Articles du Vendredi : Sélection du 15 mars 2019


L’Affaire du siècle : les 4 organisations engagent la procédure juridique devant le Tribunal administratif de Paris

www.oxfamfrance.org/communiques-de-presse/laffaire-du-siecle-les-4-organisations-engagent-la-procedure-juridique-devant-le-tribunal-administratif-de-paris

Fortes du soutien record de plus de 2 millions de personnes, et résolument déterminées à mettre l’Etat face à ses responsabilités, Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France, réunies autour de « L’Affaire du siècle » ouvrent aujourd’hui un nouveau volet de leur action. Ce matin, elles ont adressé au Tribunal administratif de Paris une requête sommaire (1) contre l’Etat pour inaction climatique. L’affaire, débutée le 17 décembre 2018 avec une demande préalable au Premier ministre et à 11 membres du gouvernement, est désormais entre les mains de la justice.

L’inaction dont fait preuve l’Etat depuis 40 ans est-elle illégale ? Au juge de se prononcer

Du fait de la réponse insatisfaisante du Gouvernement qui a refusé de mettre en oeuvre des mesures supplémentaires pour atteindre ses propres objectifs climatiques, nous saisissons la Justice, le 3e pouvoir, pour qu’elle se prononce sur les fautes et carences fautives de l’Etat sur le climat. L’inaction dont fait preuve l’Etat depuis 40 ans et ses conséquences sur les droits fondamentaux des français-es est, selon nous, illégale.

Le déni dans lequel le Gouvernement s’enferme ne contredira pas les faits accablants

En effet, la France est sur la mauvaise trajectoire avec des émissions de gaz à effet de serre qui repartent à la hausse depuis 2015 et une empreinte carbone qui ne s’est pas améliorée depuis 1995. Cet attentisme n’a fait qu’aggraver la situation dans les secteurs de l’agriculture, des transports, de l’énergie et de la protection de la biodiversité, la France accumulant un retard qui exige maintenant un sursaut et des mesures fortes et urgentes. Par exemple :

  • Alors que la loi Grenelle I de 2009 prévoyait -20% d’émissions de gaz à effet de serre dans le secteur des transports par rapport à 1990, les émissions 2017 de ce secteur dépassent de 12,4% les niveaux de 1990.
    • Alors que la directive Energies Renouvelables 2020 de 2009 prévoit 23% d’énergies renouvelables dans la consommation d’énergie finale en 2020, la France fait partie des deux pays européens qui accusent le plus gros retard. Ainsi en 2017, la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergies était de 16,3 %, soit inférieure à la cible qu’elle aurait dû atteindre (19,5 %) pour respecter l’objectif européen.
  • Alors que le décret de la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) du 20 octobre 2016 annonce un objectif de réduction de la consommation globale d’énergie par rapport à 2012 de -7% en 2018, cette baisse est aujourd’hui inférieure à 2 %. Cette inaction a un lourd coût social et environnemental en France, en Europe et dans le monde, mettant à mal la protection de nos droits les plus élémentaires : respirer un air sain, se nourrir, se loger, se chauffer.

Plusieurs axes politiques prioritaires permettraient pourtant à la France de lutter contre les changements climatiques sans opposer protection de l’environnement et justice sociale.

Les solutions à la crise climatique existent et nombre d’entre elles sont connues depuis de nombreuses années : autant de mesures possibles et portées par l’Affaire du siècle, qui agit en justice au nom des plus de 2 154 800 signataires et de toutes les personnes impactées, hier, aujourd’hui et demain, par les conséquences du réchauffement de la planète. A titre d’exemple, la traduction d’une décision du juge sur le champ du développement des énergies renouvelables pourrait permettre d’empêcher les projets climaticides, ou d’exiger la fermeture des dernières centrales à charbon, comme cela avait été promis par le gouvernement.

