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Articles du Vendredi : Sélection du 13 décembre 2013 !

Fiscalité : une « pollutaxe » pour remplacer l’écotaxe ?

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Fiscalite-une-pollutaxe-pour

Un menu avec des aliments kilométriques pour Noël

Esther Vivas
http://esthervivas.com/francais/un-menu-avec-des-aliments-kilometriques-pour-noel

La finance publique au secours du climat

Tribune de Florent Compain (Amis de la Terre), Geneviève Azam (Attac) et Jon Palais (Bizi !)
www.lemonde.fr/idees/article/2013/12/12/la-finance-publique-au-secours-du-climat_4333333_3232.html

Les ouvriers de Fralib luttent depuis mille jours pour lancer une coopérative écologique

Clément Chassot
wwww.reporterre.net/spip.php?article5110

Quand les actionnaires accaparent 60% des bénéfices des entreprises

Ivan du Roy
www.bastamag.net/Quand-les-actionnaires-accaparent

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Fiscalité : une « pollutaxe » pour remplacer l’écotaxe ?

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Fiscalite-une-pollutaxe-pour

Moins médiatisé que le mouvement des bonnets rouges, un collectif pour la « pollutaxe » a été créé le 2 décembre à Bayonne, en région Aquitaine. Il fait suite à l’annonce fin octobre du Premier ministre Jean-Marc Ayrault, de suspendre l’écotaxe qui devait être prélevée sur les poids lourds à partir du 1er janvier 2014. Composé de trente représentants d’associations et syndicats locaux, le collectif veut organiser dans les plus brefs délais des actions pour demander l’application de la « pollutaxe ». « Le terme de pollutaxe nous paraît plus approprié car il sous-entend que l’on taxe les pollueurs, contrairement au terme d’écotaxe qui fait encore passer l’écologie pour quelque chose qui coûte », souligne Txetx Etcheverry, militant du mouvement altermondialiste basque Bizi !.

« Sans cette taxe, ce sont les contribuables qui paient les coûts externes », rappelle Peio Dufau de la CGT Cheminots. Pollution de l’air, de l’eau et des sols, accidents, congestions… « Pour 1 000 tonnes de marchandises transportées par kilomètre, les coûts externes se chiffrent à environ 80 euros pour le routier contre 20 euros pour le ferroviaire » précise le syndicaliste, contacté par Basta !. Le fret ferroviaire se révèle donc quatre fois moins coûteux que le transport par camions. « Les suppressions d’emplois dans le fret ferroviaire sont liées à ce déséquilibre entre les frais imputés à la route et au rail », ajoute Peio Dufau. Le collectif pour la pollutaxe préconise d’accroître le coût du transport routier pour diminuer « l’hémorragie d’emplois » dans le fret.

« La pollutaxe, une mesure écologique et sociale »

« La pollutaxe doit être appliquée le plus vite possible, en corrigeant ses défauts les plus criants, poursuit Peio Dufau. Par exemple l’exonération du transport sur autoroutes payantes qui exempte de fait les transports longue distance. » Le gouvernement prévoyait également que la Bretagne et l’Aquitaine bénéficient respectivement d’un abattement de 50 % et de 30 % en raison de leur éloignement du reste de l’espace européen. « En Aquitaine, nous observons le passage de nombreux camions venus d’Espagne et du Portugal, ce qui fait de cette région un axe majeur du transport de marchandises par la route », relève à l’inverse le cégétiste, résolument opposé à cet abattement. Le collectif dénonce également le partenariat public privé permettant la levée de la taxe par un consortium privé qui empocherait 20 % des rentrées attendues (lire notre enquête).

En toile de fond, le collectif vise la mise en place d’une fiscalité écologique. Convaincus que la raréfaction du pétrole conduira à une augmentation du prix du transport routier, les membres du collectif veulent inciter à financer les alternatives au fret routier. « Il est inacceptable que des crevettes pêchées au Danemark soient décortiquées au Maroc, ou que des pommes de terre récoltées dans le Nord de la France soient conditionnées en Italie. Il faut favoriser la relocalisation par une plus grande taxation de ces transports indécents », analyse Victor Pachon du Collectif d’associations pour la défense de l’environnement (CADE). Plusieurs actions pour une écotaxe revisitée seront menées sur la Côte basque d’ici Noël par des militants reconnaissables à leurs masques blancs anti-poussières. Un appel à d’autres actions est lancé aux autres territoires et régions.

