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Articles du Vendredi : Sélection du 15 avril 2022

Feu la sobriété énergétique
Maxime Combes
www.politis.fr/articles/2022/04/feu-la-sobriete-energetique-44282/

Plutôt que de miser sur une baisse des consommations pour se passer du gaz et du pétrole russes, les pays européens leur cherchent des substituts et se tournent vers d’autres pays exportateurs.

Aussi incroyable que cela paraisse, les pays de l’Union européenne (UE) importent plus de gaz russe en ces premiers jours d’avril qu’au début de l’invasion de l’Ukraine par Vladimir Poutine (1). Les dirigeant·es de l’UE ne cessent de dénoncer les crimes de guerre et d’insister sur les sanctions prises envers la Russie et les oligarques, mais agissent comme si la sécurité des approvisionnements énergétiques et les enjeux économiques européens primaient toujours, quoi qu’il en coûte. Comme si 1 point de PIB européen valait plus que des milliers de civils morts en Ukraine.

Notre dépendance aux hydrocarbures russes finance pourtant les crimes de guerre de Poutine : depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les pays européens ont versé plus de 19 milliards d’euros à la Russie pour se fournir en gaz, en pétrole et en charbon (2). Loin d’être nouvelle, cette dépendance a été renforcée par la politique européenne de ces dernières années : nos importations de gaz russe ont continué d’augmenter de 4 % par an depuis 2015 et la COP 21, tandis que TotalEnergies, avec l’appui de l’Élysée et de Bercy, n’a cessé de renforcer sa présence en Russie.

Depuis le début de l’agression russe, les discours ont certes changé : on ne compte plus les personnalités politiques françaises et européennes réclamant à cor et à cri de réduire notre dépendance, alors qu’elles n’avaient jusqu’alors jamais rien entrepris en ce sens. Il y a même quelque chose d’indécent à les entendre nous demander de baisser nos thermostats d’un degré alors que 12 millions de personnes vivent en situation de précarité énergétique en France. Et alors que le secteur résidentiel ne représente que 38 % de la consommation nationale, contre 40 % pour les grands sites industriels, de bureaux et de commerce.

D’ailleurs, nombre de ces personnalités, plutôt que d’envisager une véritable politique de sobriété aussi efficace que juste socialement, se tournent très rapidement vers une autre option : trouver des substituts au pétrole et au gaz russes, particulièrement via l’augmentation des importations d’autres pays (Norvège, États-Unis, Algérie, Qatar, Azerbaïdjan) et la construction de nouvelles infrastructures (ports et navires méthaniers, etc.) pour acheminer le gaz jusqu’aux consommateurs européens.

En France, il est ainsi envisagé de construire un nouveau complexe méthanier au Havre. Plus au sud, c’est un projet de gazoduc, dit MidCat, qui est à nouveau évoqué afin de mieux connecter l’Espagne et ses sept terminaux méthaniers au réseau gazier nord-européen via la Catalogne, les Pyrénées, le Languedoc et la vallée du Rhône. En Lorraine, un industriel veut exploiter le gaz de couche (3) et une petite musique commence à se faire entendre sur le besoin d’exploiter le gaz de schiste, tous deux ayant pourtant été clairement rejetés par les populations et les élus locaux.

Ce gaz de schiste, promu par la Maison Blanche et le Pentagone comme celui de la « liberté » face à son alter ego russe, mais dont la production est interdite ou impossible en Europe, va d’ailleurs être massivement importé sur le Vieux Continent. Joe Biden a promis à l’UE 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié, soit l’équivalent de 10 % des importations annuelles achetées à Moscou. Comme si une telle substitution pouvait assurer une forme de sécurité et d’indépendance énergétiques. Il n’en est rien.

C’est une constante européenne : la sobriété est le parent pauvre des politiques climatiques de l’UE et de ses États membres, qui, préférant reculer pour mieux sauter, renvoient toujours à plus tard les mesures nécessaires pour drastiquement réduire nos besoins en énergies fossiles et ainsi gagner, en plus d’une certaine autonomie, une forme de sécurité énergétique et climatique.

