L’énergie mondiale n’est ni plus propre ni plus verte qu’en 1990
AFP
Le Monde du 17.04.2013
Quand le gouvernement foule au pied le droit de l’environnement
Marine Jobert
www.journaldelenvironnement.net/article/quand-le-gouvernement-foule-au-pied-le-droit-de-l-environnement,34015?xtor=EPR-9
Lancement des Etats généraux du droit de l’environnement
Marine Jobert
www.journaldelenvironnement.net/article/lancement-des-etats-generaux-du-droit-de-l-environnement,34196?xtor=EPR-9
« La liberté de consommer est une illusion bien cher payée »
Agnès Rousseaux
www.bastamag.net/article2987.html
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L’énergie mondiale n’est ni plus propre ni plus verte qu’en 1990
AFP
Le Monde du 17.04.2013
Malgré près d’un quart de siècle d’investissements dans les énergies renouvelables, l’énergie mondiale n’est ni plus propre ni plus verte qu’en 1990, selon un rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) publié mercredi 17 avril. Non seulement la consommation énergétique mondiale s’envole, mais la quantité de dioxyde de carbone émise pour chaque unité énergétique produite n’a baissé que de 1 % en moyenne depuis vingt-trois ans, à cause principalement de l’essor continu du très polluant charbon.
Le rapport, intitulé « Identifier les progrès de l’énergie propre », « démontre que pour la majorité des technologies économisant l’énergie et réduisant les émissions de CO2, la lenteur des progrès est alarmante », selon l’agence basée à Paris.
« La quête d’un système énergétique mondial propre est tombé en panne », déplore la directrice de l’AIE, Maria van der Hoeven, citée dans le rapport. « Malgré les discours des dirigeants mondiaux, et malgré le boom des énergies renouvelables lors de la dernière décennie, l’unité moyenne d’énergie produite aujourd’hui est, en gros, aussi sale qu’il y a vingt ans », constate-t-elle.
« LA DOMINATION CONTINUE DES COMBUSTIBLES FOSSILES »
Pire, le rythme ralentit : entre 1971 et 1990, « l’indice de l’intensité carbone du secteur de l’énergie » de l’agence internationale avait reculé de 6 %. Mais depuis, il stagne, « malgré les engagements politiques de la conférence de Rio de 1992 et du protocole de Kyoto en 1997, ainsi que du boom des technologies renouvelables depuis une décennie ».
Cette situation « reflète la domination continue des combustibles fossiles – notamment le charbon – dans le bouquet énergétique et la lenteur de la montée des technologies moins carbonées », souligne l’AIE. En décembre 2012, l’agence avait indiqué, dans un rapport, que le charbon, énergie de masse qui produit le plus de gaz à effet de serre, talonnerait le pétrole comme première source d’énergie mondiale dans cinq ans, et devrait le dépasser d’ici à dix ans. L’Inde, et surtout la Chine, expliquent en grande partie ce phénomène, mais même l’Europe peine, selon l’AIE, à se priver de charbon malgré les inquiétudes environnementales.
Conséquence : le monde n’est pas en passe d’atteindre les objectifs intermédiaires fixés pour 2020 du scénario visant à limiter le réchauffement à 2 degrés en 2100, estime l’agence. Pour éviter que le réchauffement planétaire ne dépasse cette limite, il faudrait que l’indice de l’agence baisse de 5,7 % d’ici à 2020 et de 64 % d’ici à 2050. Environ 60 % des émissions de gaz à effet de serre dans le monde sont liés au CO2 de l’énergie.
LES INVESTISSEMENTS DANS LES ÉNERGIES VERTES S’EFFONDRENT
Le rapport de l’AIE est publié alors que les investissements mondiaux dans les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique sont tombés au plus bas depuis quatre ans au premier trimestre 2013, avec une baisse de 22 % sur un an, selon une étude publiée par Bloomberg New Energy Finance (BNEF). (…)
« Pour que les investissements en énergies propres jouent leur rôle pour contenir la croissance des émissions mondiales, nous devrions voir le niveau d’investissement doubler d’ici à 2020, et non pas baisser », souligne Michael Liebreich, le dirigeant de BNEF.