Un menu avec des aliments kilométriques pour Noël

Esther Vivas
http://esthervivas.com/francais/un-menu-avec-des-aliments-kilometriques-pour-noel

Noël approche ainsi que les réveillons en famille ou avec des amis… Noël est une fête éminemment gastronomique. A côté des grands classiques culinaires, on trouve de plus en plus de plats comme les langoustes, la salade d’ananas et le foie gras, parmi d’autres. Mais d’où viennent ces aliments ? Combien de kilomètres ont-ils parcouru avant d’atterrir dans nos assiettes ? Comment ont-ils été élaborés ?
Un rapport des Amis de la Terre indique que la distance moyenne que fait un aliment du champ à la table est de plus de 5.000 Km, avec tout ce que cela entraîne pour l’environnement. Si l’on tient compte du fait que certains de ces produits sont de proximité, cela signifie que d’autres viennent vraiment de très loin. Mais ce qui est le plus paradoxal, c’est qu’on peut également trouver une partie importante de ces derniers au niveau local. Pourquoi donc viennent-ils de si loin ? La réponse se trouve dans les bas salaires, la persécution syndicale et la législation environnementale flexible en vigueur dans de nombreux pays du sud et qui offrent des profits importants au secteur agro-alimentaire. Que ce modèle génère des gaz à effet de serre, l’exploitation du travail et une alimentation de qualité médiocre, cela ne semble pas important.

Si on analyse le menu de Noël, on se rend compte qu’un bon nombre des produits que nous consommons a voyagé sur des milliers de Km avant d’arriver chez nous. Les langoustes, que l’on consomme fréquemment à cette période de l’année, constituent un bon exemple. La majorité provient d’Amérique latine ou d’Asie. Outre le long voyage jusqu’à nos tables, leur production a un impact très négatif du point de vue social (des salaires de misère et l’utilisation systématique d’agents chimiques et antibiotiques pour les conserver) et écologique (dévastation des fonds marins par le chalutage en eaux profondes et destruction des forêts de mangroves pour construire des fabriques piscicoles). L’Etat espagnol est le principal importateur de langoustes de l’Union européenne.

Ces derniers temps, les ananas sont devenus un autre classique des fêtes de Noël, mais les trois quart de ceux qui sont commercialisés en Europe proviennent du Costa Rica. Une poignée de plantations et de multinationales monopolisent sa production et imposent des conditions de travail extrêmement précaires. Un rapport de Consumers International indique que les travailleurs de ce secteur souffrent de graves problèmes de santé à cause de l’utilisation massive d’agro-chimiques, et leur droit à l’organisation est quasiment inexistant du fait de la politique anti-syndicale des entreprises.

Même un aliment typique de fin d’année comme le raisin provient majoritairement du Chili. S’il y avait auparavant des variétés locales avec une maturation lente, comme le raisin de Noël, aujourd’hui la majeure partie du raisin consommé lors des fêtes provient de l’autre bout de la planète. Si nous optons pour le melon au jambon, il ne s’agit plus de la variété du melon de Noël, nous achetons des produits qui ont été conservés pendant des mois dans des chambres frigorifiques, où bon nombre de ses propriétés ont été perdues, ou qui viennent de lieux aussi éloignés que l’Amérique du Sud.

Le poulet rôti, farci ou le chapon rôti sont d’autres plats typiques. La consommation de viande, nous dit-on, est indispensable dans ces fêtes. Une chanson populaire catalane le dit ainsi ; « Ara ve Nadal, matarem el gall i a la tia Pepa li donarem un tall » (Noël arrive, on tuera le coq et on donnera un morceau à la tante Pepa). Mon grand-père faisait ainsi chaque 25 décembre, mais au lieu d’un coq il tuait une poule de son poulailler. Aujourd’hui, néanmoins, nous consommons des animaux engraissés avec des aliments transgéniques, qui ont parcouru des milliers de Km, à qui on a injecté préventivement de fortes doses de médicaments et qui sont issus d’élevages intensifs où ils ont été traités sans aucun égard pour leurs droits comme des « choses ». Et ne parlons pas du foie gras, servi comme entrée, ni de comment il s’élabore.

