Stratégie d’action pour la génération climat
Gogoeta
www.enbata.info/articles/strategie-daction-pour-la-generation-climat
Article
Militant climat à Bizi!, Alternatiba et Action Non-Violente COP21, Jon Palais a publié « La bataille du siècle. Stratégie d’action pour la génération climat » aux éditions Les Liens qui Libèrent. Il répond aux questions d’Enbata sur les enjeux liés à l’aggravation du changement climatique, les ressorts des mobilisations pour la cause climatique et la nécessité d’un changement de système devant concilier écologie radicale, démocratie et justice sociale.
Records de chaleur, sécheresses, incendies incontrôlables, inondations emportant tout sur leur passage… Quel est l’enjeu aujourd’hui au vu de cette aggravation du changement climatique ?
Une grande partie de la population reçoit maintenant l’évidence en plein visage : nous sommes entrés dans l’ère du dérèglement climatique. On a les pieds dedans et on le subit au quotidien. Mais ce qu’il faut souligner, c’est que tout le monde ne le subit pas de la même manière ! Les questions de justice sociale que cela pose sont beaucoup plus tangibles. C’est flagrant au sujet de l’eau : quand elle vient à manquer et que des restrictions doivent être prises, pourquoi doit-on l’utiliser ? Et pour qui ? Pour laver des voitures dans des stations de lavage, ou pour remplir des petites pis- cines pour rafraîchir les enfants pendant les fortes chaleurs ? Pour arroser les golfs et les complexes touristiques, ou bien les petits potagers ? Pour remplir des méga- bassines et arroser des monocultures de maïs, ou pour une agriculture paysanne et vivrière ? Ce sont des choix politiques qui posent les bases de deux types de société diamétralement opposées. Soit une société de partage et de solidarité où les usages essentiels seront garantis pour toutes et tous. Soit la poursuite du productivisme, du consumérisme et de la compétition, dans une société où les plus riches auront davantage de droits sur les ressources essentielles, y compris pour les gaspiller dans des activités superficielles au détriment des besoins de base du plus grand nombre. C’est en cela que la lutte pour le climat est une nouvelle lutte des classes.
Ces événements extrêmes aident-ils à mobiliser pour la cause climatique ?
En ce moment, je sens plutôt un défaitisme et un désespoir très forts vis-à-vis du changement climatique. La prise de conscience du phénomène suscite un effet de sidération, aggravé par l’inaction politique manifeste et par le greenwashing des grandes puissances économiques climaticides, qui n’invitent certes pas à l’espoir ! Beaucoup pensent donc, à juste titre, que le changement ne viendra pas « d’en haut »… mais doutent aussi qu’il puisse venir « d’en bas ». Or, c’est là, au niveau de l’action citoyenne collective, qu’il y a énormément de choses à faire. Il y a une forme de défaitisme qu’il faut combattre, car le défaitisme est la première condition de la défaite. En pensant que c’est impossible, on ne tente rien, et on crée une prophétie auto-réalisatrice négative. Je crois au contraire qu’il y a des raisons objectives de penser que cette bataille peut être gagnée. C’est ce que j’ai décrit comme « l’optimisme de la raison », en clin d’oeil à la célèbre phrase de Gramsci pour qui il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté.
Il faut d’abord clarifier ce qu’on entend par « gagner la bataille climatique », car malheureusement, on ne peut pas revenir en arrière : le phénomène est enclenché et il va falloir le gérer tout au long du siècle. Mais ce n’est pas parce que le changement climatique est enclenché que tout est perdu. Il ne faut pas être dans une vision binaire où l’issue serait soit une défaite totale, soit une victoire complète. Nous luttons face à un phénomène progressif où chaque dixième de degré compte. Nous sommes passés d’une situation où l’enjeu était la possibilité de la catastrophe à une situation où l’enjeu est l’ampleur de la catastrophe. Nous avons en quelque sorte, entre nos mains, le bouton qui contrôle l’intensité du phénomène. Loin d’être dans l’impuissance, nous avons ainsi un pouvoir – et une responsabilité – énorme qui demeure entre nos mains. Car une planète à 1,5°, 2° ou 3°, ce n’est pas du tout le même monde, et c’est ça qui se joue aujourd’hui !
