possible que des gouvernements prennent des mesures urgentes et radicales face à un danger imminent, y compris des mesures (très) coûteuses. Et il est possible que ces mesures soient acceptées par la population.

Et pourtant, malgré les menaces très graves qui y sont également associées, nous n’avons pas été capables de prendre des mesures similaires pour contrer le changement climatique.

Avant la pandémie, et malgré les appels répétés des scientifiques et des activistes pour décréter « l’urgence climatique », les émissions mondiales de gaz à effet de serre continuaient de croître de 1 % par an en moyenne, très loin des objectifs de l’accord de Paris, signé en 2016.

Quatre enseignements à tirer

Alors que nous sommes parfaitement capables de traiter la pandémie du coronavirus pour ce qu’elle est – une urgence absolue, nécessitant des mesures radicales sur la base d’avis scientifiques – nous sommes à l’évidence incapables de faire de même pour le changement climatique. Pour le dire simplement : nous avons beaucoup plus peur du coronavirus que du changement climatique. Pourquoi?

Il ne s’agit évidemment pas de dire ici que la peur du coronavirus est exagérée, ou que les mesures prises sont excessives. Au contraire. Simplement de constater qu’il est possible de mettre en place des mesures urgentes et radicales, avec l’accord de la population, et que cette crise recèle de nombreux enseignements pour la manière dont nous communiquons sur le changement climatique. Il nous semble utile d’en relever quatre ici.

« Nous ne craignons pas de contagion liée au changement climatique,

et nous le traitons donc à distance »

Tout d’abord, si la menace du coronavirus nous inquiète autant, et davantage que celle du changement climatique, c’est sans doute d’abord parce que nous craignons de contracter le virus nous-mêmes. Le virus représente un danger concret, proche et immédiat.

A l’inverse, nous avons encore l’impression que le changement climatique se produira d’abord pour les autres, dans le futur et ailleurs. Nous ne craignons pas de contagion liée au changement climatique, et nous le traitons donc à distance. Cette distanciation sociale, c’est nous, chercheurs, qui l’avons en partie créée. Avec des modèles climatiques calibrés sur des horizons à long terme et des cartes qui pointaient vers l’Afrique subsaharienne ou l’Asie du Sud-Est comme les régions les plus touchées.

Même si elle reflète une réalité scientifique, cette communication crée une distance entre ceux qui doivent agir pour lutter contre le changement climatique et les impacts de celui-ci. Ce que la crise du coronavirus nous suggère, c’est que nous devrions abandonner les objectifs à long terme pour nous concentrer sur des buts plus immédiats : le but des mesures de confinement ne consiste pas à limiter la surmortalité dans dix ou vingt ans, mais bien à freiner la propagation de l’épidémie, ici et maintenant. C’est cela qui permet de légitimer les mesures drastiques de confinement.

Des mesures perçues comme temporaires

Ensuite, les impacts du changement climatique sur la santé publique demandent à être davantage mis en évidence. De nombreux travaux montrent que l’argument de santé publique est l’un de ceux qui résonnent le plus fort auprès des populations et qui sont les plus enclins à induire des changements de comportement.

Or, on connaît les impacts dramatiques du changement climatique sur la santé, notamment sur les maladies infectieuses. Ces impacts restent insuffisamment soulignés dans notre communication sur le climat.

En troisième lieu, il nous faut aussi nous interroger sur la temporalité des mesures : si celles-ci sont acceptées par la population, à défaut d’être parfaitement mises en oeuvre, c’est parce qu’elles sont perçues comme temporaires. Si ces mesures étaient annoncées comme permanentes, nul doute qu’elles généreraient davantage de débat et de contestation.

Pour cette raison, nous croyons qu’il faut éviter de parler du changement climatique comme d’une « crise » : une crise est par nature éphémère, et suppose ensuite un retour à la normale. Le changement climatique est une transformation irréversible : il n’y a pas de retour à la normale, pas de baisse de la température ou du niveau des océans – en tout cas pas avant très longtemps.

De même, les mesures que nous devons prendre pour endiguer le changement climatique ne peuvent être temporaires : elles devront être des transformations permanentes de nos économies et de nos modes de vie. C’est pourquoi il faut absolument éviter de nous bercer de l’illusion que les mesures prises en réaction au coronavirus pourraient être simplement transposées pour lutter contre le changement climatique : si nous acceptons les mesures drastiques prises pour contrer la pandémie, c’est parce que nous savons qu’elles seront temporaires.

Enfin, l’éducation est souvent présentée comme un outil essentiel de la lutte contre le changement climatique : si tous les citoyens disposaient d’une connaissance suffisante du phénomène, on suppose volontiers qu’ils en prendraient alors la mesure et agiraient en conséquence. Les mesures contre le coronavirus, pourtant, n’ont pas été demandées par les citoyens, mais imposées par les gouvernements, alors que les citoyens n’avaient guère de connaissances médicales ou épidémiologiques. La lutte contre le changement climatique aura également besoin de mesures décidées verticalement : si nous attendons que chacun prenne les mesures qui s’imposent, nous risquons d’attendre longtemps.

La nécessité d’une solidarité planétaire

Le changement climatique et la pandémie du coronavirus présentent de nombreuses caractéristiques communes : l’ensemble des pays du monde, ou presque, sont touchés, et les scientifiques recommandent la mise en place urgente de mesures drastiques. Dans les deux cas, les réponses mises en oeuvre ont d’abord pour but de protéger les plus vulnérables.

En cela, c’est une remarquable leçon de solidarité. Mais cette solidarité reste pour l’instant confinée aux frontières nationales, qui d’ailleurs se ferment de plus en plus : il n’y a pas une gestion mondiale de la crise, mais une myriade de gestions nationales, souvent très différentes d’un pays à l’autre. Le changement climatique nous demande une solidarité au-delà des frontières, et pas uniquement à l’intérieur de celles-ci : on peut questionner l’utilité de fermer les frontières pour ralentir la propagation du virus, mais il est certain que les émissions de gaz à effet de serre ne s’arrêteront pas aux frontières.

Et surtout, les mesures de lutte contre le coronavirus sont des mesures imposées par l’état de nécessité : nous ne les avons pas choisies, nous les subissons. Les mesures pour lutter contre le changement climatique devront être choisies.

« Ces mesures sont imposées par l’état de nécessité : nous les subissons.

Celles pour lutter contre le changement climatique devront être choisies »

Comment passer de l’un à l’autre, du subi au choisi ? Tout l’enjeu est là. Car les réponses à la crise du coronavirus sont aussi un appel à retrouver le sens du commun. Et elles nous montrent qu’il est possible de prendre des mesures radicales et urgentes face à un danger imminent. Puissions-nous en tirer les leçons qui s’imposent dans le combat contre le changement climatique.

