Articles du Vendredi : Sélection du 27 juillet 2018

Jean Jouzel : “Il y a un risque qu’il ne soit trop tard pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique”

Tara Schlegel et Eric Chaverou
www.franceculture.fr/sciences/jean-jouzel-il-y-a-un-risque-qu-il-ne-soit-trop-tard-pour-lutter-contre-le-rechauffement-climatique-de-facon-efficace

Environnement : « Les risques et les limites du “en même temps”»

Stéphane Foucart, journaliste au « Monde »
www.lemonde.fr/idees/article/2018/07/07/environement-les-risques-et-les-limites-du-en-meme-temps_5327675_3232.html

« Il faut faire coïncider la notion de territoire avec celle de subsistance »

Nicolas Truong
www.lemonde.fr/series-d-ete-2018-long-format/article/2018/07/20/il-faut-faire-coincider-la-notion-de-territoire-avec-celle-de-subsistance_5334260_5325928.html

Juan Sebastian Elkanoren Mundu Biraren V. Mendeurrena
Zer dugu ospatzeko? Zer dute ezkutatzeko?

Axier Lopez
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Jean Jouzel : “Il y a un risque qu’il ne soit trop tard pour lutter efficacement contre le réchauffement climatique”

Tara Schlegel et Eric Chaverou
www.franceculture.fr/sciences/jean-jouzel-il-y-a-un-risque-qu-il-ne-soit-trop-tard-pour-lutter-contre-le-rechauffement-climatique-de-facon-efficace

Canicule en France, en Suède ou au Japon, avec des records de chaleur dans le monde entier et des incendies meurtriers. “Le réchauffement climatique est bien là”, explique le climatologue Jean Jouzel, qui détaille son mécanisme et son évolution.

Un record absolu de chaleur a été battu en Suède, près du cercle polaire, à Kvikkjokk, le 17 juillet dernier avec 32.5°C ! Plus largement, la Scandinavie vit des températures inédites et l’Organisation météorologique mondiale (OMM) prévoit des températures supérieures à la normale jusqu’à début août, de l’Irlande aux pays Baltes, en passant par la Scandinavie. La canicule a aussi investi le Japon, la Grèce, la Sibérie ou Los Angeles, avec des dizaines de morts, notamment liées à des incendies géants. En décembre dernier, pour la première fois, une étude publiée dans le “Bulletin of the American Meteorological Society” concluait que le réchauffement était le seul responsable du record de chaleur global pour 2016 et d’une canicule extrême en Asie. Climatologue et glaciologue, ancien vice Président du groupe scientifique du GIEC, Jean Jouzel revient sur les causes de ce réchauffement climatique et ce que l’on peut en attendre.

Etes-vous surpris par l’ampleur de ces incendies ?

Non. C’est malheureusement ce qui est envisagé en cas de réchauffement climatique et le réchauffement climatique est bien là. Dans le cas de la Grèce, ce sont des périodes de sécheresse autour de la Méditerranée, avec on l’a vu, malheureusement, pas mal de morts. Et c’est une situation assez exceptionnelle dans le Grand Nord, en Scandinavie. Mais elle va normalement devenir de plus en plus fréquente.

On est vraiment dans le contexte du réchauffement climatique lié aux activités humaines, et ces événements – feux de forêts en Europe et décès liés aux canicules – vont se multiplier.

Dans le Nord de l’Europe, les températures sont inégalées. Comment cela peut-il s’expliquer ?

Oui, ce sont des records. Des températures qui vont au-delà de 30 degrés, voire 35 degrés, au Nord du cercle polaire sont inédites dans ces régions. C’est lié à un système de hautes pressions qui se maintient et qui risque de se maintenir jusqu’à la fin de ce mois. S’y ajoute une période de sécheresse extrêmement longue. Nous avons donc tous les ingrédients pour des feux de forêts. En plus, ces pays ne sont pas du tout préparés aux incendies.

Il faut voir aussi que le réchauffement climatique en Scandinavie est en moyenne deux fois plus rapide qu’il ne l’est à l’échelle de la planète. Il y a donc une amplification des températures dans les hautes latitudes nord qui est très visible depuis un siècle et qui va se poursuivre.

Cela est lié en particulier à la fonte des glaces de mer et des surfaces enneigées. Il y a moins de zones enneigées actuellement qu’il y a trente, quarante, cinquante ans. Or ces surfaces ont la propriété de renvoyer une large partie du rayonnement solaire vers l’atmosphère. Ce n’est pas le cas des zones de forêts, de toundra ou de l’océan libre qui ont remplacé la neige. Elles absorbent au contraire largement la chaleur et les rayonnements solaires. Cela explique en partie le fait que les températures augmentent deux fois plus rapidement dans les régions de l’Arctique qu’elles n’augmentent en moyenne globale.

Ces zones de hautes pressions qui stagnent sur la Scandinavie sont conjoncturelles, mais sommes-nous aussi face à un phénomène de long terme ?

C’est effectivement la question. Tout le problème est de savoir si ces zones de haute pression sont liées au réchauffement climatique global. D’après les météorologues, elles devraient se prolonger toute la semaine. En tous cas, elles s’inscrivent dans un réchauffement climatique que nous décrivons depuis longtemps. A l’échelle planétaire, 2018 est la troisième année la plus chaude que nous ayons connue, après 2016 et 2017. On reste bien dans un contexte de réchauffement global avec des records qui sont battus. Et cela va devenir de plus en plus fréquent dans le monde, à mesure que le réchauffement climatique va se mettre en place. Il va falloir s’y habituer.

C’est ce que nous disons, nous, climatologues depuis trente ans. Par exemple en France, même d’ici 2025, on aura des températures record de 2 à 3 degrés plus chaudes qu’elles ne le sont actuellement. Aujourd’hui, les températures record tournent autour de 42, 43 degrés en France. A l’échelle d’une dizaine d’années, elles pourraient arriver à 45 degrés. Et si le réchauffement climatique n’était pas maîtrisé, on pourrait aller au-delà de 50 voire 55 degrés dans certaines régions de l’Hexagone, dès la deuxième moitié de ce siècle. Et en Europe, si rien n’est fait pour lutter contre le réchauffement climatique, pratiquement deux tiers des habitants auront à faire face à des extrêmes climatiques. En cas de réchauffement non maîtrisé, il risque d’y avoir d’ici la deuxième moitié du siècle, 50 fois plus de décès liés aux catastrophes climatiques qu’actuellement. Aujourd’hui, on déplore 3 000 décès par an, on risque d’avoir 150 000 décès par an, en Europe, liés essentiellement aux périodes de canicule. On a ce sentiment que l’Europe est un continent moins vulnérable que d’autres, ce qui est bien le cas. Mais l’Europe est quand même très vulnérable au réchauffement climatique. On le vit actuellement avec le problème de ces feux de forêts très importants. Ces risques vont aller en s’amplifiant. Ce sont des choses que nous répétons continuellement, depuis vingt ans, trente ans. Mais il faut vraiment que les gens aient à faire face à ces difficultés pour qu’ils en prennent conscience. Et malheureusement, il y a un risque qu’il ne soit trop tard pour lutter contre le réchauffement climatique de façon efficace. C’est aussi très clair. On rentre dans un autre monde, c’est maintenant qu’il faut agir.