Quand le gouvernement foule au pied le droit de l’environnement
Marine Jobert
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La simplification du droit de l’environnement doit-elle forcément passer par un argumentaire simplificateur? C’est, selon certains, l’option retenue par les co-auteurs du rapport sur «la lutte contre l’inflation normative», à partir duquel le gouvernement Ayrault espère relancer l’économie française. Car les deux rapporteurs, s’ils n’ont pas été avares en traits d’humour, auraient négligé toute analyse juridique et se seraient exonérés de toute référence scientifique en abordant la question de la protection de l’environnement. Un manque de rigueur intellectuelle dénoncée par le juriste de l’association Bretagne vivante.
Le «choc de simplification» promis par François Hollande va-t-il relever du traitement de cheval? Quelques jours après la remise du rapport de Jean-Claude Boulard et Alain Lambert «sur la lutte contre l’inflation normative» [JDLE], Jean-Marc Ayrault semble s’être lui-même soumis à la cure d’amaigrissement règlementaire. Au sortir du deuxième Comité interministériel pour la modernisation de l’action publique (Cimap), qui s’est tenu le 2 avril, le Premier ministre a envoyé aux ministres et aux préfets une circulaire de 4 lignes, dont les conséquences pourraient être inversement proportionnelles à la longueur du texte. «A l’exception des normes touchant à la sécurité, il vous est désormais demandé de veiller personnellement à ce que vos services utilisent toutes les marges de manœuvre autorisées par les textes et en délivrent une interprétation facilitatrice pour simplifier et accélérer la mise en œuvre des projets publics ou privés.»
Une injonction dans la droite ligne du rapport Boulard/Lambert, qui estimait que «la mobilisation en faveur de la création de richesse implique de réduire la place des contrôleurs au profit des acteurs». Dans la ligne de mire des ex-conseiller d’Etat et ex-conseiller à la Cour des comptes: les mesures de protection de l’environnement en général, et de protection de la faune et de la flore en particulier.
Extraits: «Dans le cas d’aménagement urbain ou rural ayant des conséquences sur des éléments de flore ou de faune protégée, il est clair que selon les mesures de compensation imposées, les conditions de réalisation de l’aménagement ne seront pas les mêmes. Une interprétation stricte des normes de protection peut conduire à des surcoûts, des retards et même un abandon pur et simple. Les règles interprétées trop rigoureusement permettent souvent, sous le couvert de la protection environnementale d’une espèce, de protéger une espèce qui ne l’est pas: les riverains hostiles au projet d’aménagement. A l’inverse, à partir d’une appréciation facilitatrice, des mesures raisonnables de compensation peuvent sauver le projet».
Ce passage a fait bondir Romain Ecorchard, juriste à l’association Bretagne vivante. Sur le blog des Naturalistes en colère, qui a éclos à la faveur de la lutte contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, il démontre point par point qu’à vouloir purger «un système juridique pollué lui aussi par le principe de précaution», les deux rédacteurs vont jeter la France dans la plus totale illégalité, mais surtout bloquer les projets des promoteurs qu’ils prétendent encourager.
C’est l’interprétation «stricte» des normes de protection des espèces –loi de 1976 sur la protection des espèces animales et végétales, directives Habitats et Oiseaux, corpus réglementant les espèces protégées- qui semblent déranger les ex-parlementaires. Pourtant, plaide le juriste, «une interprétation dite souple va à l’encontre de la sécurité juridique des opérations. Si on crée de nouvelles marges d’interprétation, les porteurs de projet pourraient se retrouver dans des situations d’incertitudes complètes. La situation actuelle est en fait assez simple: si vous trouvez une espèce protégée sur le site de votre projet, faites demi-tour, à moins de disposer d’une raison impérative d’intérêt public majeur pour continuer!»