Crise du coronavirus, quels enseignements pour faire face à la crise écologique ?
Yann Arthus-Bertrand, Julien Leprovost
www.goodplanet.info/2020/03/15/crise-du-coronavirus-quels-enseignements-pour-faire-face-a-la-crise-ecologique

L’urgence sanitaire du coronavirus prend de l’ampleur jour après jour. Elle conduit les autorités autour du monde à prendre des mesures jamais vues jusqu’à présent, et ce alors que d’autres situations urgentes existent par ailleurs ! Mais les dangers cumulés, réels et perçues de l’anthropocène, de la misère, de l’érosion de la biodiversité et du réchauffement climatiques n’ont jamais réussi à mobiliser aussi rapidement les gouvernements…

Un rhinocéros dans la pièce 

La crise du coronavirus révèle bien des contradictions et des paradoxes d’un monde en crise depuis des décennies. Elle interroge sur la manière dont nous réagissons aux événements ? Elle donne l’impression qu’on agit mieux face à un événement exceptionnel imminent que face à des problèmes de fond à résoudre.

En bref, pourquoi la catastrophe appelle à l’action alors qu’une lente dégradation suscite au mieux l’indignation et l’attente ? La réponse à cette question, ajoutée à la manière dont l’intelligence collective y réagira, modèleront le futur des habitants de notre planète.

Nous repensons à ce que dit souvent Mathieu Ricard : « Le futur ne fait pas mal, du moins pas encore. Si on vous dit qu’un rhinocéros va entrer dans la pièce dans trente ans et écrabouiller tout le monde, vous vous dites qu’on verra plus tard. Si on vous dit qu’un rhinocéros va entrer maintenant dans la salle, tout le monde panique et se lève.

Nous avons beaucoup de mal à réagir émotionnellement à des événements qui vont se produire dans plusieurs décennies. Nous manquons de considération, et sans doute d’intelligence, pour l’avenir et les générations futures. »

Une maladie grave, mais quid des autres ?

La pandémie de coronavirus est une crise sanitaire grave qui peut entrainer la mort de plus de 2 % des personnes infectées. C’est donc potentiellement une menace de santé de premier ordre. En à peine un trimestre, elle semble avoir changé le monde, ou du moins remis en cause son fonctionnement. Le temps dira si cela est pérenne ou non.

La crainte suscitée par la pandémie justifie amplement les mesures d’exception prises. Sa soudaineté et le fait que la maladie concerne actuellement principalement des pays dits riches font oublier que d’autres maladies bien connues, dont certaines évitables, continuent de tuer des millions de personnes dans les pays en développement. L’Organisation Mondiale de la Ssanté estime ainsi qu’en 2016, 5,6 millions d’enfants de moins de 5 ans, soit 15 000 par jour, sont décédés de maladies dans le monde. Ils vivent en grande partie dans les pays pauvres. En cause : la malnutrition, le paludisme, les diarrhées ou le VIH… Pourtant, plus un de ces décès sur 2 sont « dus à des maladies qui pourraient être évitées ou traitées moyennant des interventions simples et d’un coût abordable ». C’est sans compter sur distance géographique et émotionnelle : la problématique lointaine, traitées de temps à autre dans les médias et qui se résorbe peu à peu grâce au développement n’attire plus l’attention. Cet état de fait banalisé est perçu comme une fatalité…

La pollution de l’air, de l’eau et les changements climatiques sont des problèmes sanitaires bien connus. Mais, il est encore difficile aujourd’hui de leur apporter une réponse satisfaisante en matière de santé publique, sans doute car ces phénomènes sont ancrés dans la durée, moins concentrées, plus éparses, ils n’entrainent pas autant de réaction des autorités, et c’est bien regrettable

Pourtant, la pandémie écologique est bien là puisque l’OMS estimait qu’un décès sur 4 dans le monde est lié à l’environnement. Les citoyens et les gouvernements ne semblent pas encore prêts à agir pour relever ce défi. Alors même que la solution est plutôt simple : réduire nos activités économiques polluantes.

Un laboratoire de l’effondrement ou de la décroissance ?

Et, le tour de force de l’épidémie de coronavirus réside dans l’arrêt ou le nantissement économique subi par nos sociétés. Les premières images de la NASA ont montré son effet positif sur la pollution de l’air en Chine et de nombreux experts estiment que cette crise sanitaire devenue crise économique se répercutera de manière positive sur l’écologie. Ça tombe bien, depuis des années, les scientifiques appellent à de profondes transformations de notre économie pour réduire notre empreinte écologique…

On peut parler d’effondrement, ou de décroissance. Osons aborder ces sujets. Y sommes-nous prêts ? C’était inenvisageable jusque peu, pourtant cela vient de se concrétiser. Les enjeux sont certes différents : ralentir l’économie pour faire face au coronavirus vise in fine à maintenir le système économique actuel qui repose sur la croissance alors que le faire pour le changement climatique impliquerait de radicalement le repenser afin d’en finir avec cette croissance nocive pour l’humain, la planète et la santé.

2 % VS 2°C

Le coronavirus sera peut-être une des premières expériences mondiales vécues par la planète entière… c’est l’occasion de repenser la mondialisation et ce qui nous rend humain, ce qui nous lie. Nous n’avons pas le désir d’opposer macabrement les chiffres, mais si nous parvenons à endiguer le coronavirus pour sauver 2 % de la population mondiale et l’économie, pourquoi ne pas en faire de même pour un climat sous les 2 degrés Celsius l’augmentation des températures, ce qui éviterait de nombreux drames à venir dont des déplacements de populations, des sécheresses et famines et des conflits potentiels ?

La crise pandémique actuelle montre que sortir de la mondialisation est possible, que stopper la machine peut se faire rapidement. Le choc s’encaisse difficilement car nous le subissons plus que nous le choisissons, or la décroissance choisie peut être une opportunité à condition de faire la nécessaire révolution spirituelle dont nous avons besoin.

Nous connaissons que trop bien l’absurdité de ce monde où les avions volent à vide au mépris du bon sens écologique et même économique juste pour ne pas perdre des créneaux de décollage. Une des difficultés de l’épreuve traversée par nos contemporains réside dans la vision de ces villes vidées de leurs habitants, ces rues dévitalisées, ces personnes cloîtrées et l’absence de contacts humains. Il serait réducteur d’associer la décroissance à ces visions. Un des spécificités de l’idée de décroissance consiste à accompagner la nécessaire réduction notre empreinte carbone, sans en exclure la richesse immatérielle humaine et la convivialité. Décroître est possible, la crise du coronavirus tend à le montrer. Et la convivialité associée à la sobriété, afin de ne plus répéter nos excès du passé, pourront être les piliers d’un nouveau monde plus durable, plus humains et plus sain.

« Rester confiné chez soi, sur son canapé, n’a strictement rien à voir avec une période de guerre »
Maxime Combes, économiste et membre d’Attac.
www.bastamag.net/pandemie-covid19-coronavirus-Macron-guerre-virus-confinement

Les mots ont un sens. « La pandémie à laquelle nous sommes confrontés exigent des mesures plutôt opposées à un temps de guerre » explique l’économiste et chroniqueur de Basta ! Maxime Combes dans cette tribune.

