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Articles du Vendredi : Sélection du 27 janvier 2012

Comment le climat menace la prospérité chinoise

Audrey Garric
Le Monde du 24.01.2012

Empreinte écologique : la France est très loin du triple A

Serge Orru DG de WWF France
Nouvelobs du 19.01.2012

Quand l’agriculture paysanne arrive au cœur des quartiers populaires

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article2054.html – 18.01.2012

Environnement: 2012, le grand bond en arrière

Raphaël Billé, maître de conférences à Sciences-Po, et Julien Rochette, chercheur invité à l’Institute of Marine and Environmental Law de la faculté du Cap (Afrique du Sud).
Mediapart – 23.01.2012

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Comment le climat menace la prospérité chinoise

Audrey Garric
Le Monde du 24.01.2012

Alors que la Chine vient de rentrer dans l’ère du dragon, elle s’est aussi engagée dans une période extrêmement sombre pour son environnement. Sécheresses, inondations, rareté de l’eau, faiblesse des récoltes : autant de conséquences du réchauffement climatique mondial pesant sur le pays et menaçant sa prospérité. Presque plus inquiétant encore, ces avertissements ne proviennent pas d’une ONG ou d’un ardent défenseur de l’écologie mais du gouvernement chinois lui-même, dans son Deuxième rapport national d’évaluation sur les changements climatiques. Le pouvoir communiste semble donc avoir renoncé à minimiser les conséquences et les coûts du changement climatique sur la deuxième économie mondiale et premier émetteur de gaz à effet de serre. Le pavé de 710 pages publié par le gouvernement vendredi 21 janvier s’avère alarmant sur tous les fronts, selon le site China Briefing :
L’augmentation des émissions de CO2. Le pays le plus peuplé au monde, avec 1,34 milliard d’habitants, a rejeté 8,3 milliards de tonnes de gaz à effet de serre en 2010, soit un quart du total du CO2 libéré dans l’atmosphère au cours de l’année. Et quand bien même elle est devenue le premier marché pour les énergies renouvelables, en inondant le monde de panneaux solaires à bas coût et en installant la moitié des nouvelles capacités éoliennes de la planète, la Chine devrait rejeter entre 9 et 9,5 milliards de tonnes de CO2 à l’horizon 2020, selon le rapport. Les rejets ne commenceront ainsi à diminuer qu’après 2030, pour baisser véritablement qu’après le milieu du siècle. A condition que la Chine prenne des mesures pour réduire ses rejets et mette la main à la poche : la lutte contre les émissions est ainsi chiffrée à 10 000 milliards de yuans (1 200 milliards d’euros) d’ici 2020.
La hausse de la température. Selon les différents scénarios retenus en termes de niveaux d’émissions de gaz à effet de serre, la température moyenne de la Chine devrait augmenter d’ici la fin du siècle de 2,5 à 4,6°C par rapport à la moyenne de la période 1961-1990. Témoins de cette hausse des températures, 82 % des glaciers, en particulier ceux du Tibet, reculent depuis les années 1950, à un rythme qui s’est accéléré depuis les années 1990.
Les déséquilibres des ressources en eau. Dans la majeure partie des régions chinoises, les précipitations se concentreront de plus en plus sur les saisons des pluies — l’été et l’automne — et inondations et sécheresses seront de plus en plus fréquentes, estime le rapport. D’après l’un des scénarios envisagés, huit des 31 provinces risquent d’être confrontées à de graves pénuries en eau d’ici 2050 — moins de 500 m3 par habitant —, et dix autres pourraient souffrir de pénuries chroniques moins dures. L’une des conséquences : la production céréalière de la Chine pourrait diminuer de 5 % à 20 % d’ici 2050, constituant une menace pour la sécurité alimentaire du pays. La situation est déjà critique aujourd’hui : la grave sécheresse qui a touché le nord-est du pays à la mi-2011, a été responsable d’une baisse des récoltes et d’une flambée des prix alimentaires. Du côté de l’économie, le manque d’eau a aussi provoqué une pénurie d’électricité handicapant les entreprises.
La montée du niveau des mers. Entre 1979 et 2009, le niveau de la mer est monté de 11,5 centimètres sur le littoral proche de Shanghai, à l’est du pays. Dans les trente ans à venir, il pourrait encore monter de 10 à 15 centimètres. Or, note le rapport, les efforts de la Chine pour protéger les zones côtières vulnérables par des digues s’avèrent largement insuffisant. Sans compter que leur vulnérabilité aux typhons et aux inondations risque d’augmenter du fait du réchauffement climatique. Conclusion : la montée du niveau de la mer va exercer une pression sur les grandes villes et les régions exportatrices de l’Est chinois, fer de lance de l’industrialisation du pays.
La pollution de l’air croissante. Les épais brouillards qui enveloppent les métropoles chinoises, empêchant toute visibilité au point de clouer les avions au sol, sont en passe de devenir le quotidien des citadins — devenus plus nombreux que les ruraux, pour la première fois de l’histoire de la Chine. Après avoir menti pendant des années sur la qualité de l’air, le gouvernement chinois s’est enfin résolu à publier les mesures de particules fines effectuées dans les villes. Une manière de concéder que la pollution urbaine pourrait avoir de graves répercussions sur la croissance économique, la santé publique et de la stabilité sociale, alors que des millions d’internautes chinois se sont déjà rebiffés contre les mensonges du gouvernement.