D’autant, ajoute Romain Ecorchard, qu’une interprétation souple ouvrirait la porte aux interprétations les plus favorables «[pour les] personnes les mieux armées [pour] obtenir davantage». Et que s’agit-il d’interpréter, concernant des espèces protégées, interroge le juriste. «S’il est interdit de détruire un scarabée pique-prune, comment interpréter souplement cette interdiction (non, mais, en fait, on ne lui a arraché qu’une seule patte, il devrait continuer à se maintenir dans un bon état de conservation…) ? Ce n’est pas sérieux…»
La vraie question, c’est donc bien celle de la compensation, «qui secoue l’entière communauté des scientifiques de l’environnement», souligne le juriste de Bretagne vivante. Et de rappeler la doctrine issue du Grenelle I: «Eviter, réduire, compenser». Un triptyque qui, à lire le rapport, tend à se muer en un brutal «détruire, compenser». «Il suffirait finalement de payer une taxe lors de la réalisation de chaque projet, à laquelle correspondrait une compensation, qui serait réalisée de manière automatique (…) Nous pensons que ce rapport, sur la question de la biodiversité, est une terrible régression, juridique, écologique et intellectuelle.»
Tout à leurs désirs de supprimer les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) –désignées comme complices d’un «intégrisme normatif» emmené par des associations environnementalistes, car «elles mettent au service de l’interprétation rigoriste des normes la bureaucratie»-, de faire du préfet de département l’autorité environnementale unique et de supprimer les pouvoirs de contrôle de légalité du préfet «au profit d’un conseil en interprétation», les auteurs ont quelque peu négligé de relire leur copie.
Un exemple: pour donner la mesure de l’empilement des zones «qui fragmentent l’espace, superposent des règles, accumulent les normes», les hauts fonctionnaires en égrènent une bonne trentaine. «Or la liste présentée (…) comporte au moins un zonage qui n’existe pas (la ’zone écologique contrôlée‘) et un zonage qui n’existe qu’au Québec (la ’zone d’exploitation contrôlée‘)!», pointe Romain Ecorchard qui, lui, connaît son droit de l’environnement sur le bout des doigts.
Des erreurs qui viendraient «du pompage direct mais non référencé» d’un site internet d’aide aux professeurs. «Voilà des comportements dont même les élèves de seconde comprennent vite la stupidité mais qui ne gênent pas des rapporteurs issus du Conseil d’Etat et de la Cour des comptes!», raille le juriste. Ce qui serait une «simple» manière de faire répandue aux temps d’internet n’a que plus de saveur quand on connaît la suite du rapport, qui s’attaque aux schémas: «Nous avons recensé 67 schémas, écrivent les rapporteurs, qui nourrissent les sociétés prestataires d’études… qui les élaborent en faisant souvent du copier-coller».
Le travail qui oriente aujourd’hui les décisions du gouvernement pour «redonner des marges de manœuvre au politique, redonner de la compétitivité à notre économie, réaffirmer la solidarité qu’incarnent nos services publics», selon les mots de Jean-Marc Ayrault, a été mené sans solliciter une seule association de protection de l’environnement et sans s’appuyer sur aucune référence bibliographique sérieuse.
En fin de rapport, une série d’articles consacrés à la mission elle-même et aux exemples les plus farfelus dénichés par le tandem, fonde l’essentiel de la science convoquée pour penser l’avenir de la réglementation française en matière environnementale. La lecture de la notice biographique de Jean-Claude Boulard précisait: «il a pu parfois, sans délai, sans autorisation, sans schéma directeur préalable et sans étude d’impact, prendre des décisions utiles à ses concitoyens.» «Un élu local se vante de prendre des décisions sans autorisation? Sans étude d’impact? (…) Sans consultation, ni participation du public?», s’interroge, presque incrédule, Romain Ecorchard. «Libre à chacun de croire au mythe de l’homme éclairé prenant seul et sans autorisation ni consultation des décisions éclairées pour le bien de tous. Si c’est cela l’avenir de la prise de décision en démocratie… peut-être convient-il de s’en inquiéter», conclut-il.
Lancement des Etats généraux du droit de l’environnement
Marine Jobert
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La réforme du droit de l’environnement est lancée. Objectif: concilier la protection de l’environnement avec un développement –rapide- de l’économie. Après deux mois de réflexion, le comité de pilotage mis en place aujourd’hui par Delphine Batho présentera des pistes de réflexion. Le public sera consulté. Les associations, l’administration et les acteurs économiques seront associés à la réflexion au travers du Conseil national de la transition écologique. Première préfiguration de cette réforme attendue le 25 juin, avant une réforme en profondeur à la fin de l’année.
