Bizi !

Articles du Vendredi : Sélection du 17 janvier 2025

Claude Allègre, un climatosceptique contre le bien commun
Alexandre-Reza Kokabi
https://reporterre.net/Claude-Allegre-un-climatosceptique-contre-le-bien-commun

Claude Allègre, géochimiste de renom et ancien ministre, est mort le 4 janvier à 87 ans. Ses prises de position climatosceptiques ont largement influencé le débat en France, freinant l’action contre le réchauffement climatique.

Claude Allègre, ancien ministre de l’Éducation nationale, géochimiste et figure du climatoscepticisme en France, est mort samedi 4 janvier, à l’âge de 87 ans. Plusieurs responsables politiques ont salué sa mémoire, dont le Premier ministre François Bayrou, qui a évoqué un « esprit original », un « homme de combats », et glorifié la figure romantique du « seul contre tous ». Nicolas Sarkozy, soutenu par Claude Allègre lors de la présidentielle de 2012, a salué « un responsable politique engagé, courageux et réformateur, qui a mis sa créativité et son intelligence remarquable au service de la France et des Français ». « Je suis fier d’avoir été son ami », a-t-il conclu sur son compte X.

Ces hommages, appuyés, occultent pourtant une facette centrale de son héritage : son engagement dans la diffusion du climatoscepticisme, qui a durablement marqué le débat public en France. Figure de proue de la contestation, Claude Allègre s’est opposé à une communauté scientifique unanime sur la réalité du changement climatique et son origine anthropique. À travers ses prises de position publiques, il a propagé une rhétorique qui a freiné les efforts de sensibilisation et d’action face à l’urgence climatique. Il était non pas « seul contre tous », mais contre l’intérêt de tous.

Des arguments largement réfutés

À partir des années 2000, dans ses écrits et ses déclarations — abondamment relayées dans les médias — il a cherché à discréditer le consensus scientifique sur le réchauffement climatique d’origine humaine, le considérant comme undanger imaginaire inventé par des lobbies et qualifiant le rapport du Giec de « fausse alerte ». Son livre L’Imposture climatique (2010), dans lequel il accusait les climatologues de servir un « système mafieux et totalitaire », a eu un retentissement majeur : il a offert une rhétorique et des arguments à ceux qui refusaient de voir l’urgence climatique, donnant ainsi à leur inertie un vernis pseudo-scientifique.

Truffé d’erreurs factuelles et de données manipulées, il a été largement réfuté par les spécialistes du climat. L’Académie des sciences a même été contrainte de publier un rapport officiel qui rejette catégoriquement les thèses de Claude Allègre. Adopté à l’unanimité, ce document conclut que le réchauffement climatique est bien d’origine anthropique. Quelques mois plus tôt, 600 scientifiques menés par Valérie Masson-Delmotte dénonçaient, dans une lettre ouverte adressée à leurs tutelles, les attaques systématiques du géochimiste contre les climatologues et leur éthique. Cela ne l’a pas empêché de persister.

À l’instar d’autres figures controversées, de Didier Raoult à Daniel Husson — qui caracole en tête des ventes de livres à la Fnac, et dont les arguments climatosceptiques trouvent aujourd’hui un public inquiet mais désorienté —, Allègre a exploité l’aura du « seul génie » pour saper la crédibilité des consensus scientifiques, au détriment du bien commun.

L’idée du « seul contre tous » trouve ses racines dans des figures comme Galilée ou Einstein. Mais cette vision est une déformation romantique de l’histoire des sciences. Si des individus isolés peuvent être à l’origine de percées révolutionnaires, la science progresse collectivement, par validation, réfutation, collaboration et amélioration des idées. À terme, c’est toujours la force du consensus scientifique, bâti sur des preuves solides, qui triomphe.

Marchands de doute

Claude Allègre n’était pas un Galilée moderne, mais un homme qui a activement combattu ce processus collectif. Ses critiques des climatologues n’étaient pas des contributions au débat scientifique. Elles relevaient davantage du spectacle médiatique et de la désinformation, un phénomène que nous observons encore aujourd’hui avec des auteurs comme Daniel Husson, dont le succès éditorial alimente des doutes infondés.

Le « seul contre tous » ne se limite pas à fausser la perception de la science : il a des conséquences concrètes. En attribuant un crédit démesuré à des voix isolées et contestées, on affaiblit la confiance dans les institutions scientifiques et on renforce l’immobilisme face aux urgences collectives. Cette dynamique a profondément marqué la lutte contre le changement climatique en France. Claude Allègre a nourri la défiance et la confusion publique : en décrivant les climatologues comme des alarmistes et en minimisant les responsabilités humaines, il a contribué à légitimer l’inaction politique. Aujourd’hui encore, cette défiance persiste. Selon le baromètre de l’Ademe et différentes études, 30 à 40 % des Français seraient climatosceptiques. Un chiffre en constante augmentation. Ce scepticisme persistant est l’un des héritages d’Allègre.

Omission et minimisation

En rendant hommage à cet homme sans évoquer cette part essentielle de son bilan, François Bayrou et une partie de la classe politique font plus qu’un oubli : ils valorisent, indirectement, une position intellectuelle qui a contribué à fragiliser la réponse collective à l’un des plus grands défis de notre siècle. Cet hommage illustre aussi, en creux, une tendance politique à relativiser les responsabilités. François Bayrou minimise régulièrement ce que la France peut accomplir face à cette crise mondiale, notamment comparé aux émissions de la Chine [1], en oubliant la responsabilité historique de la France : si on additionne les émissions cumulées depuis le XVIII siècle, la France fait partie du top 10 des pays les plus émetteurs.

Il ne s’agit pas ici de nier les autres aspects du parcours de Claude Allègre, qui avait reçu plusieurs prix scientifiques prestigieux pour ses contributions à la science géologique, dont la médaille d’or du CNRS en 1994. Mais ces réussites ne sauraient effacer sa responsabilité dans la défiance et l’inaction climatique en France. Ignorer cet aspect, ou pire, considérer son climatoscepticisme comme une preuve d’indépendance d’esprit, est une faute politique et morale.

Dix-huit jours après s’être rendu au conseil municipal de Pau, la ville dont il est maire, à bord d’un jet Dassault Falcon 7X en tournant le dos à une réunion de crise consacrée à Mayotte, tout juste balayée par le cyclone Chido, François Bayrou aurait pu s’abstenir. Dans son communiqué, l’Élysée a, de son côté, fait état des positions climatosceptiques de Claude Allègre.

Dix idées pour le climat et la biodiversité
Cécile Cazenave
www.lemonde.fr/planete/article/2025/01/14/dix-idees-pour-le-climat-et-la-biodiversite_6496619_3244.html

En matière d’alimentation comme de transport ou d’énergie, consommer, c’est polluer, et les initiatives individuelles ne suffiront pas à décarboner la planète. Voici dix pistes de réflexion pour lutter collectivement contre le changement climatique.

