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Articles du Vendredi : Sélection du 16 septembre 2011

Ola, Rio +20

Hervé Kempf (Chronique « Ecologie »)
Le Monde du 06/09/2011

Concentration

Editorial
Hebdomadaire Enbata, du 15/09/2011

Compte rendu de l’atelier Gratuité
du Remue Méninges A Gauche

Claire Bazin, sur le blog de Corinne Morel Darleux
www.lespetitspoissontrouges.org

Monnaies locales complémentaires

Editorial de Michel Lepesant
http://monnaie-locale-complementaire.net/2011/08/editorial-lepesant/

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes le pays qui a le devoir de résister le premier »

Par Agnès Rousseaux, Nadia Djabali, Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article1666.html (19 juillet 2011)

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Ola, Rio +20

Hervé Kempf (Chronique « Ecologie »)
Le Monde du 06/09/2011

L’événement de 2012 ? Rio + 20, alias conférence des Nations unies pour le développement durable, qui se tiendra à Rio de Janeiro en juin 2012. Une méga conférence de plus – et alors ? Alors ? Depuis quarante ans, les Sommets de la Terre ont servi de révélateurs de la conscience collective mondiale. Si les résultats en paraissent décevants, ils n’en sont pas moins réels, en fournissant à toutes les nations un langage commun et, souvent, des logiques communes d’action.

D’abord, il y eut Stockholm, en 1972 : pour la première fois à cette échelle était lancée l’alerte sur la dégradation rapide de l’écologie mondiale. Mais l’environnement allait-il faire oublier le développement ? Le rapport Brundtland, en 1987, répondait efficacement, en popularisant les concepts de « développement soutenable » et du droit des générations futures. Et, en 1992, le Sommet de la Terre de Rio connaissait un éclat retentissant. L’époque était à l’optimisme, la chute du mur de Berlin permettant d’envisager un monde libéré de la course aux armements. Deux traités importants, sur le climat et sur la biodiversité, étaient signés : l’énergie et l’alimentation entraient dans le champ de la politique internationale.

Mais à Johannesburg, en 2002, on déchanta. Les pays du Nord n’avaient pas assumé leurs responsabilités en n’orientant pas les ressources libérées par la lutte contre l’Union soviétique vers les pays en développement. On se trouvait aussi à l’apogée de l’idéologie néolibérale : l’idée dominante était que, plutôt que les Etats, les entreprises et le marché résoudraient les problèmes.

2012 : les vagues promesses de Johannesburg se sont évanouies. Entreprises, banques et marché ne sont pas les solutions, mais plutôt le problème. L’heure est au retour des Etats, de la régulation, de l’action publique. Et alors que la crise écologique est toujours plus prononcée, la responsabilité s’est élargie : on ne peut plus mettre toute la charge sur le dos des pays riches. Le poids de la Chine ne lui permet plus de s’abstraire du jeu.

Deux thèmes dominent la préparation de Rio + 20 : l' »économie verte » et la réforme des institutions internationales. Les débats sont vifs : l’économie verte est-elle le nouvel habit du capitalisme, n’oublie-t-on pas en chemin le développement durable, l’ONU est-elle l’enceinte adéquate ? Et de nouveaux thèmes sont discutés, comme la lutte contre les inégalités – et pas seulement contre la pauvreté -, la réforme de l’indicateur du produit intérieur brut (PIB), les taxes sur le carbone, la correction du libre-échange pour tenir compte de l’environnement. Oui, Rio + 20 sera important.

Concentration

Editorial
Hebdomadaire Enbata, du 15/09/2011

70.000 m2 de surface couverte pour le futur centre commercial Ikea à Ametzondo, 70 autres à venir à Saint-Martin-de-Seignanx et peut-être 80.000 m2 à Saint-Geours- de-Marenne, sans oublier une extension de plus d’un hectare pour la galerie marchande de BAB2, la course au gigantisme des centres commerciaux repart de plus belle.

Si tous ces projets sont menés à terme, la surface totale des centres commerciaux, des jardineries ou magasins de bricolage atteindra le demi million de mètres carrés dans un rayon de 30 kilomètres autour de Bayonne. Une des densités les plus fortes, sinon la plus forte, de l’hexagone, rapportée au nombre d’habitants du bassin de chalandise.

On sait la France championne du monde de la concentration de la distribution, loin devant les Etats-Unis. Quasiment 80% de la vente des produits alimentaires et ménagers dans l’hexagone sont aux mains de quatre ou cinq chaînes de distributeurs. Ajoutez à cela le tout nucléaire d’EDF pour la production d’électricité, le projet de tout TGV de la SNCF pour le transport ferroviaire, ou encore un réseau autoroutier concédé aux géants du BTP, et vous avez une consommation française en grande partie dépendante d’un nombre très réduit de grands groupes. Une concentration unique au monde.

On ne reviendra pas ici sur les conditions de travail de plus en plus précaires des salariés de ces grands groupes avec la généralisation des temps partiels ou des journées éclatées, la multi fonctionnalité exigée des employés, la pression sans cesse accrue pour atteindre des objectifs de vente démesurés.

