A quoi ressemblera le climat dans une France à + 4 °C ?
Audrey Garric
www.lemonde.fr/planete/article/2024/12/10/a-quoi-ressemblera-le-climat-dans-une-france-a-4-c_6439963_3244.html
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Météo-France publie des données sur les températures et les précipitations que pourrait connaître le pays aux horizons 2030, 2050 et 2100. Elles doivent servir de base au troisième plan national d’adaptation au changement climatique.
A la fin du siècle, la région parisienne pourrait connaître le climat actuel de Montpellier tandis que la moitié sud subirait celui de l’Andalousie… Voilà deux exemples de ce à quoi ressemblerait le climat dans une France à + 4 °C, selon un rapport de Météo-France publié mardi 10 décembre.
En 2023, le gouvernement a fixé une trajectoire de référence pour l’adaptation au réchauffement climatique : il s’agit de se préparer à une hausse du thermomètre de 2 °C en 2030, 2,7 °C en 2050 et 4 °C en 2100 en France métropolitaine par rapport à l’ère préindustrielle. Le monde est, en effet, sur une trajectoire de + 3,1 °C à la fin du siècle en cas de poursuite des politiques actuelles.
Cela revient à une hausse du mercure de 4 °C en France hexagonale, alors que l’Europe se réchauffe plus vite que la moyenne. La France a ainsi déjà gagné + 1,8 °C, contre + 1,3 °C pour l’ensemble du globe.
Ce scénario, considéré non pas comme « pessimiste » mais « intermédiaire », sert de base au 3e Plan national d’adaptation au changement climatique (Pnacc), en consultation jusqu’à la fin du mois. Dans ce cadre, Météo-France a été chargé de produire les indicateurs décrivant le climat et ses aléas aux trois horizons 2030, 2050 et 2100. L’organisme livre ses premières données, sur les températures et les précipitations.
Un réchauffement pas uniforme
Le réchauffement ne sera pas uniforme, ni sur l’ensemble du territoire ni dans l’année. Les cartes montrent une différence de l’ordre de 1 °C en fin de siècle entre le sud-est du pays ainsi que les Alpes, qui se réchauffent davantage, et le nord-ouest du pays, un peu moins. Le réchauffement est également environ 1 °C plus élevé en été qu’en hiver. Au total, la température moyenne annuelle sur la France (jour et nuit et toutes saisons confondues) pourrait atteindre 14,2 °C, contre 10,9 °C sur la période de référence 1976-2005, avec des pointes à 15 °C sur l’agglomération parisienne et au-delà de 18 °C sur la moitié sud.
Lors de la saison estivale, le sud-est et l’est du pays vireront au rouge cramoisi : les températures maximales pourraient grimper de + 5 à + 7 °C par rapport à 1976-2005 (soit + 5,6 °C à + 7,6 °C comparé à l’ère préindustrielle). Le climat se réchauffe davantage en altitude, dans les Alpes et les Pyrénées, dans une forme de cercle vicieux : la disparition de la neige réduit le réfléchissement des rayons du soleil et, sans cette protection, les sols s’assèchent et chauffent plus vite.
« Penser au climat de Montpellier ou de l’Andalousie pourrait être attractif, mais la vision touristique est faussée », prévient Jean-Michel Soubeyroux, climatologue à Météo-France. L’image de carte postale masque notamment les longues vagues de chaleur qui frappent le sud de l’Espagne, dès le mois de mai et jusqu’à octobre, et les sécheresses tout aussi sévères entraînant une progression de la désertification. « Il faudra faire évoluer nos villes, pour qu’elles supportent ces canicules, revoir la gestion de l’eau, l’agriculture ou les systèmes de santé », poursuit-il.
Hivers plus humides, étés plus secs
Du côté des précipitations, les projections anticipent un cumul stable à l’échelle de la France en 2100, avec une légère augmentation sur le quart nord-est et une petite baisse sur le sud-ouest. « Les précipitations utiles, c’est-à-dire la différence entre la pluie et l’évaporation, vont toutefois diminuer sous l’effet de la hausse des températures », précise Jean-Michel Soubeyroux.
