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Articles du Vendredi : Sélection du 16 juin 2023

« Les pays industriels ont “choisi” la croissance et le réchauffement climatique, et s’en sont remis à l’adaptation »
Jean-Baptiste Fressoz(Historien, chercheur au CNRS)
www.lemonde.fr/idees/article/2023/06/07/les-pays-industriels-ont-choisi-la-croissance-et-le-rechauffement-climatique-et-s-en-sont-remis-a-l-adaptation_6176573_3232.html

Dès la fin des années 1970, les gouvernements des pays industriels, constatant l’inéluctabilité du réchauffement, ont délibérément poursuivi leurs activités polluantes quitte à s’adapter à leurs effets sur le climat, rappelle Jean-Baptiste Fressoz dans sa chronique.

L’émoi provoqué par la sortie du ministre de la transition écologique, Christophe Béchu, qui a annoncé « commencer à construire une trajectoire [de réchauffement] à 4°C » en vue de la fin du siècle, est assez hypocrite. Que l’objectif des 2°C, et a fortiori celui de 1,5°C, soit pour ainsi dire inatteignable est un secret de polichinelle. Il suffit de considérer les diminutions extraordinairement rapides des émissions qu’il faudrait obtenir pendant les années 2020 pour comprendre le problème.

Mais feindre la surprise donne l’impression d’avoir essayé : l’adaptation serait donc le résultat d’un échec, celui de nos efforts de transition. Or, ce récit moralement réconfortant est une fable. En réalité, l’adaptation a été très tôt choisie comme la stratégie optimale.

Dès novembre 1976, la Mitre Corporation, un groupe de réflexion d’origine militaire proche de la Maison Blanche, organisait un congrès intitulé « Living with Climate Change : Phase II ». Dans son préambule, le rapport passait rapidement sur le réchauffement, considéré comme inexorable. Restait à en évaluer les conséquences sur l’économie américaine. Mitre souhaitait ouvrir « un dialogue avec les leaders de l’industrie, de la science et du gouvernement ». Le résultat est impressionnant de prescience, et de désinvolture.

Prescience quand il aborde par exemple le problème de la contraction des sols argileux et de ses effets sur la solidité des bâtiments, une conséquence effectivement coûteuse du réchauffement ; désinvolture, quand rien n’est dit de l’assèchement du Colorado, des incendies de forêt ou des tempêtes en Louisiane. L’agriculture était bien identifiée comme vulnérable mais, à l’échelle des Etats-Unis, ce secteur aurait toujours le moyen de déplacer les zones de production.

Une bataille perdue d’avance

En 1983, le rapport « Changing Climate » de l’Académie des sciences américaine – le titre est révélateur – reprenait cette vision rassurante. Le dernier chapitre reconnaissait l’impact du réchauffement sur l’agriculture, mais comme son poids dans l’économie nationale était faible, cela n’avait pas grande importance. Concernant les « zones affectées de manière catastrophique », leur sacrifice était nécessaire pour ne pas entraver la croissance du reste du pays, même s’il faudra probablement les dédommager.

Au Royaume-Uni, un séminaire gouvernemental d’avril 1989 exprimait également bien ce point de vue. La première ministre Margaret Thatcher (1979-1990) avait demandé à son gouvernement d’identifier les moyens de réduire les émissions. Les réponses vont toutes dans le même sens : inutile de se lancer dans une bataille perdue d’avance. On pourrait certes améliorer l’efficacité des véhicules, mais les gains seraient probablement annihilés par ce que les économistes définissent comme les « effets rebonds ». Selon le ministre de l’agriculture, « pour avoir un effet, les mesures à prendre devraient être si sévères qu’elles auraient des conséquences catastrophiques sur notre compétitivité ».

Le ministre de l’énergie rappelait que le Royaume-Uni ne représentait que 3 % des émissions et que cette part allait rapidement diminuer avec l’émergence de la Chine et de l’Inde. Des efforts, même héroïques, n’auraient aucun effet perceptible sur le climat. La conclusion s’imposait : « On ne peut pas faire grand-chose à l’échelle nationale, et même internationale, pour empêcher le réchauffement global. On peut seulement espérer en atténuer les effets et nous y adapter. »

C’est à cette époque que le Royaume-Uni se prononce contre le projet d’écotaxe européenne. La France, sous l’égide de Michel Rocard, avait d’abord promu ce dispositif – qui avantageait son industrie alimentée au nucléaire – avant de faire volte-face juste avant la conférence sur l’environnement de Rio de 1992. C’est aussi à cette époque que l’économiste William Nordhaus démontrait « mathématiquement » le caractère optimal d’un réchauffement de 3,5°C en 2100… Il obtiendra le « prix Nobel d’économie » en 2018 pour ces travaux.

Sans le dire, sans en débattre, les pays industriels ont « choisi » la croissance et le réchauffement, et s’en sont remis à l’adaptation. Cette résignation n’a jamais été explicitée, les populations n’ont pas été consultées, surtout celles qui en seront et en sont déjà les victimes.

