Bizi !

Articles du Vendredi : Sélection du 10 novembre 2023

La dissolution des Soulèvements de la Terre définitivement annulée
Laury-Anne Cholez
https://reporterre.net/La-dissolution-des-Soulevements-de-la-Terre-definitivement-annulee

Le Conseil d’État a annulé la dissolution des Soulèvements de la Terre. Une victoire pour le mouvement écologiste.

C’est une victoire pour le mouvement écologiste et un camouflet pour le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Jeudi 9 novembre, le Conseil d’État a annulé la procédure de dissolution des Soulèvements de la Terre.

Les juges estiment que la dissolution des Soulèvements de la Terre (SLT) ne constituait pas une « mesure adaptée, nécessaire et proportionnée à la gravité des troubles susceptibles d’être portés à l’ordre public au vu des effets réels qu’ont pu avoir leurs provocations à la violence contre des biens ». Ils ajoutent « qu’aucune provocation à la violence contre les personnes ne peut être imputée aux Soulèvements de la Terre ». Le fait de relayer « avec une certaine complaisance des images d’affrontements de manifestants avec les forces de l’ordre, notamment contre la construction de retenues d’eau à Sainte-Soline, ne constitue pas une revendication, une valorisation ou une justification de tels agissements ».

De plus, l’État a été condamné à verser 7 500 euros en tout à certains membres des SLT et certains de leurs soutiens — associations écologistes, comme Bloom ; partis politiques comme Les Écologistes — qui avaient déposé des recours contre le décret de dissolution au Conseil d’État.

Les réactions n’ont pas tardé : c’est une « victoire contre les dérives liberticides de Darmanin », a réagi l’ONG pour la justice sociale et écologique Attac. Les Amis de la Terre ont salué « l’échec pour Darmanin et sa volonté de criminaliser le mouvement écologiste ».

Rappel des faits. Le 28 mars, Gérald Darmanin engageait une procédure de dissolution de la coalition écologiste. Le ministre de l’Intérieur accusait le collectif de « violences répétées, d’attaques contre les forces de l’ordre, d’appels à l’insurrection » après la manifestation de Sainte-Soline. Cette mobilisation contre une mégabassine en construction dans le marais poitevin avait été très violemment réprimée.

200 comités locaux

L’annonce de cette procédure de dissolution avait déclenché une puissante vague de soutiens. Une pétition avait été signée par 150 000 personnes, une grande soirée organisée. Deux cents comités locaux avaient été créés. En parallèle, les avocats de la coalition avaient déposé un recours en référé suspension devant le Conseil d’État — qui leur a donné raison en suspendant le décret de dissolution le 11 août dernier.

Les juges avaient estimé que ce décret portait « atteinte à la liberté d’association, créant pour les requérants une situation d’urgence ». Ils avaient aussi considéré que ni les pièces versées au dossier ni les échanges lors de l’audience ne permettaient de penser « que le collectif cautionne d’une quelconque façon des agissements violents envers des personnes ».

Lors de l’audience sur le fond, le 27 octobre, le rapporteur public avait plaidé en faveur de la dissolution. Les juges du Conseil d’État n’ont donc pas suivi son avis.

Lutte contre le dérèglement climatique : les Etats prévoient de produire deux fois trop de combustibles fossiles en 2030
Perrine Mouterde
www.lemonde.fr/planete/article/2023/11/08/lutte-contre-le-dereglement-climatique-les-etats-prevoient-de-produire-deux-fois-trop-de-combustibles-fossiles-en-2030_6198913_3244.html

Un rapport des Nations unies et de différents organismes de recherche démontre à quel point les projets des principaux pays producteurs de charbon, de pétrole et de gaz sont en décalage avec les scénarios permettant de limiter le réchauffement à 1,5 °C.

L’abandon des énergies fossiles pourrait être, pour la première fois, l’un des sujets centraux des négociations mondiales annuelles sur le climat. L’enjeu est immense : alors que 90 % des émissions de COont pour origine l’extraction et la combustion de charbon, de pétrole et de gaz, les Etats projettent toujours de produire, en 2030, plus du double de la quantité de fossiles compatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5 °C – et donc d’éviter les effets les plus dévastateurs de la crise.