Les aliments kilométriques constituent désormais une partie importante de notre alimentation quotidienne. Une nourriture chargée d’injustice avec les personnes, les animaux et l’environnement. L’alternative réside dans la consommation locale, écologique, sans exploitation animale. Une agriculture paysanne, de proximité, à petite échelle. Optons pour une consommation critique, tant à Noël que les 365 jours de l’année !

La finance publique au secours du climat

Tribune de Florent Compain (Amis de la Terre), Geneviève Azam (Attac) et Jon Palais (Bizi !)
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Puisque l’écotaxe provoque dans la fiscalité française plus de remous que les pleurs du philippin Sano versés lors des négociations sur le climat au moment de la Conférence des Parties de Varsovie, il est à souhaiter que le travail parlementaire débouche sur une proposition forte qui, dans le respect des situations différenciées des corps de métier et des contribuables, contribue à lutter contre le changement climatique. Pour cela, il convient de rappeler qu’entre finances publiques et limitation du changement climatique, il y a un lien de cause à effet.

Le dernier rapport du Groupe International des Experts sur le Climat (GIEC) affirme à nouveau la nature anthropique des changements climatiques en cours. La responsabilité humaine se trouve engagée. Mais cette responsabilité n’est ni abstraite, ni indifférenciée. Les pays en première ligne des changements climatiques, comme les Philippines, paient un lourd tribut alors que la responsabilité de l’accumulation des émissions incombe aux pays du Nord et au modèle industriel qu’ils ont promu. Parmi les responsables, on trouve des acteurs économiques qui, tels des flibustiers internationaux, extraient généralement pour leur profit des ressources fossiles et des matières premières dès qu’ils en voient le bout du filon, au Nord et au Sud. Or, pour limiter l’augmentation de la température du globe à 2 °C par rapport à l’ère pré-industrielle, seuil au-delà duquel les conditions climatiques seraient à certains endroits invivables, de nombreux rapports scientifiques ont mis en évidence que la majorité des ressources fossiles connues ne devait pas être exploitée1. On peut penser que neutraliser le flibustier est tâche ardue : c’est là que les finances publiques ont un rôle à jouer.

L’État français, par exemple, a les moyens d’agir. En interne, il peut lever des taxes qui, au lieu de reporter le coût de la pollution sur le contribuable, le prélève à la source, chez le pollueur. C’est ce que devrait être la prochaine « pollutaxe » : en pénalisant les grosses compagnies de transport routier, elle favoriserait le fret ferroviaire et les transports doux, allégerait les coûts de plus en plus importants de la pollution, finalement supportés par la collectivité. Hors de ses frontières, l’Etat n’en est pas plus impuissant : il est l’un des actionnaires principaux d’institutions financières internationales (Banque européenne d’investissement, Banque européenne pour la reconstruction et le développement) qui, même si elles viennent de limiter leur soutien au charbon, continuent d’investir dans des énergies fossiles, notamment des hydrocarbures non conventionnels. EDF et GDF, deux entreprises largement contrôlées par l’Etat, investissent encore dans des projets charbon au niveau international La Coface, agence française de crédit à l’exportation, bénéficiant de la garantie de l’État, soutient elle aussi des projets de centrales à charbon à l’étranger.

Sans ce soutien des bailleurs publics, le flibustier moderne n’aurait pas les garanties financières suffisantes pour pouvoir investir. Il est donc grand temps pour l’Etat français, sur le point d’accueillir la Conférence des Parties sur le changement climatique de 2015, de rendre ses politiques publiques cohérentes et ambitieuses. Cela passe par une fiscalité écologique juste et une « pollutaxe », afin d’amorcer la transition énergétique. Cela passe aussi par la fin du soutien public aux énergies fossiles : à la France de faire en sorte, avec sa loi sur la transition énergétique, que ses efforts en matière de réduction de la consommation énergétique, d’efficacité énergétique et d’énergies renouvelables ne soient pas annulés par des financements publics climaticides versés en parallèle.

C’est aux finances publiques françaises d’être des outils clés pour museler les flibustiers, afin de limiter autant que possible l’ampleur des changements climatiques, et les événements climatiques extrêmes comme celui qui a frappé les Philippines.