Pour conserver une planète habitable, la transition écologique va demander des transformations dans de nombreux secteurs de nos vies. Par où commencer ? Samedi 14 décembre, au Théâtre de la Ville à Paris, dix expertes et experts invités par le podcast « Chaleur humaine » du Monde ont proposé dix idées pour contribuer à trouver des solutions face au défi climatique et à l’effondrement de la biodiversité. Vous pouvez écouter ces dix idées sous forme de podcasts en cliquant ici ou en lire le résumé ci-dessous.

Rendre visible les énergies fossiles

Pour réussir la transition climatique, le premier objectif est de réduire drastiquement notre consommation d’énergies fossiles. Mais comment se débarrasser d’un problème que personne ne voit ? Telle est l’équation posée par Thomas Veyrenc, ingénieur et membre du directoire du Réseau de transport d’électricité (RTE) de France. Car, pourtant, « elles sont partout dans notre pays », souligne-t-il. C’est l’essence de nos voitures, le gaz de nos chaudières ou le charbon qui alimente nos hauts-fourneaux. La France en est dépendante à 60 %.

Les scénarios de décarbonation du pays, que Thomas Veyrenc a coordonnés pour RTE France, en 2021, proposent des chemins pour essayer d’être neutre en carbone en 2050. « Mais on arrive à avancer quand on est clair sur le point de départ », insiste-t-il. Pour résoudre ce problème, l’ingénieur propose deux pistes. D’abord créer un « fossile score », une sorte d’indice de dépendance aux énergies fossiles, qui puisse être accolé à toutes les décisions de politique publique, afin d’évaluer si ces dernières permettent de réduire notre consommation de pétrole, de gaz ou de charbon, et dans quelles proportions. Ensuite, viser un horizon temporel proche.

« Nos objectifs climatiques sont très difficiles à percevoir, 2050, c’est proche pour les climatologues, mais c’est loin pour l’action publique », note-t-il. Quand on vous parle de 2050, exigez qu’on vous parle de 2030, plaide Thomas Veyrenc. Une échéance qui, selon lui, peut permettre d’« articuler des leviers très opérationnels pour obtenir des petites victoires ».

Inverser les investissements des banques

Les énergies fossiles continuent à être utilisées parce que des banques financent leur extraction. C’est donc sur elles que repose en partie notre avenir climatique. « Les acteurs financiers doivent décider dès aujourd’hui de se fixer des objectifs alignés avec ce à quoi le monde doit ressembler dans cinq, dix et quinze ans », explique Lucie Pinson, directrice de l’ONG Reclaim Finance. Pour cela, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a fixé une feuille de route.

En 2030, il faudra investir 10 euros dans les énergies renouvelables pour 1 euro dans les énergies fossiles. Le bon vouloir des banques et des assureurs ne suffira pas. « L’autorégulation, c’est trop lent, c’est insuffisant et c’est volontaire, donc ça ne concerne pas tous les acteurs », note Lucie Pinson. En 2025, les acteurs économiques seront tenus par la réglementation européenne de présenter des plans de transition. « La bataille qui s’ouvre aujourd’hui consiste à définir ce que l’on y trouve et à s’assurer qu’on y mette ce fameux ratio de financement », analyse Lucie Pinson. Une occasion qu’elle estime « techniquement possible et politiquement compliquée », arguant que les milieux d’affaires, soutenus « par les partis politiques, notamment de droite », sont vent debout contre de telles contraintes.

Pour surmonter cet obstacle, elle plaide pour « faire de la finance un sujet de société ». On discute bien, en famille ou entre amis, des avantages et des inconvénients des services de tel ou tel établissement bancaire. Il s’agit désormais de se mêler de l’impact de ces derniers sur le climat. Le site Change-de-banque.org, créé par Reclaim Finance, en a dressé la liste. De quoi alimenter les réflexions de chacun et permettre « d’utiliser le prétexte du choix d’un compte courant ou d’épargne pour avoir une discussion sur l’impact de la finance sur nos vies et sur la nécessité d’en reprendre le contrôle ».

Développer de nouveaux véhicules légers

C’est un véhicule plus gros qu’un vélo mais plus petit qu’une voiture. Il en existe déjà des prototypes, et ses multiples formes sont rassemblées sous le nom de « véhicule intermédiaire ». On peut le définir ainsi : un vélo-voiture de moins de 100 kilos, équipé d’une carrosserie contre les intempéries et d’un pédalage assisté jusqu’à 45 km/h.

En quoi cet engin peut-il résoudre l’épineuse question de la décarbonation des transports, et en particulier celle de la voiture individuelle qui représente 15 % de nos émissions de gaz à effet de serre ? « La voiture est dominante dans la mobilité, en particulier dans les zones peu denses ou périurbaines, avec peu de transports en commun, pourtant elle est souvent surdimensionnée et pourrait être remplacée pour de nombreux usages », explique Aurélien Bigo, chercheur spécialiste de la décarbonation des transports.

A-t-on vraiment besoin d’un engin de cinq places, pesant plus d’une tonne et pouvant rouler à 180 km/h, pour conduire ses enfants à l’école ou faire ses courses ? Les véhicules intermédiaires peuvent s’y substituer. A condition de prendre en compte les infrastructures routières. « Si l’on veut que des véhicules beaucoup plus sobres, mais aussi plus lents et plus vulnérables, roulent, il va falloir repenser la hiérarchie du réseau, en particulier en milieu peu dense où tout est à faire », précise Aurélien Bigo. C’est chose possible en France, où l’on compte 1,1 million de kilomètres de route, en réservant certaines voies ou en les aménageant pour un meilleur partage. Pour faire émerger ces véhicules, la filière naissante a besoin que des usagers les testent massivement. Collectivités et entreprises peuvent être mises à contribution en créant une flotte de véhicules partagés et en les faisant essayer par leurs administrés ou leurs salariés.

Ouvrir partout des ressourceries

Quel est le point commun entre un immeuble et une perceuse ? Entre un fer à repasser et un vélo ? La fabrication de tous ces objets, petits ou gros, a nécessité des ressources minérales et énergétiques dont il faut ralentir ou arrêter l’extraction pour sauver le climat. Pour les économiser, on peut intensifier les usages des objets comme des infrastructures, par exemple en les partageant. Une école peut se transformer en aire de jeux le week-end, une tondeuse peut être empruntée dans une bibliothèque d’objets. « C’est la première piste d’économie : moins fabriquer », avance l’ingénieur et essayiste Philippe Bihouix. La seconde consiste à faire durer ces mêmes objets plus longtemps.

« Aujourd’hui on est dans un modèle du consommer-jeter, une voiture en fin de vie, on la broie, ça vaut pour à peu près tout. Il y a plein d’objets du quotidien qui pourraient durer beaucoup plus », explique Philippe Bihouix. Pour prolonger leur vie, il faudrait d’abord mieux les concevoir, les rendre réparables et recyclables. Il faudrait ensuite que la réparation par des professionnels soit compétitive face à l’achat neuf, en jouant sur les taxes. Mais il faudrait également permettre aux usagers de se frotter à la réparation.