Cette moyenne masque par ailleurs de forts contrastes selon les saisons. En hiver, les pluies devraient augmenter de 15 % à l’échelle du pays à la fin du siècle. La hausse atteindrait même + 45 % sur toute la moitié nord (sauf la Bretagne) si l’on prend les cumuls non plus médians mais maximum, une éventualité à laquelle il s’agit également de se préparer. En été, la baisse des précipitations atteindrait 20 % sur l’ensemble de la France, avec des sécheresses plus marquées dans le Sud-Ouest. L’incertitude reste forte pour le quart nord-est.
D’ici à un mois, Météo-France poursuivra ce travail, en publiant d’autres indicateurs sur les extrêmes climatiques et leurs conséquences. Le site Climadiag, alimenté par l’organisme, permet d’ores et déjà de se projeter dans une France où le dérèglement climatique aggrave tous les risques. En 2100, Toulouse devrait, par exemple, enregistrer vingt jours très chauds (supérieurs à 35 °C) dans l’année, contre deux sur la période 1976-2005, soixante-neuf nuits tropicales, c’est-à-dire dépassant 20 °C (contre treize), quatre-vingt-deux jours avec un sol sec l’été (contre soixante-huit), vingt-cinq jours avec un risque d’incendie (contre six), sept jours de gel (contre vingt-cinq) et plus aucun jour de vague de froid.
« Ce qu’on protège et ce qu’on abandonne »
« Imaginer s’adapter à + 4 °C est une gageure, réagit le climatologue Christophe Cassou. Les paysages et les activités économiques n’auront rien à voir avec ceux d’aujourd’hui. Il s’agit de se poser la question dès aujourd’hui de ce qu’on protège et ce qu’on abandonne. »
Le Pnacc propose 51 mesures, notamment une aide aux communes pour mieux lutter contre les inondations, la mise en place d’une stratégie nationale de défense des forêts contre le feu ou des diagnostics de vulnérabilité pour les agriculteurs ou les grandes entreprises gérant des infrastructures de transport et d’énergie.
« La sécurité sanitaire, alimentaire, sociale est menacée par le changement climatique et s’adapter n’est pas une option pour minimiser les risques, poursuit Christophe Cassou. Mais il ne faut pas oublier que la réussite de l’adaptation dépend du succès de l’atténuation [la réduction des émissions de gaz à effet de serre]. Chaque dixième de degré supplémentaire rend l’adaptation plus complexe, voire impossible, et plus coûteuse. » En juin, le Haut Conseil pour le climat jugeait les politiques françaises actuelles « insuffisantes » pour atteindre la neutralité carbone en 2050.
Face aux carbonationalismes, l’urgence d’une écologie internationaliste
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/ecologie/111224/face-aux-carbonationalismes-l-urgence-d-une-ecologie-internationaliste
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Alors que 2024 sera l’année la plus chaude jamais enregistrée, les extrêmes droites mondiales s’agrègent autour de l’anti-écologisme et de la défense des énergies fossiles. Face à ce péril, l’heure est au sursaut antifasciste pour l’écologie politique.
L’observatoire européen Copernicus l’a annoncé le 9 décembre : 2024 sera l’année la plus chaude jamais enregistrée. Et elle sera la première année au-dessus de 1,5 °C de réchauffement par rapport à la période préindustrielle.
Ce franchissement de température est symbolique puisqu’il incarne une des limites que se sont fixées les quelque deux cents pays signataires de l’accord de Paris de 2015 sur le climat : maintenir la surchauffe planétaire « bien en dessous de 2 °C », et poursuivre les efforts pour la contenir à 1,5 °C.
Par ailleurs, en novembre, le consortium scientifique Global Carbon Project a calculé que les émissions mondiales de CO2 liées à la combustion d’énergies fossiles (pétrole, gaz et charbon) ont encore augmenté de 0,8 % par rapport à 2023.
Toutefois, jamais le fossé n’a semblé aussi béant entre la réalité sociale du chaos climatique en cours et l’action politique nécessaire pour répondre à ses impacts mortifères. Comme le souligne le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), près de la moitié de la population mondiale vit déjà dans des territoires « très vulnérables » aux dérèglements climatiques.