Non, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie

« Nous sommes en guerre ». A six reprises, lors de son allocution, Emmanuel Macron a utilisé la même expression, en essayant de prendre un ton martial. L’anaphore voulait marquer les esprits et provoquer un effet de sidération. Avec deux objectifs sous-jacents. L’un sanitaire : s’assurer que les mesures de confinement – mot non prononcé par le président de la République – soient désormais appliquées. L’autre politique : tenter d’instaurer une forme d’union nationale derrière le chef de l’Etat. Le tout également pour faire oublier les mesures contradictoires et les hésitations coupables de ces derniers jours.

Pourtant les mots ont un sens. Et c’est non, mille fois non : nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en pandémie. C’est suffisant, et totalement différent. Aucun État, aucun groupe armé n’a déclaré la guerre à la France, ou à l’Union européenne. Pas plus que la France n’a déclaré la guerre (article 35 de la Constitution) à un autre État. Le Covid-19 ne se propage pas en raison du feu de ses blindés, de la puissance de son aviation ou de l’habilité de ses généraux, mais en raison des mesures inappropriées, insuffisantes ou trop tardives prises par les pouvoirs publics.

La pandémie à laquelle nous sommes confrontés exigent des mesures plutôt opposées à un temps de guerre

Non, le virus Covid-19 n’est pas un « ennemi, invisible, insaisissable, et qui progresse » comme l’a affirmé Emmanuel Macron ce lundi 16 mars. C’est un virus. Un virus qui se propage au sein d’une population non immunisée, porté par nombre d’entre nous et disséminé en fonction de l’intensité de nos relations sociales. Il est très contagieux, se propage vite et peut avoir des conséquences terribles si rien n’est fait. Mais c’est un virus. Pas une armée. On ne déclare pas la guerre à un virus : on apprend à le connaître, on tente de maîtriser sa vitesse de propagation, on établit sa sérologie, on essaie de trouver un ou des anti-viraux, voire un vaccin. Et, dans l’intervalle, on protège et on soigne celles et ceux qui vont être malades. En un mot, on apprend à vivre avec un virus.

Oui, les mots ont un sens. Nous ne sommes pas en guerre car la pandémie à laquelle nous sommes confrontés exige des mesures plutôt opposées à celles prises en temps de guerre : ralentir l’activité économique plutôt que l’accélérer, mettre au repos forcé une part significative des travailleuses et travailleurs plutôt que les mobiliser pour alimenter un effort de guerre, réduire considérablement les interactions sociales plutôt qu’envoyer toutes les forces vives sur la ligne de front. Quitte à provoquer, disons-le ainsi : rester confiné chez soi, sur son canapé ou dans sa cuisine, n’a strictement rien à voir avec une période de guerre où il faut se protéger des bombes ou des snipers et tenter de survivre.

Il n’est pas question de sacrifier le personnel médical, au contraire, il faut savoir les protéger

Cette référence à la « guerre » convoque par ailleurs un imaginaire viril peuplé d’héroïsme masculin – bien que largement démenti par les faits – et du sacrifice qui n’a pas lieu d’être.

Face au coronavirus – et à n’importe quelle pandémie – ce sont les femmes qui sont en première ligne : 88 % des infirmières, 90 % des caissières, 82 % des enseignantes de primaire, 90 % du personnel dans les EHPAD sont des femmes. Sans même parler du personnel de crèche et de garderie mobilisés pour garder les enfants de toutes ces femmes mobilisées en première ligne. Le personnel médical le dit clairement : nous avons besoin de soutien, de matériel médical et d’être reconnus comme des professionnels, pas comme des héros. Il n’est pas question de les sacrifier. Au contraire, il faut savoir les protéger, en prendre soin pour que leurs compétences et leurs capacités puissent être mobilisés sur le long terme.

Non, définitivement, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes face à une pandémie. Et c’est déjà bien assez. Nous ne sommes pas des soldats, mais des citoyennes et citoyens. Nous ne voulons pas être gouvernés comme en temps de guerre. Mais comme en temps de pandémie. Nous n’avons pas d’ennemi. Ni à l’extérieur, ni à l’intérieur des frontières. Confrontés pendant des semaines à l’incurie d’un gouvernement incapable de prononcer un discours clair et des mesures cohérentes entre elles, nous sommes juste des citoyennes et citoyens progressivement en train de comprendre que la meilleure chose à faire est de rester confinés. A devoir apprendre à vivre au ralenti. Ensemble mais sans se rencontrer. A rebours de toutes les exigences de compétitivité et de concurrence qui nous ont été assénées depuis des dizaines d’années.

Instituer la solidarité et le soin comme principes cardinaux, pas les valeurs martiales et belliqueuses

Lutter contre la pandémie du coronavirus n’est pas une guerre car il n’est pas question de sacrifier les plus vulnérables au nom de la raison d’État. Comme celles qui sont en première ligne, il nous faut au contraire les protéger, prendre soin d’eux et d’elles, y compris en se retirant physiquement pour ne pas les contaminer. SDF, migrant.e.s, les plus pauvres et plus précaires sont des nôtres : nous leur devons pleine et entière assistance pour les mettre à l’abri, autant que faire se peut : la réquisition de logements vides n’est plus une option. Lutter contre le coronavirus c’est instituer la solidarité et le soin comme les principes cardinaux de nos vies. La solidarité et le soin. Pas les valeurs martiales et belliqueuses.

Ce principe de solidarité ne devrait d’ailleurs pas avoir de frontière, car le virus n’en a pas : il circule en France parce que nous circulons (trop) dans le pays. Aux mesures nationales, voire nationalistes, brandies ici et là, nous devrions collectivement étendre ce principe de solidarité à l’international et nous assurer que tous les pays, toutes les populations puissent faire face à cette pandémie. Oui, la mobilisation doit être générale : parce qu’une crise sanitaire mondiale l’exige, cette mobilisation doit être généralisée à la planète entière. Pour que pandémie ne rime pas avec inégalités et carnages chez les pauvres. Ou simplement chez les voisins.

Point besoin d’économie de guerre, juste d’arrêter de naviguer à vue

Alors, oui, sans doute faut-il prendre des mesures d’exception pour réorganiser notre système économique autour de quelques fonctions vitales, à commencer par se nourrir et produire le matériel médical nécessaire. Deux mois après les premières contaminations, il est d’ailleurs incroyable qu’il y ait encore des pénuries de masques pour protéger celles qui sont en première ligne : réorienter, par la réquisition si nécessaire, des moyens de production en ce sens aurait déjà dû être fait. Histoire de ne pas avoir à refuser d’exporter des masques comme l’UE le fait désormais, y compris avec la Serbie qui a pourtant entamé son processus d’adhésion : où est donc la solidarité européenne ?

Point besoin d’économie de guerre pour cela. Juste besoin d’arrêter de naviguer à vue et d’enfin prendre les mesures cohérentes entre elles, fondées sur ce principe de solidarité, qui permettront que chaque population, riche ou pauvre, puisse faire face à la pandémie. La participation consciente et volontaire de l’ensemble de la population aux mesures de confinement nécessaires n’en sera que facilitée. Et la dynamique de l’épidémie d’autant plus facilement brisée. Le monde de demain se joue dans les mesures d’exception d’aujourd’hui.

