Jeffrey Sachs: «On ne parle plus de changements climatiques au futur, mais au présent»
Christian LOSSON
www.liberation.fr/terre/2014/12/12/on-ne-parle-plus-de-changements-climatiques-au-futur-mais-au-present_1162052
Le Front national braconne sur le terrain de l’écologie pour appâter « les amoureux de la nature »
Pierre Alonso
www.bastamag.net/Le-Front-National-braconne-sur-le
La vraie fausse « conversion présidentielle » de François Hollande pour sauver le climat
Maxime Combes, Thomas Coutrot
www.bastamag.net/Gouverner-pour-Total-et-BNP
Taxe Tobin : la France cale, Robin des Bois peut aller se rhabiller
Pascal Riché
http://actualites.nouvelobs.com/obs/economie/20141209.OBS7403/taxe-tobin-la-france-cale-robin-des-bois-peut-aller-se-rhabiller.html?cm_mmc=Acqui_MNR-_-NO-_-WelcomeMedia-_-edito&from=wm#xtor=EREC-210-[WM]-20141210
Pétrole : le calme avant la tempête, d’après l’Agence internationale de l’énergie
Matthieu Auzanneau
http://petrole.blog.lemonde.fr/2014/11/19/petrole-le-calme-avant-la-tempete-dapres-lagence-internationale-de-lenergie/
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Jeffrey Sachs: «On ne parle plus de changements climatiques au futur, mais au présent»
Christian LOSSON
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A un an de la conférence décisive de Paris, entretien avec le directeur du Earth Institute Jeffrey Sachs lors du sommet climatique de l’ONU à Lima.
Dernière ligne droite pour la COP 20, le sommet de l’ONU sur le climat de Lima, qui doit normalement s’achever ce soir. Et accoucher d’une feuille de route (encore remplie de blanc et de parenthèses) pour le prochain sommet de Paris, en 2015, annoncé comme décisif s’il aboutit à un accord – vraiment-ambitieux entre 194 pays. Les ONG et les pays les plus démunis dénoncent pour l’instant un statu quo inquiétant, loin des attentes et des enjeux, car des trajectoires de réductions de gaz à effet de serre aux mesures d’adaptation au changement climatique, en passant par les financements, les mécanismes de vérification, etc, rien ne permet encore de faire preuve d’optimisme. Contrairement à l’économiste Jeffrey Sachs, directeur du Earth institute à l’université de Colombia et conseiller spécial du secrétaire général sur les objectifs du millénaire pour le développement, qui juge positifs les débats de Lima. Il s’en explique à Libération.
Au rythme actuel, la hausse continue des gaz à effet de serre nous conduit tout droit vers une hausse de 4 à 5°C d’ici la fin du siècle par rapport aux niveaux pré-industriels, mais cela n’a pas l’air d’ébranler les négociateurs. Pourquoi ?
Non, au contraire, je pense qu’il se passe des choses décisives à Lima. Primo, Il y a désormais une compréhension que l’un des buts majeurs du sommet de Paris est de tenter de rester en deçà d’une hausse de température de 2°C d’ici au siècle prochain si l’on ne veut pas courir à la catastrophe. Deuxio, les négociateurs sont aussi d’accord pour reconnaître que pour y parvenir, il faut une décarbonisation totale de l’économie dans le même temps ; ce n’est pas un petit mouvement, c’est un vrai changement. Tertio, les gouvernements vont, je l’espère, s’entendre pour dire au monde qu’ils vont montrer le chemin pour y parvenir. J’ai pu aussi suivre de forts échanges sur la question sensible des transferts de technologie et comment financer l’atténuation des émissions de gaz à effet de serre (GES) et l’adaption des pays face aux changements climatiques. La question n’est pas de savoir s’il y aura un deal, mais si ce deal sera sérieux.
Quel est selon vous le chemin parcouru depuis l’échec retentissant du sommet de Copenhague en 2009 ?