Or, le 29e sommet international sur le climat (COP29, Conférence des parties), qui s’est déroulé en novembre en Azerbaïdjan, n’a aucunement évoqué la nécessité de se défaire des énergies fossiles, dont la combustion est pourtant à l’origine d’environ 90 % des rejets mondiaux de CO2.
Et les États dit « développés » ont promis d’octroyer aux pays du Sud au moins 300 milliards de dollars par an d’aide financière climatique d’ici à 2035. Un montant largement insuffisant – les pays africains et des économistes mandatés par les Nations unies ont estimé que 1 300 milliards de dollars annuels étaient nécessaires –, l’extractivisme colonial des ressources naturelles par les pays riches ayant laissé les nations les plus pauvres financièrement exsangues pour affronter le réchauffement.
Chaos climatique et démocratique
Pis, pendant que la montée des températures provoque un chaos climatique, la montée des nationalismes engendre un chaos démocratique.
Alors que la planète a plus que jamais besoin de justice sociale et de multilatéralisme face à l’urgence climatique qui touche les plus vulnérables (les précaires, les femmes, les personnes racisées), les droites conservatrices et extrêmes droites semblent désormais de plus en plus s’agréger autour d’une même rengaine : l’anti-écologisme.
Le programme de Donald Trump, fraîchement réélu à la tête des États-Unis, repose entre autres sur l’augmentation de la production de gaz et de pétrole, le démantèlement de l’Agence pour la protection de l’environnement (EPA) et la sortie de l’accord de Paris sur le climat. En Argentine, le président, Javier Milei, cajole depuis un an les grands groupes extractivistes au détriment de l’environnement et veut développer le gaz de schiste dans son pays.
Les régimes autoritaires pétroliers, tels que l’Arabie saoudite, ont pesé de tout leur poids diplomatique pour freiner toute ambition de déclaration internationale mentionnant la sortie des énergies fossiles à la COP29. Le Parti populaire européen (PPE), le groupe de droite au Parlement européen, ambitionne pour sa part avec l’extrême droite de détricoter le Pacte vert, la feuille de route climatique de l’Union européenne.
Enfin, en France, et alors que le budget alloué à la transition écologique ne cesse de s’émousser, le Rassemblement national (RN) a fait de l’opposition à l’éolien et de la défense de la voiture thermique des totems de son programme politique.
Péril fasciste et planète à + 3,5 °C
Ces différentes formes de carbonationalisme prolongent, voire durcissent les violences raciales et coloniales inhérentes au chaos climatique.
Premièrement, parce que les ressources en énergies fossiles, dont la consommation aggrave le réchauffement, sont de plus en plus accaparées par les multinationales occidentales, au détriment des habitants et habitantes non blanches du Sud global. À titre d’illustration, TotalEnergies a été pointé en 2022 comment étant le premier développeur de projets pétroliers et gaziers en Afrique.
Ensuite, parce que depuis 1991, 79 % des décès et 97 % du nombre total d’individus touchés par les impacts d’événements climatiques extrêmes l’ont été dans les pays du Sud. Pour exemple, et comme le précise une analyse de l’Unicef d’août 2023, trois enfants sur quatre en Asie du Sud sont exposés à des températures extrêmement élevées (plus de 35 °C, et quatre-vingt-trois jours ou plus par an), contre un enfant sur trois au niveau mondial.
Dans le dernier rapport du Giec, les scientifiques ont construit différents scénarios d’émissions de gaz à effet de serre afin d’ébaucher des trajectoires futures de dérèglement climatique. Un de leurs modèles, qui projette « la résurgence du nationalisme », « la faible priorité internationale accordée aux préoccupations environnementales » ainsi que « la persistance des inégalités », nous dirige tout droit vers un réchauffement oscillant entre 3 °C et 3,5 °C d’ici à la fin du siècle.
De quoi mettre en péril l’habitabilité même de notre planète.
Face au climato-dénialisme et au repli nationaliste autour desquels se recomposent devant nos yeux les populismes, plus que jamais l’écologie politique se doit d’être antifasciste et internationaliste.
