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Articles du Vendredi : Sélection du 15 mai 2020


Soutien au secteur ferroviaire : le Gouvernement déraille
RAF
https://reseauactionclimat.org/soutien-au-secteur-ferroviaire-le-gouvernement-deraille

En Allemagne, le soutien imminent de 7 milliards d’euros pour sauver la Deutsche Bahn (et avec elle les chemins de fer allemands) n’est pas sans rappeler les récentes annonces françaises en faveur d’Air France.

Pendant ce temps, le Gouvernement français fait effectivement le choix de soutenir une compagnie aérienne sans lui imposer de contreparties environnementales et sociales solides mais se refuse toujours à soutenir la SNCF. Cette inégalité de traitement entre secteurs s’illustre aussi dans l’application différenciée des mesures sanitaires et laisse planer le doute quant à la volonté du Gouvernement d’opérer une réelle transition écologique dans le secteur des transports.

Des plans de sauvetage pour l’avion et l’automobile, mais rien pour le train

Plusieurs mesures en faveur du secteur aérien et du secteur automobile ont été annoncées ces dernières semaines. Alors que de nouvelles annonces sont attendues, le Gouvernement se refuse toujours à évoquer des mesures similaires en faveur de la SNCF. Pourtant, le groupe qui a largement démontré son rôle vital pendant la crise, pour les marchandises comme pour le transfert de malades, est lui lourdement touché. Le 3 mai dernier, le PDG de la SNCF Jean-Pierre Farandou évoquait des pertes à hauteur de deux milliards d’euros.

Au contraire, et plutôt que de soutenir le secteur ferroviaire, essentiel pour faire face au défi climatique, le Secrétaire d’État aux transports Jean-Baptiste Djebbari évoquait à la mi-avril de potentiels reports des travaux prévus sur le réseau ferroviaire, pourtant indispensables. De plus, les annonces du Gouvernement sur le report modal de l’avion vers le train restent floues et insuffisantes et n’ont pour le moment pas été mises en œuvre. De même que le renforcement des connexions intermodales pour la desserte des hubs aéroportuaires qui n’a pas été abordé.

Une inégalité de traitement financière mais aussi sanitaire

Les récentes déclarations concernant une exemption des mesures de distanciation physique dans les avions illustrent une différence de traitement d’autant plus incompréhensible qu’elle se fait au détriment de la sécurité sanitaire des passagers et semble aller à l’encontre de l’article 1er du décret n° 2020-545 du 11 mai 2020(1) qui précise que “la distanciation physique d’au moins un mètre entre deux personnes […] [doit être observée] en tout lieu et en toute circonstance”. Car si un avion n’est rentable qu’avec un taux de remplissage minimum de 75 %, un TGV ne l’est lui aussi qu’à partir de 60 %. Pourtant la SNCF appliquera bien les règles de distanciation physique pour garantir la sécurité de ses voyageurs, avec un taux de remplissage de ses trains de moins de 50 %.

Un enjeu de justice sociale …

Les seules mesures de soutien annoncées jusqu’à lors sont en faveur du secteur aérien et du marché automobile neuf. Or prendre l’avion ou s’acheter une voiture neuve ne répond aux besoins que d’une minorité de Français. Au contraire, soutenir le ferroviaire, mais aussi les transports en commun, c’est soutenir des transports qui profitent au plus grand nombre.

Et de transition écologique

À l’image des mesures prises en faveur du vélo, qu’il faudra confirmer, cette sortie de crise appelle à réorienter les investissements en faveur de la transition écologique. Sans soutien de la part de l’Etat, la crise financière que traverse la SNCF risque d’accentuer la dégradation d’un réseau ferroviaire déjà mal en point(2). Les trains sont pourtant un allié essentiel pour le climat et la qualité de l’air. En moyenne, un déplacement en train émet au moins 10 fois moins de CO2 que le même trajet en voiture et jusqu’à 50 fois moins de CO2 que l’avion. À l’instar des propositions faites par la Convention Citoyenne pour le Climat, il est urgent de soutenir le train et d’engager un grand plan d’investissement dans les infrastructures ferroviaires, pour une mobilité plus propre, plus inclusive et pour la transition écologique.

 

Notes

(1)Décret n° 2020-545 du 11 mai 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l’épidémie de covid-19 dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire.

(2)Dans son rapport de février 2020, le préfet F. Philizot estimait que 40% du réseau de petites lignes étaient menacés de fermeture faute d’investissements massifs dans les prochaines années.

Climat : gare à la relance économique « grise »
Editorial du « Monde »
www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/28/climat-gare-a-la-relance-economique-grise_6037996_3232.html

Editorial. La mobilisation massive pour sortir de la crise actuelle ne doit pas, comme après celle de 2008, se faire au détriment de la transition écologique. La France doit au contraire renforcer ses ambitions climatiques.

La pandémie due au Covid-19 n’a pas stoppé le changement climatique, mais elle a fait chuter de manière spectaculaire les émissions de CO2. La baisse pourrait ainsi atteindre 5,5 % au niveau mondial en 2020. S’il n’est pas question de provoquer un arrêt brutal de l’activité identique à celui que nous vivons pour atteindre la trajectoire de l’accord de Paris sur le climat, cette crise donne la mesure des efforts qui restent à accomplir. Les rejets carbonés devront baisser plus encore afin d’atteindre les objectifs prévus. Comme l’a souligné le Haut Conseil pour le climat, la crise sanitaire est riche d’enseignements pour faire face à ce défi.

Dès lors, la France ne doit pas se contenter d’un pilotage à courte vue. La crise économique qui vient promet d’être l’une des plus violentes depuis la seconde guerre mondiale. Les Etats s’apprêtent à y répondre en mobilisant des ressources massives, avec des plans de relance colossaux. Si répondre à l’urgence économique et sociale est vital, cette relance ne peut se faire sans boussole.

Tenter de remettre l’économie sur pied sans tenir compte de la trajectoire climatique serait faire preuve d’une myopie dangereuse. La baisse spectaculaire des prix du pétrole, qui se sont effondrés en même temps que l’activité mondiale, pourrait rendre tentante l’idée d’une relance « grise », qui s’appuierait fortement sur des énergies fossiles temporairement bon marché.

Des solutions matures

Ce scénario a déjà eu lieu : après la crise financière de 2008, la mobilisation des Etats a permis de relancer tant bien que mal la machine économique, mais elle a aussi fait monter en flèche les émissions de CO2. La priorité consistait à retrouver coûte que coûte le rythme de croissance d’avant la crise, sans trop se préoccuper des enjeux environnementaux.

Il n’est plus possible de reproduire la même erreur. En dix ans, le paysage politique et économique a changé. Les dirigeants savent qu’ils ne peuvent plus faire l’impasse sur la lutte contre le réchauffement climatique, alors qu’ils se trouvent de plus en plus sous la pression des opinions publiques, pour qui l’environnement est l’une des principales préoccupations. Les technologies d’efficacité énergétique, les moyens déployés pour une mobilité durable et la production d’énergies renouvelables ont fait des progrès spectaculaires. Il s’agit de solutions matures, de plus en plus compétitives.

Cette année, la France et l’Union européenne se sont engagées à un objectif de « neutralité carbone » en 2050, sans détailler à ce stade de manière convaincante le chemin à suivre. La France doit se servir de cette crise pour renforcer ses ambitions climatiques, tout en créant des emplois et en relançant l’activité économique.

Pour faire face à ce défi immense, elle doit se doter d’outils de planification économique et écologique qui lui font cruellement défaut. Elle peut aussi construire un front commun au sein de l’Union pour faire de cette relance verte un outil qui renforce le projet européen.

Pour l’heure, la prise de conscience des enjeux climatiques est plus que timide dans les plans d’urgence engagés par le gouvernement. La prochaine séquence, celle de la relance, doit impérativement mettre l’environnement au cœur des préoccupations. Si nous ne le faisons pas dans ces circonstances, il y a peu de chances d’y arriver une fois que les vieux réflexes auront repris le dessus.

En plein krach, la finance française mise encore sur le pétrole et le gaz de schiste
Alexandre-Reza Kokabi (Reporterre)
https://reporterre.net/En-plein-krach-la-finance-francaise-mise-encore-sur-le-petrole-et-le-gaz-de-schiste

Dans un rapport publié ce mercredi, les Amis de la Terre France et Reclaim Finance mettent à l’index la place financière parisienne, qui investit toujours massivement dans le pétrole et le gaz de schiste nord-américains. Alors que le cours du pétrole est au plus bas et le climat au plus mal, cette stratégie relève d’un « pari » très risqué.

