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Articles du Vendredi : Sélection du 08 juillet 2022

Pourquoi détruit-on la planète ? Les dangers des explications pseudo-scientifiques
Tribune
www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/07/pourquoi-detruit-on-la-planete-les-dangers-des-explications-pseudo-scientifiques_6133775_1650684.html

 

Des chercheurs en neurosciences et sociologie mettent en garde contre la thèse, qu’ils jugent scientifiquement infondée, selon laquelle une de nos structures cérébrales nous conditionnerait à surconsommer.

Selon Thierry Ripoll et Sébastien Bohler, les ravages écologiques liés à la surconsommation des ressources planétaires seraient dus aux comportements individuels déterminés par notre cerveau. Une structure, le striatum, piloterait par l’intermédiaire d’une molécule neurochimique, la dopamine, le désir de toujours plus, sans autolimitation, indiquaient-ils récemment dans un entretien au Monde.

Cette thèse a des conséquences politiques : notre programmation biologique conditionnerait les organisations socio-économiques possibles. Le modèle de croissance économique serait le seul compatible avec le fonctionnement cérébral humain. Cela disqualifie les projets politiques de décroissance ou de stabilité basés sur la délibération démocratique. Conséquences possibles : changer notre nature comme défendu par les transhumanistes, ou contraindre à consommer moins de façon autoritaire.

Cette thèse, qui n’a pas fait l’objet d’une expertise contradictoire, est sans fondement scientifique. Elle repose sur un mésusage des neurosciences, une lecture psycho-évolutionniste dévoyée et une méconnaissance des sciences humaines et sociales. Nous soulignons ici les inepties en neurosciences (les autres faiblesses scientifiques sont décrites dans une version plus longue de cette tribune).

Tout d’abord, le striatum ne produit pas de dopamine (il la reçoit), et la dopamine n’est pas l’« hormone du plaisir », ce que reconnut dès 1997 Roy Wise, auteur de cette hypothèse dans les années 1970. L’absence de « fonction stop » du striatum, pour lequel il faudrait toujours « augmenter les doses », est une invention de Sébastien Bohler (reprise sans recul par Ripoll) en contresens avec les études scientifiques. Plus largement, la vision localisationniste du XIXe siècle consistant à rattacher une fonction psychologique (le plaisir, le désir, l’ingéniosité) à une structure cérébrale est totalement obsolète. Le fonctionnement d’une aire cérébrale est donc rarement transposable en termes psychologiques, a fortiori sociologiques.

Rien ne justifie non plus une opposition entre une partie de cerveau « récente » (et rationnelle) et une autre « archaïque » (et émotionnelle, donc responsable de nos désirs). Le striatum, le système dopaminergique et le cortex frontal, régions du cerveau présentes chez tous les mammifères, ont évolué de concert.

Chez les primates, dont les humains, le cortex préfrontal a connu un développement et une complexification sans équivalent. Mais cette évolution correspond aussi à l’accroissement de liens avec le reste du cerveau, dont le système dopaminergique et le striatum, qui se sont également complexifiés. Le striatum archaïque est donc un neuromythe.

Un neuromythe

Les données neuroscientifiques ne défendent pas un déterminisme des comportements humains par le striatum ou la dopamine. Les recherches montrent certaines relations entre des éléments de comportement isolés dans des conditions expérimentales simplifiées et contrôlées, chez l’humain ou d’autres animaux, et des mesures d’activité dans des circuits neuronaux, impliquant entre autres le striatum, la dopamine ou le cortex préfrontal. Le striatum autocrate, dont nous serions l’esclave, est donc aussi un neuromythe.

Il peut sembler légitime d’interroger si le fonctionnement du cerveau a, au côté de multiples déterminismes sociohistoriques, une part de responsabilité dans l’état de la planète. Mais la question est mal posée, l’activité de « milliards de striatums » et les phénomènes socio-économiques ne constituant pas le même niveau d’analyse. Bohler et Ripoll ne proposent d’ailleurs pas d’explications au niveau cérébral, mais cherchent à légitimer une explication psychologique prétendument universelle (l’absence d’autolimitation) par la biologie.

Leurs réflexions s’inscrivent donc dans une filiation ancienne qui cherche une explication simpliste aux comportements humains dans un déterminisme biologique, appelée « naturalisation » des comportements.

Un discours longtemps à la mode (et encore présent dans la psychologie populaire) invoquait le « cerveau reptilien » à l’origine de comportements archaïques et inadaptés, alors que cette pseudo-théorie proposée dans les années 1960 a été invalidée dès son origine (Le Cerveau reptilien, de Sébastien Lemerle, CNRS Editions, 2021). Le striatum, la dopamine, le « système de récompense » ou le « cerveau rapide et le cerveau lent » ne sont que des variations sur ce thème.

Loin d’être subversive, cette focalisation sur des déterminismes individuels substitue la panique morale à la réflexion politique et ne peut mener, puisque nous serions « déterminés », qu’à l’impuissance en déresponsabilisant les individus (« Nature humaine. L’être humain est-il écocidaire par nature ? », de Jean-Michel Hupé et Vanessa Lea, Greenwashing, ouvrage collectif, Seuil, 256 pages, 19 euros) ou à l’autoritarisme, solution évoquée par ces deux auteurs que nous estimons fourvoyés, sans préjuger de leur bonne foi. Nous nous insurgeons contre cette usurpation des neurosciences concernant des enjeux écologiques aussi graves, et nous nous inquiétons de leur popularité grandissante – la thèse du « bug humain » est par exemple reprise par Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici dans Le Monde sans fin (Dargaud, 2021).

Etienne Coutureau, chercheur CNRS en neurosciences, Bordeaux ;
Jean- Michel Hupé, chercheur CNRS en neurosciences et en écologie politique, Toulouse ;
Sébastien Lemerle, enseignant-chercheur en sociologie, Paris- Nanterre ;
Jérémie Naudé, chercheur CNRS en neurosciences, Montpellier ;
Emmanuel Procyk, chercheur CNRS en neurosciences, Lyon

10 idées reçues sur la sobriété des modes de vie (2/2)
Texte de Mathieu Saujot, chercheur à l’IDDRI, Sarah Thiriot, sociologue à l’Ademe
https://bonpote.com/10-idees-recues-sur-la-sobriete-des-modes-de-vie

En 2020, Bon Pote présentait les 12 excuses de l’inaction climatique et les manières d’y répondre, sur la base d’un article scientifique qui a depuis touché une forte audience. Dans ce travail, 12 discours de délai, qui « acceptent la réalité du changement climatique mais justifient l’inaction ou des actions inadéquates », étaient identifiés et analysés. 

Parmi les différents types d’actions à mener pour faire face au changement climatique, la question des modes de vie plus durables nous semble être particulièrement sujette à ce type de discours. Les réactions au concept de sobriété en sont un bon exemple. Celui-ci apparaît souvent comme un tabou qui peut être soit écarté soit dilué en jouant sur la confusion avec l’efficacité ou encore neutralisé en renvoyant vers la décroissance. On se trouve donc dans une situation où de plus en plus de déclarations politiques reconnaissent la nécessité de faire évoluer nos modes de vie, mais où des obstacles se présentent dès que l’on aborde concrètement les changements à mettre en œuvre.

