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Articles du Vendredi : Sélection du 19 juillet 2013 !

Transition énergétique: la synthèse en avant-première

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/transition-energetique-la-synthese-en-avant-premiere,35661?xtor=EPR-9

Avec Air France, compenser les émissions carbone des riches peut nuire gravement à la santé des pauvres

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article3154.html

« La décroissance permet de s’affranchir de l’impérialisme économique »

Serge Latouche
www.reporterre.net/spip.php?article4546

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Transition énergétique: la synthèse en avant-première

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/transition-energetique-la-synthese-en-avant-premiere,35661?xtor=EPR-9

Le Journal de l’Environnement a pu consulter la synthèse des recommandations que le gouvernement publiera jeudi. Une chose est désormais acquise: cela ne nous permettra pas de diviser par 4 nos émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2050.

Le débat national sur la transition énergétique (DNTE) est terminé. Jeudi 18 juillet, le gouvernement doit dévoiler les principales «recommandations pour la transition énergétique de la France», la synthèse d’un semestre de débat, mené au sein de nombreuses instances parisiennes et d’innombrables (plus de 1.500!) réunions publiques régionales.

Pour ne pas alourdir le cahier de doléances, le secrétariat général du débat a sabré. Datée du 9 juillet, la dernière version en date (une autre est d’ores et déjà prévue) présente, en tout et pour tout, 15 «reco», censées constituer la colonne vertébrale du futur projet de loi sur la transition énergétique.

Pesant sa trentaine de pages, le document n’est pas des plus pédagogiques. Il fixe comme priorité première de diviser par 4 les émissions de tous les gaz à effet de serre d’ici 2050. Objectif louable et déjà fixé par la… loi Pope de 2005, et que l’on peut classer à la rubrique des vœux pieux. Dans le paradigme actuel, les transports et l’agriculture (43% des émissions françaises de CO2 à eux deux) n’ont aucune chance d’être totalement Climate Friendly.

La Commission européenne l’avait déjà souligné. Dans leur projet de feuille de route à 2050, les experts de la direction à l’action climatique avaient indiqué que l’atteinte du facteur 4 passait nécessairement par une décarbonisation totale du secteur de l’énergie.

Le document français ne dit pas autre chose: «L’effort à accomplir dans l’énergie est supérieur au facteur 4 dans la mesure où il sera difficile pour certains autres secteurs, comme l’agriculture, d’atteindre cet objectif, dans l’état actuel des technologies.» Reste à savoir comment totalement décarboner la production d’électricité ou le raffinage de pétrole, en une quarantaine d’années?

La question se pose-t-elle d’ailleurs en ces termes? Pour Alain Grandjean, le président du comité des experts, «la seule ambition de ces recommandations, c’est d’avancer dans le bon sens». Porte-parole de la fondation Nicolas Hulot, Matthieu Orphelin est plus enthousiaste: «On montre tout de même que pour atteindre le facteur 4, il faut nécessairement diviser par deux la consommation d’énergie finale.» Une trajectoire qui a fait l’objet d’une véritable guerre de tranchées entre les partisans des scénarios prônant la sobriété énergétique et les milieux proches du patronat et des énergéticiens.

Le drapeau blanc ayant été hissé, comment aller de l’avant? D’abord, en investissant. Le montant du devis de la transition énergétique est fixé, en moyenne, à 2.000 milliards d’euros (investissements fatals compris, ndlr) sur 40 ans. «Mais tout dépend du scénario choisi, rappelle Matthieu Orphelin.  Si l’on cible, dès le début, la sobriété du bâtiment, on compense, en une décennie, les investissements annuels par les économies d’énergie et la réduction des achats d’hydrocarbures. Avec un prix du pétrole élevé, le montant total des économies d’énergie réalisées en 40 ans pourrait atteindre 3.000 milliards.

2.000 milliards, cela reste une somme. «Il faut contextualiser les choses, souligne Alain Grandjean. Ces dernières années, nous avons consacré près d’une centaine de milliards d’euros par an aux secteurs de l’énergie et des transports.»  Le surcoût est donc, a priori supportable. Question de lissage et de financement.

Tous les moyens de mobiliser des fonds ou presque sont mis à contribution par les rédacteurs des recommandations: mise en cohérence des dispositifs existants, mise en ordre de bataille des Banque publique d’investissement française-Banque européenne d’investissement (BPI-BEI) et de la Caisse des dépôts et consignation (CDC), développement du tiers investisseur, plans de soutien aux PME (pour s’équiper en robots), prime à la casse pour les équipements industriels énergivores, fléchages énergétique de l’utilisation de l’épargne publique, etc.