Les ouvriers de Fralib luttent depuis mille jours pour lancer une coopérative écologique

Clément Chassot
wwww.reporterre.net/spip.php?article5110

Dans les Bouches-du-Rhône, soixante-dix ouvriers de l’usine Fralib sont toujours en lutte, trois ans après l’annonce de la fermeture du site par Unilever. Leur projet : relancer la production selon des critères écologiques et en relocalisant les fournitures.

Fralib, c’est l’histoire d’une résistance obstinée face à une multinationale anglo-néerlandaise, Unilever, présente dans plus de 190 pays à travers des marques telles que Knorr, Amora, Dove… Ou encore les thés Lipton et les tisanes Elephant, que produisaient les Fralib jusqu’à ce que leur usine, nichée au pied de la colline de la Sainte-Baume à Geménos (Bouches-du-Rhône), ne s’arrête définitivement de tourner, en septembre 2012.

Après plus de mille jours de lutte, les Fralibs sont encore là. Et comptent bien faire revivre leur usine grâce au projet alternatif de reprise qu’ils portent depuis plus de deux ans : créer une SCOP et renouer avec des produits de qualité. « L’Éléphant vivra à Gémenos » est devenu le mantra des soixante-dix-sept salariés qui occupent encore aujourd’hui le site, sur les 182 concernés à l’annonce de la l’arrêt de l’activité par Unilever en septembre 2010.

« On mise sur les circuits courts pour travailler avec des plantes provençales de qualité, refaire marcher une économie locale. Faire quelque chose de sensé quoi ! Si on reprend la production, ce n’est pas pour faire ce que faisait Unilever », explique Gérard Cazorla, le secrétaire CGT du comité d’entreprise.

Pour prouver que cela était possible et que le savoir-faire n’avait pas disparu, les Fralibs ont produit cinq mille boîtes de tisane au tilleul produit dans le pays de Buis les Baronnies, en Drôme provençale, à l’occasion de la fête de l’Humanité. « On est persuadés que notre lutte est légitime et que notre projet tient la route, on ne peut pas accepter qu’Unilever nous pique cette usine. »

Le hic : pour que leur projet voit le jour, les Fralibs ont besoin de la multinationale, notamment pour racheter leur production pendant trois à cinq ans. Mais ils réclament surtout la cession de la marque Elephant, ce qu’Unilever refuse catégoriquement.

Pourtant, les Fralibs estiment qu’elle leur revient de droit : l’Elephant est une marque provençale, née à la fin du XIXème siècle, rachetée en 1972 par Unilever au groupe Ricard. Jusqu’en 1998, il existait deux usines Fralib en France : une en Provence donc et une autre au Havre. Mais un premier plan social lancé par Unilever a eu raison du site normand.

Douze ans après, c’est Geménos s’est retrouvée dans le viseur, pas assez rentable pour l’industriel. « Cela n’a jamais été prouvé, comme l’a dit l’Inspection du travail », fulmine le syndicaliste à la tête ronde, aux petites lunettes et à la bonhomie naturelle.

Jointe par téléphone, la direction du groupe explique sereinement qu’un « industriel raisonne en termes de compétitivité. On perdait des parts de marché depuis 2003 et Gémenos nous revenait trop cher par rapport à nos trois autres usines. » Aujourd’hui, Unilever préfère produire en Angleterre, en Belgique et en Pologne.

Depuis 2010, trois plans sociaux ont été proposés, tous invalidés par la justice, estimant entre autres que les conditions de reclassement n’étaient pas sérieuses. Comme quand la direction propose des postes en Pologne à 400 euros et des brouettes.

Entre-temps, soutenus par les collectivités locales, l’usine est rachetée par la communauté urbaine Marseille Provence métropole. Tout comme les machines, pour un euro symbolique.

« Ce n’est pas facile tous les jours, on voit souvent plus les collègues que nos familles, mais avec l’effet de groupe, tous les soutiens qu’on reçoit, on tient le coup », lance Rim Hadri, une jeune femme aux longs cheveux bruns. Les salariés continuent à se réunir une fois par semaine en assemblée générale et à parcourir la France pour expliquer leur combat « aux camarades » ou à organiser des initiatives comme celle du 7 décembre prochain, un appel à boycott des produits Unilever.