Prendre en compte ces préoccupations et savoir y répondre 

Faire ce travail d’identification des arguments de résistance au changement et des réponses possibles à apporter n’est pas seulement un enjeu de communication politique : il révèle des éléments sur ce que représente changer les modes de vie et ce qu’il faut mettre en œuvre collectivement pour que cela devienne possible, acceptable, souhaitable.

Les auteurs de l’article sur les 12 discours d’inaction climatique soulignent que ces derniers « s’appuient sur les préoccupations et les craintes légitimes (…) Nous soutenons qu’ils deviennent des arguments dilatoires lorsqu’ils déforment plutôt que de clarifier, soulèvent l’adversité plutôt que le consensus ou laissent entendre que prendre des mesures est un défi impossible. ».

Nous cherchons donc à répondre à ces arguments afin de progresser dans notre capacité à rendre possibles ces changements de modes de vie. Pour cela il nous paraît essentiel d’éclairer et orienter le débat avec les acquis et connaissances des sciences humaines et sociales.

(…)

6. Nos modes de vie ne peuvent pas changer

A ce discours de sauvegarde de nos modes de vie actuels peut s’ajouter celui qui veut que  « changer nos modes de vie est idéaliste, voire tout bonnement impossible » : cet argument joue sur un implicite fréquent, l’impression de fixité de nos modes de vie. 

– Réponses possibles –

Pourtant l’histoire récente regorge de changements de modes de vie, prenons simplement quelques exemples. Certains de ces changements sont le fait de décisions politiques :

  • Une circulaire du 8 août 1956, signée du ministre de l’Education nationale, « relative aux boissons de table servies dans les internats et cantines scolaires»,  interdit la distribution d’alcool à la cantine pour les enfants, une pratique jusqu’alors assez fréquente. A la place, la consommation quotidienne de lait est expérimentée pour ses vertus nutritionnelles. Quand on connaît, aujourd’hui, l’importance de l’enfance et de l’éducation dans la formation des habitudes alimentaires, ce type de mesure a inévitablement eu des effets de long terme.
  • La loi du 13 juillet 1965 : les femmes mariées peuvent occuper un emploi sans l’autorisation de leur époux et ouvrir un compte en banque en leur nom propre. Cela aura des implications majeures sur la féminisation de l’emploi[3], et in fine sur les modes de vie.

D’autres changements sont liés à de nouvelles offres, qui rentrent dans nos pratiques de consommation:

  • Le déploiement du smartphone, comme illustré par les courbes ci-dessous, modifiera profondément et rapidement nos façons de communiquer, de nous informer, de consommer.
  • Le champ de l’alimentation verra aussi les pratiques évoluer au fur et à mesure de la commercialisation de nouveaux produits et de changement dans les rythmes quotidiens : la consommation de plats préparés a par exemple été multiplié par 3 en 30 ans[4] dénotant un changement dans notre rapport à la préparation des repas et à la nourriture.

D’autres changements sont plus systémiques et sont la résultante de nombreux autres changements dans la société. Entre 1980 et 2008, les distances quotidiennes parcourues par les Français ont été multipliées par 1,5[5]. Et la taille de nos grandes aires urbaines par 1.4 entre 2000 et 2010[6]. C’est donc le cadre territorial et temporel concret des modes de vie quotidiens qui a fortement évolué lors de ces dernières décennies.

Ces illustrations visent simplement à montrer la diversité des changements qui s’exercent en permanence sur nos modes de vie, pour une diversité de raisons et dans une diversité de directions. Bien d’autres encore pourraient être mobilisées. Cela n’est pas une preuve que nos modes de vie peuvent évoluer assez vite pour faire face aux crises environnementales, mais c’est le signe que des réinventions sont toujours en cours et que la transition peut s’appuyer sur ces réinventions.

Enfin, on sait que les changements sociaux ne sont pas totalement linéaires : il existe des points de bascule (voir l’article Bon Pote) qui peuvent accélérer les changements, comme rappelé par le récent rapport du GIEC[7]. Par exemple, une fois que la population possède une certaine proportion de smartphone, des effets de réseaux[8] font que son usage est de plus en plus facile, utile, nécessaire ce qui va pousser la suite de son déploiement.

7.  La sobriété est un choix avant tout “idéologique”

Cet argument vise à discréditer une approche par la sobriété en la présentant comme idéologique (associée à des valeurs subjectives) et non scientifique (là où une approche perçue comme scientifique est issue d’un raisonnement rationnel basé sur des faits). Une illustration est la critique des travaux de l’association négaWatt : leur hypothèse de sobriété proviendrait de leur opposition “idéologique” au nucléaire. Ainsi, dans une situation où l’on produirait moins d’électricité, on serait obligé de se « serrer la ceinture » sur nos modes de vie.

– Réponses possibles –

Un concept ancien…

Ce concept de sobriété a des racines anciennes, pouvant être spirituelles, religieuses et philosophiques et a connu une forme de renouveau dans la société moderne du fait des interrogations sur les impacts de la croissance économique (Cezard et Mourad, 2019 ; Guillard et Ben Kemoun, 2019). Il renvoie aux idées de tempérance, de modération, de frugalité, comme sources de bonheur et d’émancipation. Quand il s’agit de penser la transition écologique, il est important d’avoir en tête que la sobriété concerne l’ensemble des systèmes, des filières et des organisations et non pas uniquement l’individu en bout de chaîne. Cette acception restrictive de la sobriété se révèle inefficace: l’individu se retrouve alors chargé de mettre en œuvre une logique de sobriété orthogonale au reste de la société fondé sur l’abondance comme nous l’avons montré plus haut (imaginaire de la publicité, organisation des chaines de valeur peu adaptée à l’émergence d’offre sobre, modes de production et de recyclage, etc.).

En termes concrets, on peut définir la sobriété énergétique comme le fait de réduire les besoins en énergie en changeant les pratiques ou les habitudes, en changeant la façon de rendre le service à tous les niveaux de la société.

La sobriété consiste à interroger le besoin (ex. combien de m2 de logement par habitant ou de taille de voiture) ou de changer la façon de rendre le même service (ex. augmenter la part de protéines végétales, changer le mode de transport). L’idée est, dans la mesure du possible, de chercher à réduire à la source le besoin de mobiliser des ressources ou des équipements techniques.

Cette étape amont est complémentaire des efforts d’efficacité énergétique, qui cherche elle à améliorer la capacité des équipements techniques à rendre leur service tout en minimisant leur consommation d’énergie (ex. un moteur de voiture moins consommateur de carburant pour une même puissance).