Quel déclin ?
Aude
https://blog.ecologie-politique.eu/post/Quel-declin

Quand j’étais enfant, la France était la quatrième puissance mondiale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Faut-il s’en chagriner ? La petite place qu’elle occupe sur un planisphère et sa démographie justifient qu’elle ne soit pas une grande puissance. Ce qui est plus inquiétant, c’est la perte de ses capacités de production et sa dépendance toujours accrue à celles de pays concurrents, nous le verrons plus tard. C’est aussi la paupérisation de ses habitant·es, appauvri·es par une conjonction de facteurs.

Paupérisation générale

Si des Français·es caracolent en tête des classements mondiaux des plus grosses fortunes, en France le sentiment d’un déclassement et de baisses de revenu se généralise. Il ne tient pas forcément à l’évolution du revenu en tant que tel, même si les 10 % les plus pauvres se sont appauvri·es depuis 2008 pendant que le revenu médian augmentait. La paupérisation plus globale que nous ressentons est liée à l’augmentation de certaines dépenses ainsi qu’à la baisse de ressources mises en commun. L’inflation actuelle, tirée par les coûts de l’énergie et les produits agricoles, marque les esprits mais les dépenses de loyer et les difficultés d’accès à la propriété n’ont cessé de croître depuis plus de vingt-cinq ans par manque de régulation des loyers et financiarisation du secteur immobilier.

La part socialisée du salaire ne cesse de baisser. Depuis un an pas moins de deux réformes (sans compter les nombreuses précédentes) ont souhaité mettre à mal les droits au chômage et à la retraite. Or ce sont bien des rémunérations indirectes, dont sont privées les personnes qui les ont gagnées pour que d’autres puissent se voir exonérés de cotisations sociales.

Une autre part des richesses que nous produisons contribue à nos services publics. Sous-financés, moins efficaces ou moins accessibles, leur état dégrade nos vies et engage des dépenses individualisées. Cette logique d’austérité fait des ravages dans tous les secteurs. Dans le domaine des transports, les fermetures de lignes de train ne laissent pas d’alternative, ou alors une alternative bien moins rapide et moins confortable à la voiture individuelle. En région parisienne, le sous-financement chronique du réseau explique les nombreuses pannes qui émaillent la vie des usagèr·es et font croître depuis des décennies le temps de transport, l’incertitude et l’inconfort. Nos vies quotidiennes se dégradent et, même sans cette considération pour nous et notre confort, cette situation impacte la capacité des gens à simplement aller travailler.

Le droit à l’éducation supérieure pour les bachelièr·es, bien que constitutionnellement garanti, n’est plus effectif et la qualité de l’éducation secondaire se dégrade faute de moyens. Les enseignant·es sont déclassé·es et la perte en quarante ans de la moitié de la rémunération engage celles et ceux qui le peuvent à quitter ou éviter la profession. Et c’est dans le domaine de la santé que la situation est la plus poignante. Un sous-investissement de plusieurs décennies dans les études médicales ont étendu les zones dans lesquelles l’accès aux soins est entravé. Jadis campagnes reculées, les déserts médicaux sont aujourd’hui des grandes villes : au Mans il est impossible de prendre un rendez-vous pour une carie, à Nantes l’accès à un médecin traitant n’est plus garanti. Dans quel monde faut-il vivre avec une douleur dentaire déchirante ? Dans le nôtre. Les étudiant·es qui n’ont pas eu le courage de faire médecine, celles et ceux qui ont échoué en première année sont-ils et elles trop bêtes, la France est-elle peuplée d’imbéciles incapables de faire des études médicales ? A-t-elle moins de ressources que la Roumanie par exemple, dont elle attire les médecins, pour former ses propres soignant·es ? Quant à l’hôpital, il est étranglé par des logiques financières et beaucoup a été dit sur son délabrement, pré-Covid et depuis. Notre société, qui a tous les moyens de bien soigner, refuse de les dédier à cela.

« Souveraineté » partout, souveraineté nulle part

Il n’est question que de souveraineté dans les discours politiques, particulièrement à droite et à l’extrême droite. En agriculture par exemple, les bénéfices de la balance commerciale de la France s’érodent peu à peu. Le journaliste Marc Endeweld note que la France exporte des pommes de terres et importe des chips.

Les quintaux de céréales ne compensent pas les importations de fruits et légumes (nous ne produisons plus que la moitié de ce que nous consommons). Les plaintes d’un récent rapport sénatorial, en voie d’être traduit en loi ce printemps malgré ou en raison de ses outrances, font état de trop de contraintes pesant sur le monde agricole. Le travail y est trop rémunéré selon les sénateurs (voir notre point précédent pour une réponse) et les instruments de protection du milieu et de la santé humaine impactent trop les coûts de production. Or la France est le troisième pays le plus permissif de l’Union européenne en matière d’utilisation de pesticides et les aspirations du plus grand nombre vont plutôt vers une agriculture de qualité, qui contribue aux économies locales, respecte la santé humaine et le bien-être animal.