La grande différence, c’est qu’on ne parle plus de changements climatiques au futur, mais au présent. L’année 2014 sera une nouvelle fois l’année la plus chaude depuis la fin du XIXe siècle. Et la multiplication de bouleversements climatiques se vérifie. Quelque soit l’endroit de la planète que vous regardez depuis cinq ans, vous assistez à davantage de cyclones, de tornades, de sécheresses, d’inondations. Les dérèglements ne sont plus un hypothétique avenir, ils sont déjà une réalité concrète, terrifiante. De plus, les scientifiques du Giec viennent de nous rappeler qu’il faut agir dès aujourd’hui pour limiter la hausse des températures à 2°C et certains pensent qu’il est trop tard pour y parvenir : Paris est la dernière chance pour enfin faire des choix politiques décisifs. Enfin, dernier changement fondamental à mes yeux : l’attitude de la Chine. La désormais première économie de la planète a envoyé un message géopolitique capital : elle accepte d’assumer son leadership. En mettant sur la table qu’elle s’engage à atteindre un pic de ses émissions de gaz à effet de serre (GES) «autour de 2030», elle inverse la tendance qui l’avait vu, à Copenhague, renvoyer systématiquement les pays riches à leur responsabilité «historique» dans les émissions de GES. Ce n’est que le début ; elle avancera encore.
Contrairement à l’Inde, quatrième pays émetteur, qui refuse tout chiffre et toute date au motif qu’elle n’entend pas renoncer à son développement…
L’Inde bougera. J’ai pu rencontrer le Premier ministre Narendra Modi lors du G20 à Brisbane. Il m’a dit qu’il était déterminé à trouver un rôle constructif, qu’il fallait que les transferts de technologie s’accentuent et c’est plutôt constructif. L’Inde n’est pas la Chine : elle a des besoins énergétiques majeurs, elle doit réduire profondément ses inégalités, mais elle avance vite sur le développement des énergies renouvelables…
Reste le rôle pivot des Etats-Unis, qui, avec la Chine, pèsent 42% des émissions mondiales, et viennent de promettre une réduction de 26 à 28% de leurs émissions d’ici à 2025 par rapport à 2005…
En dépit de sa situation politique où il a perdu la majorité dans les deux chambres, Barack Obama n’a jamais été aussi clair, déterminé, et tranchant sur le climat. La droite républicaine veut faire croire qu’elle n’est pas dans le déni du réchauffement climatique. Elle ne l’est peut-être plus. Elle est juste dans la poche de l’industrie du pétrole. Notre Congrès est profondément corrompu par le biais des financements des campagnes électorales. Obama l’assure : il ira de l’avant, il signera quelque chose d’ambitieux à Paris. Il assure qu’il s’agit de sa responsabilité historique de le faire, même s’il sait qu’il se heurtera peut-être à la ratification par le Sénat. Pourtant, l’argument majeur de la droite conservatrice qui consistait systématiquement à renvoyer à l’immobilisme de la Chine a sauté. Et puis, en dépit de cette situation étrange, pensez-vous que si 193 pays se mettent d’accord à Paris pour signer un deal, le Sénat osera-t-il dire au monde : «Bye-bye, planète, nous ne vous suivons pas dans le choix de la survie» ?
Le Front national braconne sur le terrain de l’écologie pour appâter « les amoureux de la nature »
Pierre Alonso
www.bastamag.net/Le-Front-National-braconne-sur-le
Encore un faux-nez pour le FN : Marine Le Pen et Florian Philippot ont lancé ce 10 décembre un collectif baptisé « Nouvelle écologie ». Localement, cette association devra aider le FN à verdir son discours et tenter d’attirer vers l’extrême-droite des associations environnementalistes. Une sorte de « greenwashing » pour le FN alors que ses élus se distinguent régulièrement par leur hostilité aux politiques écologiques, en particulier sur le climat.
Après les enseignants, les étudiants et les jeunes actifs, le Front National investit un nouveau domaine, pour le moins inattendu : l’écologie. Un collectif dédié, baptisé « Nouvelle écologie », a été lancé mercredi, lors d’une présentation à Paris [1]. « Il ne faut pas créer un nouveau totalitarisme, il faut sortir de l’écologie punitive », clame, en guise de définition, le président du collectif, Philippe Murer, économiste un temps proche de Jacques Sapir et auteur d’un court essai sur la transition énergétique aux éditions Mille et Une Nuits.