A quelques semaines de l’ouverture de la 28e conférence mondiale pour le climat (COP28), prévue du 30 novembre au 12 décembre à Dubaï (Emirats arabes unis), le « Production Gap Report » souligne, une nouvelle fois, l’ampleur du fossé entre les projets des principaux pays producteurs de fossiles et l’indispensable baisse de la production prônée par les scientifiques et la société civile.

« Ce rapport est complémentaire des travaux qui portent sur la demande, explique Michael Lazarus, directeur de la branche américaine du Stockholm Environment Institute (SEI) et l’un des principaux auteurs de ces travaux. Du côté de la demande, nous avons besoin d’alternatives aux fossiles et ces alternatives se sont développées de manière remarquable au cours des dernières années. Mais si nous n’avançons pas également sur le volet de la production, notre capacité à mener la transition sera compromise. »

Fossé encore plus important à l’horizon 2050

Pour réaliser ce rapport, publié mercredi 8 novembre, des experts du Programme des Nations unies pour l’environnement, du SEI, de Climate Analytics, d’E3G et de l’International Institute for Sustainable Development ont analysé les feuilles de route énergétiques de dix-neuf des vingt plus gros producteurs de fossiles (Australie, Brésil, Canada, Chine, Colombie, Allemagne, Inde, Indonésie, Kazakhstan, Koweït, Mexique, Nigeria, Norvège, Qatar, Russie, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Royaume-Uni et Etats-Unis – les données concernant l’Afrique du Sud n’étaient pas disponibles). A eux seuls, ces pays représentent plus de 80 % de la production totale de combustibles fossiles.

Selon les plans de ces Etats, la production globale de charbon devrait être, en 2030, supérieure de 460 % au niveau compatible avec le scénario médian permettant de respecter l’objectif le plus ambitieux de l’accord de Paris. La production de pétrole serait supérieure de 29 %, et celle de gaz de 82 %.

A l’échéance 2050, le fossé entre la production anticipée et le niveau adéquat pour limiter le réchauffement est encore plus important. « Par rapport à nos précédentes évaluations, l’ampleur de cet écart reste largement inchangée en dépit des signes encourageants d’une transition vers les énergies propres, constate Ploy Achakulwisut, du SEI. La persistance de ce fossé met en péril la possibilité d’une transition bien gérée et équitable et entre en conflit avec les engagements climatiques des gouvernements. »

Depuis la première édition du « Production Gap Report », en 2019, de plus en plus d’Etats se sont engagés à atteindre la neutralité carbone et les énergies renouvelables se sont déployées à un rythme encore plus rapide qu’anticipé. Pour la première fois, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a aussi annoncé que le pic de la consommation d’énergies fossiles devrait être atteint au cours de la prochaine décennie.

Rares notes positives

En parallèle, le constat scientifique portant sur la nécessité d’une réduction rapide et substantielle de la production de fossiles a été réaffirmé. Les récents scénarios du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) et de l’AIE misent ainsi sur une baisse, minimale, de 90 % de la production de charbon d’ici à 2050, de 67 % pour le pétrole et de 54 % pour le gaz. Selon les projections des principaux producteurs, l’extraction du charbon devrait continuer à augmenter jusqu’en 2030, et celle de pétrole et de gaz devrait croître au moins jusqu’en 2050.

Sur les vingt Etats, le rapport note que dix-sept ont adopté des engagements de neutralité carbone et que nombre d’entre eux ont lancé des initiatives pour réduire les émissions de CO2 liées à leurs activités extractives et de production. Mais dans le même temps, la plupart continuent « de promouvoir, de subventionner, de soutenir et de planifier l’expansion » des énergies fossiles. Et aucun ne s’est engagé à réduire sa production de charbon, de pétrole et de gaz de manière à respecter l’accord de Paris.

« Les Nations unies sont claires aujourd’hui : la crise climatique est une crise des combustibles fossiles, et la prolifération des infrastructures liées à ces sources d’énergie est l’un des plus grands risques pour la sécurité du XXIe siècle, réagit Alex Rafalowicz, le directeur exécutif de l’Initiative pour un traité pour la non-prolifération des combustibles fossiles. Y mettre fin et planifier leur élimination progressive serait la démonstration ultime d’un véritable leadership climatique. »

Parmi les rares notes positives, le rapport souligne tout de même que quatre des vingt pays producteurs (Allemagne, Indonésie, Canada et Chine) ont commencé à développer des scénarios de production cohérents avec leurs ambitions climatiques. La Colombie a également rejoint la Beyond Oil and Gas Coalition, qui vise à faciliter la sortie des énergies fossiles.