40 % d’entre nous n’ont pas les moyens économiques de choisir leur nourriture mais nos déclinistes de droite, pour qui nos vies importent peu, ne proposent rien d’autre qu’un cercle vicieux de paupérisation, prenant acte de celle des consommateurs·rices pour appauvrir les travailleurs·ses et ainsi de suite, sans considération non plus pour notre capacité nourricière envisagée sur le temps long. Ils oublient étrangement un des paramètres de l’équation, l’énergie très chère et importée nécessaire à notre « puissance agricole ». Une puissance aux pieds d’argile, qui s’adapte mal au changement climatique (1) et n’imagine ni l’impact écologique ni la faible disponibilité des ressources matérielles nécessaires pour l’agriculture connectée, seule perspective « écologique » des classes qui dominent le secteur agricole. Pendant ce temps, les acteurs qui pensent la transition écologique reçoivent des miettes de subventions, ce qui ne les empêche pas de se demander comment concilier les coûts de production plus élevés de leurs modes de production et les budgets très contraints des ménages. Serait-ce par une meilleure prise en compte des coûts cachés de l’agriculture sur la santé humaine et sur les écosystèmes ? Ou par la socialisation de budgets alimentaires ?

On entend plus rarement ces déclinistes, qui souhaitent manger français, croyant peut-être défendre le bon gars agriculteur du coin, s’inquiéter du fait que nous dévorons nos terres agricoles et les artificialisons sans regret, ou que l’agriculture familiale cède peu à peu la place à une agriculture de firme. La terre, encore majoritairement propriété familiale, voit ses prix croître. Elle est de plus en plus difficilement accessible à des personnes qui souhaitent la cultiver et passe peu à peu dans les mains de grosses compagnies, françaises ou étrangères, peu importe. Elles ne seront pas plus attentives aux attentes des mangeurs et mangeuses, auront encore moins de souplesse que les agriculteurs et agricultrices d’aujourd’hui pour s’adapter à un contexte écologique fait de beaucoup d’incertitudes. Pour répondre à tous ces enjeux, il ne suffit pas de se renommer « ministère de la souveraineté alimentaire » (voir ici la définition de cette notion, issue du mouvement paysan).

La souveraineté énergétique fait l’objet des mêmes discours. La droite et l’extrême droite déclinistes ne jurent que par le nucléaire français : des approvisionnements en uranium importé du Canada, de l’Australie ou du Tadjikistan, des centrales sous licence états-unienne (et bientôt italienne), cette souveraineté n’est que de façade. Et pour répondre à nos besoins, toujours plus grands en raison de l’électrification des usages (tout ce qui est électrique est désormais « vert »), le grand programme macronien de construction de réacteurs surdimensionnés fait piètre figure, n’étant pas financé comme le premier programme le fut dans les années 1970 et 1980. Les gisements les plus importants sont bien dans les économies d’énergie et la sobriété mais ils ont le tort de ne pas servir d’intérêts puissant. Le nucléaire, facteur d’indépendance de la France et premier outil de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, est plutôt victime du changement climatique et des sécheresses, ainsi que des politiques néolibérales qui rendent impossible toute planification de l’activité économique. Si je tenais aux capacités de production nucléaire françaises, je m’inquiéterais.

De l’argent, il y en a…

La désindustrialisation de la France est désormais flagrante, au point que c’est avec Malte et le Luxembourg (tourisme et banques) un des pays d’Europe les moins en capacité de produire les biens dont il a besoin. On a vu pendant la crise sanitaire de grands discours sur le danger d’être si dépendant·es des chaînes logistiques et de savoir-faire aussi éloignés mais les subsides de l’État, censés soigner ce mal, ne s’accompagnaient d’aucune obligation de production. Et au lieu d’assurer des marchés aux entreprises qui se proposaient de produire, au lieu (rêvons un peu) de se poser la question de ce dont nous avons besoin et de la mettre en balance avec l’impact écologique de cette production, on les a toutes arrosées sans distinction. Chaque épisode de désindustrialisation-réindustrialisation ne montre qu’une chose : une industrie sous perfusion, des entreprises mercenaires qui prennent les subsides puis s’en vont.

La France est-elle un pays si hostile aux entreprises, comme le dit le récit libéral, qu’il faille subventionner à tour de bras celles qui daignent s’installer chez nous tant qu’elles sont grassement rémunérées ? C’est le récit souvent servi par les élites économiques mais que l’on creuse un peu et l’on apprend que le plus grand défaut du pays au regard des entreprises étrangères qui souhaitent s’y installer, ce n’est pas un taux d’imposition élevé mais des politiques économiques très instables, qui rendent difficile de se projeter à long terme et de faire des projections à quelques années.

Pré-Covid, les aides publiques aux entreprises s’élevaient à environ 157 milliards d’euros en 2019, sous prétexte de compétitivité, d’emploi, d’investissement ou d’innovation, et quand bien même les résultats ne seraient pas au rendez-vous, comme on le constate depuis la mise en œuvre du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.

