Les clés de l’accord climatique de 2015
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/les-cles-de-l-accord-climatique-de-2015,35038?xtor=EPR-9
« Manifeste convivialiste »
Les Convivialistes jeudi 6 juin 2013
www.reporterre.net/spip.php?article4356
Pourquoi nos inégalités polluent la planète (1/2)
Éloi Laurent, économiste à l’OFCE, est expert des questions de bien-être et de soutenabilité environnementale. Il enseigne à Sciences Po, Stanford University et au Collège des hautes études européennes. A l’automne 2013, il est chercheur invité au Centre d’études européennes de l’Université d’Harvard et professeur invité au Harvard College (Science de l’environnement et politique publique).
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Les clés de l’accord climatique de 2015
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/les-cles-de-l-accord-climatique-de-2015,35038?xtor=EPR-9
L’Agence internationale de l’énergie propose des solutions techniques et politiques pour éviter rapidement l’émission de 3 milliards de tonnes de CO2.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) a toujours le chic pour choisir la date de publication de ses rapports.
Ce matin 10 juin, alors que débute la seconde semaine du premier round annuel des négociations climatiques, à Bonn, l’agence de l’OCDE publie un opus sur les meilleures voies pour rester en deçà des 2°C. Car, si la communauté internationale n’est pas (encore) liée par un accord de réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle s’est déjà fixé un objectif de réchauffement: pas plus de 2°C par rapport à l’ère pré-industrielle, d’ici la fin du siècle.
Est-il besoin de rappeler que le but, gravé dans le marbre à Copenhague en 2009, n’est pas à portée de main? Politiquement, les 194 parties à la convention des Nations unies sur le changement climatique ne sont pas forcément d’accord pour réduire leurs émissions (la Russie, par exemple), dans un cadre multilatéral (les Etats-Unis) ou à un rythme accéléré (la Chine). Le dissensus est d’autant plus d’actualité que plus personne n’est là pour montrer l’exemple. L’Union européenne a sabordé, toute seule, son système d’échange de quotas d’émission. Elle n’a pas réussi à faire aboutir son programme expérimental sur le captage-stockage géologique de CO2. Et pour l’essentiel, l’allègement de son empreinte carbone est largement imputable à des artifices comptables (non prise en compte des émissions imputables au commerce international) et à la crise économique.
Bref, alors que se rapproche l’échéance de 2015, année à la fin de laquelle doit être conclu l’accord qui succèdera au protocole de Kyoto, aucune ligne d’horizon ne semble s’esquisser. D’où l’intérêt du rapport de l’AIE. En préambule, l’opus (rédigé par les experts de l’agence, mais aussi par des banquiers, des représentants d’énergéticiens, de pétrogaziers, d’équipementiers) rappelle un point fondamental: si nous ne changeons pas notre actuelle trajectoire de développement, les températures moyennes globales s’élèveront de 3,6°C à 5,3°C d’ici 2100. On est donc très loin des 2°C.
Et pour s’y tenir, les données sont connues. Selon un calcul réalisé par un scientifique du centre de recherche sur le climat de Postdam, nous pouvons relâcher, durant tout ce siècle, jusqu’à 1.440 milliards de tonnes de CO2. Problème: entre 2000 et 2011, nous avons déjà consommé le tiers de notre budget carbone mondial.
C’est pourtant techniquement possible, estiment les auteurs. A condition de faire vite. Et de mettre en œuvre, au niveau mondial, 4 politiques qui n’ont rien de révolutionnaire. D’abord, faire de l’efficacité énergétique le credo universel. En durcissant les règlements thermiques du bâtiment, les normes de consommation des appareils électroménagers, des sources d’éclairage, des moteurs de véhicules, de substantielles économies d’énergie sont possibles. L’AIE estime que ces mesures peu coûteuses (200 milliards de dollars -151,5 Md€- d’ici 2020) sont susceptibles, à elles seules, de diminuer les émissions mondiales de 1,5 Mdt CO2 par an, dès 2020: l’équivalent du bilan carbone russe.
Autre voie à suivre d’urgence: la mise hors service des centrales au charbon à bas rendement. Cette mesure, qui vise essentiellement les pays où le charbon pèse lourd dans le mix électrique (Etats-Unis, Chine, Inde), serait conjuguée à un accroissement d’un tiers de la production d’électricité d’origine renouvelable (27% en 2020) et au gaz. Elle permettrait non seulement de réduire notre empreinte carbone de 640 Mt CO2/an en 2020, mais aussi de diminuer les pollutions atmosphériques locales (poussières, soufre, particules fines). Et les problèmes sanitaires qui en découlent.
