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Articles du Vendredi : Sélection du 15 mai 2015 !

Climat. Nicolas Hulot : « Le compte n’y est pas » pour le sommet de Paris

Fabrice Savel
www.humanite.fr/climat-nicolas-hulot-le-compte-ny-est-pas-pour-le-sommet-de-paris-574025

Climat: Paris sur le chemin de Copenhague?

Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/climat-paris-sur-le-chemin-de-copenhague,58468

Fossiles : dix raisons de sevrer la planète

Isabelle HANNE et Coralie SCHAUB
www.liberation.fr/economie/2015/05/08/fossiles-dix-raisons-de-sevrer-la-planete_1300078

Climat. Nicolas Hulot : « Le compte n’y est pas » pour le sommet de Paris

Fabrice Savel
www.humanite.fr/climat-nicolas-hulot-le-compte-ny-est-pas-pour-le-sommet-de-paris-574025

La plus grande prudence doit être observée quant aux attentes pour la conférence internationale sur le climat à Paris en décembre car « le compte n’y est pas » avec les promesses de réductions des émissions de gaz à effet de serre, a averti mercredi Nicolas Hulot, l’envoyé spécial du président français pour la protection de la planète.

Le fait est que « le compte n’y est pas du tout » avec les engagements de réductions des émissions de gaz à effet de serre soumis aux Nations unies pour tenir l’objectif mondial de limiter le réchauffement de la planète à 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, a déclaré aujourd’hui Nicolas Hulot, envoyé spécial de François Hollande pour la protection de la planète. « Tout le monde est d’une extrême prudence car rien n’est joué, dans un sens ou dans l’autre », a-t-il commenté lors d’un point de presse à Bruxelles, à l’issue d’une série de rencontres avec des responsables des institutions européennes. « Mais il est trop tôt pour céder au défaitisme », a ajouté Nicolas Hulot. Toutes les contributions n’ont pas encore été déposées et il manque notamment la contribution de la Chine, plus gros émetteur au monde. L’Union européenne s’est engagée à réduire ses émissions de 40% par rapport à leur niveau de 1990 pour 2030.

Les Etats-Unis, deuxième plus gros émetteur mondial, se sont engagés à les réduire de 26% à 28% par rapport à leur niveau de 2005 pour 2025. La différence entre les dates de référence va poser un problème lorsqu’il s’agira d’évaluer et de comparer les engagements. Nicolas Hulot a jugé la contribution des Etats-Unis insuffisante. « J’espère qu’ils n’en resteront pas là et que les paroles très fortes du président Obama ne resteront pas lettre morte ».

Un échec de la conférence de Paris ne peut être exclu, a-t-il reconnu. « Si les chefs d’Etats et de gouvernements ne s’investissent pas en amont, alors des résultats de la COP21, le nom officiel de la conférence, seront aléatoires ». Un échec « sera payé comptant », a-t-il averti. « C’est un luxe que l’on ne peut pas se payer », a insisté celui qui a popularisé en France la défense de la planète par des émissions de télévision très populaires. « Mais la menace est invisible et là est toute la difficulté de l’exercice ».

Pour Nicolas Hulot, « l’enjeu est universel, mais il est encore abordé à travers le prisme national. Comme ça, on n’y arrivera pas. Il faut avoir à l’esprit que nous serons tous gagnants ou tous perdants ». « La voix de l’Europe est loin d’être insignifiante. Elle a la crédibilité et le leadership », a-t-il estimé. « Mais elle n’est pas en situation de donner des leçons à qui que ce soit, en raison de sa responsabilité historique » dans les émissions. « Les Européens ont toutefois la crédibilité pour faire des recommandations », a-t-il assuré. « Mails ils ne sont pas encore suffisamment synchronisés dans leurs actions. Ils doivent mieux se coordonner dans les initiatives et le partage des tâches ».

Climat: Paris sur le chemin de Copenhague?