D’autre part, ce que des mouvements comme Bizi! et Alternatiba ont mis en valeur, c’est que les alternatives existent dans tous les domaines, et qu’elles permettent de réduire drastiquement les émissions de gaz à effet de serre tout en construisant un monde meilleur. Nous ne sommes donc pas dans une impasse technique, mais face à un défi politique, au premier sens du terme : il s’agit de réorganiser la société autour de solutions qui existent déjà. Ça ne veut pas dire que c’est facile, mais c’est possible. C’est croire à la possibilité d’un changement spectaculaire, mais l’histoire n’est-elle pas remplie de changements qu’on pouvait penser impossibles, de révolutions culturelles et politiques, de ruptures, d’accélérations ? « Les grands changements semblent impossibles au début et inévitables à la fin », disait Bob Hunter, cofondateur de Greenpeace. Le monde actuel ne peut pas demeurer longtemps tel quel. Il changera forcément, car il est intrinsèquement insoutenable. À nous de rassembler les conditions et de créer les impulsions pour contribuer à ce qu’il change dans le bon sens, vers une société à la fois écologiquement soutenable mais aussi plus épanouissante et plus solidaire.
Ton livre est sous-titré « stratégie d’action pour la génération climat » : quelle est cette stratégie ?
L’objectif, c’est un changement radical de système, c’est-à-dire un changement à la racine du système, dans ses fondements mêmes : sortir du capitalisme, du productivisme, du consumérisme, etc. La manière dont ce changement s’opère est également de première importance : il faut concilier écologie radicale, démocratie et justice sociale. Et pour cela, c’est d’un mouvement citoyen de masse, radical et populaire, non-violent et déterminé dont nous avons besoin. Car si on ne change pas le système avec les gens, on risque fort de le changer contre les gens !
Cette théorie de changement via un mouvement de masse détermine beaucoup de choses sur les méthodes de militantisme : des techniques de mobilisation de masse auprès de publics non militants, des logiques d’alliances larges, une culture de l’efficacité, de la rigueur et de la discipline, ou encore l’approche radicalo-pragmatique. C’est ce que je décris dans le livre, où j’ai voulu synthétiser l’expérience de douze années de militantisme collectif à Bizi!, Alternatiba, ANVCOP21, les Faucheurs de chaises, les décrocheurs de portraits, et le mouvement climat en général. Cette stratégie a commencé à payer : la prise de conscience du changement climatique aujourd’hui n’a rien à voir avec celle d’il y a 10 ou 15 ans, quand Bizi! s’est créée, par exemple. C’est une très grande victoire dans la bataille culturelle. Elle ne suffit pas, et les actions en justice, les campagnes et les actions directes qui se multiplient, notamment contre les grands projets d’artificialisation (autoroutes, LGV, centres commerciaux, etc.), sont absolument nécessaires. Mais la bataille culturelle reste centrale dans la stratégie d’un changement de système, car il s’agit d’un changement des pratiques au niveau de la société toute entière, donc un changement de vision du monde, une révolution culturelle. Nous ne pouvons pas gagner cette lutte sans rendre cet « autre monde possible » à la fois lisible, crédible et désirable auprès d’une masse critique de la population. C’est un champ d’autant plus déterminant que l’écologie radicale et solidaire est en concurrence avec deux autres récits qui progressent eux aussi. Celui du capitalisme qui se repeint en vert autour du techno-solutionnisme sans remettre en question sa doctrine de libre échange et de croissance infinie qui détruit la planète et creuse les inégalités. Et celui de l’extrême droite qui exploite les peurs et les désillusions autour d’une vision de la société aux antipodes des valeurs de solidarité, d’accueil et de coopération qui seront parmi les valeurs les plus précieuses pour répondre aux grands bouleversements géopolitiques à venir. Dans cette bataille des récits, nous avons besoin d’une vision positive qui suscite l’espoir. On ne peut pas avoir comme seul moteur la lutte contre le monde actuel, il faut aussi se mobiliser pour.
Nous pouvons construire un monde totalement différent et beaucoup plus porteur de sens que la société individualiste et matérialiste actuelle. Un monde plus beau et plus désirable, qu’il faut incarner jusque dans les formes de notre militantisme. La mobilisation populaire d’Euskal Herria Burujabe des 7 et 8 octobre derniers à Bayonne allait dans ce sens. Le prochain Tour Alternatiba qui commence à s’organiser pour 2024 apportera lui aussi sa pierre pour qu’une vision du monde écologique et solidaire s’impose dans l’imaginaire collectif et soit partagée par le plus grand nombre !!