L’emploi a bon dos. Dès que se profile un début de plein emploi, soit une situation dans laquelle une armée de chômeurs·ses n’attend pas à chaque porte et où il faut prendre la peine de recruter, patrons et ministres poussent des cris d’orfraie. Même logique en matière d’écologie comme de social : il fallait produire pour créer des emplois manquants, à n’importe quel coût. Ces politiques de prédation organisée de nos richesses collectives, de dégradation du milieu, de dégradation des conditions de travail et de sa rémunération étaient justifiées par le chômage mais qui aujourd’hui croit encore qu’elles étaient faites pour nos besoins ? Les moindres désagréments des recruteurs commandent une réforme violente du chômage et le service du travail obligatoire pour les personnes au RSA.

C’est un tableau bien connu que celui du néolibéralisme : l’État est en apparence hostile à ses interventions et bien décidé à se priver de beaucoup de ressources, il sait néanmoins distribuer avec largesse celles sur lesquelles il a la main. Comment ne pas y voir une politique de classe, simplement dictée par l’avidité des plus riches qui en profitent ? Les études des organismes internationaux (OCDE, FMI, Banque mondiale) se succèdent pour récuser la pertinence de ces politiques mais elles demeurent, privées d’appui théorique mais toujours soutenues politiquement, y compris par les dits organismes internationaux. La farce française est à peine différente de celle qui se joue dans des pays aux caractéristiques parfois bien différentes, chacun se plaignant de son propre déclin et cherchant des boucs émissaires pour le conjurer.

La diversion fascisante

Pourquoi, comment ces politiques néolibérales tiennent-elles encore, alors qu’elles ont aussi perdu tout soutien démocratique ? D’abord nos sociétés n’ont pas de caractère bien démocratiques. Et partout dans le monde, les crispations ethniques ou religieuses permettent d’éluder le problème aux yeux des masses en trouvant d’heureuses diversions. Partout, de pays pauvres où le niveau d’éducation est très faible jusqu’à la Scandinavie, l’extrême droite accède au pouvoir en ne proposant rien d’autre que des boucs émissaires (populations d’origine étrangère et/ou pauvres qui se comporteraient mal, qu’importe). La France n’est pas de reste avec sa religion de la laïcité et un président qui instrumentalise le fascisme, se faisant tantôt rempart contre l’extrême droite et tantôt la banalisant en la renvoyant dos à dos avec la social-démocratie. C’est un drôle de jeu que joue Macron mais depuis les débuts de son mandat il est possible d’y voir nombre de convergences avec les régimes illibéraux.

La logique du bouc émissaire marche bien et les musulman·es (ou personnes supposées telles) en savent quelque chose. Leur adhésion bien réelle aux « valeurs de la République » ne change rien aux traitements que leur infligent la dite République, ils et elles continuent de nous donner des leçons d’universalisme. Le macronisme, et avant lui d’autres idéologies françaises rances, sont gourmandes de clivages artificiels pour faire oublier leur politique de classe. Après l’éco-terroriste, qui sera le prochain bouc émissaire ?

Autant ces gouvernants sont faibles démocratiquement et peinent à rassembler, autant ils s’acharnent à cliver la société pour qu’elle soit incapable de leur tenir tête. Et quand ça ne suffit pas, il leur reste la force. La police est équipée comme une armée, sauf que l’ennemi, c’est nous. L’État, lui, ne décline pas, il se renforce et se prépare à une gestion militaire de conflits qui devraient être assumés politiquement. Le « processus de décivilisation » dénoncé par Emmanuel Macron et dans lequel chaque Dupont-Lajoie est invité à reconnaître l’objet de ses hantises minuscules, c’est plutôt cette perte de capacité à proposer un destin collectif, la mise en commun de ressources, la protection des plus faibles et le choix de la défense de nos vies, de nos lieux de vie, contre les intérêts des plus riches.

(1) Appeler les bassines de la mal-adaptation aux nouvelles conditions climatiques, c’est leur faire encore trop d’honneur. Ce sont des dispositifs d’évitement de l’interdiction du prélèvement d’eau en été, comme il existe des dispositifs d’évitement du paiement de l’impôt, soit des illégalismes légaux.

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Jérôme Baschet : « La première violence est celle d’un système qui expose les êtres vivants au chaos climatique »
Barnabé Binctin
https://basta.media/jerome-baschet-entretien-la-premiere-violence-est-celle-d-un-systeme-qui-expose-les-etres-vivants-au-chaos-climatique-soulevements-de-la-terre

Alors que les Soulèvements de la Terre multiplient les actions, et les soutiens, et qu’une menace de dissolution plane sur le mouvement, on prend le temps d’une réflexion de fond avec l’historien Jérôme Baschet sur le devoir d’insubordination.

« L’urgence vitale face au désastre ranime une impérieuse nécessité : celle de se battre pour d’autres mondes. » C’est ainsi que la quarantaine d’auteurs du livre collectif On ne dissout pas un soulèvement (Seuil, 2023) résume en introduction la démarche des Soulèvements de la Terre. Alors qu’une nouvelle mobilisation se profile ce week-end (17 et 18 juin), dans la vallée de la Maurienne, en opposition au projet ferroviaire du Lyon-Turin, le mouvement reste plus que jamais dans le collimateur de la répression gouvernementale. Sans que cela entame la détermination de la centaine de milliers de soutiens qui ont signé la déclaration commune en réponse à la menace de dissolution brandie par Gérald Darmanin, au printemps. Nous avons voulu discuter de tout cela avec Jérôme Baschet, l’une des voix de ce livre collectif.