Empreinte écologique : la France est très loin du triple A

Serge Orru DG de WWF France
Nouvelobs du 19.01.2012

Triple A, agences de notation, ces mots résonnent à vos oreilles. Contrairement à ce que vous pouvez penser, leurs implications ne sont pas qu’économiques. Serge Orru, directeur général du WWF France, rappelle l’existence de la “dette écologique”. Bonnet d’âne pour l’Hexagone !
Dette financière et dette écologique, voici deux dettes qui ne s’ignorent vraiment pas, deux passifs qui additionnent le gaspillage et soustraient l’espace et le vivant.

Les dettes économiques et écologiques sont les ferments de la misère sur terre. Dans une lettre récente, Jim Leape, directeur général du WWF International, a écrit à Madame Christine Lagarde et à Monsieur José-Manuel Barroso, en leur disant qu’il était impératif que la crise financière ne soit pas l’occasion de revenir en arrière sur les solutions et investissements indispensables à la protection de notre environnement. En effet, cela entraverait la nécessaire transition écologique que doivent conduire nos sociétés.

Passons de la société du jetable à celle du durable

Le plan d’ajustement que subit la Grèce depuis 2010, avec les très nombreuses coupes budgétaires dans le domaine de l’environnement et leurs impacts dommageables, doit nous alerter sur un risque majeur de cécité politique. La crise financière que nous connaissons depuis 2008 est avant tout le produit de choix économiques qui conduisent inexorablement au péril climatique et à l’épuisement des ressources naturelles. Cette crise est issue de la promotion de comportements de surconsommation dans les pays riches. Elle est symbolisée par une croissance dont le PIB ne doit plus être l’alpha et l’oméga des politiques publiques.

Il faut transformer notre économie autophage en une économie du moindre impact sur l’environnement et décréter définitivement le passage de la société du jetable à la société du durable ! Il ne s’agit plus de produire mieux, mais de produire moins  et de consommer moins. Et aussi de vivre mieux ! Car la dette financière n’est rien au regard de la dette écologique dont les générations futures auront à assumer les effets négatifs dans les années à venir.

Il n’existe pas, à ce jour, d’agence de notation pour signifier la perte de notre triple A à cause de l’érosion massive de la biodiversité sur la planète. Au vu de notre empreinte écologique, qui est aussi un emprunt sur la biocapacité mondiale, nous sommes en situation de défaut de paiement. Chaque mois de septembre nous émettons un chèque planétaire sans provision !