Marie Cosnay et Patrick Weil : «Avec la loi immigration, le gouvernement va vers l’extrême droite»

Adrien Naselli
https://www.liberation.fr/idees-et-debats/marie-cosnay-et-patrick-weil-avec-la-loi-immigration-le-gouvernement-va-vers-lextreme-droite-20231101

A la veille de l’examen au Sénat du texte porté par le ministre de l’Intérieur, l’écrivaine activiste pour les droits des migrants et l’historien spécialiste de l’immigration dénoncent une loi sans plan d’ensemble et problématique sur de nombreux points.

Alors que le projet de loi du gouvernement «pour contrôler l’immigration et améliorer l’intégration» sera examiné au Sénat lundi 6 novembre, après son brusque report au mois de mars dernier, nous avons croisé les regards de deux observateurs qui travaillent sur les migrations. D’un côté, Marie Cosnay, écrivaine et activiste pour les droits des migrants. Elle fera paraître, en janvier 2024, le troisième tome d’une série intitulée Des îles : Lesbos 2020 – Canaries 2021 (éditions de L’Ogre), un «devoir de mémoire» dans lequel elle raconte des histoires d’exilés, vivants ou morts. De l’autre, Patrick Weil, politologue spécialiste de l’immigration. Directeur de recherches au CNRS et professeur à l’université Yale aux Etats-Unis, il est notamment l’auteur de De la laïcité en France (Grasset, 2021).

Leurs approches différentes se rejoignent sur la critique d’un texte «sans vision». Selon eux, dans sa promesse de proposer le «texte le plus ferme depuis ces trente dernières années», selon les mots de Gérald Darmanin dans le JDD, une ligne rouge est franchie avec la remise en cause du droit du sol. Ils demandent au Sénat de rejeter l’examen du projet de loi pour réclamer des éclairages au ministère de l’Intérieur.

Que dire du parcours du projet de loi depuis que Gérald Darmanin l’a annoncé au début du second quinquennat ?

Patrick Weil : Une phrase de Clemenceau résume bien ce texte : «Inutile de demander une loi pour avoir l’air de vouloir faire ce qu’on aurait pu faire jusqu’à présent sans aucun texte nouveau.» Tout est dit. Déjà en préparation avant la réélection d’Emmanuel Macron, ce texte répond aux ambitions personnelles de Gérald Darmanin : il veut sa loi immigration comme Nicolas Sarkozy a eu la sienne. Depuis que Macron n’a plus de majorité, surtout depuis l’attentat d’Arras, Darmanin est prêt à le remplir de tout ce que la droite propose. Mais il n’a aucun plan d’ensemble. Les sénateurs devraient renvoyer son projet en lui demandant de revenir devant eux avec son vrai bilan et une stratégie.

Marie Cosnay : Le gouvernement sait très bien où il va : vers l’extrême droite pour des raisons électorales. Piégé par le retour du refoulé, c’est-à-dire l’histoire coloniale de la France et le racisme qui va avec, il instrumentalise la crainte du terrorisme islamiste pour justifier le durcissement de sa loi immigration. On n’entend plus trop le mot «amalgame» qu’on entendait il y a quelque temps, il serait pourtant là tout à fait à sa place.

P.W. : L’assassinat de Samuel Paty était déjà un grave échec du ministère de l’Intérieur et de sa cellule Pharos de suivi des extrémistes sur Internet, sous-dotée. Le récent assassinat de Dominique Bernard nous dit encore quelque chose sur l’erreur de mettre les moyens des préfectures dans la délivrance, chaque année, de dizaines de milliers d’obligations de quitter le territoire français (OQTF) à des étrangers qui ne sont qu’en situation irrégulière. Il faut mettre la majeure partie des moyens de l’administration sur les quelques centaines d’individus véritablement dangereux.

Quels vous semblent être les points problématiques de ce 29e projet de loi sur l’immigration depuis 1980 ?