Jérôme Baschet  (Historien, coprésident de l’Association pour la défense des terres (qui soutient financièrement le mouvement des Soulèvements de la Terre). Il a publié en 2021 à La Découverte le livre Basculements et fait partie des auteurs du livre collectif On ne dissout pas un Soulèvement (Seuil, juin 2023)).

basta!  : Comment réagissez-vous à la vague d’interpellations qui a frappé plusieurs militants écologistes, le 5 juin, soupçonnés d’avoir participé à une action contre le cimentier Lafarge ? Avons-nous franchi un cap supplémentaire dans la criminalisation des mouvements écologistes ?

Jérôme Baschet : Disons que les faits s’accumulent. La manifestation du 25 mars à Sainte-Soline a fait face à une violence policière extrême : 5000 grenades tirées en deux heures, avec des personnes mutilées et des blessés graves, tout cela pour défendre un simple « trou », où il n’y avait rien qui puisse être dégradé, pas même des bâches en plastique. Ensuite, il y a eu la menace de dissolution des Soulèvements de la Terre, brandie par Gérald Darmanin. On assiste aussi à un usage totalement inapproprié, et irresponsable, du terme d’« écoterrorisme », dont le pouvoir abuse comme d’une étiquette infamante pour tenter de discréditer le mouvement.

Cela relève clairement d’une propension à criminaliser la contestation sociale, comme on le voit aussi avec la vague d’arrestations coordonnées, au niveau national, ce lundi 5 juin, ou encore contre des militants antifascistes italiens venus participer à un hommage à Clément Méric. Donc, oui, l’actuel gouvernement semble prêt à franchir de nouveaux seuils.

Faut-il s’attendre à un durcissement de l’affrontement entre les luttes écologistes et le pouvoir ?

Cela me semble clair, et ce pour une raison simple : les effets du dérèglement climatique sont déjà dramatiques, et nous n’en sommes pourtant qu’au début. En 2040, dans tous les scénarios du Giec, la température globale moyenne aura augmenté de 1,5° ou 1,6° par rapport à l’ère préindustrielle, contre 1,2° de hausse aujourd’hui. Cela signifie plus de 2° d’augmentation dans un pays comme la France, sans parler des +4° à l’horizon 2100 sur lesquels même le gouvernement table désormais. Cela peut paraître abstrait, mais nous connaissons désormais toutes les dimensions éminemment concrètes qu’impliquent de tels chiffres : dans 15 ans, les tempêtes et les inondations, comme les sécheresses et les mégafeux, déjà insupportables, auront été démultipliés par rapport à ce que l’on connaît déjà, avec des conséquences de tous ordres et notamment des conflits de plus en plus virulents sur l’usage de l’eau.

Pour de multiples raisons, les difficultés de l’actuel système économique s’accentueront, de même que les critiques à son encontre et le besoin vital d’un changement profond. Cela ne concerne pas seulement la crise climatique et écologique. Si l’on veut prendre la mesure de l’inquiétude des cercles dirigeants mondiaux, il suffit de lire les nombreux rapports préparés par diverses institutions systémiques, comme « L’âge du désordre » (Deutsche Bank) en septembre 2020 ou le rapport sur les risques globaux de Davos 2023.

Ils anticipent des difficultés à maintenir la croissance mondiale, à garantir une rentabilité du capital aussi favorable que durant l’âge d’or de la mondialisation néolibérale, à faire face à une perte de légitimité des régimes représentatifs et à contrôler une colère sociale de plus en plus ample et imprévisible. Face à un système dont les facteurs de crise s’accumulent, on peut comprendre que les cercles dirigeants mondiaux misent sur le renforcement massif des techniques de contrôle et se préparent méthodiquement à un recours de plus en plus brutal à la répression pour assurer la défense de leurs intérêts.

Dans le cas des Soulèvements de la Terre, cela ne traduit-il pas également une certaine inquiétude vis-à-vis de la portée du mouvement ? Une note du service central du renseignement territorial le présentait comme « un acteur majeur de la contestation écologique radicale »

Cette note fait un éloge paradoxal des Soulèvements de la Terre, en lui reconnaissant également une grande « inventivité », un « fort rayonnement » et une remarquable capacité d’organisation. Malgré ce bel effort de lucidité, la vision policière du monde n’en bute pas moins sur d’évidentes limites. Elle projette notamment sur le mouvement une structuration hiérarchique, ne pouvant s’empêcher de fantasmer quelques chefs et une cellule centrale qui embrigaderaient une frange de la jeunesse au service de ses intentions occultes et malveillantes. Selon le rédacteur de la note, les enjeux écologiques ne sauraient être qu’un prétexte à des agissements dont la violence et la destruction seraient la véritable raison d’être. Cela conduit à ne rien comprendre à la logique du mouvement, puisque c’est au contraire de là qu’il faut partir, de cette révolte face à la dévastation du monde.