Cette absence criante d’agence de notation évaluant l’état de notre capital naturel, nous devons toutes et tous la pallier, chacun à notre place dans la société avec engagement et ténacité afin de vaincre les fatalités annoncées. Plus que jamais, il est indispensable d’imposer cette prise de conscience de cette dette écologique, qui est aussi humaine et sociale, tant lors des échéances électorales que lors du sommet RIO+20. L’humanité nous en saura gré !

Quand l’agriculture paysanne arrive au cœur des quartiers populaires

Sophie Chapelle
www.bastamag.net/article2054.html – 18.01.2012

Terminés les paniers bios réservés aux « bobos ». Dans la ville ouvrière de Saint-Étienne, associations de quartier et paysans travaillent ensemble pour livrer des légumes de saison et des produits sains au plus près des quartiers, tout en créant des emplois. Rencontre avec les membres du projet « de la ferme au quartier », une plateforme d’approvisionnement alimentaire solidaire en circuit court, et une alternative au « low-cost » de la grande distribution.
« Comment permettre au plus grand nombre, y compris aux personnes aux revenus très faibles et précaires, d’accéder à une alimentation saine ? » Georges Günther, et les autres initiateurs du projet De la ferme au quartier, à Saint-Étienne, ont répondu concrètement à cette question. Dans cette ville ouvrière qui a perdu pratiquement 10 % de sa population en 20 ans, les paniers paysans dans le cadre de l’économie sociale et solidaire se développent depuis 2005. Saint-Étienne compte 11 associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (Amap), dans lesquelles les consommateurs s’engagent à acheter la production des paysans à un prix équitable et en payant par avance. « Le projet De la ferme au quartier est complémentaire des Amap, explique Georges. Il se veut créateur d’emplois et touche un plus large public, y compris les couches populaires. »
Miser sur la solidarité entre consommateurs
« La plateforme », le local où les salariés préparent et assurent les livraisons des paniers, est située dans le Marais, un ancien quartier de l’industrie lourde stéphanoise, aujourd’hui plus connu pour son Technopole ou pour le stade Geoffroy-Guichard. La volonté de créer des emplois est l’une des différences avec les Amap, qui reposent totalement sur l’engagement bénévole de familles directement en lien avec les paysans partenaires. Pour sa mise en place, le projet a notamment bénéficié d’un soutien de la Région Rhône-Alpes, de la chambre régionale de l’économie sociale et solidaire Rhône-Alpes avec le fonds social européen, l’État et la ville de Saint-Étienne qui loue un local.
Lancer une activité viable économiquement et créatrice d’emplois pérennes a évidemment un coût. C’est pourquoi producteurs et consommateurs participent à parts égales aux frais de fonctionnement de la structure. « Nous misons sur la solidarité entre les consommateurs. L’idée est qu’ils participent aux frais de fonctionnement en fonction de leurs revenus », précise Georges. Le montant de cette participation aux frais varie de 0 à 20 %. Les chèques d’aide alimentaire sont également acceptés. « Notre objectif, c’est de pouvoir proposer à tous les publics de l’agglomération de Saint-Étienne des produits agricoles locaux de qualité, à des prix abordables. » Et cela marche ! Alors que l’heure de la distribution approche, une jeune femme franchit le seuil de la plateforme. Elle précise venir « des caravanes », installées près du local, et vient se renseigner sur les paniers. Elle souhaiterait s’engager pour un mois avant de poursuivre la route. Le projet touche décidément un autre public.