Curieusement, les deux moteurs annoncés du financement de la transition ne sont qu’évoqués à la marge. C’est en bas de la page 21 que l’on rappelle qu’il faut «construire une fiscalité cohérente avec la transition énergétique, notamment mettre progressivement en place une contribution Energie-climat». L’apport de la finance carbone est laissé au bon vouloir des institutions européennes: «Il faut réformer le marché européen d’échange de quotas et redonner un signal prix au carbone.» Un peu faible, tout de même. «La faute aux parties prenantes qui n’étaient pas suffisamment aguerries sur ce sujet», explique un expert.

Bien sûr, les débats sur les questions du financement sont loin d’être achevés. Christian de Perthuis publiera, également le 18 juillet, ses propositions de verdissement de la fiscalité. Prochainement, Pierre Ducret, patron de CDC Climat, doit rendre son rapport sur le financement de la rénovation thermique du bâtiment. Dominique Dron, ex-commissaire général au développement durable, achève pour septembre la rédaction de son étude sur le financement de la transition écologique.

Peu enthousiasmantes, parfois floues ou peu compréhensibles, les recommandations des débatteurs augurent-elles d’un mauvais projet de loi? «Elles sont insuffisantes pour atteindre le facteur 4, reconnaît l’un d’entre eux. Mais c’est selon la façon dont le gouvernement s’en emparera que l’on verra s’il existe ou non une volonté politique d’engager véritablement la France dans l’ère de la transition énergétique

Avec Air France, compenser les émissions carbone des riches peut nuire gravement à la santé des pauvres

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article3154.html

Pour lutter contre le changement climatique, Air France finance un projet de lutte contre la déforestation à Madagascar, mis en œuvre par le WWF et GoodPlanet. Vu du ciel, ce projet contribue à conserver la biodiversité, à stocker du CO2, tout en aidant au « développement humain ». Mais pour les villageois concernés, la réalité est toute autre : ils n’ont plus accès aux terres qu’ils cultivaient et attendent de véritables compensations. Si Air France prétend faire du ciel « le plus bel endroit de la terre », il n’en est pas de même au sol. Enquête à Madagascar.

 

Plus de 9 000 km séparent Paris et Antananarivo, capitale de Madagascar. Près de 11h de vol. Les passagers d’Air France sagement installés dans leurs fauteuils ont tout le temps de pianoter sur leur écran vidéo. Une rubrique intrigue. La compagnie aérienne déclare agir « pour que le transport aérien fasse partie de la solution dans la lutte contre le changement climatique ». Diantre. Au menu : une vidéo sur un projet de lutte contre la déforestation à Madagascar financé par Air France, en partenariat avec la Fondation GoodPlanet, créée par Yann Arthus Bertrand, ETC Terra [1] et le WWF, la célèbre ONG avec un panda comme logo.

« Le transport aérien représente 2 à 3 % des émissions globales de gaz à effet de serre, alors que la déforestation équivaut elle à 15 % de ses émissions », pointe la compagnie aérienne. En réduisant le taux de déforestation, il s’agit de préserver « plus de 35 millions de tonnes de carbone stockées » [2]. 470 000 hectares de nouvelles aires protégées – environ deux fois le Luxembourg – auraient ainsi été créées depuis 2008 dans le cadre du projet holistique de conservation des forêts (PHCF). « Ce projet inclut un volet de développement visant à aider les populations locales à mieux gérer leurs activités et à mieux vivre. Mais aussi un volet scientifique, en phase avec nos préoccupations sur le changement climatique », nous explique Pierre Caussade, ancien directeur « développement durable » d’Air France. Alors que la compagnie prétend « faire du ciel le plus bel endroit de la terre », que se passe-t-il réellement 10 000 mètres plus bas ? Si le client d’Air France peut se déculpabiliser – la pollution générée par son vol semble être « compensée » –, qu’en est-il des communautés concernées par la lutte contre la déforestation ?