…de plus en plus mis en avant par la communauté scientifique

Les analyses scientifiques globales pointent de plus en plus le besoin de sobriété : le rapport 1.5°C du GIEC soulignait déjà qu’agir pour une « low demand », en complément de l’efficacité facilitait l’atteinte des objectifs climatiques et l’indépendance à des technologies incertaines de captation du carbone. Et de plus en plus de travaux de prospective cherchent à intégrer les changements de modes de vie.Le UNEP Gap Report de 2020 soulignait également ce besoin d’aller vers des modes de vie plus sobres. Le récent rapport du GIEC renforce encore ce constat en mettant en avant l’impact global d’atténuation que pourraient avoir les actions sur la demande[9].

Cette thématique prend une place croissante dans la recherche : le réseau Enough regroupe les scientifiques européens qui travaillent sur ces questions et recense une littérature de plus en plus abondante sur le sujet, avec notamment beaucoup de travaux récents cherchant à identifier les conditions d’une « bonne vie » (la préservation de l’ensemble des bénéfices sociaux clés) dans les limites de la planète. La sobriété fait partie des options privilégiées pour une raison principale : la multiplicité des crises environnementales (climat, biodiversité, ressources…) telle que représentées par le cadre des limites planétaires combinée à la lenteur des progrès actuels fait que l’ampleur des changements à mettre en œuvre est de plus en plus grande et exigeante, nécessitant de considérer tous les leviers possibles.

La notion de sobriété recouvre deux faces, qui ne sont pas contradictoires mais au contraire complémentaires. D’une part, ce qui est de l’ordre de l’idéologie, plongeant dans nos racines religieuses et philosophiques, dont l’encyclique Laudato Si est un bon exemple récent. Cette approche ne devrait pas être perçue comme un refus du progrès technique mais comme une invitation à s’interroger sur les sources du bien-être humain et de l’émancipation. D’autre part, ce qui est de l’ordre scientifique et rationnel. Dans cette dernière perspective, il est nécessaire de rechercher toutes les solutions nécessaires pour limiter les crises environnementales, la sobriété faisant partie de cet éventail de solutions. Quelques soient les solutions technologiques mobilisées pour produire de l’énergie ou se déplacer par exemple, réduire la demande amont est une stratégie pertinente pour réduire les impacts environnementaux.

Enfin, l’idée derrière la sobriété n’est pas aussi marquée idéologiquement que certains le présentent : un article scientifique de psychologie montre qu’un discours climatique orienté sur la réduction du gaspillage fonctionne avec les publics conservateurs et résonne avec leurs valeurs. Voyons la sobriété comme une politique anti-gaspillage généralisée !

8. La responsabilité individuelle devrait être mise en avant 

Cet argument met en avant la responsabilité individuelle des consommateurs pour réorienter leurs comportements et ainsi l’ensemble de l’économie. Si ces changements s’avèrent impossibles, c’est à cause des contradictions et incohérences des individus : d’un côté des sondages et baromètres révèlent leurs préoccupations et leurs aspirations à des modes de vie et de consommation plus durables ; mais de l’autre les actes ne suivent pas dans les choix de mobilité, d’alimentation ou de consommation durable. Cet état de fait peut constituer une forme d’excuse à l’inaction pour les décideurs publics et privés, qui se disent incapables d’agir dans ce contexte.

– Réponses possibles –

Les baromètres successifs menés par l’Ademe le montrent, les Français sont conscients de la nécessité de changements de modes de vie et prêts à cela. D’autres sondages, menés au niveau international, identifient également la volonté d’une partie significative[10] de la population à mettre en œuvre des changements.

Toutefois ces déclarations d’intention ne se retrouvent pas forcément dans les actes. Comme l’observaient les auteurs d’une étude du Behavioural Insight Team: “two-thirds of people want to consume less, and consume more sustainably, and yet most fail to act on this expressed preference”. Certains scientifiques interprètent ce décalage comme un value-action-gap” et explorent les mécanismes psychologiques individuels associés. Leurs résultats indiquent que la communication à l’égard du public, afin de renforcer la prise de conscience sur les changements liés à la transition, a des limites, car l’intention ne déclenche pas forcément l’action.

Lamb et al. 2020 décryptent les risques politiques de ce discours sur l’individualisme qui réoriente « l’action climatique des solutions systémiques vers des actions individuelles, comme rénover sa maison ou conduire une voiture plus efficace ».

Pour ces auteurs, le problème est que « ce discours réduit l’espace de solution aux choix de consommation personnels, en occultant le rôle des acteurs et organisations puissants qui façonnent ces choix et génèrent des émissions de combustibles fossiles ». En orientant les responsabilités vers les seuls individus, ce discours risque ainsi de retarder l’action.

Et ce d’autant plus que l’analyse par la responsabilité individuelle a des limites et peut avoir des conséquences politiques néfastes. Les sciences humaines et sociales expliquent bien comment nos modes de vie et de consommation sont dépendants de schémas collectifs : mes choix d’alimentation ou de mobilité sont dépendants des normes sociales de mon groupe (qui est ce qui désirable, valorisé socialement autour de moi) et également de l’offre concrète qui m’est accessible quotidiennement ; mon imaginaire de consommation basé sur l’abondance est nourri par la publicité et plus largement par l’idéal de progrès au centre de nos sociétés. Cet écart n’est pas irrationnel et ne relève en aucun cas uniquement de biais de raisonnement : infrastructure, acteurs privés et institutionnels qui montrent l’exemple, normes sociales…

Des actions collectives sont nécessaires pour combler cet écart, et le récent rapport du GIEC rappelle la responsabilité des entreprises et des pouvoirs publics dans la mise en œuvre des infrastructures indispensables (Chapitre 5, WG III). Par ailleurs, les individus ne sont pas que des consommateurs, ce sont des citoyens en attente de solution équitable et de partage juste des efforts : c’est ce qui ressort en condition n°1 de changement de mode de vie du baromètre Ademe. C’est aussi le travail des 150 citoyens de la Convention Citoyenne qui a justement consisté à décrire un ensemble de politiques publiques, agissant à tous les niveaux, permettant de mener une action ambitieuse et acceptable.

9. Cela nous mènera vers la décroissance et c’est la fin de la prospérité

Cet argument consiste à dire que même si les changements de modes de vie vers la sobriété étaient possibles, ils ne seraient pas souhaitables, voire dangereux, du fait de l’impact négatif sur la croissance économique et donc sur notre prospérité. Moins consommer et moins produire, c’est automatiquement moins de ressources économiques pour financer nos systèmes sociaux et notre prospérité. 

On trouve le reflet de cet argument dans les injonctions contradictoires que reçoivent les individus. Par exemple, à l’éloge de la sobriété lors du 1er confinement a succédé dès la rentrée un appel à consommer l’épargne mise de côté pour relancer l’économie, car celle-ci repose en effet en partie sur la consommation des ménages. C’est bien en pensant conjointement les changements de modes de vie et les cadres politiques et économiques de nos sociétés que l’on peut réellement mener la transition. 

– Réponses possibles –

Cette controverse est majeure et évidemment très vaste et il n’est pas question de tenter de la trancher ici mais essayons de montrer à minima que cela ne devrait pas être un élément bloquant à la mise en place de la transition des modes de vie.