Valéry Laramée de Tannenberg
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Discussions à rallonge, promesses au compte-goutte, l’élaboration de l’accord de Paris sur le changement climatique marque le pas. Une lenteur qui n’est pas sans rappeler le rythme ayant prévalu avant la conférence de Copenhague, en 2009.

A moins de trois semaines de l’ouverture du prochain round officiel de négociations climatiques (à Bonn), un vent de lassitude souffle sur l’équipe de France. Recevant, jeudi 7 mai, quelques journalistes à l’issue de deux jours de discussions informelles à l’OCDE, la représentante spéciale pour les questions climatiques a eu bien du mal à masquer son découragement. Non sans avoir rappelé la volonté des pays d’aboutir à un accord, à l’issue de la conférence de Paris (en décembre), Laurence Tubiana les a toutefois exhortés «à passer en mode de négociation». «Il faut que l’on accélère sinon on ne va pas y arriver», a poursuivi l’ancienne patronne de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri).

Il est vrai que les retards s’accumulent. A commencer par la publication des fameuses promesses climatiques des 195 pays, parties à la convention-cadre de l’ONU sur les changements climatiques (CCNUCC). En décembre dernier, lors du sommet climatique de Lima, les diplomates avaient fixé la date du 31 mars comme échéance pour la publication de ses fameuses INDC[1]. Nous en sommes très loin.

36 contributions nationales

A l’heure où nous mettons en ligne, le site dédié de la CCNUCC compte 36 contributions nationales, dont celles des 28 membres de l’Union européenne. Et le tempo n’est pas très vivace. Selon une note confidentielle du service européen pour l’action extérieure, une douzaine de nouvelles contributions seulement sont attendues avant l’été, dont probablement celles de l’Arabie Saoudite, du Canada et de la Chine. Le gros de la troupe devrait être publié durant l’automne. Pour le moment, des pays lourds de la négociation, comme la Corée du Sud, le Japon, l’Australie ou l’Inde refusent de communiquer la date de leur mise en conformité.

En soi, ces retards ne sont pas dramatiques. Mais en abattant leurs cartes tardivement, les gouvernements retardataires compliquent les discussions. Comment élaborer un projet d’accord censé stabiliser le réchauffement à 2°C d’ici la fin du siècle en faisant fi des engagements de grands émetteurs?

Promesses pas rassurantes

D’autant que les promesses déjà connues ne sont pas des plus rassurantes. A l’exception de l’Union européenne, qui prévoit d’abattre de 40% ses émissions de gaz à effet de serre entre 1990 (année de référence de l’ONU) et 2030, aucun pays important (hormis la Norvège) n’envisage semblable effort. Les Etats-Unis promettent d’atteindre, en 2025, l’objectif de réduction que leur fixait pour 2012 le protocole de Kyoto. La Russie s’engage activement à ne rien faire d’autre que de regarder sa forêt (un puits de carbone) pousser. Petite émettrice, la Suisse entend bien réduire de moitié son empreinte climatique, en achetant de grandes quantités de crédits internationaux. Bref, chacun entend faire ce qu’il veut et comme il lui plaît. Est-ce bien compatible avec l’«accord universel qui ait une force juridique réelle» dont rêve le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius?

Inflation textuelle

Pas de miracle à attendre non plus du gouvernement canadien (qui est sorti du protocole de Kyoto) ou australien (qui a aboli taxe carbone et marché de quotas). Le Japon, lui, attend toujours de connaître l’avenir de son parc nucléaire pour définir son programme de lutte contre le réchauffement. Mais les derniers échos en provenance de Tokyo ne sont pas réjouissants.

Tout aussi inquiétante est la tournure prise par les discussions qui portent sur le projet même d’accord. Publiée dans les dernières heures du sommet de Lima, sa première mouture pesait à peine 41 pages et ouvrait déjà toutes les pistes possibles. Deux mois plus tard, le draft avait doublé de volume, à l’issue du round préparatoire de Genève. Dans sa version française, le «texte de négociation» affiche désormais 136 pages. Et rien ne garantit la fin de l’inflation. Pour mémoire, l’accord conclu à l’arraché en décembre 2009 à Copenhague couvre à peine 6 pages.