Protéger l’environnement, tout en ménageant la compétitivité économique. Voilà l’état d’esprit qui va présider aux Etats généraux de la modernisation du droit de l’environnement, lancés aujourd’hui 16 avril par Delphine Batho. Sur la forme, il s’agit de «moderniser», plutôt que de biffer d’un coup de crayon des normes considérées par trop tatillonnes ou complexes. Sur le fond, la ministre de l’écologie aspire à «concilier un haut niveau d’exigence environnementale avec des procédures efficientes en termes de calendrier. [Les délais] posent un problème de compétitivité et aboutissent souvent à des problèmes économiques, car entre le lancement d’un projet et sa finalisation, il y a des problèmes de coût que l’on retrouve dans beaucoup de projets». Le pilotage de la mission a été confié à Delphine Hédary, maître des requêtes au Conseil d’Etat. Elle sera épaulée par Claude Chardonnet –géographe de formation- spécialiste des méthodes de concertation et de débat public, et par Arnaud Gossement, avocat au barreau de Paris et spécialiste en droit de l’environnement. Julien Boucher, le directeur des affaires juridiques du ministère de l’écologie, complétera le comité en représentant les administrations tant centrales que déconcentrées. Les 6 collèges mobilisés lors du Grenelle de l’environnement sont appelés à se fondre au sein d’un Conseil national de la transition écologique. C’est lui qui élaborera, sous l’égide du comité de pilotage, les axes de modernisation du droit de l’environnement, qui seront présentés le 25 juin prochain. Les résultats définitifs seront annoncés à la fin de l’année 2013.
(…)
Quelles réformes urgentes sont à venir? La ministre de l’écologie cite la simplification des programmes d’actions de prévention des inondations (Papi) ou des plans de prévention du risque Inondation (PPRI), hésite à dévoiler les réformes manifestement déjà entrevues par les services du ministère, puis évoque «toutes les procédures de prescription, aujourd’hui un processus en tuyaux d’orgue qui s’additionnent les uns aux autres». Le public sera consulté lors de ces Etats généraux entre le 26 avril et le 9 juin, avec la mise en ligne d’un questionnaire. «Cette consultation sous forme de questionnaire ne vise pas à orienter les réponses, se défend Delphine Hédary, il vise à structurer les propositions.»
« La liberté de consommer est une illusion bien cher payée »
Agnès Rousseaux
www.bastamag.net/article2987.html
« Nous avons réussi à créer de la misère et du mal-être dans des sociétés d’opulence matérielle », assène Vincent Liegey. L’ingénieur et porte-parole du Parti pour la décroissance ne se contente pas de pourfendre le mythe de la croissance infinie. Lui et les co-auteurs du livre « Un projet de décroissance » proposent d’accorder à chacun une « dotation inconditionnelle d’autonomie » : un revenu d’existence qui pourrait ouvrir bien des horizons. Et une invitation à nous questionner sur le sens de notre société.
Basta ! : Instaurer un revenu de base, aussi appelé revenu d’existence ou allocation universelle, est une revendication qui commence à émerger. Vous faites une nouvelle proposition en ce sens. En quoi votre projet est-il original ?
Vincent Liegey [1] : Le revenu d’existence consiste à donner à tous, de la naissance à la mort et de manière inconditionnelle, un revenu. C’est une idée très ancienne que l’on a contribué à exhumer, mais avec un regard critique : ce type de revenu peut très bien s’inscrire dans le système économique actuel, sans le renverser ni le questionner. Même Milton Friedman, l’un des pères du néolibéralisme, était favorable à un revenu d’existence – en supprimant minimas sociaux et syndicats, et en laissant agir la « main invisible » du marché ! Nous avons développé une proposition, la dotation inconditionnelle d’autonomie (DIA), qui s’appuie sur les réflexions passées, mais qui se situe hors du système marchand. Un revenu de base « démonétarisé », en quelque sorte.
Comment ce revenu sera-t-il versé aux citoyens ?