Le début d’une longue procédure qui se jouera au tribunal et dans la rue dès le 16 mars

Le volet qui s’ouvre aujourd’hui avec le dépôt du recours acte le lancement d’une procédure administrative que Notre Affaire à Tous, la Fondation Nicolas Hulot, Greenpeace France, et Oxfam France ne manqueront pas d’animer. Cependant l’Affaire du Siècle, en se concentrant sur les fautes et carences de nos gouvernements ces 40 dernières années, et en alertant sur l’urgence de la situation a plus que jamais besoin d’un relais citoyen. Les organisations co-requérantes soutiennent aujourd’hui les appels à la mobilisation de la jeunesse et des citoyen-nes, et appellent l’ensemble des soutiens de l’Affaire du siècle à transformer l’engouement autour du recours en une mobilisation dans les rues. Elles donnent pour cela rendez-vous aux citoyennes et citoyens les 15 et 16 mars prochains à travers une deuxième vidéo produite par « On est prêt ». Les collectifs « On est prêt » et « Il est encore temps » soutiennent toujours le recours.

Les organisations déposeront, par la main de leurs avocat-es, les mémoires complémentaires  accompagnant la requête sommaire dans le courant du mois d’avril, aux côtés des millions de citoyen-nes qui souhaiteront accompagner cette démarche, dans le respect du délai qui nous sera accordé par le juge administratif.

Climat : les associations de l’« affaire du siècle » déposent un recours administratif contre l’Etat
Patricia Jolly
www.lemonde.fr/planete/article/2019/03/14/climat-les-associations-de-l-affaire-du-siecle-deposent-un-recours-administratif-contre-l-etat_5435739_3244.html

Elles veulent faire reconnaître par le tribunal les obligations pesant sur la France dans la lutte contre le changement climatique.

L’« affaire du siècle » sera débattue dans le prétoire du tribunal administratif de Paris. Après l’euphorie suscitée par les 2,1 millions de signatures de la pétition en ligne éponyme lancée au soutien de leur « demande préalable indemnitaire » du 17 décembre 2018 pour « inaction climatique » contre l’Etat, la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l’homme, Greenpeace France, Notre affaire à tous et Oxfam France haussent le ton.

Jeudi 14 mars, les quatre associations lancent une procédure en déposant devant la juridiction un recours de plein contentieux. Elles attendent du juge administratif qu’il reconnaisse les obligations pesant sur l’Etat en matière de lutte contre le changement climatique, qu’il constate ses fautes et carences dans ce domaine, et – une fois que la preuve en sera apportée – qu’il enjoigne l’Etat à y mettre un terme.

Soucieux d’inscrire leur action dans la dynamique d’une semaine de mobilisation internationale jalonnée par la grève mondiale des lycéens pour le climat, vendredi 15 mars, et les marches pour le climat, samedi 16 mars, les ONG n’ont pour l’heure porté qu’une « requête sommaire » devant le tribunal administratif de Paris. Ce document d’une vingtaine de pages synthétise la teneur du mémoire complémentaire qui devrait enrichir, d’ici à un mois, une procédure qui promet d’éprouver leur endurance.

Faire œuvre de pédagogie

Ce passage à la vitesse supérieure leur a été imposé par un courrier du ministre de la transition écologique et solidaire, François de Rugy. Le 15 février, ce dernier a rejeté au nom de l’Etat l’accusation de « carence fautive » adressée le 17 décembre 2018 au premier ministre Edouard Philippe ainsi qu’à douze membres du gouvernement.

Dans leur missive, les quatre organisations sommaient l’exécutif de prendre toutes les mesures urgentes permettant de rattraper le retard de la France en matière climatique, par rapport aux objectifs fixés. La fin de non-recevoir de François de Rugy était assortie d’un mémo d’une dizaine de pages listant les actions de la France dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Le contentieux déclenché offre une occasion de faire œuvre de pédagogie. « Notre recours n’est pas une plainte contre le gouvernement, précise Me Clément Capdebos, avocat de Greenpeace France qui a participé à sa rédaction avec les conseils des trois autres ONG. Nous saisissons ici la juridiction administrative chargée de juger au quotidien les activités de l’administration française, donc de l’Etat. »

Avant de poursuivre : « Dans le cadre de sa mission de protection des personnes et de l’environnement, l’Etat est tenu par une obligation générale de lutte contre le changement climatique qui suppose, notamment, de prendre des mesures destinées à protéger les milieux naturels et, plus largement, de limiter, et si possible, éliminer, les dangers liés au changement climatique. Nous souhaitons que le juge la lui rappelle. »

Selon les ONG, l’Etat ne respecte pas ses objectifs

« L’Etat a aussi des obligations spécifiques en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre [GES], d’amélioration de l’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables et de réduction des vulnérabilités causées par le changement climatique », renchérit Marine Fleury, enseignante-chercheuse en droit constitutionnel de l’environnement à l’université de La Rochelle, qui a contribué à l’élaboration du document.