Le secrétaire général, Eric Richermoz, étudiant de 22 ans en école de commerce à l’IESEG de Lille, précise qu’il défend une « écologie du pragmatisme et du bon sens » pour mettre « fin au monopole insolent d’EELV et de la gauche sur l’écologie ». La salle, largement remplie de sympathisants, applaudit chaudement. « Quand on est patriote, on est écologiste. Et inversement : quand on est mondialiste, on ne peut pas être écologiste », résume Marine Le Pen, montée à la tribune en conclusion de la présentation. Pour expliquer ce sophisme, la présidente du Front national invoque l’absence de « gouvernement mondial » à même de résoudre un problème global, laissant le champ libre « aux multinationales qui n’ont aucun intérêt pour l’écologie ».
Faux-nez du FN
Outre Marine Le Pen, acclamée à son arrivée, plusieurs figures du FN et du Rassemblement bleu marine (RBM) étaient présents, dont Florian Philippot, Jean-Yves Narquin et Bertrand Dutheil de la Rochère, l’un des artisans du collectif Racine qui cible l’éducation nationale. Le collectif devrait s’appuyer sur un conseil national, composé de huit personnes dont Philippe Murer et Eric Richermoz – ce dernier a refusé hier de nous communiquer la composition exacte du conseil. L’affiliation du collectif au RBM vise à élargir ses soutiens au-delà des encartés et des acquis à la cause frontiste, en « rassemblant tous les amoureux de la Nature » s’enthousiasme Eric Richermoz. Le nom du FN n’apparaît d’ailleurs nulle part dans les supports de communication de Nouvelle écologie…
Le collectif s’articulera ainsi autour d’antennes locales, qu’ils espèrent ouvrir dans toute la France en partenariat avec des associations. Trois pourraient voir le jour au premier semestre 2015 dans le Calvados, en Ariège et en Loire-Atlantique. Un élu FN au conseil municipal de Saint-Nazaire, Gauthier Bouchet (dont le père, Christian Bouchet, est passé par Troisième Voie et Unité radicale, et a été candidat du FN à Nantes), a déjà rejoint l’équipe, responsable du site Internet, des réseaux sociaux et de la rédaction de notes publiées en ligne. Il explique pourtant que la création d’une antenne en Loire-Atlantique « n’est pas à l’ordre du jour pour l’instant, alors qu’on entre dans une période électorale [les élections départementales auront lieu en mars] ».
Climatosceptique
A l’instar des autres collectifs « socio-professionnels » du FN, Nouvelle écologie a vocation à faire le lien avec la société civile, mais aussi à enrichir la production du parti sur certaines thématiques en prévision de l’élection présidentielle. Mercredi, le discours sur l’écologie du FN se limitait à des formules de rejet. Marine Le Pen a qualifié Europe-Écologie Les Verts « d’imposture », les accusant d’avoir fait « rapetisser » l’écologie. Philippe Murer leur a reproché d’entretenir « un projet idéologique sans réflexion sur la faisabilité ». Lors du Congrès national du FN, fin novembre à Lyon, Eric Richermoz avait dénoncé un PS « soumis aux lobbies tantôt bobo, tantôt patronaux ». Quant à l’UMP, elle est taxée d’utiliser l’écologie pour faire « de la comm’ ». Philippe Murer en veut pour preuve les revirements de Nicolas Sarkozy sur l’exploitation des gaz de schiste (défavorable lorsqu’il était à l’Élysée, il s’y est dit favorable pendant la campagne pour la présidence de l’UMP). C’est vite oublier les revirements permanents du FN et de Marine Le Pen sur le sujet (lire notre article « Municipales : le visage anti-social et anti-écolo du Front National »).
Le collectif entend s’attaquer à la question de la transition énergétique, de l’obsolescence programmée, de la pollution… Mais aucun sujet concret n’a été abordé en profondeur mercredi. Le dossier de presse de Nouvelle écologie évite soigneusement d’aborder la question du climat, alors que nombre d’élus frontistes sont sensibles au discours « climatosceptique » qui nie la réalité du réchauffement climatique. Les élus régionaux du FN s’opposent aussi très régulièrement aux politiques favorisant les transports en commun ou préservant la forêt. Une écologie « de bon sens » sans doute.