 

Richesse biologique, pauvreté socio-économique

Sur la piste qui mène de Fort Dauphin à la nouvelle aire protégée d’Ifotaka, au sud-est de l’île, les traces de la colonisation française sont encore là. D’immenses monocultures de sisal, plantes à fibres servant à fabriquer du cordage, s’étendent sur des dizaines de kilomètres. Elles laissent soudainement place à des forêts épineuses adaptées à un climat sec. Entre les innombrables cactus et aloès, s’élèvent des fantiolotse, une espèce de bois que l’on trouve uniquement dans cette région. C’est de ses feuilles que se nourrissent les lémuriens, ces animaux qui contribuent à la célébrité de « l’île rouge ». Madagascar n’a pas été choisie au hasard par Air France pour reverdir son image : 80 % de la faune et 90 % de la flore ne se rencontrent nulle part ailleurs dans le monde.

Ces fantiolotse sont aussi précieux pour les villageois malgaches. « Mon mari a fait la maison à partir de ce bois-là », témoigne Faramandimby, une jeune mère de famille attelée à fabriquer une natte. Quinze troncs ont ainsi été nécessaires pour construire sa maison dont la surface atteint à peine 9 m2. « Pourquoi ne pas l’avoir fait plus grande ? Regardez autour de vous, toutes les maisons sont construites sur ce modèle ». Avant d’ajouter timidement que « les clous sont aussi trop chers ». Faramandimby fait partie des 92 % de la population malgache vivant avec moins de deux dollars US par jour, sur les 22 millions d’habitants que compte l’île. Madagascar est avec l’Afghanistan et Haïti le pays le plus frappé par la malnutrition.

Restriction de l’accès aux ressources naturelles

Avec la mise en place de l’aire protégée par le WWF et la fondation GoodPlanet, Faramandimby et son mari devront désormais demander un permis de coupe payant. La forêt dans laquelle ils vivent a été délimitée en plusieurs zones avec des droits d’usage extrêmement variables. « Vous voyez cette limite bleue ? Elle indique la fin de la zone « fady » c’est-à-dire où tout est interdit. C’est une forêt sacrée car nos morts sont enterrés ici. Et là, commence la zone prioritaire de conservation. »

Désormais, la pratique traditionnelle qui consiste à brûler la végétation pour cultiver (le « hatsaky »), est interdite partout dans l’aire protégée. Cette pratique agricole traditionnelle est en effet considérée par le WWF comme l’un des principaux moteurs de la déforestation. Quant aux autres activités dont dépendent les villageois – pâturage des zébus, coupe de bois, collecte de bois de chauffe, de plantes médicinales et de miel –, elles sont désormais encadrées par le « COBA », l’association locale en charge de la gestion de la forêt.

De l’amende à la prison

Mis en place par le WWF, cette association est constituée de membres élus par les villageois. Elle gère les revenus issus des permis de coupe, des droits d’entrée dans l’aire protégée et des sanctions appliquées aux personnes qui défrichent pour cultiver. Pour surveiller les potentiels « fraudeurs », l’association a aussi mis en place une police de la forêt (Polisin’Ala). « Notre travail consiste à poursuivre les gens qui font le défrichement. On les informe qu’il ne faut pas défricher et on alerte les membres de l’association », témoigne Farasoa, un ancien patrouilleur, rémunéré sous forme de per diem.

Une personne prise en flagrant délit risque une amende de 60 000 Ariary (21 euros) et un zébu, ce qui constitue une somme exorbitante pour les malgaches [3]. Si la personne n’est pas en mesure de payer, la sanction peut aussi être pénale, de 6 mois à un an d’emprisonnement, confirme un représentant de l’administration. « Cela nous conduit parfois à dénoncer notre propre famille, regrette Farasoa.

Mais nous n’avons pas le choix, la loi forestière doit être appliquée ». Dans les airs, le passager d’Air France qui visionne la vidéo vantant le projet n’en saura rien. A moins qu’il ne regarde à son retour ce court film de Basta ! réalisé au cœur de la forêt protégée.

 

« Pas suffisamment de terres pour nourrir nos familles »

Source de tensions et de conflits au sein de la communauté, ces sanctions financières et pénales ont-elles pour autant contribué à réduire la déforestation ? L’administration locale assure que « les dégâts forestiers diminuent beaucoup », mais demeure dans l’incapacité de fournir des données précises à ce sujet. A l’échelle nationale, un rapport montre au contraire que le défrichement s’est accéléré ces dernières années dans les forêts épineuses. « Le défrichement se poursuit en cachette », confirme le maire d’un village. Qui constate que les sanctions sont de moins en moins appliquées. « Quand le gendarme comprend que la personne ne pourra pas payer, il la relâche », confie-t-il. Outre les patrouilles au sol, le WWF a également mis en place une surveillance aérienne. Selon l’ONG, le passage de l’avion aurait « un effet dissuasif » à l’égard des défricheurs qui « agissent à l’abri des regards ».