Chute des dons et des subventions : les associations écologistes n’ont plus d’argent
Émilie Massemin, Gaspard d’Allens
https://reporterre.net/Chute-des-dons-et-des-subventions-les-associations-ecologistes-n-ont-plus-d-argent
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Les donateurs se font rares, comme les financements publics : l’austérité est de mise pour les associations écologistes. Des pistes stratégiques s’esquissent pour pallier cette crise budgétaire et dépasser la « déprime militante ».
Le mouvement écologiste continue à affronter des vents contraires. Et ce mois de décembre pourrait être un moment charnière. De nombreuses associations engagées en faveur du climat et de la biodiversité sont actuellement confrontées à une baisse de financement brutale qui précarise leur activité. À la clé : de possibles licenciements, des missions abandonnées.
L’inquiétude grandit au sein du petit monde des chargés de collecte. « On a peu de lisibilité sur ce qui nous arrive », dit Charlotte Béal, de Zero Waste France, alors que le montant de ses dons a baissé de 9 % cette année. « La situation est très préoccupante », ajoute Anne Bringault, la directrice du Réseau Action Climat.
À l’instabilité politique qui gèle nombre de subventions publiques s’ajoute la crise économique et l’inflation qui grèvent les dons des particuliers. Dans ce contexte morose, l’écologie semble être la dernière roue du carrosse. Alors même qu’elle est marginalisée dans le débat public et prise à partie par les forces réactionnaires.
Le 12 novembre dernier, Greenpeace a envoyé un courriel, en forme de cri d’alarme, à ses donatrices et donateurs. « Nous faisons face à une baisse du nombre de nos soutiens et nos ressources collectées ne sont plus à la hauteur de nos besoins », écrit l’ONG.
Quelques jours plus tard, c’était au tour des Amis de la Terre d’alerte leurs donatrices et donateurs : « Les financements publics étant réduits à peau de chagrin, notre budget est actuellement déséquilibré, et cela menace la pérennité de nos activités ».
Chez Greenpeace, 20 000 donateurs n’ont pas renouvelé leur don en 2024, soit une hausse de 10 % par rapport à 2023. La grande majorité pour des raisons économiques.« Depuis deux ans, l’érosion du pouvoir de don de nos adhérents est palpable », dit Marie-Ève Lhuillier, directrice de la collecte de fonds au sein de l’ONG. Régulièrement, Greenpeace demande à ses donateurs s’ils peuvent augmenter leur don. Leur réponse est de plus en plus négative. « Les donateurs font des arbitrages, le don est pris sur le reste à vivre. Les gens priorisent les factures et l’écologie peut paraître moins urgente que des causes de premières nécessités, humanitaires ou sociales. »
Plus d’actions, moins d’argent
Chez Les Amis de la Terre, on se fait également du souci. « Nous avons besoin de 170 000 euros d’ici la fin du mois pour boucler notre budget et pour qu’il reste à la hauteur de celui de l’année dernière, détaille Hugo Emo. On a déjà acté qu’on allait finir l’année en déficit, autour de 10 000 euros, ce n’est pas catastrophique mais ce n’est jamais bon. Indéniablement, c’est une source de stress. »
L’association est prise en étau. « Nous avons dû intensifier nos activités pour faire face à l’urgence climatique, c’était indispensable.
Mais en parallèle, nous n’avons pas trouvé assez de ressources financières, même si, depuis 2016, notre budget a doublé. Ce n’est pas suffisant. Nous allons devoir chercher d’autres sources de financement l’année prochaine car l’activité, elle, ne va pas diminuer », explique le chargé de collecte.
Au sein du réseau Sortir du nucléaire, les nouvelles ne sont pas plus réjouissantes. « On a accusé 50 000 euros de déficit en 2023 et la dynamique s’accentue, dit Joël Domenjoud, administrateur du réseau. On va aujourd’hui vers les 80 000 euros, c’est encore difficile à évaluer, tout dépend de la campagne de don de décembre. »
Une « dégringolade collective »
« On a mis en place un budget participatif, une forme d’autogouvernance avec les salariés pour gérer cette situation avec de l’intelligence collective, voir les priorités à faire et là où on pourrait rogner les budgets. Mais clairement, au sein du milieu écolo, on assiste à une dégringolade collective qui nécessite un sursaut », juge Joël Domenjoud.