Le tribunal administratif de Poitiers préserve un droit à la désobéissance civile
Jérôme Hourdeaux
www.mediapart.fr/journal/france/301123/le-tribunal-administratif-de-poitiers-preserve-un-droit-la-desobeissance-civile
Article
Le préfet de la Vienne demandait le remboursement d’une subvention versée par la ville à l’association Alternatiba, accusée d’avoir enfreint son contrat d’engagement républicain en organisant un « atelier de désobéissance civile ». Le juge administratif a rejeté sa requête.
Le tribunal administratif de Poitiers a rejeté, dans une ordonnance rendue jeudi 30 novembre, la demande du préfet de la Vienne visant à ordonner à la municipalité d’exiger le remboursement d’une subvention versée à une association ayant organisé un « atelier de désobéissance civile ». Une action qui, selon le préfet, constituait une violation de son contrat d’engagement républicain (CER).
« C’est une victoire dans cette affaire mais également sur le long terme, car le tribunal administratif juge qu’une action manifestement contraire à la loi ne peut constituer à elle seule une violation de l’article 1er du CER », a réagi auprès de Mediapart Me Paul Mathonnet, avocat de l’association écologiste visée par le préfet, Alternatiba.
« C’est la première fois qu’une juridiction se prononce sur le point de savoir si une action manifestement contraire à la loi constitue à elle seule une violation du CER, ou si elle doit être à la fois illégale ou violente et avoir entraîné un trouble grave à l’ordre public », souligne encore l’avocat.
Comme l’avait raconté Mediapart, l’affaire remonte à l’été 2022, lorsque Alternatiba-Poitiers envisage d’organiser une seconde édition d’un festival baptisé Village des alternatives (après une première édition en 2017). Dans ce but, l’association a déposé une double demande de subvention de 10 000 euros – 5 000 euros de la part de la mairie et 5 000 de la part de la communauté d’agglomération. Celle-ci est accordée par un vote du conseil municipal du 27 juin 2022.
Le lundi 12 septembre, soit cinq jours avant l’ouverture du festival, le préfet de la Vienne, Jean-Marie Girier, avait écrit à la mairie pour s’alarmer de ce qu’il avait découvert dans le programme. Le Village des alternatives était divisé en neuf « quartiers » thématiques abritant divers stands, ateliers, débats… et l’un d’eux avait été baptisé « Résister ». Mais, surtout, le préfet s’indignait de la tenue d’un « atelier de désobéissance civile », estimant que l’événement risquait d’accueillir des appels à violer la loi, ce qui est contraire au CER.
Entré en vigueur en janvier 2022 en application de la loi « séparatisme » d’août 2021, ce contrat doit être obligatoirement signé par les associations. La violation d’une de ces obligations peut entraîner diverses sanctions, dont le retrait et le remboursement de subventions. En l’espèce, l’obligation qu’Alternatiba enfreindrait serait celle de ne pas « entreprendre ni inciter aucune action manifestement contraire à la loi, violente ou susceptible d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ».
Ce premier courrier du préfet était resté lettre morte et le Village des alternatives s’était tenu sans incident. Mais, deux jours plus tard, Jean-Marie Girier faisait savoir par la presse qu’il demandait à la municipalité d’exiger le remboursement des subventions versées à Alternatiba pour violation du CER.
Le soutien de la mairie de Poitiers
En réponse, la maire poitevine Léonore Moncond’huy avait apporté publiquement son soutien à l’association en l’assurant que sa subvention serait maintenue, quitte à la défendre devant la justice. Cette décision avait été matérialisée le 3 octobre par un vote à main levée du conseil municipal maintenant la subvention, par 38 voix « pour », 11 « contre » et une abstention.
En conséquence, la préfecture avait transmis au tribunal administratif un déféré, un acte par lequel elle demandait au juge d’imposer à la municipalité la demande de retrait de la subvention.
Dans cette requête, le préfet reprochait notamment à Alternatiba-Poitiers d’avoir laissé des personnes appeler à commettre « des actions manifestement contraires à la loi, violentes ou susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ».
Il visait plus particulièrement plusieurs débats durant lesquels des participants auraient lancé des appels à commettre des violences ou des actes de sabotage. « Les animateurs des activités du Village des alternatives ont revendiqué l’organisation d’actions passées de destruction de matériel mais ont également ouvertement encouragé de telles actions dans le cadre de leur opposition à l’installation de retenue de substitution d’eau (bassines) », accusait-il.