Contre les pandémies, l’écologie
Sonia Shah, Journaliste. Auteure de Pandemic : Tracking Contagions, From Cholera to Ebola and Beyond, Sarah Crichton Books, New York, 2016, et de The Next Great Migration : The Beauty and Terror of Life on the Move, Bloomsbury Publishing, Londres, à paraître en juin 2020.
www.monde-diplomatique.fr/2020/03/SHAH/61547

 

Même au XXIe siècle, les vieux remèdes apparaissent aux yeux des autorités chinoises comme le meilleur moyen de lutter contre l’épidémie due au coronavirus. Des centaines de millions de personnes subiraient des restrictions dans leurs déplacements. N’est-il pas temps de se demander pourquoi les pandémies se succèdent à un rythme de plus en plus soutenu ?

Serait-ce un pangolin ? Une chauve-souris ? Ou même un serpent, comme on a pu l’entendre un temps avant que cela ne soit démenti ? C’est à qui sera le premier à incriminer l’animal sauvage à l’origine de ce coronavirus, officiellement appelé Sars-CoV-2 (1), dont le piège s’est refermé sur plusieurs centaines de millions de personnes, placées en quarantaine ou retranchées derrière des cordons sanitaires en Chine et dans d’autres pays. S’il est primordial d’élucider ce mystère, de telles spéculations nous empêchent de voir que notre vulnérabilité croissante face aux pandémies a une cause plus profonde : la destruction accélérée des habitats.

Depuis 1940, des centaines de microbes pathogènes sont apparus ou réapparus dans des régions où, parfois, ils n’avaient jamais été observés auparavant. C’est le cas du virus de l’immunodéficience humaine (VIH), d’Ebola en Afrique de l’Ouest, ou encore de Zika sur le continent américain. La majorité d’entre eux (60 %) sont d’origine animale. Certains proviennent d’animaux domestiques ou d’élevage, mais la plupart (plus des deux tiers) sont issus d’animaux sauvages.

Or ces derniers n’y sont pour rien. En dépit des articles qui, photographies à l’appui, désignent la faune sauvage comme le point de départ d’épidémies dévastatrices (2), il est faux de croire que ces animaux sont particulièrement infestés d’agents pathogènes mortels prêts à nous contaminer. En réalité, la plus grande partie de leurs microbes vivent en eux sans leur faire aucun mal. Le problème est ailleurs : avec la déforestation, l’urbanisation et l’industrialisation effrénées, nous avons offert à ces microbes des moyens d’arriver jusqu’au corps humain et de s’adapter.

La destruction des habitats menace d’extinction quantité d’espèces (3), parmi lesquelles des plantes médicinales et des animaux sur lesquels notre pharmacopée a toujours reposé. Quant à celles qui survivent, elles n’ont d’autre choix que de se rabattre sur les portions d’habitat réduites que leur laissent les implantations humaines. Il en résulte une probabilité accrue de contacts proches et répétés avec l’homme, lesquels permettent aux microbes de passer dans notre corps, où, de bénins, ils deviennent des agents pathogènes meurtriers.

Ebola l’illustre bien. Une étude menée en 2017 a révélé que les apparitions du virus, dont la source a été localisée chez diverses espèces de chauves-souris, sont plus fréquentes dans les zones d’Afrique centrale et de l’Ouest qui ont récemment subi des déforestations. Lorsqu’on abat leurs forêts, on contraint les chauves-souris à aller se percher sur les arbres de nos jardins et de nos fermes. Dès lors, il est facile d’imaginer la suite : un humain ingère de la salive de chauve-souris en mordant dans un fruit qui en est couvert, ou, en tentant de chasser et de tuer cette visiteuse importune, s’expose aux microbes qui ont trouvé refuge dans ses tissus. C’est ainsi qu’une multitude de virus dont les chauves-souris sont porteuses, mais qui restent chez elles inoffensifs, parviennent à pénétrer des populations humaines — citons par exemple Ebola, mais aussi Nipah (notamment en Malaisie ou au Bangladesh) ou Marburg (singulièrement en Afrique de l’Est). Ce phénomène est qualifié de « passage de la barrière d’espèce ». Pour peu qu’il se produise fréquemment, il peut permettre aux microbes issus des animaux de s’adapter à nos organismes et d’évoluer au point de devenir pathogènes.

Il en va de même des maladies transmises par les moustiques, puisque un lien a été établi entre la survenue d’épidémies et la déforestation (4) — à ceci près qu’il s’agit moins ici de la perte des habitats que de leur transformation. Avec les arbres disparaissent la couche de feuilles mortes et les racines. L’eau et les sédiments ruissellent plus facilement sur ce sol dépouillé et désormais baigné de soleil, formant des flaques favorables à la reproduction des moustiques porteurs du paludisme. Selon une étude menée dans douze pays, les espèces de moustiques vecteurs d’agents pathogènes humains sont deux fois plus nombreuses dans les zones déboisées que dans les forêts restées intactes.

Dangers de l’élevage industriel

La destruction des habitats agit également en modifiant les effectifs de diverses espèces, ce qui peut accroître le risque de propagation d’un agent pathogène. Un exemple : le virus du Nil occidental, transporté par les oiseaux migrateurs. En Amérique du Nord, les populations d’oiseaux ont chuté de plus de 25 % ces cinquante dernières années sous l’effet de la perte des habitats et d’autres destructions (5). Mais toutes les espèces ne sont pas touchées de la même façon. Des oiseaux dits spécialistes (d’un habitat), comme les pics et les rallidés, ont été frappés plus durement que des généralistes comme les rouges-gorges et les corbeaux. Si les premiers sont de piètres vecteurs du virus du Nil occidental, les seconds, eux, en sont d’excellents. D’où une forte présence du virus parmi les oiseaux domestiques de la région, et une probabilité croissante de voir un moustique piquer un oiseau infecté, puis un humain (6).

Même phénomène s’agissant des maladies véhiculées par les tiques. En grignotant petit à petit les forêts du Nord-Est américain, le développement urbain chasse des animaux comme les opossums, qui contribuent à réguler les populations de tiques, tout en laissant prospérer des espèces bien moins efficaces sur ce plan, comme la souris à pattes blanches et le cerf. Résultat : les maladies transmises par les tiques se répandent plus facilement. Parmi elles, la maladie de Lyme, qui a fait sa première apparition aux États-Unis en 1975. Au cours des vingt dernières années, sept nouveaux agents pathogènes portés par les tiques ont été identifiés (7).

Les risques d’émergence de maladies ne sont pas accentués seulement par la perte des habitats, mais aussi par la façon dont on les remplace. Pour assouvir son appétit carnivore, l’homme a rasé une surface équivalant à celle du continent africain (8) afin de nourrir et d’élever des bêtes destinées à l’abattage. Certaines d’entre elles empruntent ensuite les voies du commerce illégal ou sont vendues sur des marchés d’animaux vivants (wet markets). Là, des espèces qui ne se seraient sans doute jamais croisées dans la nature se retrouvent encagées côte à côte, et les microbes peuvent allègrement passer de l’une à l’autre. Ce type de développement, qui a déjà engendré en 2002-2003 le coronavirus responsable de l’épidémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), est peut-être à l’origine du coronavirus inconnu qui nous assiège aujourd’hui.