« Les banques et investisseurs français s’entêtent à soutenir massivement l’une des industries les plus sévèrement frappées par la crise, et les plus nocives pour les populations, l’environnement et le climat : les pétrole et gaz de schiste nord-américains. » C’est ce que révèle, ce mercredi 13 mai, le nouveau rapport des Amis de la Terre France et de Reclaim Finance intitulé « La Place financière de Paris au fond du puits : le pari perdant des banques et investisseurs français sur le pétrole et gaz de schiste ». Les deux ONG appellent à l’arrêt des soutiens financiers publics et privés à ce secteur. Elles dévoilent ces données alors que les grands groupes financiers français débutent, ces jours-ci, des assemblées générales annuelles à huis clos.

D’après le rapport « La Place financière de Paris au fond du puits », les quatre principales banques françaises, Société générale, Crédit agricole, BNP Paribas et le groupe Banque populaire-Caisse d’épargne (BPCE), ont financé l’industrie du schiste nord-américaine à hauteur de plus de 24 milliards de dollars depuis l’adoption de l’Accord de Paris sur le climat, en décembre 2015 [1] .

« L’année 2019 a même été marquée par un rebond de ces financements, avec 8,7 milliards de dollars accordés durant cette seule année », précisent les ONG. « Nous avons regardé l’ensemble de la chaîne : les banques françaises financent massivement les infrastructures dédiées aux énergies fossiles. Des puits [2], en passant par les pipelines [3], jusqu’aux terminaux d’exportation [4] », résume Lorette Philippot, chargée de campagne « finance privée » aux Amis de la Terre France.

Société générale a financé, à elle seule, le secteur du pétrole pour près de 11 milliards de dollars depuis 2016. La banque française a notamment soutenu des projets d’infrastructures de transport et d’exportation de gaz de schiste en Amérique du Nord, en accordant des financements directs à hauteur de 3,9 milliards de dollars à des projets de gazoducs et de terminaux de gaz liquéfié (GNL) aux États-Unis et au Canada. « C’est plus que toutes ses concurrentes françaises réunies », dit Lorette Philippot et, « plus inquiétant encore, ses soutiens ont augmenté chaque année depuis la COP21, atteignant 1,3 milliard de dollars » en 2019, souligne le rapport.

Les acteurs financiers français misent gros

En moins de quatre ans, Société générale a ainsi abreuvé six gazoducs transportant du gaz de schiste — représentant au total 2.250 kilomètres, l’équivalent de la distance entre Paris et Istanbul — et quatre nouveaux terminaux d’exportation de gaz de schiste aux États-Unis : Corpus Christi, Cove Point LNG, Freeport LNG, Sabine Pass LNG. La banque se distingue aussi « par le fait qu’elle ne se contente pas de financer ces infrastructures gazières : elle conseille souvent leurs promoteurs sur l’ensemble du processus de développement des projets. C’est actuellement le cas pour trois nouveaux terminaux d’exportation de gaz de schiste aux États-Unis et au Canada, en attente de leurs décisions finales d’investissements : Goldboro LNG, Driftwood LNG et Rio Grande LNG », avancent les ONG.

En plus d’en financer les infrastructures, les acteurs financiers français misent gros sur l’avenir et le développement du secteur pétrolier et du gaz de schiste. En mars 2020, ils détenaient 12 milliards de dollars d’investissements [5] dans les 75 entreprises cotées en bourse et prévoyant la plus forte production de gaz et de pétrole de schiste d’ici 2050, à partir de puits aujourd’hui non ouverts. Dix investisseurs français concentrent 96 % des investissements français dans ces entreprises, dont BPCE, Crédit agricole, BNP Paribas, AXA, Société générale et Rothschild & Co, qui sont les six plus gros investisseurs français dans le secteur du gaz et du pétrole de schiste.

La pandémie de Covid-19 et le ralentissement économique planétaire ont provoqué un effondrement de la demande de pétrole : le cours du baril de Brent, la référence internationale, a chuté une première fois, en mars, sous la barre des 25 dollars, contre plus de 65 dollars au 1er janvier 2020. « Les entreprises de l’industrie du schiste, dont le modèle est chancelant depuis des années, ont vu s’effondrer le cours de leurs actions, et la crise a déjà été fatale à certaines d’entre elles, qui ont fait faillite », explique Lorette Philippot. Le 1er avril, Whiting Petroleum était le premier producteur de pétrole et de gaz de schiste à se déclarer en faillite. Les analystes cités dans le rapport évaluent que, « si le pétrole se maintenait à des prix bas, entre 10 et 30 dollars le baril, entre 243 et 1.167 entreprises du secteur pourraient faire de même d’ici 2021 aux États-Unis ».

« Cette tendance révèle au grand jour le pari hautement risqué fait depuis des années par les banques et les investisseurs français en soutenant l’industrie du schiste, et pourrait les mettre face à d’importantes pertes financières et dettes impayées », dit Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance.

Pourtant, face à la crise, si Crédit agricole, BNP Paribas et Société générale « se sont empressés de vendre une part de leurs actions », BPCE, AXA et Rothschild & Co « ont eu la réaction inverse en achetant des millions d’actions entre le 1er janvier et le 20 mars 2020, et semblent profiter de la crise pour enchérir leurs investissements et parier sur une remise sur pied du secteur », observe-t-elle.

Crédit agricole, BNP Paribas et Société générale ont vendu plus de 11 millions d’actions détenues dans les 100 plus grosses entreprises du secteur et 14,7 millions d’actions détenues dans les 75 plus gros développeurs du secteur entre janvier et mars 2020, précise le rapport. BPCE, AXA et Rothschild & Co ont acheté 5,6 millions des premières et plus de 7 millions des deuxièmes. Leur achat d’actions n’a pas empêché la valeur totale de leurs investissements de chuter et on peut donc questionner les raisons derrière leur rachat massif d’actions dans des entreprises pour certaines au bord de la faillite. Il pourrait viser à contrer les mouvements à la baisse des cours afin de sauver ce qui peut l’être. Mais cela pourrait aussi être un pari sur la remontée de la valeur des actions des entreprises aujourd’hui en déroute mais qui demain peuvent être sauvées par les plans de relance américains, notamment via la Réserve fédérale américaine. Rothschild & Co profite en outre très directement de la crise en conseillant les entreprises en plein naufrage, comme Chesapeake sur la restructuration de sa dette. »

« L’industrie du schiste est déjà à l’origine de ravages environnementaux et sanitaires irréversibles en Amérique du Nord »

« 85 % des prévisions de développement des énergies fossiles reposent dans le pétrole et gaz de schistes… Les agissements de BPCE, AXA et Rothschild pourraient réduire à néant les efforts entrepris dans la lutte contre le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité », dit Lucie Pinson, qui rappelle que « l’industrie du schiste est déjà à l’origine de ravages environnementaux et sanitaires irréversibles en Amérique du Nord, et sa croissance menace à elle seule le respect des limites fixées par l’Accord de Paris sur le climat ».

L’exploitation du pétrole et du gaz de schiste exige le recours à la fracturation hydraulique, technique d’extraction nocive pour les écosystèmes et émettrice de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Si cette technique est interdite en France depuis 2011, ce n’est pas le cas de la consommation de l’énergie qui en est issue. « Au moment où cette industrie paraît au bord de la faillite et où l’urgence climatique exige une action immédiate, il serait complètement irresponsable que la finance française continue à miser sur son sauvetage et la reprise de son développement sauvage. Les acteurs financiers publics comme privés doivent au contraire reconnaître que ce secteur n’a pas sa place dans le monde d’après », estime Lorette Philippot. Les Amis de la Terre France et de Reclaim Finance enjoignent donc à la finance publique et privée de mettre en œuvre « une politique de tolérance zéro vis-à-vis des pétrole et gaz de schiste ». « Cela ne se fera pas tout seul et le gouvernement devra les contraindre à mettre un terme à leurs soutiens à ce secteur, affirme Lucie Pinson. L’État doit aussi refuser de soutenir les entreprises françaises actives dans cette industrie, en l’absence de plan de transformation de leurs activités pour sortir des énergies fossiles. »

 

Pour une relance écologique du secteur culturel
Emmanuel Tibloux directeur de l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs
www.liberation.fr/debats/2020/05/13/pour-une-relance-ecologique-du-secteur-culturel_1788171

Comme les autres secteurs industriels, la culture, avec l’explosion du streaming, du jeu vidéo et des superproductions, est un acteur non négligeable de la dégradation de l’environnement. Il est temps qu’elle renoue avec son origine qui implique habitabilité et soin.