Sommes-nous entrés dans la phase d’emballement du réchauffement climatique qui est très redoutée ?

Non. Ce qui se produit en Europe actuellement est dans la ligne de ce qu’on anticipe. Il n’y a pas de déraillement du train, et on en est bien loin. Le problème est que même sans être sortis des clous en matière de climat, la montée normale des températures que l’on envisage se traduit forcément par des extrêmes plus extrêmes et en particulier des vagues de chaleur qui deviennent de plus en plus fortes. Cette année, c’est en Europe. En 2010, c’était plutôt en Russie. On battra de plus en plus fréquemment des records, c’est inhérent au réchauffement moyen des températures.

Tout ce réchauffement est-il attribuable aux gaz à effet de serre ?

L’essentiel de ce réchauffement est attribué aux activités humaines. En premier lieu, notre utilisation de combustible fossile, qui dégage du gaz carbonique – premier contributeur à l’augmentation de l’effet de serre. Les activités agricoles contribuent aussi aux émissions de méthane et de protoxyde d’azote. Mais pour 80%, il s’agit des gaz carboniques qui sont liés à notre utilisation du pétrole et du gaz. Et, si nous voulons être en mesure de tenir l’objectif de l’accord de Paris, il faut aller très rapidement vers une transition énergétique qui nous amène vers une société bas carbone.

Il faut voir que nous sommes partis pour des réchauffements de 3 degrés et demi en moyenne globale, donc des étés de plus en plus chauds et des décès de plus en plus importants, y compris en Europe. Il faut prendre la mesure de ces projections qui sont à la disposition de tous les citoyens et de tous les médias. Mais ce sont des choses, je le répète, que l’on dit depuis trente, quarante ans.

Environnement : « Les risques et les limites du “en même temps”»

Stéphane Foucart, journaliste au « Monde »
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La publication, mercredi 4 juillet, du plan pour la biodiversité porté par Nicolas Hulot, le ministre de la transition écologique et solidaire, est l’une des plus frappantes illustrations du « en même temps » cher à Emmanuel Macron — et de ses limites. Il faut préserver l’environnement, et « en même temps » autoriser sa destruction. Il faut établir des principes protecteurs de la nature, et « en même temps » les rendre les plus inoffensifs possibles.

L’un des axes majeurs du plan est ainsi de parvenir à la fin de l’artificialisation nette des terres agricoles et des espaces naturels — dont le rythme est insoutenable —, mais c’est l’exécutif qui a fait appel de la décision de justice annulant la création de la zone d’aménagement du projet EuropaCity qui prévoit la construction, sur 280 hectares de terres agricoles d’Ile-de-France, de centres commerciaux et de parcs de loisirs. Et c’est encore le gouvernement qui a donné son imprimatur au « Grand contournement ouest » de Strasbourg, un projet autoroutier contesté de plus de 300 hectares.

Le plan présenté met aussi l’accent sur la préservation de la biodiversité dans les territoires d’outremer et à l’étranger. Mais le gouvernement envisage d’accorder à un consortium russo-canadien une concession minière dans la forêt guyanaise, en dépit des dégâts écologiques irréparables que provoquerait une telle exploitation. Et c’est encore le gouvernement qui autorise l’importation, par Total, de plusieurs centaines de milliers de tonnes d’huile de palme, dont la production est l’une des causes majeures de déforestation dans l’archipel indonésien.

De fortes pressions

Il faut aussi lutter contre la prolifération du plastique, lit-on dans le plan. Il y a urgence car des microplastiques, on en retrouve désormais partout. Mais c’est encore le gouvernement qui a blackboulé un amendement destiné à interdire l’utilisation de plastique dans les cantines scolaires, lors de l’examen en première lecture, par l’Assemblée, du projet de loi agriculture et alimentation. « J’ai été très surpris que le gouvernement rejette cet amendement et cède au lobby du plastique, s’est d’ailleurs étonné, dans Le Parisien, le sénateur Xavier Iacovelli (PS, Hauts-de-Seine). C’est à la fois un enjeu de santé publique et une nécessité absolue en matière de réduction des déchets. Le plastique est devenu un véritable fléau. » Préserver la faune des campagnes françaises ? C’est une nécessité, lit-on dans le plan. Mais cela n’empêche pas le gouvernement de réfléchir, à voix haute, à une baisse de 50 % du coût du permis de chasse… Ni de soigneusement éviter l’inscription, dans la loi agriculture et alimentation, de toute mesure d’interdiction du glyphosate d’ici à 2021, conformément à la promesse présidentielle. Or l’utilisation des pesticides en général est l’un des facteurs-clés de l’effondrement de la biodiversité dans les campagnes françaises, où 30 % des oiseaux ont disparu au cours des quinze dernières années.  Sur ce dossier, les pressions semblent d’ailleurs avoir été singulièrement fortes. Le Parisien a ainsi déniché quelques cocasseries, comme ces trois députées de La République en marche qui ont voté contre l’amendement interdisant le glyphosate, après avoir signé une tribune dans Le Monde appelant à son interdiction. Une autre élue LRM, elle, est allée jusqu’à voter contre son propre amendement, qui prévoyait aussi l’interdiction de la substance controversée.  Déposer un amendement et « en même temps » voter contre lui, préserver et « en même temps » détruire, faire et « en même temps » ne rien faire… S’agissant d’environnement, le « en même temps » macronien perd de son élégance rhétorique.  La société et l’économie ont des souplesses que les lois de la nature n’ont pas : dès lors qu’il s’agit de réalités matérielles, le « en même temps » devient la manifestation d’une forme banale de dissonance cognitive, cette disposition d’esprit qui nous incline à ne pas croire en ce que nous savons.

« Cette question me taraude »

Celle-ci peut aller très loin. Le 2 juillet, on a ainsi pu voir le premier ministre Edouard Philippe et Nicolas Hulot, dans un « Facebook Live » (un exercice de communication dans lequel de hauts personnages de l’Etat deviennent, l’espace d’une demi-heure, des sortes de youtubers répondant face caméra aux questions d’internautes) consacré à l’environnement, deviser tranquillement sur les enseignements d’Effondrement (Gallimard, 2006 ; Viking Penguin, 2005), l’une des oeuvres majeures du biologiste et géographe américain Jared Diamond.