La collecte auprès des particuliers n’est pas le seul problème. Les associations qui misent sur les fondations et le mécénat d’entreprises sont aussi en difficulté. « Nous allons probablement faire un déficit pour la deuxième année consécutive, ce qui ne nous était pas arrivé depuis vingt ans », annonce Hélène Gassin, la présidente de l’association Négawatt.
L’organisation se finance par des subventions, principalement de l’Ademe (l’agence de la transition écologique), ainsi que par les adhésions, les dons de particuliers, le mécénat, et les partenariats d’entreprises. Ces deux dernières sources se sont taries. En 2023, le mécénat d’entreprise, principalement du secteur des énergies renouvelables, était déjà en baisse de 21 % par rapport à l’année précédente. « Il y a un sujet de contexte économique général, observe Hélène Gassin. Quand on contacte les entreprises en juin-juillet, la plupart nous répondent qu’elles ne peuvent rien nous dire avant la fin du troisième trimestre, car elles-mêmes ne savent pas comment elles vont atterrir. »
Même topo du côté des fondations. « Comme de nombreuses associations françaises du secteur de l’énergie et du climat, nous sommes beaucoup financés par l’European Climate Foundation. Laquelle a subi des restrictions budgétaires dont nous sommes les victimes collatérales », poursuit la présidente.
En conséquence, l’équipe a dû se serrer la ceinture : « Des projets relatifs à la communication, au site internet… ont été reportés ou annulés. Nous avons renoncé à une embauche en communication. » Ces mesures ont été jusqu’à devoir opérer le licenciement économique d’un salarié spécialisé en plaidoyer. « C’était notre dernière cartouche. Nous n’avions plus le choix », dit la présidente.
Des baisses de financements des Régions
Du côté des associations qui reposent sur des subventions publiques, ce n’est guère mieux. Le Réseau Action Climat est actuellement suspendu à l’attente d’une subvention de l’Ademe qui risque de voir son budget amoindri, à cause du contexte global d’austérité.
Ces dernières semaines, France Nature Environnement n’a cessé de recevoir des mauvaises nouvelles : la région Nouvelle-Aquitaine a décidé de diminuer ses subventions auprès des associations — et donc de FNE — de 15 %, la région Hauts-de-France de 30 %.
« Beaucoup d’acteurs publics ne nous donnent que 60 ou 70 % de l’enveloppe de la subvention attendue et nous disent que l’on verra pour la suite l’année prochaine. On est incapable de dire aujourd’hui si on boucle notre budget. On est dans un flou colossal », témoigne le président de FNE Antoine Gatet. Quand il a tenté d’interpeller Agnès Pannier-Runacher, l’ex-ministre de la Transition écologique lui a sèchement répondu, « chacun ses problèmes ».
« C’est la triple peine pour les associations : la baisse du budget de l’État se répercute sur les Dreal [Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement] et sur les collectivités territoriales, puis sur nous, constate-t-il. On est entré en mode survie. »
Au sein des Amis de la Terre, la situation est similaire. « En 2016, 35 % de notre budget reposait sur des subventions publiques, soit 280 000 euros. En 2023, elles ne représentaient plus que 5 % de notre budget. Soit 80 000 euros. Et en 2024, les subventions publiques correspondent à seulement 70 000 euros, cela n’arrête pas de baisser », constate Hugo Emo.