Education populaire et alimentaire dans les quartiers
Il est plus de 17 h, et Sylvain, un autre jeune membre de l’équipe, s’active près de la chambre froide dans la préparation des paniers. Mâche, choux de Bruxelles, épinards, poireaux, courges, tout est local, de saison et sans OGM. Alors que Georges commence à regarder nerveusement sa montre, Nasser arrive avec la camionnette. Direction le quartier du Soleil, à l’Association familiale protestante (AFP), dont les bénévoles aideront à la distribution. Parmi eux, il y a Aziz. Pour lui, « le projet fonctionne de mieux en mieux avec des produits de plus en plus variés. Les gens ont compris qu’ils faisaient bosser des agriculteurs du coin ». Enthousiaste, Aziz file dans le local pour la mise en place de la distribution. Nasser poursuit la route jusqu’au centre social l’Arlequin, où une deuxième distribution est assurée ce soir-là.
L’une des spécificités du projet est l’engagement de plusieurs associations de quartier qui mettent à disposition leur local, mènent un travail de sensibilisation, et participent au conseil d’administration. Aux côtés de l’Association départementale pour le développement de l’emploi agricole et rural (Addear), on retrouve des centres sociaux, des amicales laïques, mais aussi le centre Al Qalam-Firdaws, qui développe et diffuse des travaux traitant de la culture musulmane. « On bosse à leurs côtés pour informer sur ce qu’est l’agriculture paysanne, ce qu’implique un travail rémunérateur, explique Georges. L’amicale laïque prend, par exemple, des produits pour son centre de loisirs, où les mômes bouffaient jusque-là n’importe quoi pour le goûter. Ces associations organisent également des conférences débats ou viennent à la plateforme pour faire des ateliers cuisine. » Michel Avril, le directeur de l’AFP, témoigne de ce soutien. « On mène un travail de réinformation en diffusant, entre autres, une plaquette dans les collèges et les écoles primaires. On vise un public du quartier et on s’appuie sur le bouche à oreille pour que l’information circule. »

De la viande hallal dans les paniers
Se démarquer de l’image « bobo » qui colle aux Amap et aux paniers paysans n’est pas simple. « On a globalement un bon retour », estime Michel Avril. La mise en place du quotient familial soulage les familles les plus modestes. « On insiste sur le fait que c’est un service auquel même les populations en difficulté sociale ont droit. On leur dit de ne pas s’interdire ce genre de démarche, que c’est aussi pour elles. » Tout l’enjeu pour l’AFP est de redonner du sens afin que les gens adhèrent au projet. « Cela passe par une éducation aux saisons : les gens ont perdu ces repères, et on tente de leur faire retrouver ce rythme-là, souligne le directeur de l’association. Et c’est aussi une sensibilisation au développement local, on montre que c’est générateur d’emplois, de débouchés. On les sensibilise aussi aux difficultés que rencontrent les paysans, notamment les aléas climatiques. »
Lassaad fait partie des gens du quartier qui ont décidé d’adhérer. Entouré de ses cinq enfants, il dispose de 45 euros par semaine pour la nourriture, qu’il reverse dans les paniers familiaux proposés. « C’est moins cher, c’est meilleur pour les enfants et on aide les agriculteurs, tout le monde est gagnant, explique t-il. Quand on n’achète pas, l’autre ne travaille pas. » Ces paniers offrent la possibilité de budgétiser les courses, ce qui n’est pas négligeable pour les familles aux revenus modestes. Ils permettent aussi une certaine souplesse avec la vente en gros de produits de base une fois par mois dans chaque lieu. La possibilité de viande hallal en circuit court fait aussi son chemin.