Philippe Murer a lui évoqué le pic pétrolier, l’existence de solutions rendues possibles par le progrès technologique, affirmant la foi du collectif en « une écologie politique productive et réaliste » et l’obligation de quitter l’euro pour réaliser les investissements nécessaires. Marine Le Pen s’est dite opposée à la ferme des milles vaches, qui correspond à « un modèle importé », contre la pollution visuelle des panneaux publicitaires à l’entrée des villes ou pour le bien-être animal, visant en creux l’abattage rituel et le halal. Localement, les associations écologistes se laisseront-elles mystifier ?
La vraie fausse « conversion présidentielle » de François Hollande pour sauver le climat
Maxime Combes, Thomas Coutrot
www.bastamag.net/Gouverner-pour-Total-et-BNP
« C’est une semaine décisive pour garder l’espoir d’un accord ambitieux sur le climat en 2015 ». Voici ce que laissent entendre les ministres, parmi lesquels Ségolène Royal et Laurent Fabius, qui viennent de rejoindre la Conférence internationale sur le climat à Lima, au Pérou. « Climat : le nouveau front de François Hollande » entonnent des médias. Est-ce bien crédible, alors même que le président s’est félicité à son retour d’Alberta, des investissements de Total dans les sables bitumineux extrêmement polluants ? Au moment où rien de bien ambitieux ne pointe à l’horizon de la négociation, deux membres d’Attac France décryptent le story telling d’une présumée « conversion présidentielle ».
Indifférent il y a encore peu, François Hollande serait désormais convaincu, suite à ses multiples entrevues avec les experts du climat, que le sort de l’humanité se joue avec le réchauffement climatique. Le Monde daté du 21 novembre en a fait sa Une : « Climat : le nouveau front de François Hollande », tandis que l’AFP annonce que le chef de l’État prépare la conférence internationale de l’Onu sur le changement climatique en 2015 à Paris-Le Bourget avec « le zèle du converti ». Objectif : « laisser sa trace » dans l’histoire avec un accord « historique » comme annoncé en ouverture de la conférence environnementale ce jeudi 27 novembre.
Pourtant quelques semaines plus tôt, le 2 novembre, François Hollande avait jugé bon de se rendre en Alberta, au Canada, pour se féliciter des investissements de Total dans le pétrole des sables bitumineux, l’un des plus polluants de la planète. Le jour-même où le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) publiait la synthèse de son 5e rapport confirmant la gravité de la situation et la très grande responsabilité des États.
« Schisme de réalité »
Le story-telling de la conversion présidentielle voudrait sans doute faire croire que cet épisode canadien n’est qu’un dernier lapsus sans lendemain. Au contraire, cet épisode canadien nous semble le symptôme de ce que les chercheurs Amy Dahan et Stefan Aykut appellent un « schisme de réalité » qui structure profondément le débat public et les espaces de négociations sur le dérèglement climatique, comme celles qui se déroulent actuellement à Lima. Selon eux, il existerait « un décalage croissant entre une réalité de l’extérieur, celle de la globalisation des marchés, de l’exploitation effrénée des ressources d’énergie fossiles » et la « sphère des négociations et de la gouvernance du climat » [1].
Ce décalage est entretenu par des gouvernements, des entreprises privées et des leaders d’opinion rétifs à toute remise en cause de la libéralisation du commerce et des investissements, à toute limitation de la recherche et l’exploitation de nouvelles sources d’hydrocarbures, à toute entrave à la rentabilité des capitaux. Cet épisode canadien n’est pas un couac de calendrier mais un signal fort en direction du monde des affaires : il n’est pas question d’assujettir les investissements privés à la contrainte climatique et aux recommandations des experts du climat rendues publiques le même jour.
Sabotage du projet de taxe sur les transactions financières
S’il était vraiment « converti », François Hollande aurait profité de sa visite outre-Atlantique pour conditionner la finalisation de l’accord de libéralisation du commerce et de l’investissement entre l’Union européenne et le Canada (CETA), l’un des pays les plus climatiquement irresponsables, aux urgentes et nécessaires réductions d’émission de gaz à effet de serre. Cet accord, comme celui qui est en cours de négociation avec les États-Unis (TAFTA) – dont le mandat de négociations ne fait pas mention des exigences climatiques – vise au contraire à encourager l’exploitation et le commerce transatlantique d’énergies fossiles. De nouveaux investissements dans le secteur (nouvelles infrastructures d’extraction, de transport, de raffinage, etc), comme ceux souhaités par M. Hollande en Alberta, pérenniseraient une dépendance aux énergies fossiles et des niveaux d’émission insoutenables pour des dizaines d’années.