Jeune agriculteur, Mahasambatse a déjà vu plusieurs fois « l’avion du WWF » au-dessus de sa maison. Dans les jours qui suivent le survol, il est généralement convoqué à la mairie avec d’autres villageois. Les photos des nouveaux défrichements leur sont montrées. « L’agent du WWF est présent et nous dit qu’il nous faut protéger la forêt. On fait tous mine d’acquiescer car l’on sait bien que l’on n’a pas le droit de défricher. Mais on le fait quand même car il n’y a pas suffisamment de terres pour nourrir nos familles. » Comme d’autres, Mahasambatse a vu ses terres cultivables incluses dans l’aire protégée. Il s’est rabattu sur la culture de quelques parcelles le long de la rivière, mais les inondations sont fréquentes. « Quand l’eau monte, on perd toutes nos cultures. Alors on se rend en haut de la forêt pour défricher et avoir un peu de terrain à cultiver. »

 

Compenser les pollutions d’autrui ou se nourrir ?

Mahasambatse ne dispose pas de titres fonciers pour ses terres agricoles, comme l’essentiel de la population malgache [4]. Légalement, presque toutes les forêts naturelles à Madagascar appartiennent à l’État. Pour formaliser l’occupation sur le terrain, les paysans défrichent, ce qui leur permet de conserver le terrain. C’est justement cette pratique agricole qui est dans le viseur du WWF. Le fait de brûler pour cultiver rendrait la terre infertile au terme d’une ou deux saisons agricoles seulement. Ce qui conduit les petits paysans à défricher de nouvelles terres assez régulièrement.

Pour y remédier, le WWF déclare développer une agriculture de conservation : des « techniques agricoles adaptées, rentables et durables tout en gérant les ressources naturelles de manière efficace ». Selon le maire d’un village, des formations ont bien été mises en place, mais sans suivi sur le long terme. « Il y avait plusieurs projets de cultures maraîchères et d’apiculture dans notre commune mais le WWF a fait des formations de seulement deux mois, parfois deux jours. Cela ne suffit pas pour pérenniser l’activité. » L’ONG a bien créé une pépinière dans la commune concernée, mais sa taille très réduite témoigne du caractère insuffisant de ces compensations.

Pour GoodPlanet/ETC Terra, interrogés par Basta !, arriver à « un arrêt intégral de la déforestation » dans les zones protégées, tout en diffusant des « techniques alternatives » à l’ensemble des habitants, est « tout simplement impossible compte tenu du grand nombre de ménages à accompagner vers des pratiques plus durables. » « Un programme de cette ambition n’a pas des résultats conformes partout », observe Pierre Caussade d’Air France. La priorité a donc été donnée à la lutte contre la déforestation. Les compensations pour les villageois, dont les zones disponibles pour l’agriculture et la collecte de bois ont été restreintes, viendront plus tard. Eux ne sont pas clients d’Air France, et n’ont pas d’émissions de CO2 à compenser… Juste besoin de manger.

 

« Vivres contre travail »

Pour beaucoup de villageois, tous agriculteurs ou éleveurs, le sentiment demeure latent d’être seulement sanctionné sans percevoir aucun bénéfice. C’est le cas de Vakisoa. Mis à part le riz, du fait de l’aridité du climat, il cultive de tout sur sa parcelle qui longe la rivière : manioc, patates douces, maïs, haricots, citrouilles, pastèques, bananiers, canne à sucre, arachides, pommes de terre, oignons, choux fleur, tomates…

Malgré tous ses efforts, il peine lui-aussi à nourrir sa famille. « Le WWF avait promis qu’il nous donnerait du matériel agricole, notamment des pompes à eau pour améliorer nos rendements le long de la rivière. Mais nous ne l’avons toujours pas reçu ».