Une crise politique autant que budgétaire
Vu la teneur des récents débats parlementaires, l’avenir paraît sombre. Au cours de l’examen du projet de loi de finances pour 2025 — avant la chute du gouvernement de Michel Barnier — le RN et la droite ont mené une offensive majeure contre le milieu écolo en proposant de « suspendre les réductions d’impôts dont peuvent bénéficier les donateurs de ces associations », jugées « extrémistes ». Si ces amendements étaient maintenus dans une nouvelle mouture du texte, ce serait un coup fatal pour les organisations militantes. Car la crise est, au fond, politique. « Nous sommes pris dans une grosse vague réactionnaire qui dépasse la simple instabilité institutionnelle française. Et depuis le discours de Belfort d’Emmanuel Macron en 2022, on assiste à une espèce de revival des années 1970 avec un retour au tout-nucléaire », s’inquiète Hélène Gassin de Négawatt. « Les difficultés financières que nous traversons sont indissociables de la question stratégique, estime Nicolas Haeringer de 350.org. Face à la multiplication des effets du réchauffement climatique et à la montée de l’extrême droite, le mouvement écolo erre. On ne sait pas quoi faire dans ce marasme. On ne trouve pas la manière d’embrayer et d’opérer la bascule. Le climatoscepticisme regagne du terrain. C’est un substrat qui nous enlève de la force et les gens s’interrogent. Pourquoi nous donneraient-ils du pognon si on perd ? ». Un cercle vicieux se dessine, que retrace très bien Jan, militant à Action Justice Climat. « Vu le contexte ultrarépressif, il est de plus en plus difficile d’organiser des mobilisations. On perd peu à peu en visibilité et on obtient logiquement moins de dons, ce qui nous fragilise ensuite pour mener des campagnes d’action. La boucle est bouclée. »
Changer de stratégie
« Il faut impérativement sortir de ce moment de déprime militante », dit Joël Domenjoud. Plusieurs pistes stratégiques s’esquissent, au gré des discussions, pour reconquérir les esprits et retrouver de la marge de manœuvre. Face à l’adversité, le mouvement écologiste devrait se positionner plus clairement en contre-pouvoir et assumer la conflictualité avec les autorités, plaident de nombreux militants. Tout en renforçant la solidarité en son sein, pour ne plus être en concurrence les uns avec les autres.
« On arrive au bout d’une certaine logique, estime Joël Domenjoud. Il faut changer de méthode. Vu que tout le monde a des difficultés financières, chacun veut tirer la couverture à soi, c’est contre-productif, il faudrait imaginer plus de mutualisme dans nos luttes, et arrêter de démarcher les gens comme si on essayait de leur vendre un nouvel isolant pour leur toiture. »
Au cours de ce mois décisif de décembre, certaines initiatives donnent de l’espoir. La dernière campagne de France Nature Environnement centrée sur « les justicier.e.s de la Terre » fonctionne bien. « On a arraché plusieurs victoires juridiques ces dernières semaines contre la mine d’or en Guyane ou la pêche dans le golfe de Gascogne, raconte Antoine Gatet, et on attend des décisions de justices importantes contre la mégabassine de Sainte-Soline ou l’A69. On voit que cela paie.
Les gens nous soutiennent et nous attendent sur ce terrain. Le réseau juridique est notre bras armé pour défendre l’État de droit. »
Le grand retour des luttes locales — dont Reporterre vous contait les succès lors de sa dernière rencontre — est aussi inspirant. Loin de la déprime ambiante, ces luttes de territoire ont su être conquérantes. En dix ans, elles ont mis à terre plus de 164 projets nuisibles pour l’environnement. Avec des budgets ridicules — 4 000 euros en moyenne par an — elles ont su terrasser des projets d’infrastructures 10 000 fois plus coûteux et sauver du béton des dizaines de milliers d’hectares. Et elles peuvent désormais compter en partie sur l’association Terres de luttes, qui a lancé un fonds de dotation tout spécialement pour les financer.
Travailler, vivre, produire… autrement – Face aux plans sociaux et à la rapacité des actionnaires, vive les coopératives !
Lisa Damiano
https://basta.media/Video-face-aux-plans-sociaux-et-la-rapacite-des-actionnaires-vive-les-cooperatives
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Jeudi 12 décembre, la CGT, la FSU et Solidaires appellent à la grève en réponse à l’annonce de plus de 200 plans sociaux. Face à cette vague de licenciements, une alternative est à explorer : la reprise de certaines de ces entreprises sous forme de coopératives.
Plus de 150 000 emplois menacés en France, c’est le chiffre alarmant diffusé en novembre dernier par la CGT. Le syndicat, rejoint par la FSU et Solidaires, appelle à une journée de grève nationale ce jeudi 12 décembre pour la sauvegarde « de l’emploi et de l’industrie ». En novembre dernier, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, alertait sur les plus de 286 plans sociaux. , dans des entreprises comme Auchan, Stellantis, Michelin ou encore ArcelorMittal.