S’il était converti, François Hollande ne saboterait pas le projet de taxe européenne sur les transactions financières pour préserver les profits des banques françaises, leaders mondiales de la spéculation sur les produits dérivés. Il prendrait plutôt le leadership d’un mouvement en faveur d’une taxe mondiale couvrant l’ensemble des transactions financières. Alors qu’à Lima, les gouvernements sont à peine arrivés à recueillir 10 milliards de dollars sur plusieurs années – bien loin des 100 milliards promis par an d’ici à 2020 – une véritable taxe mondiale pourrait dégager d’importants financements en faveur du Fonds vert pour le climat.
Subordonner les intérêts financiers aux exigences climatique
À douze mois de la conférence de l’Onu sur le dérèglement climatique en France, l’une des responsabilités majeures des ONG et des mouvements sociaux et écologistes est de s’attaquer à ce décalage dramatique entre la fuite en avant extractiviste liée à la globalisation économique et financière, et les exigences à la fois claires et rigoureuses énoncées par le Giec en matière de réduction des émissions. L’accord tant vanté entre les États-Unis et la Chine demeure malheureusement très loin de ces exigences, et même les objectifs européens sont très insuffisants.
Le story-telling et les effets de manche deviennent chaque jour plus indécents face aux menaces qui s’annoncent. Il est donc plus que temps de se convertir : gouverner pour Total et BNP Paribas ou pour sauver le climat, il faut choisir.
Face à l’urgence climatique, la passivité voire l’action irresponsable des dirigeants et des multinationales imposent à la société civile d’initier une bataille globale et de longue haleine. Paris 2015 doit être l’occasion de faire décoller le vaste mouvement social pour la justice climatique dont le monde a besoin afin d’initier un véritable changement systémique, qui subordonne les intérêts financiers aux exigences climatiques.
Thomas Coutrot, Maxime Combes, économistes et respectivement porte-parole et membre d’Attac France
Taxe Tobin : la France cale, Robin des Bois peut aller se rhabiller
Pascal Riché
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A Bruxelles, la France de François Hollande bloque la taxe sur les transactions financières ambitieuse dont rêvait la France de Jacques Chirac. Entretemps, un furieux lobbying des banques a eu lieu.
Dans la riche histoire des bonnes idées torpillées, la France vient piteusement d’écrire une triste page, celle de la taxe sur les transactions financières (TFF) poussée avec un certain succès par le mouvement social. Ce projet formidable, que l’on surnomme tantôt « taxe Tobin » (en hommage à l’économiste du XXe siècle James Tobin qui rêvait de « jeter du sable dans les rouages » de la spéculation), tantôt « taxe Robin des Bois » (en hommage à l’économiste du début du XIIe siècle qui a le premier mis en pratique la redistribution du capital aux fins de justice sociale) est mort. Et c’est le ministre des Finances Michel Sapin qui a, avec vigueur, planté les derniers clous dans son cercueil.
Le principe de la TFF a l’élégance de la simplicité : une toute petite taxe jetée dans la machinerie financière, quelques grains de sable pour freiner les rouages et mieux stabiliser cette finance démente. Elle permettrait de surcroît de lever quelques milliards d’euros que l’on aurait réaffectés à la lutte contre la pauvreté ou à d’autres justes causes planétaires…
Pipi de chat en vue
Portée par des organisations non-gouvernementales comme Attac, elle avait été reprise au vol par la France, sous Jacques Chirac, et mise sur la table des discussions européennes. Après la crise de 2008, elle s’était imposée comme une évidence. Même les plus orthodoxes (le FMI, l’Allemagne…) avaient fini par s’y rallier. Dans le maelstrom d’alors, au moins, l’avenir de la taxe Tobin semblait alors sourire.