S’approvisionner auprès des producteurs locaux

Et bien sûr, ils continuent à préparer leur projet de SCOP, auquel ils croient dur comme fer. « Depuis environ 15 ans, tout était produit chimiquement, explique Laurence Nicolas, une des laborantines. Unilever importait des plantes des quatre coins du monde pour en faire de la poudre qu’on insérait dans des micro-billes. Cela n’a pas de saveur, on ne veut plus de tout ça. Je ne change pas de métier, simplement de produits. Et si en s’approvisionnant chez des producteurs locaux, on peut relancer l’agriculture du coin, tant mieux ! ». Camomille, tilleul, menthe verte, « on expérimente, on regarde ce qui est possible de faire. Mais pas de doute, c’est bien meilleur ! », assure-t-elle.

Mais si la région Paca a commandé en 2011 un rapport au cabinet Progexa qui valide ce projet alternatif, il n’est pas encore tout près d’aboutir. Unilever refuse de s’asseoir à la table des négociations et estime en avoir déjà fait beaucoup, en abandonnant par exemple les machines. Sans parler de la cession de la marque – qui serait un aveu de faiblesse pour ce symbole du capitalisme – et des millions d’euros d’investissements nécessaires, notamment pour un atelier de coupe des plantes fraîches.

« C’est vrai que ce rapport est très optimiste dans la mesure où il associe Unilever au projet des Fralibs, consent Michèle Tregan, conseillère régionale socialiste déléguée à l’emploi qui suit le dossier. Il faudrait établir un plan B, sans Unilever. Mais nous continuons de dire que ce projet va dans le bon sens et qu’Unilever aurait tout intérêt en termes d’image de négocier les conditions de ce projet alternatif. Ce serait une porte de sortie honorable ».

Pas question d’un plan B pour les Fralibs. « Jusqu’à présent la justice nous a donné raison, Unilever doit assumer ses obligations. L’entreprise avait provisionné 60 millions d’euros jusqu’à fin 2012 pour financer ce plan social. Qu’ils dépensent cet argent pour nous permettre de reprendre la production ! », fulmine Gérard Cazorla avant de mettre en lumière les résultats financiers d’Unilever en 2012 : 51 milliards d’euros de chiffre d’affaires et 2,7 milliards de dividendes sur 5 milliards de bénéfices.

« Ce combat nous a fait prendre conscience du monde dans lequel on vit, juge Henri Solaire, un autre ouvrier à la barbe touffue. On nous impose un cadre, un modèle basé sur le salariat. Mais cela ne tient qu’à nous de le dépasser et de trouver un nouveau modèle social ». Une utopie ? Résolument tournée vers l’avenir et le bon sens économique.


Note : Si vous souhaitez exprimer votre solidarité envers les salariés de Fralib, il est possible d’acheter pour dix euros une boîte de leur tisane artisanale ainsi qu’une copie du documentaire réalisé en 2011 « Pot de thé contre pot de fer » en envoyant un mail à cgt.elephantvivra@orange.fr

Un boycott des produits Unilever est par ailleurs organisé le 7 décembre : info ici.

Quand les actionnaires accaparent 60% des bénéfices des entreprises

Ivan du Roy
www.bastamag.net/Quand-les-actionnaires-accaparent

L’équivalent de 60% de leurs bénéfices : c’est ce qu’ont versé à leurs actionnaires les 47 grandes entreprises françaises cotées en bourse que nous avons étudiées. Alors même que les suppressions de postes se multiplient et que l’investissement est en berne, plusieurs grands groupes hexagonaux continuent de redistribuer une proportion considérable de leurs profits aux actionnaires – y compris lorsque ces profits sont faibles voire inexistants. Notre enquête sur ce « coût du capital » révèle également que l’Etat est un actionnaire aussi gourmand que les autres.

Les actionnaires nuisent-ils à la « compétitivité » de leur entreprise ? Combien coûte la rémunération du capital pour les entreprises cotées ? Chaque année, les dividendes versés aux actionnaires s’élèvent de quelques dizaines de centimes à plusieurs euros par action. Insignifiant ? Loin de là. Car les grandes entreprises françaises sont plutôt très généreuses avec leurs actionnaires. En moyenne, les 47 entreprises que Basta ! et l’Observatoire des multinationales ont étudiées (elles figurent parmi les plus grosses sociétés cotées en France, voir notre tableau ci-dessous) ont versé en 2012 l’équivalent de 60% de leurs bénéfices aux détenteurs de leur capital. Soit 32 milliards d’euros environ sur les 54 milliards de « résultats nets » des entreprises, après acquittement de l’impôt. Le montant total de ces dividendes varie de 15 millions d’euros (Atos) à près de 5,3 milliards (Total). Huit grandes entreprises françaises ont choisi de verser à leurs actionnaires des dividendes supérieurs à leurs bénéfices.