Dans cet essai important sont rassemblés des exemples historiques montrant que des sociétés incapables de s’adapter aux bouleversements — naturels ou anthropiques — de leur environnement, ont sombré dans le chaos économique, social et politique, pour finalement disparaître. Ou qu’au contraire, des sociétés qui prennent de bonnes décisions, en temps et heure, peuvent surmonter des contraintes environnementales fortes…

Les deux ministres présentent, ainsi, la lutte pour la préservation de l’environnement comme un enjeu littéralement vital pour la société. « Cette question me taraude beaucoup plus que certains peuvent l’imaginer, a dit M. Philippe. Comment fait-on pour que notre société humaine n’arrive pas au point où elle serait condamnée à s’effondrer ? »

Face à des tels enjeux, assumés comme vitaux au sommet de l’Etat, le plan biodiversité présenté trois jours plus tard est sous-financé, ne repose que sur des mesures incitatives et n’est en aucune manière en mesure de ralentir le rythme effréné auquel la vie s’érode. Pourquoi une telle timidité face à l’importance du défi ? Edouard Philippe le sait bien : nul n’a jamais pu mettre en évidence une société qui serait parvenue à s’effondrer et, « en même temps », à ne pas s’effondrer.

« Il faut faire coïncider la notion de territoire avec celle de subsistance »

Nicolas Truong
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Etre nature (1/7). Pour le sociologue Bruno Latour, il est urgent de transformer les questions d’écologie en questions de territoire afin de sortir de la crise politique et environnementale.

Invité aux Controverses du Monde au Festival d’Avignon, le sociologue Bruno Latour explique comment sortir de l’impuissance politique face aux dévastations écologiques. Les alertes lancées par des scientifiques contre la destruction de la biosphère se multiplient. Plus de 15 000 d’entre eux, issus de 184 pays, ont mis en garde dans la revue « BioScience », dont « Le Monde » a publié l’appel le 14 novembre 2017, du danger de voir l’humanité pousser « les écosystèmes au-delà de leurs capacités à entretenir le tissu de la vie » et ont sommé les responsables politiques de tout mettre en oeuvre pour « freiner la destruction de l’environnement ». Pourtant, rien ne semble se passer. Pourquoi un tel décalage entre l’urgence de l’alerte et l’absence de prise de décision des politiques ?

Quand on lit en première page du Monde un titre comme celui du 14 novembre 2017 – « Il sera bientôt trop tard» –, dans une police prévue pour le déclenchement d’une guerre atomique, et que dans l’édition du lendemain aucune mobilisation particulière n’est annoncée, cela perturbe gravement.

Dans les pages « Planète », vous multipliez les alertes par les scientifiques. Un jour, ce sont les insectes ; un autre jour, ce sont les sols qui disparaissent ; ensuite, c’est la disparition du trait de côte. Et dans les pages « Politique », il ne se passe rien, ou pas grand-chose. A force, comment voulez-vous que nous réagissions ? Toutes ces nouvelles qui n’entraînent aucune réaction, cela finit par nous miner. Ou bien les pages « Planète » ont raison, mais alors, pourquoi ne pas réagir ? Ou alors, si nous ne réagissons pas, c’est que ces pages racontent n’importe quoi. C’est la raison principale, d’après moi, du scepticisme pratique sur les questions écologiques : des alertes non suivies d’effet entraînent forcément le doute sur leur validité. « A force de crier au loup… »

Autrefois, les scientifiques étaient les gens rassis et les politiques, ou les citoyens, les gens qui s’agitaient en tous sens. Aujourd’hui, c’est le contraire : ce sont les scientifiques qui s’agitent, qui s’angoissent, qui alertent, et ce sont les politiques, vous, moi, qui restent froids comme des concombres. J’exagère évidemment en disant que l’écologie fait baîller d’ennui. Beaucoup de gens se sont mobilisés. En un sens, tout le monde sait parfaitement à quoi s’en tenir.

Ce qui mine de l’intérieur, ce qui rend fou, c’est la déconnexion entre l’ampleur des découvertes scientifiques et l’impuissance où nous nous trouvons de les métaboliser et d’en faire de l’action politique à la bonne échelle. C’est une affliction psycho-morale : l’impuissance croit en proportion de l’imminence des catastrophes.

Pourquoi les émotions mises en jeu ne sont-elles pas les mêmes selon que l’on demande à la population de défendre la nature (elle baîlle d’ennui, dites-vous) ou de défendre son territoire (là, elle se mobilise, assurez-vous) ?

Ma solution est grossière mais elle est à la mesure de l’urgence : arrêtons un moment de  parler d’écologie, de nature, de salut de la planète, de protection de la biosphère. Pourquoi ? Parce que cela renvoie toujours à quelque chose d’extérieur, quelque chose que l’on considère comme à travers une vitre, qui nous concerne peut-être, mais à la marge. Vous aurez remarqué qu’il en est tout autrement dès qu’on parle de territoire. Si je vous dis : « Votre territoire est menacé », vous dressez l’oreille. Si je vous dis : « Il est attaqué », vous êtes tout feu tout flamme pour le défendre.

« La différence est énorme dans les réactions suscitées entre défendre la nature et défendre un territoire, et c’est cette différence qui m’intéresse »

La différence est énorme dans les réactions suscitées entre défendre la nature et défendre un territoire, et c’est cette différence qui m’intéresse. Car évidemment, dans la plupart des cas, les deux alertes pointent vers des phénomènes qui sont strictement les mêmes.

Si je dis à un agriculteur : « Votre sol aura disparu dans dix ans », est-ce que je  parle de la nature, dont il se fiche comme de sa première récolte, ou de son territoire, qu’il est prêt à défendre bec et ongles ? Des deux, bien sûr. Le  problème, évidemment, c’est que nous n’avons à peu près plus aucune idée de ce qu’est le territoire sur lequel nous vivons. Si bien que ce même agriculteur va se rendre malade en détestant les écologistes, qu’il croit être ses ennemis, tout en assistant, impuissant, à la disparition de son sol. Ma conviction est qu’il faut transformer toutes les questions que l’on attribuait naguère à l’écologie dans des questions de territoire, d’occupation et de défense des sols. Ce qui était extérieur, la nature, il faut la faire passer sous vos pieds, le territoire. Et là, on regarde comment les gens vont réagir. C’est dangereux de dire les choses ainsi, parce que ça flirte un peu avec la pensée dite réactionnaire, mais c’est un passage essentiel.

Pourquoi les « réacs », comme les « progressistes », se trompent-ils ?