Tribune. A chaque moment décisif de la vie politique de notre pays, des voix s’élèvent pour défendre la culture. Le moment présent ne déroge pas à la règle. Au contraire : inédit et considérable dans sa forme comme dans sa portée, il donne lieu à une avalanche de plaidoyers et d’appels à un plan de relance ou une nouvelle donne – le fameux New Deal des années 30. L’ampleur de la réaction s’explique aisément : fondée pour une large part sur la sortie, le rassemblement et la mobilité, notre vie culturelle a été stoppée net par la crise sanitaire, entraînant la mise à l’arrêt de tout le secteur professionnel qui, de la création à la diffusion en passant par l’interprétation et la médiation, donne forme à cette vie.

S’il faut évidemment soutenir et relancer un secteur essentiel – et veiller à n’omettre aucune catégorie – reste à nous accorder sur le sens et l’ambition de la relance. Dans ce moment de suspension, qui nous donne une occasion unique de questionner nos modèles et nos formes de vie, nous aurions tort de ne pas inclure la culture dans la réflexion.

La culture fait en effet partie du régime même de la production, de la distribution et de la consommation qui doit aujourd’hui être réinterrogé. Le problème avec son industrialisation n’est pas seulement la standardisation de l’imaginaire (Adorno et Horkheimer) et le laminage de la subjectivité (Guattari), c’est aussi celui que pose désormais l’industrie en général.

Pollution de la vidéo en ligne

Comme les autres secteurs industriels, la culture a connu ces dernières décennies, sous l’effet conjugué de la révolution numérique, de la mondialisation et de l’accroissement exponentiel des échelles et des volumes, de grandes mutations qui accentuent considérablement son impact environnemental. Avec la multiplication des foires, des festivals, des biennales internationales et l’essor du tourisme afférent, avec l’explosion du streaming, du jeu vidéo et des superproductions de tous ordres, le secteur culturel est devenu un acteur non négligeable de la dégradation de notre environnement. Ainsi la vidéo en ligne polluerait-elle autant qu’un pays comme l’Espagne, tandis que l’empreinte carbone du jeu vidéo ne cesse de s’intensifier en raison non seulement du nombre croissant de joueurs, mais aussi des évolutions technologiques, qui conduisent à tout augmenter, de la taille de l’écran à la complexité graphique du jeu en passant par la définition de l’image.

A l’échelle de la planète, du fait de son faible poids démographique et de la spécificité de son histoire culturelle, la France ne joue certes qu’un rôle secondaire dans cette dégradation. Il reste que celui-ci n’est pas négligeable en termes de valeur absolue. Pour le seul secteur de l’audiovisuel, qui rassemble près de 200 000 salariés, on évaluait par exemple en 2010 le bilan carbone à plus d’un million de tonnes de CO2, soit l’équivalent de 410 000 allers-retours Paris-New York (1). Parce qu’elle a par ailleurs toujours été aux avant-postes en matière de politique culturelle, la France se doit sur un tel sujet d’être exemplaire. Si l’exemplarité passe aujourd’hui par une politique de relance, ce n’est qu’à la condition d’assortir celle-ci d’un volet écologique.

Le monde a en effet changé depuis le New Deal. Face à l’urgence climatique et environnementale, la seule logique de la relance ne suffit plus : c’est au moins un tournant, si ce n’est une rupture, que le temps présent appelle. Où en êtes-vous avec la transition écologique ? Quelle est votre empreinte environnementale ? Avez-vous conscience de celle-ci ? Comment imagineriez-vous la réduire ? Une telle démarche aurait-elle un coût ? Pouvez-vous en estimer le montant ? Entrerait-elle en contradiction avec d’autres valeurs ? Telles sont quelques-unes des questions que, dans le sillage du questionnaire élaboré par Bruno Latour, le moment actuel donne l’occasion unique d’adresser au monde de la culture, à travers un plan de relance qui soit aussi un plan d’infléchissement et non de reconduction à l’identique.

De la «culture de la terre»

Un tel questionnement est d’autant plus fondé qu’il s’articule étroitement à l’origine même de la notion de «culture». Issue du latin cultura, qui vient lui-même de «colère», «habiter, cultiver, pratiquer, soigner, entretenir», la culture est au sens propre et premier agricultura, «culture de la terre». C’est en vertu d’une analogie qu’elle va devenir, avec Cicéron, cultura animi, «culture de l’esprit» : «Un champ, si fertile soit-il, écrit-il dans les Tusculanes, ne peut être productif sans culture – sine cultura –, c’est la même chose pour l’âme sans enseignement – sine doctrina.» Nous sommes loin d’avoir tiré toutes les leçons de cette histoire vieille de deux mille ans, qui nous rappelle que la notion de culture a été inventée dans une relation étroite à la nature, et sur une base lexicale qui implique les notions d’habitabilité, d’entretien et de soin. Le moment est venu de le faire : de mesurer que la culture n’est pas seulement un secteur mais qu’elle est aussi une pratique et une expérience qui modèlent notre milieu de vie – de se souvenir que la culture est originairement une écologie.

(1)Etude menée par le collectif Ecoprod.

Penser l’après : seule la reconversion écologique pourra éviter la déshumanisation du travail
Dominique Méda, Directrice de l’IRISSO – UMR CNRS 7170, Université Paris Dauphine – PSL
The Conversation

www.goodplanet.info/2020/05/11/penser-lapres-seule-la-reconversion-ecologique-pourra-eviter-la-deshumanisation-du-travail

Les chercheuses et les chercheurs qui contribuent chaque jour à alimenter notre média en partageant leurs connaissances et leurs analyses éclairées jouent un rôle de premier plan pendant cette période si particulière. En leur compagnie, commençons à penser la vie post-crise, à nous outiller pour interroger les causes et les effets de la pandémie, et préparons-nous à inventer, ensemble, le monde d’après.

Le risque est grand que la crise sanitaire que nous traversons n’accélère fortement les évolutions en cours dans le monde du travail, sans même que nous puissions prendre le temps d’ouvrir les débats et d’organiser les délibérations pourtant absolument nécessaires.

Premier risque : l’extension, voire la généralisation, du travail à distance. Alors que l’on faisait l’éloge depuis des décennies, du travail relationnel, la peur du contact et la recherche de la distance vont sans nul doute contribuer à restructurer fortement le monde du travail. Deux modalités distinctes sont à prévoir : d’une part, un fort développement du télétravail ; d’autre part, une réorganisation du travail en présentiel visant la diminution des contacts.

Avant la crise sanitaire, le télétravail était peu répandu en France. En 2017, seuls 3 % des salariés déclaraient le pratiquer au moins un jour par semaine, dont plus de 60 % de cadres. Selon une définition large du télétravail, on comptait environ 1,8 million de télétravailleurs en France, soit 7 % des salariés. La crise sanitaire a fait exploser ce chiffre : un quart des salariés était considéré en télétravail à la fin mars 2020, selon l’enquête Acemo spéciale de la Dares.

Interactions insuffisantes

Lors de sa conférence de presse du 19 avril, le premier ministre Édouard Philippe a demandé aux Français de continuer à télétravailler après le 11 mai. Étant donnés l’absence de vaccin et le risque de voir se développer un processus de « stop and go » en matière de confinement/déconfinement, on peut s’attendre à ce que de nombreuses organisations, publiques et privées, revoient assez drastiquement leur organisation pour permettre à un plus grand nombre de salariés d’exercer leur travail à distance de manière durable.

Ces derniers semblaient souhaiter un développement du télétravail avant la crise : en 2015, lorsque le premier ministre Manuel Valls avait annoncé un plan national de déploiement du télétravail, plus de 80 % des personnes interrogées par l’agence Odoxa avaient déclaré être favorables à sa mise en œuvre, 59 % souhaitant elles-mêmes télétravailler et beaucoup considérant la méfiance des employeurs comme la principale raison du faible développement de cette forme de travail.

