Articles du Vendredi : Sélection du 31 mai 2019


Climat: pourquoi la crise va s’aggraver
Valéry Laramée de Tannenberg
www.journaldelenvironnement.net/article/climat-pourquoi-la-situation-va-s-aggraver,97798

Les 20 pays les plus riches de la planète ne parviennent pas à se sevrer des énergies fossiles, indique le dernier bilan énergétique mondial d’Enerdata.

Il est d’étonnantes pudeurs. Le 9 mai dernier, Eurostat publiait les derniers chiffres des émissions de gaz carbonique des 28. Divine surprise, la tendance était, pour une fois, à la baisse. Voire à la forte baisse. Entre 2017 et 2018, indiquait l’agence des statistiques communautaires, l’Union européenne a réduit de 2,5% ses rejets de CO2 anthropiques. En tête du peloton des pays vertueux, la France pouvait même s’enorgueillir d’une chute de 3,5% de ses rejets carbonés. Du jamais vu depuis fort longtemps. Or, point de communiqué du ministère de la transition écologique pour célébrer l’événement. Tout juste un petit tweet du ministre de Rugy. On a connu ce gouvernement plus prompt à se féliciter d’un bon résultat écologique.

L’Hôtel de Roquelaure avait peut-être en tête quelques éléments de prospectives énergétiques. Tel le bilan énergétique mondial publié ce mardi 28 mai par Enerdata. Dans son étude annuelle, le consultant spécialisé en politique énergétique brosse le triste tableau de la situation des pays du G20[1], à l’origine de 80% de la demande mondiale d’énergie et d’à peu près autant des émissions de CO2 imputables à la consommation d’énergie.

Avec une croissance économique de 3,8% (comme en 2017), les 20 pays les plus riches du monde ont consommé 11,2 gigaTEP[2] (GTEP) d’énergie: +2,1% de mieux que l’année précédente. Sans surprise, les émissions de CO2 énergétiques ont grimpé de près de 2%. «Nos modèles de développement restent énergivores», constate Pascal Charriau, PDG d’Enerdata.

Ces piètres résultats sont la somme d’une croissance soutenue dans la plupart des pays émergents et développés. Avec des pics d’activité observés en Inde et aux Etats-Unis, deux pays où la production industrielle et d’électricité reste assez carbonée.

Et à propos de carbone, ses jours sont loin d’être comptés. Stimulée par la Chine, l’Inde, la Russie et l’Indonésie, la consommation de charbon du G20 a progressé de 0,7%. Tirée par la pétrochimie US, les SUV et la croissance du parc automobile chinois, la demande de pétrole a, elle, bondi de 1%. «Le peak oil n’est pas pour demain», estime Pascal Charriau. Pour le gaz, c’est encore pire. L’appétit pour les précieuses molécules a progressé de près de 5%. En cause, la multiplication en Chine des centrales à gaz urbaines (pour assainir la qualité de l’air) et la poursuite du développement spectaculaire de la production de gaz de schiste aux Etats-Unis. Peu cher, ce gaz ‘non conventionnel’ ne cesse de tailler des croupières au charbon américain. Ce qui contribue, certes, à décarboner légèrement le secteur électrique d’outre-Atlantique, mais pas totalement. D’autant que le secteur des énergies renouvelables commence à ralentir. A 22.500 térawattheures (TWh) par an, la production d’électricité ‘verte’ a doublé entre 2000 et 2018. Mais le rythme de mise en service de nouvelles installations éoliennes et photovoltaïques marque le pas. La chute des aides publiques chinoises et américaines n’est pas étrangère à ce ralentissement.

Autre indicateur en berne: l’efficacité énergétique. Celle-ci s’est globalement améliorée de 1,5% entre 2017 et 2018. Bien, mais insuffisant pour engager nos économies sur les voies tracées par l’Accord de Paris, et a fortiori la nouvelle stratégie nationale bas carbone.

En résumé, les énergies fossiles nous apportent toujours 80% de l’énergie que nous consommons, une proportion stable depuis des années. Consommation d’énergie et émissions de CO2 battent chaque année de nouveaux records. Pour stabiliser le réchauffement à 2°C, voire 1,5°C, nous devrions réduire de 2,9% par an les émissions globales de GES. «Or, en cumulant les hausses intervenues ces dernières années, ce rythme de baisse des rejets doit désormais être porté à 3,3% par an», commente Pascal Charriau. Un rythme de décarbonation inédit depuis… 1949. La situation peut-elle s’améliorer? Peu probable. En l’absence d’une tarification généralisée des émissions carbonées, les mauvaises habitudes vont perdurer.