Las, selon les quatre associations, l’Etat ne respecte pas les objectifs qui lui sont assignés et manque « de façon continue » à sa mission de protection de l’environnement et des citoyens.

 

Le recours demande donc que l’Etat soit contraint à prendre des mesures qui permettent de réduire les émissions de GES à un « niveau compatible avec l’objectif de contenir l’élévation de la température moyenne de la planète sous le seuil de 1,5° C par rapport aux niveaux préindustriels [objectif renvoyant à l’accord de Paris sur le climat, conclu en décembre 2015, à l’issue de la COP21] » et, plus largement, toutes les dispositions nécessaires pour remplir les objectifs concernant les GES, les énergies renouvelables et l’adaptation au changement climatique. Sans oublier les mesures indispensables pour « assurer la protection de la vie et de la santé des citoyens » face aux risques connus liés au changement climatique.

Pour étayer leur requête, les ONG réunies dans l’« affaire du siècle » s’appuient principalement sur le dernier rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC). Rendu public le 8 octobre 2018, il fournit les données scientifiques les plus récentes en matière de changement climatique.

Reconnaissance du préjudice écologique

Les associations se fondent aussi sur des documents dont la France est signataire et qui devraient logiquement guider son action en matière de lutte contre changement climatique : des textes constitutionnels dont la Charte de l’environnement promulguée en 2005, des textes européens comme des directives et la Convention européenne des droits de l’homme, et une somme de textes internationaux – tels que la Convention-cadre des Nations unies de 1992 et l’accord de Paris de 2015 – sans effet direct en droit français mais qui permettent de comprendre les obligations de l’Etat.

Dans le cadre de ce recours qui vise dans son ensemble la carence de l’Etat dans la
lutte contre le changement climatique, les ONG se sont également enhardies à demander la reconnaissance du préjudice écologique. Une notion épineuse qui figure dans le code civil mais n’a encore jamais été reconnue par le juge administratif.

Mais les quatre associations devront s’armer de patience. L’instruction du dossier devrait durer un an et demi à deux ans. Au terme de cette période d’échanges entre les parties, le juge administratif fixera une date d’audience. Sa décision devrait intervenir en 2020 ou 2021, avant un éventuel appel.

Non, la mondialisation n’a pas réduit la pauvreté dans le monde

https://lemediapresse.fr/economie/non-la-mondialisation-na-pas-reduit-la-pauvrete-dans-le-monde

Un débat académique passionnant entre deux sociologues anglo-saxons fournit une arme précieuse aux critiques de la mondialisation et du néolibéralisme : contrairement à l’idée reçue et communément admise, cette dernière n’a pas permis de réduire la pauvreté dans le monde, bien au contraire. 

Tout a commencé par un tweet de Bill Gates envoyé trois jours avant l’ouverture du forum économique de Davos. Le multimilliardaire et philanthrope cherchait à véhiculer un message positif sur le progrès de l’humanité, à l’aide d’une série de visuels bien connus (fournie par une ONG financée par sa propre fondation).

Un graphique intéresse particulièrement l’anthropologue et sociologue Jason Hickel : celui sur le taux d’extrême pauvreté, qui aurait chuté de 94% à seulement 10% en l’espace de deux siècles.

Les lecteurs qui ont été amenés à débattre du capitalisme (et par extension, de la mondialisation et du néolibéralisme) se sont probablement vus opposer ce fait a priori incontestable : globalement, l’humanité progresse de façon spectaculaire depuis l’avènement de l’ère industrielle. Certes, certains concéderont que dans les pays riches, les conditions d’existence des classes populaires se sont dégradées depuis quelques décennies, mais cet effet négatif serait compensé par la hausse du niveau de vie dans les pays du « sud ». La mondialisation néolibérale serait donc un projet politique bénéfique, voire égalitaire.