« On pourrait avoir comme ambition d’ouvrir un “repair café” dans toutes les communes et dans tous les quartiers de France », propose Philippe Bihouix. Des lieux comme support d’une culture dont on pourrait être fiers collectivement. « Il faut qu’on change d’imaginaire, le futur, ce n’est pas juste la Silicon Valley et l’intelligence artificielle, on pourrait imaginer une France “low-tech nation” et pas juste “start-up nation”, une France qui accueille des touristes ou des étudiants étrangers qui repartiraient ébahis face à tous ces restaurants zéro déchet et tous ces lieux de réparation ! », ajoute-t-il.

Réduire les engrais chimiques

Onze grammes d’azote et 0,7 gramme de phosphore : c’est ce que contient l’urine que chacun de nous déverse quotidiennement dans les W.-C. Ces éléments nutritifs étant indispensables à l’agriculture, utilisons ceux que nous produisons nous-mêmes ! « Nos excréments représentent l’équivalent de 30 % à 40 % des besoins de l’agriculture française chaque année », calcule ainsi le microbiologiste spécialiste des sols Marc-André Selosse. Ce secteur pèse aujourd’hui 20 % de nos émissions. Les engrais minéraux utilisés massivement dans les champs émettent de puissants gaz à effet de serre, comme le protoxyde d’azote. Utiliser nos urines et féces pour en remplacer une partie présente plusieurs avantages. « Ça réduirait d’un facteur de trois à quatre les émissions pour la même fertilité, et, à terme, ça coûterait deux fois moins cher que les engrais minéraux », note le microbiologiste.

Les toilettes sèches, qui permettent de récupérer les excréments, restent pour l’instant marginales. Peut-on imaginer de généraliser cette pratique aux villes ? « Il y a eu un “merdoduc” à Lyon au XIXe siècle qui transportait les féces urbains vers la campagne. Si on a fait ça au XIXe, on devrait y arriver ! », argumente Marc-André Selosse, qui cite le savoir-faire de l’Agence spatiale européenne, capable de recycler l’urine des astronautes, ou le programme de recherche Ocapi de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, qui vient d’inaugurer le premier point d’apport volontaire d’urine de France dans les Hauts-de-Seine. Les citoyens pourraient ainsi pousser leurs élus à proposer leur commune comme territoire pilote, afin « d’incarner l’espoir que représente la merde », ajoute Marc-André Selosse.

Lancer 300 conventions citoyennes pour l’alimentation

Que voulons-nous manger demain ? Des protéines synthétisées industriellement ou des légumes ayant poussé dans un champ ? Le pari de Nicolas Bricas, socio-économiste de l’alimentation et spécialiste de l’alimentation durable, consiste à poser ces questions à des groupes de citoyens pour susciter le débat. « L’alimentation c’est intéressant : n’importe quel citoyen se sent légitime d’en parler, parce que manger, c’est ce qu’il fait tous les jours », explique Nicolas Bricas. Cet enjeu quotidien croise les enjeux climatiques puisque l’agriculture représente aujourd’hui un cinquième de nos émissions de gaz à effet de serre et, dans ce secteur, les lobbys qui freinent la transition agricole sont particulièrement puissants.

Pour le chercheur, mettre autour de la table des citoyens, des scientifiques, des agriculteurs, des distributeurs et des collectivités peut permettre de reprendre la parole, puis la main, sur le système alimentaire global, mais ce type d’action ne vaut que si l’expérience se démultiplie. Techniquement, cela signifie organiser 300 conventions, environ trois par départements, pour que tous les milieux de vie – urbain, périurbain, rural – soient représentés. Nicolas Bricas en appelle d’ailleurs aux échéances électorales, et vise les élections municipales de 2026.

« On a un an pour convaincre les candidats de se porter volontaires, dans des villes et des villages, pour mettre ces conventions en œuvre et les fédérer. Je fais le pari que ce qui sort fortement de la voix des citoyens n’est plus contestable », explique Nicolas Bricas.

Généraliser le Nutri-Score

Pour sauver la planète, et notre santé en même temps, pourquoi ne pas utiliser les outils qu’on a déjà sous la main ? C’est la remarque du médecin épidémiologiste Jean-David Zeitoun qui souhaite rendre obligatoire et contraignant le Nutri-Score, un étiquetage qui indique la qualité nutritionnelle des aliments par des lettres et des couleurs, très facilement compréhensible. « Les études montrent que les gens se servent de leurs cerveaux quand ils vont faire leurs courses et que le Nutri-Score est efficace pour influencer les comportements d’achats, plutôt vers le vert que vers le rouge », explique Jean-David Zeitoun, qui souligne que l’obésité, une maladie liée au comportement alimentaire, provoque actuellement 5 millions de morts par an dans le monde.

Orienter les chariots vers de la nourriture bonne pour la santé, on comprend l’intérêt, mais quel bénéfice en tirerait la planète ? « En moyenne, quand vous achetez du “vert”, vous achetez des produits moins émissifs ou moins polluants, notamment à travers un clivage végétal contre animal. La plupart des produits animaux, s’ils étaient “nutri-scorés”, atterriraient dans la mauvaise catégorie alors que la plupart des produits végétaux auraient pratiquement tous le score maximum », précise Jean-David Zeitoun.

Pour être efficace, rendre obligatoire cet affichage devrait s’accompagner de mesures légales : interdire la publicité pour les produits mal « nutri-scorés » ou limiter leur place en rayon dans la grande distribution. Un effet supplémentaire de détaxe sur les produits bien nutri-scorés permettrait enfin de rendre « ces aliments moins chers pour les gens ». Un cercle vertueux, bon pour le porte-monnaie, la santé et la planète.

Créer un bonus-malus contre la fast fashion

Et si on décidait qu’un tee-shirt à 3 euros coûtait maintenant 5 euros, s’il a été produit en ne respectant pas des conditions sociales minimales ? C’est l’idée de Julia Faure, entrepreneuse et coprésidente du Mouvement Impact France : la création d’un malus sur les vêtements produits dans des conditions qui ne permettent pas d’assurer un salaire vital, c’est-à-dire offrant des conditions de vie dignes dans le pays où l’on vit. Ce malus social aurait à terme un effet sur les émissions de gaz à effet de serre.

Chaque année, en France, 2,8 milliards de vêtements sont mis sur le marché. La consommation de vêtements a été multipliée par deux depuis les années 1980 et l’indice prix – le prix des vêtements par rapport au prix des autres objets – a été divisé par trois. « Le principal problème écologique de l’industrie de la mode est lié au volume de production. Or l’explosion de la consommation a été permise parce que le prix des vêtements a baissé lorsqu’on a délocalisé la production. Résoudre le problème du salaire des gens qui fabriquent nos vêtements, c’est aussi résoudre la question de la surproduction textile », explique Julia Faure. Un tel système permettrait de rendre plus compétitifs les Etats dotés de normes sociales et environnementales robustes, comme les pays européens, dans lesquels la filière textile peine à se maintenir.

Une loi de régulation de l’impact environnemental de la fast fashion, adoptée à l’unanimité par l’Assemblée nationale en mars 2024, est désormais sur la table du président du Sénat, Gérard Larcher. « Si elle passe, on peut imaginer en faire passer une autre sur l’impact social. D’autres secteurs, comme l’ameublement ou même l’agriculture, pourraient être inspirés, tout comme des pays voisins. Il y a un fort potentiel d’effet domino. Mais pour cela, il faut un peu de courage politique et de résistance aux lobbys », note l’entrepreneuse.