[1] Le G20 est un club informel réunissant les 20 pays les plus riches du monde, Chine comprise.

[2] TEP: tonne équivalent pétrole

Festival de Cannes : la palme du gâchis environnemental ?
Source AFP
www.lepoint.fr/environnement/festival-de-cannes-la-palme-du-gachis-environnemental-20-05-2019-2313673_1927.php

 

Sous le strass et les paillettes, la Croisette dissimule un terrible bilan environnemental, alertent les associations écologistes, qui demandent des efforts.

Il y a le tapis rouge. Les stars qui défilent et les appareils photo qui crépitent. Mais le Festival de Cannes cache une réalité beaucoup moins séduisante. Kilos de nourriture jetés, yachts énergivores, atterrissages incessants de jets, berlines transportant les stars sur quelques mètres… Les associations écologistes pointent un « immense gâchis ». « Il y a sans doute énormément de progrès à faire sur l’organisation du festival pour la rendre plus écologique », commentait, vendredi, lors de son passage à Cannes, le militant pro-climat et réalisateur Cyril Dion en lançant un appel au monde du cinéma à agir face à la crise environnementale. Pendant douze jours, la ville qui reçoit les cinéastes du monde entier brille de mille feux, mais, pour l’Association pour la défense de l’environnement et de la nature (Aden), l’envers du décor est moins reluisant et l’événement « hors norme » s’accompagne d’une pollution tout aussi démesurée. « Pendant le festival, la population triple. Or, tous ces gens se déplacent. Les professionnels et artistes viennent en avion à l’aéroport de Cannes et de Nice, une noria de voitures souvent précédées de motards toutes sirènes hurlantes les conduisent aux hôtels afin d’éviter les bouchons, les immenses yachts dans la baie sont obligés de faire fonctionner leurs moteurs toute la journée pour avoir de l’électricité… » énumère la présidente de l’association Geneviève Huchet. Le tapis rouge est changé trois à quatre fois par jour, les prospectus en papier glacé distribués aux festivaliers sont innombrables et s’envolent parfois dans la mer, pointe encore la militante cannoise, déplorant « une consommation frénétique ». En 2015 (dernier chiffre connu en date), le festival a généré 1 900 tonnes de déchets supplémentaires, selon l’association.

Un aéroport très envahissant

Si les festivaliers lambda sont pointés du doigt, les nombreuses célébrités qui défilent sur la Croisette sont en première ligne. « On précède les demandes des stars, on va imaginer leurs envies et commander des monceaux de fleurs, éventuellement changer, à la demande des proches, la décoration de la suite, imaginer ce qu’elles aimeraient manger, même si ça ne sera pas toujours consommé et alors jeté », souligne Geneviève Huchet. Au large, les feux d’artifice tirés sur les yachts qui clôturent les fêtes génèrent une pollution de particules fines avec des éléments qui tombent dans la mer et provoquent des nuisances lumineuses qui perturbent les oiseaux marins, relève l’association. Mais plus que tout, c’est le ballet incessant des jets, qui débute avec le festival et se poursuit durant tout l’été, qui exaspère les habitants proches de l’aéroport. L’aéroport de Cannes, situé dans la ville, a enregistré en 2018 1 700 mouvements (atterrissages et décollages) d’avions d’affaires pendant le mois de mai, soit 54 par jour, contre 1 000 le mois précédent et plus de 2 000 en plein été, selon des chiffres de l’aéroport obtenus par l’Agence France-Presse. Le niveau de bruit peut dépasser les 80 décibels pour les aéronefs qui ont les turboréacteurs les plus bruyants alors que le bruit ambiant, hors événements aéronautiques, est inférieur à 50 décibels, relève l’Association de défense contre les nuisances sonores (ADNA).

Les stars « nous pourrissent la vie »

« Les stars, c’est très bien, mais avec leurs jets bruyants, elles nous pourrissent la vie. On ne peut plus vivre les fenêtres ouvertes pendant cette période », s’agace Albert Dauphin, son président. Pis, déplore-t-il, les habitants doivent s’habituer à retrouver du kérosène dans leur jardin en raison de la combustion incomplète des petits appareils qui effectuent une boucle au-dessus de la zone urbaine. « Contrairement à un lieu commun, je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de gabegie pendant le festival », se défend le maire LR de Cannes David Lisnard. L’élu, qui vient de lancer une grande campagne publicitaire contre l’incivisme, rappelle que le tapis rouge est en matière recyclée et la mer ratissée après chaque feu d’artifice. « Beaucoup de stars s’affichent comme des défenseurs de l’environnement, après, dans la réalité, il y a quelques paradoxes », observe David Lisnard, qui réfute néanmoins tout laxisme vis-à-vis des personnalités. Si l’acteur Leonardo DiCaprio, engagé pour l’environnement et grand adepte des yachts, « vidangeait son bateau dans la baie de Cannes, il prendrait un PV comme les autres », assure l’élu.