« Le représentant du gouvernement monte en épingle des faits totalement anodins, avait répliqué auprès de Mediapart Me Paul Mathonnet le jour de l’audience, qui s’était tenue le mercredi 8 novembre. Il y a dans sa requête des affirmations contraires à la réalité. »
Les actions uniquement « manifestement contraires à la loi » ne suffisent pas
Le mémoire en défense d’Alternatiba-Poitiers reconnaissait que certains participants ont pu appeler à des actions punies par la loi, mais uniquement pacifiques et non violentes comme le prône la désobéissance civile. Or, le CER sanctionne les « actions portant atteinte à l’ordre public », c’est-à-dire les actions violentes. Le simple « manquement à la loi relève quant à lui d’un autre régime ».
« Le fait d’entreprendre ou d’inciter à une action ou à des actions qui seraient uniquement “manifestement contraires à la loi”, sans être violentes ou de nature à entraîner un trouble grave à l’ordre public, ne peut donc constituer une violation du contrat d’engagement républicain de nature à justifier un refus ou un retrait de subvention », assuraient encore les avocats de l’association.
Le tribunal administratif de Poitiers donne entièrement raison à cette interprétation de l’obligation inscrite à l’engagement n° 1 du CER. Pour qu’une violation de celui-ci soit constituée, affirme l’ordonnance, « l’association ayant bénéficié de cette subvention doit avoir entrepris ou incité à entreprendre des actions non seulement “manifestement contraires à la loi”, mais également “violentes ou susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public” ».
Une décision attendue par le monde associatif
Cette ordonnance peut encore faire l’objet d’un appel par le préfet de la Vienne. Mais si elle est confirmée, elle constitue une réelle victoire pour le monde associatif, qui doit faire face à une répression croissante de ses libertés.
Elle contribue tout d’abord à préciser le champ d’application du CER dont le monde associatif ne cesse de demander l’abrogation. Depuis son entrée en vigueur, au mois de janvier 2022, il est en effet régulièrement utilisé pour exercer des pressions sur des associations jugées trop critiques envers le pouvoir.
C’est ainsi que, encore à Poitiers au mois de septembre dernier, une compagnie de théâtre s’est vu refuser une subvention en raison d’« engagements militants non conformes au respect des lois de la République », estimés contraires à son CER.
« Il y a une pression importante mise sur les associations par les préfets avec une volonté de mise au pas de celles-ci, témoigne Me Lionel Crusoé qui, avec Me Marion Ogier, défendait treize associations intervenues dans la procédure en soutien d’Alternatiba, dont la Ligue des droits de l’homme (LDH), Anticor, le Mrap (Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples) ou le Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigrés). Avec cette décision du tribunal administratif de Poitiers, nous avons la possibilité de rappeler que les associations peuvent avoir un discours assez fort et critique sans qu’il soit possible de leur retirer leur subvention. »
Le CER avait fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’État déposé par plusieurs dizaines d’associations. Celles-ci critiquaient notamment l’engagement n° 1 et avaient été suivies sur ce point par le rapporteur public, un juge indépendant chargé de donner un avis sur le dossier ne liant pas le Conseil.
Pour celui-ci, « l’expression “action violente” est assez précise, de même que celle des “troubles graves à l’ordre public” », avait-il expliqué lors de l’audience. En revanche, pour « les actions manifestement contraires à la loi », « il est là beaucoup plus difficile d’en saisir la portée » et notamment d’évaluer « le degré de violence » qui constituerait une violation du CER.
Le Conseil d’État n’avait pourtant pas suivi les conclusions de son rapporteur public et avait rejeté le recours des associations.
L’ordonnance du tribunal administratif de Poitiers est également importante en ce qu’elle reconnaît implicitement un droit à la désobéissance civile. Si le juge ne reprend pas ce concept à son compte, il estime en effet qu’une action « manifestement contraire à la loi » peut être tolérée dans le cadre du CER, à condition qu’elle ne soit pas accompagnée de violences « susceptibles d’entraîner des troubles graves à l’ordre public ».