Dans un article publié par The Guardian, Jason Hickel fait voler cette théorie en éclat, avant d’en remettre une couche pour répondre à ses principaux contradicteurs, en particulier le professeur Steven Pinker, dans une lettre ouverte publiée par la revue socialiste Jacobin. Sa conclusion : la pauvreté a augmenté depuis le début de la mondialisation, et non pas diminué.

Un mythe du progrès construit à partir de données creuses

Pour Hickel, la partie de la courbe antérieure à 1980 n’est pas fiable. Elle repose uniquement sur des données brutes du PIB par habitant, et ce pour un nombre restreint de pays. Or un PIB par habitant élevé ne dit rien sur la répartition de la richesse, donc le taux de pauvreté du pays concerné. Avant 1900 en particulier, il n’y a aucune donnée fiable sur le tiers monde. Utiliser le PIB exclut également tous les échanges non marchands et les sources de richesse non monétaire (le troc, mais aussi le fait de profiter des communs, par exemple l’eau gratuite d’une rivière ou le bois de chauffage de la forêt du coin).

À l’inverse, la période 1981-2015 repose sur des chiffres solides, publiés par la banque mondiale dans le but précis de mesurer le taux de pauvreté. Elle combine la consommation des biens marchands et non marchands, et prend en compte la distribution des revenus.

La courbe partagé par Bill Gates est donc construite à partir de deux méthodologies différentes, ce qui équivaut à comparer des pommes et des poires. Cet argument est admis par les critiques de Hickel, y compris Steven Pinker.

Or, la période la plus ancienne (1820-1900) sert de point de comparaison pour construire un visuel percutant, mais ne reposant sur aucune base scientifique.

Le fait d’utiliser le PIB par habitant jusqu’en 1970 permet de sous-estimer la richesse des individus avant cette date, alors qu’en utilisant la consommation totale (bien marchands et non marchands) après 1980, on sur-estime la richesse des individus par rapport à la période précédente. La courbe produit ainsi un double biais. La baisse de l’extrême pauvreté serait bien moins spectaculaire sans ce tour de passe-passe.

Ensuite, Hickel pointe le fait que cette fameuse courbe définit l’extrême pauvreté à partir d’un revenu inférieur à 1,90 dollar par jour (corrigé de l’inflation). Ce chiffre permet d’atteindre un taux d’extrême pauvreté de seulement dix pour cent en 2016, soit 720 millions de personnes. Or, les Nations Unies estiment qu’aujourd’hui, 815 millions d’individus souffrent de la faim dans le monde, 1,5 milliard reçoivent un apport calorique insuffisant pour soutenir un niveau d’activité humaine normal et 2,1 milliards souffrent de malnutrition chronique. D’où le paradoxe : selon la courbe tweetée par Bill Gates, on peut souffrir de malnutrition ou être incapable de manger à sa faim sans être considéré comme appartenant à l’extrême pauvreté !

Le consensus scientifique quant au chiffre à utiliser se situe plutôt à 7,40 dollars par jour (somme nécessaire pour garantir une espérance de vie moyenne), et de nombreux universitaires et spécialistes pensent qu’il faudrait la situer au seuil correspondant à la définition de l’extrême pauvreté aux USA, soit 15 dollars par jour. Dans le premier cas, on obtiendrait un taux d’extrême pauvreté de 58 %, et non pas 10 %. Soit une réduction de 12 points, passant de 70 % à 58 % depuis 1980, ce qui est bien moins spectaculaire.

Ce point est également concédé à Hickel par ses critiques les plus sévères. Car pour Pinker, peu importe où l’on place la barre, le fait est que la proportion de pauvres diminue depuis 1820, et de manière plus spectaculaire et certaine depuis 1980.