L’écologie galvaudée
Claire Lejeune, André Rebelo, Matthieu Ponchel
www.politis.fr/articles/2019/05/lecologie-galvaudee-40450

Tribune. Claire Lejeune, André Rebelo et Matthieu Ponchel du collectif Climat social dénoncent le subterfuge de la liste Renaissance, qui prétend mettre « la transition écologique au cœur de son identité », malgré deux ans de politique anti-écologique par la majorité.  

C’est une conviction populaire trop souvent vérifiée : les politiques trahissent. De promesses non tenues en grands écarts idéologiques, de paroles données en retournements de veste, les exemples sont nombreux et participent à un ras-le-bol citoyen trop compréhensible.

Certaines trahisons font la petite histoire du jour. D’autres ont un impact sur le cours de l’histoire. S’il est aujourd’hui difficile de susciter l’engouement, ou même l’espoir, lorsque l’on se dit de gauche, ce n’est pas parce que le projet originel d’émancipation des travailleurs contredit les aspirations des citoyens, c’est parce que le parti socialiste a trahi les (minces) espoirs qu’il avait suscités en 2012. Avec la loi travail qui n’a fait qu’accompagner une économie destructrice, le CICE qui a renfloué des caisses déjà bien remplies sans créer ces millions d’emplois annoncés, la loi sur le renseignement qui érode nos libertés fondamentales, l’État d’urgence, la guerre au Mali, l’incapacité à endiguer la précarité, à répondre à la crise démocratique, à la pauvreté ou à l’exclusion, la proposition de loi sur la déchéance de nationalité… La gauche avait été élue et pourtant rien de gauche n’est sorti de ce quinquennat.

Et si la gauche ne fait plus rêver, c’est au tour de l’écologie d’être utilisée à des fins électorales. Le message est clair et répété sur tous les canaux de communication possible : une grande liste de rassemblement s’apprête à conquérir l’Europe en plaçant « la transition écologique au cœur de son identité ». C’est la liste de la « Renaissance », celle qui nous permettrait enfin de trancher entre les affreux populistes et les progressistes responsables.

L’écologie transformée en outil marketing

Le subterfuge aurait pu faire effet si nous n’avions pas subi deux ans de politique autoritaire, antisociale et antiécologique qui ne permettent plus le doute. Du « Make our planet great again » au G7 de la biodiversité, le président Macron n’eut de cesse de convoquer l’écologie pour alimenter ses monumentales opérations de communication et longs discours pieux. Une analyse objective de son bilan suffit pourtant à dévoiler la supercherie : de la reconduction du glyphosate à la loi Elan ou Egalim, de la suppression des aides à l’agriculture bio au soutien au projet d’EuropaCity, il n’est plus permis de tergiverser sur les véritables intentions du gouvernement tant il est désormais clair qu’il participe activement à la destruction du monde. Le « projet » de la majorité s’oppose en tous points à l’avènement d’un changement de société en phase avec la crise climatique. Leur langage projette un autre univers, celui des premiers de cordée qui n’essaient plus tant de tirer les autres que de couper la corde pour ménager leur survie dans une planète qui brûle déjà.

Ici l’écologie est galvaudée, transformée en outil marketing opportun afin de capitaliser au maximum sur l’inquiétude grandissante de la population, sans qu’aucun acte consistant ne s’en suive jamais. Dès lors, jouer le jeu dangereux de ces politiques de faux-semblants n’est plus seulement une trahison lorsque l’on est écologiste, c’est une menace pour l’avenir commun.

« On cherche à faire de l’enjeu écologique un axe central qui rassemble autour de lui la diversité des approches et des expériences », écrivaient Daniel Cohn-Bendit et Jean-Paul Besset dans une récente tribune. Ils ne semblent pas comprendre que l’urgence écologique est exigeante et précise. Elle ne s’accommode pas des visions qui font rimer l’écologie avec une adhésion béate à la mondialisation, avec le détricotage des législations qui jusque-là protégeaient nos sites classés, avec un mépris de celles et ceux qui déjà paient le prix de la constitution progressive d’un apartheid social et écologique global. Soyons clairs : l’écologie ne peut pas se contenter d’être la façade verte de politiques néolibérales et productivistes. Elle ne peut pas être une variable d’ajustement des politiques publiques, mais doit en constituer le cœur.