C’était sans compter la puissance formidable des banques… Pour elles, cette idée de taxe est une abomination qu’il faut liquider au plus vite. Elles ont alors déployé un lobbying « furieux », selon la description de l’agence financière Reuters.
Elles ont gagné. Mardi 9 décembre, à Bruxelles, les 11 pays qui discutent de cette taxe dans le cadre d’une « coopération renforcée » ont constaté leur désaccord. Ils se donnent jusqu’au 31 décembre pour s’entendre, mais d’ores et déjà, ils admettent que leur discussion débouchera sur du pipi de chat. En langage européen, « pipi de chat » se dit : « une taxe de portée limitée ».
« C’est devenu plus compliqué »
Le plus affligeant, c’est que c’est la France qui porte la responsabilité de ce fiasco. En novembre, Michel Sapin, ministre des Finances, s’est prononcé en faveur d’une taxe limitée aux actions et à certains produits, les « CDS », des contrats d’assurance contre le risque de défaut de paiement. Ils représentent 3% de l’ensemble des produits dérivés dans le monde… Le trading haute fréquence est épargné. Cette nouvelle position française n’a pas été jugée acceptable par les autres pays.
Au micro de France 3, mardi, Michel Sapin s’est expliqué : la France est très allante sur ce dossier, elle serait même prête à englober tous les produits financiers si « tous les pays de l’Union européenne » acceptaient de les taxer… mais puisque certains (Grande-Bretagne, pays du Benelux…) n’ont pas voulu participer à la négociation, c’est devenu « plus compliqué”. Comprendre : plus compliqué pour nos banques, qui sont concurrentes de celles de la City.
« C’est merveilleux les beaux projets »
Etonnant raisonnement : pourquoi l’arrêter à « tous les pays de l’Union européenne » ? Pourquoi, pendant qu’on y est, ne pas attendre que Singapour ou Saint Kitts-et-Nevis rejoignent le club des partisans de la TFF, afin d’éviter les risques de distorsion de concurrence ?
La politique, c’est souvent de se jeter à l’eau le premier. Mais Michel Sapin n’est pas dans la politique ; il n’est pas, comme il le dit, dans les « beaux projets » : il est dans ce qu’il appelle « la réalité ».
Pour les ONG il est clair que la France porte la responsabilité de ce fiasco. Elles soulignent que ni les socio-démocrates allemands et autrichiens, ni les petits Etats qui participent aux négociations ne veulent de la « TFF au rabais » proposée par Sapin.
« Mon adversaire… »
Pour ponctuer cette triste farce, Mediapart a révélé ce mardi que deux des principaux négociateurs français sur la TFF venaient d’être recrutés par les banques… L’un, expert à la représentation permanente de la France à Bruxelles, a rejoint la Fédération bancaire française, l’autre, experte à Bercy, est accueillie à la Société générale…
Ah, elles sont bien loin, les fariboles sur « mon adversaire la finance ». Souvenez vous : « cette taxe, nous ne pouvons plus en parler uniquement, il faut la faire », jurait François Hollande, le candidat, en juin 2012. Aujourd’hui, on est revenu dans le registre plus classique de « la spéculation mon amie »…
Robin des Bois peut aller se rhabiller : ses collants sont prêts, bien repassés.
Pétrole : le calme avant la tempête, d’après l’Agence internationale de l’énergie
Matthieu Auzanneau
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L’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévient dans son dernier rapport annuel : la planète pétrole est en passe d’entrer dans une zone à très haut risque, en dépit de ce que pourrait laisser croire la chute actuelle des cours de l’or noir. Conséquence de la révolution du pétrole « de schiste » aux Etats-Unis et du ralentissement de la croissance mondiale, la baisse spectaculaire des prix du baril menace de tarir les investissements indispensables pour repousser le spectre du pic pétrolier, confirme l’AIE.