Décroissance de quoi ? Prospérité pour qui ? 

La première question concerne évidemment la nature de ce qui doit décroitre et les implications sur la prospérité. Depuis l’important ouvrage de T. Jackson, « Prospérité sans croissance », de nombreux travaux scientifiques ont exploré la possibilité de réduire la consommation de ressources matérielles et énergétiques tout en conservant de bonnes conditions de vie et de bien-être. Deux principes expliquent cette possibilité : 1) au-delà d’un certain seuil, la consommation n’apporte plus ou peu de bien-être supplémentaire et c’est notamment le cas dans les pays développés (idée de rendement décroissant ou de saturation du besoin) ; 2) ce qui apporte du bien-être ce sont les services rendus (un service de mobilité, un service d’alimentation) et non les ressources directement, or il est possible de rendre les mêmes services avec plus de sobriété et d’efficacité et donc moins de ressources naturelles prélevées.

Le récent rapport du Giec, en s’appuyant sur tous ces travaux scientifiques, estime donc que les actions sur la demande (et donc nos modes de vie et de consommation) sont cohérentes avec le fait d’améliorer le bien-être de base pour tous (“Demand side mitigation response options are consistent with improving basic wellbeing for all.(high confidence)” (SPM C.10)). Ce rapport indique également que les politiques de sobriété sont un ensemble de mesures et de pratiques quotidiennes qui permettent d’éviter de la demande pour l’énergie, les matériaux, le sol et l’eau tout en délivrant du bien-être humain pour tous dans les limites de la planète. Il semble donc exister un espace des possibles combinant décroissance de la consommation d’énergie et de ressources naturelles et prospérité, qu’il reste évidemment à explorer et à créer.

Et la croissance économique alors ? 

Rappelons que le PIB, s’il est la boussole de nos politiques, n’est pas l’indicateur le plus adéquat pour comprendre la répartition des richesses, le développement ou le bien-être humain. Il s’agit là d’un consensus bien établi dans les sciences humaines et sociales.

Cela implique d’une part de se préoccuper davantage du contenu réel de la croissance économique, comme la récente analyse des scénarios Transition(s) 2050 de l’ADEME le souligne. D’autre part, de plus en plus de travaux s’intéressent au bien-être ou à d’autres indicateurs alternatifs de prospérité dans leurs analyses des limites planétaires (voir par exemple la “doughnut economy” de K. Raworth). Dans le même temps, cela n’évacue pas totalement la question de la croissance économique car comme le notait avec malice T. Jackson (2017) “in an economy that is founded on growth, growth is essential for stability” : même si elle n’est pas l’alpha et l’omega de notre prospérité, la croissance économique est un pilier des sociétés que nous avons construit autour d’elle. Cela conduit ainsi à la question de la capacité des pays développés à « découpler », c’est-à-dire à concilier une baisse forte de leurs émissions et consommations de ressources naturelles avec une croissance de leur activité économique mesurée par le PIB.

Aujourd’hui il est très incertain qu’un découplage à un rythme suffisant pour rester dans les limites de la planète soit suffisant, ce qui questionne le narratif de la « croissance verte » (voir l’analyse détaillée des conclusions du GIEC de T. Parrique). Dans le même temps, de nombreux acteurs travaillent pour identifier comment obtenir les fruits de la croissance économique (stabilité sociale, résilience sociale, emploi) sans que la croissance en tant que telle continue d’être une boussole de l’action publique (voir ce récit de Zoe Institute).

Que faire ? Accepter les incertitudes sur le futur de la croissance économique et agir dès aujourd’hui. 

Il est important d’avoir en tête qu’indépendamment des changements pour faire face à la crise environnementale, il y a des incertitudes sur la croissance économique future et il faut de toute façon nous y préparer, notamment pour préserver notre système social. Cela passe par davantage d’arbitrages politiques dans le partage des fruits de notre activité économique. L’échange entre S. Hallegate et J. Hickel, le premier un tenant de la croissance verte et le second un défenseur de la décroissance (entendue comme “a planned reduction of aggregate resource and energy use in high-income nations designed to bring the economy back into balance with the living world in a safe, just and equitable way”), est également riche d’enseignements sur les différentes positions dans ce débat et permet de montrer les points de désaccords mais aussi les points d’accords sur lesquels s’appuyer pour agir dès à présent pour mener la transition, sans devoir attendre d’avoir totalement tranché ces débats en partie théoriques. La réflexion par secteur peut aussi être très utile pour comprendre comment les choses peuvent évoluer. Par exemple, dans le domaine de l’agriculture et de l’alimentation, la décroissance en quantité n’implique pas forcément une baisse en valeur globale : la logique « moins mais mieux » cherche par exemple à mettre en avant l’idée de consommer moins de viande mais mieux produite et donc plus chère.

10. Les solutions technologiques vont résoudre les crises environnementales 

Cet argument consiste tout simplement à écarter le besoin de faire évoluer nos modes de vie sur la base d’un « optimisme technologique ». Cette idée reçue a trois variations, qu’il est important d’identifier : celle qui voudrait que les enjeux énergétiques et environnementaux soient uniquement des sujets techniques, ce qui implique qu’ils n’auraient pas à être débattus collectivement ; celle qui survalorise la place de la technique comme levier pour résoudre les défis écologiques considérant qu’il est inutile, voire idéologique de questionner les transformations de nos modes de vie actuels ; celle qui sous-entend que l’innovation technique est forcément consensuelle, bénéfique, et ne soulève pas de controverses, a l’inverse d’autres leviers de transition de la société.

– Réponses possibles –

Un changement technique ne va pas sans changement social ! 

C’est un biais très courant de penser que l’un et l’autre sont séparés, mais il n’existe pas de changement technique sans changement social. De nombreux travaux en sciences humaines et sociales ont décrit comment changements techniques et changements sociaux allaient de pair. Une chercheuse comme E. Shove a par exemple traité de ces liens de dépendances dans de nombreux travaux et sur de nombreux domaines. Prenons simplement l’exemple de l’automobile : le développement technique des véhicules et des infrastructures est allé de pair à des changements dans les territoires de vie (accessibilité de zone périurbaines) et l’aménagement de nos villes, la façon de consommer (développement des centres commerciaux) et la façon d’habiter (maison individuelle), la représentation de la vitesse et du temps (« cette ville est à 20 min » sous-entendu de voiture) mais aussi de ce qui est confortable et désirable…

La prospective “Transition(s) 2050”, menée par l’ADEME autour des quatre scénarios montre que quelque soit le chemin adopté, l’objectif de neutralité carbone implique autant des changements techniques que sociaux de grande ampleur que ce soit à court comme à moyen terme.