Contrairement à ce que prétendent certains observateurs, la sobriété énergétique ne devient pas «une arme pacifique de résilience et dautonomie (4)» mais au contraire un repoussoir politique. La guerre n’est pas prétexte à plus d’écologie. Au contraire, nous assistons aux prémices d’une fuite en avant qui vise à maintenir, quoi qu’il en coûte, notre insoutenable ébriété qui, en plus de dérégler le climat, place notre avenir collectif dans les mains de criminels de guerre. Pour basculer dans la sobriété, il nous faudra faire bien plus qu’espérer que la guerre en Ukraine nous y contraigne (5).

 

Par Maxime Combes Économiste et auteur de Sortons de l’âge des fossiles! Manifeste pour la transition (Seuil)

(1) Via gazoduc, selon les données de la station de Velke (Ukraine).

(2) Centre for Research on Energy and Clean Air, crea.shinyapps.io/russia_counter

(3) Lire «Libérons la politique des énergies sales: pour la fin du soutien au gaz de couche en Lorraine», 19 janvier, 2021, sur Politis.fr

(4) «La naissance de l’écologie de guerre», Pierre Charbonnier, 18 mars 2022, legrandcontinent.eu

(5) «Sorienter écologiquement par temps de guerre et de choc pétro-gazier», Maxime Combes et Nicolas Haeringer, 28 mars 2022, aoc.media

Trois mois après le début de la Présidence Française du conseil de l’Union Européenne, quel bilan pour le climat ?
RAC
https://reseauactionclimat.org/trois-mois-apres-le-debut-de-la-presidence-francaise-du-conseil-de-lunion-europeenne-quel-bilan-pour-le-climat

La guerre lancée par la Russie en Ukraine a forcé l’Union européenne à mettre en question sa dépendance aux énergies fossiles. La Présidence française a fait adopter des positions, (sur les sanctions, l’énergie), tout en avançant, plus ou moins vite, sur les dossiers du Green Deal Européen.

Depuis le premier janvier 2022, la France préside les discussions au Conseil de l’Union européenne. La PFUE est une opportunité pour la France de porter des mesures ambitieuses pour le climat, en particulier concernant les textes du paquet européen sur le climat appelé « Fit for 55 » : 14 propositions de loi européennes visant à s’attaquer aux émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs (taxe carbone aux frontières, rénovation des bâtiments, fin de vente des véhicules essence, diesels et hybrides, réforme du marché carbone, etc).

L’arrivée de la guerre sur le continent a modifié les priorités de la présidence française, l’urgence de la question de la dépendance aux énergies fossiles russes remplaçant celle de la transition écologique. Pourtant les textes sur la table des négociations sont essentiels pour l’indépendance énergétique de l’Union. Il reste donc beaucoup à faire pour faire avancer le paquet climat « Fit for 55 » avant la fin de la PFUE.

Guerre en Ukraine : l’indépendance énergétique de l’UE en question

L’invasion russe de l’Ukraine et la guerre qui s’enlise sur le continent européen est une étape majeure de l’histoire de l’Europe, dont toutes les répercussions ne sont pas encore visibles. La guerre a bouleversé les agendas et les discussions menées depuis plus d’un mois en Europe et a souligné l’extrême vulnérabilité de l’Union européenne en raison de sa dépendance aux énergies fossiles. Les conséquences sont lourdes. En se fournissant en gaz fossile, pétrole et charbon en Russie, l’Union européenne contribue à financer à hauteur de plusieurs milliards d’euros la guerre menée en Ukraine. Une position de plus en plus délicate pour l’Europe qui découvre progressivement les horreurs de la guerre.

La répercussion la plus visible pour les Européens concerne les prix de l’énergie qui continuent d’exploser, alors même qu’ils étaient déjà élevés avant le début de la guerre et qui risquent de faire basculer 80 millions d’Européens dans la précarité énergétique.

Face à la vulnérabilité énergétique de l’UE, quelle est la réponse de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne ?