Des paysans à la rencontre des cités
Vivre au rythme des paysans n’est pas toujours simple, mais les mentalités évoluent. « La preuve, remarque Mickaël, les gens viennent désormais avec leur propre cabas, on a passé la première étape avec le problème des emballages. » À chaque distribution, un paysan est présent, et ce soir-là, c’est Mickaël Martel qui répond aux questions des adhérents. Il a participé aux réunions de création du projet. Pour ce producteur de fromages, pas de doute, le public touché n’est pas le même. « On atteint ici une population qui ne viendra pas forcément au magasin de producteurs dans lequel je suis aussi impliqué. S’engager sur six mois à prendre des paniers paysans, ce n’est pas forcément évident mais là, le coût est variable selon le revenu du client. On croit en ce projet, et c’est pour ça qu’on est là. » De la ferme au quartier compte 24 paysans, dont la moitié environ sont labellisés en agriculture biologique (AB), les autres étant en conversion en bio ou en agriculture paysanne. Des visites de ferme se déroulent régulièrement afin de renforcer le lien entre toutes les parties prenantes du projet.
« Avec De la ferme au quartier, on aide des paysans à le rester avec des prix rémunérateurs fixés de façon concertée », assure Georges. Sur le contrôle des pratiques, l’association se place dans une démarche de respect de la charte de l’agriculture paysanne. « On discute avec les producteurs, on les met en lien avec d’autres producteurs et consommateurs pour faire évoluer leurs pratiques », explique Georges. Récemment, un des producteurs a eu des soucis avec ses poules pondeuses et a dirigé l’association vers un autre producteur. « Ce dernier a reconnu qu’il utilisait des aliments avec des OGM, mais il a accepté d’y renoncer pour travailler avec nous. Dans la mesure où il se met aux compléments alimentaires sans OGM pour ses poules, on a décidé de travailler avec lui tout en lui demandant d’améliorer ses parcours alimentaires. » Pour Gérard, refuser de travailler avec ce type de producteur reviendrait à vouloir s’enfermer dans une niche. « Face à un système productiviste délocalisable, nous voulons tirer les pratiques vers les haut. »

En route vers la coopérative
Imaginé fin 2009 au sein du portail pour l’accès aux droits sociaux [1], De la ferme au quartier réunit pour l’instant 24 paysans et 150 familles de consommateurs. D’ici à 2013, l’objectif est d’atteindre la taille d’une dizaine d’Amap, soit environ 600 familles pour une trentaine de paysans. « L’enjeu, c’est d’augmenter en nombre d’adhérents si l’on veut embaucher, explique Georges. Et pour que les paysans trouvent leur compte financièrement, il faut aussi élargir le nombre de lieux de distribution. » Si certains lieux fonctionnent bien avec une quarantaine d’adhérents, d’autres connaissent des difficultés. Consommateurs, producteurs, militants associatifs s’emploient ces dernières semaines à informer dans les écoles et les entreprises. Les horaires de distribution pourraient aussi s’élargir avec des livraisons débutant à partir de 17 h. “De la ferme au quartier” pourrait devenir une coopérative vers la mi-2013 si, comme l’espèrent ses initiateurs, le projet a atteint son équilibre économique.

Notes
[1] Les initiateurs se sont aussi inspirés de Solid’Arles, une entreprise sociale et solidaire, et d’Alter-Conso dans l’agglomération lyonnaise.

Environnement: 2012, le grand bond en arrière

Raphaël Billé, maître de conférences à Sciences-Po, et Julien Rochette, chercheur invité à l’Institute of Marine and Environmental Law de la faculté du Cap (Afrique du Sud).
Mediapart – 23.01.2012

«Entre le Pacte écologique de 2007, alors adopté par presque tous les candidats à la présidentielle, et les propos méprisants des uns ou les silences des autres aujourd’hui, le grand écart pose question», soulignent Raphaël Billé, maître de conférences à Sciences-Po, et Julien Rochette, chercheur invité à l’Institute of Marine and Environmental Law de la faculté du Cap (Afrique du Sud).