En réduisant les fuites (sur les gazoducs) et le torchage du méthane associé au pétrole, les compagnies pétrolières et gazières pourraient, elles aussi, contribuer à la décarbonation du système énergétique. En 2010, rappelle l’AIE, les fuites de gaz naturel ont représenté 1,1 Mdt équivalent CO2: deux fois les émissions françaises annuelles. Pour finir, l’institution parisienne reprend l’un de ses vieux mots d’ordre: la chasse aux subventions à la consommation de produits fossiles.
En 2011, rappelle-t-elle, la communauté internationale a dépensé 523 Md$ (396 Md€) pour baisser artificiellement le prix de l’essence, du gazole ou du fioul. En réduisant à rien cette coûteuse subvention, les Etats assainiraient leurs finances et contribueraient à abattre de plus de 300 Mt les émissions carbonées.
Ensemble, ces politiques sont susceptibles de réduire de plus de 3 Mdt éq.CO2 le bilan carbone anthropique, en une décennie, soit 80% des économies d’émission nécessaires pour atteindre l’objectif de 2 degrés. Certes, il faudra investir massivement et sur une courte période. Mais le secteur énergétique a-t-il le choix?
Non et pour deux raisons. La première, c’est qu’il est le seul secteur industriel à émettre autant de GES via un nombre limité de grandes installations: moins de 15.000 sur la planète. Les investissements seront donc optimisés. Autre obligation: l’adaptation aux conséquences des changements climatiques.
Rien qu’aux Etats-Unis, plus de 300 centrales électriques sont situées, sur le littoral, à moins de 1,2 mètre d’altitude. La montée du niveau des océans les menace directement. Tout comme la diminution annoncée des précipitations condamne, dans certaines régions, les centrales électriques (thermiques, nucléaires et à biomasse) à la cessation d’activité. Ce n’est pas le but recherché.
Selon les calculs de l’agence, si les Etats ne décidaient pas d’agir dès maintenant, ils économiseraient certes 1.500 Md$ (1.136 Md€), mais ils leur en coûteraient alors 5.000 Md$ (3.788 Md€) à partir de 2020 pour atteindre le même but.
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Les Convivialistes jeudi 6 juin 2013
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ABREGE DU MANIFESTE CONVIVIALISTE
DECLARATION D’INTERDEPENDANCE
Jamais l’humanité n’a disposé d’autant de ressources matérielles et de compétences techniques et scientifiques. Prise dans sa globalité, elle est riche et puissante comme personne dans les siècles passés n’aurait pu l’imaginer. Rien ne prouve qu’elle en soit plus heureuse. Mais nul ne désire revenir en arrière, car chacun sent bien que de plus en plus de potentialités nouvelles d’accomplissement personnel et collectif s’ouvrent chaque jour.
Pourtant, à l’inverse, personne non plus ne peut croire que cette accumulation de puissance puisse se poursuivre indéfiniment, telle quelle, dans une logique de progrès technique inchangée, sans se retourner contre elle-même et sans menacer la survie physique et morale de l’humanité.
Les premières menaces qui nous assaillent sont d’ordre matériel, technique, écologique et économique. Des menaces entropiques. Mais nous sommes beaucoup plus impuissants à ne serait-ce qu’imaginer des réponses au second type de menaces. Aux menaces d’ordre moral et politique. À ces menaces qu’on pourrait qualifier d’anthropiques.
Le problème premier
Le constat est donc là : l’humanité a su accomplir des progrès techniques et scientifiques foudroyants, mais elle reste toujours aussi impuissante à résoudre son problème essentiel : comment gérer la rivalité et la violence entre les êtres humains ? Comment les inciter à coopérer tout en leur permettant de s’opposer sans se massacrer ? Comment faire obstacle à l’accumulation de la puissance, désormais illimitée et potentiellement auto-destructrice, sur les hommes et sur la nature ?
Si elle ne sait pas répondre rapidement à cette question, l’humanité disparaîtra. Alors que toutes les conditions matérielles sont réunies pour qu’elle prospère, pour autant qu’on prenne définitivement conscience de leur finitude.