Mais ne risque-t-on pas de passer sans aucun débat d’un trop faible développement du télétravail à une généralisation qui ne manquera pas d’être très problématique ? Certes, à petite dose, le télétravail comporte – pour ceux qui peuvent le pratiquer – de nombreux avantages. Il permet aux salariés d’effectuer moins de déplacements – ce qui est aussi bon pour le climat – et de gagner du temps et de la concentration. Il peut améliorer la conciliation entre travail et famille dans certains cas.

Mais il comporte aussi de très nombreux inconvénients, devenus plus évidents avec sa diffusion récente. Il prive les salariés de certaines dimensions du travail pourtant essentielles : le contact physique, les échanges informels, les interactions, les expressions du visage sont des éléments constitutifs du travail qui ne peuvent durablement disparaître qu’au prix d’une dégradation des conditions d’exercice de l’activité.

Même si des logiciels performants ont permis l’organisation de réunions, la prise de décision, la poursuite du travail, nous avons aussi fait l’expérience du caractère gravement insuffisant des interactions par écran interposé, de la fatigue engendrée par ce type d’échange, de la baisse de concentration qu’elle engendre rapidement, mais surtout des risques inhérents à l’isolement.

Inégalités redupliquées

Qu’il s’agisse des travailleurs – y compris les professeurs qui ont assuré leurs cours de cette manière – ou des élèves et étudiants, tous ont pris conscience du manque que constitue la privation de la co-présence et du collectif de travail. Le télétravailleur est isolé, privé du soutien de ce dernier, seul face à une éventuelle surcharge de travail ou à des consignes floues, incapable de voir comment réagissent les collègues, de bénéficier de leur aide, de se mobiliser éventuellement.

Par ailleurs, l’expérience du télétravail a également mis en évidence le considérable brouillage entre vie personnelle et vie professionnelle engendré par le télétravail : la présence de la famille, notamment de jeunes enfants, mais aussi d’autres adultes, interfère avec le travail et entraîne des chevauchements des différentes sphères les unes sur les autres.

L’exiguïté des logements, la biactivité, le nombre insuffisant d’équipements constituent autant de phénomènes aggravants qui ne font souvent qu’entraîner la reduplication des inégalités à l’œuvre dans la société : gageons que les études en cours mettront en évidence que le déséquilibre dans la prise en charge des activités domestiques et familiales entre les hommes et les femmes se sera accru durant le confinement.

Les organisations dont la vocation est d’accueillir massivement du public et ayant réussi à mettre en place le travail à distance vont être fortement incitées à mettre en place rapidement des changements permettant de faire face durablement à la forte incertitude des prochains mois. Une fois ceux-ci implémentés, il sera difficile de revenir en arrière. On pense évidemment aux universités et aux établissements d’enseignement qui sont parvenus ces dernières semaines à assurer en grande partie les cours et s’interrogent sur les modalités de la prochaine rentrée universitaire.

Plusieurs établissements ont déjà annoncé que celle-ci se ferait en travail à distance : la tentation sera grande ensuite – étant données notamment les difficultés rencontrées en matière de locaux – de conserver un régime sinon de tout distanciel au moins mixte – qui transformerait de fond en comble la pratique de l’enseignement. Il est impossible que de tels enjeux soient soustraits au débat.

Qu’il s’agisse du développement du télétravail ou du travail en présentiel, la distance sera de mise : un pas déterminant risque donc d’être franchi dans le processus déjà en cours d’individualisation du travail qui transforme peu à peu ce dernier en une série d’opérations individuelles réalisées selon des scripts précis.

Retaylorisation et rehiérarchisation

C’est une étape supplémentaire du déploiement du numérique dans le travail que nous risquons de connaître avec la diffusion massive de mécanismes de surveillance et de contrôle, mais aussi des scripts organisant pour chacun le travail de façon prédéterminée à l’aide de logiciels découpant le travail en tâches précises et le schématisant grâce à des algorithmes.

La retaylorisation, la tâcheronisation, l’algorithmisation du travail risquent donc de se déployer massivement à tous les niveaux et dans tous les espaces, dans les entrepôts, dans les métiers du contact et dans le travail à distance. Le tout avec des applications appartenant le plus souvent à des entreprises américaines, ce qui constitue un risque majeur pour notre indépendance et la propriété de nos données.

Le deuxième risque est de voir la séparation et la hiérarchisation entre les différents métiers déjà en cours s’aggraver dans une sorte de rehiéarchisation de la société, voire comme l’explicite le juriste Alain Supiot, de « reféodalisation ». Devant les risques engendrés par le contact, la division sociale du travail entre « sale » boulot et professions protégées ne devrait pas manquer de s’approfondir.

Depuis quelques années, la tâche a ainsi été déléguée aux livreurs d’apporter leur repas à ceux qui disposent des revenus nécessaires pour s’acheter le temps des autres. De nouvelles domesticités se mettent en place, qui profitent des inégalités de rémunération et des différences de valeur de l’heure de travail.

Le numérique avait déjà permis d’organiser un tel processus pour la livraison des biens et services commandés par Internet, qu’il s’agisse de la livraison des courses alimentaires ou de biens et services plus élaborés. L’achat à distance va sans nul doute connaître une forte augmentation, concentrant la charge et le risque du contact sur les travailleurs œuvrant dans des entrepôts où s’accentueront la commande vocale et les dispositifs permettant de ne pas se croiser, d’une part, et des livreurs en bout de chaîne assumant le contact avec le client, d’autre part.

Rappelons qu’une grande partie des livreurs travaille actuellement pour des plates-formes qui exigent d’eux qu’ils prennent le statut d’autoentrepreneur – ce qui les prive de la protection du code du travail, de l’accès à l’assurance chômage, des dispositions protégeant leur santé. La Cour de cassation a pourtant récemment rappelé dans sa décision du 4 mars que le statut d’indépendant de ces travailleurs était « fictif » et que leurs conditions de travail faisaient bien d’eux des salariés.

Quant aux autres travailleur.e.s, dont le métier consiste précisément à être au contact d’autres humains, notamment les auxiliaires de vie, les aides à domicile, les aides-soignantes, les caissières, la crise a révélé en même temps que leur immense utilité la sous-rémunération chronique de leur activité : majoritairement exercés par des femmes, qui travaillent souvent à temps partiel subi, ces métiers présentent des salaires nets médians à temps complet entre 1300 à 1500 euros.

Un risque de segmentation de la société

Les conditions de travail sont souvent très dures, comme en témoigne par exemple le rapport Libault qui signale la fréquence et la gravité des accidents du travail et maladies professionnelles parmi les plus de 830 000 personnes (en ETP) qui travaillent auprès des personnes âgées dépendantes.

Le fossé risque de s’agrandir entre des travailleurs protégés par le travail à distance et des travailleurs au contact très peu payés pour assurer les tâches de plus en plus risquées, avec probablement de moins en moins de mélange entre ces différentes catégories, ce qui accroîtra encore la segmentation de la société et l’entre-soi.

Une étude américaine a mis en évidence la surreprésentation parmi les travailleurs en première ligne des femmes, des personnes de couleur et des personnes aux revenus les plus modestes. Les statistiques de surmortalité en Seine-Saint-Denis semblent ainsi confirmer la plus grande vulnérabilité de ceux qui sont à la fois à faibles revenus – et qui présentent le plus souvent des pathologies comme l’obésité, le diabète ou l’hypertension, facteurs de co-morbidité du Covid-19 – et en première ligne. Comme les épidémiologistes Kate Pickett et Richard G. Wilkinson l’avaient mis en évidence, il existe un lien fort entre les inégalités de revenus et les indicateurs sociaux et de santé.

Si nous voulons éviter à la fois de franchir une étape supplémentaire dans l’atomisation et la déshumanisation du travail, – qui étaient déjà bien amorcées avec l’automatisation et la plate-formisation du travail –, et d’être submergés par la très forte augmentation du chômage qui ne manquera pas d’accompagner la crise économique qui s’annonce, plusieurs mesures s’avèrent nécessaires.

