Bizi !

Articles du Vendredi : Sélection du 18 novembre 2011

Le sourire de Cassandre 1/2

Matthieu Auzanneau, journaliste indépendant
http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/11/17/le-sourire-de-cassandre/1/

Patrick Viveret : «La paix et la démocratie sont menacées» 1/3

Joseph Confavreux
www.mediapart.fr/article/offert/5b6375d742059e9360092609906ceee4 – le 14.11.2011

Aux États-Unis, bras de fer autour du pipeline de la discorde


Maxime Combes

http://alter-echos.org/extractivisme-ressources-naturelles/aux-etats-unis-bras-de-fer-autour-du-pipeline-de-la-discorde/

[:]

Le sourire de Cassandre 1/2

Matthieu Auzanneau, journaliste indépendant
http://petrole.blog.lemonde.fr/2011/11/17/le-sourire-de-cassandre/1/

« S’il n’y a pas de solution, c’est qu’il n’y a pas de problème » (devise shadok)

Chers contemporains, nous avons maintenant la certitude que nous laisserons ce climat profondément altéré après notre passage, risquant de dégrader à jamais les conditions de la vie humaine sur Terre.

Et alors ? Alors rien.

Il est très probablement déjà trop tard pour empêcher un réchauffement supérieur à 2°C d’ici à la fin du siècle, a confirmé la semaine dernière l’Agence internationale de l’énergie. Cette alerte historique a eu si peu d’écho dans les médias que y’a de quoi… je sais pas !

Le métronome de l’économie mondiale, le Financial Times, a relégué l’information en pied de page 4, sur deux colonnes, en dessous d’un papier sur un futur pacte de libre échange trans-Pacifique. J’imagine la combinaison d’arguments tautologiques des rédacteurs-en-chef : (1) on s’en fout, puisqu’on savait déjà que c’était râpé ; (2) lutter vraiment contre le réchauffement, c’est très mauvais pour le business, alors autant dire que (1) on s’en fout. « Imagine all the people » ? Gratte-moi le dos, et appelons un chat un chien. L’intelligence et la compassion sont des chimères : bienvenus à bord du radeau de la Méduse.

Ailleurs, notamment dans les médias français, ce fut tout autant le silence radio. Une exception : le dernier supplément économique du Monde a fait état d’une analyse très simple et très implacable, montrant que si les nations respectaient leur engagement à empêcher un réchauffement supérieur à 2°C, l’essentiel des réserves mondiales d’hydrocarbures, devenues inutilisables, perdraient instantanément toute valeur économique pour les firmes qui les possèdent (étude déjà présentée sur [oil man] en juillet).

Naomi Klein, notre Rosa Luxembourg soft, touche juste dans une longue analyse qui fait la couverture du prochain numéro de The Nation, grand magazine de gauche américain. Son article est intitulé « Capitalism versus The Climate ». Elle y écrit :

« Ceux qui nient le réchauffement ont profondément tort sur la science. Mais ils comprennent quelque chose qui échappe encore à la gauche : le sens révolutionnaire du changement climatique. »

Subversive, la crise climatique ? Aussi modestes qu’elles soient, les politiques de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre ont été gravement sapées, dès le début, par les feintes de nombreux groupes industriels, sans qu’il en coûte quoi que ce soit auxdits groupes. Et l’on sait (ou l’on devrait savoir) à quel point les « climato-sceptiques », universitaires et surtout politiques, sont soutenus financièrement par les grandes firmes de l’énergie carbonée (Exxon et Koch Industries aux Etats-Unis, mais également, de ce côté-ci de l’Atlantique, GDF-Suez, Lafarge ou encore BP).

Mais le ferment révolutionnaire de la crise climatique est plus évident et bien plus profond. Ce ferment est si puissant qu’il est logique qu’il passe encore largement inaperçu pour le gros de la gauche, dont le désir révolutionnaire reste tabou depuis 1989, mais dont la libido productiviste demeure intacte, sans doute par habitude, ou par accoutumance.

Car de toutes les crises écologiques, la crise du climat est celle qui apporte dans la plus claire épure la nécessité du dépassement de l’antagonisme entre économie et écologie, antagonisme désormais absolu et pourtant aberrant, puisqu’il s’agit d’une seule et même chose : éco (οἶκος), la maison !

Prétendre que la lutte contre le réchauffement nuit à l’économie est un non-sens abominable qu’assument pourtant aujourd’hui, explicitement ou simplement dans la pratique, la quasi-totalité des gouvernements de la planète.