Ce qui est sûr, c’est qu’en deux ans et demi d’existence, les Soulèvements de la Terre ont réussi à créer une dynamique remarquable, dont la lutte contre les mégabassines a été l’un des principaux points de cristallisation. Je vois au moins trois caractéristiques du mouvement qui peuvent concourir à sa réussite : d’abord, il s’inscrit dans la continuité des luttes territoriales contre les grands projets destructeurs, par exemple avec les mobilisations contre l’autoroute Toulouse-Castres, contre le contournement de Rouen, ou contre la ligne à grande vitesse Lyon-Turin. Mais les Soulèvements de la Terre ajoutent un maillage de toutes ces luttes à l’échelle nationale, ce qui permet d’en renforcer l’écho et d’apporter à chacune un soutien plus large.

Le souci d’un ancrage territorial des luttes est déjà fort de plusieurs décennies d’expérience, mais les Soulèvements témoignent d’une nouvelle étape qui entend surmonter un trop grand morcellement des forces. Le mouvement assume un besoin d’organisation et de coordination à une échelle plus ample, sans rien perdre de la singularité des expériences locales. Il transforme aussi la temporalité de ces luttes, en structurant les actions en saisons successives, annoncées tous les six mois, ce qui permet de contrecarrer les tendances « immédiatistes » de l’époque pour mieux s’inscrire dans la durée, avec des effets cumulatifs remarquables.

Ensuite, les Soulèvements de la Terre déploient un travail de composition permettant de lier des milieux et des formes de lutte différentes, issus par exemple de l’activisme du mouvement climat, des luttes contre les grands projets, du syndicalisme paysan ou encore des courants autonomes. La jonction avec la Confédération paysanne est particulièrement importante, et l’une des forces des Soulèvements de la Terre est de lier les luttes territoriales à la question foncière, avec le souci d’un mouvement concret de reprise des terres pour les arracher aux grandes exploitations agro-industrielles et favoriser au contraire un véritable essor de l’agriculture paysanne.

Enfin, le troisième élément tient au fait d’assumer des modes d’action plus « offensifs ». Après la vague des grandes marches pour le climat, et alors que le recours à des actions purement symboliques montre ses limites aux yeux d’une partie de la jeunesse, les Soulèvements de la Terre offrent une option plus radicale, en proposant d’agir directement pour bloquer autant que possible l’expansion des infrastructures et activités « écocidaires ».

Ce registre plus « offensif » n’est-il pas justement ce qui prête le flanc à la recrudescence de la répression policière ?

Il faut d’abord souligner que les Soulèvements de la Terre déploient des modes d’action multiples, et non un seul. Ils multiplient les actions à la fois déterminées et festives, comme on a pu le voir, par exemple, lors de la manifestation sur le tracé de l’autoroute contestée entre Toulouse et Castres, avec une course parodique de « bolides », tous plus lents les uns que les autres. Ou encore lors de la mobilisation contre le contournement autoroutier de Rouen, dans la forêt de Bord, avec le cloutage des arbres pour en empêcher l’abattage, ainsi qu’avec la création de mares pour que s’y reproduisent des espèces protégées, ce que le philosophe Antoine Chopot a qualifié de « première action naturaliste de masse ».

Il n’en reste pas moins que le recours à des actes plus offensifs est assumé.

La notion de « désarmement » a alors été mise au point, pour désigner une action visant à rendre inopérante une « arme de destruction massive » comme le béton, qui contribue pour une large part aux émissions de CO2 et à l’artificialisation des sols. Ce terme, plus que celui de « sabotage », a l’avantage de mettre en avant la justification d’un tel geste, qui n’est pas de détruire, mais d’empêcher une destruction.

Ce faisant, il aide aussi à défaire la catégorie « violence », dont le gouvernement et la plupart des médias contribuent à faire un tout homogène qui permet de fâcheux amalgames. La notion de désarmement permet de signifier que la première violence est celle d’un système productif qui expose des milliards d’êtres vivants à des pollutions mortifères et aux multiples conséquences du chaos climatique.

La pratique du désarmement ne peut être dissociée d’une bataille du sens, qui implique de toujours fonder la légitimité des actions menées et de la faire comprendre. Ces actes de désarmement restent largement proportionnés et sont menés à basse intensité, utilisant des outils simples comme des cutters ou des clés à molette – et non, par exemple, des explosifs qui sont plus directement associés à l’imaginaire du sabotage.

Et puis, la supposée « violence » que le gouvernement tente d’imputer aux Soulèvements de la Terre ne vise jamais les personnes, ce qui n’est pas le cas des « activistes » du complexe agro-industriel qui n’hésitent pas à s’en prendre physiquement aux défenseurs de l’environnement, à menacer tel maire de séquestration ou à déboulonner les roues des voitures des journalistes qui mettent en cause leurs pratiques.

Quel est le véritable enjeu de cette lutte, aujourd’hui ?

Il faut repartir, une fois encore, de l’urgence climatique et écologique. La climatologue Valérie Masson-Delmotte, coprésidente du Giec – et qui n’est pas réputée pour être une activiste d’ultragauche – soulignait l’extrême gravité de la situation, lors d’une soirée de soutien aux Soulèvements de la Terre, le 12 avril dernier. « Où est le vrai danger ? » demandait-elle : dans une contestation radicale qui dérange, ou bien dans l’inaction climatique – ce qu’elle a nommé « l’inadéquation des réponses institutionnelles et politiques » ?