Le paradoxe de l’efficacité énergétique

Différents travaux montrent que les gains d’efficacité énergétique ne conduisent pas nécessairement à une réduction de la consommation d’énergie. C’est le cas des travaux historiques de Jevons sur l’usage du charbon au 19° siècle : il observe que plus l’on consomme de charbon, plus on est efficace dans son usage, ce qui permet de réduire sa consommation pour un processus en particulier… et d’en démultiplier les usages et donc d’en consommer de plus en plus ! Plus récemment, différentes démonstrations montrent que les gains d’efficacité énergétique sans questionnement sur nos pratiques et nos besoins induisent un surcroît de consommation d’énergie.  Dans le secteur du numérique, la dynamique technologique a procuré d’importants gains d’efficacité énergétique à chaque nouvelle génération d’équipements numériques et dans le traitement des données, c’est-à-dire qu’il était possible de faire plus de choses avec la même consommation d’énergie. Néanmoins, les usages ont aussi explosé en parallèle, que l’efficacité énergétique seule ne permet pas de compenser. Autre exemple dans le bâtiment : les travaux d’efficacité énergétique comme l’isolation et l’installation de système de chauffage performant n’impliquent pas toujours la baisse de consommation escomptée. Les sommes économisées peuvent en effet être réinvesties, dans une température de chauffage supérieure ou dans d’autres équipements permettant de répondre aux canons du confort domestique. Dans l’automobile, les gains d’efficacité des moteurs s’accompagnent d’une croissance de la taille et du poids des véhicules. On peut retrouver d’autres formes d’effets rebonds dans la consommation de biens et services : le fait de davantage mobiliser le marché de l’occasion pour revendre ses objets peut doper la consommation de produits neufs. Pour maîtriser ces effets rebond, il est nécessaire de se questionner, collectivement, sur nos besoins afin de réduire nos consommations matérielles et énergétiques, réflexion qui ne relève pas du champ technique mais bien du champ démocratique. Sans cette réflexion sur nos besoins, et leur modération, qui s’apparente à une dynamique de sobriété, il est probable que des effets rebond multiples nous feront perdre du temps au regard des défis écologiques.

Des incertitudes quant aux solutions techniques par la communauté scientifique et par les citoyens

Ensuite, on trouve des incertitudes à l’égard des solutions techniques : elles sont émises tant par les scientifiques eux même que par les citoyens

Du côté des scientifiques d’abord, certaines promesses techniques aujourd’hui promues font l’objet de controverses sur leur capacité à réduire de façon effective les émissions carbone. Jusqu’où pourrons-nous utiliser les technologies de « carbon dioxide removal » sans impacter négativement d’autres dimensions environnementales (ex. impact sur les sols et la biodiversité quand cela repose sur l’usage de biomasse) et sans autres impacts négatifs (voir le tableau des risques et impacts p96 du Technical Summary du GIEC) ? La communauté scientifique émet également des doutes sur la capacité à résoudre les enjeux environnementaux associés aux modèles agro-alimentaires (climat, biodiversité, pollution des eaux et des sols) en se fondant uniquement sur des évolutions d’ordre techniques : changer les pratiques alimentaires semble indispensable pour réduire la pression planétaire sur la biosphère (voir par exemple le travail de la commission Eat the Lancet ou le scénario TYFA).

Du côté des citoyens également, la récente étude pilotée par l’ADEME autour des 4 scénarios prospectifs “Transition(s)2050” montre que les scénarios les plus technophiles soulèvent différentes inquiétudes de la part des citoyens. Par exemple, dans le scénario dans lequel le numérique et l’intelligence des objets serviraient à réguler nos consommations, les citoyens émettent des craintes sur la gouvernance des données et sur la marchandisation qui en serait faite. Sur le sujet environnemental, les citoyens mettent également en doute la capacité des innovations techniques seules pour résoudre les enjeux climatiques, soulèvent des risques de “fuite en avant”, de greenwashing. Il leur semble nécessaire de sortir de ces promesses techniques pour questionner tant leurs besoins que les valeurs souhaitables à mettre au cœur de la société, pour refonder un nouveau contrat social.

Guerre en Ukraine : le grand bond en arrière climatique
Mickaël Correia
www.mediapart.fr/journal/international/010722/guerre-en-ukraine-le-grand-bond-en-arriere-climatique

Et si le climat était une victime de la guerre en Ukraine ? Face au risque de pénurie énergétique provoquée par le conflit, les pays européens préparent un recours accru au charbon et au gaz fossile. Une marche arrière alarmante, à l’heure de l’urgence climatique, qui met en lumière notre terrible retard en matière de transition écologique.

C’est désormais officiel. Envisagée un temps comme une vague option, la remise en service de la centrale à charbon de Saint-Avold (Moselle), à partir de l’hiver prochain, est en passe d’être actée par le gouvernement dans le cadre du projet de loi « Pouvoir d’achat ».

En raison de la guerre en Ukraine qui menace l’approvisionnement en gaz et du mauvais état de nos réacteurs nucléaires, le ministère de la transition énergétique veut pouvoir redémarrer temporairement la centrale mosellane pour sécuriser la production d’électricité en France.

L’infrastructure avait pourtant fermé le 31 mars, conformément à la promesse d’Emmanuel Macron d’arrêter les centrales à charbon d’ici à 2022. Le site de Saint-Avold viendrait ainsi épauler la centrale de Cordemais (Loire-Atlantique) – la dernière encore en activité jusqu’à 2026 au plus tard – pour contrer les risques d’une pénurie énergétique.

La Russie est déterminée à utiliser le gaz comme arme pour faire pression sur l’Union européenne (UE). Gazprom, le géant gazier russe détenu par le Kremlin, fournit 40 % du gaz consommé sur le Vieux Continent.

Pour réduire notre dépendance énergétique envers les hydrocarbures en provenance de Russie, la Commission européenne a début mars émis un plan, baptisé « REPowerEU », pour que l’UE s’affranchisse progressivement du gaz russe d’ici à 2027.

Mais tout s’est accéléré mi-juin. Le bras de fer entre Poutine et l’Union s’est intensifié. Alors que depuis deux mois Gazprom avait déjà coupé le robinet de gaz vers la Pologne, la Bulgarie et la Finlande, la Russie a réduit drastiquement ses livraisons par gazoduc vers l’Europe de l’Ouest.

Cette décision poutinienne ralentit de facto la possibilité pour des pays comme l’Allemagne, la France ou l’Italie de refaire leurs stocks de gaz pour l’hiver. Notre pays ne reçoit plus depuis quelques jours un seul mètre cube de gaz russe par pipeline.

Le retour du charbon

Face à cette situation d’urgence énergétique, Alexandre Joly, responsable du pôle Énergie de Carbone 4, cabinet de conseil indépendant spécialiste de l’adaptation au changement climatique, indique à Mediapart qu’« alors que l’Europe était dans une dynamique de fin du recours au charbon, au moins une dizaine de pays de l’UE a décidé de prolonger ou de remettre en marche des centrales fermées, dont des pays précurseurs sur les énergies renouvelables, à l’instar de l’Autriche ».

Robert Habeck, vice-chancelier allemand et ministre fédéral de l’économie et de la protection du climat, a annoncé le 19 juin le prolongement de la durée de vie de cinq centrales à charbon qui devaient fermer au plus tard en 2023. La sortie du charbon en 2030 de l’Allemagne n’est toutefois pas remise en cause, les cinq sites devant fermer définitivement en 2024. « C’est amer, mais c’est indispensable pour diminuer notre consommation de gaz », a-t-il affirmé.