Oui, autonomie et protection sont conciliables

Le télétravail mérite d’être étendu avec une fréquence raisonnable (sans doute pas plus de trois jours par semaine), mais imposer sa généralisation à haute fréquence serait une grave erreur. De même, l’enseignement en présentiel doit rester la norme : si l’enseignement à distance, les MOOC, et un certain nombre d’innovations pédagogiques permettant de préparer, d’enrichir et d’améliorer le travail en présentiel sont souhaitables, il ne peut être question, pour la qualité même de l’enseignement, de réduire fortement la place du présentiel.

Plus généralement, il nous faut mener un débat de fond sur la place du numérique dans le travail. Alors qu’ils sont à la recherche de plus d’autonomie, trop de salariés voient désormais leurs pratiques strictement prescrites par le biais du numérique. L’inspection du travail devrait pouvoir sanctionner voire interdire des pratiques qui organisent une individualisation et une déshumanisation évidentes du travail.

En ce qui concerne les métiers de contact, qui se sont révélés les plus utiles socialement, mais qui font trop souvent partie des métiers déconsidérés (une large partie est regroupée dans la catégorie « emplois non qualifiés »), plusieurs mesures devraient être prises. Concernant les livreurs et plus généralement les travailleurs des plates-formes, il est urgent de ramener la plupart d’entre eux sous la protection du code du travail : une proposition de loi du groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE) doit être prochainement mise en discussion au Sénat. Elle organise le rapatriement de la plupart des travailleurs des plates-formes dans le septième livre du code du travail, ce qui permettrait de les assimiler aux salariés et de les faire profiter de la plupart des dispositions du code du travail.

Contrairement à ce que prétendent les dirigeants des plates-formes – qui profitent honteusement d’une situation de dumping social et de concurrence déloyale puisqu’ils ne payent pas de cotisations sociales et n’assument aucune des obligations imposées par le code du travail –, l’autonomie légitimement revendiquée par les travailleurs des plates-formes est parfaitement conciliable avec la protection du code du travail. Une telle politique permettrait une moralisation du secteur : seules les entreprises capables de proposer des conditions de travail décentes à leurs salariés pourraient continuer de proposer des services.

Quant aux travailleur.e.s en contact dont le travail est chroniquement sous-rémunéré, c’est un devoir moral, mais aussi l’intérêt bien compris de la société que d’augmenter leurs rémunérations – en proportion de leur utilité.

D’une part, parce que la qualité de l’emploi est manifestement un élément de la résilience de nos concitoyens (les mauvaises conditions de travail participent à la fragilisation de la population, donc à la vulnérabilité aux virus et plus généralement aux crises) ; d’autre part, parce que les métiers dont il est question font face pour certains à de fortes difficultés de recrutement – précisément dues aux mauvaises conditions de travail et de rémunération –, alors même que les besoins de main-d’œuvre ne vont faire que croître : les effectifs nécessaires pour s’occuper des personnes âgées en perte d’autonomie devraient augmenter de 20 % selon le rapport Libault.

Créer des millions d’emplois durables et utiles

On objectera sans doute que le nombre de personnes concernées constitue un obstacle de taille à cette augmentation : en effet, les aides-soignantes étaient 600 000 en 2014, les aides à domicile et aides-ménagères, 540 000, les caissières et personnels de vente près de 300 000, les agent.e.s d’entretien 1,4 millions… et les caisses de l’État et des entreprises bien vides.

C’est donc bien à un resserrement de la hiérarchie des salaires, prenant la forme à la fois d’une augmentation des plus bas salaires – sous la forme notamment d’une révision des classifications comme le suggèrent les économistes Séverine Lemière et Rachel Silvera – et d’une limitation drastique des plus hautes rémunérations, soit sous la forme de dispositifs internes aux professions soit par le biais de la fiscalité et notamment l’introduction de nouvelles tranches d’impôt sur le revenu, que nous devrons procéder.

Mais la question à laquelle nous allons être très rapidement confrontés est celle de l’explosion du chômage. La tentation sera forte pour les gouvernements d’opérer une relance « brune » (entraînant une augmentation de l’usage des énergies fossiles et donc des émissions de gaz à effet de serre), qui aggravera la crise climatique – dont les effets seront, n’en doutons pas, bien pires que ceux de la crise que nous traversons, notamment parce que nos capacités de production, nos réseaux d’énergie, de télécommunications, nos infrastructures… seront dégradés ou gravement endommagés par les cyclones, incendies, sécheresses, inondations qui accompagneront la crise écologique.

C’est donc tout au contraire une relance verte que nous devons organiser dès aujourd’hui, qui certes creusera encore un peu plus la dette et les déficits, mais qui nous permettra des économies ainsi que le renforcement de nos capacités de production. Cet engagement dans la reconversion écologique de nos sociétés, accompagné de l’adoption de pratiques de sobriété devrait pouvoir permettre la création de millions d’emplois durables et utiles.

Le défi est de mettre en place les politiques et dispositifs nécessaires pour que les transitions qui s’étaleront sur une vingtaine d’années se fassent sans passage par le chômage grâce notamment à une garantie d’emploi organisée par l’État sur le modèle du Civilian Conservation Corps (mis en œuvre par Roosevelt qui avait transformé l’État fédéral américain en employeur en dernier ressort de millions de jeunes hommes, mobilisés notamment au service de projets environnementaux). La relocalisation d’une partie de nos activités devrait s’accompagner d’une forme démocratisation des organisations de travail facilitant la satisfaction des besoins sociaux dans le cadre d’une société post-croissance.

La reconversion écologique de nos sociétés apparaît donc non seulement comme le seul moyen d’éviter une dégradation inimaginable de nos conditions de vie, mais aussi comme une manière radicale de repenser le travail et l’emploi.

« Après le confinement nous devrons reconfigurer aussi bien la ville que nos appartements »

Barnabé Binctin et Sophie Chapelle
www.bastamag.net/deconfinement-ville-densite-urbaine-covid-transport-en-commun-velo-teletravail-retour-a-la-campagne-entretien-thierry-paquot

L’épreuve du confinement révèle l’incurie du développement urbain tous azimuts depuis un demi-siècle. Comme le rappelle le philosophe et urbaniste Thierry Paquot, la préoccupation de la santé a disparu des enseignements de l’urbanisme, au profit d’« une ville productiviste conçue pour un individu masculin en bonne santé, solvable et actif ». Avec le changement climatique, les villes actuelles doivent être repensées et entrer dans « l’âge post-béton ». Entretien.

Basta !  : Qu’est-ce que la crise du coronavirus et son corollaire, le confinement, disent de la façon dont nous avons construit nos villes ?

Thierry Paquot [1] : Les plus touchés sont les quartiers et les zones urbaines denses, et cela n’a rien de nouveau en soi : toutes les grandes épidémies historiques – la peste du 14e siècle, celle de 1720, le choléra de 1832 et de 1849, la « grippe espagnole » en 1918 – se sont propagées prioritairement dans les lieux où la population était concentrée, ce qui parait une évidence. Il y a incontestablement une corrélation entre la taille de la ville et le nombre de victimes. Pourtant, dans l’esprit des dirigeants, les liens entre santé publique et urbanisme n’existent pas, ou de manière exceptionnelle. De la même façon que l’on tarde à reconnaître l’impact de l’amiante, des perturbateurs endocriniens ou des particules fines.

Ce sont aussi les diverses modalités actuelles de l’urbanisation – le lotissement pavillonnaire, le centre commercial, la construction de gratte-ciel –, qui sont en cause, car elles ne se préoccupent pas du sol, de l’eau, des forêts ou du climat. Elles se pratiquent indépendamment du contexte environnemental, participent au dérèglement climatique et déséquilibrent de nombreux écosystèmes en une spirale devenue infernale. Il en va de même pour l’agriculture, dont les travailleurs sont malades de la chimie et des énergies fossiles. C’est d’ailleurs un parallèle intéressant : urbanisme et agriculture, les deux sont aujourd’hui solidaires du productivisme, et les deux connaissent les mêmes désastres sanitaires.

En a-t-il toujours été ainsi, historiquement ? La santé publique n’a-t-elle pas été un enjeu de l’aménagement urbain, par le passé ?