Copenhague? Son évocation seule fait frémir les négociateurs, 6 ans après le semi-échec de la 15e conférence des parties. L’histoire peut-elle se répéter? Ce n’est pas exclu. Huit mois avant l’ouverture du sommet de Paris, le nombre de désaccords entre les 195 parties à la conférence reste impressionnant. Faute de pouvoir imaginer leur bouquet énergétique futur, certains grands émetteurs, comme le Japon, l’Inde ou le Brésil, peinent à élaborer leur stratégie climatique. Des dizaines de petits pays ont recours aux experts des pays les plus riches (la France en aide une trentaine) pour produire leur INDC. D’autres, comme le Gabon, négocient chèrement leur soutien au processus. Et ça n’est pas terminé. D’ici décembre, les négociateurs doivent se retrouver encore trois fois. Officiellement.

[1] Contributions prévues déterminées au niveau national (Intended Nationally Determined Contributions, ou INDC)

Fossiles : dix raisons de sevrer la planète

Isabelle HANNE et Coralie SCHAUB
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La dépendance au pétrole, au charbon et au gaz a atteint des niveaux inégalés, menaçant l’environnement et l’économie mondiale. Pourtant, les alternatives existent et sont désormais rentables.

Nous sommes tous junkies. Dépendants au charbon, au pétrole et au gaz. Produits de la décomposition de forêts et micro-organismes voilà des millions d’années, les combustibles fossiles ont dormi sous terre jusqu’à ce qu’Homo Sapiens se mette à les extraire à marche forcée à partir du milieu du XIXe siècle. Grâce à ce shoot énergétique, tout est devenu possible : le drapeau sur la Lune, les fraises en hiver, la pâte à prout fluo. Plus que jamais, les hydrocarbures irriguent nos vies. Et nos dealers sont bichonnés. Le Fonds monétaire international (FMI) estimait en 2013 que les gouvernements de 176 pays ont subventionné – allégements fiscaux, incitations ou financements directs – à hauteur de 1 900 milliards de dollars le secteur des énergies fossiles en 2011, soit 2,5% du PIB mondial.

Accros ou pas, il va falloir trouver notre bonheur ailleurs. La baisse du prix du pétrole pendant quelques mois nous a maintenus dans l’illusion de la défonce, mais il est déjà remonté. Les gisements facilement accessibles et peu chers à exploiter se tarissent. Surtout, si nous voulons avoir une chance de vivre dans un monde à peu près stable ces prochaines décennies, nous ne pourrons pas extraire jusqu’au dernier atome de carbone du sous-sol. Même Barack Obama l’a dit : «On ne pourra pas tout brûler.» Pas le choix, il faut se désintoxiquer. Bonne nouvelle, c’est possible. A condition de ne pas bloquer le changement, comme s’y ingénie le secteur des fossiles : selon l’ONG Oxfam, en 2013, il a dépensé 213 millions de dollars pour faire pression sur les décideurs publics aux Etats-Unis et dans l’Union européenne. Voici dix raisons de laisser reposer le carbone en paix.

1-Ça détraque le climat

Première cause du changement climatique, les énergies fossiles représentent plus de 80% des émissions mondiales de CO2 et 65% de toutes les émissions de gaz à effet de serre (GES). Les plus «sales» sont le charbon et les hydrocarbures non conventionnels, toujours plus profonds et plus chers. Parmi ces derniers figurent les sables bitumineux, qui émettent 23% à 50% de plus de gaz à effet de serre que le pétrole conventionnel. Ou les gaz et huiles de schiste, dont la production engendre des fuites de méthane, gaz 25 fois plus «réchauffant» que le CO2. Depuis 1880, la température du globe s’est élevée de 0,85°C en moyenne et 14 des 15 premières années du XXIe siècle sont les plus chaudes jamais enregistrées. Conséquence : un tiers de la glace arctique fond en été, les océans s’acidifient, sécheresses et ouragans se multiplient.