Une orientation globale et non un affichage

L’écologie part d’une prise de conscience existentielle profonde, d’une inquiétude immense, qui se transforme certes par sédimentations successives en programmes politiques bien concrets, mais qui reste toujours alignée avec cette radicalité première. Si la « diversité des approches et des expériences » signifie que nous allons à ce titre transiger avec celles et ceux qui souhaiteraient prolonger le glyphosate ou multiplier les EPR ; si cela signifie nous afficher avec celles et ceux qui espèrent encore préserver la charpente du modèle économique qui ravage la planète, alors nous rejetons fermement cette « diversité » qui ne saurait être qu’un bric-à-brac bancal. L’écologie sera anticapitaliste et résistante ou ne sera pas. L’humanité ne pourra se contenter longtemps d’une écologie de façade, sauf à croire que l’on pourra réconcilier durablement la fausse promesse d’une « centralité de l’écologie » avec le centrisme politique du « en même temps », dont les atermoiements tartuffards ne sont plus un secret pour personne

Il y a de ces moments dans l’histoire humaine où les choses se cristallisent, où nous sentons que les choses se précipitent. Les choix politiques de notre génération se doivent d’assumer une responsabilité décisive, celle de tenir courageusement la promesse d’une écologie de transformation et d’en activer les multiples ressorts pour la défense du vivant et de la justice sociale. L’écologie n’est pas « centrale » au sens où elle pourrait accueillir en un point d’équilibre toutes les sensibilités ; l’écologie est centrale au sens où elle est principielle, primordiale, vitale. Si l’écologie n’est pas un vain mot, elle est une orientation globale et non un affichage, un engagement profond qui ne s’accommode en aucun cas d’un renoncement constant aux appels de la finance. Ainsi notre responsabilité n’est pas d’œuvrer à la Renaissance d’un système économique destructeur pour le vivant, mais de lutter en faveur d’un réveil commun. En multipliant les roulades hypocrites et en investissant le débat public d’une communication de bon aloi, les premiers de cordée ont suffisamment fait renaître leur monde, il est désormais temps de sauver le nôtre : le monde commun, terrestre et fragile.

Par Claire Lejeune, André Rebelo et Matthieu Ponchel de Climat social, un collectif de militant.e.s engagé.e.s pour la défense de l’écologie politique telle que définie dans sa charte à travers l’organisation d’événements ou la participation à des mouvements d’actions directes. Leur blog ici.

« Les marches climat ont placé l’écologie au sommet des agendas politiques en Europe de l’Ouest »
Simon Persico
https://reporterre.net/Les-marches-climat-ont-place-l-ecologie-au-sommet-des-agendas-politiques-en-Europe

En Europe, les écologistes sortent renforcés et devraient peser au Parlement. En France, le bon score des Verts signale la place prise par l’écologie à gauche. Quels enseignements européens et français tirer de ce scrutin ? Simon Persico en propose une analyse.

Simon Persico est professeur de sciences politiques à Sciences Po Grenoble et au laboratoire Pacte.

 

Reporterre — En France, la liste Europe Écologie arrive en 3e position avec 13,1 % des suffrages. Est-ce une surprise ?

Simon Persico — Oui, personne ne s’y attendait. Cette incapacité des sondeurs à saisir les rapports de force pour les élections européennes n’est pas nouvelle. Mais elle est un signe d’une forte volatilité des électeurs, surtout dans un champ politique en recomposition à droite (voyez la chute des Républicains) et à gauche (au bénéfice des écologistes). Alors qu’on annonçait un équilibre entre les différentes listes de gauche, Europe Écologie s’est ainsi fait le réceptacle de votes d’électeurs sensibilisés aux questions écologiques sans être forcément des écolos convaincus, mais en tout cas mobiles dans les espaces très proches de l’écologie et de la gauche. Plus largement, les écologistes ont bénéficié de la dynamique du mouvement social écolo : les marches et les grèves pour le climat ont structuré la vie sociale de la période, y compris pendant le mouvement des Gilets jaunes. Cela a placé l’écologie au sommet des agendas politiques en Europe de l’Ouest.

Les Verts progressent également en Allemagne, en Belgique, en Grande-Bretagne. Peut-on parler d’une dynamique européenne ?