Les Grecs – Hippodamos de Milet, Platon mais aussi Aristote – préconisaient une certaine orientation des villes pour les ventiler et permettre aux vents de balayer les mauvaises odeurs et les miasmes, tout comme Hippocrate veillait à la qualité de l’eau. Les villes du Moyen-Âge sont, ensuite, bien plus terrifiantes : les maisons construites les unes sur les autres manquent de lumière et d’aération, l’eau stagne dans les rues où vivent les animaux et officient les bouchers, le contenu des seaux de nuit y sont vidés par la fenêtre, les ordures jetées à même le sol, les odeurs sont fétides…

La ville va ensuite connaître des améliorations avec celles qu’effectue la médecine, à partir du 16ème siècle. La découverte de la double circulation du sang par Harvey en 1628 va par exemple inspirer l’idée de nettoyage permanent de la ville par l’eau et par l’air : la circulation de l’eau vient alors laver la sueur, les excréments, les déchets. Le corps de la ville, comme le corps humain, doit être propre et hygiénique ! Le vocabulaire en témoigne, on parle d’artères pour les rues, de cœur pour le centre de la ville et de poumon vert pour ses jardins, « l’organicisme » est alors triomphant.

Cette pensée hygiéniste pénètre toute la société, elle est stimulée par l’épisode du choléra en 1832 qui provoque de nombreuses victimes un peu partout en Europe, dont près de 20 000 à Paris en six mois. On se rend compte que la ville est fragile, vulnérable. On prescrit l’ensoleillement et l’aération, d’où des voies plus larges et plantées d’arbres, des habitations espacées les unes des autres, la lutte contre l’insalubrité et la promiscuité avec le tout-à-l’égout et des toilettes dans chaque logement. Ce développement urbain va ainsi s’effectuer, lentement, sur plusieurs décennies.

La ville du 19ème siècle est donc beaucoup plus attentive à la santé de sa population…

Le docteur Richardson, dans Hygeia. A City of Health en 1875, décrit une ville indolore, clinique, aseptisée, sans débit de boissons, une ville saine où tout est pensé pour contrer les maladies et maintenir les habitants en bonne santé.

Ainsi les tramways sont souterrains, les cuisines sont équipées d’un vide-ordure qui conduit les déchets dans des bacs installés à la cave et régulièrement évacués, les matériaux de constructions sont imputrescibles, chaque quartier possède son hôpital qui en est le centre, etc.

Les médecins-hygiénistes s’inquiètent des conditions de vie déplorables des « classes laborieuses », qui pourraient devenir « dangereuses », si l’on ne se préoccupe pas de l’entassement ou de l’humidité des logements. Il faut décongestionner la ville, l’hygiène publique devient une vraie préoccupation des architectes et des urbanistes, tout comme les exercices physiques à l’école et le sport comme loisir de masse. D’ailleurs, lorsque l’École des Hautes études urbaines est créée à Paris en 1919, un enseignement sur la santé et la médecine y est donné ! D’autres cours concernent les pathologies physiques et mentales liées aux variations climatiques et saisonnières, aux bruits ou encore aux allergies dans le cadre urbain. La santé est donc au cœur de la réflexion sur l’urbanisme.

Qu’est-ce qui provoque la rupture avec cette logique ?

Cette préoccupation disparaît des enseignements au cours des années soixante, marquées par une forte croissance économique, la marchandisation de tous les biens et services, la conviction que les progrès s’enchaînent « naturellement », sans provoquer d’accident… Ce sont les Trente Glorieuses, avec cette arrogance du capitalisme occidental qui récuse tous les obstacles à sa démesure. Il est certain que l’arrivée des antibiotiques au lendemain de la seconde guerre mondiale contribue à une meilleure santé. On croit alors vaincre toutes les maladies. Or, le productivisme génère à la fois diverses pollutions et de nouvelles pathologies !

Vous parlez de la ville moderne comme d’une « ville productiviste » : en quoi n’est-elle plus adaptée aux grands défis du 21ème siècle ?

La ville productiviste est conçue pour un individu masculin en bonne santé, solvable et actif. Elle ne correspond plus à la société de la précarité qui se développe, avec ses nombreux chômeurs, migrants, sans-abris et aussi ses retraités. Les sans domicile fixe sont systématiquement repoussés dans les plis de la ville et les plus démunis à ses franges. Rien n’est prévu pour les adolescents, par exemple, d’où le squat des halls d’immeubles qui irritent bien des locataires. C’est ainsi que le centre-ville s’homogénéise sociologiquement, ce qu’on appelle la « gentrification », avec des loyers trop élevés pour favoriser la diversité – condition, avec l’urbanité et l’altérité, de ce qui fait ville.

De même avec le changement climatique, les villes actuelles doivent être repensées. Les étés caniculaires sont déjà là, avec leurs îlots de chaleur ! Quant à la montée des eaux, elle met en péril d’innombrables villes littorales.

Quelles pistes pour mieux adapter les villes et les habitats à ces nouvelles réalités ?

Cela commence par les matériaux de construction, en préférant par exemple la paille, le chanvre, le bois, la terre cuite ou crue plutôt que le béton. Celui-ci réagit très mal aux fortes variations climatiques, une forte chaleur peut entraîner des fissures sur un béton frais, et l’humidité provoquer ce qu’on appelle le « cancer du béton », soit la corrosion de l’armature en fer. Il nous faut entrer dans l’âge post-béton et privilégier les matériaux bio-sourcés, qui peinent à se généraliser face aux puissantes multinationales du BTP.

Idem sur la construction du bâti : les appartements traversants permettent une meilleure ventilation « naturelle », alors que les promoteurs proposent l’air conditionné qui pollue et rend malade ! Il faut également inventer des habitations modulables, adaptables, ne serait-ce que pour faciliter le télé-travail, qui n’a pas été prévu dans l’architecture de nos logements. Tout se tient : travail-logement-déplacements. Après le confinement nous devrons reconfigurer aussi bien la ville que nos appartements.

Vous travaillez sur la question de l’échelle et de la « bonne taille » d’une ville : la situation actuelle confirme-t-elle cette « démesure » et cette nécessaire décroissance urbaine que vous défendez ?

Face à la pandémie, une poignée de mégalopoles, telles que Séoul, Singapour et Hong Kong, semblent relativement épargnées, grâce à des mesures d’urgence efficaces (tests de dépistage, port du masque, isolement des personnes atteintes) et à un contrôle strict des déplacements de chacun via l’arsenal numérique. Ce sont des exceptions. Ces mégalopoles ne règlent pas pour autant les nombreux problèmes qu’elles rencontrent : dépendance alimentaire – Singapour importe 90 % de son alimentation de Malaisie –, circulation, qualité de l’air, traitement des déchets, ségrégation sociale, etc.

Dans Mesure et démesure des villes [2], j’interroge la taille la plus agréable pour une ville. C’est une question récurrente, de Platon aux architectes du 20ème siècle (Wright, Neutra, Sert, Gropius, etc.), en passant par Thomas More, qui fait résider ses « Utopiens » dans 54 villes, avec une population oscillante entre 100 et 260 000 habitants. En 1977, un économiste loin de toute utopie, Paul Bairoch, associant de nombreuses données statistiques – santé, criminalité, fiscalité, emploi, éducation et formation, sports et loisirs, logements et transports, etc. – en arrive à l’estimation de 500 000 habitants pour une ville habitable. Bien sûr, un demi-siècle plus tard, le mieux-vivre urbain n’est plus le même, mais je ne pense pas que les attentes des citadins exigent une augmentation de la population. Au contraire, plusieurs mouvements, comme le réseau des « villes en transition » ou celui des Slow Cities démontrent que la « taille humaine » est inférieure à 100 000 habitants.

Pour ma part, je préfère parler de « territoire » ou de « biorégion », pour réconcilier villes et campagnes. La « biorégion » n’est pas un échelon de plus dans le mille-feuilles administratifs, mais l’expression d’une nouvelle territorialité décentralisée et autogérée.

Après cette expérience inattendue du confinement, avec le constat que la ville dense n’est plus vivable, ne risque-t-on pas d’assister à un regain d’intérêt pour le modèle du petit pavillon avec jardin en proche banlieue qui a, lui, participé au problème de l’étalement urbain ?

Je ne pense pas, car les banlieues, de Paris et des grandes métropoles, sont également congestionnées. Le pavillonnaire diffus n’attirera pas les citadins en quête d’un lieu accueillant. La ville dense et la banlieue pavillonnaire sont les deux revers d’une même médaille qui ne fait plus rêver. Je crois plutôt à un exode urbain, par petites doses : des citadins vont s’installer dans des petites villes, voire des villages, afin de bénéficier d’un air moins pollué, d’un potager et de la nature à proximité, avec des forêts, des rivages ou des montagnes selon les régions, tout en télétravaillant ou carrément en changeant de vie, expérimentant la décroissance.