Les associations représentées par Mes Crusoé et Ogier sont en tout cas « soulagées et très satisfaites de la décision qui a été rendue, indique Me Crusoé. Mais cette solution semblait assez logique. Dans une société démocratique, le principe est la libre communication des idées. Celui-ci permet notamment aux citoyens de parler de leurs pratiques militantes, dont la désobéissance civile fait partie. Et le tribunal administratif vient de dire que celle-ci n’est pas contraire au CER. Ce faisant, il remet les choses à leur place ».
Centrales hydroélectriques du Pays basque : quand la défense de la biodiversité fait barrage à l’énergie propre
Pierre Mailharin
www.sudouest.fr/pyrenees-atlantiques/pays-basque/centrales-hydroelectriques-du-pays-basque-quand-la-defense-de-la-biodiversite-fait-barrage-a-l-energie-propre-17553569.php
Article
Les producteurs d’hydroélectricité du Pays basque se plaignent d’entraves administratives, imposées au nom de la biodiversité. Elles menaceraient leur viabilité économique. Deux facettes de l’écologie s’entrechoquent
Le manque à gagner s’ajoute aux investissements imposés. Et les euros défilent, par dizaines de milliers, noyant l’horizon d’une filière qui se croyait d’avenir. Incompréhension, amertume, colère : « L’administration a mis un pied chez moi, pour pouvoir tuer mon entreprise », accuse même Xavier Cabillon. Ce « turbinier » de 57 ans en avait 23 lorsqu’il a repris la centrale hydroélectrique familiale, à Banca, sur la Nive des Aldudes. « Je n’y connaissais rien. » Il maîtrise désormais tous les rouages. Mais ne sait plus où il va.
Les 27 sites basques de production d’électricité par la force de l’eau moulinent à vue depuis plusieurs mois. Quand ils ne sont pas à l’arrêt. Cette situation n’est pas propre au territoire, ni tout à fait récente. Elle découle de la transcription dans le droit français d’une directive européenne sur l’eau de 2000. Le texte de loi date de 2013.
Pourquoi la question se pose-t-elle avec autant de sensibilité aujourd’hui ? Car toutes les centrales hydroélectriques, pour fonctionner, sont soumises à des autorisations d’exploiter, délivrées par les préfectures. Les « arrêtés » accordés sont valables plusieurs années, voire décennies. 13 des 27 du Pays basque arrivent à échéance d’ici 2030. La préparation du renouvellement coince pour les premières concernées, suscitant l’inquiétude des autres.
15 % de la population alimentée
Face à cette adversité et pour promouvoir « une énergie renouvelable et non polluante », l’ensemble des producteurs se sont regroupés au sein de l’Union des producteurs d’hydroélectricité du Pays basque (UPHPB). Les petites entités y voisinent avec de plus grandes, comme EDF sur la Nive ou la Société hydroélectrique du Midi (Shem, groupe Suez) en amont du Saison en Haute Soule. Même constat. Même combat. C’est ici la deuxième spécificité locale. La troisième tient à l’engagement déterminé de la Communauté d’agglomération Pays basque en faveur de l’énergie hydroélectrique, soutien à la fois politique et financier.
« L’hydroélectricité est l’énergie renouvelable la plus importante du territoire. Elle représente 7 % de la consommation électrique globale », plaide Martine Bisauta, vice-présidente en charge de la transition écologique. Soit 112 GWh/an, chiffre Enedis, alimentant 15 % de la population (environ 46 000 habitants). L’Agglo a évalué le potentiel de développement à 30 000 habitants. À Banca, Xavier Cabillon a calculé que les trois centrales de la commune produisaient 9 675MWh/an, soit 629 % de couverture des besoins électriques de ses 348 âmes. Les défenseurs du secteur insistent sur la production en circuit court et décarbonée de cette énergie.
« C’est Kafkaïen »
En théorie, elle aurait donc tout pour plaire aux protecteurs de l’environnement. Mais une autre écologie lui fait barrage.« C’est Kafkaïen », grimace Martine Bisauta. Lors des demandes de renouvellement – et parfois même hors renouvellement – deux aménagements sont quasi systématiquement exigés par la préfecture et son service dédié, la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM).
Au nom de la biodiversité et de la continuité écologique promues par l’Europe, des « débits réservés », déviations d’une partie de la rivière, doivent faciliter le cheminement des poissons sauvages en descente. De l’aval à l’amont, ce sont des « passes » ou « échelles » qui sont censées permettre aux individus migrateurs de remonter les cours d’eau. La deuxième installation est onéreuse : « Il faut compter 50 000 euros par mètre de hauteur de chute », estime Xavier Cabillon, également président du Syndicat de défense des ouvrages hydro-électriques et de l’eau (le SDOHE, qui couvre une zone débordant un peu du Pays basque).4 mètres hauteur de barrage : 200 000 euros.