Mais bien plus nombreux sont les animaux qui évoluent au sein de notre système d’élevage industriel. Des centaines de milliers de bêtes entassées les unes sur les autres en attendant d’être conduites à l’abattoir : voilà des conditions idéales pour que les microbes se muent en agents pathogènes mortels. Par exemple, les virus de la grippe aviaire, hébergés par le gibier d’eau, font des ravages dans les fermes remplies de poulets en captivité, où ils mutent et deviennent plus virulents — un processus si prévisible qu’il peut être reproduit en laboratoire. L’une de leurs souches, le H5N1, est transmissible à l’homme et tue plus de la moitié des individus infectés. En 2014, en Amérique du Nord, il a fallu abattre des dizaines de millions de volailles pour enrayer la propagation d’une autre de ces souches (9).

Les montagnes de déjections produites par notre bétail offrent aux microbes d’origine animale d’autres occasions d’infecter les populations. Comme il y a infiniment plus de déchets que ne peuvent en absorber les terres agricoles sous forme d’engrais, ils finissent souvent par être stockés dans des fosses non étanches — un havre rêvé pour la bactérie Escherichia coli. Plus de la moitié des animaux enfermés dans les parcs d’engraissement américains en sont porteurs, mais elle y demeure inoffensive (10). Chez les humains, en revanche, E. coli provoque des diarrhées sanglantes, de la fièvre, et peut entraîner des insuffisances rénales aiguës. Et comme il n’est pas rare que les déjections animales se déversent dans notre eau potable et nos aliments, 90 000 Américains sont contaminés chaque année.

Bien que ce phénomène de mutation des microbes animaux en agents pathogènes humains s’accélère, il n’est pas nouveau. Son apparition date de la révolution néolithique, quand l’être humain a commencé à détruire les habitats sauvages pour étendre les terres cultivées et à domestiquer les animaux pour en faire des bêtes de somme. En échange, les animaux nous ont offert quelques cadeaux empoisonnés : nous devons la rougeole et la tuberculose aux vaches, la coqueluche aux cochons, la grippe aux canards.

Le processus s’est poursuivi pendant l’expansion coloniale européenne. Au Congo, les voies ferrées et les villes construites par les colons belges ont permis à un lentivirus hébergé par les macaques de la région de parfaire son adaptation au corps humain.

Au Bengale, les Britanniques ont empiété sur l’immense zone humide des Sundarbans pour développer la riziculture, exposant les habitants aux bactéries aquatiques présentes dans ces eaux saumâtres. Les pandémies causées par ces intrusions coloniales restent d’actualité. Le lentivirus du macaque est devenu le VIH. La bactérie aquatique des Sundarbans, désormais connue sous le nom de choléra, a déjà provoqué sept pandémies à ce jour, l’épidémie la plus récente étant survenue en Haïti.

Heureusement, dans la mesure où nous n’avons pas été des victimes passives de ce processus, nous pouvons aussi faire beaucoup pour réduire les risques d’émergence de ces microbes. Nous pouvons protéger les habitats sauvages pour faire en sorte que les animaux gardent leurs microbes au lieu de nous les transmettre, comme s’y efforce notamment le mouvement One Health (11).

Nous pouvons mettre en place une surveillance étroite des milieux dans lesquels les microbes des animaux sont le plus susceptibles de se muer en agents pathogènes humains, en tentant d’éliminer ceux qui montrent des velléités d’adaptation à notre organisme avant qu’ils ne déclenchent des épidémies. C’est précisément ce à quoi s’attellent depuis dix ans les chercheurs du programme Predict, financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid). Ils ont déjà identifié plus de neuf cents nouveaux virus liés à l’extension de l’empreinte humaine sur la planète, parmi lesquels des souches jusqu’alors inconnues de coronavirus comparables à celui du SRAS (12).

Aujourd’hui, une nouvelle pandémie nous guette, et pas seulement à cause du Covid-19. Aux États-Unis, les efforts de l’administration Trump pour affranchir les industries extractives et l’ensemble des activités industrielles de toute réglementation ne pourront manquer d’aggraver la perte des habitats, favorisant le transfert microbien des animaux aux humains. Dans le même temps, le gouvernement américain compromet nos chances de repérer le prochain microbe avant qu’il ne se propage : en octobre 2019, il a décidé de mettre un terme au programme Predict. Enfin, début février 2020, il a annoncé sa volonté de réduire de 53 % sa contribution au budget de l’Organisation mondiale de la santé.

Comme l’a déclaré l’épidémiologiste Larry Brilliant, « les émergences de virus sont inévitables, pas les épidémies ». Toutefois, nous ne serons épargnés par ces dernières qu’à condition de mettre autant de détermination à changer de politique que nous en avons mis à perturber la nature et la vie animale.

Gizartetik independendizatzeaz eta estatuaren benetako funtzioaz
Gorka Bereziartua Mitxelena
www.argia.eus/albistea/gizartetik-independendizatzeaz-eta-estatuaren-benetako-funtzioaz

Ezagutzen ez genuen egoera batean murgiltzen ari gara, baina ezagun samarrak zaizkigun jarrerak azaleratu dituzte koronabirusaren erruz etxean konfinatuta pasa ditugun lehenbiziko egunek.

Jende pilaketak izan dira ostiralean eta larunbatean Euskal Herriko hainbat supermerkatutan, Gasteizen adibidez.

Christophe Guilluy geografo frantziarrak deskribatu izan du nola gaur egun aberatsak ari diren gizartearen gainontzeko geruzetatik “alde egiten”, esplizituki deklaratua izan ez den arren, geroz eta begi bistakoa den mugimendu independentista baten protagonista bihurturik: gainontzeko denentzat balio duten arauetan, beren buruarentzat salbuespenak eskatzen dituzte. Eta egoera hori izanik, berdin da gizartearen goiko geruzetan daudenak eskuinekoak edo ezkerrekoak diren, Guilluyren arabera Macronek ongi ulertu zuen hori ezkerreko zein eskuineko burgesentzako eskaintza politikoa artikulatu zuenean.

Gurera etorrita, koronabirusaren krisian ere antzeko gauzak agertzen hasi direla esango nuke, pare bat jarreratan konkretatu direnak.

Bat: “Ni ateratzeagatik ez da deus pasatzen”

Egoera hau gestionatzen dakiten pertsonak eduki ordez erakunde publikoetako agintariak zimino epileptiko batzuk izateak ez du esan nahi nork bere ardurak hartu behar ez dituenik. Larunbat arratsaldea, egun bat ere ez da pasa #EtxeanGeratu traola Twitterren irmoki erabiltzen hasi garenetik eta bat baino gehiagoren konbikzioak hasi dira pitzatzen. “Bueno, baina ni bakarrik ateratzen banaiz ez da deus gertatzen, ezta?”, bezalako mezuak.

Ez, noski: zu berezia zara, zu atera zaitezke, zuk gaur plan bat zeneukan; etxean geratzen diren guztiak bizitza sozialik gabeko anemonak dira eta berdin zaie etxean edo kalean, plazerez egiten dute.