Ces citadins qui migrent dans la campagne ne seront pas des néo-ruraux, comme dans l’après mai-68, mais plutôt des expérimentateurs d’une nouvelle territorialité, souvent très compétents en technologies numériques alternatives, inspirés par le zadisme, soucieux de réseauter avec toutes les associations locales, misant sur l’agriculture bio ou la permaculture, acceptant la frugalité et recherchant le « mieux » qu’ils préfèrent au « plus ». De nouvelles urbanités vont se déployer et s’expérimenter dans ces « territoires-paysages ».

À l’approche du déconfinement, un mouvement important se développe à travers plusieurs villes françaises, demandant la réquisition de boulevards et de certaines voiries au profit de modes de transports plus doux, tels que le vélo. La crise actuelle peut-elle transformer durablement nos modes de transport urbain ?

Il y a un double-mouvement : d’un côté, l’automobile va apparaître comme un lieu de déconfinement, qui permet de maintenir les distances avec les autres passagers à la différence des transports collectifs – comme c’est déjà le cas en Chine, avec le scooter et la voiture. De l’autre, on a découvert combien une ville débarrassée de la voiture était silencieuse et accueillante ! Cela peut perdurer si les édiles attribuent à certaines rues une sorte de piétonisation de fait. Quant au vélo, c’est prouvé depuis longtemps qu’il est plus rapide que la voiture sur des trajets urbains de courte-distante. Cette indispensable transition mobilitaire doit être expliquée, justifiée, exaltée et partir des habitants.

Quant à l’automobile, elle doit contribuer à la transition énergétique, en devenant moins polluante et énergivore mais aussi en étant taxée. Mais attention : en dehors des agglomérations, pénaliser l’automobile reviendrait à accroître les inégalités sociales, comme l’ont clamé les Gilets Jaunes sur les ronds-points. Là, le covoiturage, le copartage, une tarification avantageuse pour les cars et les trains locaux – quand il en reste ! – pourraient par exemple réduire la part de l’automobile. C’est donc toute une politique à mettre en œuvre, et on en est encore loin.

Cela questionne plus largement notre rapport actuel à l’espace public : vous plaidez, à ce sujet, pour une meilleure répartition en milieu urbain, y compris à destination des enfants…

Les espaces publics sont rarement amènes : les bancs sont démontés pour éviter le rassemblement de deux ou trois sans abri ; les voitures se garent sur le trottoir au grand dam des arbres qui en souffrent ; les toilettes publiques sont quasi-inexistantes ; les trottinettes, les rollers, les cyclistes empruntent les trottoirs et gênent les piétons. Les enfants n’osent plus jouer dans la rue et sont accompagnés pour aller à l’école, tant la dangerosité est grande !

Redonner leur place aux enfants dans la ville revient à améliorer la vie quotidienne de chaque adulte : c’est aller moins vite, planter plus d’arbres, favoriser des itinéraires fléchés comme pour un jeu de pistes, entretenir les pieds des immeubles, transformer le devant des écoles en parvis colorés et joyeux sans voiture. Il faut penser une autre physionomie de la rue : une ville pour et par les enfants est une ville pour tous. Et n’oublions pas les animaux que la ville abrite, souvent de manière dissimulée. Les écoles et autres lieux publics devraient avoir des poulaillers, des moutons pour tondre les pelouses, des ruchers, des chevaux…

L’un des autres enjeux de ce déconfinement, c’est le « tracking » et tous ces instruments de suivi et de contrôle actuellement en débat. Que vous inspire ces mesures de surveillance dans l’espace public ?

Je suis sidéré de voir que le ministère de l’Intérieur a acheté pour 400 millions de drones. En pleine période de pénurie de masques, on peut tout de même interroger le sens d’une telle dépense pour contrôler les Français. On quitte le « biopolitique » cher à Foucault, pour entrer dans l’ère de la « data politique » qui se généralise, avec la vidéosurveillance, la géolocalisation par votre portable, le traitement algorithmique de toutes les données. C’est une nouvelle servitude volontaire, au nom de votre bien !

Vous appréciez la pensée d’Ivan Illich [3], philosophe de « l’autonomie », qui a profondément influencé l’écologie politique au 20ème siècle. En quoi sa pensée se révèle-t-elle pertinente pour analyser la période actuelle ?

Ivan Illich n’a cessé de pointer ce qui, en chacun de nous, altère la possibilité de notre propre autonomie, c’est-à-dire la possibilité cruciale de faire et ainsi de se connaître en éprouvant. Il en va ainsi du capitalisme qui, en transformant toute activité, tout sentiment ou toute action en marchandise, rend chacun de nous dépendant du marché et le prive d’une part essentielle de son autonomie. Il parle alors de la perte des « communaux » et de la dépréciation du « vernaculaire », c’est-à-dire de tout ce dont n’importe qui dispose qui échappe au marché et lui assure des conditions de vie satisfaisantes et indépendantes.

Illich dénonçait également les « professions mutilantes », qui vous dépossèdent d’une partie de vous-mêmes en se substituant à vous, au nom de votre bien, pour vous soigner ou vous éduquer, et ainsi vous subordonner. Or le coronavirus est un cas d’école : on ne peut pas ouvrir sa radio sans tomber sur un virologue – je ne savais pas qu’il y en avait autant – ou un expert médical qui, in fine, contribue à vous exproprier de votre propre corps. Nous sommes tous désemparés, ne sachant plus si nous nous portons bien ou pas, nous nous plaçons volontairement sous l’autorité du médecin, alors même que nous constatons d’une déclaration à une autre leurs désaccords aussi bien pour le diagnostic que pour les prescriptions médicamenteuses. Illich aurait trouvé la confirmation de ses thèses avec le pouvoir absolu des experts, aujourd’hui : même le Président de la République dit qu’il ne fait rien sans sa commission d’experts, qui eux-mêmes se disputent entre eux !

La crise devrait responsabiliser chacun. Des gens font leur pain, d’autres confectionnent des masques. Ce sont de petites actions émancipatrices qui reposent justement sur une reconquête de sa propre « autonomie ». Après viendra l’extension du domaine de l’autonomie à tous les niveaux de la vie de chacun.

Notes

[1] Thierry Paquot est philosophe et urbaniste, professeur à l’Institut d’urbanisme de Paris (Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne). Son dernier essai, Mesure et Démesure des villes a été publié en mars 2020 (CNRS Editions).

[2] Paru aux éditions du CNRS, en mars 2020

[3] Lire Introduction à Ivan Illich (éd. La Découverte, 2012) et Ivan Illich & la société conviviale (éd. Le passager clandestin, 2020) écrits par Thierry Paquot

«Espezie aberastasun handiko ekosistemak dira gure txertorik onena»

Iñaki Petxarroman
www.berria.eus/paperekoa/1879/014/001/2020-05-09/espezie-aberastasun-handiko-ekosistemak-dira-gure-txertorik-onena.htm

Aspalditik NBEk iragarritakoa bete da COVID-19aren pandemiarekin. Etorkizunean halako gehiago izan daitezkeela eta, natura babestearen garrantzia azpimarratu du.

Fernando Valladares (Rio de la Plata-Argentina, 1965) CSICeko ikertzailea da, eta Espainiako Natur Zientzietako Museoko Ekologia eta Aldaketa Globaleko taldeko ikertzaile burua. Zoonosien eragina gutxitzeko orduan natur ekosistemek duten garrantzia azpimarratu du, «txertorik onena» izango direlakoan beste pandemiarik badator.

Esan duzu natura hondatu izana dagoela epidemia askoren jatorrian. Zergatik?

Eskualdez eskualde agertu diren birus guztien puzzle osoa ez daukagu oraindik. Baina orain ikusi dugu aurreko koronabirusaren lehengusu bat agertu zaigula, eta harritu gaituela ezagutzen ez genituen gauza askorengatik. Baina nahikoa dakigu ondorioztatzeko espezie ugaritasuna duten ekosistemek, ondo babestuta daudenek, leuntzen dutela zoonosien eragina, birus karga gutxitu egiten dutela, eta hura zabaltzeko arriskua leuntzen dutela.