Quant aux débits réservés, ils doivent représenter a minima 10 % du débit moyen annuel. La DDTM relève fréquemment ce pourcentage pour les turbiniers, quand les pisciculteurs restent à 10. « Moi, on me demande 15 %,alors que les pisciculteurs du coin sont à 10. C’est de la discrimination, dénonce le Bankar. Et cela me fait une perte de10 000 euros par an (l’eau affectée au débit réservé ne pouvant être utilisée pour produire l’électricité, NDLR).
Remontées artificielles ?
Si l’argument économique s’entend, la préservation de la biodiversité n’est-elle pas à ce prix ? « Mais je serais prêt à perdre de l’argent, s’il y avait un gain environnemental. Le problème, c’est qu’il n’y en a pas ! » ,s’offusque Xavier Cabillon.
Le zèle de la DDTM confinerait selon lui à l’absurde. À quelques hectomètres, la centrale de Jean-Bernard Magendie, Minaberry, lui sert d’illustration :« Regardez : un, deux, trois, quatre seuils infranchissables, énumère-t-il en désignant des enrochements sur le ruisseau Hayra. On lui demande de faire une passe à poissons sur son barrage en amont, alors que naturellement, ils ne peuvent pas monter jusque-là. »
Du côté de Garazi, Jean-Noël Oillarburu déplore le même obstacle réglementaire pour sa centrale hydroélectrique d’Ahaxe, à l’arrêt : « Notre barrage est posé sur un infranchissable naturel, un rocher qui fait 2,70 à 3 m de haut. » A priori, aucun poisson n’a jamais passé une tête en aval. L’administration l’exhorterait à défier la nature pour continuer d’exercer. Ces introductions présenteraient en outre « un risque sanitaire, dixit Xavier Cabillon. On parle de continuité écologique pour des saumons malades. »
Sollicitées pour comprendre les apports de ces aménagements en termes de biodiversité, l’antenne basque de l’Office français de la biodiversité (OFB) et la Fédération de pêche des Pyrénées-Atlantiques n’ont pas donné suite. Cette suite, Martine Bisauta l’espère enfin plus souple : « Il faut que les services de l’État sortent de cette interprétation rigoriste des textes, desserrent l’étau, sinon la filière va péricliter. On a quand même un espoir avec la loi de 2023 sur l’accélération de la production d’énergies renouvelables. » L’État français s’était donné en 2019 comme objectif le seuil de 33 % d’énergies renouvelables à l’échéance 2030. Il va falloir turbiner.
« On ne travaille pas contre les exploitants de centrales »
Martin Lesage est sous-préfet de Pau, référent énergies renouvelables dans les Pyrénées-Atlantiques. Il répond aux inquiétudes des turbiniers basques
« Sud Ouest ». La France s’est fixée comme objectif d’atteindre 30 % d’énergies renouvelables d’ici 2030. Au Pays basque, les producteurs d’hydroélectricité se plaignent d’entraves administratives. N’est-ce pas contradictoire ?
Martin Lesage. Remettons les choses en perspective. Sur la centaine d’installations hydro- électriques du département, 18 sont des très gros barrages de montagne, concédés à EDF ou à la Shem. C’est 90 % de la production. Les 80 petites ou moyennes centrales restantes font l’objet d’autorisations, instruites par les services de l’État. Beaucoup dataient des années 1980-1990 et arrivent à expiration dans les années à venir. Or les règles applicables ne sont plus les mêmes, notamment sur la continuité écologique, avec la question des pois- sons migrateurs. Les renouvellements d’autorisations sont examinés à la fois sous l’angle hydroélectrique et du règle- ment environnemental. C’est du cas par cas. Pour certains, il y a des choses à modifier. C’est la loi qui s’applique. Ce n’est pas nous, dans le départe- ment, qui avons décidé d’être plus stricts.
13 centrales basques sur 27 sont en cours de renouvellement.