Il est clair que l’action des États, sans être inexistante, est complètement insuffisante, ne serait-ce que pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris (2015). Dans une telle situation d’urgence vitale, dès lors que les pouvoirs institués sont incapables de se dissocier des intérêts privés à l’origine de la catastrophe, il devient légitime, et même impérieux d’invoquer un état de nécessité supérieure pour agir.

Il y a un devoir d’inacceptation et d’insubordination. Cela suppose d’assumer la perspective d’une confrontation à la fois plus offensive dans ses modes opératoires, et plus générale dans sa nature même. Il va de soi que l’ennemi n’est pas tel ou tel gouvernant ni tel ou tel ultrariche, mais bien plutôt le réseau des quelques centaines d’entreprises transnationales, banques et fonds d’investissement qui dominent l’économie mondiale. Il n’est pas difficile non plus d’identifier dans le productivisme compulsif du système capitaliste, mû par un impératif d’accumulation illimitée et tenu par une obligation de croissance exponentielle, la cause fondamentale de la catastrophe écologique et climatique.

Le propre de la nouvelle période géologique dans laquelle nous avons basculé, qu’on l’appelle « Anthropocène » ou « Capitalocène », c’est la dégradation accélérée de l’habitabilité de la Terre, qui met en péril de nombreuses espèces vivantes, y compris l’espèce humaine. Une nouvelle ligne de front émerge alors : elle oppose, d’un côté, le monde de l’Économie qui, pour se perpétuer, détruit cette habitabilité, et de l’autre, les forces qui luttent pour que la préservation de celle-ci prime sur les impératifs économiques. Cela ne fait pas disparaître les rapports de classe noués à l’intérieur du régime de production, mais cela met en avant un autre antagonisme majeur, touchant au rapport même à la production.

Vous recensez plusieurs territoires en lutte, catégorisés sous la notion d’ « espaces libérés ». La lutte contre les mégabassines en fait-elle partie ?

Ces « espaces libérés » désignent la multitude de lieux collectifs et de territoires où s’expérimentent d’autres formes de vie, qui tentent de s’extraire des logiques marchandes et étatiques. Ils ne prétendent pas en être entièrement libérés ; mais du moins luttent-ils pour s’arracher à leurs contraintes mortifères et pour esquisser dès maintenant d’autres mondes plus joyeux et plus désirables. Il faut les concevoir moins comme des îlots préservés au milieu de la tempête que comme des espaces de combat. Leur échelle peut être modeste, par exemple s’agissant de lieux associatifs pratiquant l’entraide et ébauchant des pratiques du commun, comme dans le cas des cantines de quartier.

Le choix courageux des diplômés bifurqueurs ou déserteurs, agronomes, informaticiens ou autres, peut également être considéré comme une amorce d’espace libéré.

Tout ce qui permet de nous « décapitaliser », c’est-à-dire de défaire en nous l’emprise des manières de vivre et des subjectivités façonnées par le monde de l’économie, est bon à prendre. Ces espaces libérés peuvent aussi prendre des dimensions plus conséquentes, comme à la Zad de Notre-Dame-des-Landes, au quartier libre des Lentillères, à Dijon, avec des expériences coopératives comme celle de Longo Maï ou, plus nettement encore, avec l’autonomie zapatiste

Pour autant, dans le cas de la lutte contre les mégabassines, je ne suis pas sûr qu’il s’agisse de créer de nouveaux espaces libérés – même si toute mobilisation collective crée aussi de nouvelles relations entre les personnes, comme ce fut le cas sur les ronds-points des Gilets jaunes. Il n’a jamais été question de créer une Zad à Sainte-Soline, contrairement aux affirmations de Gérald Darmanin, qui n’a brandi cette supposée « menace » que pour fanfaronner qu’il en avait empêché la réalisation. Je dirais plutôt que la lutte contre les mégabassines, comme les autres mobilisations des Soulèvements de la Terre, relève d’une stratégie de blocage, puisqu’il s’agit d’entraver matériellement l’expansion des infrastructures et la croissance continue de la production.

La proposition stratégique que j’ai développée dans Basculements suppose la combinaison de ces deux registres d’actions, avec d’une part une dynamique continue d’affirmation des espaces libérés, et d’autre part, l’intensification de la conflictualité tendant à un blocage généralisé de l’économie.

Les formes de blocage gagneraient d’ailleurs à être envisagées dans toutes leurs modalités possibles : blocage de la production par la grève, interruption des flux de circulation, entrave aux grands projets d’infrastructure et désarmement des installations productives, mais aussi blocage de la reproduction – avec la grève scolaire ou avec les ingénieurs bifurqueurs qui ne veulent plus collaborer à la « reproduction » du monde de la destruction. Mais il ne s’agit certainement pas d’opposer les deux registres d’action. Au contraire, plus on dispose d’espaces libérés, plus peut croître la capacité de blocage ; et plus les blocages s’étendent, plus ils favorisent l’émergence des espaces libérés.