La taxonomie européenne : un début de Présidence française qui sent le gaz fossile

Avant même la guerre en Ukraine, la question de la place du gaz fossile en Europe faisait l’objet de débats en Europe. En janvier dernier, la Commission européenne a proposé, contre l’avis des experts de la finance durable, de labelliser le gaz fossile et le nucléaire comme « énergies de transition » dans la taxonomie européenne, autrement dit des énergies pour lesquelles les investissements seraient les bienvenus. La France a activement milité en faveur de cette proposition à travers une alliance avec la Pologne, la Hongrie ou encore la Roumanie. Résultat ? Les investissements dédiés à la transition écologique risquent d’être détournés en faveur du gaz fossile et du nucléaire… renforçant donc la dépendance de l’Union européenne et en contradiction totale avec nos objectifs climatiques.

De nouvelles routes du gaz et du pétrole, plutôt que la transition énergétique

Les chefs d’État et de gouvernement, réunis d’abord à Versailles les 10 et 11 mars pour un Sommet exceptionnel puis à Bruxelles deux semaines plus tard pour le Conseil européen, ont indiqué vouloir réduire la dépendance énergétique de l’Union européenne en achetant du gaz fossile à d’autres puissances étrangères. La priorité semble être désormais donnée à la création de nouvelles routes pour le gaz et le pétrole plutôt qu’à la réduction de notre consommation d’énergies fossiles. 

Elle est matérialisée notamment par le récent accord d’importation de 15 milliards de mètres cubes de gaz naturel liquéfié supplémentaires entre l’Union européenne et les États-Unis dès 2022 et jusqu’à 50 milliards d’ici à 2030, ou par les négociations avec le Qatar. La diversification de l’approvisionnement et la potentielle construction de nouvelles infrastructures de gaz fossile comme des terminaux de gaz naturel liquéfié éloignent l’Europe de la voie de son indépendance énergétique et de ses objectifs climatiques. La France, elle-même, réfléchit à développer de nouvelles infrastructures gazières au Havre. Remplacer une énergie fossile par une autre ne règle pas le problème central : la dépendance aux énergies fossiles. L’Agence internationale de l’énergie estime pourtant que les pays développés devraient sortir du charbon en 2030 et du gaz en 2035 et donc développer massivement les énergies renouvelables et les économies d’énergies sur le court-terme.

Électrochoc en faveur de la transition énergétique ? La France toujours attendue

La seule voie qui permettrait l’indépendance énergétique à moyen terme de l’Union européenne est de rompre avec l’usage des énergies fossiles en accélérant le déploiement des énergies renouvelables, en massifiant la rénovation énergétique performante des bâtiments et en faisant des économies d’énergies. Le paquet climat « Fit for 55 » pose toutes les solutions sur la table des négociations : directive énergies renouvelables, directives efficacité énergétique et performance énergétique du bâtiment.

Depuis le début de la guerre le 24 février, les pays de l’Union européenne ont pris conscience de la nécessité de réduire leur dépendance aux énergies fossiles (russes), et un certain nombre de pays ont décidé, au niveau national, d’accélérer le déploiement des énergies renouvelables sur leur sol. C’est notamment le cas de la Pologne qui a mis en place un plan pour sortir des énergies fossiles russes, de la Lituanie qui a cessé ses importations de gaz russe, ou des Pays-Bas qui renforcent leurs efforts dans les énergies renouvelables. Les Députés européens débattent de l’accélération du développement des énergies renouvelables en Europe pour qu’elles atteignent entre 45 % et 56 % du mix énergétique en 2030.

Au Conseil de l’UE, malgré les déclarations de Barbara Pompili, la Présidence française a pour le moment fait l’impasse sur la hausse des objectifs de transition énergétique européens. La France n’a pas encore ouvert ce débat entre les État membres alors que la guerre en Ukraine devait être un électrochoc. De la même manière, la France continue de s’opposer à la date de fin de vente des véhicules essence, diesel et hybrides neufs d’ici à 2035, alors que d’autres États comme la Suède, la Belgique ou le Danemark voient la crise énergétique comme une incitation à accélérer et ramener la date vers 2030. La France devra donc aller plus loin pour la seconde partie de la PFUE.

Un choix difficile à porter pour la France qui, nationalement, n’est pas au rendez-vous. Elle est d’ailleurs le seul État membre de l’Union européenne à n’avoir pas rempli ses objectifs en matière de déploiement des énergies renouvelables pour 2020.