L’Autriche, l’Italie et les Pays-Bas ont également annoncé un recours renforcé au charbon pour se prémunir contre d’éventuelles coupures d’électricité. La Grèce a pour sa part prévu de doubler sa production de lignite, une forme de charbon très nocive pour le climat. Enfin, au Royaume-Uni, le gouvernement a demandé fin mai aux opérateurs des trois dernières centrales à charbon du pays, qui devaient fermer à partir de septembre, de les maintenir ouvertes.

Ce grand retour du charbon en Europe, même temporaire, augure le pire en matière de réchauffement planétaire. Et ce dans un contexte international particulièrement morose pour la lutte climatique.

Le président américain Joe Biden a vu fin 2021 certaines des mesures écologiques les plus ambitieuses de son grand plan d’investissement bloquées par le Congrès. Et la Cour suprême a décidé le 30 juin de limiter les moyens de l’État fédéral pour lutter contre les gaz à effet de serre, notamment en matière de régulation des émissions des centrales à charbon. Enfin, la Chine a décidé en avril d’augmenter ses capacités de production de charbon, s’autorisant l’ouverture de nouvelles mines et l’extension de certaines centrales.

Première source des dérèglements du climat, la combustion de charbon pour produire de l’électricité engendre à elle seule 45 % des émissions mondiales de CO2. La consommation de charbon doit diminuer de 80 % d’ici à 2030 pour contenir le réchauffement planétaire.

En mars dernier, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a indiqué que les rejets mondiaux de CO2 liés à l’énergie ont augmenté de 6 % en 2021. Soit la plus forte hausse annuelle jamais enregistrée. Dans un contexte d’économie mondiale en fort rebond après la crise du Covid-19, l’utilisation accrue du charbon a été le principal facteur de croissance des émissions associées à l’énergie.

« Je suis très inquiet du fait que la cause climatique puisse bien être une nouvelle victime de l’agression russe », avait déclaré dès mars Fatih Birol, patron de l’AIE.

Le récent rapport de REN21, réseau d’experts internationaux spécialisés dans les énergies renouvelables, souligne pour sa part que le niveau record de construction dans le solaire et l’éolien en 2021 a été rattrapé par la forte demande de charbon, de gaz et de pétrole.

« Depuis la hausse des prix et la crise avec la Russie, on assiste à une frénésie dans la recherche de ressources fossiles, a alerté Rana Adib, directrice exécutive de REN21. C’est une marche arrière alarmante. »

Plein gaz vers le chaos climatique

Pour pallier la réduction d’importations de gaz russe, la Commission européenne a proposé, entre autres, de diversifier des sources d’approvisionnement de l’UE « grâce à une augmentation des importations de gaz naturel liquéfié (GNL) ».

Dans la foulée, l’énergéticien français Engie a annoncé accroître considérablement ses volumes de GNL achetés aux États-Unis. Puis, le 3 mai dernier, la firme a signé avec l’entreprise américaine NextDecade un contrat d’approvisionnement en GNL sur 15 ans à partir de 2026. C’est que, depuis 1975, Engie – à l’époque Gaz de France – a un contrat avec Gazprom pour la livraison de près d’un quart de ses approvisionnements en gaz.

Problème, ce GNL américain est à 80 % issu de gaz de schiste, dont l’extraction est désastreuse pour les écosystèmes, notamment les nappes phréatiques. Son exploitation est interdite en France depuis 2011.

Pis, le GNL est extrêmement climaticide. Il faut en effet énormément d’énergie pour liquéfier le gaz et sa production émet des volumes importants de méthane, un gaz à effet de serre qui a un potentiel de réchauffement 84 fois plus important que le CO2 sur une période de 20 ans.

« L’empreinte carbone du GNL est supérieure d’au moins 20 % à celle du charbon, explique Robert Howarth, chercheur à l’université Cornell aux États-Unis et spécialiste de l’impact du gaz sur le climat. Le GNL est bien pire que le charbon pour le climat. Il représente un terrible pas dans la mauvaise direction»

La substitution du gaz russe par du gaz importé sous forme de GNL pourrait générer une augmentation de l’empreinte carbone de la France.

Rapport annuel du Haut Conseil pour le climat publié le 29 juin 2022

La première ministre Élisabeth Borne, chargée de la planification écologique, a annoncé le 23 juin que la France allait se doter d’un terminal méthanier flottant dès l’an prochain pour assurer son approvisionnement en GNL. La structure sera installée au Havre, après avoir été rapatriée de Chine par TotalEnergies.

La compagnie pétrolière française a pour sa part signé le 12 juin un contrat pharaonique avec le Qatar pour le développement d’ici quatre ans du plus grand champ de gaz fossile du monde, gaz qui sera exporté sous forme de GNL.

Dans son rapport annuel publié le 29 juin dernier, le Haut Conseil pour le climat a rappelé que le rythme annuel de réduction des émissions de la France devra doubler sur la période 2022-2030.

Puis de s’alarmer : « Les mesures d’urgence en réponse à la hausse des prix de l’énergie et à la guerre en Ukraine pourraient avoir des conséquences structurelles sur la trajectoire d’émissions à long terme. La substitution du gaz russe par du gaz importé sous forme de GNL pourrait générer […] une augmentation de l’empreinte carbone de la France. »

L’Allemagne, qui dépend à plus de 50 % pour sa consommation du gaz russe, s’est également ruée sur le GNL. Le pays a indiqué vouloir mettre les bouchées doubles pour ériger son premier terminal GNL d’ici à 2024. Le gouvernement d’Outre-Rhin a aussi lancé l’installation en mer du Nord de quatre terminaux flottants et annoncé la signature prochaine avec le Qatar d’un accord énergétique d’import de GNL.

Mais les négociations avec Doha traînent. L’émirat demande un engagement de 20 ans, une exigence contradictoire avec la politique climatique de l’Allemagne, qui vise la sortie des énergies fossiles dès 2035.

L’Estonie, la Finlande et l’Italie se sont aussi lancées dans la course au gaz liquéfié. Enfin, l’Espagne envisage de ressortir de ses cartons le projet de gazoduc MidCat, pourtant abandonné en 2019 car trop cher et écocidaire. Cette infrastructure à 500 millions d’euros permettrait d’assurer l’interconnexion gazière entre l’Espagne et la France en traversant les Pyrénées.

Ces achats massifs et en urgence de GNL ont des répercussions énergétiques et, in fine, climatiques pour les pays asiatiques qui sont en train de remplacer leur production électrique à base de charbon par du gaz. « Le GNL acheté aujourd’hui par les Européens était à l’origine destiné à l’Asie.

Par conséquent, on assiste actuellement à des pays comme le Pakistan qui doivent faire face à des coupures d’électricité et qui réactivent leurs centrales à charbon pour compenser ce manque d’approvisionnement en gaz… », précise Alexandre Joly.