Taxer les pays qui misent sur le charbon

Pour faire tourner leurs usines, une partie des pays du monde utilisent de l’électricité produite à partir de charbon. Cette énergie, la plus émettrice, représente 27 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. C’est une partie de ce bilan carbone que la France et l’Europe importent à travers tous les biens manufacturés, grille-pain, voitures ou panneaux solaires, qui pénètrent sur notre territoire.

Taxer ces biens à hauteur de la proportion de charbon contenue dans l’électricité qui a permis leur production, c’est l’idée d’Anaïs Voy-Gillis, directrice stratégie et responsabilité sociale des entreprises (RSE) d’une entreprise de chimie et chercheuse spécialiste de la décarbonation de l’industrie. Pour des produits fabriqués en Chine, par exemple, une telle taxe s’élèverait à 61 %, selon elle. « Ce mécanisme permettrait de financer notre réindustrialisation et notre transition et pourrait également constituer une contribution financière à destination des pays qui seront les premières victimes du réchauffement », explique-t-elle. Car de l’argent, il en faut, « des centaines de milliards d’euros », note la chercheuse, pour décarboner toutes nos activités, et notamment notre propre industrie.

Ce levier réglementaire ne peut être mis en place qu’au prix d’un plaidoyer auprès des instances européennes comme nationales et « en assumant le rapport de force avec les pays exportateurs », précise Anaïs Voy-Gillis. A une échelle plus proche, les syndicats comme les comités sociaux et économiques (CSE) des entreprises peuvent orienter les cartes-cadeaux destinées aux employés vers des produits fabriqués en France.

Changer d’indicateurs de richesse

Les lunettes avec lesquelles nous regardons l’économie nous rendent myopes, changeons-les ! C’est le credo de la sociologue Dominique Méda, qui plaide pour de nouveaux indicateurs de richesse, seuls capables de témoigner d’une transition vers un monde décarboné et respectueux du vivant. « Le PIB [produit intérieur brut] ne donne pas une bonne idée de ce qu’est la richesse d’une société : il oublie les activités domestiques, bénévoles, familiales, il ne regarde pas la manière dont les revenus sont distribués dans la société et, surtout, il oublie complètement le patrimoine naturel », souligne-t-elle.

Ces chiffres, associés chaque année à la bonne ou la mauvaise santé d’une nation, sont-ils si importants ? Un indicateur, c’est « une vision du monde », argue Dominique Méda, qui précise qu’il « oriente les comportements des entreprises, des politiques publiques et des individus ».

Que faudrait-il ajouter au vieux PIB ? En premier lieu, un indicateur d’« empreinte carbone », afin de tenir compte des effets de nos activités sur le climat. En second, un « indice de santé sociale », pour avoir une vision de la « cohésion sociale » d’un pays. A l’échelle de l’entreprise, la réglementation européenne exige déjà que les plus grosses d’entre elles communiquent des informations sur leurs impacts sur l’environnement et la société. Alors que les mesures environnementales sont remises en cause, il est important de maintenir ces contraintes. D’autres entreprises se montrent volontaires. C’est le cas des quelque 1 200 entités réunies dans la convention des entreprises pour le climat, qui s’est fixé comme cap de passer « d’une économie extractive à une économie régénérative », explique Dominique Méda.

Ma dernière chronique
Txetx Etcheverry
www.enbata.info/articles/ma-derniere-chronique

A l’occasion de sa dernière chronique dans Enbata, Txetx retrace son parcours militant, insiste sur l’importance du Collectif, et donne quelques clefs et enseignements tirés de cette pratique longue de 45 ans. De la permanence des travailleurs saisonniers de Garazi à Alda, en passant par Patxa, Abertzaleen Batasuna, le festival EHZ, Batera, la lutte de EHLG et la naissance de Bizi !, ou encore Euskal Moneta ou les Artisans de la paix…

Et oui, j’écris aujourd’hui mon ultime chronique pour Enbata, la dernière d’une longue série débutée en… octobre 1993, soit il y a plus de 30 ans. A la fin de cette année 2024, je me retire en effet de la première ligne, celle des décisions opérationnelles, de la représentation publique, de la coordination de campagnes et de mouvements, etc. Je le fais conformément à un plan de transition militante lancé il y a plusieurs années déjà, et à une décision prise il y a 20 ans de cela. En 2004 en effet, le syndicat ELA m’embauchait pour animer les principaux axes de travail actés par la Fondation Manu Robles- Arangiz, nouvellement implantée en Iparralde.

Il s’agissait à l’époque de la participation active au pari stratégique de la création d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara, de l’impulsion d’un programme permanent de formation militante et de la gestion d’un local inter-associatif au 20 rue des Cordeliers, à Bayonne. J’ouvrais donc ce nouveau chapitre d’un parcours militant démarré un peu avant 1980, en découvrant la culture organisationnelle du syndicat ELA, qui comprend notamment une règle que je décidai alors de faire mienne : la mise en retrait de ses responsables de premier plan à l’approche de leurs 60 ans, dans le but de créer une dynamique globale de renouvellement, ainsi que de rajeunissement et de féminisation, de ses cadres.

C’est l’occasion pour moi de retracer ici un parcours militant -parmi tant d’autres- en utilisant la plupart du temps le Nous plutôt que le Je. En effet, tout au long de ces années, j’ai été porté par la dimension collective du combat abertzale. Ce Nous n’englobe pas forcément les mêmes personnes selon les époques, mais le sujet principal de ce parcours, le moteur principal de ses évolutions et de ses réussites a été le collectif. Qu’il me soit permis d’adresser ici une pensée pleine d’amitié, d’estime et de reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui ont constitué ces différents « Nous ».

L’apprentissage

J’ai réalisé mes premiers pas militants vers 14-15 ans à Garazi : l’association culturelle Ozia, la permanence des travailleurs saisonniers lancée par Euskaldun Gazteria pour organiser ces derniers autour de la défense de leurs droits et conditions de travail… Puis, mon engagement va continuer à Bayonne, avec notamment l’activisme lycéen, l’antimilitarisme, le soutien aux réfugiés et prisonniers politiques basques, les occupations d’immeubles vides, laissés à l’abandon, et déjà, le combat pour le droit au logement et contre la spéculation immobilière.

De Garazi à Bayonne, j’ai donc eu la chance d’étancher ma soif d’engagement à deux sources différentes et au final assez complémentaires. Celle du milieu ELB d’une part, dont l’influence irriguait Ozia ou la permanence des travailleurs saisonniers : se définissant à la fois basques et citoyens du monde ; analysant leur position de travailleurs paysans, aliénés par le même système économique qui exploite et affame le Tiers-monde ; choisissant la voix de masse « plutôt que de faire dix pas tout seul, faire peut-être un pas, mais avec les autres, les gens du village, les copains du boulot. Vivre avec -et non à côté- des gens qui pensent différemment, savoir faire des concessions qui permettent les avancées… » (1). Et d’autre part, celle de la mouvance Laguntza, qui cultivait un abertzalisme urbain, radical, activiste et parfois provocateur.