Nola babesten gaituzte?

Bioaniztasunak eta ekosistemen osotasunak duten rola funtsezkoa da. Aipatu izan dut Ipar Amerikako ekialdeko kostaldeko lyme gaitzaren adibidea. Akainei erasaten dien gaitz bat da, eta hortik zabaltzen da pertsonengana. Frogatuta dago basoa zenbat eta osoagoa eta zabalagoa izan orduan eta akaina gutxiago infektatzen direla, eta ondorio gutxiago daudela pertsonengan. Munduko eremu horretan ikerketa asko daude, ikertzaile asko daudelako. Tropikoetan ere badaude ikerketak, baina gutxiago eta ez hain osoak.

Zer gertatzen ari da Ipar Amerikan gaitz horrekin?

Kasu horretan, akainek bi espezieri egiten diete kosk, arratoiei eta zarigueiei, eta haien bidez jasotzen dute bakterioa. Zarigueiak urritzen ari dira, eta, beraz, arratoiak bihurtzen ari dira akainen gaitzaren transmisore nagusiak. Kontua da arratoien birus karga handia izaten dela, eta zarigueiena txikia. Beraz, gaitza bera bada ere, ez da berdin pasatzen espezie batzuetatik besteetara. Zarigueiak desagertu ahala, guretzat arriskutsuagoa bihurtzen ari da gaitza.

Zoonosiak ere ekosistemen parte dira. Kontua da nola babestu haietatik.

Patogeno, birus, mikroorganismo, bakterio eta onddo kaltegarri asko daude: baratzeetan, abereak dauden etxaldeetan, gure etxeko leihoetan, ohian tropikaletan eta mendi gailurretan —han batzuetan izoztuta daude—… Orain ikusten ari gara, adibidez, permafrostaren kasuan, urtzen ari diren izotzetatik ere askatzen ari direla birus eta patogenoak. Beraz, haiekin bizitzea tokatzen zaigu.

Eta nola?

Kontua da ekosistemetan espezie asko egotea, borrokak elkarren artean bana daitezen. Hau da, eboluzio borroka. Immunitate sistemaren eta immunitate sistemaren aurkako borroka; mikroorganismoaren eta organismoaren aurkakoa. Borroka horiek espezie askoren artean jokatzen badira, neutralizatu egiten dira ondorioak. Birus karga handi batek jo diezazun arriskua ere txikitu egiten da.

Zergatik da horren garrantzitsua birus kargaren kontua?

Birusa edukitzea baino garrantzitsuagoa da birus karga handia edo txikia daukazun. Koronabirusa eduki dezake pertsona batek, baina, haren birus karga apala bada, inor kutsatzeko arriskua oso txikia izango da, barre egiterakoan eta hitz egiterakoan ahotik irtengo zaion listuan oso birus gutxi joango direlako. Birus karga lotuta dago bioaniztasunarekin, eta erakusten du ongi gordetako natur sistemek nola babesten gaituzten. Natur sistemak ez du birusa desagerrarazten. Ezin ditugu hil saguzarrak, pangolinak… Txakurrak hilda ez da amorrua desagertzen. Beraz, espezie ostalariekin bizitzea interesatzen zaigu: txakurrekin, pangolinekin, saguzarrekin… Espezie aberastasuna duten ekosistemek inguratuta bizitzea da gure txertorik onena.

Lehen baino zoonosi gehiago daude? Azkenaldian, asko entzun izan da animalia jatorriko pandemien kontua: hiesa, ebola, koronabirusa…

Lehen baino zoonosi gehiago daude, bai, baina ez daude patogeno gehiago. Beste faktore batzuk aldatu dira, eta, ondorioz, patogeno horien kontzentrazioa handiagoa da. Gainera, gu harremanetan sartu gara haiekin, ez bakarrik espezieen legez kanpoko salerosketarengatik, baizik eta bioaniztasunaren galeraren ondorioz, animalia horien birus-karga ere handiagoa baita orain.

Zergatik?

Birus karga aukerazko kontzeptu bat da. Zuk eduki dezakezu saguzar bat kutsatuta, baina gerta daiteke birusez goraino egotea edo ez. Zuk harekin kontaktua daukazunean, beraz, arrisku handiagoa edo txikiagoa eduki dezakezu birusa hartzeko. Gainera, badira arrazoi gehiago, eta Wuhanen bat egin zuten ia denek. Duela lauzpabost urtetik genekien Asia ekialdetik etor zitekeela pandemia bat, aukera eta denbora kontua zela.

Zer beste faktore aipatu behar zenituen?

Zuk animalia bat gaizki tratatzen duzunean, kutxa batean garraiatzen duzunean, gutxi jaten badu, estresatuta badago, haren defentsa sistema deprimitu egiten da, eta, guri gertatzen zaigun moduan, barruan daukan birusak erasaten dio. Animalia bera askoz ere kutsakorragoa da orduan. Beraz, aukera eta arrisku faktorea oso garrantzitsua da.

Baina koronabirusak gizakiengana iristea lortu du. Zergatik?

Badira ezagutzen ez ditugun patogenoak, baina ez dira denak iristen guregana modu berean. Artikoan antrax kasu bat gertatu zen duela urte batzuk, permafrostaren izotza urtu zenean. Teorian ume bati bakarrik eragin zion. Ez da gauza bera kasu bakan bat edukitzea edo ehunka hektareatan agertzea, esparru zabal batean, non hiriguneak ere badiren. Litekeena da gizakia lehenago harremanetan egon izana koronabirusarekin. Hortik pandemia bat izatera, baina, bide luze bat dago.

Zer gertatu da orain, orduan?

Ez dakigu. Agian, koronabirusaren lurraldean sartu gara , pangolinen bidez-edo, eta baldintza guztiak gertatu dira zabaltzeko: merkatu batera eraman dute birusa, non garbiketa baldintzak txarrak diren, non milaka pertsona elkartzen diren. Modu horretan, ehunka lagun kutsatu dira, non eta Wuhanen gisako hiri batean, mundu osoarekin konektatuta dagoen toki batean. Hala, negozio gizonen bat itzuliko zen Europara COVID-19arekin, eta aste gutxian sekulakoa gertatu da.

Dena ezustea izan da? Zergatik harrapatu gaitu pandemiak horren lekuz kanpo?

NBEk iragarria zuen gero eta ohikoagoak izango direla pandemiak, badagoela X birus bat, iristear dagoena, eta zeinaren robot erretratu bat dugun. Arrisku handia dago birus arriskutsu bat iristeko, osagai ezberdinak izango dituena: ebola bezain hilgarria eta koronabirusa bezain kutsakorra. Eta ez gaude prest halako kontu baterako.

Zenbateko arriskua dago halako pandemia baterako?

Koronabirusen barruan ez dirudi horren zaila azkenean bi ezaugarri horiek batzen dituen birus bat zabaltzea. Eta lan egin behar dugu, osasun baliabideen ikuspegitik, baina baita ikuspegi zabalago batetik ere. Hor diziplinen arteko lankidetza sakonago baten beharra dago: osasun sistemako eragileak kutsadurari balazta jartzen, baina baita albaitariak eta zoologoak ere bektore espezieak nola kudeatu aholkatzen, ekologoak ekosistemen funtzionamendua aztertzen, eta soziologoak eta ekonomistak gure jarduera ekonomikoari, garraio sistemari, hiri antolaketari eta beste kontu batzuei buruzko proposamenak egiten. Hori dena, zoonosien arriskua apaltzeko, duela 30 urte geneukan mailara itzultzeko.

Orduan zer egoeratan geunden?

Orduan oraingo biztanleen erdiak ginen, eta egungo ekosistemak halako bi genituen. Ekosistemek patogenoei erantzuteko eta haiek leuntzeko gaitasun handia daukate, baina, muga batetik pasatzen zarenean, ahalmen hori galtzen dute. Ia denari zenbakiak eta balioa jarri diogu dirutan, baina inork ez daki zenbateko balioa duen naturak gizakiak pandemietatik babesteko daukan babes funtzio horrek. Erne, zeren naturak babes funtzio hori egiteari uzten dionean, ez dago modurik hura munduko inongo txertorekin hura ordezkatzeko.

 

Txertoa eduki bitartean, zer egin daiteke?