Nous disposons de multiples éléments de réponse : ceux qu’ont apportés au fil des siècles les religions, les morales, les doctrines politiques, la philosophie et les sciences humaines et sociales. Et les initiatives qui vont dans le sens d’une alternative à l’organisation actuelle du monde sont innombrables, portées par des dizaines de milliers d’organisations ou d’associations, et par des dizaines ou des centaines de millions de personnes.
Elles se présentent sous des noms, sous des formes ou à des échelles infiniment variées : la défense des droits de l’homme, du citoyen, du travailleur, du chômeur, de la femme ou des enfants ; l’économie sociale et solidaire avec toutes ses composantes : les coopératives de production ou de consommation, le mutualisme, le commerce équitable, les monnaies parallèles ou complémentaires, les systèmes d’échange local, les multiples associations d’entraide ; l’économie de la contribution numérique (cf. Linux, Wikipedia etc.) ; la décroissance et le post-développement ; les mouvements slow food, slow town, slow science ; la revendication du buen vivir, l’affirmation des droits de la nature et l’éloge de la Pachamama ; l’altermondialisme, l’écologie politique et la démocratie radicale, les indignados, Occupy Wall Street ; la recherche d’indicateurs de richesse alternatifs, les mouvements de la transformation personnelle, de la sobriété volontaire, de l’abondance frugale, du dialogue des civilisations, les théories du care, les nouvelles pensées des communs, etc.
Pour que ces initiatives si riches puissent contrecarrer avec suffisamment de puissance les dynamiques mortifères de notre temps et qu’elles ne soient pas cantonnées dans un rôle de simple contestation ou de palliation, il est décisif de regrouper leurs forces et leurs énergies, d’où l’importance de souligner et de nommer ce qu’elles ont en commun.
Du convivialisme
Ce qu’elles ont en commun, c’est la recherche d’un convivialisme, d’un art de vivre ensemble (con-vivere) qui permette aux humains de prendre soin les uns des autres et de la Nature, sans dénier la légitimité du conflit mais en en faisant un facteur de dynamisme et de créativité. Un moyen de conjurer la violence et les pulsions de mort. Pour le trouver nous avons besoin désormais, de toute urgence, d’un fond doctrinal minimal partageable qui permette de répondre simultanément, en les posant à l’échelle de la planète, au moins aux quatre (plus une) questions de base :
La question morale : qu’est-il permis aux individus d’espérer et que doivent-ils s’interdire ?
La question politique : quelles sont les communautés politiques légitimes ?
La question écologique : que nous est-il permis de prendre à la nature et que devons-nous lui rendre ?
La question économique : quelle quantité de richesse matérielle nous est-il permis de produire, et comment, pour rester en accord avec les réponses données aux questions morale, politique et écologique ?
Libre à chacun d’ajouter à ces quatre questions, ou pas, celle du rapport à la surnature ou à l’invisible : la question religieuse ou spirituelle. Ou encore : la question du sens.
Considérations générales :
Le seul ordre social légitime universalisable est celui qui s’inspire d’un principe de commune humanité, de commune socialité, d’individuation, et d’opposition maîtrisée et créatrice.
Principe de commune humanité : par delà les différences de couleur de peau, de nationalité, de langue, de culture, de religion ou de richesse, de sexe ou d’orientation sexuelle, il n’y a qu’une seule humanité, qui doit être respectée en la personne de chacun de ses membres.
Principe de commune socialité : les êtres humains sont des êtres sociaux pour qui la plus grande richesse est la richesse de leurs rapports sociaux.
Principe d’individuation : dans le respect de ces deux premiers principes, la politique légitime est celle qui permet à chacun d’affirmer au mieux son individualité singulière en devenir, en développant sa puissance d’être et d’agir sans nuire à celle des autres.
Principe d’opposition maîtrisée et créatrice : parce que chacun a vocation à manifester son individualité singulière il est naturel que les humains puissent s’opposer. Mais il ne leur est légitime de le faire qu’aussi longtemps que cela ne met pas en danger le cadre de commune socialité qui rend cette rivalité féconde et non destructrice.
De ces principes généraux découlent des :
Considérations morales
Ce qu’il est permis à chaque individu d’espérer c’est de se voir reconnaître une égale dignité avec tous les autres êtres humains, d’accéder aux conditions matérielles suffisantes pour mener à bien sa conception de la vie bonne, dans le respect des conceptions des autres
Ce qui lui est interdit c’est de basculer dans la démesure (l’hubris des Grecs), i.e. de violer le principe de commune humanité et de mettre en danger la commune socialité.