Quelques familles bénéficient du programme « Vivres contre travail », financé par le Programme alimentaire mondial. Elles perçoivent de la nourriture en échange du reboisement encadré par les agents locaux du WWF. Manahira, un vieil homme dont la vision baisse, se réjouit d’avoir perçu quelques sacs de riz durant les deux semaines où il a participé au reboisement de fantiolotse. Mais combien sont-ils à pouvoir en bénéficier ? Et surtout, pour combien de temps ? « Ce sont toujours les membres des associations locales qui sont prioritaires », dénonce Manjavalo, un habitant qui n’a jamais été sollicité pour ces travaux. « De toute manière, ce n’est pas suffisant. Le travail dure un an et l’année suivante, ça n’arrive plus. »

 

Les grands perdants de la finance carbone

La première phase du projet a été financé à hauteur de 5 millions d’euros par Air France, et s’est terminée fin décembre 2012. L’un des objectifs était de faire progresser les connaissances scientifiques sur le carbone forestier. D’après les résultats des études menées, les forêts humides de Madagascar contiendraient environ 90 tonnes de carbone par hectare contre seulement 17 pour les forêts épineuses du sud (lire notre article). Une deuxième phase est en cours de finalisation et pourrait être de nouveau cofinancée par Air France à hauteur d’un million d’euros, « sous réserve d’un partenariat à finaliser », indique la compagnie [5]. WWF et GoodPlanet/ETC Terra ont annoncé vouloir concentrer leurs activités sur les forêts humides qui captent plus de carbone. Les populations vivant à l’intérieur des forêts épineuses ne savent pas encore que leur lieu de vie n’est plus considéré comme prioritaire. La restriction de leurs droits à la terre ne sera donc jamais suivi par les compensations promises.

Interrogée à ce sujet, la fondation GoodPlanet regrette que nous n’ayons pas visité leurs réalisations « dans un contexte moins difficile [celui des forêts humides] », où la déforestation serait bien mieux enrayée. Basta ! se serait volontiers rendu sur place, mais les promoteurs du projet ont refusé de nous ouvrir leurs portes pour notre reportage.

En atterrissant, défraîchi par ses 11 heures de vol, le client d’Air France ne sera peut-être pas tout à fait convaincu par l’utilité réelle du projet de lutte contre la déforestation à Madagascar. Ce n’est pas dramatique. La compagnie lui propose une deuxième option : compenser ses émissions en versant 30 euros à un projet de fabrication de cuiseurs solaires dans les pays andins… Un programme là encore porté par GoodPlanet.

 

Notes

[1] En 2012, la Fondation GoodPlanet a délégué à l’association ETC Terra la gestion opérationnelle du PHCF.

[2] La vidéo projetée dans l’avion de la compagnie Air France énonce 70 millions de tonnes de CO2, mais cette donnée a été divisée par deux entre 2010 et 2012.

[3] Le revenu mensuel moyen malgache est de 100 000 AR (35 euros) et la valeur d’un zébu peut aller de 400 000 Ar (140 euros) à 1 000 000 Ar (350 euros) !

[4] A l’échelle nationale, seulement 15 % du territoire est immatriculé.

[5] L’AFD (Agence française de développement) et le FFEM (Fonds français pour l’environnement mondial) pourraient s’engager à hauteur de 3,5 millions d’euros sur la phase 2, a précisé un représentant du PHCF à Antananarivo, le 22 mai 2013.

« La décroissance permet de s’affranchir de l’impérialisme économique »

Serge Latouche
www.reporterre.net/spip.php?article4546

Serge Latouche est professeur émérite d’économie et un des principaux inspirateurs du mouvement de la décroissance. On avait envie de le revoir, pour retracer les racines de la décroissance, entre Club de Rome, Illich et Gorz, et savoir où il en est par rapport au pouvoir, aux économistes altermondialistes, et à la gauche.

Reporterre – Quelle est l’histoire de la décroissance ?

Serge Latouche – L’histoire de la décroissance, en tant qu’étiquette, est très brève. Cette appellation a été inventée dans les années 2000 par des « casseurs de pub ». Elle a pour fonction de casser la langue de bois. Comme le dit Paul Ariès, c’est un « mot-obus ». Mais derrière ce mot, il y a tout un projet d’objection de croissance. Et ce projet a une assez longue histoire.

Elle débute en 1972 avec la publication du rapport au Club de Rome Les limites de la croissance. En tant que projet de société socialiste anti-productiviste et anti-industraliste, la décroissance est alors proche de l’écosocialisme qui apparaît dans les mêmes années avec André Gorz. Cette première phase de la décroissance est essentiellement une phase de critique de la croissance : on veut l’abandonner car elle n’est pas soutenable. C’est une phase « écologique ».