La communauté internationale s’est fixé l’objectif de contenir le réchauffement à + 2°C – ce qui est déjà beaucoup, au point d’inquiéter la Banque mondiale – sans se donner les moyens d’y parvenir : nous brûlons toujours plus de fossiles. Si nous exploitons tous ceux disponibles, les températures grimperont de 9°C, s’est alarmé début avril Michael Greenstone, professeur à l’Université de Chicago et ancien chef économiste de la Maison Blanche. Et à + 9°C, nous sommes tous carbonisés. Pascal Canfin, ancien ministre du Développement et conseiller pour le climat du think tank World Resources Institute, fait un parallèle avec la température du corps dans son livre Climat, 30 questions pour comprendre la conférence de Paris (les Petits Matins) : «A 39°C, nous sommes fragilisés ; à 40°C, nous allons à l’hôpital ; à 41°C, nous sommes au bord du trépas.»

En octobre, le Pentagone tirait la sonnette d’alarme en pointant les menaces du changement climatique sur la sécurité nationale américaine : risques accrus de terrorisme, maladies infectieuses, pauvreté et pénuries alimentaires. Nouveauté par rapport à ses précédentes alertes : l’armée américaine parle au présent et estime nécessaire une action immédiate.

Pour espérer contenir le réchauffement à + 2°C d’ici à 2100, il faudra laisser dans le sol un tiers du pétrole, la moitié du gaz et 82% du charbon restants, selon une étude de l’University College de Londres.

2-Il y a un risque de bulle du carbone

«Nous avons vu et ressenti les coûts de la sous-estimation de la bulle financière. N’ignorons pas la bulle du climat.» L’auteur de ces phrases écrites en juin 2014 dans une tribune du New York Times intitulée «le Krach climatique à venir» n’est pas un dangereux écolo mais Hank Paulson, l’ancien patron de Goldman Sachs et ex-secrétaire au Trésor de George W. Bush. En 2012, le groupe de recherche britannique Carbon Tracker calculait que pour maintenir le réchauffement en-deçà de + 2°C, seul un cinquième des réserves fossiles affichées dans les bilans des industriels des énergies fossiles devrait être exploité. Les sommes en jeu sont colossales : la valeur de ces réserves totalise 28 000 milliards de dollars, plus de dix fois le PIB du Royaume-Uni. Dans tous les cas, les investisseurs seront perdants : si les Etats n’agissent pas pour éviter le chaos climatique, ils perdront du fait des immenses dégâts causés sur d’autres investissements ; s’ils agissent, la plupart de leurs actifs liés aux fossiles sont voués à perdre toute valeur. Et la gigantesque bulle du carbone éclatera.

Peu médiatisé, ce risque émeut pourtant le monde de la finance. De Goldman Sachs à HSBC ou la Deutsche Bank, tous s’inquiètent et sentent le vent tourner en faveur des énergies renouvelables et de l’efficacité énergétique. La Banque d’Angleterre, qui enquête sur la menace, devrait rendre ses conclusions en juillet. Et mi-avril, le G20 a donné mandat au Conseil de stabilité financière (FSB, le régulateur du système financier mondial) de se pencher sur le risque climat. Tous les pays membres auraient accepté de coopérer, y compris les Etats-Unis, la Chine, l’Inde, la Russie, l’Australie, l’Arabie Saoudite ou le Canada. «Question fossiles, ces pays ne sont pas des enfants de chœur, donc pour qu’ils acceptent à l’unanimité de faire ce type d’enquête, on peut considérer qu’il y a un risque systémique potentiel colossal», remarque Sébastien Godinot, économiste et expert des énergies fossiles au WWF.