M.C. : D’abord, les attaques au droit d’asile, sans pour autant proposer une vision élargie de la convention de Genève, qui serait nécessaire. Ensuite, le juge unique à la Cour nationale du droit d’asile, mais aussi tous les délais de recours qui sont raccourcis. Les droits fondamentaux sont rognés : un parent qui a un enfant mineur sur le territoire peut être expulsé si son comportement est jugé menaçant. Ou encore la fragilisation de l’aide médicale d’Etat, lourde attaque faite à la santé publique. On pourrait continuer la liste…

P.W. : D’accord sur le juge unique. La peine de mort n’existe plus en France, mais une décision erronée en matière d’asile revient parfois à envoyer à la mort. C’est pourquoi il vaut mieux être trois pour décider que seul ! Le plus inacceptable dans le projet de loi tel qu’issu de la commission des lois du Sénat, c’est la remise en cause du droit du sol pour les enfants nés en France de parents étrangers. Cela n’a rien à voir avec l’immigration illégale. C’est une grave déstabilisation de l’intégration républicaine et de notre droit de la nationalité.

Selon l’article 13, un document de séjour pourra être retiré lorsqu’un étranger ne respecte pas les «principes de la République». Est-ce applicable ?

P.W. : Il y a déjà des mesures qui permettent de retirer les titres de séjour pour atteinte à l’ordre public. Si quelqu’un viole les principes de la laïcité, c’est une atteinte à l’ordre public. Gérald Darmanin n’a donc pas su appliquer la loi. Avec l’article 3, censé régulariser les travailleurs sans papiers dans les «métiers en tension», Sacha Houlié, président de la commission des lois, parle d’un texte «radical autant à droite qu’à gauche».

M.C. : Ce n’est pas une mesure de «gauche». Si on entend par gauche, le parti de ceux qui tentent de rendre concrète l’idée d’une parfaite égalité entre les hommes, quelles que soient leur origine, leur citoyenneté, leur religion ou leurs idées. C’est en fait un article de loi libéral et pragmatique. On a besoin de main-d’oeuvre, or on en manque cruellement pour les JO, le Grand Paris, la restauration, la surveillance, j’en passe.

P.W. : Je suis pour l’article 3, il renforce les possibilités de régularisation. Mais il n’a rien de radical. Changer la circulaire Valls [qui porte sur les critères de régularisations, ndlr] aurait permis de mettre immédiatement en pratique ce que l’on veut mettre dans la loi. La vraie révolution serait de constater que nous sommes redevenus un pays d’immigration de travail, et qu’il faut donc l’organiser. Pour cela, on devrait ouvrir des bureaux de recrutement dans les ambassades. Ça, ce serait une nouveauté dont Sacha Houlié pourrait se prévaloir !

M.C. : Le problème de la circulaire Valls, c’est qu’elle ne contraint pas les préfectures, et qu’elle est utilisée de façon très variable. Je ne suis pas complètement sûre qu’il n’y ait pas ici besoin d’une loi. Pour ma part, je soutiendrai cette mesure pour une raison simple : tous les gens sans papiers que je connais souhaitent qu’elle passe. De toute façon, ils travaillent déjà. Ils le font en se débrouillant, et les entreprises qui les emploient se débrouillent aussi. Quitter cette hypocrisie pour régulariser les travailleurs nous rendrait moins fous et donnerait des droits, même provisoires, en termes de santé et d’accès à des aides aux étrangers concernés. Bien sûr, ce n’est pas la mesure idéale à laquelle nous aspirons. Mais elle produirait quelques gains, et, personnellement, je ne m’autoriserais pas le luxe de les laisser de côté.

Qu’avez-vous à dire sur le fait que l’attentat d’Arras conduise le ministre de l’Intérieur à promettre «le texte le plus ferme» sur l’immigration ?

M.C. : L’émotion a été et reste immense après l’assassinat des trois professeurs, comme elle l’a été après l’assassinat des deux prêtres, à Saint-Etienne-du-Rouvray et à Nice. Le point commun entre tous ces assassinats, c’est que des jeunes gens ont tué, d’une manière atroce, leur professeur ou une personne détenant une autorité symbolique. J’ai parlé de trois professeurs, car il ne faut pas oublier Agnès Lassalle, tuée cette année au couteau dans sa salle de classe par un élève du lycée catholique Saint-Thomas-d’Aquin à Saint-Jean-de-Luz. Ces jeunes gens qui sont passés à l’acte, même si leur mal-être, ou psychose, a pu prendre les habits que la folie des temps leur a tendus, souffraient de syndromes psychiatriques sur lesquels il faudrait travailler. Je veux dire que l’immigration, en tant que telle, n’a pas grand-chose à voir là-dedans. Mais la santé psychique, oui, qui peut, en effet, atteindre des gens fragilisés, par exemple mais pas uniquement, par leur parcours migratoire.