Mais un second courant, porté par Ivan Illich – qui a d’ailleurs refusé de participer au Club de Rome –, est apparu en disant que ce n’est pas parce que la croissance est insoutenable qu’il faut en sortir, mais parce qu’elle n’est pas souhaitable ! C’est la critique du développement – terme que l’on utilise dans les pays du Sud comme équivalent de la croissance au Nord –, c’est le mouvement post-développementiste. Personnellement, je me rattache à ce courant-là depuis que j’ai viré ma cuti au milieu des années 1960 alors que j’étais au Laos. La fusion de ces deux courants s’est opérée à l’occasion du colloque organisé en février-mars 2002 à l’Unesco « Défaire le développement, refaire le monde ».

Pourquoi la croissance n’est-elle pas souhaitable ?

Elle n’est pas souhaitable parce qu’elle est, comme le disait Illich, la destruction du vernaculaire. C’est la guerre aux pauvres. Une guerre qui transforme la pauvreté en misère. La croissance développe les inégalités, les injustices, elle détruit l’autonomie. Illich a développé cette thèse avec la critique des transports, de l’école, de la médecine, en analysant la façon dont les institutions engendrées par le développement et la croissance acquièrent un monopole radical sur la fourniture de ce qui permet aux gens de vivre et qu’ils se procuraient jusqu’alors par leurs propres savoir-faire traditionnels. Ayant travaillé sur le Tiers-Monde, j’ai effectivement vu, en Afrique, en Asie, comment le rouleau compresseur de l’occidentalisation détruisait les cultures.

Quel regard portez-vous sur les économistes ?

L’économie est une religion, et non pas une science. Par conséquent, on y croit ou on n’y croit pas. Les économistes sont des prêtres, des grands ou des petits, des orthodoxes ou des hétérodoxes. Même mes amis Bernard Maris ou Frédéric Lordon – les meilleurs d’entre eux. Les altermondialistes, par exemple, dont la plupart sont des économistes, ont tendance à réduire tous les malheurs du monde au triomphe du néo-libéralisme. Mais ils restent dans le productivisme et la croissance. Or le mal vient de plus loin. La décolonisation de l’imaginaire que je préconise vise précisément à extirper la racine du mal : l’économie. Il faut sortir de l’économie !

Quelle est votre définition de la décroissance ?

C’est très difficile de définir la décroissance car je considère que ce n’est pas un concept, c’est une bannière, un drapeau. Pour moi, c’est un mot d’ordre qui permet de rallier les objecteurs de croissance. C’est aussi un horizon de sens vers lequel chacun chemine comme il l’entend. La décroissance permet surtout de s’affranchir de la chape de plomb de l’impérialisme économique pour recréer la diversité détruite par l’occidentalisation du monde. Elle n’est pas à proprement parler une alternative, mais plutôt une matrice d’alternatives : on ne va pas construire une société décroissance de la même façon au Chiapas et au Texas, en Amérique du Sud et en Afrique… Il y a des histoires et des valeurs différentes.

Avec la décroissance, on n’est plus dans l’intérêt, l’égoïsme, le calcul, la destruction de la nature, dont l’homme serait maître et possesseur, ce qui définit le paradigme occidental. On veut vivre en harmonie avec elle et, par conséquent, retrouver beaucoup de valeurs des sociétés traditionnelles. On sort aussi de la vision « économiciste » de la richesse, de la pauvreté, de la rareté. D’où l’idée d’« abondance frugale », qui semble être un oxymore du fait de la colonisation de notre imaginaire, mais qui dit en réalité qu’il ne peut y avoir d’abondance sans frugalité et que notre société dite d’abondance est au fond une société de rareté, de frustration et de manque. La décroissance implique aussi évidemment une autre répartition des richesses, une autre redistribution, le changement des rapports de production, une démondialisation, pas seulement économique – à la Montebourg –, mais aussi culturelle. Il faut retrouver le sens du local et, naturellement, réduire notre empreinte écologique, réutiliser, recycler, etc., ce que l’on a définit par les « 8 R ».

Comment les idées décroissantes peuvent-elles avancer dans notre société ?

Pour moi, même si on a en face de nous à une énorme machine médiatique qui matraque et qui manipule, tous les terrains sont bons. Comme le terrain politique, par exemple. Je crois beaucoup, non pas à la politique de participation, mais à la politique d’interpellation. On ne veut pas le pouvoir. Le pouvoir est toujours mauvais, mais c’est une triste nécessité. On veut seulement que le pouvoir respecte nos droits. La décroissance doit être un mouvement d’interpellation du pouvoir, qu’il soit de droite ou de gauche.