On ne s’étendra pas non plus sur l’argument de la création d’emplois mis en avant par nos élus et les pouvoirs publics pour justifier une telle course au gigantisme. A chaque annonce de nouveau projet, nos édiles se gargarisent de centaines d’emplois que la nouvelle enseigne créerait. Car la réalité est tout autre : non seulement le nombre d’emplois promis n’est jamais au rendez-vous, mais il s’agit toujours d’un simple transfert. Les postes créés ici sont supprimés ailleurs, notamment dans la petite production et distribution de proximité.

En quarante ans de politique de concentration à marche forcée menée en France, la grande distribution a créé à peine l’équivalent du tiers des emplois perdus dans le petit commerce.

Plus grave encore, pour un territoire à faible potentialité de production comme le nôtre, est le transfert de capitaux que la concentration de la distribution entraîne. A peine un tiers de l’argent laissé aux caisses par les clients restera sur place sous forme de salaires, taxes locales, paiement de quelques fournisseurs locaux. Tout le reste ira vers les grands bassins de production des biens de consommation, de services financiers, informatiques ou autres.

La concentration de la distribution aux mains de quelques chaînes contribue fortement à appauvrir les plus pauvres et à enrichir les plus riches. Nos élus et responsables économiques pensent et agissent comme si le processus de concentration dans la production et la distribution avait inéluctablement atteint un point de non retour.

Un seul principe les guide : accéder à une petite part du gâteau en créant, avec l’argent public, les meilleures conditions d’installation pour attirer les enseignes.

Le développement durable, si présent par ailleurs dans les discours de nos responsables, ne coïncide absolument pas avec cette concentration démesurée de la distribution.

Les délocalisations, les conditions de plus en plus draconiennes, l’exigence de prix de plus en plus bas, les menaces de déréférencement sans cesse brandies, ont abouti à une mise en coupe réglée des fournisseurs par les centrales d’achats des grandes chaînes. Avec les répercussions que l’on sait sur les conditions de travail et les rémunérations des salariés dans les entreprises fournisseuses.

En faisant ses achats au supermarché, le consommateur joue contre le travailleur qu’il est. Le modèle de production et de distribution concentré actuel se fonde sur une politique de transport bon marché, en d’autres termes de gaspillage des énergies fossiles.

D’autres modes de consommation existent, qui privilégient les productions alimentaires de proximité et les circuits courts. C’est le pari que tente une partie du monde agricole basque autour d’ELB et Laborantza Ganbara. Pas étonnant que nos grands élus, centrés sur le modèle concentrationnaire, ne voient pas d’un bon œil l’émergence de cette approche alternative.

Compte rendu de l’atelier Gratuité
du Remue Méninges A Gauche

Claire Bazin, sur le blog de Corinne Morel Darleux
www.lespetitspoissontrouges.org

La gratuité n’est pas une solution de secours pour les plus démunis. C’est un outil pour changer de société, pour instaurer la solidarité contre le tout marchand.

Paul Ariès, directeur du Sarkophage a différencié la gratuité trop souvent entendue comme une mesure d’accompagnement du système, pour aider ceux qui ne peuvent plus acheter, et la gratuité qui émancipe. La première s’intègre aux mécanismes du capitalisme, suppose le flicage et provoque la condescendance à l’égard des plus pauvres. A l’inverse, la seconde sécurise le lendemain en recréant des biens communs et agit comme un « dissolvant d’angoisse ». Face à la culture de la consommation perpétuelle elle favorise « la jouissance d’être contre la jouissance d’avoir ».

Au-delà de la réponse qu’elle apporte à l’urgence sociale, la gratuité est un instrument de transformation de la société et également une réponse à la crise environnementale, comme l’a souligné Corinne Morel Darleux. Aujourd’hui, le système encourage la consommation à grande échelle. Ainsi, plus on utilise de m3 d’eau ou de kw d’électricité, moins l’unité consommée coûte cher. La gratuité est un instrument qui permettrait de renverser cette logique et de fixer le prix au regard de l’usage qui est fait de la ressource.

Nous proposons que les premiers m3 d’eau et les premiers kw d’électricité consommés par les particuliers soient gratuits, parce qu’ils sont nécessaires à la vie. En revanche, l’eau qui sert à arroser un golf ou remplir une piscine doit coûter très cher. Instaurer la gratuité permet de plus de réinstaurer la solidarité au cœur des rapports humains car elle a un coût, la clef de son existence est donc une fiscalité progressive.

Dans le programme du Front de gauche, cette exigence se traduit par la création de 14 tranches d’imposition sur le revenu, dont la dernière à 100 %. Jean-Louis Sagot-Duvauroux a présenté l’expérience de la communauté d’agglomération d’Aubagne, dans les bouches du Rhône qui a instauré la gratuité dans les transports publics urbains. Les conséquences de cette mesure ont dépassé les attentes des élus : d’une part, la fréquentation a augmenté de 130 % en un an, dont 50 % du fait d’un abandon de la voiture.