P.W. : En Belgique, après l’attentat du 16 octobre, le ministre de la Justice a démissionné. Gérald Darmanin, lui, ne démissionne pas et fait feu de tout bois pour détourner l’attention pour que l’on ne regarde pas son bilan, et l’échec de sa stratégie.

C’est-à-dire ?

P.W. : Gérald Darmanin a mis tous les moyens de l’administration sur les OQTF. Il a aussi mis la majeure partie des forces de police non pas sur la lutte contre la grande délinquance, mais sur les contrôles d’identité des jeunes des quartiers populaires. Le Conseil d’Etat vient de déclarer que ces contrôles discriminatoires nécessitaient un changement de stratégie du ministère. Or, sous l’impulsion de Darmanin, si ces jeunes sont trouvés en possession d’un gramme de hachich, ils reçoivent du policier une amende forfaitaire délictuelle (AFD) de plusieurs centaines d’euros, inscrite au casier judiciaire. Et 330 000AFD ont été délivrées depuis 2020. C’est une telle politique systématique de discrimination que la Défenseure des droits, Claire Hédon, a demandé en mai dernier la suppression des AFD. Pour lutter contre le terrorisme et la grosse délinquance, il faut isoler les auteurs pour les mettre hors d’état de nuire. Avec les contrôles d’identité et les AFD en masse, on isole les policiers d’une partie de la population. Cette stratégie uniquement centrée sur la police, Nicolas Sarkozy l’avait déjà appliquée à la politique d’immigration. Avant, il y avait le Travail, l’Intérieur et les Affaires étrangères. Maintenant, tout est à l’Intérieur. C’est un échec. Pour lutter contre l’immigration irrégulière, cela fait longtemps que le ministère du Travail aurait dû réunir patronat et syndicats pour examiner, secteur par secteur, département par département, comment certains besoins pourraient être comblés par des étudiants, des chômeurs, avant de recourir éventuellement à l’immigration. Strictement rien n’a été fait dans ce domaine.

Marie Cosnay, vous parlez de «l’absurdité des politiques migratoires européennes». Dans quel sens ?

M.C. : Des milliers de personnes meurent sur les routes migratoires. Des milliers de jeunes gens ne reviennent jamais de «l’aventure». Des parents les cherchent des années après. Des noms sont lancés sur les réseaux sociaux. L’espoir n’est jamais éteint, et obtenir une identification d’un corps échoué sur les côtes européennes est une affaire extrêmement compliquée. Ce qui pousse la plupart des gens sur ces routes mortelles, outre les bombes et l’impossibilité de rêver une vie meilleure là où on est, c’est l’impossibilité de se déplacer. D’aller, venir, revenir, chercher, trouver, repartir. Selon moi, la politique des visas est criminelle, l’empêchement des circulations est criminel.

P.W. : Je ne crois pas que le droit international soit criminel. Les visas font partie de la souveraineté des Etats. Ils limitent de façon efficace et pacifique la majeure partie des migrations illégales vers la France et vers l’Europe. Mais il faut que la politique de délivrance soit juste.

M.C. : Je suis persuadée que la libre circulation ne verrait pas les gens s’installer tous au même endroit, je pense qu’une fois acquise la libre circulation, on trouverait des façons de vivre et de partager le travail plus juste, équitables, harmonieuses – cela n’a rien d’une utopie, c’est très pragmatique, au contraire.

Marie Cosnay, vous confiiez à Libé en 2020 «l’idée un peu folle de faire une carte de la France de tous les collectifs de soutien aux réfugiés». Croyez-vous toujours à la solidarité ?

M.C. : Les collectifs existent toujours, partout en France, même dans de toutes petites villes. Parfois, ils sont renouvelés. Aucun n’a lâché. C’est leur honneur. Mais c’est un travail, justement parce que les lois sont de plus en plus restrictives et complexes et qu’il faut trouver des voies toujours plus étroites. C’est épuisant. Les associations comme le Gisti, la Cimade, l’Anafé pour ne citer qu’elles, produisent des textes et des analyses comme le font les chercheurs. La grande question est l’abîme qui existe entre ces analyses et ces propositions pleines de bon sens, et les amateurismes et les fantasmes des gouvernements successifs.