Nous proposons une DIA distribuée non pas en euros, mais en droits d’accès, en droits de tirage sur les ressources, et en système monétaire alternatif. Il s’agit de donner à tous ce qui est nécessaire pour avoir une vie décente et frugale : un « droit de tirage » sur le foncier, pour permettre à chacun d’avoir un logement, un local d’activité ou un lopin de terre pour être autosuffisant en nourriture. Un droit de tirage sur les ressources naturelles de base, comme l’eau, le gaz et l’électricité : les premiers kWh ou m3 seraient gratuits. Et le tarif devient ensuite progressif pour pénaliser les consommations jugées excessives. Pourquoi devrait-on payer au même prix l’eau pour boire ou faire la cuisine, et celle pour remplir sa piscine individuelle ou laver son 4×4 ? La DIA donnerait également un droit d’accès, gratuitement, aux services publics, à l’éducation, à la culture, aux services de pompes funèbres… Et, troisième élément, une partie de la DIA serait versée en monnaie locale, pour encourager la consommation locale, par exemple pour l’alimentation ou l’habillement.
Cette proposition oblige à une réflexion collective sur ce que l’on produit, comment on le produit, et pour quel usage…
Nous sommes face à une crise systémique, dans laquelle tout est lié. Il est impossible – voire dangereux – de sectoriser les choses, sinon on perd le sens de ce que l’on fait. Comme le disait Nicholas Georgescu-Roegen, l’un des penseurs de la décroissance, on a commencé à se planter quand on a cloisonné les sciences [2]. Nous sommes capables de fabriquer des smartphones et des objets très complexes, mais incapables d’avoir du recul pour comprendre les impacts écologiques, culturels, sociaux de ces objets. Et beaucoup de gens ne savent plus pourquoi ils travaillent – à part recevoir un salaire. Il faut rompre avec la logique de fabrication d’objets à durée de vie limitée. Nous devons aussi sortir de l’obsolescence programmée culturelle, encouragée par la publicité, qui pousse à vendre de plus en plus de produits dont on n’a pas vraiment besoin.
Travailler plus, pour produire toujours plus de choses inutiles ! Beaucoup ne veulent plus de cette logique. La DIA permet de sortir du travail contraint, de cette obligation de subir des jobs qui ont de moins en moins de sens. Il s’agit d’expérimenter, retrouver un sens au travail, se réapproprier les outils. Et réparer, recycler, partager des savoir-faire pour que les gens deviennent autonomes.
Concrètement, comment mettre en place cette dotation inconditionnelle d’autonomie ?
Les scénarios de transition s’inscrivent dans le temps long. Et s’appuient sur le fait que la transition est déjà en marche : il s’agit d’étendre toutes les initiatives concrètes qui se développent un peu partout dans le monde, en rupture avec le système dominant. Deux démarches peuvent ensuite servir de catalyseurs : la réduction et le partage du temps de travail, pour en finir avec le chômage et réinvestir le temps libéré dans la participation politique et le développement de ces alternatives concrètes. Le deuxième levier est la mise en place d’un revenu inconditionnel d’existence, très simple d’un point de vue technique, qui demande uniquement du courage politique. On donne 700 ou 1000 euros à chacun, à l’échelle d’une région, d’un pays ou de l’Europe. Les gens seront peu à peu libérés du travail contraint et pourront participer à cette transformation de la société. Et à terme, on démonétarise ce revenu pour aller vers une dotation inconditionnelle d’autonomie.
Comment financer un tel projet ?
Le financement n’est pas un problème. Ce n’est pas une question comptable, mais un choix politique. Nos sociétés n’ont jamais été aussi riches matériellement. Elle atteignent pourtant des niveaux records d’inégalité – un rapport de 1 à 4000 entre les revenus minimum et maximum ! Première étape de la transition : refuser ces inégalités et mettre en place un revenu maximum acceptable. Un rapport de 1 à 4 entre revenu minimum et maximum nous semble intéressant. Il nous faut décoloniser notre imaginaire, notamment cette idée que devenir très riche est un objectif en soi, et que le mode de vie des très riches rend heureux – cela reste à prouver ! La première décroissance à réaliser est celle des inégalités. Ensuite, posons-nous la question : faut-il rembourser la dette publique, qui ne sera de toute façon jamais totalement remboursée ? A qui cela profite-t-il ? Quel intérêt de maintenir une monnaie forte ? Il faut sortir du dogme de l’indépendance des banques centrales, se réapproprier la création monétaire.
Le revenu maximum – et la décroissance – ne sont-ils pas une atteinte à la « liberté de consommer » ?