Ce dernier ajoute : « Par ailleurs, les infrastructures gazières construites aujourd’hui en Europe avec de l’argent public ne seront rentabilisées que d’ici 40 ans. Mais l’Allemagne le confesse elle-même : le terminal gazier qu’elle est en train de construire ne sera plus utilisé au maximum de sa capacité dans 10 ans à cause de ses engagements climatiques. »

Le danger de verrouiller à long terme les systèmes énergétiques des pays européens autour du gaz fossile est en passe de devenir une réelle menace climatique. D’autant plus que ces projets GNL reçoivent la bénédiction des grandes instances européennes et mondiales.

Ainsi, en mars dernier, le Parlement européen a voté en faveur de 30 mégaprojets de gazoducs et d’installations GNL, d’une valeur totale de 13 milliards d’euros, qui pourront bénéficier d’aides publiques européennes. Parmi ces infrastructures fossiles validées par l’UE figure, par exemple, le Baltic Pipe, un gazoduc entre la Norvège et la Pologne. Le projet était à l’arrêt au Danemark à cause de son impact néfaste sur les écosystèmes mais le gouvernement danois a décidé il y a trois mois de passer outre ces considérations écologiques en délivrant à l’opérateur du pipeline un nouveau permis environnemental.

Enfin, le 28 juin, à l’issue du G7 en Allemagne, les leaders des sept plus grandes puissances économiques mondiales ont notifié dans leur déclaration finale : « En vue d’accélérer l’élimination progressive de notre dépendance à l’égard de l’énergie russe, nous soulignons le rôle important que peut jouer l’augmentation des livraisons de GNL, et nous reconnaissons que des investissements dans ce secteur sont nécessaires en réponse à la crise actuelle. »

Nécessaire sobriété

Une récente étude de divers think tanks et ONG européennes a pourtant démontré que l’UE pourrait se passer de ses importations de gaz russe d’ici à 2025 sans construire de nouveaux terminaux GNL. Selon ce rapport, l’augmentation de la production d’électricité renouvelable et des mesures d’efficacité énergétique parviendraient à réduire deux tiers des importations « sans ralentir le déclin de la production d’électricité à partir du charbon ».

Les pays européens n’ont toutefois pas voulu créer, à partir de cette urgence à se dépêtrer du gaz russe, un électrochoc pour accélérer la transition écologique et mettre enfin sur la table la question de la sobriété – avec pour doxa politique que l’énergie la moins chère et qui a le moins d’impact sur le climat est l’énergie que l’on ne consomme pas.

Des travaux de l’European Climate Foundation ont par exemple prouvé que l’équivalent d’un quart des importations actuelles de gaz fossile de l’UE en provenance de Russie pouvait être économisé d’ici à 2030 grâce à la rénovation et à l’électrification des logements.

Ce grand bond en arrière climatique qui s’esquisse démontre comment l’Union européenne paie très cher son retard dans sa transition énergétique.

« Si nous avions réalisé la politique de rénovation des bâtiments décidée durant le Grenelle de l’environnement de 2008 sous la présidence de Nicolas Sarkozy, nous aurions aujourd’hui réduit l’équivalent d’une année d’importations françaises de gaz russe », rappelle à Mediapart Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie de l’Institut Jacques Delors.

Et Alexandre Joly de Carbone 4 d’abonder : « La Suède a décidé, suite aux chocs pétroliers des années 1970, de déployer une vaste politique de performance énergétique ambitieuse pour la construction neuve de bâtiments, qui aujourd’hui conduit à ce qu’ils consomment six à neuf fois moins d’énergie fossile pour se chauffer. C’est un pays qui a 40 ans d’avance sur la France. »

Ce grand bond en arrière climatique qui s’esquisse démontre ainsi comment l’Union européenne paie très cher son retard dans sa transition énergétique. Une procrastination écologique dont souffrent aujourd’hui en premier les ménages européens.

Les factures d’énergie ont augmenté en moyenne dans l’UE de 25 % en 2021 – jusqu’à + 51 % pour le gaz fossile. Cette flambée des prix risque de faire basculer 80 millions d’Européen⸱nes dans la précarité énergétique, selon le Réseau action climat.

Dans le même mouvement, les géants énergétiques voient leurs profits exploser, avec les prix du gaz et du pétrole qui s’envolent. La compagnie anglo-néerlandaise Shell a engrangé en 2021 près de 19 millards d’euros de bénéfices, TotalEnergies 14 milliards d’euros et BP plus de 7 milliards.

L’AIE, la Commission européenne et même l’OCDE ont estimé qu’il fallait mettre en place une taxe exceptionnelle et provisoire sur les profits insolents de ces profiteurs de guerre pour financer la transition énergétique comme les mesures de soutien aux foyers les plus précaires.

Une taxe que les États britannique, espagnol et italien ont récemment déployée. Mais pas le gouvernement français. Dans l’Hexagone, les trois patrons d’Engie, d’EDF et de TotalEnergies se sont même sentis tout à leur aise pour appeler les Français⸱es à plus de sobriété et à des changements de comportement dans une tribune publiée le 25 juin dernier.

Cette déclaration met sous le tapis le fait que les industriels et le secteur tertiaire consomment à eux seuls 60 % du gaz fossile en France. Elle omet de dire que 12 millions de Français⸱es vivent en situation de précarité énergétique, 12 millions de personnes qui ne sont en rien responsables de la surconsommation.

Et elle sert d’écran de fumée, surtout, à tous les contrats et projets de GNL climaticides qu’Engie et TotalEnergies ont mis en place depuis le début du conflit en Ukraine, au détriment de la planète.

Klima aldaketa Everest mendia gogor kolpatzen ari da
Andoni Arabaolaza
www.naiz.eus/eu/info/noticia/20220703/klima-aldaketa-everest-mendia-gogor-kolpatzen-ari-da

Ikerlariek diote azken hiru hamarraldiotan munduko mendi garaieneko izotzak 2.000 urte atzera egin duela. Horri beste datu kezkagarri bat gehitu behar zaio: Nepalgo Armadak 34 tona zabor atera ditu azken bi hilabeteotan lau zortzimilakotatik.

Azken hiru hamarraldiotan, munduko mendi garaieneko izotzak 2.000 urte atzera egin du. Egoera horren ondorioz, Nepalek erabaki du kanpaleku nagusia 400 metro beherago jaitsiko duela.
Zientzialariek argi diote: «Klima aldaketa betirako geratu da Everest mendian». Oinarri zein ikerketa zientifikoek baieztatu dute munduko mendi garaieneko glaziar altuena, hegoaldeko lepoan dagoena, atzera egiten ari dela. Zehatz-mehatz esanda, azken hiru hamarraldiotan izotzak 2.000 urte atzera egin du. Ez dago ezbairik urtzen ari dela.