Parce que justement, la question du territoire permet de rebattre les cartes des positions, et donc tous les affects politiques. Quand nous avions l’oeil sur la globalisation, l’intérêt pour le territoire était considéré comme négatif, comme une preuve d’archaïsme, d’attachement ancestral et, en effet, réactionnaire. Mais maintenant que la globalisation est mise en doute, faute de territoire, je veux dire faute d’une terre assez vaste pour contenir tous les rêves de modernisation, brusquement, dans tous les pays à la fois, voilà que l’on prétend revenir aux frontières des anciens territoires nationaux. C’est vrai aux Etats-Unis comme dans le Royaume-Uni du Brexit, aussi bien qu’en Italie, en Hongrie, etc.

« S’il y a un piège dans lequel il ne faut pas tomber, c’est de croire que le seul choix serait entre la globalisation sans terre habitable et l’Etat-nation sans définition concrète d’un sol réel »

Mais ce retour au territoire est encore plus un            e fiction que la globalisation. Il est national, il est défini par des frontières étanches, il n’a économiquement aucun sens concret et, évidemment, du point de vue de toutes les choses qui définissent réellement un sol, un terrain, un lieu de vie, il est d’une totale abstraction. Vous n’allez pas faire tenir la question du climat dans les frontières de l’Etat-nation. Pas plus que celle des migrations. S’il y a donc un piège dans lequel il ne faut pas tomber, c’est de croire que le seul choix serait entre la globalisation sans terre habitable et l’Etat-nation sans définition concrète d’un sol réel. C’est pourquoi je propose de parler du « terrestre » : le terrestre est un troisième pôle, un troisième attracteur si vous voulez, qui est défini tout simplement par le fait que vous faites coïncider les notions de territoire avec celle de « subsistance ». A partir de ce moment, tout peut commencer à changer.

Pourquoi la question de la subsistance viendrait-elle modifier la répartition des affects politiques entre gauche et droite ?             

Il faut que vous acceptiez de prendre les choses à l’envers : un territoire, ce n’est pas la circonscription administrative, par exemple la ville d’Avignon, c’est ce qui vous permet de subsister. Etes-vous capables de définir ce qui vous permet, vous, de subsister ? Si oui, alors je prétends que la liste que vous pouvez dresser de vos conditions de subsistance définit le territoire que vous habitez. Peu importe si vous devez y inclure des éléments répartis sur la Terre entière. Ce n’est pas l’espace qui définit un territoire mais les attachements, les conditions de vie. Et j’ajouterais que vous avez un territoire si vous pouvez le visualiser et, bien sûr, que vous tentez de le faire prospérer et de le défendre avec et contre d’autres qui veulent se l’approprier. Des questions liées : subsistance, visualisation, protection et défense. Mais supposez que vous n’ayez aucune idée précise de ce qui vous permet de subsister, ou une idée tellement abstraite que vous restiez suspendu en l’air, pratiquement hors sol, quand je vous pose la question : « Qui êtes-vous, que voulez-vous, où habitez-vous ? » Eh bien, je prétends que n’ayant pas de monde concret à décrire, vous êtes devenus incapables de définir vos « intérêts » et qu’ainsi, vous ne pourrez plus articuler aucune position politique vaguement défendable. Je prétends que la situation actuelle de retour général à l’Etat-nation derrière des murs vient directement de cette totale impossibilité de préciser quels intérêts on défend. Comment avoir des intérêts si vous ne pouvez pas décrire votre monde ? L’exemple du Brexit peut servir d’illustration : vous bénéficiez des crédits européens et vous votez contre l’Europe : pourquoi ? Parce que vous n’avez pas pu décrire concrètement ce  qui vous permet de subsister. Je peux maintenant répondre à votre question sur la politique : si les partis ont quasiment disparu à gauche comme à droite, c’est parce qu’ils sont devenus incapables de décrire les conditions de subsistance, et donc les conflits de subsistance, de leurs mandants. Pas de monde, pas d’intérêt, pas de politique, c’est aussi simple que ça. C’est pourquoi je suis obsédé par cette affaire de description.

Vous allez jusqu’à dire que de nouveaux cahiers de doléances permettraient de sortir de la crise environnementale…

Parce qu’il y a dans l’épisode des cahiers de doléances de janvier à mai 1789 exactement l’opération d’autodescription qui manque aujourd’hui. On demande à des gens de décrire leur territoire de subsistance en même temps que les injustices qu’ils y détectent et les moyens d’y mettre fin, c’est-à-dire la doléance. La doléance, c’est le contraire de la plainte inarticulée. C’est un cahier qui décrit les injustices – les amis et les ennemis si vous voulez – et qui propose des réformes, mais après avoir décrit avec une extrême minutie comment ceux qui le rédigent font pour subsister.

« Sans description préalable des conditions de vie, personne n’a d’idée particulière sur ce qu’il convient de faire »

Aussitôt que la description devient précise, les conflits apparaissent, les lignes de front se dessinent, on peut mouliner de la politique, alliances et retournements compris. Cela n’a rien à voir ni avec l’enquête objectivante faite de l’extérieur par des statisticiens de passage – les 60 000 cahiers de 1789 sont autant d’autodescriptions – et cela n’a rien à voir non plus avec de la démocratie participative – « Quelles sont vos idées sur ce qu’il faudrait faire ? ». Sans description préalable des conditions de vie, personne n’a d’idée particulière sur ce qu’il convient de faire. Avoir une position politique, ça dépend d’un travail. Ça ne se communique pas par des tweets. D’après les historiens de l’époque, l’autoconstitution du peuple français vient en grande partie de cette procédure. C’est la raison de mon intérêt pour elle : peut-on, en période de réaction généralisée, recharger la politique en permettant aux gens de décrire à nouveau ce qui leur permet de subsister, et donc d’avoir des intérêts, et donc des doléances, et donc une position politique. C’est tout ce processus que je nomme « retour au territoire ». Cela n’a rien à voir évidemment avec le « retour à la terre », de triste mémoire…

Comment pourriez-vous vérifier si vos hypothèses sont exactes et si cela permettrait à des gens de retrouver, grâce à la description, une quelconque assise politique ?

Si vous m’autorisez à distribuer aux festivaliers qui sont assis devant nous un très simple questionnaire, avec juste trois questions, et que vous leur laissez une heure ou deux pour y répondre, je vous parie que nous les transformons en partie en une assemblée politique de doléance, simplement parce qu’ils devront se concentrer de nouveau sur cette question de subsistance.

Evidemment, le groupe que nous formons ce matin est tout à fait artificiel, personne ne nous a convoqués et personne ne m’a mandaté, mais nous pouvons en faire une approximation. D’ailleurs, à Avignon, si c’est un peu du théâtre, cela ne peut pas être retenu contre nous !