Mais où s’arrêtera-t-il? Depuis deux ans, le président de la République semble avoir sonné la retraite en matière de protection de l’environnement. Après avoir affirmé en mars 2010, devant la profession agricole réunie en son Salon que l’environnement, «ça commence à bien faire», Nicolas Sarkozy vient de récidiver, cette fois lors de ses vœux au «monde rural», en Ariège. Règles environnementales trop «tatillonnes» notamment dans le domaine de l’eau, promesse de «prendre un certain nombre de décisions pour relâcher la pression», critique de «décisions récentes qui ont été prises par le Conseil d’Etat [visant à avancer la date de clôture de la chasse, ndlr] qui sont vécues par une partie de nos compatriotes comme vraiment un souci non pas de résoudre un problème, mais de les empêcher de profiter de ce qu’on pourrait appeler un petit bonheur»…
De telles déclarations sont assez inédites dans la bouche d’un chef de l’État français depuis que l’environnement s’est imposé sur la scène politique il y a près de quarante ans pour ne pas les laisser passer avec le flot quasi quotidien de contradictions, inepties et mensonges que la vie politique française semble vouée à nous réserver sur les sujets environnementaux. Entre le Pacte écologique de 2007, alors adopté par presque tous les candidats à la présidentielle, et les propos méprisants des uns ou les silences des autres aujourd’hui, le grand écart pose question.
D’abord, il n’est pas anodin de noter que le chef de l’État oppose lui-même le monde rural à la protection de l’environnement. Les acteurs qui portent cette cause, bien loin des clichés sur les «écolos urbains», sont aujourd’hui et depuis longtemps fortement implantés dans les zones rurales françaises. De nombreux agriculteurs en font d’ailleurs partie. En les excluant de fait de ses vœux au monde rural, Nicolas Sarkozy dresse une barrière que, sur le terrain, de nombreux acteurs économiques et militants écologistes s’efforcent d’abattre depuis de longues années.
Il est ensuite remarquable que l’exemple pris soit celui de l’eau. S’il est un domaine dans lequel la France se distingue par son incurie et en particulier son non-respect de la législation européenne (directive «nitrates» notamment), c’est bien celui de l’eau. En témoignent les millions d’euros d’amendes payés ces dernières années par l’État français ou encore le problème récurrent et symptomatique des algues vertes en Bretagne. Alors que les caisses de l’État sont vides, que les rivières et côtes françaises tardent à retrouver un état acceptable voire se dégradent encore, est-il bien raisonnable d’alléger le niveau de contrainte environnementale tout en continuant à subventionner des activités polluantes et à payer des amendes pour les pollutions qu’elles occasionnent?
De manière tout aussi insensée, le Président ravive le mythe de l’association toute-puissante: aujourd’hui, dit-il, «n’importe quelle association qui veut empêcher un maire, un élu, une initiative peut le faire (…), il faut absolument lever le pied de ce point de vue». Après avoir limité le droit de participation des associations et fondations au débat sur l’environnement, pourquoi en effet ne pas leur ôter toute possibilité d’action? Supprimons les contre-pouvoirs et autres empêcheurs d’aménager en rond! L’idée n’est pas nouvelle et revient régulièrement sur le devant de la scène politique, portée par des élus désireux de libérer de toute entrave des processus décisionnels qu’ils entendent incarner seuls, comme si le monde n’avait pas changé. La critique est pourtant aussi infondée (le pouvoir judiciaire reste l’arbitre suprême) que la proposition est dangereuse, piétinant l’histoire récente de la protection de l’environnement. Que serait devenue la loi Littoral si des associations n’en avaient pas exigé l’application auprès des tribunaux (1)?
Moins grave peut-être d’un point de vue environnemental, mais fort dérangeant sur le principe, le chef de l’exécutif s’en prend ouvertement à des décisions du Conseil d’État sur la chasse. Or celles-ci ont un caractère juridiquement contraignant, et les responsabilités qui sont conférées au président par la Constitution devraient l’inciter à les appliquer avec empressement, non à les critiquer…
Si tout cela n’était pas profondément inquiétant, on se tiendrait les côtes face à la critique faite à l’excès de réglementation. Le Grenelle, seule initiative à porter au bilan environnemental de ce quinquennat, a accouché de deux lois, 400 articles et un nombre colossal de décrets d’application, certains tardant à être publiés –l’application de la seule loi Grenelle II nécessite 201 décrets d’application! Il a généré une inflation sans précédent dans un temps aussi court des dispositions du droit de l’environnement, que même les plus fins juristes spécialisés ont du mal à maîtriser dans leur ensemble. Ce alors même que les changements induits dans les faits apparaissent de plus en plus mineurs avec le recul.
Mais le plus alarmant est peut-être finalement le silence assourdissant dont de telles déclarations sont entourées. Les associations nationales? Elles sont visiblement occupées ailleurs –à moins que ce ne soient les effets lénifiants du Grenelle qui continuent à se faire sentir. La majorité, et notamment la ministre de l’Écologie, pour laquelle de telles déclarations sont un camouflet personnel supplémentaire? Elle est tout entière dévouée à la campagne qui s’annonce et s’accommode très bien de telles déclarations dans la chasse aux voix qui conditionne la victoire.
L’opposition? Voilà bien longtemps qu’en dehors de quelques convaincus historiques (2), elle se désintéresse d’un sujet dont elle ne comprend visiblement ni les termes, ni l’importance stratégique à long terme, ni la portée politique à court terme. Le débat fugace et décevant qui a eu lieu fin 2011 sur l’énergie et la place du nucléaire ne saurait suffire. Il apparaît plus que jamais essentiel –quoique légèrement désespéré!– de tout faire pour placer la question écologique au cœur des débats politiques cruciaux qui nous conduiront aux élections présidentielles et législatives de 2012.