On observe une poussée des Verts presque partout en Europe de l’Ouest et du Nord. C’est beaucoup moins vrai, il faut le rappeler, dans les pays d’Europe centrale et orientale ou du Sud, où les écologistes restent très faibles. Cela étant dit, ils font des scores historiques en Allemagne, en Finlande, en Irlande, au Luxembourg et connaissent une poussée dans la plupart des autres pays, comme la France, les Pays-Bas ou le Royaume-Uni. Cette progression s’inscrit dans le temps long : depuis plus de trente ans, cette famille politique franchit des paliers, au fur et à mesure des scrutins. Après un ralentissement à la fin des années 1990, la dynamique a repris, alimentée par la montée de l’urgence climatique, mais aussi par l’effondrement des systèmes partisans traditionnels, qui ouvre des espaces politiques. En Allemagne, par exemple, l’excellent score des Grünen se fait au détriment des sociaux-démocrates. Comme l’explique très bien mon collègue Pierre Martin dans son ouvrage récent Crise mondiale et systèmes partisans, les grands partis de gouvernement ont perdu leur capacité de structurer et de dominer la vie politique.

Qu’est-ce que ça peut changer au niveau européen ?

Le groupe des Verts va passer de 50 à 70 parlementaires, ce qui leur donne une marge de manœuvre plus importante pour faire avancer leurs idées. Au Parlement européen, tout se joue dans la recherche de majorités ponctuelles. Pour faire voter des textes, il faut pouvoir constituer une majorité au-delà de son propre groupe politique, donc faire des compromis. C’est ainsi que les Verts ont fait interdire la pêche électrique ou renforcé la protection des lanceurs d’alerte. Par ailleurs, ils vont peut-être obtenir des positions de pouvoir, des vice-présidences de commissions par exemple, ce qui renforcera leur capacité politique, via la mise à l’agenda de certains thèmes notamment.

Les positions plus centristes et libérales des Verts allemands ne pourraient-elles pas affaiblir les marges de manœuvre du groupe vert européen ?

On a souvent tendance à caricaturer les divisions internes aux écologistes, en dépeignant le tableau des Grünen qui seraient de droite. Mais il faut savoir raison garder : si les Grünen sont indéniablement moins critiques à l’égard du capitalisme que les Verts français ou danois, ils sont loin d’être défenseurs du néolibéralisme. À Bruxelles, toutes les familles politiques sont divisées. En réalité, le groupe des Verts européens est celui qui vote de la façon la plus homogène. Et deuxième point intéressant : alors même que les Grünen pèsent beaucoup dans le groupe, ses votes sont souvent similaires à ceux des députés de la GUE (la Gauche unitaire européenne), par exemple sur les traités commerciaux. On est loin, me semble-t-il, de l’apologie du libéralisme débridé.

À l’inverse, ces élections voient aussi la consolidation des votes anti-écolos de l’extrême droite.

Effectivement. L’effondrement des partis classiques permet une avancée des écolos, mais surtout de l’extrême droite. En France, il ne s’agit pas tant d’une poussée que d’une stabilisation haute du Rassemblement national (RN). Mais comme ces partis d’extrême droite ne cherchent pas à jouer le jeu des institutions européennes, et sont plutôt dans une opposition systématique, cela ne devrait pas changer grand-chose au niveau européen. Ce qui va compter, ce sont les négociations entre les familles de partis prêtes à jouer un rôle constructif dans le futur parlement. Qu’obtiendront les Verts dans ce cadre-là ? Jusqu’où sont-ils prêts à aller ? Il est trop tôt pour répondre.

Cette élection positionne-t-elle l’écologie politique comme un mouvement ancré à gauche, ou au contraire comme une force transpartisane ?

L’écologie politique est de plus en plus clairement ancrée à gauche. Rappelons d’abord que plusieurs partis verts européens, au Danemark et aux Pays-Bas par exemple, viennent de la gauche et sont devenus verts, en siégeant au Parti vert européen (PVE) dans un second temps. Il n’existe en revanche aucun parti de droite devenu vert. Autre élément de réponse, la dynamique verte dans la plupart des pays provient de l’affaiblissement des sociaux-démocrates.

En France, où la division gauche-droite a toujours joué un rôle très structurant, le socle de valeurs de gauche a évolué au fil du temps. Il y a d’abord eu l’anticléricalisme, la défense de la république, puis la redistribution des richesses, les avancées sociétales, et maintenant, l’écologie, qui est venue apporter une dimension supplémentaire à ce que signifie « être de gauche » : c’est désormais, de plus en plus, être pour la solidarité et la redistribution des richesses, bien sûr, mais aussi, de plus en plus, contre le productivisme et pour la protection des écosystèmes.