Concrètement, le devoir de chacun est de lutter contre la corruption.
Considérations politiques
Dans la perspective convivialiste, un État ou un gouvernement, ou une institution politique nouvelle, ne peuvent être tenus pour légitimes que si :
Ils respectent les quatre principes, de commune humanité, de commune socialité, d’individuation et d’opposition maîtrisée, et que s’ils facilitent la mise en œuvre des considérations morales, écologiques et économiques qui en découlent.
Plus spécifiquement, les États légitimes garantissent à tous leurs citoyens les plus pauvres un minimum de ressources, un revenu de base, quelle que soit sa forme, qui les tienne à l’abri de l’abjection de la misère, et interdisent progressivement aux plus riches, via l’instauration d’un revenu maximum, de basculer dans l’abjection de l’extrême richesse en dépassant un niveau qui rendrait inopérants les principes de commune humanité et de commune socialité.
Considérations écologiques
L’Homme ne peut plus se considérer comme possesseur et maître de la Nature. Posant que loin de s’y opposer il en fait partie, il doit retrouver avec elle, au moins métaphoriquement, une relation de don/contredon. Pour laisser aux générations futures un patrimoine naturel préservé, il doit donc rendre à la Nature autant ou plus qu’il ne lui prend ou en reçoit.
Considérations économiques
Il n’y a pas de corrélation avérée entre richesse monétaire ou matérielle, d’une part, et bonheur ou bien-être, de l’autre. L’état écologique de la planète rend nécessaire de rechercher toutes les formes possibles d’une prospérité sans croissance. Il est nécessaire pour cela, dans une visée d’économie plurielle, d’instaurer un équilibre entre Marché, économie publique et économie de type associatif (sociale et solidaire), selon que les biens ou les services à produire sont individuels, collectifs ou communs.
Que faire ?
Il ne faut pas se dissimuler qu’il faudra pour réussir affronter des puissances énormes et redoutables, tant financières que matérielles, techniques, scientifiques ou intellectuelles autant que militaires ou criminelles. Contre ces puissances colossales et souvent invisibles ou illocalisables, les trois armes principales seront :
L’indignation ressentie face à la démesure et à la corruption, et la honte qu’il est nécessaire de faire ressentir à ceux qui directement ou indirectement, activement ou passivement, violent les principes de commune humanité et de commune socialité.
Le sentiment d’appartenir à une communauté humaine mondiale.
Bien au-delà des « choix rationnels » des uns et des autres, la mobilisation des affects et des passions.
Rupture et transition
Toute politique convivialiste concrète et appliquée devra nécessairement prendre en compte :
l’impératif de la justice et de la commune socialité, qui implique la résorption des inégalités vertigineuses qui ont explosé partout dans le monde entre les plus riches et le reste de la population depuis les années 1970.
Le souci de donner vie aux territoires et aux localités, et donc de reterritorialiser et de relocaliser ce que la mondialisation a trop externalisé.
L’absolue nécessité de préserver l’environnement et les ressources naturelles.
L’obligation impérieuse de faire disparaître le chômage et d’offrir à chacun une fonction et un rôle reconnus dans des activités utiles à la société.
La traduction du convivialisme en réponses concrètes doit articuler, en situation, les réponses à l’urgence d’améliorer les conditions de vie des couches populaires, et celle de bâtir une alternative au mode d’existence actuel, si lourd de menaces multiples. Une alternative qui cessera de vouloir faire croire que la croissance économique à l’infini pourrait être encore la réponse à tous nos maux.