L’affaire se corse déjà pour le charbon. En 2014, sa consommation a baissé de 2,9% en Chine, «à cause des problèmes sanitaires graves et parce que les énergies renouvelables deviennent compétitives», note Godinot. «Vu que la Chine représente la moitié de la consommation mondiale de charbon et l’essentiel des hausses prévues des exportations de l’Australie, c’est tout sauf anecdotique pour le marché.» En Australie, les cours des entreprises du charbon s’effondrent. Et les principales banques françaises sont sorties début avril du plus gros projet de charbon australien à cause d’un risque d’image et d’incertitudes sur les gains financiers. Aux Etats-Unis, la valeur boursière des sociétés du charbon s’est écroulée depuis cinq ans et les investisseurs institutionnels commencent à désinvestir (lire page 5). «Pas seulement pour le climat, mais parce que les actions ne valent plus rien : celle de Peabody, le plus gros mineur de charbon privé du monde, est passée de 80 à 4 dollars en quelques années et le potentiel de remontée de ces valeurs est proche de zéro», explique Godinot.

3-Agir coûte moins cher que ne rien faire

L’économiste britannique et ex-vice-président de la Banque mondiale Nicholas Stern le martèle depuis 2006. Son rapport sur les implications économiques du changement climatique avait fait l’effet d’une bombe médiatique – mais d’un pétard mouillé quant aux décisions politiques : les dommages causés par le réchauffement seraient 5 à 20 fois supérieurs aux «sacrifices» à consentir pour lutter efficacement contre l’effet de serre. L’économiste chiffrait alors l’action nécessaire chaque année à 1% du PIB mondial … pour éviter des dégâts susceptibles de s’élever au moins à 20%du PIB par an. Et il a reconnu dès 2008 avoir «gravement sous-estimé» l’ampleur des risques.

La facture de l’inaction commence déjà à se faire lourdement ressentir. Le géant de l’agroalimentaire Unilever perd 300 millions d’euros par an à cause des phénomènes météos extrêmes. Selon l’assureur Loyd’s of London, le coût des catastrophes naturelles a grimpé de 870 milliards depuis 1980.

L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a elle aussi souligné l’intérêt d’agir illico : en mai 2014, elle estimait à 44 000 milliards de dollars les dépenses permettant de garantir un avenir énergétique propre à l’échelle mondiale d’ici à 2050. Ce qui ne représente qu’une faible part du PIB mondial, ces coûts étant d’ailleurs couverts par des économies en combustibles de plus de 115 000 milliards de dollars. Et d’insister : plus on tarde, plus la douloureuse s’alourdit. Pour chaque dollar non investi dans des technologies plus propres avant 2020, ce sont 4,30 dollars de plus qui devront être dépensés après 2020 pour compenser les émissions accrues.

4-On peut éviter la crise de manque…

Il existe une foule de solutions pour se désintoxiquer des fossiles sans ressentir de manque. D’abord, retrouver un minimum de bon sens et de mesure. Pas moins de 60% de la consommation mondiale d’énergie serait gaspillée (appareils en veille, bouchons sur la route, logements mal isolés, pertes dans la production et le transport d’électricité…). Alors que beaucoup n’ont pas encore accès à celle-ci, d’autres jugent indispensable de skier à Dubaï, d’éclairer les vitrines la nuit, d’installer des pubs vidéo dans le métro ou de faire décortiquer les crevettes de la mer du Nord au Maroc avant de les faire revenir en Europe. Limiter les pertes de chaleur des bâtiments, accroître la performance et le rendement des appareils permet par ailleurs de faire mieux avec moins.

«Les potentiels d’économie par l’efficacité et la sobriété constituent une véritable ressource, on peut parler de gisement de négawatts», écrit l’association de professionnels de l’énergie NégaWatt dans Changeons d’énergies, transition, mode d’emploi (Actes Sud, 2013). Sobriété et efficacité, voilà les deux piliers du scénario qu’elle a établi pour la France : une politique très volontariste en la matière permettrait de diminuer la demande en énergie primaire de 65% en 2050 par rapport à 2010, soit de faire «près des deux tiers du chemin». Les besoins ainsi réduits, les renouvelables pourraient assurer 91% des ressources énergétiques françaises en 2050. Le charbon serait utilisé marginalement dans la sidérurgie. Et le pétrole, «remplacé peu à peu par le gaz renouvelable (biogaz, méthanisation) dans les transports automobiles, serait progressivement limité à l’aviation et aux usages nobles dans la pétrochimie». Des scénarios similaires ont été conçus par Greenpeace ou WWF au niveau mondial. Afterres 2050 propose par ailleurs de décarboner l’agriculture française. Surtout, de l’agriculture urbaine aux coopératives de production d’énergie renouvelable, moult alternatives concrètes prouvent déjà qu’on peut réduire notre dépendance aux fossiles.