P.W. : C’est la solidarité de milliers de Français anonymes qui a permis d’accueillir nombre de réfugiés syriens ou ukrainiens. Les associations ont un rôle essentiel. Elles travaillent avec les préfectures dans des conditions plus ou moins faciles selon les gouvernements jusque par leur présence dans les centres de rétention. Elles obtiennent tous les jours des régularisations mais se battent aussi pour des cas qui n’aboutissent pas. La politique d’immigration est une permanente coopération avec les pays d’origine, les voisins européens, elle fait intervenir tous les ministères, les associations et les Français. Elle est l’une des plus complexes. La triturer sans vision et la mettre, pendant de longs mois, au centre du débat public ne produit, à la fin, qu’un seul gagnant : l’extrême droite.

Réflexes, récits et sens collectif (1/2)
Nicolas Goñi
www.enbata.info/articles/reflexes-recits-et-sens-collectif-1-2

Quelle importance ont les récits dans notre compréhension du monde et de ce qui s’y joue ? Dans cette première partie, intéressons-nous à la pensée « anti-système » et aux complots.

Soupçons d’intentions cachées

En novembre 2012 à Saint Jean de Luz, Bizi! organisait une conférence au sujet des réserves de pétrole. La discussion qui s’ensuivit porta sur la question climatique, et quelqu’un (qui a modifié son avis depuis) dit que Al Gore ayant été au cœur du pouvoir US c’est un type franchement suspect, et que s’il se met à alerter sur le changement climatique il y a de bonnes raisons de prendre le sujet avec scepticisme. Un réflexe d’opposition de principe semblait ici prendre le pas sur l’analyse des risques systémiques que porte le changement climatique, voire remettait en question le message, car l’un de ses messagers n’était pas politiquement propre. Autre sujet, fin 2020 lors d’une réunion associative je faisais remarquer que les mouvements de gauche en France étaient à la traîne sur les questions de qualité de l’air et de prévention du risque infectieux (et plus généralement sur le principe de précaution et la protection collective), et que le seul élu qui s’exprimait activement sur ces questions en novembre 2020 était Laurent Wauquiez, plutôt connu jusque-là pour ses positions très droitières. Une personne (qui a modifié son avis depuis) a répondu que Wauquiez faisait probablement ça pour des raisons politiciennes moins avouables, et qu’il valait mieux pour notre part ne pas être trop proactifs. Par la suite, le fait que les abertzale de Corse se saisissent également du sujet a fait levier pour un changement de la perception du problème. Mais au départ, la posture d’opposition de principe à une figure publique prenait le pas sur le fait d’essayer d’y voir clair dans le risque et nos moyens d’y répondre.

Autre posture, également dans Bizi! : début 2014 une adhérente souhaite diffuser en interne des textes concernant une source d’énergie soi-disant illimitée, qui serait basée sur les recherches du physicien Nikola Tesla, et que les secteurs de l’énergie fossile garderaient sous silence pour pouvoir continuer leur business. Je lui avais répondu en privé que n’étant pas physicien je serais bien incapable de dire si une telle source énergie existe et encore moins si elle serait exploitable, mais que voyant le niveau de destruction écosystémique qu’on atteint avec une énergie non-gratuite et en quantité finie, si on en avait une infinie et gratuite (une fois amorties les infrastructures) dans le contexte productiviste actuel le risque de destruction serait énorme, et que pour cette raison cela ne me semblait pas souhaitable dans un tel contexte. Cela ne suffit pas à modifier son point de vue, très axé sur l’idée d’une source d’énergie maintenue secrète par une coalition de milliers de personnes dont jamais aucune ne commettrait de bourde ou de fuite, ni ne retournerait sa position comme l’a fait Antoine Deltour qui a révélé le scandale des « Lux Leaks« . Toujours dans une réunion de Bizi!, cette fois en mars 2019, un participant s’est un peu agacé du fait qu’on se focalisait autant sur la question du climat, et que le vrai risque selon lui c’était l’effondrement économique et financier suite auquel les gouvernements en profiteraient pour restreindre nos libertés, contrôler nos déplacements et nos transactions, et voler notre argent. Il lui fut répondu qu’un tel effondrement économique était déjà en cours dans de nombreux pays sur la planète, et que sans un climat stable permettant d’assurer une production alimentaire et des zones habitables, l’argent en tant que tel ne pèse pas lourd, c’est pourquoi le climat est la mère de toutes les batailles. Mais dire cela n’a pas suffi, du moins sur le moment, à modifier son point de vue.