Oui, mais c’est la même chose en Béarn, où il y a pas mal de renouvellements. Notre objectif est de concilier l’application des différentes réglementations. En aucun cas d’en faire prévaloir l’une sur l’autre. Et c’est un travail partenarial, cela ne se fait pas contre les exploitants de centrale, au contraire. Les services de la DDTM (Direction départementale des territoires et de la mer, NDLR) sont en contact avec les représentants des exploitants.
Les « débits réservés » imposés par l’État pour permettre aux poissons de descendre les cours d’eau doivent re- présenter a minima 10 % de leur débit moyen annuel. C’est le taux qui est demandé aux pisciculteurs. Il est sou- vent plus élevé pour les turbiniers. Pourquoi cette distorsion, qui constitue un manque à gagner pour eux ? Les règles peuvent être différenciées en fonction des types d’activité. Ce n’est pas tout à fait pareil d’exploiter une installation sur le lit d’un cours d’eau et d’exploiter une pisciculture.
Les « échelles à poissons », destinées à ce que les migrateurs puissent re- monter les rivières, sont très onéreuses. Pourquoi les imposer sur des « in- franchissables naturels », allant ainsi plus loin que la biodiversité originelle ?
On a une approche à l’échelle de tout le cours d’eau. Faire plein de travaux à un endroit et rien à quelques kilomètres, ça n’a pas beaucoup d’intérêt. Et des aides importantes peuvent être accordées par les Agences de l’eau pour ces échelles à poissons. On a la chance d’avoir sur notre territoire les dernières populations de saumon sauvage, la lamproie, l’alose, une biodiversité qui a quasiment disparu ailleurs. Il y a un vrai enjeu, peut-être plus qu’ailleurs.
Les acteurs de la filière demandent une application moins rigoriste des textes, n’est-ce pas une piste pour concilier les deux enjeux ?
C’est déjà le cas. Le travail de prise en compte des particularités du terrain est fait par les équipes. On n’est pas du tout sur quelque chose de dogmatique. De très belles choses ont d’ailleurs été faites, y compris au Pays basque.
Baliteke mende amaierarako itsas maila 65 zentimetro igotzea, AZTIk ohartarazi duenez
Nerea Intxausti Castiñeira
www.berria.eus/euskal-herria/uholde-arriskuak-gora-egingo-du-euskal-kostaldean_2117112_102.html
Article
Klima aldaketak Euskal Herriko kostaldean dituen eta izango dituen ondorioei buruzko txostena kaleratu du zentro teknologikoak.
Klima larrialdiak euskal kostaldean daukan eta izango duen eraginari zenbakiak jarri dizkio AZTI zentro teknologikoak. 1990etik, hamarkada bakoitzean 1,5-3,5 zentimetro artean igo da itsas maila, eta, AZTIren aurreikuspenen arabera, baliteke igoera 50 eta 65 zentimetro artekoa izatea mende honen amaierarako. Hala azaldu du zentroak argitaratu berri duen txostenean. Guillem Chust AZTIko Klima Aldaketa arloko koordinatzailearen hitzetan, itsas maila igotzeak «hondartza gehienak, padurak eta belardiak galtzea» ekarriko du. Gogorarazi du horiek garrantzitsuak direla biodibertsitatea kontserbatzeko eta karbonoaren biltegiratze sistemarako. Kostako azpiegitura kritikoetan ere eragingo du igoera horrek: kalte handiak sor ditzake portuetan, dikeetan eta itsas pasealekuetan.
AZTIk hamarkadak daramatza datuak biltzen, eta haiei esker atera ditu ondorioak, «ondorio kritikoak». Datuak banan-banan aztertuz gero, Bizkaiko golkoan itsasoaren tenperatura 0,19 eta 0,26 gradu artean igo da 1890etik hamarkada bakoitzean, bereziki hego-ekialdeko eta kostaldeko eremuan. «Hazkunde horri eutsiz gero, mende amaierarako 3,5 gradura iritsiko dela aurreikusten da», Guillem Chusten esanetan.
Olatuen muturreko altueran ere gorakada nabaritu dute, hego-ekialdean bereziki. Batez beste hamasei zentimetro igo da hamarkada bakoitzean. Txostenaren arabera, fenomeno hori azken hamarkadako ekaitz baldintzekin lotuta dago, eta eragin nabarmena du inguruko hondartzen higaduran. Higadura eta beste fenomenoak tarteko, kostaldean uholde arriskua daukan azalera %12 handituko da 2050. urterako, eta %24-59 artean 2100. urterako —gaur egun baino mila hektarea gehiago—.