5-… tout en restant compétitifs

Les énergies fossiles sont cinq fois plus subventionnées que les renouvelables au niveau mondial. Et leurs prix ne tiennent pas compte des dégâts qu’elles causent, sinon «les énergies renouvelables seraient largement moins chères» depuis un bail, remarque l’économiste Thomas Porcher. Malgré ces boulets aux pieds, les renouvelables sont en passe de gagner la course : pour les fossiles, «c’est le début de la fin», soulignait l’agence Bloomberg mi-avril. Le prix d’un panneau photovoltaïque a été divisé par huit entre 1990 et 2014. Et le solaire ou l’éolien «deviennent si vite compétitifs que c’est parfois difficile à croire. Les décideurs peinent à suivre le rythme des informations sur le sujet», observe Sébastien Godinot, du WWF.

Depuis 2013, le monde installe chaque année plus de nouvelles capacités de production électrique à partir de renouvelables qu’à partir de charbon, gaz et pétrole réunis. Le solaire a particulièrement le vent en poupe : s’il représente aujourd’hui moins de 1% du marché, l’AIE estime qu’il peut devenir la principale source d’électricité d’ici à 2050. Et la batterie pour domicile et entreprises dévoilée fin avril par le Californien Tesla est «très prometteuse, notamment dans les pays en développement, pour fournir un accès décentralisé aux énergies renouvelables pour tous et remplacer les groupes électrogènes», estime Godinot.

Quant à la France, elle pourrait avoir une électricité 100% verte en 2050, sans nucléaire et sans que cela soit plus coûteux que l’atome, conclut un rapport de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise d’énergie (Ademe). D’abord caché car gênant quantité d’intérêts établis, il a fait grand bruit après sa publication, début avril, par Mediapart. Même Total a investi dans le solaire, avec le rachat en 2011 de 60% du capital de SunPower pour 1,38 milliard de dollars. Mais le gros de ses activités reste le pétrole et le gaz. Pour l’ONG les Amis de la Terre, il s’agit surtout pour l’instant «d’avoir une bonne image, de préserver la concentration du secteur de l’énergie contre un modèle décentralisé et à échelle humaine, et mettre la main sur les lobbys des énergies renouvelables pour faire baisser leurs objectifs de production».

6-La transition est bonne pour l’emploi

Non, les énergies fossiles ne créent pas plus d’emplois que les renouvelables, et la transition énergétique ne va pas tous nous mettre au chômage. C’est même le contraire : aux Etats-Unis, le solaire emploie déjà plus que le charbon, et le fossé se creuse. Les renouvelables nécessitent de la main-d’œuvre locale pour la vente, l’installation, l’entretien… Alors que les projets relatifs aux fossiles, une fois construits, en requièrent peu. L’oléoduc américain Keystone XL devait par exemple créer 20 000 emplois. Une réévaluation du Département d’Etat américain indique désormais qu’il en créerait… 35. «Les industries extractives sont surtout intensives en capital, pas en travail», remarque Celia Gautier, du Réseau action climat (RAC) France. Selon une étude de l’Université du Massachusetts, investir 1 million d’euros permet de créer 5 emplois dans le charbon, mais 14 dans les renouvelables et 19 dans l’efficacité énergétique. Le secteur du gaz de schiste, qui a longtemps fait miroiter de nombreux emplois, est fort décevant. Selon un rapport de 2013 du Multi-State Shale Research Collaborative (un groupe de recherche inter-Etats sur le schiste), «entre 2005 et 2012, moins de quatre nouveaux emplois directs ont été créés pour chaque nouveau puits. Les estimations des études financées par l’industrie prévoyaient, elles, 31 nouveaux emplois par puits». A l’inverse, le programme des Nations unies pour l’environnement estime que les secteurs du solaire et de l’éolien pourraient créer respectivement 6,3 millions et 2,1 millions d’emplois dans le monde d’ici à 2030. En 2013, environ 6,5 millions de personnes étaient employées directement ou indirectement dans l’industrie des énergies renouvelables dans le monde, selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables. Et le centre de recherche allemand New Climate Institute a calculé que plus de 420 000 emplois pourraient être créés dans les énergies renouvelables d’ici à 2030 dans l’Union européenne si celle-ci poursuivait l’objectif de + 2°C en 2100 et de 100% de renouvelables en 2050. De quoi, aussi, sauver 46 000 vies et économiser 156 milliards d’euros par an.