A la différence de mes camarades du journal La Décroissance, qui passent leur temps à exclure, je pense que nous devons faire un bout de chemin avec des gens comme Pierre Rabhi, Nicolas Hulot, le mouvement Slow Food, etc. La décroissance, c’est comme une diligence. Même s’il y a un cheval qui tire à hue et l’autre à dia, l’important est que la diligence avance. Les initiatives des villes en transition et de simplicité volontaire – comme ce qu’Illich appelait le «  techno-jeûne » – s’inscrivent aussi parfaitement dans la décroissance.

La décroissance contient-elle en germe un « risque de pureté » ?

Oui. Toute culture a un double mouvement, centrifuge et centripète. Et une culture n’existe que dans le dialogue avec les autres cultures. Par conséquent, soit elle est ouverte et accueillante, soit elle a tendance à se replier sur elle-même et à s’opposer, c’est l’intégrisme. On trouve cela dans les mouvements politiques et religieux. Même dans les sectes philosophiques.

La décroissance est quelque fois dénoncée comme étant autoritaire. Les décroissants seraient des catastrophistes, des « prophètes de malheur ». Que répondez-vous à ce genre de critiques ?

C’est n’importe quoi. Il est vrai aussi que les gens qui adhèrent à la décroissance ne sont pas très différents de ceux qui adhéraient autrefois au socialisme, au communisme, au mouvement Occident… Il y a de tout : le bon grain et l’ivraie !

Via leur histoire personnelle, certains sont intolérants, d’autres sectaires, d’autres encore ont une vision manichéiste des choses. Il ne faut pas pour autant accuser le projet de la décroissance des vices de ceux qui la diffusent.

Au contraire, la décroissance nous permet de renouer avec ce qui était la base de toutes les philosophies de toutes les sociétés et cultures humaines : la sagesse. Comme dans le stoïcisme, l’épicurisme, le cynisme, le bouddhisme, etc. Le fondement de tout cela est ce que les Grecs appelaient la lutte contre l’hubris. L’homme doit discipliner sa démesure, s’auto-limiter. C’est seulement ainsi qu’il peut espérer mener une vie saine, heureuse, juste, équilibrée. Alors si c’est cela un projet autoritaire…

Vous avez écrit un ouvrage intitulé L’âge des limites. Quelle pourrait être cette nouvelle ère ?

Avec la modernité, les limites sont devenues bidon. Il faudrait s’en émanciper. Mais s’il n’y a plus de limites, il n’y a plus de société. Certes, certaines limites doivent être remises en cause, mais on s’en donne de nouvelles. On déplace les frontières, mais on ne les abolit pas. Je suis viscéralement attaché aux libertés individuelles, mais à l’intérieur de certaines limites. Est-ce qu’une société démocratique peut exister avec une absence totale de limites à l’enrichissement et à l’appauvrissement personnel ?

Jean-Jacques Rousseau a écrit qu’une société démocratique est telle que personne ne doit être riche au point de pouvoir acheter l’un de ses concitoyens, et aucun ne doit être pauvre au point d’être obligé de se vendre. Dans notre société, on en est loin…

L’idéologie moderne stipule qu’on ne doit subir aucune atteinte à notre liberté, jusqu’à pouvoir choisir son sexe, la couleur de sa peau, sa nationalité, etc. C’est donc refuser l’héritage. Tout cela nous mène au transhumanisme : on n’accepte plus la condition humaine, on s’imagine être des dieux. La liberté, au contraire, c’est d’abord accepter les limites de sa propre culture, en être conscient et agir en conséquence, quitte à les remettre en question.

La décroissance est-elle de droite ou de gauche ?

Pour moi, elle est à gauche. Mais le débat est biaisé. Comme le dit Jean-Claude Michéa, finalement, ne faut-il pas abandonner la dichotomie droite-gauche qui tient à notre histoire ? Par exemple, dois-je interdire à Alain de Benoist de se revendiquer de la décroissance sous prétexte qu’il est classé à droite ? Est-ce qu’il est condamné ad vitam aeternam à être enfermé dans cette catégorie ? Sa position pourrait être réévaluée, rediscutée.

Propos recueillis par Anthony Laurent

Ecouter aussi : Serge Latouche, La décroissance ? Et autres questions