La crise climatique nous place, il est vrai, devant la nécessité d’un dépassement révolutionnaire terriblement difficile. Elle devrait nous obliger à chercher de toute urgence quelque chose au-delà de l’expression tronquée et débile (mais qui depuis toujours gouverne le monde) de notre désir vital de puissance : notre « conatus ». L’enjeu de la crise climatique est bien notre rapport malsain à la puissance, puisque le carbone fossile est la forme la plus efficace et malléable d’énergie que l’homme ait trouvé à sa disposition pour assouvir son propre désir de puissance… ou celui de ses chefs (selon « l’angle alpha » cher à l’économiste Frédéric Lordon).

Si la crise climatique nous aspire bien vers une révolution, à peu près tout nous prédispose à échouer.

L’Agence internationale de l’énergie nous a fait savoir que si avant 2017, une réduction drastique des émissions de gaz à effet de serre n’est pas amorcée, alors la porte sera « fermée pour toujours » : nous serons responsables de l’invention d’une Terre inconnue  sans doute terriblement périlleuse pour nos descendants. Or un accord international n’est plus attendu avant 2018 ou 2020, et il est hautement improbable aujourd’hui qu’un tel accord prévoie une réduction drastique des émissions. N’en déplaise aux chantres du développement durable, il est depuis longtemps évident que l’ampleur des réductions d’émissions nécessaires requiert un ordre économique tout autre.

D’ici à 2017, un réveil des nations, piégées dans leurs problèmes immédiats, leur paresse, leurs habitudes, leur ubris et leur avidité est-il plausible ?  (suite et fin le 25.11.2011)

Patrick Viveret : «La paix et la démocratie sont menacées» 1/3

Joseph Confavreux
www.mediapart.fr/article/offert/5b6375d742059e9360092609906ceee4 – le 14.11.2011

La charge confiée à Mario Monti de former un nouveau gouvernement, en Italie, a été effective dès le dimanche soir pour permettre une ouverture sereine des bourses européennes le lundi matin. Pour Patrick Viveret, philosophe, ancien conseiller honoraire à la Cour des comptes, et auteur de Reconsidérer la richesse, cette manière de «rassurer les marchés» est à la fois inefficace et dangereuse.

Elle revient, d’un côté, à vouloir «rassurer des robots», puisque la majorité des transactions financières, de par le monde, sont désormais opérées par des automates.

Elle avalise, de l’autre, une logique financière qui menace les valeurs cardinales sur lesquelles l’Europe s’est construite: la démocratie et la paix. Cette logique ne tolère pas, en effet, deux composantes essentielles du fonctionnement démocratique : le temps et la divergence.

Pistes pour une politique alternative sous forme d’entretien.

Quelles leçons tirer du renversement de deux gouvernements élus démocratiquement, en Grèce et en Italie, sous la pression des marchés financiers ?

La démocratie et la paix, c’est-à-dire les deux valeurs cardinales sur lesquelles s’est construite l’Europe, sont aujourd’hui menacées. Nous sommes entrés dans une situation d’urgence démocratique, précisément par ce fait que la logique financière elle-même ne supporte plus deux caractéristiques majeures de la démocratie : le temps d’une part, la pluralité et la divergence des orientations de l’autre.

Les marchés financiers fonctionnent aujourd’hui à la seconde, ou à la nanoseconde, et ne supportent plus le temps démocratique, qui ne va jamais assez vite pour eux. Un phénomène permis et aggravé par le fait que 70% des transactions financières aux Etats-Unis, et près de la moitié en Europe, sont réalisées par des automates, à travers le trading algorithmique. On ne cesse de dire qu’il faut rassurer les marchés, parce que ça ne passerait pas si on disait qu’il faut «rassurer les robots». D’où le développement de cette novlangue jargonnante de l’économie financière, qui, par son opacité, joue un rôle structurant dans le déni de démocratie.

Il y a un formidable travail de déconstruction et d’éducation populaire à faire pour savoir qui sont ces fameux marchés financiers à rassurer. Le seul fait de se poser la question du «qui?» permet de saisir à la fois le rôle considérable des automates et la psychose maniaco-dépressive dans laquelle les financiers sont engagés.

Le Wall Street Journal, qui n’est pas l’incarnation d’une pensée alternative, écrivait, au moment du krach de 1987, mais cela reste valable aujourd’hui, que les marchés ne connaissent que deux sentiments : l’euphorie ou la panique.