D’autre part, la gratuité a modifié le comportement des usagers : les dégradations ont quasiment disparu, les tensions entre chauffeurs et voyageurs liées à la fraude également. Il peut y avoir des basculements réels à l’échelle locale et ce dès maintenant, c’est ce que le PG appelle «la gauche par l’exemple», et c’est ce que Gabriel Amard a fait avec la régie publique de l’eau à la communauté d’agglomération Les lacs de l’Essonne. Celui-ci a insisté sur la réappropriation des biens communs par les citoyens. La votation citoyenne sur la gestion publique de l’eau a en effet réuni 70 % des utilisateurs de compteurs d’eau de la collectivité.

Par ailleurs, il a été décidé de différencier les tarifs en fonction de l’usage professionnel et de l’usage domestique ce qui a permis de diminuer le prix de l’eau de 37%par rapport aux tarifs de Veolia. Les citoyens ont été partie prenante dans la définition de ces règles, en tant qu’adhérents du service public, alors qu’ils n’étaient que clients auparavant. Tout comme il n’y a pas de capitalisme sans culture marchande, il n’y a pas de gratuité sans culture de la solidarité. Baptiste Mylondo a présenté le revenu inconditionnel, une prestation monétaire versée sans condition de ressources, d’activités ou de charge de famille et sans contrepartie. Il est cumulable avec toute autre ressource, universel et individuel. Chaque membre de la communauté politique donnée y a droit de la naissance à la mort. Son lien avec la gratuité est celui de la socialisation des coûts d’accès.

Donner à chacun les moyens de payer les services essentiels à la vie sans être obligé de travailler les rend de fait gratuits. L’idée centrale est que chaque individu participe par ses activités à la création de richesse sociale et que la société a donc intérêt à nous permettre de continuer à le faire.

Monnaies locales complémentaires

Editorial de Michel Lepesant
http://monnaie-locale-complementaire.net/2011/08/editorial-lepesant/

A quoi sert une monnaie locale complémentaire (MLC) ? En quoi, à qui, comment peut-elle être utile ? De quelle utilité parlons-nous ?

De l’utilité sociale quand elle ne se réduit pas au seul intérêt économique. Ce qui ne veut pas dire : pas d’intérêt économique du tout; mais juste l’intérêt économique remis à sa juste place, qui n’est ni première ni centrale.

Qui peut poser cette question ?

  • Les militants des alternatives (altermondialisme, décroissance, transition…) qui se trouvent souvent à hésiter entre la tentation du refus pur et simple de la monnaie (« c’est du fric ») et la possibilité d’expérimenter (« changer les échanges »). Certains ont déjà l’expérience d’une monnaie locale de type SEL (mais elle n’est pas complémentaire, non-convertible en euro).
  • Les prestataires déjà habitués aux cartes de fidélité ou aux tickets restaurants, qui sont des monnaies complémentaires (mais elles ne sont pas locales).
  • Les utilisateurs qui sont souvent prêts à « jouer le jeu » mais qui ont du mal à voir vraiment l’intérêt de faire ses achats en « jouant au Monopoly ».

Changer les échanges : solidarité, quant tu nous tiens…

Finalement, tous se demandent si cela vaut le coup, en comparaison de l’euro et de sa simplicité d’utilisation (quand on en possède !), d’avoir dans sa poche une deuxième monnaie, qu’il n’est pas si facile de se procurer (seulement dans des « comptoirs d’échange »), qui ne circulent qu’au sein d’un périmètre restreint de prestataires, qui ne concernent que des biens et services étiquetés « éthiques ».

Peut-on faire une réponse unique et commune à toutes les MLC ? Non. 1/ Parce qu’il n’y a pas qu’un seul type de MLC : on peut même les ranger en « générations ». 2/ Parce qu’une MLC appartient rarement à une seule génération et que chaque projet de MLC a donc sa propre généalogie.

C’est pourquoi les réponses ici proposées tiennent d’abord au projet initié sur le bassin de vie Romans/Bourg de Péage depuis mai 2010.

  • De la première réunion, le 3 mai 2010, au lancement de la Mesure, le 28 mai 2011 : première phase, celle des explorations, des fondations et des constructions.
  • Nous sommes aujourd’hui dans la seconde phase : celle de la mise en route, celle des consolidations, celle aussi de nouvelles explorations. Combien de temps va-t-elle durer ? On peut raisonnablement compter sur une bonne année : raviver les enthousiasmes, rattraper les premières déceptions, faire patienter les impatients, augmenter le nombre des prestataires et des utilisateurs…
  • Finalement, la mise en place d’une MLC, c’est au moins deux années d’élaboration. Et quand nous voyons à quel point nous ne comprenons plus du tout aujourd’hui le projet comme nous croyions l’avoir compris l’an dernier, nous ne pouvons que présager que, dans un an, les choses auront encore beaucoup vécu. Et c’est tant mieux, car au cœur du projet de la Mesure, il y a bien une dimension « d’espérience ». « Expérimentation sociale », « utopie concrète » : pédagogie qui commence par le Faire, et qui élabore une compréhension au fur et à… Mesure.

Pour les « activistes » d’un projet de MLC, quel « engagement » ?

Par « activiste », nous entendons les « membres actifs » de l’association « commune-Mesure ». Ils ont des degrés d’engagement divers mais un trait commun les relie : plutôt que de s’installer dans le « contre », ils préfèrent tenter le « pour » ; la construction et l’expérimentation plutôt que la protestation stérile. Et ce « pour », ils pensent qu’il dépend d’abord de leur propre initiative, de leur propre innovation.