Pour les conseils d’administration, maintenir un dividende élevé permet, en théorie, de fidéliser les actionnaires. Plusieurs administrateurs y consentent d’autant plus facilement qu’ils détiennent eux-mêmes une forte participation au capital de l’entreprise. Parmi notre panel, seule une poignée de groupes sont plutôt raisonnables, redistribuant moins de 20% de leurs bénéfices. Rémunérer fortement le capital, c’est se priver de financements qui auraient pu bénéficier à la recherche, à de nouvelles stratégies industrielles, à la réduction des impacts environnementaux ou à l’amélioration des conditions de travail.

Priorité aux financiers, quoiqu’il en coûte

Plusieurs groupes sont d’une générosité à toute épreuve à l’égard de leurs investisseurs. Même en perdant de l’argent, ils leur distribuent des dividendes ! Chez ArcelorMittal, ST Micro, Accor et Areva, à tous les coups, les actionnaires gagnent. Malgré une perte de 2,8 milliards, le n°1 de l’acier a ainsi ponctionné 910 millions d’euros au profit de ses actionnaires ! La fortune de la famille Mittal, qui détient près de 40% du groupe sidérurgique – et donc perçoit environ 40% des dividendes, soit 360 millions d’euros – passe avant tout. Les métallos sont les grands perdants. En 2013, le groupe supprime 1 600 emplois en Belgique après avoir fermé, l’année précédente, l’aciérie de Florange en Moselle.

Même ambiance chez l’hôtelier Accor. Malgré une perte de 600 millions d’euros l’année dernière, le groupe (Sofitel, Novotel, Ibis, Mercure…) a versé 269 millions d’euros de dividendes… Ce qui ne l’a pas empêché de lancer un « plan d’économie en Europe de 100 millions d’euros » et de supprimer 172 postes en France en 2013. Bref, priorité aux financiers. En l’occurrence, le fonds d’investissement Colony Capital, allié au fonds Eurazeo, premiers actionnaires d’Accor avec 21% du capital. Le nouveau PDG du groupe, Sébastien Bazin, en est d’ailleurs issu. « D’autres emplois sont menacés. Chaque fois ce sont des compétences fortes qui disparaissent en même temps que des collègues qui perdent leurs emplois. Dans le même temps l’entreprise continue de distribuer de forts dividendes », dénonce de son côté la CGT au sein de ST Micro. Et pour cause, la direction a maintenu le versement de 273 millions d’euros de dividendes malgré un résultat négatif de 903 millions en 2012. La réduction des dettes, c’est pour les autres.

Sur les cinq entreprises déficitaires de notre panel, seul Peugeot a renoncé à rémunérer ses actionnaires. Mais c’est surtout pour sauver l’activité financière du groupe, la Banque PSA Finance, que la famille Peugeot, actionnaire à 25%, ne s’est pas versée un seul euro de dividendes.

En échange d’une garantie de l’État sur 7 milliards d’euros d’emprunts, le groupe a promis en octobre 2012 de « ne pas procéder à des distributions de dividendes ou à des rachats d’actions, et à ne pas attribuer aux membres du directoire d’options de souscription ou d’achat d’actions ni d’actions gratuites ». Et ce, pendant trois ans. De leur côté, les salariés de PSA paient le prix fort : plus de 8 000 emplois sont supprimés, l’usine d’Aulnay-sous-Bois en région parisienne a fermé, celle de Rennes est menacée. Au printemps 2012, les effectifs de l’activité automobile s’élevaient à 67 100 personnes. Selon les syndicats, ils devraient fondre à 55 900 employés d’ici à mi-2014. Les actionnaires, eux, devraient de nouveau percevoir des dividendes en 2015. Les salariés au chômage arriveront, eux, en fin de droits.