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Claude Alphandéry, Geneviève Ancel, Ana Maria Araujo (Uruguay), Claudine Attias-Donfut, Geneviève Azam, Akram Belkaïd (Algérie),Yann-Moulier-Boutang, Fabienne Brugère, Alain Caillé, Barbara Cassin, Philippe Chanial, Hervé Chaygneaud-Dupuy, Eve Chiappello, Denis Clerc, Ana M. Correa (Argentine), Thomas Coutrot, Jean-Pierre Dupuy, François Flahault, Francesco Fistetti (Italie),Anne-Marie Fixot, Jean-Baptiste de Foucauld, Christophe Fourel, François Fourquet, Philippe Frémeaux, Jean Gadrey,Vincent de Gaulejac, François Gauthier (Suisse),Sylvie Gendreau (Canada), Susan George (États-Unis), Christiane Girard (Brésil), François Gollain (Royaulme Uni), Roland Gori, Jean-Claude Guillebaud, Paulo Henrique MartinsBrésil), Dick Howard (États-Unis), Marc Humbert, Éva Illouz (Israël), Ahmet Insel (Turquie), Geneviève Jacques, Florence Jany-Catrice, Hervé Kempf, Elena Lasida, Serge Latouche, Jean-Louis Laville, Camille Laurens, Jacques Lecomte, Didier Livio, Gus Massiah, Dominique Méda, Margie Mendell (Canada), Pierre-Olivier Monteil, Jacqueline Morand, Edgar Morin, Chantal Mouffe (Royaume Uni), Osamu Nishitani (Japon), Alfredo Pena-Vega, Bernard Perret, Elena Pulcini (Italie), Ilana Silber (Israël), Roger Sue, Elvia Taracena (Mexique), Frédéric Vandenberghe (Brésil), Patrick Viveret, Zhe Ji (Chine).
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Note
Ce texte est l’abrégé du Manifeste convivialiste, publié le 14 juin 2013 aux éditions Le Bord de l’eau (40 p, 5 €). Les lecteurs qui se sentiront en accord avec les principes qu’il expose peuvent déclarer leur soutien à l’adresse internet suivante : http://lesconvivialistes.fr ou https://www.facebook.com/LesConvivialistes.
Pourquoi nos inégalités polluent la planète (1/2)
Éloi Laurent, économiste à l’OFCE, est expert des questions de bien-être et de soutenabilité environnementale. Il enseigne à Sciences Po, Stanford University et au Collège des hautes études européennes. A l’automne 2013, il est chercheur invité au Centre d’études européennes de l’Université d’Harvard et professeur invité au Harvard College (Science de l’environnement et politique publique).
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Tant que les questions écologiques ne seront pas systématiquement éclairées sous le jour des réalités sociales, elles demeureront de l’ordre de la politique étrangère pour la majorité des citoyens, soutient l’économiste Eloi Laurent.
Comment nos inégalités polluent la planète
S’il existe de nombreuses bonnes raisons de vouloir sauver nos démocraties de leur corruption par les inégalités, la raison écologique est peut-être la plus fondamentale.
Cet enjeu écologique de la crise contemporaine des inégalités peut d’abord être compris de manière micro-écologique. Du côté des riches, l’économiste et sociologue américain Thorstein Veblen (et sa « consommation ostentatoire ») nous apprend que le désir d’imitation des modes de vie des plus fortunés par la classe moyenne peut conduire à une épidémie culturelle de dégradations environnementales. Du côté des pauvres, Indira Gandhi, seule chef d’Etat présente au sommet fondateur de Stockholm en 1972, nous enseigne que « la pauvreté et le besoin sont les plus grands pollueurs » : la pauvreté conduit dans le monde en développement à des dégradations environnementales insoutenables mais rendues nécessaires par l’urgence sociale de survivre. Ces dégradations résultent d’un arbitrage perdant à moyen terme entre bien-être présent et futur : les ressources naturelles constituant de fait le véritable patrimoine de la majorité des habitants des pays pauvres, leur dégradation se traduira à terme par un appauvrissement des populations. L’éradication de la pauvreté est donc un objectif écologique à condition qu’elle ne soit pas considérée comme un simple rattrapage sur le mode de l’hyperconsommation mais qu’elle entre dans le cadre d’une redéfinition de la richesse et de ses indicateurs.
Il est encore plus intéressant de raisonner de manière macro-écologique, en considérant les effets dynamiques de la relation entre riches et pauvres et non seulement les comportements isolés des uns et des autres. Cinq mécanismes apparaissent alors.
1) L’inégalité accroît inutilement un besoin de croissance économique potentiellement nuisible à l’environnement :
Le raisonnement est ici intuitif : plus la création de richesses d’un pays est accaparée par un petit nombre, plus le reste de la population aura besoin de compenser cet accaparement par un surcroît de développement économique. Le besoin de croissance économique sera donc inutilement gonflé par l’inégalité. La situation des Etats-Unis au cours de la période la plus récente est à cet égard particulièrement frappante. Les données produites par les économistes Emmanuel Saez et Thomas Piketty pour la période 1993-2011 montrent qu’1% de la population américaine a accaparé 70% de la croissance économique. Une meilleure répartition des revenus aurait permis de diminuer la croissance totale nécessaire à la satisfaction des besoins de l’immense majorité des Américains, alors même que cette croissance n’est pas aujourd’hui, c’est un euphémisme, orientée vers l’économie verte (susceptible de minimiser les dégradations environnementales engendrées par le développement humain).