Cette double influence a largement contribué à forger la ligne radicalo-pragmatique qui m’a guidé bien plus tard, essayant de placer le curseur au bon endroit entre pratiques et dynamiques de masse et fonctions plus « aiguillons ». Comme j’aimais à l’illustrer dans certaines formations, il faut savoir faire la bonne synthèse entre la « fonction Pastorala », qui crée du collectif, qui met les gens en mouvement sur des choses faisant forcément un minimum consensus pour que la ligne de départ soit accessible au plus grand nombre. Et la « fonction Toberak » aux formes et contenus plus dérangeants, qui interpelle, fait se poser des questions, crée du débat voire du clivage.

Les années GAL

Les années GAL, et leur cortège de morts tragiques, d’expulsions et d’incarcérations, de manifs violentes et d’actions coup de poing, d’arrestations et de passages à tabac, m’ont profondément marqué je pense, politiquement, stratégiquement et sûrement psychologiquement, me durcissant d’une manière que je n’aurais pas souhaité. Dans mon seul quartier, qui comptait alors un peu plus de deux mille habitants, le GAL a tué neuf personnes en deux ans, dont plusieurs jeunes que je côtoyais au quotidien, et mon meilleur ami de ces jeunes années. Cette période me fit éprouver de très près ce que signifie la violence du conflit qui a opposé pendant si longtemps Euskal Herria à Madrid et à Paris.

Ce sont aussi les années IK-EMA. Je n’ai pas fait partie de cette mouvance-là mais son apport important au combat abertzale d’Iparralde, sa manière, à elle aussi, de poser les choses de manière à la fois radicale et pragmatique, m’auront également influencé politiquement de manière significative.

Une chose est sûre, ces années-là m’ont appris, avec un temps de retard, à penser plus avec mon cerveau qu’avec mes tripes. Et cela, même si j’ai toujours essayé de prendre largement en compte mes intuitions, mes émotions et pas uniquement les analyses froides et rationnelles au moment de penser les stratégies, de faire tel ou tel choix important.

Patxa

A partir de 1986, reflet politique et activiste de la vague du « rock radikal basque » en Iparralde, Patxa fut également une école de formation, intense, pour moi et tant d’autres jeunes militant.es d’Iparralde. Pour la première fois, je co-fondais un mouvement, apprenais énormément tant de nos initiatives foisonnantes et inventives que de nos erreurs et de leurs conséquences. La campagne Insumisioa nous forma sur les stratégies d’accumulation de forces, les mobilisations de masse. Toucher du doigt les angles morts et aspects finalement anti-démocratiques de l’assembléisme pur et dur aida beaucoup d’entre nous à imaginer de nouvelles méthodes et types de fonctionnement visant à allier démocratie réelle, inclusivité et efficacité, rigueur et créativité. Patxa inventa les fêtes alternatives de Bayonne, et, allié au Planning familial, mit en place les premières campagnes publiques de prévention contre les viols et agressions sexuelles. Clin d’oeil de l’histoire, une place de Bayonne porte désormais officiellement le nom de ce collectif « anarcho-abertzale » comme le qualifiaient alors les rapports de police.

La pratique crée la conscience

Les années 90 vont être celles de la maturation politique et stratégique. Avec certains anciens de Patxa, nous ressentons fortement le besoin de nous former. Pour éviter de perdre trop de temps à apprendre de nos propres erreurs, nous décidons d’étudier les débats, expériences, échecs et réussites de l’histoire du mouvement abertzale et du mouvement ouvrier. Et effectivement, nous avons le sentiment de mûrir et de changer de perspectives. C’est l’époque de Piztu, association quasiment inconnue et qui aura pourtant contribué à bouger pas mal de choses dans le militantisme abertzale d’Iparralde. Piztu s’inscrit pleinement dans la « gauche abertzale » nationale. Les militant.es qui la composons allons, en 2001, nous séparer pour rejoindre l’un ou l’autre des deux camps nés de la scission d’Abertzaleen Batasuna (AB). Mais en attendant, c’est dans Piztu que nous achevons de forger le logiciel radicalo-pragmatique qui va fortement contribuer à donner la plupart des fruits de la suite du parcours retracé ici. Une phrase résume ce que nous saisissons en profondeur au travers de ces formations : la pratique crée la conscience, et non l’inverse. Nous aurons beau déployer toute notre énergie, passer tout notre temps à multiplier les manifestations, les distributions de tracts ou les collages d’affiches réclamant l’indépendance et le socialisme, cela ne permettra pas pour autant aux 90% de la population d’Iparralde non abertzale de le devenir, de bouger d’un iota. D’où la nécessité de concevoir et impulser des dynamiques, des campagnes et luttes de masse qui, sans être forcément révolutionnaires, mettent les gens en mouvement, dans le bon sens. C’est la pratique que va ainsi vivre collectivement cette multitude de gens ; les expériences, relations humaines, apprentissages politiques que cette pratique collective va induire chez chacun d’eux, qui feront évoluer leurs idées, qui vont forger leur conscience. Tout cela nécessite des « portes d’entrées », des organisations et des campagnes de masse, des moyens matériels, du temps et de la planification. Car il faut maintenir ces dynamiques sur du temps long pour qu’elles donnent des fruits, il faut apprendre à créer et gérer des processus d’accumulation des forces, à conquérir « l’hégémonie culturelle ».

AB, Gazteriak, EHZ

A partir de 1994, nous travaillons avec d’autres à faire d’Abertzaleen Batasuna, coalition de partis abertzale à visée essentiellement électorale, un mouvement politique permanent, unitaire, rassemblant au-delà des trois partis le composant. En 1995, nous impulsons la création de Gazteriak, mouvement large de la jeunesse abertzale. En 1996, nous créons le festival Euskal Herria Zuzenean, comme porte d’entrée ouverte à l’ensemble de la jeunesse d’Iparralde, abertzale ou pas ; véritable école de formation au bénévolat et au militantisme, à l’histoire du Pays Basque et à l’appropriation de l’euskara ; terrain d’expérimentation de nouvelles idées comme l’altermondialisme, et de nouvelles pratiques écologiques ou participatives. Dès cette époque, nous expérimentons aussi, en particulier avec Gazteriak et EHZ, la nécessité de former, de transmettre, de créer des relèves et de savoir passer la main.

Nous impulsons en Iparralde des « pratiques de masse » sur les questions de son existence institutionnelle ou de la défense des preso, avec les campagnes département Pays Basque et Presoak Euskal Herrirat. Cela ne va pas sans débats, au riche contenu tactique et stratégique, au sein du mouvement abertzale. Nous assumons l’ouverture de fronts larges et les alliances avec des sensibilités politiques ni abertzale, ni de gauche. Nous faisons le pari que « la pratique créera la conscience », que tout cela fera évoluer la société d’Iparralde et bouger les lignes dans la bonne direction.

Lizarra-Garazi et ses suites

En septembre 1998, c’est la fameuse « trêve de Lizarra-Garazi » ; nous nous impliquons à fond dans la gestion du processus côté Iparralde. Une période incroyablement novatrice, formatrice, avec l’apparition de nouveaux concepts stratégiques comme celui des institutions parallèles concrétisé par Udalbiltza. Le 29 novembre 1999, la rupture de cette trêve, et du même coup du processus qu’elle permettait, est un tournant.