L’État, un actionnaire aussi gourmand que les autres

L’État, directement ou via l’une de ses institutions – Caisse des dépôts, Fonds stratégique d’investissement (FSI), Commissariat à l’énergie atomique (CEA)… – est présent au capital d’une vingtaine d’entreprises de notre panel. Dans neuf d’entre elles, la puissance publique pèse plus de 10% des actions, donc des voix (Areva, EADS, EDF, Eramet, GDF Suez, Orange, Renault, Safran, ST Micro). Comment se comporte l’État actionnaire ? Est-il aussi gourmand que les gros fonds ou portefeuilles d’actions privés ? Le cas Areva montre que l’État peut privilégier ses propres intérêts financiers, quel que soit l’état de santé de l’entreprise. Actionnaire à plus de 85% du champion du nucléaire, via notamment le CEA, l’État a empoché la plus grande part des 112 millions d’euros de dividendes, quand le fabricant de combustible nucléaire déplore une perte de 99 millions.

Areva n’est pas le seul exemple. En plus des multinationales déficitaires, quatre autres grands groupes français ont distribué à leurs actionnaires davantage d’argent qu’ils n’en ont gagné. Ils ont un point commun : l’État est très présent au sein du capital. Eramet, l’une des rares sociétés minières hexagonales, a ainsi versé l’équivalent de 738% de ses bénéfices en dividendes ! Parmi ses actionnaires figurent le FSI et le Bureau de recherche géologique et minière, un établissement public (27% à eux deux). Les actionnaires d’Orange – dont l’Etat et le FSI (toujours 27%) – peuvent également se réjouir : ils ont perçu 328% des bénéfices du principal opérateur de téléphonie. Un pactole non négligeable : 3,6 milliards d’euros. La rémunération, longtemps fixée à 1,4 euro par action, a entravé les investissements et a provoqué de sérieux remous en interne. « Depuis dix ans, Orange a versé 27 milliards d’euros de dividendes, c’est plus que son poids en Bourse aujourd’hui ! », dénonçait la Confédération générale des cadres lors de la dernière assemblée générale des actionnaires fin mai 2013. Une proposition de baisse des dividendes à 0,78 euro par action a plusieurs fois été refusée par les actionnaires… avec le soutien de l’Agence de participation de l’État, qui représente le ministère des Finances. Elle est désormais en vigueur.

Même scénario pour GDF Suez. Prétextant une hausse des coûts d’approvisionnement, GDF Suez ne cesse de réclamer – et d’obtenir – de nouvelles hausses des tarifs du gaz. Tout en redistribuant des dividendes représentant 122% de ses bénéfices à ses actionnaires, au premier rang desquels l’État (39% avec la Caisse des dépôts). Quand à Suez environnement, elle a distribué 239% de son résultat après impôt, dont un bon tiers à son principal actionnaire… GDF Suez. Enfin, EDF, la seconde entreprise cotée en bourse, avec Areva, où l’État est majoritaire (84%), a reversé l’équivalent des deux tiers de ses bénéfices à ses propriétaires, soit 2,1 milliards d’euros. Toujours ça que les énergies renouvelables n’auront pas ! Reste à voir comment seront répartis les résultats de l’exercice 2012 pour vérifier si le gouvernement socialiste infléchit ces pratiques. Ou s’il préfère de l’argent frais à court terme quitte à fragiliser des entreprises.

Sept mois de salaires pour les actionnaires

S’il existait en France la palme du salarié le plus rentable au regard de l’argent qu’il fait gagner aux actionnaires de son entreprise, elle serait remise aux salariés de Total. Chacun des 97 126 employés du groupe pétrolier a rapporté plus de 54 000 euros de dividendes aux propriétaires de l’entreprise en 2012 ! Soit les trois quarts de ce que le groupe pétrolier dépense en moyenne par salarié chaque année. Et l’équivalent de trois années de Smic ! Total est aussi celle qui, parmi les 47 entreprises que nous avons étudiées, a reversé à ses actionnaires les plus gros dividendes : 5,3 milliards d’euros, soit quasiment la moitié de ses bénéfices.