  1. Reprendre la maîtrise citoyenne de l’usage de la monnaie. La monnaie courante, c’est à la fois très simple dans son utilisation et très compliqué dès que l’on essaie de s’expliquer d’où vient l’argent, qui le crée, d’où vient le crédit, à quoi sert une banque… Oser se lancer dans l’aventure d’un projet de MLC, c’est finalement pour les citoyens le meilleur moyen de s’approprier les réponses. Car les voilà obligés d’imprimer des billets, de s’assurer de leur infalsifiabilité, de garantir les dépôts, bref de créer de la monnaie. Et là de découvrir toute la dimension « magique » de la création monétaire : car une MLC double, « comme par miracle » la masse monétaire en circulation. C’est l’occasion de découvrir qu’une simple association citoyenne peut se réapproprier cet usage, aujourd’hui confisqué par les établissements bancaires, obsédés non plus de rendre service à leurs usagers mais d’enrichir leur actionnaires. Dans cette « reprise citoyenne », c’est le Faire qui détermine le Comprendre (aux « Ecoles de la Mesure », c’est la pratique réelle qui est transmise, pas une théorie abstraite).
  2. Beaucoup des membres de l’association de commune-Mesure sont membres d’autres associations, déjà engagés diversement dans des alternatives : ressourcerie, amap, SEL, recyclerie, coopératives… Une MLC n’est-elle pas le moyen par excellence pour relier des initiatives de Transition sur un territoire/bassin de vie/Cité ? C’est en ce sens qu’une MLC fonctionne comme un « signe de reconnaissance », comme un « label » défini par les valeurs de la Charte et les critères de la Convention. Une MLC ne relie pas seulement « l’existant » : elle a un formidable potentiel d’ouverture aux « consomm’acteurs » et aux prestataires : rien qu’en leur fournissant une « interface » qui ne se réduit pas à une simple (et pauvre) relation d’achat.

Pour les prestataires d’un projet de MLC, quel « intérêt » ?

Les prestataires peuvent être des commerces, des associations, des producteurs, des professions libérales. Ils acceptent que leurs prestations (biens, services, cotisations…) soient payés en MLC. Ce sont les seuls qui peuvent reconvertir leur MLC en euros (pour payer par exemples taxes et factures).

  1. Donner un surcroît de sens à leur activité professionnelle. Nous avons découvert avec (bonne) surprise que nous nous trompions si, lors de nos rencontres avec les prestataires nous mettions en avant le seul intérêt économique d’une MLC (grosso modo, intégrer un réseau fidélisé et captif) aux dépens de toute la dimension éthique du projet. Les prestataires qui intègrent le réseau ont davantage un « métier » qu’un « travail » et ils entendent en participant à notre « espérience » non pas d’abord en « profiter » par intérêt pécuniaire mais d’abord y gagner une satisfaction « sociale ». Une MLC n’a pas pour but d’augmenter le pouvoir d’achat mais de « redonner du pouvoir à l’achat » ; car finalement, ce qui n’a qu’un « prix » n’a pas beaucoup de « valeur ».
  2. Intégrer un réseau labellisé éthique. C’est aujourd’hui plus un espoir qu’une réalité ; d’abord parce que le réseau des prestataires n’en est qu’à ses débuts. Et puis il ne s’agit pas de créer un « entre soi » des prestataires, ceux qui seraient les « bons ». C’est pour éviter un tel piège que les critères d’acceptabilité des prestataires ont été élaborés pour refuser un tel clivage. D’abord, il n’y a pas un seul critère mis en avant mais quatre : relocalisation, écologie, social, humain. Ensuite, les réponses, ce n’est pas « oui/non » mais : « oui/en cours/non/pas applicable/nous ne savons pas faire ». Cette progressivité de l’engagement côté prestataire est essentielle.

Pour les utilisateurs d’un projet de MLC, quelle « motivation » ?