C’est exactement ce qui caractérise la psychose maniaco-dépressive. C’est-à-dire un état où les personnes perdent le contact avec le réel, notamment économique, et peuvent dilapider l’argent. C’est une des raisons pour lesquelles on préconise tutelle et curatelle. Il ne s’agit donc pas seulement de réguler les marchés financiers, mais aussi de les soigner. Les marchés financiers constituent aujourd’hui un problème de santé internationale.

L’autre fondement de la démocratie que les marchés ne supportent plus est la division ou la pluralité des orientations, pourtant inhérente au processus démocratique. Ils exigent donc, partout, des règles d’or et des gouvernements d’union nationale, dirigés par des techniciens. On l’avait déjà senti cet été, aux Etats-Unis, lors du désaccord entre républicains et démocrates sur le plafond d’endettement. La gestion dynamique de la divergence, qui est un fondement démocratique, n’est plus compatible avec la logique financière.

Si on laisse cette logique s’imposer, on en arrive donc à ce qu’a décrit le prix Nobel hétérodoxe Paul Krugman. Pour lui, nos programmes d’austérité sont l’équivalent des sacrifices humains chez les Mayas. Il faut analyser la crise actuelle à travers les catégories d’une crise de foi, donc d’une crise religieuse, pas seulement d’une crise de confiance. Nous sommes dominés par un socle de croyances et de crédulités conduisant à penser que, face à ces nouveaux dieux courroucés que sont les marchés financiers, nous n’avons d’autres choix que les rassurer avec des sacrifices ! Et des sacrifices humains. Chaque annonce d’un plan d’austérité implique plus de chômage, moins d’infirmières, moins d’éducation…

C’est pourtant une destruction de richesse réelle et humaine aussi absurde que les sacrifices mayas, qui ne parvenaient pas à arrêter les éclipses de soleil et n’ont pas empêché la civilisation maya de s’effondrer. On voit bien que c’est inefficace, mais on nous explique que c’est lié au fait qu’on n’a pas été assez loin dans le sacrifice ! Or, cette logique sacrificielle, si on la laisse aller jusqu’au bout, met en cause non seulement la démocratie, mais, ensuite, la paix elle-même.

Une économie entièrement autonome vis-à-vis du politique et de toute éthique engendre des formes de guerres civiles intérieures : on en a perçu les germes lors des émeutes britanniques de l’été. Mais elle porte aussi en elle les germes de guerres internationales. Les éléments de révolte sociale sont déjà présents et le seront plus encore avec les programmes d’austérité.

Et la meilleure façon de canaliser des révoltes, c’est toujours de construire des logiques de boucs émissaires. Soit des boucs émissaires intérieurs, comme les Juifs hier ou les Roms aujourd’hui. Soit des boucs émissaires extérieurs. Les révoltes sociales qui montent en Chine face à la classe des nouveaux riches pourraient bien faire que Taiwan devienne un enjeu de conflit majeur. Et, pour Israël, une bonne façon de détourner les puissantes revendications de leurs indignés, c’est un conflit avec l’Iran. Les politiques économiques actuelles sont autant de bombes à retardement planétaires.

Une économie «avec marché» plutôt qu’une économie «de» marché (dans la sélection de vendredi prochain !)


Aux États-Unis, bras de fer autour du pipeline de la
discorde


Maxime Combes

http://alter-echos.org/extractivisme-ressources-naturelles/aux-etats-unis-bras-de-fer-autour-du-pipeline-de-la-discorde/

Début septembre, plus d’un millier de personnes ont été arrêtées au cours d’actions de désobéissance civile devant la Maison-Blanche. En jeu : demander à Barack Obama de rejeter le projet de pipeline géant Keystone XL, qui doit acheminer le pétrole bitumineux du Canada vers les États-Unis. C’est probablement le plus large mouvement de désobéissance civile jamais vu pour une cause écologique dans ce pays. Explications.

C’est l’une des plus importantes campagnes de désobéissance civile jamais planifiées aux États-Unis pour une cause écologique. Du 20 août au 3 septembre, des milliers de personnes ont participé à des sit-in quotidiens devant la Maison-Blanche. Interdits, ces rassemblements ont abouti à l’arrestation de 1 252 personnes, dont des personnalités comme l’actrice Daryl Hannah ! Des dizaines d’autres actions ont animé les rues un peu partout aux États-Unis et au Canada, à l’initiative de Tar Sands Action, un réseau d’organisations luttant contre les sables bitumineux.