Nous vivons dans une illusion de toute-puissance, car nous ne voyons jamais les « externalités » de notre mode de vie. La liberté de conduire son 4×4 ? Totalement illusoire ! Celui qui conduit son 4×4 ne voit pas toutes les conséquences écologiques et humaines de ce geste. Le complexe militaro-industriel qui permet de contrôler les dernières ressources de pétrole, l’expropriation des populations pour cultiver des agrocarburants, les conditions de travail extrêmement dures pour produire les pièces de sa voiture. C’est une liberté bien cher payée ! S’il devait payer le prix réel ou subir lui-même toutes ces contraintes, tous les sacrifices nécessaires pour une heure de jouissance de sa voiture, il considérait autrement cette liberté. Il ne s’agit pas d’interdire mais de montrer les coûts humains et écologiques réels, ce qui nous amène à regarder autrement beaucoup de consommations qui nous paraissent aujourd’hui anodines.
Entrer en décroissance, est-ce renoncer à un certain confort ?
Nous avons réussi à créer de la misère et du mal-être dans des sociétés d’opulence matérielle. Quelqu’un qui touche le RSA en France a des conditions de vie très dures, mais a pourtant une empreinte écologique qui n’est pas soutenable. On peut aujourd’hui avoir une bagnole et être miséreux. A cause de la manière dont on a organisé le travail, l’urbanisme, notre dépendance à un système extrêmement énergivore… Les études sur les indicateurs subjectifs de bien-être montrent que le plus important n’est pas le niveau de confort matériel en lui-même mais le niveau des inégalités : plus les inégalités sont fortes, plus le sentiment de mal-être sera fort.
Aller vers des sociétés matériellement frugales, écologiquement soutenables, cela ne veut pas dire revenir à la bougie. L’enjeu est de revenir à une société beaucoup plus simple, à un autre type de confort matériel, sans remettre en question les avancées de la société actuelle. Sortir de la méga-machine, de la technostructure, comme y invitait Ivan Illich, autre penseur de la décroissance. Retrouver aussi ce qui a été détruit : convivialité, solidarité, le « buen vivir », ce concept de la « vie bonne » développé en Amérique latine.
La dotation inconditionnelle d’autonomie remet-elle en cause la propriété privée ?
La propriété privée va souvent à l’encontre de l’intérêt général. On le voit de manière criante avec le foncier : il y a énormément de bâtiments vides et toujours plus de sans-abris. C’est un choix politique, intolérable. Il faut appliquer les lois de réquisition. Idem pour la nourriture : un milliard de personnes sont en situation de malnutrition, alors que nous avons les capacités techniques de produire suffisamment pour tous. Nous sommes favorables à ce que le droit d’usage puisse remettre en question le droit de propriété. Cela peut se faire de manière barbare, en coupant des têtes – l’histoire l’a déjà montré. Mais nous sommes dans une démarche non-violente, à l’opposé des formes d’éco-fascisme, qui voudraient, au nom d’une vérité politique, imposer par exemple une empreinte écologique soutenable du jour au lendemain à tout le monde. Le droit de propriété s’est mis en place historiquement par la violence, par des expropriations. Cela ne veut pas dire qu’il faut faire la même chose… Est-il possible aujourd’hui d’appliquer des lois de réquisition sans violence ? Qui peut le dire ?
Mettre en œuvre une dotation inconditionnelle d’autonomie, c’est aussi changer de rapport au politique…
Avant d’être un outil technique, la DIA est un outil de repolitisation de la société. Il s’agit de développer la participation, mais aussi la responsabilité. Nous vivons dans des sociétés où l’on ne voit jamais les conséquences de nos gestes de consommation. Nous voulons relocaliser, pour que les décisions soient prises par les personnes qui en subissent les conséquences. Une société démocratique est une société où chaque citoyen est capable d’être dirigé et d’être dirigeant, disait Cornelius Castoriadis, un des penseurs qui a influencé la décroissance, en citant Aristote. Il faut aussi utiliser tous les outils démocratiques à disposition : tirage au sort, délibération citoyenne, démocratie représentative et directe, référendums et préférendums…
« Ni relance ni austérité », affirmez-vous. La décroissance, cela passe par quoi ?