7-La facture est salée pour la France

En 2013, selon le ministère de l’Ecologie, la facture énergétique de la France s’élevait à 66 milliards d’euros, dont 52 milliards rien que pour le pétrole, 14,2 milliards pour le gaz, et 1,9 milliard pour le charbon. Seules les exportations d’électricité (1,8 milliard d’euros en 2013) permettent d’alléger la note. A cela, le secteur fossile et une partie du monde politique a répondu : gaz de schiste. Malgré les risques de pollution de l’eau et les émissions de gaz à effet de serre.

Il y a pourtant d’autres réponses : baisser la consommation d’énergie ou développer les renouvelables permettrait à la France de réduire son déficit commercial et sa dépendance à des régimes politiques parfois peu fréquentables. «Les sources d’énergie sobres en carbone et renouvelables peuvent améliorer la sécurité énergétique en améliorant l’offre énergétique locale, ce qui réduirait la dépendance envers des énergies fossiles importées et conférerait une certaine souplesse pour la fourniture d’électricité en dehors des infrastructures du réseau électrique existantes, qui sont souvent inadéquates», indique Oxfam. Le tout en faisant des économies : améliorer l’efficacité énergétique de 40% dans l’UE d’ici à 2030 pourrait permettre aux ménages et à l’industrie d’économiser plus de 239 milliards d’euros par an sur leurs factures – soit tout de même 300 euros d’économies par ménage européen et par an en moyenne.

8-Les fossiles sont une source de conflit

Du Nigeria à Madagascar en passant par la Patagonie, l’extraction des fossiles est facteur de fortes tensions. L’ONU souligne que «l’exploitation des ressources naturelles non renouvelables, y compris le pétrole, le gaz, les minerais et le bois d’œuvre, a souvent été citée comme un vecteur important de déclenchement des conflits violents, de leur intensification ou poursuite dans le monde». La faiblesse ou l’absence de participation des communautés locales à ces activités, l’injuste répartition des richesses qui en sont le fruit, la corruption, l’accaparement des terres par des compagnies étrangères, la violation d’aires protégées, la pollution des sols et de l’eau, ou l’absence d’indemnisation des communautés concernées peuvent déséquilibrer des régions entières. On parle alors de «malédiction des ressources», d’autant plus forte que les institutions publiques sont faibles.

«Les indices de gouvernance (sur la démocratie, les droits de l’homme, la corruption) sont plus faibles dans les pays en développement producteurs de pétrole que chez les non-producteurs», remarque l’économiste Thomas Porcher. En 2011, le rapporteur spécial de l’ONU sur les défenseurs des droits humains signalait notamment des violations liées à un gazoduc (Brésil), à des exploitations minières (Chine, Mexique, Equateur, Papouasie-Nouvelle Guinée, Pérou), ou à la production de pétrole et d’essence (Chine, Nigeria, Pérou).