Les enjeux environnementaux pourront-ils être absents des discussions sur la réforme de la fiscalité, le développement rural et industriel, l’emploi ou la politique urbaine, que le développement durable nous imposerait pourtant de penser de façon systémique? Aussi hallucinant que cela puisse paraître, il semble bien que oui, sauf revirement spectaculaire et désormais inattendu. Les rares bribes de programmes disponibles en dehors du parti spécialisé effleurent à peine la question environnementale, et ce n’est pas le vide sidérant de l’accord de gouvernement PS-EELV à cet égard qui contredira le constat. Il sera en tous cas intéressant de voir avec quel aplomb, quels éléments d’autocritiques ou quelles promesses les différents candidats et leurs représentants défileront au congrès de France Nature Environnement le 28 janvier prochain. Le parti gouvernemental y sera naturellement attendu de pied ferme par les militants, entre gueule de bois post-Grenelle et attaques subies de plein fouet par les associations environnementales. Puissent les autres forces politiques en présence se saisir du boulevard qui leur est ouvert par la majorité!
Ces errements, silences et revirements ne sont hélas pas l’apanage de la vie politique française, et de nombreux pays font aujourd’hui face à un questionnement sceptique quant à l’urgence, voire la possibilité même de prendre efficacement en charge la question environnementale. Les tentatives du vieux monde de se sortir du marasme économique dans lequel il est plongé depuis 2008, autant que la soif intarissable de développement des pays émergents ou aspirant à le devenir, font de la gouvernance internationale de l’environnement un dispositif fragile et contesté. Le projet d’un changement de trajectoire de développement n’a pourtant jamais été aussi nécessaire. Fin juin 2012 se tiendra au Brésil la conférence des Nations unies visant à célébrer les vingt ans du Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, et ses promesses de lendemains durables… Signe des temps, cette conférence a récemment été reportée de quelques semaines pour laisser place à un événement visiblement plus important: le jubilé de la Reine d’Angleterre.

 

(1) En ce sens, voir le rapport du Sénat et le rapport de l’Assemblée nationale publiés en 2004 sur l’application de la loi Littoral.
(2) Voir par exemple la déclaration commune d’Eva Joly et Cécile Duflot, le 18 janvier: «Les propos de M Sarkozy sont très graves et montrent l’état d’esprit dans lequel le président de la république assure ses responsabilités. M. Sarkozy se comporte en braconnier de l’environnement. Il humilie ceux qui ont crû à la sincérité de la démarche du Grenelle de l’environnement et il insulte notre avenir en traitant de façon très légère la question de l’eau, une ressource essentielle et vitale pour l’humanité. »