En octobre 2001, Abertzaleen Batasuna connaît une scission d’ampleur et nous nous retrouvons plongés dans la division et les confrontations internes au sein même du mouvement abertzale. Aux avant-postes pendant cette période difficile -je suis alors porte-parole d’Abertzaleen Batasuna-, je ressens durement, comme beaucoup de militant.es, le coût humain et politique qu’entraîne toute scission et les divisions qu’elle provoque. C’est notamment la raison pour laquelle nous défendrons par la suite au sein d’AB l’option d’une réunification avec le mouvement Batasuna, au sein du futur EH Bai. (2)

En attendant, nous allons mettre les bouchées doubles pour maintenir le cap des stratégies auxquelles nous croyons, malgré l’affaiblissement militant causé par la scission. Nous poursuivons le travail d’accumulation de forces et notre stratégie d’alliances plurielles avec la campagne département Pays Basque, puis la création de la plateforme Batera. Nous expérimentons avec le mouvement Démo un nouveau registre d’actions et de mobilisations très déterminées mais ouvertement et exclusivement non-violentes.

Un compte à rebours de vingt ans

Le troisième chapitre de ma vie militante s’ouvre fin 2004 avec une spécificité de taille, une date limite de péremption, qui me poussera à encore mieux poser et penser collectivement les questions d’anticipation, de planification, de mise en place de certains outils manquants, de formation de nouvelles équipes et de relèves potentielles, de transmissions et de transitions. Bref, un vrai compte à rebours de vingt ans.

La bataille d’EHLG

Avec d’autres militants de la plateforme Batera et de la Fondation Manu Robles-Arangiz qui se crée alors en Iparralde, je m’implique dans le pari stratégique Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG) lancé par les paysans d’ELB. Après dix ans de mobilisation ininterrompue en faveur d’une chambre d’agriculture spécifique en Pays Basque, et dix ans de refus de la créer de la part du gouvernement français, il s’agit de mettre sur pied une véritable institution parallèle avec pour mission de développer un modèle d’agriculture paysanne, équitable et soutenable en Iparralde.

Du côté de la Fondation Manu Robles- Arangiz, nous nous investissons à fond dans le soutien matériel (3), juridique et politique à EHLG que Paris tente d’interdire. Nous participons activement à la conception et l’organisation des premiers Lurrama, comme vitrine de l’agriculture paysanne auprès de la population, mais également comme élément du rapport de force qu’essaie alors de construire EHLG face à l’État français. Nous organisons, ce qui à cette époque est tout à fait inhabituel à cette échelle et avec cette ampleur, le soutien au niveau de l’ensemble de l’Hexagone, avec l’appui et la participation de personnalités et parlementaires de premier plan, d’anciens ministres et d’organisations les plus diverses.

Ce long combat, qui va durer plusieurs années, voit se déployer l’exemple même d’une stratégie gagnante dans toutes ses dimensions. Son impact sur la société basque et sur le pouvoir, et la victoire retentissante qui le conclut, auront un effet majeur sur la suite des évènements. Comme le dit souvent le président de la Communauté d’agglomération Pays Basque, le combat et la victoire d’EHLG pesèrent pour beaucoup dans la création le 1er janvier 2017 de cette première institution englobant les trois provinces basques du Nord. Dans la société elle-même, cette dualité gagnante entre la dimension territoriale, identitaire d’EHLG, l’aspect chambre spécifique du Pays Basque, et la dimension alternative du modèle porté, celui d’une agriculture paysanne, équitable et soutenable, impactera les esprits en profondeur. Tout le monde sent bien qu’il y a là une valeur ajoutée, permettant de réunir des secteurs de la population mus par des motivations différentes mais se retrouvant dans la même dynamique vertueuse.

La Fondation Manu Robles-Arangiz et ELA

Pendant toute cette période, la Fondation Manu Robles-Arangiz ouvre d’autres chantiers importants : l’animation du programme de formation permanente « D’autres mondes sont possibles, eraiki ditzagun » ; le renforcement et la modernisation, avec la création d’une version web, de l’hebdomadaire historique Enbata ; la gestion de contacts et d’alliances diverses au niveau de l’État français. Un nouveau réseau militant se constitue, autour d’un même logiciel radicalo-pragmatique et de mêmes méthodes de travail visant à allier démocratie participative et efficacité militante. Ce réseau va notamment produire une équipe de cadres militants qui se réunit au sein du groupe de réflexion et d’échanges Gogoeta. Il sert à anticiper les enjeux, par exemple les différentes étapes du processus souverainiste basque ou les conséquences prévisibles d’une éventuelle accession de l’extrême droite au pouvoir en France. Il travaille aussi à améliorer les pratiques et stratégies de l’écosystème alternatif et du mouvement abertzale, par exemple quant à leur implantation dans les milieux populaires ou la place et le rôle des femmes en leur sein.

J’aurai également la chance, durant la majeure partie de ces deux dernières décennies, de siéger au Comité national d’ELA. J’y découvre ainsi comment fonctionne la plus grande organisation militante d’Euskal Herria, forte de plus de 100.000 membres, dont l’action impacte la réalité socioéconomique d’une société entière. J’y observe la manière dont cette direction collégiale, d’une cinquantaine de personnes, rajeunit et se féminise de manière spectaculaire tout au long de cette période. J’apprécie le respect constant et exempt de tout paternalisme dont elle fait preuve envers Iparralde, les stratégies qui y ont cours et les mouvements qui les portent.

J’y suis attentivement la façon dont elle anime une ligne clairement abertzale et radicale, au niveau social ou écologique, dans un syndicat majoritaire dont une partie de la base est parfois loin de partager a priori les mêmes points de vue. J’y apprends beaucoup, et nous nous inspirons dans notre militantisme d’Iparralde de certains acquis théoriques, pratiques et organisationnels que nous découvrons dans cette organisation de masse plus que centenaire et pourtant en perpétuel renouvellement.

Bizi !, Euskal Moneta et Alternatiba

Dès 2007-2008, nous avons l’intuition que le défi climatique, qui à cette époque est loin de faire la une des journaux et ne constitue pas un sujet dans nos cercles militants, va pourtant conditionner, voire structurer, les combats et générations militantes à venir. La naissance de Bizi ! en juin 2009 vient répondre à cette intuition. Ce nouveau mouvement allie un travail de propositions (diagnostic citoyen vélo, étude emplois climatiques, boîte à outils municipale, etc.) et de plaidoyers, à des actions coup de poing et des mobilisations de sensibilisation à l’urgence climatique, alors loin d’être une évidence partagée. Il engrange vite des victoires concrètes, et croît régulièrement, passant de 20 adhérents à sa naissance à plus de 800 aujourd’hui. Il sera également l’outil de gestation et d’impulsion d’autres initiatives qui vont impacter la réalité locale, et au-delà.