« Ne nous précipitons pas sur la version agrégée de la politique avant d’avoir réussi à nous situer sur un territoire concret »

Ce qui compte, c’est de bien remplir la première question (faites la liste des entités qui assurent votre subsistance) avant de vous précipiter sur la dernière (faites la liste de ce ou ceux qui vous empêche(nt) de prendre soin de votre territoire).

J’ai fait déjà plusieurs fois de tels exercices et je sais que sans cela, les premiers participants vont se précipiter l’un pour dire qu’il faut d’abord « renverser le capitalisme », et le suivant qu’il faut « sauver la planète ». L’exercice est tout différent. Ne nous précipitons pas sur la version agrégée de la politique avant d’avoir réussi à nous situer sur un territoire concret. L’image de la politique, il faut la recomposer pixel après pixel. N’ayez crainte, tout ce que vous vouliez défendre en parlant de nature s’y retrouvera forcément.

 

Bruno Latour est philosophe et sociologue des sciences, professeur émérite associé au Médialab de Sciences Po. Il a écrit de nombreux ouvrages et articles sur l’anthropologie du monde moderne et sur notre relation à la nature : « Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie » (La Découverte, 1999), « Face à Gaïa. Huit conférences sur le nouveau régime climatique » (La Découverte, 2015). Son dernier livre, « Où atterrir ? Comment s’orienter en politique » (La Découverte, 2017) est une réflexion sur les moyens intellectuels et politiques de changer un monde où les hommes sont « privés de terre ».

Juan Sebastian Elkanoren Mundu Biraren V. Mendeurrena
Zer dugu ospatzeko? Zer dute ezkutatzeko?

Axier Lopez
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Sarean bilaketa azkar bat egin eta hitz loriatsuak baino ez ditugu aurkituko Juan Sebastian Elkanoren inguruan. Espainiako orriek gogoraraziko digute globalizazioa eta merkataritza bide berriak irekitzen munduari egindako ekarpena. Euskarazkoetan, aldiz, jatetxe, txakolin eta turismorako dei artean, euskaldunok itsasoan munduko onenak ginela goresteko fetitxe bat agertuko zaigu. Munduari buelta ematen lehena izan zela azpimarratzen dute guztiek. Mundu Biraren V. Mendeurrenaren makineriak prest du Elkano marka. Baina historia ez denez sekula neutroa, kazetaritzaren antzera, zer gordetzen dute, zer saltzeko?

Getariako udaletxe aurreko plazatxoa. Asteazkena, 08:20. Lau katu kalean. Parean dudan estatuari argazkia egiten dion bigarren pertsonarengana hurbildu eta: “Barkatu, ba al dakizu hori zein den?”. “No idea, but I like the photo”, dinosta Donostiatik Juan Sebastian Elkanoren jaioterrira heldu den turista australiarrak. Euskal Herrian ezer gutxi dakigu Elkanoren inguruan, zer eskatuko diogu bada gu bisitatzera datorrenari?. Ezezagutza hori oso orokortua dagoela dio Nikanor Lertxundi (EH Bildu) alkateak: “Ezjakintasun handia dago, estereotipo galantak daude, Getarian zein hemendik kanpo. Elkano ezaguna da munduari buelta emateagatik, baina hori da dakigun ia gauza bakarra”. Eta, egiari zor, hori ere ezbaian dago. Zenbait historialariren ustez, Magallanesek 1519an abiatu eta 1522an Elkanok burutu zuen munduaren bira ez zen historian egindako lehena izan. 100 urte lehenago, 1421 eta 1423 bitartean, Txinako Zhu di enperadoaren itsas-espedizioko kideak izan ei ziren munduaren biribiltasuna frogatzen lehenak.

Domina zein paparretan jarri baino, gauza bat ziurra da: hemendik eta 2022ra bitartean, Elkanori buruz inoiz ez bezala entzun, irakurri eta ikusiko dugu. Mundu biraren bosgarren mendeurrenari begira diskurtsoak, produktuak eta ekimenak prestatzen hasi dira Espainiako eta bertako erakundeen bultzadaz. Elkano marka etxean eta munduan barrena zabaltzera doaz, bakoitzaren egungo interes politiko, ekonomiko eta mundua ulertzeko era propiotik abiatuta.

Elkanoren “balentriak”

Juan Sebastian Elkanoren bizitzaz dagoen informazioa oso urria da. Bere testamentua da iturri nagusietako bat, baina hutsune asko dago. Noiz jaio zen ere ez dago argi. 1487 inguruan sortu zen, Katalina Portu eta Domingo Sebastian Elkano getariarren bederatzi seme-alabetako bat izan zena. Mediterraneo eta Atlantikoko merkataritzan aberastutako itsas-gizona zen aita, herriko dirudun handienetako bat. Amerikako konkista eta genozidioaren hasierako urte horietan irekitako negozioei segida eman zionetako bat izan zen Juan Sebastian elkanotarren familian.

200 upeleko itsasontzi baten armadorea zen. Hainbat espedizio militarretan parte hartu zuen Gaztelako erresumaren eta kristautasunaren interesen alde. Armekin eta gupidarik gabe borrokatu ziren pertsona boteretsuekin aritu zen getariarra. Horietako bat Francisco Jiménez de Cisneros Espainiako Inperio katolikoaren babesle porrokatua izan zen. Ezaguna da, besteak beste, arabiar guztiak kristauarazi egin behar zirela defendatu eta Nafarroaren burujabetasunaren aurkako erasoak babestu zituelako, besteak beste. Cisneros, Inkisizioaren buru zela, Ipar Afrika konkistatzeari ekin zion eta Oran, Bugia eta Tripoliko sarraskietan parte hartu zuen Elkanok haren zerbitzura. Oran hiriaren konkistan 4.000 pertsona hil zituzten, beste iturri batzuek 10.000ra igotzen dute kopurua. Errege katolikoen agintari militar nabarmenena izan zen Gonzalez Fernandez de Cordoba kapitainarekin ere ibili zen Elkano, Napoli konkistatzeko borrokan eta inguru hartako beste kanpaina militar batzuetan.

Zorrak pilatzen ere abila izan ia zen Elkano. Merkatari savoiarrei ala bankari genoarrei –ez dago argi nori– dirua eskatu zien. Zorra kitatu ezinik, itsasontzia eman zien ordainetan. Horregatik Getariatik ihes egin behar izan zuen, Gaztelako erresuman delitu larria baitzen atzerritarrei itsasontzia saltzea. Sasira jo eta Sevillara heldu zen.