Dans l’espace politique de gauche, il est difficile de ne pas adopter de position écologiste. Ainsi, au-delà des Verts, de nombreux électeurs partagent le même socle de valeurs, autour de la solidarité et de l’écologie. Ils ont voté pour la France insoumise, pour le PS, pour la liste de Hamon, pour Europe Écologie dimanche dernier… Il existe désormais un espace de valeurs harmonisé à gauche.

Un espace de valeurs harmonisé, mais dans le même temps, une fragmentation des partis de gauche… Avec leur bon score, les Verts sont-ils en position de force pour une éventuelle recomposition de la gauche ?

La vie politique française, avec la place centrale que joue l’élection présidentielle, oblige à des formes de composition, au-delà des familles politiques. Pour gagner des élections, sauf les européennes, qui se font à la proportionnelle, il faut constituer des alliances. Je ne crois pas cela dit que la capacité de la gauche écologiste de peser lors des présidentielles passera par une nouvelle organisation politique qui fonderait ensemble les Verts, la France insoumise, l’aile gauche du Parti socialiste. Aucun d’entre eux n’est en position de convaincre la totalité des autres de venir derrière lui, et aucun leader n’est indiscutable à ce stade. Ajoutons à ça que les organisations politiques meurent rarement — regardez le Parti radical, par exemple, qui continue d’exister malgré sa quasi-disparition de la vie politique française.

Cela étant dit, avec un tel score, EELV peut jouer un rôle important dans la recomposition au sein de l’espace de gauche écologiste. Il faudra pour cela renforcer nettement un parti très faible du point de vue de son organisation : peu d’adhérents, peu de cadres, peu de ressources financières. Il faudra également accepter de jouer un rôle important, mais qui ne peut pas être hégémonique, dans la constitution d’un arc politique. Cela passe par des alliances — et des succès — lors des élections municipales. S’ils comptent arriver relativement unis, et donc crédibles, lors des échéances de 2022, les partis de gauche et écologistes n’auront pas beaucoup d’autres choix. S’allier sans se renier, c’est tout le défi. Sans oublier le travail important à faire, en parallèle, avec le mouvement social.

Justement, la France a connu un mouvement social d’une ampleur inédite, les Gilets jaunes, qui ne se retrouve pas dans les urnes… comment l’interprétez-vous ?

Il n’y pas de relation directe entre un mouvement social et des résultats électoraux. Le mouvement des Gilets jaunes a accaparé un espace politique important, de par sa durée et ses modes d’action. Mais on a parfois surestimé la taille du mouvement en termes de personnes mobilisées ; au plus fort des protestations, il n’y a pas eu plus de monde que lors de mobilisations qui ont beaucoup moins marqué l’agenda, comme celles contre la loi El Khomri. Par ailleurs, que les Gilets jaunes n’aient pas trouvé de débouché politique cette fois-là n’est pas une surprise. D’abord parce qu’ils ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur l’idée de présenter une liste commune. D’autre part parce que, parmi les Gilets jaunes, on trouve beaucoup de précaires, qui sont très éloignés de la politique. D’après une enquête de terrain à laquelle j’ai participé, seulement 50 % des Gilets jaunes de notre échantillon étaient allés voter à la présidentielle (contre 80 % des Français) ! Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils ne soient pas allés voter cette fois encore.

Quelles conséquences cette poussée de l’écologie politique peut-elle avoir en France, notamment sur la politique de M. Macron ?

La stratégie de la République en marche a montré ses limites. Elle a réussi à attirer sur la liste Renaissance des personnalités issues d’EELV, Pascal Canfin et Pascal Durand — soit dit en passant, cette incapacité à conserver dans son giron les cadres qu’il a contribué à former est une autre faiblesse du parti vert français. Mais cette stratégie n’était justifiée et défendue publiquement qu’en termes électoraux — il s’agissait, par un effet de com’, de prendre des voix aux Verts. Il n’y a jamais eu de transformation de fond, si ce n’est un programme pour les européennes très audacieux, mais peu crédible tant il était à rebours des politiques menées nationalement. En définitive, LREM arrive derrière le RN, et n’est pas parvenue à capter le vote écolo. Peut-être vont-ils se dire qu’il est vraiment temps d’en faire un peu plus en matière d’écologie, mais ce n’est pas sûr, au contraire. Par certains points, la situation peut rappeler celle de 2009. Après le score historique d’Europe Écologie aux élections européennes, Sarkozy avait très vite mis le holà, déclarant que « l’environnement, ça commençait à bien faire ». Emmanuel Macron n’est pas dans la même position que Nicolas Sarkozy — son espace politique penche un peu plus vers le centre. Mais il y a toujours un risque à placer haut sur l’agenda politique des enjeux qui bénéficient plus naturellement à vos concurrents.