Ces conflits liés à des ressources fossiles peuvent s’étendre à l’échelle régionale ou internationale. On considère aujourd’hui que la guerre d’Irak de 2003 avait pour but de sécuriser les approvisionnements pétroliers des pays de la coalition. «Le défi visant à surmonter les conflits induits par les industries extractives pourrait bien finir par consister à définir la paix et la sécurité mondiales au XXIe siècle», estime carrément l’ONU.

9-En finir avec la pauvreté énergétique

Le charbon, c’est sale, certes, mais c’est le seul moyen pour les plus pauvres d’avoir accès à l’énergie. C’est en substance le message de l’industrie. Pour le géant américain Peabody Energy Corp, l’utilisation du charbon est même «essentielle pour répondre aux besoins désespérés en électricité de l’Afrique». «Cet argument ne tient pas», dénonce Celia Gautier, du Réseau action climat France. Comme l’a montré l’ONG Carbon Tracker, 84% des personnes qui n’ont pas accès à l’énergie (soit 20% de la population mondiale) vivent en zone rurale, où le coût d’un réseau de distribution électrique serait prohibitif. L’ONG, qui s’est concentrée sur l’Afrique subsaharienne et l’Inde, démontre que les renouvelables décentralisés comme le solaire ou l’éolien coûtent moins cher que la construction d’un nouveau réseau et d’une centrale à charbon. Les ressources en charbon sont, de plus, mal distribuées en Afrique, et concentrées dans la pointe sud du continent. Selon Carbon Tracker, «le développement des énergies renouvelables évite de forcer les pays en développement à d’onéreuses importations de charbon». L’ONG préconise un mix de solaire et de générateurs diesel pour les ménages et les petites entreprises en zones rurales, «puisque les coûts du photovoltaïque diminuent et que les technologies de batteries s’améliorent».

Dans une tribune publiée mi-avril dans le Guardian, l’ancien vice-président américain Al Gore et David Blood, ex-directeur général de Goldman Sachs Asset Management, rappellent qu’il faut aussi prendre en compte le coût de la pollution de l’air causée par la combustion du charbon. «Cette instrumentalisation d’un besoin humanitaire urgent pour servir la promotion du charbon dans les pays pauvres est extrêmement trompeuse, écrivent les auteurs. Une augmentation de l’utilisation du charbon aggraverait considérablement la condition des 1,3 milliard de personnes embourbées dans la pauvreté énergétique.»

10-C’est un enjeu de santé publique

On l’appelle parfois le «tueur invisible». La pollution de l’eau, de l’air et du sol provoquée par l’extraction et la combustion des fossiles est la première cause de mortalité dans le monde : elle tuerait trois fois plus que le VIH, le paludisme et la tuberculose réunis. Malformations congénitales, retards de développement, troubles neurologiques, maladies cardiaques et respiratoires, cancers du poumon… «Même si les énergies fossiles ne jouaient aucun rôle comme cause du changement climatique, les impacts immédiats de la combustion des énergies fossiles sur le seul secteur de la santé publique devraient fortement inciter à l’adoption d’options alternatives», plaide l’ONG Oxfam. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que la pollution de l’air, dans les villes comme les campagnes, a provoqué 3,7 millions de décès prématurés en 2012.

Mortelle et chère, la pollution : le coût des 600 000 décès prématurés et maladies provoqués par la seule pollution de l’air atteignait, en 2010, 1 600 milliards de dollars rien que pour l’Europe, selon une étude de l’OMS et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) publiée fin avril. «Pratiquement l’équivalent d’un dixième du PIB de l’Union européenne en 2013», souligne celle-ci.

Plus de 90% des citoyens européens sont exposés à des niveaux annuels de particules fines supérieurs aux recommandations de l’OMS. «Il est rentable d’atténuer les effets de la pollution de l’air sur la santé, conclut la directrice régionale de l’OMS pour l’Europe, Zsuzsanna Jakab. Si différents secteurs unissent leurs forces sur ce sujet, non seulement on peut sauver des vies, mais également faire des économies stupéfiantes.»