Les secteurs les plus menacés sont la métallurgie et le commerce. Derrière ces licenciements : des fermetures de site, des délocalisations et des stratégies d’allègement des coûts souvent destinées à augmenter les marges des grandes entreprises concernées, dont certaines réalisent pourtant des milliards d’euros de chiffre d’affaires et versent des centaines de millions d’euros à leurs actionnaires chaque année, comme le constatait l’Observatoire des multinationales.
Depuis l’annonce de la fermeture des différents sites, les salariés s’organisent à travers des grèves, des blocages ou des occupations. C’est par exemple le cas à Denain (Nord), où une vingtaine de salariés d’ArcelorMittal se sont mis en grève à l’annonce de leur licenciement et de la fermeture de leur usine, rapporte Rapports de force. En plus de ces moyens classiques de mobilisation pour tenter de sauver des emplois ou de négocier indemnités et reclassements, une autre alternative pourrait être la reprise en main par les travailleurs eux-mêmes des sites et activités concernés, sous la forme de coopératives.Bas du formulaire
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Une société coopérative est une entreprise détenue en majorité par ses salariés qui en deviennent sociétaires. Chaque sociétaire, homme ou femme, travailleur ou investisseur, détient une voix à l’assemblée générale, à la différence des sociétés classiques où le nombre de voix détenues dépend du capital apporté. Les coopératives prennent ainsi les décisions stratégiques et d’organisation du travail de manière plus démocratique qu’une société par actions, où les actionnaires ont le dernier mot. Dans une coopérative, le dirigeant est élu par les salariés sociétaires et le chiffre d’affaires doit majoritairement être réinvesti dans l’activité. Il en existe plusieurs sortes comme la Scop (Société coopérative de production ou participative) et la Scic (Société coopérative d’intérêt collectif).
Déjà près de 5000 coopératives en France
À Gémenos près de Marseille, l’ancienne usine Unilever, maintenant appelée Scop-ti, fait partie de ces entreprises reprises par les salariés : face à la menace de fermeture de son site par la multinationale, elle a été transformée en coopérative. En 2010, le groupe qui détenait cette usine de fabrication de thé prévoit sa délocalisation vers la Pologne. Il laisse le choix aux 186 salariés entre le déménagement vers l’est de l’Europe ou le licenciement. Des salariés s’organisent alors pour récupérer leur usine et créer une coopérative, et relancer la production qui reprend en 2015. La Scop a développé sa propre marque de thé, 1336, (et de jus de fruits désormais). Au sein de Scop-ti des ouvriers ont pu changer de poste, aménager leur travail en fonction de leurs fragilités et ont décrété la fin du travail de nuit et le week-end.
En France, on peut trouver de nombreux exemples similaires. Comme celui de la librairie Les Volcans, à Clermont-Ferrand, reprise en coopérative par douze de ses salariés en 2014, après sa mise en liquidation judiciaire. Du restaurant l’Après-M à Marseille, ancien McDonald’s devenu Scop. Ou encore, très récemment, de l’ancienne verrerie Duralex, à Orléans. La Confédération générale des Scop et des Scic comptait près de 5000 entreprises, représentant 85 000 emplois et plus de neuf milliards d’euros de chiffre d’affaires, avec notamment le développement récent de petits supermarchés en coopérative.
C’est un modèle que l’on retrouve aussi à l’étranger, comme dans cette ancienne usine automobile près de Florence, en Italie, transformée en coopérative par ses ouvriers après l’annonce de sa fermeture et d’un plan de licenciement important.
Réappropriation de leur outil de travail par les salariés, partage du chiffre d’affaires, démocratie interne… Bien qu’encore peu exploré et peu soutenu par les pouvoirs publics, le modèle de la coopérative fait partie de ces alternatives qui pourraient permettre de sauvegarder des emplois, mais aussi de travailler et produire différemment.
Ez kontzeptuak
Irati Labaien Egiguren
www.argia.eus/argia-astekaria/2897/ez-kontzeptuak
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Hizkuntza matematikoa ondo ulertu eta interpretatzeak badu garrantzia ikasketa prozesuan; horixe esan ohi diegu guk geure ikasleei, bederen. Matematiken lengoaia unibertsala da, eta oro har, interpretaziorako errore marjina txikia izan ohi da. Nekez marraztuko genuke hiruki bat karratuaren kontzeptuaren definizioa irakurri ostean, esaterako. Eta inor gutxi geratu da txundidurarik gabe edozein zirkunferentziaren diametroak perimetroarekiko duen erlazioa ulertuta: pi zenbakia. Misteriotsua bezain magikoa dena.