Sevillako Kontratazio Etxean zeuden euskaldunei esker –batzuek senideren bat aipatzen dute–, bera ezagun bilakatuko zuen espediziora batu zen. Elkanorentzat aukera paregabea zen gainera, Magallanesen espedizioaren bidaiarientzat hitzartutako onuretako bat baitzen aurretik egindako delituak barkatzea.

Espeziak urrearen pareko ziren garai hartan, nola edo hala Espezien Uharteetarako bidea osatzea zen helburu nagusia. Eta hala, 1519ko abuztuaren 10ean, abiatu ziren bost itsasontzitan nazionalitate askotako 234 gizon (horietako bat esklabu malaysiarra). Elkano Concepción ontziko maisu jarri zuten.

Hiru urteko bidaian gertatutakoaz, Antonio Pigafetta italiarrak eta Francisco Albo gaztelarrak idatzitako egunerokoei esker dakigu gehienbat.

Nekez irudika dezakegu zer den garai hartako teknologiarekin, itsasbide zehatzik gabe, horrelako bidaia luze bat burutzea. Gorriak eta bi pasatu zituzten: gosea, egarria, gaixotasunak, erasoak, matxinadak, enbatak… Baina haiek ere, garai hartako konkistatzaileen antzera, gorriak pasarazi zizkieten bidean aurkitutakoei, pertsonak basapizti ala merkantzia gisa harturik.

2008an Gari Berasaluze getariarrak idatzi eta Dani Fanok ilustraturikoa da Elkanoz euskaraz dagoen liburu bakarra. Bere bizitza, ibilera eta espedizioei buruz dauden informazio iturri apurrak erabiliz, oso biografia gomendagarria da gaira hurbiltzen hasi nahi duenarentzat.

Kroniketan jaso zutenez, hilketak eta bahiketak usu gertatu ziren bidaian. Argentina hegoaldeko tehueltxeekin hartu-emana izan zuten lehen europarrak izan ziren. Patagon izena jarri eta “basati itxura” hartuta, otoitz egiten irakatsi nahi izan zieten, baita bi gatibu ereman ere Erregeari oparitzeko. Marianetako Guam irlan, Lapurren Uhartea deitu zuten horretan, 50 etxe eta kanoa erre eta zazpi lagun hil zituzten. Kronikak dioenez, “hangoek ez zituztenez geziak ezagutzen, erraz akabatu zituzten”. Filipinetako Cebun, Gaztelako Erregeari men ez egiteagatik, Bulaia herria suntsitu zuten. Handik gutxira Magallanes hil zuten, inguru hartako indigenen aurkako eraso batean. Bruneitik pasatzean, asko hil eta 19 bruneitar esklabu eraman zituzten. Tartean, agintari postuan, Magallanes ordezkatu zuen Juan López de Carvalhok “beretzat” hartu zituen hiru emakume. Bost itsasontzietatik bakarra geratu zenenean, Elkano zen espeziaz goraino beteta zegoen Nao Victoriaren nagusi. Berarekin batera, 43 europar eta bateko eta besteko 13 bahitu zeuden. Cabo Verdera heltzean, Elkanok esklaboak erosi zituen itsasontziaren konponketetan laguntzeko.

Eta hala, hamaika pasarte lazgarriren ostean, 1522ko irailaren 6an heldu ziren Sanlucar de Barramedara. Hiru urte lehenago abiatutako 234 gizonetatik 18 baino ez ziren itzuli – lau euskal herritarrak ziren–. Tira, hori da historia ofizialak dioena, baina errealitatea da 21 pertsona itzuli zirela. Elkanok bidean gatibu ekarritako hiru indigena ere bizirik heldu baitziren. Nonbait bahitutako hiru “indiar basati”. Historia eurozentristak izen, jatorri eta aurpegirik gabe utzitakoak.

Elkanok, ospeaz gain, onura ekonomikoa ere atera nahi zuen bidaiatik. Ondorengoa eskatu zion Carlos V.a enperadoreari: Gaztelako Armadaren beste espedizio batean kapitain izatea, Moluketan kolonizatutako lurretan gotorleku bat berari ematea eta Santiago Ordena militar eta erlijiosoaren zaldun izendatzea. Ez zuen horietatik ezer lortu. Urtean bostehun dukateko pentsioa eta bere armarrian primus circumdedisti me esaldia –egun Getariako sarreran irakur daitekeena– jartzeko baimena eman zion Gaztelako Erregeak.

Berriz itsasoratu aurretik, Indonesiako Molukak norenak ziren erabakitzeko portugaldarrekin izandako negoziaketetan parte hartu zuen Elkanok, Cristobal Colonen seme Hernandorekin batera Espainiaren interesak defendatuz. Ez zuten akordiorik lortu. 1525ean berriz abiatu zen Moluketara, bigarren kapitain gisa. Bidean hil zen Elkano. Kapitainek eta ofizialek marinelek baino hobeto jateko eskumena zutenez, haragi hobea zuten arrain tropikalek kutsatu zioten ziguatera gaitzak hil zuen. Itsasora bota zuten gorpua.

“Elcanoren espedizioa Espainiako Armadaren aparteko balentria izan zen”

Espainiako Erregearen hitzak dira, Elkanoren V. Mendeurrenari babesa adierazteko urtarrilean Madrilgo Zarzuelan egin zuten ekitaldian esandakoak. Espainiar nazionalismoari beti baliagarri gertatu zaion pertsonaia da Elkano, baita diktadura frankistari ere. Orduko Espainiako Inperioaren handitasuna iradokitzen duen elementu ororekin egiten duten gisan. Ikuspegi horretatik bakarrik uler daiteke, Espainiako Gobernuak Elkanoren V. Mendeurrena antolatzeko ardura Defentsa Ministeriori eman izana, kultura sailarekin batera. Sustatzen hasi diren Elcano markaren helburu politikoak oso argi azaldu zituen Odon Elorza diputatu donostiarrak bere blogean 2017ko azaroan: “Espainiako herrien historia komunaren pasarte garrantzitsu hau hauspotu behar dugu. Oso komenigarria da gogoraraztea euskal herritarrak izan zirela punta-puntako protagonistak, Espainiako Koroak sustatutako enpresa kolektibo horretan eta, oro har, Espainiako Erresumaren itsas-kanpainetan (militarrak)”.