  1. Réorienter sa consommation vers un réseau labellisé éthique : en utilisant une MLC, un consommateur sait que son acte d’achat n’est pas/plus neutre. Acheter devient un « choix », celui de ne pas consommer n’importe où, n’importe quoi, chez n’importe qui. Il ne faut pas cacher – surtout quand le réseau est dans son commencement – que l’achat supporte dans ce cas une certaine contrainte : car il faut avoir pensé à l’avance à convertir des euros en Mesure, avoir éventuellement modifié son trajet, modifier ses habitudes (ne pas se contenter de faire au plus vite, au plus simple). Côté utilisateur, il y a une sorte de « pari » ( sur le modèle du panier Amap) : le plaisir de constater que la liberté a d’autant plus de goût qu’elle est assumée, choisie, construite.
  2. D’autant que pour une telle réorientation de la consommation, un simple annuaire « éthique » des prestataires engagés pourrait suffire. Mais cette réorientation de l’achat ne concerne que l’usage de la Mesure, c’est-à-dire, concrètement, l’usage des coupons émis par l’association : mais que deviennent les euros déposés ? Ils vont abonder un « fonds de garantie ». Demandons-nous alors ce que nous pourrions faire de ce fonds de garantie ? Il pourrait être intégralement déposé sur un compte bancaire et fructifier. 1/ Le fonds de garantie est déposé au Crédit Coopératif et il sert à financer des projets soutenus par la NEF. C’est déjà bien mais insuffisant. 2/ Pourquoi ne pas « fractionner » le fonds de garantie (c’est-à-dire en laisser partie en dépôt, partie se le réapproprier) ? Par exemple, si nous fractionnons le fonds de garantie à 50% pour un encours de 100 000 €, notre association pourrait alors disposer d’un fonds de 50 000 €. Pour en faire quel usage ? Ce que nous voulons. Et comme le projet est un projet « éthique », une réponse s’impose : pour en faire un usage « éthique », par exemple financer des micro-crédits pour des micro-projets eux-mêmes « éthiques ». L’utilisateur pourra librement décider et choisir le projet qu’il voudra directement aider. Il pourra par exemple décider d’utiliser sa part fractionnée pour intégrer une coopérative d’épargne solidaire sur le modèle d’une CIGALES. Ou il pourra « confier » sa part fractionnée à l’association commune-Mesure qui elle-même répartira cette somme entre les adhérents qui auront déposés des projets : cela bien évidemment à un taux de 0%, car l’association n’a nulle vocation à devenir un établissement bancaire (de toutes façons elle n’en aurait pas le droit). Cerise sur le gâteau : faire micro-crédit à 0%, c’est avoir la possibilité de donner des Mesures sans une contrepartie préalable en euros. Il y a ainsi deux manières d’obtenir des Mesures : par une entrée « euros » (par une « conversion »), par une activité sociale financée solidairement pas les « associés » de commune-Mesure.

Qu’il soit «engagement», « intérêt » ou « motivation », l’usage d’une MLC ne permet pas une réponse simple, valable pour tous les participants du projet. Et c’est tant mieux car cette diversité et cette hétérogénéité des « entrées » garantissent son « ouverture ». C’est un projet « itoyen» (relocalisation, ESS), est-ce que cela veut dire que les « institutions » en sont exclues ?

Pour les « institutions », quel « pouvoir » ?

Dans le « rapport aux institutions », il y a deux façons de penser et concrétiser un projet de MLC. Du haut vers le bas (top-down) ou du bas vers le haut (bottom-up) : descendant ou ascendant. Le projet SOL est un projet descendant. Le projet romanais est un projet ascendant. Il peut exister des formes hybrides.

Un projet ascendant n’est aucunement un projet hostile aux « institutions » (institutions politiques telles qu’une municipalité, une région… ou institutions de l’ESS) ; seulement, il veut commencer par les innovations des citoyens plutôt que par celles des « élus ». Dès que le projet est suffisamment lancé et à partir du moment où les « institutions » accordent leur reconnaissance à une démarche dont elle n’ont eu ni l’initiative ni la maîtrise alors il est possible d’intégrer les «institutions» au projet. C’est non seulement possible mais c’est aussi doublement légitime : d’une part, être « élu » c’est avoir été choisi pour avoir la charge et la responsabilité de l’action publique, au sein d’un bassin de vie ; d’autre part, les financements que l’ont dit «accordés» proviennent quand même de tous les citoyens eux-mêmes (directement ou indirectement).

  1. Soutenir techniquement des projets d’initiative citoyenne : pour communiquer, mais aussi en autorisant l’usage de la MLC pour payer des « services territoriaux » tels que la médiathèque, la cantine, la piscine… On peut aller plus loin et penser un partenariat avec les « services sociaux » pour organiser, par le moyen privilégié de la MLC, la rencontre des besoins insatisfaits et des ressources inutilisées.
  2. Soutenir financièrement des projets d’initiative citoyenne : garantir les prêts à 0%, verser une aide écologique en MLC… Toute initiative de relocalisation est une « bonne affaire locale » pour une « institution » ; et réciproquement : dans la mesure où il ne s’agit que d’aider à l’investissement (et non au fonctionnement car un projet de MLC doit assurer sa pérennité indépendamment de tout aléa électoral), une « institution » peut aussi proposer des subventions.

Jean-Luc Mélenchon : « Nous sommes le pays qui a le devoir de résister le premier »

Par Agnès Rousseaux, Nadia Djabali, Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article1666.html (19 juillet 2011)

Vous prônez une « planification écologique », c’est-à-dire ?

La planification, c’est fixer des lignes d’horizon dans une société qui n’en a pas. Et c’est un horizon de progrès humain. C’est discuter sur ce qui est important, ce qui urgent ou pas. C’est ramener la vie de la société dans la délibération collective. Le repère central de la société actuelle est le court terme. L’activité d’une entreprise est guidée par des bilans tous les trois mois, le cycle politique s’est raccourci, le cycle médiatique est à la frontière du collapse entre l’instantané et une durée de visibilité de 24 heures. Tout le pouvoir est dans le temps court. La planification, c’est le retour de la maîtrise collective sur ce qu’on organise. C’est rétablir les droits du temps long. Et l’écologie est le domaine du temps long. Il y a déjà une connivence étroite entre l’idée de planification et l’idée d’insertion de l’activité humaine dans le temps long, c’est celui de la nature.