Le « débunkage » et ses limites

Décrire des biais de pensée chez d’autres personnes peut faire croire qu’on en est soi-même épargné, mais dans les années 2007-2010 j’ai moi-même été climatosceptique (tout en étant écolo sur nombre d’autres aspects). Je percevais la question du changement climatique comme relevant d’un discours trop propre et consensuel pour y adhérer pleinement, il me fallait que le discours soit suffisamment hargneux et désabusé pour pouvoir y donner crédit. Ce faisant je me prédisposais ainsi à être moins sceptique vis-à-vis des discours se prétendant « sceptiques » et qui mettaient en avant tel ou tel intérêt géostratégique comme la vraie raison cachée de la médiatisation du climat.

Plus tard, en regardant de façon plus approfondie les données et les analyses concluant à un réchauffement global issu de la hausse de la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre, j’ai changé d’avis, mais dans un premier temps ça s’est fait presque à contre-cœur : je tenais à ce récit dans lequel il y avait une version officielle couvrant des chicanes en sous-main. Comme l’explique l’historienne Marie Peltier, les démonstrations rationnelles ont beau être impeccables et imparables du point de vue de la logique et des faits, elles ne répondent pas à quelque-chose qui anime de façon plus viscérale : le sentiment de défiance vis-à-vis de la parole perçue comme officielle. Ce sentiment de défiance, nourri par nombre de déceptions vis-à-vis des démocraties occidentales, crée le réflexe de prendre toujours le parti opposé à ce que nous percevons comme « le système » (quoi qu’on mette sous ce terme). Cela crée une sorte de conditionnement inversé, qui parce qu’il est systématiquement inversé donne une impression de lucidité, alors qu’il y a avant tout un réflexe de s’inscrire en opposition, que des justifications viennent habiller ensuite. Le décorticage des faits et les corrections d’erreurs factuelles ne sont pas l’élément majeur qui pourra faire changer une opinion car les opinions, avant d’être une affaire de faits et de logique, sont une affaire de récit. Et ce qu’on appelle « complotisme », qui s’est beaucoup multiplié ces dernières années, est avant tout un récit.

Complots bien réels, et récits

Des complots il en existe, et des gros. Offshore Leaks en 2013,  Lux Leaks en 2014, Swiss Leaks en 2015, Panama Papers en 2016, Paradise Papers en 2017, CumEx Files en 2018, Mauritius Leaks en 2019, Dubai Uncovered en 2020, Pandora Papers en 2021, Suisse Secrets en 2022… Ces scandales d’évasion fiscale massive et de blanchiment d’argent sont tellement nombreux qu’on finit par les confondre et en oublier. C’est à chaque fois le même schéma répété, les mêmes types de montages financiers qui soustraient des centaines de milliards d’euros (ou équivalents dans les autres monnaies) des comptes publics, là où ils devraient financer la transformation écologique et sociale de nos modes de production, d’habitat et de transport, pour assurer rien de moins qu’un futur viable à la population humaine. Autres complots, ceux des plus grandes compagnies pétrolières, qui étaient parmi les premières à avoir financé des recherches sur les impacts de leurs activités sur le climat, bien avant l’existence du GIEC. Puis, constatant que les conclusions de ces recherches n’allaient pas dans le sens de leurs affaires, elles ont choisi de dissimuler ces résultats, de semer activement le doute sur la question du climat (en fabriquant justement des histoires d’intérêts cachés pour détourner l’attention des leurs) et de retarder des décisions sur la réduction de l’usage des combustibles fossiles. La prise de conscience pour la compagnie Total date de 1971, pour Exxon c’est depuis 1980, pour Shell depuis au moins 1989. Si les COP n’existent que depuis 1995 alors que la gravité du problème était connue depuis bien avant, et si les accords qui en sortent sont à chaque fois non contraignants et vidés de leur substance, faisant perdre à l’humanité un temps précieux qui serait utilement consacré à infléchir le réchauffement climatique avant d’atteindre des seuils de non-retour, c’est en grande partie à cause de ce travail de sape opéré par le secteur pétrolier. Pourtant, qu’il s’agisse du détournement de milliers de milliards ou qu’il s’agisse du sacrifice de la stabilité climatique en faveur des intérêts fossiles, ces complots-là ne suscitent que bien peu d’indignation par rapport à leur gravité. Si on continue la combustion de carbone fossile «la civilisation pourrait s’avérer être une chose fragile», ces mots ne sont pas de Greta Thunberg en 2018 mais de Shell en 1989. On n’imagine pas pire crime, dans son ampleur. Pourtant, ce qui a déchaîné les passions et les dénonciations enflammées de complots ces dernières années était bien éloigné de ces questions. Cacher des informations de haute importance dans le simple but d’amasser tant et plus d’argent à court terme et après eux le chaos, la manœuvre en elle-même n’a finalement rien qui nous surprenne, et le fait que ça se fasse au détriment de l’humanité future ne trouve pas en nous d’écho qui allume une réaction globale à la hauteur de la trahison. Une illustration de plus montrant que ce qui nous anime est moins de l’ordre du fait, de la logique et du savoir, et plus de l’ordre du récit, de l’image et du symbole. Et que pour nous inciter à agir nous avons besoin de pouvoir articuler ce que nous percevons avec un récit qui ait une charge symbolique suffisante. Force est de constater que pour l’instant, les menaces (même imaginaires) sur nos libertés individuelles portent une charge symbolique nettement plus forte que les menaces réelles sur notre survie collective. Dans la seconde partie, nous développerons l’importance des récits en tant qu’éléments structurant notre rapport aux autres et au monde, et pouvant – ou pas – nous mettre en capacité d’agir.