Diriez-vous que les Soulèvements de la Terre participent, d’une certaine façon, à reconfigurer la grande ambition révolutionnaire ?

Le recours au terme « révolution » est en partie piégé et reste toujours sujet à débat. En tout état de cause, il s’agit de donner corps à la possibilité d’un monde postcapitaliste, débarrassé des dominations patriarcales et coloniales. Mais cette perspective d’émancipation ne peut plus être pensée sous sa forme classique, élaborée sur la base des anciennes conceptions de la modernité : la croyance dans le progrès et l’inéluctable essor des forces productives ; l’idée d’une voie historique unique dont le monde occidental serait le modèle et l’avant-garde ; ou encore l’ontologie naturaliste qui dissocie les humains de la nature et les érige en maîtres et possesseurs de ses ressources.

Repenser aujourd’hui une perspective d’émancipation crédible – à la fois non productiviste, non naturaliste, non eurocentrique et probablement non étatique – implique à la fois une profonde critique des expériences historiques, une révolution anthropologique et l’émergence de régimes d’historicité inédits. Cela implique également d’accepter qu’il n’y a pas une seule voie pour sortir du capitaliste, mais qu’il s’agit de construire « un monde où il y ait place pour de nombreux mondes », comme disent les zapatistes.

Les Soulèvements de la Terre me semblent s’inscrire dans cette perspective, comme de nombreux autres mouvements à travers le monde. Le nom même du mouvement met en avant un acteur non humain et, de ce fait, 100 000 personnes ont ainsi clamé ensemble : « Nous sommes la Terre qui se soulève » ! La lutte ne peut plus se concevoir comme seulement humaine. Dans un contexte inédit de dévastation des conditions de vie sur cette planète, c’est la communauté terrestre qui est appelée à se soulever pour empêcher sa destruction, sous les eaux glacées du calcul égoïste ou, plutôt désormais, sous l’effet du souffle brûlant de la quantification marchande.

Klima eta energia legea
Mikel Otero Gabirondo
www.argia.eus/argia-astekaria/2829/klima-eta-energia-legea

Maiatza

Jaurlaritzak trantsizio energetikoan eta larrialdi klimatikoaren aurkako borrokan aitzindaritza aldarrikatzen badu ere, ekintzak ez datoz bat hitzekin. Indarrean dauden klima eta energia estrategiak (Klima 2050 eta 3E2030) Parisko Akordio klimatikoa baino lehen idatzitakoak dira eta helburuak erabat zaharkituta dituzte. Agindutako energiaren arloko lurralde plangintza ez dago indarrean eta nekez onartuko da legealdia amaitu aurretik. Eta Klima Lege baten lehendabiziko (huts egindako) saiakera 2009-2012 legealdian etorri bazen ere, oraindik ez dago ezer onartuta. Beraz, Lakuak larrialdi klimatiko egoeraren deklarazioa 2019. urtean onartu, onartu zuen, baina planifikazio basamortu baten aurrean gaude. Ondorioz, ekologikoki erabakigarriak izaten ari diren urte hauetara marko estrategiko egokirik gabe heldu gara.

Oraingoan, Jaurlaritzak aldaketa klimatikoaren eta trantsizio energetikoaren lege proiektua aurkeztu berri du. Legeen izapidetze malkartsua ezagututa, ikusteko dago zer amaituko den azkarrago; legearen izapidetzea ala legealdia bera. Porrot galanta litzateke. Epeen inguruan kezkak badaude ere, edukiak aztertuta kezkak areagotzen dira. Zehaztugabeko 2050erako neutraltasun klimatiko konpromisoaz aparte, proiektuak ez du erdibideko helburu zehatzik, ez eraginkortasunean, ez CO2 isurietan, ez energia berriztagarrien hedapenean, ez ezertan.

Ez dago energia fosilak alboratzeko bideorririk, ez Energiaren Euskal Erakundearen norabidea zuzentzeko asmorik, ezta berriztagarrietan herritarren jabegoa sustatzeko grinik edo aurrekontuetan begirada klimatiko-energetikoa txertatzeko konpromisorik ere. Dena da derrigortasunik gabeko bolondreskeria. Helbururik gabe eta derrigortasunik gabe, ez dago zehapenik legean. Zertarako behar? Laburbilduz, aurkeztutakoari lege deitzea handi samar geratzen zaio. Astindu ederra beharko du proiektu honek, ez aitzindari izateko, baizik eta beste lege batzuetara hurbiltzeko ere, Nafarroakoa, kasu, non gutxienez helburuak eta bitartekoak ezartzen diren.

Eta ez daukagu denbora galtzeko. Duela gutxi, 2009an identifikatu ziren muga planetarioen errebisio zientifikoa egin duen zientzialari talde mardulak argi hitz egin du. Bederatzi muga planetarioetatik zazpi gainditu ditugu, eta biodibertsitatearen eta klimaren egoera kritikoa da. Bitxiki, bi parametro horiei buelta emateko gako nagusienetarikoa trantsizio energetikoa egitea da, fosilak alboratuta eta berriztagarriak hedatuta. Hel diezaiogun behingoz erronkari.