La crise alimentaire comme prétexte pour mettre en cause les objectifs environnementaux pour l’agriculture

La guerre en Ukraine a également des conséquences sur les prix de certaines denrées alimentaires. En effet, le gaz (russe) est nécessaire pour la production d’engrais azotés, la Russie fournit à l’Union européenne 25 % des engrais azotés qu’elle utilise. La Russie est également un gros exportateur de céréales et d’huiles. L’Ukraine fournit plus de la moitié du maïs importé par l’Europe, 47 % de tourteaux de tournesol et 30 % du blé à l’Europe (utilisé pour nourrir l’élevage).

Au début de l’année 2022, 10 % de la population européenne se trouvait en situation d’insécurité alimentaire, un pourcentage qui risque de grimper à cause de la guerre. Sur le plan international, avant le début de la guerre en Ukraine, 70 % des personnes en insécurité alimentaire vivaient dans des pays dépendants des marchés internationaux pour se nourrir.

Un renforcement accru des situations d’insécurité alimentaire voire de famine est attendu du fait des perturbations sur les marchés internationaux. La guerre faisant grimper les prix de l’alimentation, les denrées vont à l’acheteur capable de payer les prix les plus hauts.

Emmanuel Macron a prononcé son souhait d’une révision de la stratégie « de la ferme à la fourchette », qui prévoyait une diminution de 20% des engrais et de 50% des pesticides, afin de produire plus. En réalité, la France utilise la crise comme prétexte pour remettre en cause le verdissement de l’agriculture européenne, alors même que l’agriculture en Europe est déjà très intensive. Pourtant, le risque de pénurie de céréales est principalement dû à l’élevage intensif et aux agrocarburants qui captent une très grande partie des céréales produites en Europe. C’est donc le modèle d’agriculture intensive qui doit être questionné.

Pour davantage de résilience, il est urgent de bifurquer vers l’agroécologie. La stratégie « de la ferme à la fourchette » est donc déterminante. Il reste beaucoup à faire durant la PFUE pour concilier souveraineté alimentaire et ambition écologique. Les prochains mois seront déterminants.

Taxe carbone aux frontières : victoire politique pour la France, coquille vide pour le climat

Si la dépendance énergétique de l’Union européenne a été un sujet majeur ces dernières semaines, d’autres discussions ont eu lieu sur les textes du « Fit for 55 ». On peut noter en particulier la victoire revendiquée par Emmanuel Macron et ses ministres sur le mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Cette taxe carbone aux frontières de l’Union européenne est la fin d’une attente de plus de 10 ans pour la France.

Depuis 2005 et l’instauration du marché carbone sur les industries les plus polluantes, les industries qui produisent sur le sol européen doivent payer un prix du CO2 pour chaque tonne de CO2 émise. Seulement, jusqu’à présent aucun prix du CO2 n’était ajouté aux importations de produits hors-UE provoquant donc une concurrence déloyale avec les industries européennes. Pour faire face à cette situation, de nombreuses industries européennes bénéficient de « permis à polluer gratuits » qui couvrent près de 100 % de leurs émissions (soit une perte pour les finances publiques en Europe estimée à 138 milliards d’euros depuis 2005).

La taxe carbone aux frontières devait remplacer ces permis à polluer gratuits pour l’acier, le ciment, l’aluminium et les engrais chimiques : industries européennes comme étrangères seraient soumises au même prix. Malheureusement, l’accord trouvé par la France fait l’impasse sur la fin des permis à polluer gratuits, toujours prévus à 2035. S’ils sont maintenus en plus de la taxe carbone aux frontières, ils formeraient une double protection pour l’industrie européenne. Un cadeau (de plus) aux industries qui n’ont pas à s’engager dans la transition écologique. Le MACF n’est intéressant que s’il permet de faire payer le prix du carbone à toutes les industries. En ne touchant pas à la date de fin des permis à polluer gratuits, la PFUE risque de transformer cette mesure en une coquille vide pour le climat. Sans y toucher, le MACF ne fera baisser les émissions de gaz à effet de serre de l’Union européenne que de 1 % ! Reste donc à la France de s’attaquer au vrai sujet, la fin des permis à polluer pour les industriels européens, si elle veut vraiment faire de la taxe carbone aux frontières une mesure pour le climat.