Cette protestation visait Washington et la Maison-Blanche. Objectif : que Barack Obama rejette la construction d’un pipeline, Keystone XL, acheminant le pétrole produit à partir de sables bitumineux de l’Alberta vers des raffineries du Texas. Long de 2 735 kilomètres, ce pipeline doit traverser du nord au sud les États du Montana, du Dakota-du-Sud, du Nebraska, du Kansas et de l’Oklahoma. Coûtant 7 milliards de dollars et porté par la major de l’énergie nord-américaine TransCanada, il pourrait acheminer 700 000 à 800 000 barils de pétrole non raffiné par jour.

« Une insulte faite aux communautés indigènes »

Les opposants pointent les risques de fuite sur le parcours. Par exemple, la nappe aquifère de l’Ogallala, la principale source en eau potable des Grandes Plaines, ou les grandes dunes de sable du Nebraska pourraient être directement contaminées. Un autre pipeline, plus petit, Keystone 1, détenu par la même compagnie, a enregistré douze fuites pour sa première année d’opération, selon les Amis de la Terre. La dernière en date est intervenue le 6 mai 2011 dans le Dakota-du-Nord, avec 80 000 litres d’hydrocarbures répandus dans la nature. En 2010, c’est un autre pipeline canadien qui a déversé 3,2 millions de litres dans une rivière du Michigan…

Les critiques du pipeline ne s’arrêtent pas là. « Nous ne voulons pas de ce pétrole sale », scandaient les manifestants venus des quatre coins des États-Unis et du Canada. « Le pétrole issu des sables bitumineux est un véritable scandale, une insulte faite aux communautés indigènes qui en supportent les conséquences », selon Naomi Klein, journaliste canadienne, auteure de No Logo et de la Stratégie du choc. « Ce n’est pas un pétrole éthique, comme ils disent, poursuit-elle, c’est une honte, une honte pour le Canada. »

Déforestations, cancers et marées noires

Pour accéder aux sables bitumineux dont est issu le pétrole destiné au pipeline Keystone XL, les entreprises pétrolières rasent la forêt boréale de l’Alberta et enlèvent le terreau de surface. Puis elles creusent sur 50 mètres de profondeur et extraient les sables à partir de mines à ciel ouvert à l’aide de camions de 365 tonnes et de grues aux pelletées de 100 tonnes. Les sables sont ensuite mélangés à de l’eau chaude et de la vapeur pour en séparer le bitume1. Bien trop visqueux, celui-ci n’est pas commercialisable en l’état. Il est alors converti en syncrude – un pétrole brut de synthèse – au prix de trois étapes de cokéfaction, hydrocraquage et hydrotraitement, nécessitant une grande quantité d’énergie et d’eau.

Chaque étape de la production implique des conséquences environnementales et sanitaires. La coupe de la forêt boréale réduit considérablement la faune et la flore présentes dans l’écosystème et dont vivaient les populations autochtones. Quatre à cinq barils d’eau étant nécessaires pour produire un baril de pétrole, les prélèvements en eau douce sont démesurés. Plus de 130 km2 de bassins de décantation ont dû être construits, générant par manque d’étanchéité des risques de contamination des nappes phréatiques. Causant l’équivalent d’une marée noire par an, le rejet massif de boues chargées de bitume et de polluants, comme le mercure, souillent les rivières, les sols et les ressources issues de la pêche et de la chasse. Ainsi, Fort Chipewyan, situé 230 kilomètres en aval sur la rivière Athabasca, connaît des taux de cancer 30 % supérieurs à ceux de la province.

Des émissions de CO2 démesurées

À ce jour, l’énergie nécessaire à la transformation du bitume en pétrole liquide est issue de la combustion de gaz2. Il faut un demi-baril de gaz pour la production d’un baril de pétrole… Il en résulte une émission de gaz à effets de serre plus importante que pour la production de pétrole conventionnel. Les estimations varient, selon qu’elles prennent en compte la phase de production et de l’acheminement. L’Agence de protection de l’environnement des États-Unis a récemment calculé des émissions 82 % plus importantes que pour le pétrole conventionnel. Certaines évaluations vont jusqu’à trois fois plus.

Au point que les émissions globales de C02 du Canada ont complètement dérapé : alors que le protocole de Kyoto l’enjoignait de réduire ses émissions de 5,6 % par rapport à 1990, celles-ci ont déjà augmenté de 26 % en 2007, pour moitié en raison des émissions de l’industrie pétrolière des sables bitumineux. Et le Canada prévoit de doubler sa production d’ici à 2020, les émissions pourraient tripler d’ici à 2020 par rapport à 2005 ! Près de 3 000 km² de forêts boréales disparaîtront au passage, relâchant quantité de carbone dans l’atmosphère3. Loin de s’alarmer, l’Alberta a débloqué deux milliards de dollars d’argent public pour développer conjointement avec les industriels la capture et le stockage de CO2, technique non maîtrisée et qui ne fait que déplacer le problème.