Arrainak
Klima aldaketak eragina du kostaldean, baina baita ozeanoetan ere. Euskal Herrian kontsumitu ohi diren arrantza espezie batzuei ere eragingo die: antxoari eta atunari, esaterako, eta haien banaketa eta migrazio mugimenduak ere aldatuko ditu. AZTIko ikertzaileek aztertu dute klima aldaketak nola eragiten dien atun espezie garrantzitsuenei eta beste harrapari handi batzuei —ezpata arrainari, esaterako—. 1958-2004 arteko datuak aztertu, eta proiekzioak egin dituzte mende amaierarako. Ondorioa: aztertutako 22 arrain taldeetatik hogeik poloetara joateko joera dute. Hau da, espezie batzuk iparraldera migratzen ari dira, ur hotzagoen bila. Horren adibide dira berdela eta hegaluzea: berdelak 370 kilometro iparralderago errun ditu arrautzak itsasoa berotu den gradu bakoitzeko; hegaluzearen kasuan, espero da haren habitata «pixka bat» iparralderantz mugitzea.
Antxoaren kasua bestelakoa da; «espezie erresilientea» da, eta ez da klima larrialdiarekiko kaltebera. Itsasoa berotu izanaren eta Bizkaiko golkoko beste aldagai ozeanografiko batzuetan eragindako aldaketen eraginez, baliteke antxoaren arrautzen dentsitatea handitzea, eta baita horiek erruteko eremua ere, AZTIren arabera. Hortaz, «itsasoaren berotzea ondo etorriko zaio» arrain honi.
Munduan
Ozeanoak funtsezko eragileak dira klima globalaren erregulazioan: Lurraren atmosferan metatutako beroaren %93 xurgatzen dute. Baina, gas horiek xurgatzearen ondorioz, ura berotzen ari da, eta itsas maila igoarazten du. Hortaz, itsasoko bizidunak iparraldera desplazatzen ari dira, ur beroetatik ihesi, eta horrek espezieen arteko ugalketan eta elikaduran eragin dezake. Oro har, espezieak eremu hotzagoetara mugitzen ari dira: lurreko espezieak batez beste hamazazpi kilometro mugitu dira poloetarantz, eta itsasokoak, berriz, 72 kilometro.
Azken hamarkadetan itsas maila azkarrago igo da, eta aldaketa horiek eragina dute, esaterako, itsasoko ekosistemen produkzio primarioan. Ozeanoen berotze globalak fitoplanktonaren eta zooplanktonaren biomasak %6 eta %11 murriztuko ditu maila globalean, hurrenez hurren, mende amaierarako. Gainera, kalkulatu dutenez, baliteke ozeanoetako animalia espezieen biomasa %5etik %17ra murriztea, eta, 2010ean AZTIk egindako ikerketa baten arabera, ozeanoko animalia horiek dira CO2 tona asko xurgatzearen arduradun.
Egoera horren guztiaren aurka, klima aldaketak itsasoetan eta ozeanoetan duen eraginari erantzun zientifikoa emateko konpromisoa du AZTIk. Horretarako, datu base zabala garatu eta elikatu du zentro teknologikoak, ekaitzak ebaluatzeko eta kostan duten eragina aurresateko. Itsasertzeko egituretan olatuek duten inpaktua neurtzeko sentsore bat ere badute, uholde prozesuak simulatzeko gai diren eredu informatikoak edo olatuetarako eta uholdeetarako alerta protokolo goiztiar bat. Miarritzen (Lapurdi), adibidez, galera ekonomikoak sor ditzaketen ekaitzak zer maiztasunekin gertatuko diren aztertzeko metodo bat garatu du AZTIk.
Munduko agenda klimatikoan, klima aldaketari buruzko COP28 goi bilera egingo da datorren ostegunetik abenduaren 12ra bitartean Arabiar Emirerri Batuetan. Nazio Batuen Erakundeak (NBE) antolatutako bileran, 2015eko Parisko Akordioaren helburuei buruzko munduko lehen balantzea aurkeztuko da. AZTIren txostena goi bilera baino hiru egun lehenago argitaratu dute. Lehen diagnostiko global hau aintzat harturik, mundua «helburuak betetzetik urrun» dagoela ohartarazi du Guillem Chust AZTIko Klima Aldaketa koordinatzaileak.