Le risque des Gilets jaunes européens toujours pas levé : ETS 2

Dans le paquet « Fit for 55 », la Commission européenne propose la création d’un marché carbone commun aux pays membres de l’Union européenne pour les carburants et le chauffage. Cela reviendrait à faire payer à tous les ménages de l’Union européenne le prix du CO2 généré par le chauffage et les carburants. La théorie voudrait que, comme pour les quotas d’émission pour les industries les plus polluantes, ce coût amène progressivement les acteurs à s’engager dans la transition énergétique, en achetant des voitures électriques, en assurant une rénovation performante du logement, ou en changeant son système de chauffage.

Seulement, la théorie s’applique difficilement dans les faits. Les ménages les plus précaires n’ont pas les capacités de changer de voiture, les bailleurs ne vont pas être amenés à faire les démarches pour des rénovations puisque ce sont les locataires qui paient les prix du chauffage. Un piège social qui risque de reproduire à l’échelle européenne le cocktail qui a conduit au mouvement des gilets jaunes en France. Même si un fonds social pour le climat est créé pour compenser une partie de l’impact sur les ménages, les conditions ne sont pas réunies pour que le mécanisme soit juste socialement et efficace d’un point de vue climatique.

De nombreux États membres sont opposés à ce marché carbone, quand une poignée, l’Allemagne en tête, souhaiterait le voir à l’échelle européenne. La Présidence française a tenté de déminer le terrain en organisant une discussion dédiée lors du Conseil informel des ministres de l’environnement les 20-22 janvier 2022. Pour le moment, le sujet patine et menace l’ensemble du paquet climat « Fit for 55 ». La France devrait tirer les leçons des gilets jaunes pour proposer des compromis permettant une sortie par le haut : repousser la date de mise en oeuvre du marché carbone pour les carburants et le chauffage à après 2030, faire monter les alternatives à faible émission pour les ménages les plus précaires grâce au Fonds social pour le climat et des réglementations fortes, et définir un prix plafond pour éviter une explosion des prix. Sans ces conditions, le marché carbone risque d’être un piège social et une impasse climatique.

L’État privilégie la lutte contre la « fraude sociale » à celle contre la fraude fiscale

Romaric Godin
www.mediapart.fr/journal/economie/300322/l-etat-privilegie-la-lutte-contre-la-fraude-sociale-celle-contre-la-fraude-fiscale

Un rapport d’Attac et du syndicat Solidaires montre que l’effort contre la fraude fiscale se réduit, malgré les discours officiels. En revanche, les bénéficiaires de prestations sociales sont de plus en plus mis sous pression.

Comme souvent, les bénéficiaires de prestations sociales sont, pendant les campagnes électorales, sous le feu des critiques. On leur demande, comme Emmanuel Macron et Valérie Pécresse, des « compensations » et l’on promet, à droite et à l’extrême droite, de se montrer le plus ferme possible avec les « fraudeurs sociaux ».

Sans surprise, le ton est moins ferme concernant la fraude et l’optimisation fiscales qui sont jugées comme des ressources inatteignables réservées aux « utopistes ».

Un rapport réalisé par l’ONG Attac et le syndicat Solidaires, auquel Mediapart a eu accès et qui est publié mercredi 30 mars, tente de remettre les pendules à l’heure. Dans ce texte titré « Fraude fiscale, sociale, aux prestations sociales : ne pas se tromper de cible », les auteurs rappellent le poids respectif des différents types de fraudes. L’exercice est toujours délicat, on le sait, et il n’est aucunement possible d’avoir recours à des approximations.

Il n’empêche, les ordres de grandeur des différents types de fraude ne laissent aucun doute sur ce que devraient être les priorités des gouvernements. En recoupant différentes sources, le rapport estime que les différents types de fraude fiscale coûtent au moins 80 milliards d’euros par an à l’État, dont un quart pour la seule fraude à la TVA.

En regard, la fraude aux cotisations sociales, autrement dit la fraude réalisée par les entreprises sur les versements dus à la Sécurité sociale (un sujet très rarement abordé), est estimée entre 6,8 et 8,4 milliards d’euros.