Comment articuler cette « planification » ou les nationalisations que vous préconisez, sans renouer avec l’étatisme et la centralisation, sans étouffer les initiatives locales ou privées ?

Je ne suis pas partisan de nationalisations tous azimuts, et de la centralisation. Il y a des domaines où ce n’est pas une bonne idée. Celui de l’énergie par exemple : le réseau doit être de dimension nationale et sous la responsabilité de la collectivité toute entière. Mais la production de l’énergie et la planification de ses installations se font nécessairement au niveau local. La planification écologique est nécessairement démocratique, elle n’est pas étatique. Cette planification ne se construit pas dans des bureaux à Paris, même si ceux-ci peuvent impulser le mouvement. La planification écologique, par son contenu démocratique, contamine, irrigue, réorganise la société autour d’elle. Quand on parle de planification, certains répondent immédiatement : « Gosplan » (du nom de la planification de la production agricole et industrielle en URSS, ndlr). « Planifier » ? A ce mot, ils se sont déjà évanouis. Si le Gosplan n’a pas fait que des erreurs, ce n’est pas un bon système. Certains croient que nous n’avons pas été capables de tirer la leçon du Gosplan ? Mais nous avons aussi tiré la leçon du marché ! Cette révolution, son contenu, n’a aucune capacité de conviction, si elle ne transite pas par l’idée fondamentale : les citoyens décideront. Cela nous met à distance des modèles révolutionnaires autoritaires qui peuvent aussi survenir.

Donc la « planification écologique » n’est pas antagoniste avec l’initiative privée ?

Nous partons de la production et de l’entreprise, mais sans le verbiage libéral des petits prétentieux gominés qui prétendent avoir tout compris. « Il faut gérer le pays comme une entreprise », entend-on. Surtout pas ! Quelle idiotie ! Ils décident que personne ne devrait se mêler de prévoir la production, que, seul, le marché « sait », lequel marché est stimulé par la publicité, laquelle publicité est stimulée par le fric. Personne n’a le droit de discuter de cela. De notre côté, nous parlons de « collectif de travail », au sein duquel des gens produisent des biens, qu’on essaie de rendre écologiquement compatibles avec notre environnement, et avec une utilité sociale. Nous favorisons l’auto-organisation, donc le modèle coopératif. Les leviers ne sont pas ceux de la cupidité. C’est un autre modèle : on aime son travail, le goût du travail bien fait, le goût du collectif, d’apporter des choses utiles et qui sont bonnes pour la santé des autres. Le capitalisme est une déformation du sentiment humain vers la cupidité et la compétition. Pourtant deux principes sont présents en chacun d’entre nous, celui de la compétition et celui de la solidarité. Reste à savoir lequel nous mettons aux postes de commande.

Faut-il mettre en place une fiscalité incitative en faveur de l’économie sociale et solidaire, pour les sociétés coopératives par exemple ?

Une fiscalité incitative ? « À votre bon cœur m’sieur dame ! ». Qui veut être gentil ? Moi ! Qui veut donner son portefeuille ? Pas moi ! C’est ça ? Cela suffit. Une entreprise est délocalisée ? Et bien, au revoir au patron. La boîte, elle, reste ici. Les travailleurs la reprennent ! On pose en premier la question aux travailleurs. Vous voulez faire une coopérative ? S’ils ne s’en sentent pas capables, on se tourne vers la collectivité. Et ainsi de suite… Mais on ne laisse plus d’entreprises partir. On crée quelque chose. Je ne suis pas d’accord pour que la transition économique se fasse par « incitation ». Il y a des moments où il faut dire : « C’est comme ça et pas autrement ». Regardez le train à grande vitesse, c’est l’État. Airbus, c’est pareil. Il ne s’est rien passé tant que l’État ne s’y est pas mis. Les patrons du CAC40 attendent pour faire des investissements « d’avoir une visibilité », des « signaux du marché ». Mais qui est le marché si ce n’est eux ? Qu’attendent-ils ? Que la PME du coin donne la tendance ?

Comment faire pour que cette transition économique et énergétique soit socialement acceptable, pour les salariés du secteur automobile par exemple, ou pour les usagers de la voiture ?

C’est trop facile pour l’industrie automobile de nous mettre le couteau sous la gorge alors que rien n’a été fait pour essayer de changer le modèle énergétique des voitures. L’avenir c’est la voiture électrique ? Mais alors, il va falloir des centrales nucléaires en plus ! Donc on n’en finira plus de cette histoire. La clé, c’est la planification. Penser le tout. Pour l’automobile, il faut de nouveaux horizons techniques. Personne n’a envie aujourd’hui de renoncer à la mobilité. Comment concilier l’autonomie de la mobilité, son accessibilité, son confort et le fait que ce soit écologiquement durable ? C’est une question technique, c’est tout. On met des ingénieurs autour d’une table, et on leur dit de trouver. Les solutions existent. Si nous ne planifions pas, nous ne ferons rien de socialement acceptable. Nous ne pouvons pas sortir des énergies carbonées sans planification écologique.