Espainiako Gobernuak “aparteko interes publiko” izendatu du mendeurrena eta pizgarri eta hoberi fiskalak eskaini dizkie –%90era artekoak– mundu birari buruzko ekintzak antolatu edo hedatuko dituzten elkarte eta enpresei. Elkanoren balentriak mundura saltzeko lehen proiektuetako bat martxan da jada: 25 milioi euroko aurrekontua duen Sin límites filma, The Hobbit eta Game of Thrones superprodukzioetan aritutako profesionalekin, Simon West ingelesaren zuzendaritzapean. Miguel Menéndez de Zubillaga filmaren ekoizle bilbotarraren hitzetan, “Elkano da Espainiako konkistatzailerik garbiena, ez baitu alde negatiborik. Ez zuen ezer txarrik egin, aurkitzaile bat izan zen, heroi outsider bat da, Blas de Lezo eta Don Pelayoren parekoa. Ez dugu lan historikorik egingo, abentura eta akziozko filma izango da”.

Paraleloki, Andaluzian eta Euskal Autonomia Erkidegoan mendeurrenari heltzeko ekimen propioak sortu dituzte.

 “Elkanok ordezkatzen du euskaldunok izan ginena eta egun garena”

‘Mundu bira 500: Elkano Fundazioa’ iazko uztailean sortu zuten, eta ordutik lanean ari da. Ondorengoek osatzen dute patronatua: Eusko Jaurlaritzako Industria sailburu Arantxa Tapia, Kultura sailburu Bingen Zupiria, Gipuzkoako Ahaldun Nagusi Markel Olano eta Gipuzkoako Kultura eta Turismo saileko buru Denis Itxaso, Urola Kostako Mankomunitateko lehendakari Igor Iturain, Getariako Aitor Urresti (EAJ) eta Floren Iribar (EH Bildu) zinegotziak eta Nikanor Lertxundi alkatea. Fundazioak langile bakarra du momentuz, zuzendari lanetan ari den Ion Irurzun, aurretik Gipuzkoa Berritzen egitasmoan aritua.

Irurzunen hitzetan, fundazioak orain dela 500 urteko sakoneko kontuei jarriko die azpimarra. Adibidez, “orduan itsasontzien %90 hemen egiten zirela edota euskal marinelek mundu zabalean izan duten izen ona; euskaldunok itsas-kulturarekin dugun harremana landu eta zabaldu nahi dugu eta Elkanorena hito bat da, marka bat”. Ikerketa sustatzea, Elkanoz gehiago jakitea, lehen zeregin handietako bat izango dutela dio, “aurreiritzirik gabe”. Horretarako, fundazioaren aurkezpenean adierazi zutenez, “kultura, turismoa, industria, merkataritza eta hezkuntza arloen sustapena izango du xede eta ardatz, Getariako marinelak egindako balentria balioan jarriz”.

Xabier Alberdi: “Aparteko enpresari gisa ikusten dut Elkano, ADEGIko presidente baten antzera. Arrakasta nola edo hala lortzeko zer egin behar den pentsatu eta esango duen Jose Luis Korta bat”

Fundazioak bere egin duen ikuspegi historiko eta diskurtsoaren egile eta dibulgatzaile nagusietako bat Xabier Alberdi historialari zarauztarra da. Donostiako Ontzi Museoko zuzendari zientifikoa eta Pasaiako Albaola Faktoriako ikerketa burua da. Albaola ezagun egin da azken urteotan itsas-kulturan eta horren bueltako garapen teknologikoan euskaldunok munduan izan dugun aparteko garrantziaz egindako dibulgazio lanarengatik. Juan Sebastian Elkano ere diskurtso horretan txertatu dute Alberdik eta Mundu Bira Fundazioak orduko euskal gizonen itsas-balentrien ikur gisara aurkeztuz. 2017ko uztailean Deiari eskainitako elkarrizketan hala definitzen zuen Elkano: “Estratega handi bat, aparteko enpresari gisa ikusten dut, ADEGIko presidente baten antzera. Abentura sena duen ekintza gizon bat. Arrakasta nola edo hala lortzeko zer egin behar den pentsatu eta esango duen Jose Luis Korta bat. Ez gara jabetzen Elkanok egin zuenaren tamainaz eta gainera euskaldunok ez dakigu gure burua saltzen”. Mundu biraren mendeurrenaren garrantziaz galdetuta, ondorengoa zioen Alberdik Diario Vascon 2016an: “Nazio garatuek badute prestigiatze politika bat. Herri batek atzerrian negozioak egin nahi baditu, ez da gauza bera herri prestigiotsua izatea ala herri ezezaguna izatea”. Alberdik azaldutako apustu horren erakusgarri, Albaolak Elkanoren Victoria ontziaren erreplika egiteko enkargua jaso du, Gipuzkoako Aldundiak eta Pasaiako eta Getariako Udalen bermearekin.

Baina kontakizun epiko horretan Elkanok badu “berezitasun bat”. Gauza bat da euskaldunek itsasoz lurralde urrunetara heltzeko garatu zuten gaitasuna eta industria goratzea, arrazoia izanik Kantauriko baleak ia desagerrarazi arte akabatu zituztelako. Baina oso bestelakoa da euskaldunon enbaxadore bilakatu nahi izatea kulturak eta herriak odolusten inoiz izan zen Inperiorik eraginkorrenetako baten langile leiala.

Marketinak nekez estaliko ditu horren kontraesanak. Adibidez, hala zioen otsailean Aitzol Azurtza euskal diasporako kideak Berrian: “Euskal herritarrentzat Elkano heroi abenturazale ausartaren eredua izan daiteke, baina diasporan bizi garenok ezin dugu Elkano eredutzat hartu, espainiar konkistatzaile itxura duelako”. Euskal Diasporaren Eguna ospatzeko Eusko Jaurlaritzak irailaren 8a –Elkano eta gainontzeko itsasgizonak Sevillara iritsi zireneko data– hautatu izanaz kexu zen.

Klase politiko osoak erosi du bertsio akritikoa

Gerratik eta konkistatik urrunarazitako Elkanoren bertsio idiliko hori bere egin dute erakunde publikoek, EH Bildutik PPra arteko babesarekin. 2015ean Eusko Legebiltzarrak aho batez onartu zuen EAEko erakunde publikoek mendeurrenari garrantzi estrategikoa ematea eta Euskal Herria mundura zabaltzeko Elkanoren figura baliatzea. Onartutako testuan, zein alderdien hitzartzeetan, ez da Elkanok Espainiako Inperioaren zerbitzura egindakoari buruzko aipu kritiko bat bera ere agertzen. EAJ, PSE-EE, EH Bildu, PP eta UPyDk bat egin zuten. 73 bozka, 73 alde. Parekorik ez duen kontsentsu politikoa gaur egunean ere hainbeste ika-mika eragiten duen garai ilun horien inguruan.