Eta hori guztia argitu duena 34 zientzialarik eta aditu nepaldarrek osatutako talde bat izan da. Espedizio zientifiko horrek glaziarraren izotz nukleotik hainbat lagin atera ditu, eta emaitza, gordina izateaz gain, oso adierazgarria da: 90eko hamarkadatik aurrera, eskualde horretan izandako tenperaturaren gorakadagatik izotzaren masa erdia galdu da. Hori gutxi ez, eta mende honen erdian eremu hori desager daiteke.

Nepaleraz “Sagarmatha” izena duen munduko mendi altuenaren hego aurpegian egindako ikerketa zientifikoa  orain artek bertan egindako garrantzitsuena da. Eta egileek ezusteko handia hartu dute. Taldeak munduko beste mendilerro batzuetako glaziarren berri bazuen, baina zur eta lur utzi ditu 8.000 metroko kotan aurkitutakoak: «Agerikoa denez, garaiera horretan hotz handia egiten du; horregatik zaila da ulertzea izotza nola egiten ari den atzera. Azken 20 urteotan, Himalaia asko aldatzen ari da. Ohartu gara Everesteko ingurumarian dauden glaziarrak aldatu egin direla. Khumbuko glaziarra ez dago egoera horretatik at. Hau da, Everesteko goialdeko zein behealdeko glaziarrak eragin bera jasaten ari dira».

Kanpaleku nagusia

Ikertzaileek Khumbuko glaziarra aipatu dutenez, gogoratu behar dugu Everesteko kanpaleku nagusia glaziar horren azpian edo sarreran dagoela. Hain zuzen ere, 5.350 metroko garaieran. Zientzialariek ez ezik, zortzimilako altuena bisitatzen dutenek ere argi ikusten dute izotz geruza asko txikitu dela. Hots, ebidentzia zalantzaezina da.

Klima aldaketari Sagarmathak jasotzen dituen espedizioen eragina gehitu behar zaio. Izan ere, ehundaka mendizale gerturatzen dira bertara urtero. Hainbat eragile neurriak hartzen hasi dira ezinbestean.

Nepalgo Gobernuak, adibidez, iragarri du 2024. urtetik aurrera kanpaleku nagusia 200 eta 400 metro artean jaitsiko duela: «Egoera oso latza da. Ez dugu uste kanpaleku nagusia altuera horretan mantentzea jasangarria denik. Gero eta arriskutsuagoa bihurtzen ari da. Tenperaturek gora egin dute, eta horren ondorioz gero eta arrakala gehiago azaltzen ari dira kanpalekuan eta haren ingurumarian. Luiziak zein elur-jausiak ere biderkatu egin dira».

Nepaldarrek neurri horiek indarrean jartzen badituzte, egungo kanpaleku nagusia desagertu eta haranetik 400 metro beherago antolatuko dute. Era horretan, ohiko ehunka dendak, izotzean altxatu ordez, arrokan jarriko dituzte: «Neurri oso eraginkorra izan daiteke; batez ere, izotzaren masak ez lukeelako inpakturik izango. Kerosenoak eta janaria prestatzeko erabiltzen den gasak izotzari ez dio onik egiten. Azken urteotan, montzoi aurreko edo udaberriko denboraldietan kanpaleku nagusiak 1.500 ‘biztanle’ ditu. Gas horien isurketa aipatu dugu, baina aipatu behar dugu ere mendizale horiek milaka litro pix uzten dutela mendian».

Gogoratu behar dugu kanpaleku nagusiaren kokalekua 1950. urtetik ez dela aldatu. Jakina, hasierako eta egungo espedizioen inpaktua ez da berdina, baina, ikerlariek diotenez, batez ere azken hiru hamarraldiotan Everestek kolpe gogorra jaso du. Horregatik, Katmandutik jasotako berriak harrera ona izan dute mendizaleen artean. Baina, beti gertatzen den bezala, alde bateko eta besteko zalantzak uxatzea ez da erraza. Kanpaleku nagusia beherago jartzen badute, mendizaleek bigarren kanpalekura arte egin beharko duten ibilbidea luzeagoa izango da. Eta dagoeneko batzuek kezka azaldu dute ez ote den helikopteroen erabilera ugarituko. Joera hori egun asko zabaldu da; hots, kanpaleku horretatik bigarrenera tresneria helikopteroz garraiatzen dute. Eta, hortaz, bi urte barru ibilbidea luzeagoa bada, Khumbuko glaziarra are arriskutsua egoten bada… ez ote da mendizaleen artean helikopteroaren erabilera nagusitzen hasiko?

Momentuz, Nepalek ez du azalpen askorik eman. Kanpalekuaren kokalekua jaitsiko duela esan du, bai, baina nora lekualdatuko duten ez dute zehaztu. Antza denez, hiru aukera daude. Lehena, eta kanpaleku nagusitik gertuen dagoena, Gorak Shep (5.150 m) da. Joan den udazkenean, Marc Batard frantziarrak han altxatu zuen bere kanpalekua. Lobuche herrixka (4.940 m) bigarren aukera omen da. Eremu hori erosoagoa eta eskuragarriagoa da. Eskuarki, trekkingetako taldeek herrixka hori erabiltzen dute. Eta hirugarrena eta azkena, Gorak She eta Lobuche artean dagoen Nazioarteko Klima Behatokia izango litzateke. Hots, “Lobucheko Piramidea” (5.050 m) izenez ezaguna dena eta Jost Kobusch alemanak iragan neguan Everesteko espediziorako erabili zuena.

Eta zaborra

Aipatu datu kezkagarriei beste bat gehitu behar diogu. Hain zuzen ere, egitasmo batek  agerian utzitako errealitate latza. “Mountain Clean-Up” kanpainari buruz ari gara. Egitasmo hori munduko hainbat mendilerrotan aurrera eramaten da, eta, izenak ondo argitzen duen bezala, xedea mendietan uzten den zaborra garbitzea da. Bada, Nepalgo zortzimilakoetan egindako bi hilabeteko kanpainan, 34 tona zabar atera dituzte Everest, Lhotse, Kangchenjunga eta Manaslutik. Hirugarren udaberria zuten lan horretan, eta, babesle eta kolaboratzaile asko izan badituzte ere, Nepalgo Armada izan da proiektuaren zuzendaria.

87 gizabanakok egin dute bat kanpainarekin; den-denak nepaldarrak. Horietako 30 militarrak izan dira; garaierara ondo egokitzen diren espezialistak. Eta 57 xerparen laguntza jaso dute. Ia bi hilabetez (55 egun Everesten eta Lhotsen, eta 45 Kangchenjungan eta Manaslun) egon dira zaborra zortzimilakoen aldatsetatik ateratzen; apirilaren 5etik maiatzaren 31ra.

Nepalek baieztatu du izaera horretako egitasmoak bultzatuko dituela aurrerantzean ere: «Gure mendiek ahalik eta garbien egon behar dute. Ezin ditugu zikindu, ezin ditugu inguruok degradatu; finean, ezin dugu herrialdearen irudia horrela kaltetu. Gure mendiek eta haranek urtero milaka bisitari izaten dituzte, eta horiek dira gure diru iturri garrantzitsuenak».