Ainsi, à partir de 2011, inspiré par la dualité vertueuse du modèle EHLG, un projet de monnaie locale, basque, écologique et solidaire va s’élaborer principalement au sein et autour de Bizi !. C’est l’Eusko qui naît en janvier 2013 et devient rapidement la première monnaie locale d’Europe.

En 2013, Bizi ! lance Alternatiba, le premier village des alternatives au changement climatique, qui réunit 12.000 personnes sur Bayonne.

L’impact est particulièrement puissant. Ajouté à l’exemple d’EHLG, l’événement va ouvrir une décennie voyant éclore nombre d’alternatives à la fois ancrées sur le territoire d’Iparralde et visant à répondre aux urgences universelles écologique et climatique.

Cet impact dépasse largement le seul cadre du Pays Basque Nord. Partout en France, et même au-delà, naissent des collectifs et des dynamiques nouvelles s’appuyant sur la méthodologie de Bizi ! et sur l’expérience de Bayonne. Près de 150 Alternatiba seront ainsi organisés un peu partout. Un tour Alternatiba sur des vélos trois ou quatre places, conçu et organisé à partir d’Iparralde, va traverser 186 territoires différents en quatre mois. Il sera l’occasion d’y tenir, plusieurs fois par jour, conférences publiques, réunions avec les associations locales, les élus, la presse, pour sensibiliser à la nécessité de « changer le système, pas le climat ». Une génération climat se forme et jouera un rôle moteur dans les mobilisations citoyennes de la COP21 à Paris, en décembre 2015.

La stratégie déterminée et non-violente de Bizi ! et ses formes d’actions vont également influencer le militantisme social et écologique bien au-delà du Pays Basque. La réquisition à Bayonne des chaises de la banque HSBC coupable d’organiser l’évasion fiscale au service des ultra-riches alors que l’argent manque pour financer la transition écologique, donne naissance au mouvement des « Faucheurs de chaises » contre l’évasion fiscale dans l’ensemble de l’Hexagone.

A partir de 2018, la rédaction puis l’approfondissement du projet Euskal Herri Burujabe viennent explorer sur le plan théorique l’indispensable complémentarité des combats abertzale et climatique, et dessinent une voie concrète pour la métamorphose écologique et sociale du Pays Basque.

Le désarmement et les preso

La décennie 2010-2020 voit éclore bon nombre de fruits du travail et des paris stratégiques posés au cours des années précédentes, et parfois portés en alliance avec des secteurs non abertzale : l’existence institutionnelle d’Iparralde ; une nette progression électorale d’EHBai venant renforcer le municipalisme abertzale et l’influence du mouvement en général ; la multiplication et le renforcement des structures construisant les souverainetés réelles du Pays Basque dans les domaines énergétique, alimentaire, économique, etc.

En 2016, malgré l’arrêt définitif de la lutte armée proclamée par ETA en 2011 et le travail intense et ininterrompu d’acteurs comme Bake Bidea en Iparralde pour faire avancer le processus de paix censé découler de cette décision historique, la situation paraît bloquée, voire s’enlise dangereusement. L’action de Louhossoa, la dynamique des Artisans de la paix et la journée du désarmement du 8 avril 2017 contribuent à la débloquer, à accélérer le temps et à ouvrir de nouvelles perspectives. Les réseaux constitués année après année par le travail des gens d’ELB et d’EHLG au sein de la Confédération paysanne ; ceux de Bake Bidea et ceux de la Fondation Manu Robles-Arangiz, de Bizi ! et d’Alternatiba, vont jouer un rôle important dans le succès de cette séquence et l’ouverture de certaines opportunités importantes pour l’avenir. Côté français, les premiers changements dans la politique pénitentiaire vont enfin ouvrir une voie, certes trop lente par rapport à ce que nous souhaiterions toutes et tous, mais qui va peu à peu grignoter une bonne partie du régime d’exception subi par les prisonniers politiques basques. Plus globalement, les conditions politiques pour un nouveau cycle historique du combat abertzale sur l’ensemble d’Euskal Herria sont enfin réunies.

Alda et Herrian bizi

En 2020, nous créons Alda, après une longue réflexion sur la faible implantation du mouvement abertzale et progressiste dans les quartiers populaires, et sur les conséquences délétères du délitement du lien social et de l’action collective en général dans ces secteurs de la population. Le succès est fulgurant, Alda remporte la majorité absolue aux élections des représentants des locataires HLM dès 2022 et dépasse les mille adhérent.es en quatre ans à peine ! C’est la preuve que ce nouvel outil correspondait à un besoin énorme.

Dès 2021, Alda fait un diagnostic de la crise du logement, qui frappe durement les milieux populaires et la jeunesse d’Iparralde, et définit cinq objectifs prioritaires pour la combattre (4). L’association se lance dans la bataille en s’appuyant sur une stratégie mûrement élaborée et qui emprunte aux différents enseignements accumulés au fur et à mesure des combats et mouvements qui l’ont précédée. C’est aussi, la même année, la création de la plateforme unitaire Se loger au Pays-Herrian Bizi qui organise deux manifestations très importantes qui marqueront les esprits en novembre 2021 et en avril 2023.

La bataille de l’hégémonie culturelle est clairement gagnée à ce niveau, comme le démontre le premier sondage réalisé sur la question du logement en Pays Basque en mars 2023. Dans un territoire dont 63 % des habitants sont propriétaires de leur logement, une claire majorité de la population déclare vouloir l’encadrement et une forte régulation du marché immobilier et foncier. Une coopération fructueuse s’instaure dès le début avec la Communauté d’agglomération Pays Basque et un certain nombre d’élu.es, maires et parlementaires locaux.

Les victoires et avancées se succèdent, pour stopper l’hémorragie des logements transformés en meublés de tourisme, pour lutter contre la fraude sur les contrats locatifs, pour mettre en place un encadrement renforcé des loyers, etc. L’impact est tel que ces luttes locales, contre Airbnb, la cherté des loyers ou la spéculation immobilière, contribuent à mettre la question du logement dans l’agenda médiatique et politique hexagonal, et même à susciter de premières avancées législatives.

Passages de relais

Pendant ces cinq dernières années, nous préparons en parallèle ma transition militante pour qu’elle se déroule le mieux possible. Je me retire peu à peu des diverses structures dans lesquelles j’exerçais telle ou telle responsabilité (Koordinaketa de Bizi !, comité de pilotage de l’Eusko, comité national d’ELA, coordination de la plateforme Se loger au Pays-Herrian bizi, conseil d’administration d’Alda, etc.), et j’anime diverses formations dans le cadre de cette transition.

Je participe au comité de pilotage de la démarche Bagira qui veut établir un bilan des 60 dernières années de lutte et de travail abertzale en Iparralde et faire oeuvre de transmission historique en direction des nouvelles générations. Bagira impulse un processus de rédaction collective d’un document -Herri bidea- qui doit servir de feuille de route partagée par le mouvement abertzale d’Iparralde pour la décennie à venir.

Je m’investis aussi avec d’autres pour imaginer et mettre en place un certain nombre d’outils militants -locaux, centre de formation permanente, structures diverses- visant à renforcer et à faire changer d’échelle le travail militant des décennies à venir.