Zergatik lotsatu hegazkinez bidaiatzeaz, trena hartzea baino merkeagoa baldin bada?
Argia
www.argia.eus/argia-astekaria/2646/zergatik-lotsatu-hegazkinez-bidaiatzeaz-trena-hartzea-baino-merkeagoa-baldin-bada

Suedian gero eta bidaiari gehiagok hautatzen omen du trena hegazkinaren ordez, klimaren krisiaz kezkatuta, atmosferara CO2 gutxiago isuri nahian. Suediaz harago ere gertatzen ari da: suedieraz flygskam deitzen dutena ingelesez diote flight-shame, nederlanderaz vliegschaamte, alemanez flugscham… Euskal Herrira iristen bada, hegaldatzeko lotsa. Baina nola ahalgetu hegan egiteaz, Baionatik Parisera –pentsa urrunago…– merkeago bazoaz hegazkinez trenean baino?

Greta Thunberg trenez iritsi zen Stockholmetik Erromaraino joan den apirilean, klimaren aldeko aldarria zabaltzeko biran.

Europako gazteria aspaldian inork gutxik bezala inarrosarazi duen Greta Thunberg apirilaren 25ean itzuli zen Suediako bere etxera Europan zehar 11 eguneko bira eginda. Stockholmeko geltoki nagusian hartu zuen lurra eta ez aireportuan, bidai osoa trenez egina zelako: apirilaren 14an abiatuta, 16an hitzaldia Estrasburgon Europako Legebiltzarrean, 17-18an Erroman eta tartean Vatikanoan Frantzisko aita santua ikusten, 21-23an Londresen Extinction Rebellionekoekin egotera eta 25ean etxera.

Thunberg ez da hegazkinari uko eginez trena hartu duen bakarra. BBC telebista ingelesak kontatu ditu Suediatik Espainiako Andaluziaraino trenez bidaiatzea hautatu duten familien istorioak. Beste herrialde batzuetan bezala Suedian ere herritar askok sentitzen du hegaldatzeko lotsa, klimaren aldaketari hainbeste kalte egiten diola jakin arren hegazkina hartu izanagatik errudun sentitzetik abiatuta.

Bidaiariok ohiturak aldatu eta trenez egiten dituzte beren joan-etorri profesionalak eta bakantzak, harro aldarrikatuz sare sozialetan. Facebooken  daukaten orria aurten bertan 4.000 zaletutik 77.000ra handitu da BBCk dioenez. Herritarron elkarrizketetan aipatzen dira hegaldatzeko lotsa [flygskam], trenaren harrotasuna [tagskryt] eta ezkutuka hegazkina hartzea [smygflyga], iruzurra.

Neguan eguzki bila atzerri urrunetara bidaiatzeko ohitura zabaldua daukan Suedian azken urteotako lehenbiziko aldiz gutxitu egin dira hegaldiak, 2019ko lehe hiru hilabeteetan iaz epe berean baino 378.000 gutxiago irten dira hegan, adituek diotenez hango herritarren artean klimaren krisiaz zabaldu den kontzientzia hartzearen lekuko. Antza denez, suediarrek bereziki nabaritu dituzte tenperaturen igotzearen lehen eraginak naturaren erritmoen aldaketetan bezala jendeen eguneroko bizimoduan, eta sakrifizio pertsonal batzuk beren gain hartzea deliberatu dute, edo gutxiago bidaiatuz edo bidaiatzekotan garestiago den trena hautatuz.

Hegazkinek kutsadurari eta klimaren krisiari dagioten kaltea kalkulu ofizialetan oso azpitik jota dagoela aspalditik ari dira salatzen zenbait aditu. Berrikitan The Conversation webgunean Aurelien Bigo unibertsitariak  honakoa idatzi du: “Hegazkinezko bidai batek 1.500 aldiz gehiago kutsatzen du trenez egindako batek baino”. Xehetasun argigarriak eskaintzen ditu.

Garraiobideen alderaketa egiteko gehienetan bakoitzak kilometroko zenbat CO2 emititzen duen kalkulatzen da.

Horren arabera, hegazkina da kutsatzaileena, automobila ia maila berekoa eta trenaren kutsadura 45-ez biderkatzen dute biek. Baina hegazkinak bien aldean oso distantzia handiak korritu ditzakeenez denbora berean, ez ote da komeni beste faktore bat ere zaintzea?