Quant à la fraude aux prestations sociales, elle s’élèverait à un peu plus de 2,3 milliards d’euros, auxquels il faut retrancher les effets massifs des taux de non-recours (35 % pour le RSA, 53 % pour la prime d’activité ou 61 % pour l’allocation adulte handicapé) estimé, lui, à près de 10 milliards d’euros. L’impact sur les finances publiques de cette fraude est donc très limité et massivement moins élevé que celui de la fraude fiscale.

Face à cette situation, les réponses des autorités sont, là encore, déséquilibrées. Et c’est l’intérêt principal de ce rapport de mettre en lumière le fait que, en dépit des beaux discours qui ont fleuri sous le dernier quinquennat, l’État concentre ses efforts là où il ne devrait pas.

Une lutte en trompe-l’œil contre la fraude fiscale

Les deux gouvernements d’Emmanuel Macron ont beaucoup communiqué sur la lutte contre la fraude fiscale. La loi a même été renforcée en juillet 2018 avec l’allègement notable du « verrou de Bercy » (qui conditionnait les poursuites à l’accord du ministère) et le durcissement des sanctions prévues. Mais les bonnes volontés ont été rapidement tempérées par une autre loi, celle dite « Pour un État au service d’une société de confiance » ou « Essoc », promulguée en août 2018.

La loi Essoc cherche à sécuriser, pour les entreprises, les issues des contrôles fiscaux. Ainsi, la « garantie fiscale » qu’elle prévoit interdit à l’administration de revenir sur un contrôle. De même, l’administration doit s’assurer que les entreprises acceptent les éventuels redressements qui découleraient des contrôles. « Ceci revient à dire que c’est à l’administration de s’adapter au contribuable ou à l’entreprise faisant l’objet du contrôle », résume le rapport.

À cela s’ajoutent des changements considérables dans les pratiques de contrôle. Les contrôles « sur place » chargés de vérifier les comptabilités sont de plus en plus réalisés à distance. En parallèle, Bercy a beaucoup misé sur les logiciels d’intelligence artificielle (IA) pour détecter les fraudes. Pour l’instant, les résultats de ces méthodes sont « décevants », note le rapport.

En 2021, l’IA était à l’origine de 45 % des contrôles fiscaux, mais ces derniers n’ont permis que de récupérer 1,2 milliard d’euros, soit seulement 8,9 % de l’ensemble. Son rendement semble donc particulièrement faible, malgré la très forte communication que Bercy organise autour de cette méthode.

Enfin, il faut rappeler que l’administration fiscale est l’une des plus touchées par les baisses d’effectifs. En vingt ans, le nombre de fonctionnaires chargés de la fraude fiscale a reculé de 3 000 à 4 000 en équivalent temps plein. En 2020, seuls 9 % des effectifs de la direction générale des finances publiques (DGFiP) étaient chargés de cette tâche. Si l’on ajoute le manque de moyens du parquet national financier, on a tous les éléments pour bloquer toute forme de répression sévère du phénomène et privilégier les règlements à l’amiable promus par la loi Essoc et favorables aux entreprises.

L’effet négatif de la baisse des contrôles

Certes, on pourrait avancer l’idée que la « productivité » du contrôle fiscal s’est améliorée : on contrôlerait mieux avec moins de personnes. C’est en partie vrai, reconnaît le rapport. Certaines mesures ont pu « freiner la chute », mais on a vu avec l’IA que ces nouvelles méthodes ne sont pas entièrement convaincantes.

Surtout, « freiner la chute » ne permet pas de s’arrêter de tomber. Or, si le nombre de contrôles baisse moins vite que les effectifs, il continue néanmoins de baisser de façon significative. Ainsi, entre 2008 et 2019, le nombre de « contrôles sur place » a baissé de 13,25 %, tandis que les « contrôles sur pièces » ont eux reculé de 56 %.

Dans l’ensemble, le rapport indique que la « couverture » du tissu fiscal par les contrôles, autrement dit le rapport entre le nombre de contribuables et les contrôles, est en chute libre : -56,3 % pour le contrôle sur pièces de l’impôt sur les sociétés (IS), -82,2 % sur les mêmes contrôles pour les ménages et -72 % pour la TVA.