Les solutions politiques imaginées aujourd’hui ne sont pas bonnes. Avec l’austérité, on crée une société de croissance sans croissance. Il n’y a rien de pire. La relance n’est pas une solution non plus. Elle s’appuie sur l’imaginaire de la période enchantée des Trente Glorieuses et de son développement économique sans précédent, qui n’a été possible que parce qu’il fallait tout reconstruire, et qu’on avait un excès de ressources naturelles et énergétiques venant de nos anciennes colonies. Il n’est ni possible ni souhaitable de revenir à cette situation. L’austérité est barbare, la relance est une fuite en avant dans le mythe de la croissance.
Nous sommes face à l’effondrement d’une civilisation. Ce n’est pas nouveau, c’est un cycle normal dans l’histoire. Mais aujourd’hui l’ensemble de la planète est embarqué sur ce Titanic. Et l’effondrement met en péril l’aventure humaine telle qu’on la connaît, et va transformer en profondeur nos conditions de vie. Ce sera un choc extrêmement violent. Nous essayons de comprendre cette crise anthropologique et de construire d’autres civilisations en rupture avec celle-ci. Avec une contradiction : il faut aller vite, tout en faisant quelque chose qui demande du temps. Un changement de nos habitudes, une décolonisation de notre imaginaire, une transformation de nos institutions qui sont toxico-dépendantes de la croissance…
Ce qui permettra d’aller vers la décroissance ?
La décroissance est multiple, il n’existe pas un projet de décroissance, mais plusieurs transitions possibles. Il est important de cultiver une diversité d’approches et de sensibilités. Le but de la décroissance, à travers son slogan provocateur, est d’ouvrir des possibles de pensée. Nous tentons de penser l’utopie, ce vers quoi on veut tendre – sans peut-être jamais l’atteindre. Et de définir un projet de transition qui part de la société actuelle, tout en étant complètement en rupture avec celle-ci. Nous faisons évidemment face à de nombreuses contradictions. Nous sommes contraints de partir du modèle actuel que nous n’avons pas choisi, ce qui oblige au compromis. L’important est de savoir où l’on va et d’assumer avec humilité et autocritique ces contradictions, en fonction des différentes stratégies choisies pour transformer la société en profondeur.
La décroissance fait-elle son chemin au sein des partis politiques et dans la société ?
Il y a quelques années, aucun parti de gauche ne se disait ouvertement anti-productiviste. Aujourd’hui plus personne n’ose dire le contraire : même s’ils le restent culturellement, ces partis ont du mal à se définir comme étant productivistes. Le mouvement de la décroissance, à travers sa pensée radicale et son rôle d’empêcheur de penser en rond, est aujourd’hui écouté et respecté. Il interpelle. Deux mouvements se sont structurés : le Mouvement des objecteurs de croissance (MOC) et le Parti pour la décroissance (PPLD). On retrouve des objecteurs de croissance partout. Comme le dit Paul Ariès, ce mouvement est à la fois un ovni politique et une auberge espagnole, dont on a du mal à définir les limites. Et tant mieux ! Cela va bien au-delà de nos mouvements et des partis de gauche. Beaucoup de gens ne se définissent pas comme décroissants mais partagent un certain nombre de valeurs, essayant dans leur quotidien de se ménager des espaces de liberté, d’avoir un autre rapport à la consommation, au travail, un autre rythme de vie. C’est une invitation à aller plus loin dans les questionnements et à ouvrir des possibles pour sortir de la croissance.
Version en anglais de cette interview :
Vincent Liegey : « The freedom to consume is a costly illusion » – A Degrowth Project
À lire : Vincent Liegey, Stéphane Madelaine, Christophe Ondet et Anne-Isabelle Veillot, Un projet de Décroissance, Manifeste pour une Dotation Inconditionnelle d’Autonomie, Éditions Utopia, 2013. 156 pages, 7 euros. Voir le site.
Notes
[1] Ingénieur, porte-parole du Parti pour la décroissance (PPLD)
[2] Ce mathématicien, économiste et philosophe des sciences a tenté de faire lien entre économie, sciences physiques et biologiques. Père de la bioéconomique, il a notamment introduit le concept physique d’entropie dans ses analyses économiques, et utilisé la thermodynamique pour démontrer que les ressources naturelles s’épuisent irrévocablement. Ses analyses ont abouti au concept de décroissance.