Enfin, avant de quitter le comité de rédaction d’Enbata, je participe à la réflexion engagée pour que cette revue historique du mouvement abertzale fasse peau neuve, réponde mieux aux enjeux de débats, réflexions, approfondissement et anticipation des militant.es abertzale d’aujourd’hui et de demain.

De la première à la seconde ligne

Aujourd’hui, j’ai le sentiment que les différents passages de relais et transitions sont achevés et que je peux désormais me retirer de la première ligne. Je le fais avec une totale confiance en celles et ceux qui vont continuer à l’animer ou la rejoindre. Je vais en profiter pour prendre une année sabbatique faite de barnetegi pour finaliser mon apprentissage encore très imparfait de l’euskara, de voyages et de périodes de réflexions sur l’avenir.

Par la suite, je ne compte évidemment pas arrêter de militer, de travailler à construire un Pays Basque et un monde plus libres, plus solidaires et plus soutenables. Mais je le ferai d’une autre manière, à partir de la seconde ligne. Je sais que je m’investirai notamment dans la formation et la transmission militantes. Et j’essaierai d’être utile dans d’autres domaines, en fonction des besoins déterminés par celles et ceux qui seront en première ligne.

Fier d’être abertzale

J’ai côtoyé tout au long de ces décennies et de ces combats, de ces chantiers, des centaines de militantes et de militants qui m’ont conforté dans la fierté d’être un membre, parmi des milliers d’autres, du mouvement abertzale. Oui, nous pouvons être fiers du chemin parcouru. Nous vivons dans un pays plus solidaire, plus résilient, plus autonome, plus dynamique grâce à cet immense travail collectif réalisé le plus souvent dans l’adversité. Cet engagement de tous les instants permet aujourd’hui au Pays Basque d’affronter dans de bien meilleures conditions que beaucoup d’autres territoires des temps qui s’annoncent difficiles pour l’ensemble de nos sociétés. Je lirai avec plus d’assiduité que jamais Enbata, pour suivre de près les débats et réflexions traversant le mouvement abertzale d’Iparralde dans les combats et les nouveaux défis qui l’attendent.

(1) Extrait du texte « ELB se définit » du 27 janvier 1984

(2) Au sein de cet AB post-scission, nous réalisons entre autres un travail théorique de définition, de gauche et écologiste, du projet abertzale au 21ème siècle. C’est par exemple la rédaction, et l’adoption par l’AG d’AB d’un texte qui, deux décennies plus tard, n’a pas pris une ride à mon sens « Le projet abertzale : un combat plus que jamais d’actualité »

(3) avec l’achat puis l’aménagement du bâtiment qui devra héberger la chambre d’agriculture alternative et les campagnes de dons et de virements de soutien.

(4) Brochure « Crise du logement au Pays Basque : cinq urgences ! » diffusée à 4000 exemplaires en juin 2021.

Munduko bost krisiri batera aurre egitea ezinbestekoa dela ohartarazi du IPBESek
Etxebeste Aduriz, Egoitz
https://aldizkaria.elhuyar.eus/albisteak/munduko-bost-krisiri-batera-aurre-egitea-ezinbeste/

Biodibertsitatea, ura, elikagaiak, osasuna eta klima-aldaketa elkarrekin konektatuta daude, eta guztiak batera hartu behar dira aintzat

Munduko krisi nagusiak, bai sozialak, bai ekonomikoak eta bai ingurumenekoak, guztiz lotuta daude, eta elkarri eragiten diote. Hortaz, bakoitzari era isolatuan aurre egiten saiatzea ez da eraginkorra eta kalterako da. Ondorio garbi hori atera dute IPBES Biodibertsitateari eta Ekosistemen Zerbitzuei buruzko Gobernuarteko Plataformak aurkeztu duen azken txostenean.

Lotura konplexu horiei buruz inoiz egin den ebaluazio zientifiko sakonena da; 57 herrialdetako 165 zientzialariren hiru urtetako lanaren emaitza. Biodibertsitatearen, uraren, elikagaien, osasunaren eta klima-aldaketaren arteko loturak aztertu dituzte. 

Txostenak garbi uzten du biodibertsitatea maila eta eskualde guztietan ari dela txikitzen. Etengabeko beherakada hori neurri handi batean giza jardueraren ondorioz ari da gertatzen (klima-aldaketa barne), eta ondorio zuzenak eta kaltegarriak ditu elikagaien segurtasunean eta nutrizioan, uraren kalitatean eta erabilgarritasunean, osasunean eta ongizatean, klima-aldaketarekiko erresilientzian eta naturak pertsonei egiten dizkien gainerako ia ekarpen guztietan. Nabarmendu dutenez, munduko barne produktu gordinaren erdia baino gehiago naturaren mende dago, neurritik handi batean. 

Gainera, egiaztatu dute erronka horiei aurre egiteko hartutako neurriek ez dutela lortzen eraginkorrak izatea eta arazoaren benetako konplexutasunari aurre egitea. Krisian eragiten duten hainbat zeharkako bultzatzaile sozioekonomiko identifikatu dituzte (hala nola populazioaren hazkundea, hondakinen igoera eta gehiegizko kontsumoa), eta ikusi dute zeharkako bultzatzaile horien 12 adierazleetatik ia denek okerrera egin dutela 2001etik hona. 

Txostenaren beste mezu garrantzitsu bat da konektatutako krisi hauen ondorioek munduko biztanle batzuei besteei baino gehiago eragiten dietela. Eta nabarmendu dute munduko biztanleriaren erdia baino gehiago bizi dela biodibertsitatearen gainbeherak, uraren eskuragarritasunak eta kalitateak, elikagaien segurtasunak, osasunerako arriskuen gorakadak eta klima-aldaketaren ondorio kaltegarriek inpakturik gehien eragiten duten eremuetan.

Etorkizuneko erronkak eta aukerak

Etorkizuna nolakoa izan litekeen ere aztertu dute, hainbat egoera desberdin aurreikusita. Garbi ikusi dute  egungo joerei eusten bazaie, emaitzak oso txarrak izango direla biodibertsitatearentzat, uraren kalitatearentzat eta osasunarentzat. Bainan etorkizun hobe baterako aukerak ere ikusi dituzte. Horretarako, ekosistemak kontserbatzearekin eta leheneratzearekin, kutsadura murriztearekin eta klima-aldaketa arintzearekin batera, ekoizpen eta kontsumo jasangarrian oinarritutako ekintzak egin beharko lirateke.

Txostenak erakusten du gaur egun badaudela krisiari erantzuteko aukera ugari, eta horietako batzuk, gainera, kostu txikikoak direla. Hala, 70 erantzun-aukera baino gehiago aurkeztu dituzte. Hauek dira adibide batzuk: karbonoan aberatsak diren ekosistemak (basoak, lurzoruak, mangladiak) leheneratzea; biodibertsitatea kudeatzea, animalien gaixotasunak gizakiengana hedatzeko arriskua murrizteko; lurreko eta itsasoko paisaiaren kudeaketa integratua hobetzea; naturan oinarritutako hiri-irtenbideak; dieta osasungarriak eta jasangarriak; eta elikadura-sistema indigenei laguntza ematea.