 

Un bouleversement pétrolier mondial

Le Canada est potentiellement assis sur plus de 170 milliards de barils récupérables qui s’étendent sur une superficie équivalent au quart de la France. Soit la deuxième réserve mondiale après l’Arabie Saoudite. Septième producteur mondial avec 1,5 million de barils de pétrole issus des sables bitumineux par jour, le Canada devrait en produire 3 millions en 2020. Il est donc perçu par les États-Unis comme un fournisseur de pétrole stratégique, stable et amical, lui permettant de sécuriser ses approvisionnements et d’assurer son « indépendance énergétique ». En 2010, le pétrole issu des sables bitumineux de l’Alberta est devenu la première source d’approvisionnement des États-Unis. Et pourrait représenter plus d’un tiers de la consommation américaine en 2030.

La construction du pipeline Keystone XL permet un approvisionnement direct de quelques-unes des principales raffineries du pays. Mais pas seulement. En raison de la crise économique et de la production de pétrole de schiste au Texas et au Dakota-du-Nord, les besoins d’importer du pétrole sont moindres. Avec un marché américain quelque peu engorgé, le prix du baril ne cesse de baisser. En revanche, les besoins de produits raffinés (comme le gasoil) en Amérique latine et en Europe expliqueraient aussi ce projet de pipeline. TransCanada a d’ailleurs signé des contrats d’approvisionnement avec plusieurs compagnies pétrolières, dont Valero, Motiva ou Total, qui possèdent des raffineries à Port Arthur (Texas) et qui prévoient d’alimenter le marché mondial, notamment en gasoil.

Pour devenir une véritable « puissance pétrolière », le Canada cherche à tout prix à exporter du pétrole dans d’autres régions du monde. En témoignent les importantes pressions exercées conjointement par le gouvernement et les entreprises pétrolières, et dénoncées par les Amis de la Terre, pour empêcher l’Union européenne de prendre des mesures pouvant restreindre l’importation de pétrole issu des sables bitumineux. Pour Naomi Klein, le gouvernement canadien « travaille comme une entreprise publicitaire, voyageant autour du monde pour vendre leur poison en demandant à ce que les pays réduisent leurs exigences et réglementations environnementales ».

Pressions sur Obama

Que le pipeline Keystone XL soit finalement destiné à exporter des produits raffinés hors des États-Unis est un argument important pour ceux qui s’y opposent. Fin août, le projet a obtenu le feu vert de la part du département d’État, qui le considère « d’intérêt national ». Impliquant le franchissement d’une frontière, il nécessite une autorisation présidentielle. Le président Obama dispose de 90 jours pour confirmer ou non cet « intérêt national », qui semble amoindri par les velléités exportatrices.

S’en remettre à Obama peut étonner. Ce serait oublier qu’il s’était engagé lors de sa campagne en 2008 à sortir les États-Unis du chemin des énergies sales. « Un engagement qui lui a aussi permis d’obtenir le prix Nobel », rappelle Naomi Klein. D’ailleurs, neuf prix Nobel, parmi lesquels le Dalaï-Lama (1989), Alfredo Pérez Esquivel (1980), Rigoberta Menchu (1992) et Shirin Ebadi (2003), ont exhorté Barack Obama à rejeter ce projet et à tenir « sa promesse de créer une économie faite d’énergie propre ».

Alors que nos sociétés sont confrontées à des choix énergétiques décisifs pour l’avenir, ces vastes actions de désobéissance civile sont aussi une manière pour les écologistes américains d’intervenir dans la précampagne présidentielle. Enfin, pour les opposants canadiens comme Naomi Klein, convaincus qu’il n’y a rien à attendre de leur gouvernement conservateur nouvellement et triomphalement réélu, il s’agit d’une « stratégie pour étrangler les sables bitumineux de l’extérieur ». Une stratégie à développer en Europe pour stopper la production de ce pétrole sale ?

———–

1Il existe également des technologies dites « in situ » pour exploiter les dépôts enfouis plus profondément (>75 mètres). De la vapeur d’eau chaude ( 300 °C) est injectée dans le puits pour diluer le bitume, le séparer du sable et permettre sa récupération. Seulement 12 % du bitume est récupéré ainsi en Alberta.

2Des projets de construction de centrale nucléaire pour alimenter le processus de production en énergie sont régulièrement évoqués.

3D’importants feux de forêts sont également signalés dans la région depuis quelques années.