Êtes-vous pour une sortie du nucléaire, et si oui dans quels délais ?

Au Front de Gauche, nous ne sommes pas tous du même avis sur ce sujet. Le Parti de Gauche est pour la sortie du nucléaire. Au Parti communiste, certains sont pour la sortie du nucléaire, la majorité est pour un mix énergétique. Comme candidat commun, je dois porter la parole commune, ce sur quoi nous nous sommes accordés. Les socialistes proposent de diminuer le nucléaire. Mais s’il est dangereux c’est dès la première centrale ! Sans vouloir effrayer les gens, l’une de nos centrales se trouve en amont du fleuve qui dessert la capitale (Nogent-sur-Seine, ndlr). Nous sommes le seul pays au monde à faire un truc pareil ! D’autres centrales sont concentrées dans la vallée du Rhône où se trouve déjà toute l’industrie chimique du pays. Dans l’hypothèse où ce serait très dangereux, ce qui est ma conviction intime, le danger est aggravé en France. Comment s’en sortir ? En faisant appel au peuple souverain. Il faut trancher, pas simplement en discutant entre nous, au sein du Front de Gauche, car sinon nous y sommes encore dans un siècle. C’est donc au peuple de trancher par référendum. Que nous sortions ou pas du nucléaire, la recherche doit continuer pour une raison : trouver la solution pour les déchets. Nous ne pouvons pas accepter l’idée de léguer aux générations suivantes un tas de déchets radioactifs pour 10.000 ans. Ensuite vient la question du délai : entre les scénarios de sortie sur dix ans – ce qui paraît-il risque d’étrangler la France – et ceux sur trente ou quarante ans, la dernière option semble réunir plus de partisans. Sur le nucléaire, nous avons quand même un gros problème : nous ne savons pas démanteler les centrales. C’est un problème immense qui nous reste sur les bras. Quel que soit le scénario, 10, 30 ou 40 ans, il nous faut commencer tout de suite. C’est une vision mesquine de croire que les travailleurs du nucléaire s’identifieraient au nucléaire au point de ne vouloir entendre parler de rien d’autre. Les travailleurs de l’armement, ce n’est pas à l’armement qu’ils sont attachés, c’est à leurs machines, à leurs savoir-faire professionnels. Les travailleurs du nucléaire ont été les meilleurs dans leurs branches. Si vous leur demandez de faire autre chose, ils le feront. Quoi qu’il en soit, il existe une exigence commune : la conservation du caractère nationalisé du dispositif, et la surveillance implacable du système de sous-traitance. À mon avis, la sous-traitance devrait être intégrée dans une entreprise d’État avec une stabilité d’emplois pour les travailleurs, et l’arrêt immédiat de la compétition au fric dans ce domaine. Ça ne coûtera jamais trop cher.

Quelles seraient les énergies de substitution en cas d’arrêt de la filière nucléaire ?

Il n’y a pas que les énergies de substitution, comme le montre le scénario négaWatt, il y a aussi celle que l’on ne va pas consommer. Dans les énergies renouvelables, je suis pour utiliser à fond l’énergie de la mer et que l’on recourt à la géothermie profonde, qui est une immense ressource, facile, accessible, qui ne gêne personne. Les éoliennes ne provoquent pas que de la joie et du bonheur. Je n’irai pas habiter à côté d’un parc d’éoliennes. Ma solution, c’est la géothermie profonde et l’énergie de la mer : c’est une énergie infinie, et c’est très simple à extraire.

Dans ce monde fini, aux ressources limitées, peut-on aujourd’hui être de gauche et productiviste ?

La social-démocratie est intrinsèquement productiviste. Pourquoi ? Elle colle le capitalisme comme la moule à son rocher. Surtout, ils proposent de « partager les fruits de la croissance ». Ils comptent rétablir l’équilibre et la justice sociale avec un supplément de biens. Nous produisons 1.995 milliards d’euros par an. Mais : pas touche ! On va simplement partager les fruits de la croissance : ce qu’il y a entre 1.995 milliards et le surplus. Nécessairement, il faut produire et produire encore. Et ne pas être trop regardant sur ce qu’on produit tant que cela occupe du monde. Nous ne pouvons pas continuer comme ça. Une bonne partie des productions sont absurdes. Elles n’existent que parce que la publicité a stimulé des besoins qui n’existaient pas. Nous devons reconsidérer l’utilité sociale des productions. Je n’adopte pas le mot « décroissance ». Mais il doit nous servir à réfléchir, à faire tomber le mythe du « plus il y en a, mieux c’est ». Cependant, si nous voulons être entendus par un très grand nombre, il ne faut pas commencer par dire : « Vous aurez moins ». Beaucoup vont répondre qu’ils ne peuvent pas faire davantage d’efforts. Mais tout le monde est capable d’entendre que le mode de vie qui nous est proposé est aberrant, que nous faisons des consommations artificielles. Plutôt que de parler de croissance ou de décroissance, je préfère parler de progrès humain, dans la logique des travaux de Jacques Généreux. Où est le progrès humain ? Que faut-il arrêter ou développer ? Cela signifie accepter de se soumettre aux critiques des décroissants. Si on commence par dire que ce qu’ils racontent est insupportable, on perd la puissance d’interpellation qui est la leur.