Le chef économiste de l’AIE, Fatih Birol, avertit : « L’image à court terme d’un marché pétrole bien approvisionné ne doit pas masquer les risques futurs (…), à mesure que s’accroît la dépendance vis-à-vis de l’Irak et du reste du Moyen-Orient. »
Le Dr Birol ne se risque pas à dire combien de temps pourrait durer la chute actuelle des cours du baril (en marge d’une présentation à Bruxelles, il évoque néanmoins mezza voce une période de deux ans, « peut-être »), mais quoi qu’il en soit selon lui, la tendance à terme est nécessairement à la hausse du prix de l’or noir. Il pronostique : « Compte tenu du temps nécessaire pour développer de nouveaux projets d’extraction, les conséquences d’un manque d’investissements pourraient mettre du temps à se matérialiser. Mais des nuages commencent à s’accumuler sur l’horizon à long terme de la production mondiale de pétrole ; ils charrient devant nous de possibles conditions tempétueuses. »
Le profil de la tempête potentielle se dessine à l’examen du graphe de l’AIE :
– le boom de la production américaine devrait prendre fin avant la fin de la décennie (conformément au diagnostic le plus récent de l’administration Obama) ;
– en dehors des Etats-Unis, il n’y a pas de réplique significative à attendre de ce boom du pétrole « de schiste » (ou de roche-mère, à proprement parler) ;
– les pétroles non-conventionnels nord-américains (pétrole de roche-mère aux Etats-Unis, sables bitumineux au Canada) ne suffiront pas à eux seuls à apporter une compensation des sources conventionnelles de pétrole en déclin ;
– déjà plus que délicat à maintenir lorsque le baril était au-dessus de cent dollars (tout particulièrement pour les « majors »), le gigantesque effort d’investissement – de l’ordre de 500 milliards de dollars par an –, nécessaire afin de compenser le déclin naturel de nombre de sources de brut majeures anciennes et parvenues à maturité, apparaît d’autant plus difficile à pérenniser maintenant que le baril est tombé à 80 dollars, souligne l’AIE, en particulier pour ce qui concerne les sables bitumineux et les forages ultra-profonds au large du Brésil. En juin, alors que le baril était encore à 115 dollars, le pétrolier français Total remisait dans ses cartons un projet à dix milliards de dollars au Canada, parce qu’il n’offrait pas une rentabilité suffisante. Désormais, le Financial Times signale l’émergence de problèmes très substantiels de rentabilisation pour les projets offshore, et rend compte des vives tensions qui partagent les pays membres de l’Opep. Le rythme des forages dans le pétrole de roche-mère au Etats-Unis paraît fléchir ces dernières semaines, constate par ailleurs l’agence Bloomberg ;
– last but not least (at all), en rouge sur le graphe, ce qui s’appelle « Middle East » correspond pour l’essentiel à la croissance attendue de la production de brut irakienne. On appréciera les implications géostratégiques vertigineuses – glaçantes ? – de l’importance future, bien davantage cruciale encore qu’aujourd’hui, que l’AIE attribue à la production de l’Irak (pays peu ou prou en état de guerre ou sous embargo depuis 34 ans), tandis que le Dr Birol constate, sans surprise, que « l’appétit » des investisseurs pour l’Irak apparaît ces temps-ci un tantinet maigrichon…
Sur le front du climat, l’accord entre Etats-Unis et Chine intervenu la semaine dernière est à juste titre qualifié d’« historique » par Fatih Birol. Le président Barack Obama a engagé les Etats-Unis à réduire de 26 à 28 % leurs émissions de CO2 en 2025, par rapport au niveau de 2005. Le président chinois Xi Jinping, en retour, assure que les émissions chinoises atteindront un pic « vers 2030 ». Cet accord est historique ne serait-ce que parce qu’il entérine la très forte probabilité d’une altération irréversible du climat (certes là encore sans surprise).
L’avenir du charbon chinois est l’autre nouvelle majeure que recèle le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie : l’AIE table (avec « un niveau élevé de confiance », précise Fatih Birol) sur l’amorce en cours d’un plafonnement de la consommation chinoise de charbon.
Avec quoi la Chine choisit-elle désormais de s’alimenter prioritairement en énergie, tout en réduisant l’intensité de ses émissions de gaz à effet de serre ?
Le développement du nucléaire en Chine promet d’être non moins spectaculaire que celui des énergies renouvelables planifié par Pékin. 130 gigawatts (GW) supplémentaires en 2040, c’est près du double du parc nucléaire français, et environ un tiers de plus que la totalité du parc nucléaire américain, le premier du monde à l’heure actuelle. La Chine dispose aujourd’hui d’une capacité nucléaire de 12 GW.