Gure komunitatea oso ezkerrekoa dela pentsatzen dugu, baina honelako egoeretan marko indibidualistak erraz samar irensten ditugu

Benetan, arrisku egoera batean hain berekoiki jokatzen badugu, tokitan daukagu zerbait benetan aldatzeko aukera –zer esanik ez iraultza egitekoa–, zeinak eskatuko lituzkeen eguneroko bizitzan eskuzabaltasun eta sakrifizio dosiak tonaka. Koronabirusa manifestazio nazional batekin –eta haren osteko poteoarekin– uxatu ahalko balitz, orduan bai gure herriak lezio bat emango liokeela berriz ere munduari.

Bi: “Jendea tontoa da”

Bale, badago egun hauetan histeriko samar jokatzen ari den jendea. Bai, denok egin dugu barre hurrengo 5.000.000 mokordoetarako adina komuneko paper erosten ari den jendeaz. Baina gai baten inguruko alarma soziala eta bonbardaketa mediatikoa hain handia denean, akaso pixka bat ulerberagoak izaten ere saiatu behar genuke. Denok ari gara murgiltzen ezagutzen ez dugun egoera batean, guztiok ari gara saiatzen gauzak ahalik eta hoberen egiten. Eta niri behintzat normala iruditzen zait honelako egoera batean beldurra agertzea. Beldurra errazago kutsatzen da edozein birus baino. Eta ez dut uste beldurra daukan jendeaz barre egiten segitzeak ezertarako balio duenik.

Zenbait iritzi-emailek egunotan luzitu duten nagusikeria moralak erakusten du, segur aski, zein den problema handiena gauzen ordena honi buelta eman nahi diotela esaten dutenen artean ere: ez daukatela enpatiarako gaitasun minimorik, ez dutela ulertzen zein kode kulturalen arabera funtzionatzen duen supermerkatuak arpilatzen ari den jende horrek –zeina herritarren portzentaje esanguratsu bat den, bide batez–. Inporta zaizkigu pertsona horiek? Ala euskal komunitatea ere gustura dago gizartetik bereizita?

Marko indibidualistak irensten

“Ni etxean geratzen naiz” kanpainaren ahobatekotasunak kezkatzen nau: ardura guztia norbanakoen esku uzten duen markoa da eta gizarteko sektore askori, lan egiteko derrigortasunaz gain, etxean ez geratzearen kulpa inposatzen die. Eta ez naiz ari ospitaleetan ari diren profesionalez bakarrik, janari-dendetan eta supermerkatuetan lan egiten dutenez baizik, erresidentzietako zaintzaileez, elikagaien hornidurarik falta ez dadin hara eta hona dabiltzan garraiolariez, egun hauetan lanpostua galtzeko beldurrez lanera joaten jarraitu duten guztiez.

Gure komunitatea oso ezkerrekoa dela pentsatzen dugu, baina honelako egoera batean ikusten dira haren klase ertaineko tendentziak: oso modu akritikoan irentsi dugu egoera honen irtenbidea nagusiki erabaki indibidualen gainean ebatziko dela.

Estatua honetarako zen, beraz

Azken egunetan gehien harritu nauen erabakia erakunde publikoen menpeko zenbait lantokitan hartutakoa da: zerbitzurik eskaini ez arren, ostiralera arte lantokira joateko eskatu zaie irakasleei edo zenbait kulturgunetako langileei besteak beste. Alegia, gure erakundeetako ordezkariek 4.0 industriaren erronkez eta antzeko gauza cool-ei buruzko jardunaldietan parte hartzen urteak daramatzaten arren, krisi sanitario baten erdian patroi fordista zaharrak bezala jokatzen dute eta ziurtatu nahi dute langile publiko guztiek fitxatzen dutela, nahiz eta lanera joatera derrigortuz gaixotasuna zabaltzen laguntzen duten. Zer zentzu dauka horrek, langileen gaineko kontrola erakutsi nahiaz aparte?

Lana ulertzeko iraganeko modu baten arrastoak direla pentsatuko nuke, krisi honetan agertzen hasia den itzal bat ere ikusiko ez banu: txinatar estiloko estatu-kapitalismo autoritario bat, Mendebaldeko laissez faire eredua baino eraginkorrago agertzen ari dena ez bakarrik gaixotasunaren kontentzioan, baizik eta makinaria kapitalistaren funtzionamendu diziplinatuan. Estatua, muin-muinean, horixe baita: kapitalismoa antolatzeko modu bat, momentu historikoaren arabera eskua gehiago edo gutxiago sartu duena gure bizitzetan batzuen etekinak ziurtatuta egon daitezen –osasungintza, laguntza sozialak eta herritarrek harengandik jasotzen dituzten gainontzeko onurak ez dira ezinbesteko ezaugarriak, langileek lortutako kontzesioak baizik–.

Horregatik ari da orain estatua kontrola hartzen, zer bai eta zer ez esaten: produkzioa ez da etengo, beste guztiak itxaron dezake. Etxean. Poliziaren mehatxupean.

Errua ez dauka, ez, koronabirusak
Jule Goikoetxea eta Zuriñe Rodriguez
www.berria.eus/paperekoa/1957/014/002/2020-03-15/errua-ez-dauka-ez-koronabirusak.htm

Normaltasun demokratikoa deitzen diozue langileak, bereziki emakumeak, modu egituratuan esplotatzeari, baina krisi deitzen diozue irabaziak galtzeari. Normaltasun demokratikoa deitzen diozue baliabideak eta osasun arloa pribatizatzeari; emakumeak, migratzaileak eta iheslariak samaldaka erailtzeari; lan istripuei. Munduko krisia dela esaten duzue, ordea, europarrak hiltzen hasten direnean, batez ere gizonak eta zuriak baldin badira. Nork bere burua aski duelako mito androzentrikoan bizi zarete, eta mitoak lur jotzen duen bakoitzean, krisia!

Baina horretarakoxe daude emakumezko esklaboak. Esklabotza normalizatuta dago zaintzen alorrean, eta halaxe erakutsi du osasun arloko arduradun politiko nagusiak, Nekane Murga kontseilariak: zirkinik ere egin gabe adierazi du aitonek (aitonek?) ederki asko zaindu ditzaketela haurrak, eskolak koronabirusagatik itxita dauden honetan. Barne produktu gordinaren %40, hain zuzen, emakumeek kobratu gabe egiten duten zaintza lanak sortzen du; emakumeek egiten dute zaintza lan horren %95, ez gizonek eta ez aitonek. Gainera, batik bat emakumeei eragiten die eskolak itxi izanak: emakumeak gehiengoa dira sektore horretan, osasun arloan ere bai, eta, horregatik, emakumeak askoz gehiago kutsatzen dira gizonak baino (Ebola eta Zika birusekin bezala), eta askoz ere bizkorrago: gizonek baino gutxiago kobratzen dutenez pobreagoak direlako eta lehenago kaleratzen dituztelako, besteak beste. Errua ez dauka, ez, koronabirusak.