A ce concours des salariés les plus « stakhanovistes » du point de vue de la rentabilité boursière, le personnel de Sanofi arrive en deuxième position : chacun des 112 000 employés du labo pharmaceutique, dont 28 000 en France, a permis à ses actionnaires d’engranger plus de 31 000 euros. Mais le capitalisme financier ne connaît pas la gratitude : entre 900 et 1 500 postes devraient être supprimés en France d’ici 2015, en particulier dans la recherche. Parallèlement, 70% des bénéfices, soit près de 3,5 milliards, ont été distribués aux actionnaires du groupe.

Les salariés de Pernod Ricard, de Vivendi et d’Orange ont également fait gagner plus de 20 000 euros à leurs actionnaires. Pour la moitié des opérateurs et techniciens de l’ancienne France Télécom, qui gagnent moins de 2 950 euros bruts, cela représente sept mois de salaire ! Ils récupéreront cependant l’équivalent d’un mois de salaire au titre de l’intéressement, et se consoleront peut-être en se rappelant que les salariés, via un fonds commun de placement, possède environ 4% des actions d’Orange.

Ces actionnaires qui en profitent le plus

La bourse est un vaste monde. Les petits actionnaires et leurs PEA (Plan d’épargne en actions) y côtoient les grandes fortunes, françaises mais aussi belges, états-uniennes, égyptiennes ou russes. On y croise une multitude de gestionnaires de portefeuilles d’actions des grandes banques françaises ou nord-américaines, des fonds de pension, des fonds souverains norvégiens, koweïtiens ou qataris, des États – la France bien sûr mais aussi l’Italie (dans le capital de ST Micro), l’Allemagne (EADS) ou le Grand Duché du Luxembourg (ArcelorMittal). Les salariés de plusieurs groupes y détiennent, via les fonds communs de placement de leur entreprise, des participations parfois non négligeables : chez Bouygues (23%), Safran (15%), Vinci (10%), Essilor (8%), ou Vallourec (7%) [1] Y apparaissent aussi quelques « humanitaires », comme le fonds britannique « Children’s Investment Fund Management » (Fonds d’investissement pour les enfants) qui possède une petite participation dans le groupe Safran, spécialiste en matière de défense et de drones. Et des multinationales elles-mêmes actionnaires d’autres multinationales. Tous sont unis vers un même objectif : percevoir des dividendes.

Si l’État est loin d’être le dernier à profiter du « coût du capital », plusieurs grosses entités bénéficient pleinement de ce généreux régime de redistribution. Le Groupe Bruxelles Lambert est ainsi présent en force : au sein de Lafarge (20,9%), de Pernod-Ricard (7,5%), de Suez environnement (7,2%), de GDF Suez (5,1%) et de Total (4%). Il s’agit d’une holding détenue par le milliardaire belge Albert Frère et la famille du milliardaire canadien Paul Desmarais, décédé en octobre. Tous deux étaient proches de l’ancien président Nicolas Sarkozy.

Du CAC 40 aux sociétés coopératives

Le groupe Arnault, qui gère les intérêts de la première fortune de France, possède 46,2% de LVMH, qui a reversé 1,4 milliard d’euros de dividendes à ses actionnaires, et 15,6% de Carrefour (en alliance avec Colony Capital, très présent dans Accor). La société Wendel, dans laquelle officie l’ancien président du Medef Ernest-Antoine Seillières, possède 19,4% du groupe industriel Legrand et 17,4% de Saint-Gobain. Cette dernière est l’une des sociétés du CAC 40 les plus généreuses avec ses actionnaires. Ils se sont vu accordés des dividendes équivalent à 91% des bénéfices, soit 700 millions d’euros. Famille Bouygues ou Bettencourt, Financière Pinault… La liste des autres gros propriétaires de capitaux est loin d’être exhaustive.

Dans un monde parallèle au capitalisme financier, une autre répartition des richesses est à l’œuvre. Tout n’est pas parfait au sein des 2 000 sociétés coopératives et participatives (Scop) qui existent en France. Mais un autre partage de la valeur créée y est pratiquée entre détenteurs du capital et les 43 800 salariés qui y travaillent. « En 2011, 43,2 % des excédents nets ont été distribués aux salariés sous forme de participation, 44,1 % ont été mises en réserve et 12,7 % ont rémunéré le capital investi dans les entreprises », explique la Confédération générale des Scop. L’État actionnaire pourrait, au moins, s’en inspirer.

[1] Des fonds communs de placement existent dans plusieurs autres grandes entreprises mais ils dépassent rarement les 5% du capital.