“Mezu ofizialari darion eurozentrismoaz” kritiko mintzo da Miguel Jimenez Getariako historialaria. “Beti aipatzen dute zer nabigatzaile onak ziren eta zer gaitasun handiak zituzten. Baina gizon zuri europarrak ez diren guztiak, masa indigena eta emakumeak adibidez, bigarren mailako bilakatzen dituzte kasurik onenetan, eta anonimo kasu gehienetan. Lehen eta orain”.

Gerratik eta konkistatik urrunarazitako Elkanoren bertsio idiliko hori bere egin dute erakunde publikoek, EH Bildutik PPra arteko babesarekin.

 

 

Idoia Arrieta historialari getariarrari lotsagarri egiten zaio orain 500 urte egindakoa justifikatzeko orduko testuingurua ezberdina zela argudiatzen dutenean. “Gaur egun ere testuingurua existitzen dela ahazten zaie, gerrak nonahi daude eta denok ez gara gerrazaleak, denok ez goaz munduko beste puntara jendea hiltzera boteredunen interes ekonomiko eta politikoen mesedetan. Gerra Zibila ere justifikatuko dugu? Itsasontzian hainbat emakumezko sexu-esklabo izateko bahitu izana ere ulertu beharko dugu? Non dago muga?”. Jimenezen ustez, orduan egindakoak bakarrik har daitezke normaltzat mentalitate konkistatzaile baten arabera, “orduko eskema mental berdina errepikatzen ari dira orain, Elkanok eta enparauek globalizazioa eta garapena ekartzen lagundu zutela diote. Galdeiezu, esaterako, Patagoniako jatorrizko herriei Mendebaldeak eroandako garapenaz”.

Elkano ez da Agirre, Cortes edo Pizarro

Gerra eta bortxatik aparteko kontakizuna sortzeko Elkanoren bidaiaren helburuak merkataritzarekin lotu dituzte. Baina hori zalantzan ipintzen duten datu esanguratsuak daude. Batetik, bidaia egiteko eraman zuten ekipamendua. “Magallanesek eramandakoa eta Hernan Cortesek –konkistatzaile genozida izan zela inork ezbaian jartzen ez duen bat aipatzearren– erabilitakoa paretsuak ziren”, dio Arrietak. Berpasa dezagun Magallanes eta Elkanoren bost itsasontzietan kargatutakoa, horren datu zehatzak baitaude. Bi urtetarako elikagaiak eta itsas-tresneriaz gain, “indigenak limurtzeko” labanak, ispiluak, guraizeak, orraziak, zapiak eta lepokoak. Eta amarru horiek funtzionatzen ez dutenerako: 110 artilleria pieza, kanoiak, falkoiak, bonbardak, sutautsa, 50 eskopeta, 60 balezta, 1000 lantza, 360 dozena saieta, 95 dozena dardo, eta gerrarako beste hainbat tresna eta arma.

Bestetik, Amerikako kolonietako merkataritza monopolioa kontrolatzeko eratu zuten Errege Katolikoek Indietako Kontratazio Etxea, eta haren bitartez lotu zuten Elkanoren espedizioa. Helburu zehatza ezarri zien itsas-gizonei: bidean aurkitutako “landare, animalia eta gizaki berriak” ekartzea.

Eta azkenik, Carlos V. Erregeak Magallanesekin adostutako kontratuaren ezaugarriak, kapitulazioak, oso esanguratsuak dira. Hala dio, bidaian “konkistatutako lurren gobernadore eta ‘adelantado’ izango dira espedizioko buruak”. Ohiko sari bat da orduko kanpaina militarretan. “Lurralde berriak erregearen menpe jartzeari kolonizazioa deitzen zaio. Elkanoren espedizioaren helburua ez zen merkataritza bakarrik, argi eta garbi”, dio Idoia Arrietak.

Historia, prêt-à-porter

1992an, Cristobal Colonen bidaiaren bosgarren mendeurrenean, Espainiako Gobernuak “Amerikako Aurkikuntza” ospatu zuen, eta ez Amerikako Konkista. Ez da kasualitatea. Iragana norberaren interes politiko, ekonomiko, etiko edota estetikoen mesedetara nola erabili azaltzen duen adibide gordina da. Mendeurrena mundu ikuskera zehatz bat haizatzeko baliatu zuten, baita, ondoren argi geratu zenez, diru publikoa esku pribatuetara pasatzeko negozio borobila egiteko ere.

Idoia Arrietak bizirik dagoen barne ikuspegi gisa ulertzen du historia, eta horregatik “etorkizunari begirako proiektu bat dutenak, beti saiatuko dira iraganaren ikuspegia haren arabera moldatzen”. Baina asmoa ospea edo etekina lortzea bada, boteretik gertuko ildo nagusia ezinbestean jarraitu beharko dutela dio. Horregatik, bere esanetan, Elkano batzuentzat garrantzitsua izango da “kontinenteen arteko harremana” sendotu edo “merkataritza sareak” sortu omen zituelako, baina “nik ikusten dudana da suntsipena, konkista eta bortxaketa. Mundu berri hobe bat irudikatu nahi badugu, niretzat Elkano ez da erreferentea”.

Idoia Arrieta: “Nik suntsipena, konkista eta bortxaketa ikusten ditut. Mundu berri hobe bat irudikatu nahi badugu, Elkano ez da erreferentea”

Historiografia nagusiak inperioen, estatuen eta aberastasun metaketaren inguruan ardaztu dira. Euskaldunok ere ez dugu gure historia idatzi. Urte luzez beste inperio eta estatu batzuen menpe egotearen ondorioetako bat da. Bertoko lurrak eta jendeak ustiatu dituzten agintariek gutaz idatzitakoak izan dira gure ispilu. Azken urteotan, baina, gure historia berridazteko osatzeko saiakerak ugaltzen ari dira, eta horietako batzuk, bestelako ikuspegietatik lantzen ari dira, historia ofizialak ahanzturara zigortutakoak berreskuratuz. Elkanoren inguruan ardazten ari diren mezu nagusiak, ordea, izan bertsio espainiar supremazista ala euskaldun heroikoan, ez dirudite bide horretatik joko dutenik.

Kontua ez da orain 500 urte batzuek egindakoaren errua gure gain hartzea 2018an. Ez da damu kontua. Galdera da iraganean gertatutakoa zertarako baliatu orain. Hori baita askorentzat historiaren funtzio nagusia: etorkizun justu, inklusibo eta solidarioa eraikitzeko heldulekua, norberaz ikasteko eta hobetzeko ispilua. Bide horretan ez bada inor baztertu nahi, ezinbestean, ariketa dekoloniala presente egon beharko litzateke. Historia ofizialaren pariak erdira ekarriz, emakumeak, jatorrizko herriak eta “Mundu Berriaren Aurkikuntza”ren kalteak gaur egunera arte sufritu dituztenei ahotsa emanez.