Krisiak fenomeno konplexu eta sozialak dira, ez naturalak. Feministek urteak eta urteak daramatzate bestelako gobernu moduak proposatzen, komunitatea eta res publica osatzeko beste modu batzuk proposatzen, baina gobernari demokratikoek uko egiten diote horiek guztiak kontuan hartzeari, zeren, bestela, ezingo bailukete segitu kapitala metatzen (beren) esku pribatuetan, eta metatzea baita pribatizazio guztien helburua. Hori guztia aski ez, eta gobernari horiek, beren kontakizun ofizialean, nahi dute erabaki politikoak ez ditzagun lotu uholdeekin, lehorteekin, probreziarekin, suteekin, pandemiekin eta kutsadurarekin (Zaldibar), eta nahi dute ezin kontrolatuzko eta ezin iragarrizko gertakari naturalak balira bezala trata ditzagun. Kapitala metatzeko, pribatizatu beharra dago (osasun arloa, baliabideak, irakaskuntza), eta zenbat eta pribatizazio handiagoa, orduan eta gehiago eta larriagoak pandemiak, kutsadura, heriotzak, gaixotasunak eta miseria. Errua ez dauka, ez, koronabirusak.

Urteak eta urteak daramatzagu esaten nekropolitika txit sofistikatu baina basa bat dakartela neoliberalismoak eta haren arrazionaltasun patriarkalak, zeinak, herritarrak gobernatzeko, oinarri hartzen baititu usurpazioa, merkantilizazioa, pribatizazioa, sexualizazioa, arrazializazioa eta disoziazioa. Nekropolitika horretan, ez da ezer egiten baliabiderik gabeko herritarrak hiltzea eragozteko, hau da, nekropolitika horrek legez hiltzen ditu, horretarako erabiliz atzerritarrentzako legeak eta merkataritza, osasun, zerga eta lan legeak. Kontua ez da osasun pribatua egotea onartuta dagoela bakarrik: gainera, herriak ordaintzen du osasun pribatu hori, alegia, koronabirusaren testa egiteko 300-800 euroak ezin ordaindu dituen horrek berak, eta, hori guztia, osasun publikoa gainezkatuta dagoen honetan. Baina errua ez dauka, ez, koronabirusak.

Ez omen dakizue gizarte honetan zaintza lana emakumeek egiten dutela (eszedentzien, jardunaldi dobleen eta ordaindu gabeko lanaren bidez egin ere), edo bestela instituzio estatalek egiten dutela, baina kontua da interesatzen zaizuela hori horrela izatea. Eta bai emakumeek egiten duten zaintza lan esklabo eta prekarioak, bai egitura publikoen pribatizazioak, oinarri bera dute: pentsaera estatufobo bat, guztiz patriarkala (eta horrekin bat egiten du maiz ezker jakin batek). «Estatua txarra da» dioen pentsaera baldarrak ez du laguntzen ongizatea sortzen; eta are gutxiago laguntzen du pentsaera patriarkal baldarrak, haren arabera kontsideratzen baita norbanakoak 18 urterekin jaiotzen direla mundura, unibertsalki arrazoitzeko, dirua egiteko edo justizia soziala lantzeko prestaturik. Maitagarrien ipuin hori, gainerako ipuinak bezala, ez da posible emakumezko esklaborik gabe. Ez gara ez libre eta ez autosufiziente jaiotzen, ez pobre, ez emakume, ez beltz, ez frantses. Horiek guztiak fenomeno politikoak dira. Jaio, ugaztun jaiotzen gara. Eta emakumeek eta instituzio publikoek bihurtzen dituzte ugaztunak subjektu erdi autonomo eta interdependente. Beraz, hauxe galdetu behar da: zer dago egitura publikoen kontrako jarreraren atzean (maila teorikoan bada ere)?, zergatik sortzen ditugu oraindik ere emakumeak eta gizonak (ez baikara ez emakume eta ez gizon jaiotzen)? Ez daki / Ez du erantzun.

Bada, estatufobia patriarkala ezinbestekoa delako neoliberalismo heterofamiliarra sortzeko. Eta gizarte guztia zaintzeko obligazioa duten izakiak sortzeko, baldintza umiliagarri batzuetan zaindu ere. Horixe baitira emakumeak, gizonek baino gehiago lan egiten duten izaki batzuk, baina gizonek baino kapital ekonomiko eta kultural gutxiago dutenak; gizonek baino gehiago zaintzen duten izaki batzuk, baina gizonek baino kapital sozial eta kultural gutxiago dutenak. Horretarakoxe sortzen dituzte emakumeak: dohainik lan egin dezaten, dohainik bizia sor dezaten, dohainik zaindu dezaten ia jende guztia. Badakizue munduko emakumeen ia %50 ez daudela merkantilizaturik, hau da, ez dutela ezertxo ere kobratzen lan egitearen truke? Zer pasatuko litzateke gizonak balira? Eta zuriak eta europarrak balira? Barkatuko diguzue, baina ez dugu amore emango esanahien inguruko borroka honetan; diskurtsoaren inguruko borroka honetan. Zuek esklabismoa nahi duzue, ez «kontziliazioa». Bertan behera utzi dituzue Arabako zahar etxeetan sartzeko eta tokiak adjudikatzeko prozesuak, jakinik emakumeek egingo dituztela zaintza lanak ordaindu gabeko alor pribatuan. Zuen normaltasun demokratikoan, uko egiten diozue, harropuzkeriaz, ratioa handitzeari eguneko zentroetan eta zahar etxeetan (Bizkaiko eta Gipuzkoako grebak), eta, gainera, pribatizatu egiten dituzue; uko egiten diozue zaintzarako etxe lanaren sistema publiko bat ezartzeari, eta, hori gutxi balitz bezala, nahi duzue ez dezagun hori guztia lotu sektore feminizatuen azpikontratekin eta lan itun miserableekin. Krisiak esklabismo patriarkal eta kapitalistaren tankera hartu du, misoginiaz eta neoliberalismoz osatua baita zuen normaltasuna. Errua ez dauka, ez, koronabirusak.

Ez gabiltza aurre egin nahian bakarrik. Proposatu eta gobernatu egin nahi dugu. Errepublika feminista, antirrazista eta antikapitalista bat sortu nahi dugu, eta, hor, zaintza nahitaez eta txandaka egitekoa izango da gizarte guztiarentzat. Exijitzen dugu lehenbailehen sor dadila Zaintzaren Sistema Publiko bat, non zaintza ez baita izango eskubide soil bat (liberalen estiloan), baizik gaitasun politiko bat: gaitasun publiko, kolektibo eta komunitario bat.

Errua ez baitauka, ez, koronabirusak.