Kalkulua bidai-orduko egin dezagun. Euskaldun bat prest baldin badago bakantza lekura iristeko 10 orduz bidaiatzeko, autoz Espainia edo Frantzia zeharkatu ahal izango ditu, baina hegazkina hartzen badu kontinente osoa eta gehiago. Bigoren kalkuluetan, hegazkinezko bidai batean herritar batek autoz joandako batek baino 125 bider CO2 gehiago isurtzen du eta trenez bidaiatu duenak baino 1.500 gehiago. Zer ikusirik ez soilik kilometroka egindako alderaketetatik.

Kutsadurak eta zergak barkatuta

Baina merezi ote du herritarrak kezkaraztea beren ametsezko asteburu batean  Londresera edo Bartzelonara hegazkinez joateagatik, ibilgailu horri ez badagokio kalkulu ofizialetan klimaren aldaketa eragiten duen CO2-aren isurketen %0,8 baizik?

Frantziako datuak dira, ez galdetu existitzen ez den Euskal Herriko estatistikarik, arren. Nazio Batuen klimari buruzko biltzarretan itsas eta aireko garraioak kontabilizatzen ez badira, zergatik beldurtu herritarra?

Kontua da, dio Bigok, nazioarteko hegaldiak kalkuluetan sartuz gero garraioei dagokiela planetako CO2 isurketen %1,5 –Frantziak isurien %4,4, euskaldunok ez gara atzetik ibiliko–, ez da mesprezatzeko kutsadura. Baina, gainera, CO2a ez da hegazkinen kutsaduraren atal bat baizik, gehitu behar zaizkio klimarentzako txit kaltegarriak diren NOx nitrogeno oxidoa eta gas gehiago, atmosferaren oso goiko geruzetan isuriak, denetara garamatzatenak kopuruak bi halakoz biderkatzera.

Alabaina, IATA Aire Garraioko Nazioarteko Elkarteak aurreikusi du 2050 bitartean bidaiarien trafikoa bikoiztu egingo dela. Bidaiariak %3,5 ugarituko omen dira urtero baina hegaldien industriak eraginkortasun energetikoa hobetuko du urtero… %1,5. Klimaren krisia arintzerik ezin horrela espero.

Industriaren arrakastaren neurritzat balio dezake Europar Batasuneko hegazkinen kutsaduraren handitzeak: 1990tik 2014ra artean %110 gehiago. “Nola ulertu hegazkinaren arrakasta hau?”, galdetu du Olivier Maryk Reporterre aldizkarian plazaratutako “Les avions ne payent pas d’impôts mais polluent au maximum“ [Hegazkinek ez dute zergarik pagatzen baina kutsatzen nagusi dira] analisian. “Erraza da: urte luzez industria aeronautikoak metatu dituen pribilegioei esker. Batetik abantaila fiskalak eta bestetik CO2 kuoten sistema, sektorea bizi da sasoi aldirik onenean”.

Hegazkin konpainien arrakasta oinarritzen da Chicagoko 1944ko Itunean, zeinetan estatuek hitzartu baitzuten nazioarteko hegaldietarako kerosenoak zergarik ez edukitzea. Geroztik  salbuespen hori zabaldu zitzaion estatu barruko hegaldietarako erregaiari, kerosenoa bihurtuz fiskalitate orotatik libre den erregai fosil bakarra.

Europar Batasunak, horrela galdu ditu urtean 10.000 miloi euro kobratu gabeko zergatan. Baina, hori gutxi balitz, hegaldien industriak urrea atera dio klimaren aldaketaren kontrako estrategiari ere: 2012ko kopuruak aipatuz, Maryk dio CO2 kuoten merkatuan 700 milioi eta 1,36 miliar euro artean irabazi zutela.

Horiek eta gehiago dira lanean hasi aurretik gazte europar asko ikasketa bidaian Cancunera ez bada New Yorkera edo Baliraino joatea korriente bihurtu duten abantailak, hurbileko mugimenduetan ere abioiak gero eta garraiobide ohikoago bilakatu dituztenak, kalte gutxiago eragiten duten garraiobideei preziotan irabazita.

Alabaina, batetik hegazkin eta autobusen konkurrentzia subentzionatua, bestetik AHT berrietarako desbideratutako inbertsioak, trenbide sare klasikoak gain behera etorrita daude. Gaur, garestiago ordaindu arren Europa trenez zeharkatzen tematu bazara, senperrenak ikusi behar dituzu ibilbide eta ordutegiak jakiteko ere. Esnobismoa, burugogorkeria ala erresistentzia baketsua? Flygskam sentitzen dutenek, hegazkinaz lotsatutako suediarrek, elkarri sare sozialetan laguntzen diete zailtasunak gainditu eta trenezko bidaiak antolatzen.