Logiquement, les sommes récupérées sont aussi moins élevées. Sur la même période, la chute est de 11,3 %, soit un peu moins de 2 milliards d’euros en moins entre 2008 et 2019. Et en 2021, les résultats ont été encore inférieurs de 460 millions d’euros à ceux de 2019. Selon le rapport, c’est bien la baisse du nombre de contrôles qui conduit à la baisse du résultat de ces contrôles.

D’ailleurs, rapportée aux recettes des différents impôts, la part des redressements est aussi en recul prononcé : -3,31 % entre 2008 et 2019 sur l’IS, -42,5 % sur l’impôt sur le revenu, -38,22 % sur la TVA… Serait-ce parce que la fraude est plus rare ? L’argument est souvent avancé, mais il est impossible à vérifier et ne recoupe pas les évaluations données précédemment. En réalité, un contre-argument est aussi possible : de nouvelles formes de fraudes se développent, moins détectables compte tenu de la baisse des contrôles et des nouvelles méthodes utilisées. C’est le cas notamment, souligne le rapport, de l’usage des « néo-banques » (les banques en ligne avec ouvertures de compte rapides) pour échapper à la TVA.

Le rapport rejette donc cette idée : « Les discours relativisant l’ampleur de la fraude n’ont aucun fondement. Celle-ci demeure très préoccupante, elle est élevée et fait “système”. » Autrement dit : la baisse des contrôles est une baisse concrète et assumée de la lutte contre la fraude fiscale.

La lutte contre la fraude aux prestations sociales renforcée

Le contraste avec les moyens placés dans la lutte contre la fraude aux prestations sociales est frappant. En 2020, selon le rapport, la Caisse d’allocations familiales (CAF) a réalisé, alors même que le contrôle fiscal était plus ou moins suspendu pour cause de pandémie, 36,6 millions de contrôles, soit 3,2 millions de plus qu’en 2019. Le rendement de ces contrôles est très faible : 0,1 % d’entre eux ont permis d’identifier une proportion de 0,27 % de fraudeurs parmi les allocataires.

Cela n’empêche pas de mobiliser 4 000 équivalents temps plein pour assurer ce que le rapport appelle le « contrôle social ». À Pôle emploi, les effectifs de contrôle ont déjà doublé et devraient encore doubler sous peu. Le rapport souligne, d’ailleurs, le durcissement du contrôle des personnes sans emploi en lien avec la réforme récente de l’assurance-chômage. Les contrôles s’intensifient et s’élargissent à tous les types de chômeurs. Le rapport souligne la violence du « contrôle social » : contrôles abusifs et intrusifs, méthodes de recouvrement « expéditives ».

Le rapport évoque donc une « offensive ciblée » et « idéologique ». Alors qu’on lève la contrainte du contrôle fiscal, on resserre celle du « contrôle social ». Le but de la manœuvre est évident : il s’agit de diviser la société pour qu’elle ne se soucie pas de la bienveillance relative à l’égard de la fraude fiscale. Cette situation devrait être au cœur des choix de la campagne.

C’est loin d’être le cas, beaucoup de candidates et candidats, à droite et à l’extrême droite, mélangent à dessein fraude fiscale et « sociale », comme Marine Le Pen, ou promettent encore plus de conditions et de contrôles pour les bénéficiaires de prestations sociales sans évoquer la fraude fiscale (Emmanuel Macron et Valérie Pécresse).

Comment agir ?

En guise de conclusion, le rapport donne quelques pistes pour assurer une meilleure lutte contre la fraude fiscale. Sur le plan juridique, il propose la suppression de la « garantie fiscale », la fin des niches fiscales et une meilleure coordination entre les services.

Concrètement, le rapport souligne aussi l’importance de l’abaissement du seuil de la déclaration des résultats pays par pays et de la déclaration des prix de transfert, mais aussi d’une réponse « graduée » à la fraude, autrement dit de sanctions adaptées à la gravité et à l’ampleur de la fraude. Et pour cela, il faut évidemment se donner les moyens humains et matériels de renforcer les contrôles. C’est le seul moyen de pouvoir identifier les véritables bénéficiaires des fraudes. Quant aux algorithmes, ils sont un outil complémentaire aux moyens humains, pas un outil de substitution. C’est ce que prouvent les résultats évoqués plus haut.