Koronabirusa klima larrialdiarekin dantzan
Unai Pascual – Ingurumen ekonomiako doktorea
www.berria.eus/paperekoa/1876/019/001/2020-03-19/koronabirusa-klima-larrialdiarekin-dantzan.htm

Bat-batean, klima larrialditik osasun larrialdi batera pasatu gara. Dirudi diot, irudipen bat besterik ez delako. Bata zein bestea gurean izan dira eta izango dira luzaroan. Koronabirusa mundu mailan sortzen ari den arazoa larria izanik, osasun krisialdi honetaz gain, hainbat osasun egoera larri pairatzen ditu munduak. Adibidez, urtero munduan lau eta bost milioi pertsona artean hiltzen dira airearen kutsadura dela medio (urtero munduan hildakoen %9 inguru), hainbeste aipatzen ari garen Osasunaren Mundu Erakundearen arabera. Horrek ere osasun larrialdi beharko luke, ez da hala? Agian, kutsaduraren eraginez jendea herri azpigaratuetan garatuetan baino 100 bider gehiago hiltzen delako ez da larrialdi hitza erabiliko; urrunean gertatzen diren milioika hildako horiek sistema ekonomikoaren galera kolateralak omen dira.

Bat-batean, Covid-19arengatik klimaren egoeraz ezer gutxi diote orain komunikabideek zein politikariek. Egun hauetan larrialdi bat izatearen efektua zein izan daitekeen ikusten ari gara. Denok ongi aski sumatu ditugu jadanik zer-nolako efektuak dakartzan koronabirusarengatik larrialdi egoera ezartzeak, ez bakarrik osasunean, baizik eta gizarteko esparru gehienetan. Bada koronabirusaren egoerak klimari onurak ekarriko dizkiola esaten duenik. Egia da aurten CO2 emisioek nahi eta nahi ez beherako jokaera izango dutela. Egungo sistema ekonomikoa kontsumoan eta mugikortasunean oinarritzen da, hein handi batean, eta ekonomiaren metabolismoa gidatzen duten bi aldagai horiek slowdown egoeran daude. Ekonomiako Lankidetza eta Garapenerako Erakundearen aurreikuspenen arabera, munduan batez besteko hazkuntza ekonomikoa %1,5 izango da (iaz %3 inguru izan zen). Barne produktu gordinaren hazkuntzaren jaitsiera horrek CO2 emisioetan %1,2ko jaitsiera ekar lezake, adituen arabera. Baina, Covid-19ak eragindako krisiaren ondoren, zer gertatuko da ekonomiarekin? Hazkuntza ekonomikoa errekuperatuko al da? Galdera horri erantzuna bilatzeko, 2008ko munduko finantza krisian (MFK) gertatu zenari erreparatu diezaiokegu.

2008ko krisiaren eraginez, 2009an munduko BPGaren batez besteko hazkuntza negatiboa izan zen (-%2). Horrek mundu mailan CO2 emisioak aurreko urteekin konparatuz ez haztea ekarri zuen (herrialde garatuetan emisioek nabarmen behera egin bazuten ere, Euskal Herrian kasurako, beste herrialde batzuetan, Txinan kasurako, oso nabarmenki berpiztu ziren). 2010ean jadanik emisio globalek %5 baino gehiago egin zuten gora, gobernuek hazkuntza ekonomikoa sustatzeko estimulu fiskal erraldoiak erabili baitzituzten. Beraz, errebote efektua izan zuten emisioek mundu mailan, 2008-2010 bitartean epe luzeko batez besteko igoera baino handiagoa izan zutelarik.

Behin koronabirusaren larrialdia kontrolpean izanda, antzeko errebote efektua errepikatu daitekeela uste dut, batez ere elite ekonomiko eta politikoak kontsumo eta ekoizpen gosez izango direlako eta erregai fosilak oraindik ugariak izanda. Ikusteko dago, era berean, Europan Green New Deal-ek zein efektu izango duen ataka honetan. Egoera berriak aurten indarrean sartzen den Parisko akordioa larriki zauritu lezake.

Badira positibotzat jo ditzakegun zenbait gauza ere. Adibidez, jende asko fisikoki lanera joan gabe etxetik telematikoki lan egin daitekeela jabetzen ari da dagoeneko, eta lan egiteko modu horiek hobetzeko presioa areagotuko dela uste dut. Horrek emisioetan eragin positiboa ere izan lezake epe luzera begira. Bestalde, ziur aski jende asko konturatuko da kontsumismoak dakarren bizimoduak ez duela zentzu handirik, eta gauza gutxiago kontsumituz, denbora hobeto erabiltzeko aukera baliatu dezakegula aisialdi eredu jasangarriagoak berreskuratuz eta berrasmatuz. Azkenik, hegazkinen negozioa agian ez da epe ertainean errekuperatuko, eta, gaur-gaurkoz, hegazkinen erabilerak munduko emisioen %2,5 sortzen dituela ikusirik, emisio horien gorakada kontrolatzeko aukera ireki daiteke epe laburrean (hogei urte barru 48.000 hegazkinek gure zerua zeharkatuko zutela aurreikusten zen Covid-19a gurean izan baino zertxobait lehenago).

Datu horietatik aparte, bada kontuan hartu beharreko beste gauza garrantzitsu bat. Egoerak lidergo politikoa gainditzen duenean, muturreko erabakiak justifikatu ahal izateko zientziaren aterkiaren azpian babesten dira. Aginte politikoak zientzia serioski aintzat hartu izana ospatu beharko genuke. Epidemiari aurre egiteko zientzialari askok oraingo neurri zorrotzak beharrezkoak direla diotenean, gizarteak ahots horiek ez ditu ezbaian jartzen, eta zientzialariak beraien artean honelako egoera larrietan mokoka ibiltzea ez dute gustuko. Baina badut susmo bat: epidemiologoek ez dituztela beraien ekipoetan gizarte zientzietatik erator daitezkeen hausnarketak kontuan hartzen, agian, urgentziak eraginda, hausnarketa gehigarri horiek bigarren mailakoak direla uste baitute. Orain arte ez dut komunikabideetan gizarte zientzietatik datorren hausnarketa nahikorik entzun epidemia kontrolatzeko neurriek gizartean zein efektu zabalago izan ditzaketen adieraziz, ez eta halako pandemiak gertatzeko globalizazio prozesuekin lotuta dauden baldintza politikoak zein ekonomikoak zeintzuk diren azalduz ere. Larrialdiaren izenean zientzia mota batek diskurtsoa hainbeste dominatzea arriskutsua dela deritzot, pentsamolde eta erabaki markoa gehiegi estutu daitezkeelako.

Klimaren eta koronabirusaren krisiek gizarte hiperglobalizatu batean sistema kapitalistaren ahuldadeak ikusarazteko balio dute. Biak dira arazo globalak, eta biek dute edozein pertsonarengan eragin zuzenekoak zein zeharkakoak sortzeko ahalmen handia. Biek adierazten dute gizartean batzuk beste batzuk baino hobeto prestatuta daudela arazoei aurre egiteko, esaterako, bai teknologia aldetik eta bai balio kolektiboen aldetik herrialdeek ezberdintasun nabarmenak dituztelako. Azkenik, biek ala biek erakusten dute sektore publiko indartsua behar dela krisi konplexuei aurre egiteko. Ekonomia pribatuaren eraginkortasunaren diskurtsoa kinka larrian jartzen da klima edo koronabirusaren ispiluan jartzen bagara. Erabili dezagun aukera hau klima krisiari hobeto aurre egiteko irakaspenak sortzeko.