Jakintza zientifikoa deitzen diogun eremu zabal horren barruan, ordea, badaude jendartearengan askotariko interpretazioak sortzen dituzten kontzeptuak ere. Ekonomiaren alorrean, esaterako, garapena izan daiteke adibide egoki bat. Aurreko mendearen erdi aldera, lurralde baten garapena Barne Produktu Gordinarekin lotu ohi izan zen. Denbora aurrera joan ahala, eta gailentzen ari zen sistema ekonomikoak eragindako askotariko ondorio ekologiko eta sozialei erreparatuta, garapen kontzeptua bestelako gaiekin lotu zen, besteak beste: bizi-itxaropena, eskolaratzea, Amartya Sen Nobel saridunak planteatutako gaitasunen teoria, edota jasangarritasuna. Azken kontzeptu horrek, aldi berean, zer esana eman du azken urteotan. Nazio Batuen Erakundeak ere, munduko herrialdeen garapena sustatzeko 2030. urterako bide-orriaren titulutzat proposatu zuen, hamazazpi helbururekin eta 169 xederekin batera. Helburu eta xede horien zenbatekoak jasangarritasunaren kontzeptua lurreratzeko zailtasuna islatzen du, inondik ere. Hemendik bost urtetara, helburu horien lorpenetan suspentso ateratzen dugunean, zein hitz erabiliko dugu garapen kontzeptu horren abizen modura? Bolo-bolo dabilena: regenerative development (garapen birsortzailea? Hobe itzultzaileei uzten badiet).
Zertaz ari gara klima aldaketaz ari garenean? Sentipena dut erroetan baino, adarretan dugula begirada; gaitzaren iturburuak baino, sintomak leuntzen ari garela
Errealitatean gertatzen dena azaltzeko erabiltzen ditugun hitzetan arreta jarrita, Naredo ekonomialariak “ez kontzeptuak” aipatzen ditu La crítica agotada [Kritika akitua] liburuan. Autore horren arabera, krisi ekosozialak deskribatzeko diskurtso eta erretorika politikoak sortuz joan gara; hainbatetan, erroan dauden gakoak seinalatu gabe. Hamaika goi-bileratan hitzartu diren irtenbideak –ia beti azaleko petatxu– ez dira sinesgarriak izan; ezta bideragarriak ere.
Gai hori azaltzeko, zinez argigarria iruditzen zait azaro erdian Azerbaijanen egindako COP29 biltzarretik ateratako titularra: aldaketa klimatikoaren problematika saihesteko, aberatsak deritzen lurraldeetatik Hegoaldeko deritzen lurraldeetara 300 mila milioi dolarreko ekarpena egitea hitzartu dute, azken horiek baitira ondorio lazgarrienen plaza. Askok zalaparta eta haserrea adierazi ditu, diru-kantitate hori eskupekoa dela adierazita.
Berotegi-efektua beharrezkoa dugu Lurrean bizitzeko, zalantzarik gabe. Baina zientziak modu pedagogiko eta argian adierazi digu, behin eta berriro, gizakion jardunbideek gehiegizko CO2 isuriak sortzen dituztela, eta efektu hori esponentzialki bizkortu. Denok dakigu eragin hori diruz konpentsatzea ezinezkoa dela, isuriak ez dira desagertuko. Debatea urrun sentitzen dugun arren, gutaz ere ari da. Diskurtsoetan hainbatetan ari gara aldaketa klimatikoaren kontrako borrokaz, mundua jasangarriagoa egin beharraz, ingurumenaren zaintzaz… Baina zertaz ari gara? Sentipena dut erroetan baino, adarretan dugula begirada; gaitzaren iturburuak baino, sintomak leuntzen ari garela. Ekonomia sozial eta ekologikoa eraiki nahi badugu, barneratua dugun ikuspegi ekonomikoa gainditu beharko dugu. Arazoen sustraiak definitzera behartuko gintuzke, ziurrenik ere gureak hankaz gora jarrita.