À combien chiffrez-vous cette transition, les nationalisations, la revalorisation du SMIC à 1.500 euros ? Et comment les financer ?

Nous sommes en train de la chiffrer. Notez que nous sommes sympas : nous pourrions tout prendre et ne rien donner ! C’est une possibilité que je rappelle à ceux qui élèvent trop la voix. C’est ce qui s’est passé en 1789 : nous avons tout pris, et rien donné. Votre question est aussi vieille que le socialisme : Jean Jaurès a été interpellé à l’Assemblée nationale par un gars de droite qui lui disait : « Mais chiffrez, M. Jaurès, chiffrez votre projet ! » À l’époque, Jaurès proposait la propriété collective des moyens de production. C’était un vrai socialiste ! Et Jaurès répond : « Écoutez, vos ancêtres ne se sont pas posés la question avant de confisquer la totalité des propriétés terriennes du clergé, qui possédait plus de la moitié de la terre. » Je réponds de même ! Et à ceux qui parlent un peu trop de la soumission de l’emprunteur au prêteur, je rappelle qu’il est possible de ne rien rembourser. Je crée une ambiance de travail… Ils disent : « Si vous ne remboursez pas tout de suite, je ne vous prêterai plus. » Et bien je réponds : « Si vous n’êtes pas raisonnable, non seulement je ne rembourse pas, mais en plus vous me prêterez de force. » Cette possibilité existe : l’emprunt forcé. On l’a déjà fait, en France. Pour créer ce rapport de force, les gens ne doivent pas avoir peur. Qu’il y en ait encore beaucoup à convaincre n’est pas une raison pour renoncer. Sinon il ne se produira jamais rien. Et puis nous sommes dans un moment chaud. J’ai le sentiment qu’une ouverture dans l’arène politique peut se produire. Si nous posons des questions rationnelles au peuple, il fait des réponses rationnelles : il n’y a plus un sou et les banquiers veulent nous prendre le peu qu’il reste ? Qu’est-ce qu’on fait ? On paie ou on résiste ?

Mais en attendant ce rapport de force, quelles sont vos marges de manœuvre ?

Déjà ramener le curseur là où il était il y a 25 ans. Et ce n’était pas le communisme de guerre ! Depuis, dix points de la richesse produite sont passés des poches du travail à celles du capital. Soit 195 milliards d’euros par an. Cela donne quelques marges de manœuvre. Pourquoi connaît-on des difficultés aujourd’hui ? Pas parce que nous dépensons trop, mais parce que l’on a vidé les caisses en mettant moins à contribution ceux qui sont pourtant en état de donner plus. On a volontairement appauvri l’État. C’est une stratégie des libéraux. Les marges de manœuvre existent. Et n’oublions pas notre capacité à produire. Tout le reste peut partir, nous redresserons immédiatement le pays. La vie continue. Tous les ans, la France produit 1.995 milliards d’euros. Le patrimoine constant, privé et public, vaut 30.000 milliards d’euros. Un investisseur ne peut pas emmener le château de Versailles sur son dos.

Avez-vous l’impression que la gauche est aujourd’hui déconnectée des classes populaires ?

Déjà j’apprécie que vous parliez de « classes » parce que dans les milieux bien élevés, on euphémise, on parle de « couches populaires ». Il y a bien des classes sociales. La société est travaillée par un clivage fondamental aujourd’hui : les oligarques d’un côté, le peuple de l’autre. La gauche politique est illisible. Pour un très grand nombre de gens, la gauche et la droite, c’est pareil. Ça me fend le cœur de dire ça, mais c’est comme ça. La gauche officielle a largement décroché du peuple tout entier. Pas seulement des milieux populaires. Quand on parle des milieux populaires, de qui parle-t-on ? Qui est du peuple ? Les ouvriers ? Les employés ? C’est la classe sociale la plus importante de ce pays. Depuis trois décennies, on nous a expliqué qu’il n’y avait plus d’employés ni d’ouvriers dans ce pays. Maintenant, on a l’air de se rendre compte que ce n’est pas vrai, mais uniquement pour injurier cette masse et l’assigner au Front national, la traiter de raciste, d’être sécuritaire, toute tares bien réparties pourtant. Je pense notamment à Manuel Valls ! Il s’est ridiculisé en disant que les violences conjugales se commettaient surtout dans les quartiers. Tous les milieux sont concernés ! La gauche est décrochée du peuple, au sens où elle exprime le point de vue étroit et limité de la classe moyenne supérieure, qui est prête à consentir généreusement à des sacrifices qu’elle se propose d’infliger à toute la société. Nous connaissons un divorce majeur. 25% de gens sont prêts à voter à gauche en se bouchant le nez, les oreilles et en fermant les yeux, 25% de gens sont prêts à aller voter à droite dans les mêmes conditions parfois, et au milieu une masse immense de désemparés, de désorientés. L’enjeu est de savoir qui propose à toute la société un nouvel horizon. Ce n’est que comme ça que nous arriverons à rassembler de nouveau le peuple : sur une perspective pour tourner la page, une vraie perspective de rupture.