Bizitzak erdigunean jarriz, ekofeminismotik ere azaroak 30ean greba orokorra!
ELA- Ingurumena
www.ela.eus/eu/ingurumena/albisteak/bizitza-erdigunean-jarriz-ekofeminismotik-ere-azaroak-30ean-greba-orokorra

Ingurumen gaiak jorratzen ditugunean, ingurumenarein estu lotutako arazoez jabetzeaz gain, lurra interes ekonomikoen, politikoen eta pribilegiatutako klaseen eskuetan dagoela ikusten dugu. Hau da, kapitalismoaren eskuetan. Feminismoak ordea emakumeen mendekotasuna erakusten du sistema patriarkal batean. Bi menpekotasun mota dira, lotura handia dutenak. Ezinezkoa da sistema kapitalista bat existitzea sistema patriarkalik gabe.

Natura mundu osoan neurriz kanpo ustiatzeak eragin handia izan du, eta arriskuan jarri du biziaren iraupena. Ekintza sendoak egin behar dira egungo klima egoerari aurre egiteko eta etorkizun iraunkorrerantz aurrera egiteko. Historikoki, mundu osoko emakume, nekazari eta indigenek erakutsi digute genero desberdintasuneko eta injustizia globaleko harremanek sortzen duten menderatze eta botere kultura, naturaren eta gainerako izaki bizidunen ustiapena eragiten duen kultura bera dela. Salaketek eta ekintzek adierazten digute, ikuspegi ekofeminista desberdinetatik, gizarte aldaketa sakona behar dela, bizitza bere osotasunean erdigunean jarriko duena.

Ekologismoa eta feminismoa ez dira hain desberdinak, badituzte ezaugarriak komunean. Borroka feminista eta ekologistak begiratuz, eredu desberdin baterantz nola joan gaitezkeen modu integralagoan ikus dezakegu. Ekologismoak eta feminismoak bat egiten dute ekoizpenari egindako kritikan, hazkunde ekonomikoari egindakoan eta garapenari egindakoan, eta bat egiten dute eguneroko bizitza erdigunean jarriko duen gizarte eta ekonomiaren aldeko apustuan.

Ekofeminismoak bizimodu ekozida, patriarkalaren, kapitalistaren eta kolonialaren eredua aztertzen ditu, pertsonak eta planeta arriskuan nola jartzen dituen salatzen du, eta alternatibak proposatzen ditu bizitzaren aurkako oldarraldi horri aurre egiteko.

Yayo Herrerok dioen bezala, errealitate toxiko eta jasanezin hau eraldatzeko, ekonomiaren eta politikaren arloan erabateko berrantolaketa eman behar da, pertsonen arteko eta naturarekiko lotura hautsiak berrantolatzeko. Horregatik, azaroaren 30ean, ekofeminismoa ere greba orokor feministan egongo da!