Beroketa gasen isuriak %84 murriztu behar dira mende erdirako, hondamendi klimatikoari aurre egiteko
Argia
www.argia.eus/albistea/beroketa-gasen-isuriak-84-murriztu-behar-dira-mende-erdirako-hondamendi-klimatikoari-aurre-egiteko

Gaur egungo erritmoan eta berehalako neurri eraginkorrak hartu ezean, hondamendi klimatikora goaz zuzenean. Argi dio NBEko Klima Aldaketari Buruzko Gobernu Arteko Taldearen azken txostenak; hainbat neurri eta epe zehaztu dizkie gobernuei. Agintariak ohartarazpenekiko entzungor jokatzen dutela-eta, “historiako greba zientifiko eta akademiko handiena” deitu du Matxinada Zientifikoa mugimenduak.

Sarri entzun duguna errepikatzen du IPCC taldearen txostenak: berandu gabiltza eta erabakiak hartzeko unea da, larrialdi klimatikoaren ondorio okerrenei aurre egin ahal izateko. Egungo erritmoan, berotze globala 3,2 gradukoa izango da 2100. urterako, eta gogoratu behar dugu gehienez 1,5 graduko berotzea jarri zutela helburu gobernuek, Parisko Klima Gailurrean.

2019ko datuei erreparatuta, gas isurien %34 sektore energetikoari dagozkio, %24 industriari, %22 nekazaritza-abeltzaintzari, %15 garraioari eta %6 eraikuntzari. Isurien %70 hirietan kontzentratzen da –gainera goranzkoa da joera–, eta hain justu, klima aldaketari aurre egiteko hiriek duten rol funtsezkoa azpimarratzen du txostenak.

 

Neurriak eta epeak

Planeta 1,5 gradu baino gehiago ez berotzea lortu nahi bada, neurri garrantzitsuak hartu beharko dira datozen hamarkadetan. Hala nola:

Berotegi gasen isurketek 2025erako jo beharko dute goia, eta gero nabarmen jaitsi beharko dira isurketa horiek.

Zehazki, 2030erako %43 egin behar dute behera isuriek (2019ko datuekiko), eta %84 murriztu 2050erako.

Erregai fosiletan, 2050erako murriztu beharko da ikatz kontsumoa %95, petrolioa %60 eta gasa %45.

Garraioari lotuta, ibilgailuen isuriak %59 murriztu beha dira 2050erako –garraio publikoa, telelana, digitalizazioa… aipatzen dira horretarako–.

Erabateko deskarbonizazioa edo zero isuria lortzea konplikatua dela baina lortu daitekeela dio txostenak, eta bide horretan energia iturri alternatiboen garrantzia azpimarratu dute adituek. Klima larrialdiari aurre egitea premiazkoa izateaz gain, isurien arintzea enpleguan eta aukera komertzialetan positiboa izan daitekeela ondorioztatu du txostenak.

Aditu taldearen txostena, prozesu baten amaiera

Klima Aldaketaren Gobernu arteko Taldeko lantaldeek munduko egoera klimatikoa ebaluatzeko seigarren prozesuan amaitu dute beren agintaldia eta iaztik hiru txosten argitaratu dituzte: lehenengoa, 2021eko abuztuan amaitua, oinarri zientifikoei buruzkoa; bigarrena, 2022ko otsailean, inpaktuei eta egokitzapenari buruzkoa; eta azken hau, isuriak murrizteko politikez.

65 herrialdetako 278 zientzialari aritu dira azken txostenean, eta beste 354 adituk hartu du parte.

Zientzialariak, greban

Aste honetan zehar, 25 herrialdetan ekintzak iragarri ditu Scientific Rebellion mugimenduak, eta grebara deitu du. Beraien hitzetan, zientzialariek behin eta berriz ohartarazpen larriak egin arren, agintariek ez dute aldaketa klimatikoari aurre egiteko benetako politikarik martxan jartzen, eta nazkatuta daude. “Berehalako muturreko ekintzak” abiatzeko eskatu diete gobernuei, hondamendi klimatikoari aurre egiteko. Planetari egindako kalteak konponezinak direla diote, baina inflexio puntu batean gaudela.