2) L’inégalité accroît l’irresponsabilité écologique des plus riches au sein de chaque pays et entre eux :
L’inégalité, en accroissant l’écart de revenu et de pouvoir entre les habitants d’une même société ou de deux pays différents, aggrave l’incitation à l’externalisation des coûts propres au capitalisme, au niveau national comme international. Parce que l’écart entre les riches et les pauvres s’accroît, il est plus facile de transférer les dommages environnementaux des riches (individus et pays) vers les plus pauvres. L’inégalité de revenu et de pouvoir agit alors comme une « dés-incitation » à la responsabilité écologique ou, si l’on préfère, comme un accélérateur d’irresponsabilité écologique.
Prenons l’exemple concret d’une entreprise confrontée à un choix de production : elle peut d’un côté vouloir réduire l’impact écologiquement nuisible de sa production ou de l’autre vouloir minimiser le coût économique de la compensation du dommage qu’elle causera. L’inégalité de revenu et de pouvoir agira doublement pour inciter l’entreprise à localiser sa production dans une zone socialement défavorisée, où les habitants disposent de faibles revenus et de faibles capacités de mobilisation : d’une part, parce que la disposition à payer pour la qualité environnementale y sera faible (la compensation d’un éventuel préjudice écologique sera également minime) ; d’autre part, parce que le risque d’une action collective qui pourrait s’opposer à cette production dommageable sera limité par la faible puissance politique des habitants. Le raisonnement vaut au plan international et constitue l’arrière-plan de nombreux épisodes catastrophiques tragiquement humains, qu’il s’agisse du désastre chimique de Bhopal, en Inde en décembre 1984 ou de la pollution du Delta du Niger aujourd’hui.
3) L’inégalité, qui affecte la santé des individus, amoindrit la résilience social-écologique des sociétés et affaiblit leurs capacités collectives d’adaptation :
De nombreux travaux de recherche confirment aujourd’hui l’impact néfaste des inégalités sur la santé physique et mentale des régions et des nations (voir notamment les travaux britanniques pionniers de Richard Wilkinson et Michael Marmot et la recherche contemporaine sur les « inégalités sociales de santé »).
La notion de résilience, aujourd’hui très répandue dans les travaux scientifiques de différentes disciplines et dans le débat public, désigne au sens large la capacité d’un système à tolérer un choc et revenir à l’équilibre après celui-ci sans changer de nature. La vulnérabilité aux désastres dits « naturels » ou aux crises écologiques au sens large, est souvent décrite comme la résultante de l’exposition au choc et de la sensibilité à celui-ci, ces deux éléments constituant l’impact potentiel du désastre sur un individu ou une collectivité. Il faut ensuite soustraire de cet effet potentiel la capacité d’adaptation et la résilience pour avoir une idée de l’impact final du choc écologique sur les populations. Sur chaque terme de cette équation (exposition, sensibilité, résilience, adaptation), l’inégalité de revenu et de pouvoir produit un effet négatif. Les inégalités conduisent en somme à un décuplement des dommages sociaux engendrés par les chocs écologiques.
4) L’inégalité entrave les capacités d’action collective susceptibles de préserver les ressources naturelles :
Selon la « logique de l’action collective » (le cadre théorique formulé par l’économiste Mancur Olson), un petit groupe d’individus riches, convaincus qu’ils seront ceux qui en tireront le plus grand profit, serait prêt à assumer le coût élevé de politiques environnementales ambitieuses. Les plus riches ont en effet pour eux, sur le plan logistique, l’avantage du petit nombre. Un groupe plus large, dont les revenus seraient plus hétérogènes, ne saurait, dans la perspective d’Olson, trouver les moyens de s’organiser efficacement pour protéger l’environnement.
Ce modèle, qui pourrait laisser penser que l’inégalité est favorable à la préservation des ressources naturelles, a pourtant été doublement démenti, de façon très convaincante. De nombreuses études montrent d’une part que l’inégalité est dans les faits défavorables à une gestion soutenable des ressources communes, en désorganisant et en démobilisant les communautés humaines. Les travaux d’Elinor Ostrom ont par ailleurs montré que les bonnes institutions, qui permettent aux communautés de préserver à long terme les ressources naturelles essentielles à leur développement, sont, au contraire de ce que la logique de l’action collective pourrait laisser croire, fondées sur des principes de justice et de réciprocité.
5) L’inégalité réduit la sensibilité des plus modestes aux enjeux environnementaux et la possibilité de compenser les éventuels effets régressifs des politiques environnementales :
Plus les inégalités de revenu sont importantes et moins il est aisé de sensibiliser les individus les plus défavorisés aux enjeux écologiques, enjeux qui supposent de projeter son bien-être dans le temps et de s’abstraire en partie des difficultés du présent. Dans une société où la pauvreté et la précarité s’accroissent, la sensibilité environnementale décline… naturellement.
Ce problème de l’acceptabilité politique est encore renforcé par la contrainte budgétaire publique. Car l’inégalité rend également plus complexe, voire impossible, la mise en œuvre de mécanismes de compensation efficaces pour contrer les éventuels effets régressifs de certaines politiques environnementales (la taxation du carbone par exemple). Plus la pauvreté et la précarité s’accroissent et plus la compensation sociale des politiques environnementales s’avèrera coûteuse.
Des inégalités environnementales aux inégalités sociales : le cycle de l’injustice
Si les inégalités de revenu et de pouvoir contribuent puissamment à nos crises écologiques, elles s’incarnent aussi dans la montée en puissance des inégalités environnementales. Ces dernières sont multiples, on se concentrera ici sur deux de leurs dimensions : l’inégalité face aux désastres dits « naturels » et l’inégalité face aux nuisances et aux pollutions. L’inégalité sociale devant des catastrophes non pas « naturelles » mais social-écologiques – dès lors que, de plus en plus, leurs causes et leur impact sont déterminés par les sociétés humaines – est bien documentée : la canicule ayant frappé Chicago en 1995, la canicule de 2003 en France et en Europe ou encore l’ouragan Katrina en 2005 furent autant de révélateurs et de catalyseurs de l’inégalité sociale.
L’inégalité humaine n’est pas moins grande face aux nuisances et aux pollutions quotidiennes de l’environnement. C’est d’abord vrai au plan mondial, les études de l’OMS montrant que l’environnement affecte de manière significative plus de 80% des principales maladies et déterminent notamment les facteurs déclencheurs des maladies chroniques, qui représentent désormais près des deux tiers des décès annuels sur la planète. Le médecin et chercheur à Harvard Paul Farmer montre dans ses très nombreux travaux comment de nombreuses maladies sont, dans le monde en développement, des « symptômes biologiques de lignes de fracture sociales ». C’est ensuite vrai en Europe, où la commission Marmot – de l’Organisation mondiale de la santé – a établi en 2010 qu’un écart de dix ans dans l’espérance de vie pouvait séparer les habitants des quartiers les plus favorisés des quartiers les plus défavorisés au Royaume-Uni. C’est enfin vrai en France, où deux types de résultats commencent à être articulés et soumis à l’attention des responsables politiques : le lien entre pollutions et mortalité et morbidité (voir sur ce point les travaux de l’Institut national de veille sanitaire) et le lien entre exposition aux pollutions et indicateurs de défaveur sociale (voir les travaux de Julien Caudeville à l’Ineris et les résultats du projet Equit’Aréa).
La combinaison dynamique des dimensions sociale et environnementale de l’inégalité donne le vertige. Les travaux sur les effets de la pollution atmosphérique dans la région de Los Angeles donnent à voir le lien entre exposition aux pollutions et résultats scolaires, via les maladies respiratoires qui se développent chez les enfants (l’asthme en particulier). Plus vertigineux encore, les résultats obtenus par la chercheuse de Princeton Janet Currie, qui propose une théorie de la perpétuation social-écologique de la pauvreté : les enfants issus de familles défavorisées (appartenant souvent, aux Etats-Unis, aux minorités ethniques) ont de fortes chances de naître en mauvaise santé du fait de l’environnement malsain dans lequel la grossesse de leur mère se sera déroulée, cette faiblesse sanitaire infantile se traduisant par des scolarités heurtées et des parcours professionnels difficiles. L’injustice se perpétue alors en cycle, d’inégalités environnementales en inégalités sociales.
(suite et fin le 21/06/2013)