Mais quel est l’indicateur le plus important : le taux de pauvreté, ou le nombre absolu de pauvres ? Pour un gouvernement, et pour les premiers concernés, c’est sûrement le second. Par exemple, quel est l’intérêt d’un taux de chômage qui diminue si le nombre de chômeurs augmente ? (1)

Cet apparent paradoxe (un taux d’extrême pauvreté en baisse, mais un nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté en hausse) s’explique par le fait que la population mondiale a fortement augmenté depuis 1820. Adopter la proportion et non pas le nombre absolu comme indicateur conduit les néolibéraux à considérer la pauvreté comme un état naturel (à la naissance) dont il s’agirait de s’extraire. Pour Hickel, la pauvreté à la naissance est un échec politique, une anormalité. On serait tenté de lui donner raison : le consensus des anthropologues reconnaît que les humains vivant dans les sociétés pré-néolithiques ne souffraient pas de malnutrition ni de maladies infectieuses, et jouissaient d’une espérance de vie supérieure aux populations européennes à l’aube de la révolution industrielle. (2)

 

Si on remplace le taux de pauvreté par le nombre absolu de pauvres, on obtient, pour un seuil fixé à 7,40 dollars/jour, une tout autre courbe.

On constate une hausse spectaculaire du nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté, passant 3,2 milliards à 4,2 milliards, avec un pic à 4,5 milliards en 2002.

On pourrait toujours argumenter que la tendance récente est à la baisse, mais là aussi Hickel apporte des nuances.

Ce n’est pas le néolibéralisme et la mondialisation qui ont permis de réduire le taux d’extrême pauvreté, mais le protectionnisme et le socialisme

Ce n’est pas par hasard que les courbes discutées plus haut débutent il y a deux cents ans, sont partagées par Bill Gates et défendues par des intellectuels tels que Steven Pinker. Le but est de promulguer un mythe : celui du progrès de l’humanité, rendu possible grâce à l’essor de l’industrialisation et de la mondialisation néolibérale.

Or, il apparaît que cette mondialisation a produit une hausse importante de l’extrême pauvreté.

Mais surtout, la baisse relative observée depuis la fin des années 90 provient quasi exclusivement de la Chine et des « dragons asiatiques ». Ces pays ne se sont pas développés grâce au néolibéralisme et à la mondialisation, mais en pratiquant un protectionnisme (qui a permis à la Corée du Sud de faire émerger une industrie automobile et hi-Tech par exemple) et un « capitalisme d’État » en Chine.

Si on sort la Chine des données, la courbe révèle une hausse constante de l’extrême pauvreté, qui passe de 2.2 milliards à 3.5 milliards d’individus.

Même en utilisant le taux de pauvreté, et non pas le nombre absolu, le résultat est consternant : on observe une hausse de 62 % à 68 % entre 1980 et 2000, puis une baisse vers les 60 % entre 2001 et 2013.

Cette baisse provient majoritairement des pays d’Amérique du Sud, explique Hickel, où des dizaines de millions d’habitants ont été sortis de la pauvreté par des gouvernements socialistes. Une fois de plus, le récit néolibéral se heurte aux faits.

Steven Pinker conteste cette analyse, et défend la notion de progrès à l’aide des autres courbes figurant dans le visuel tweeté par Gates. En effet, l’éducation et le taux de vaccination progressent tandis que la mortalité infantile et l’illettrisme diminuent. Mais la santé et l’éducation ne sont pas le produit de la mondialisation néolibérale, selon Hickel, mais des progrès réalisés grâce aux politiques publiques, et souvent malgré les barrières imposées par le capitalisme (austérité budgétaire, brevets sur les médicaments, privatisations des services publics, destructions de l’environnement, crises financières…). Cuba a une plus faible mortalité infantile que les États-Unis, par exemple.

Quant à la faim dans le monde, selon la FAO (organisme dépendant de l’ONU), elle a augmenté en termes de proportion et de nombre d’individus touchés entre 1995 et 2009.

Un progrès, mais à quel prix ?

Hickel s’attarde avec plus de détails sur la période 1820-1950, pour rappeler qu’il s’agissait d’une période coloniale marquée par une violence inouïe. L’industrialisation s’est imposée à la majeure partie des peuples, avec des conséquences souvent dramatiques : 30 millions de morts en Inde du fait des politiques agricoles imposées par les Britanniques, 10 millions de morts au Congo suite à l’intervention des colons belges (la moitié de la population du gigantesque territoire), sans oublier les guerres de l’opium en Chine, qui ont divisé le PIB de l’Empire du Milieu par deux et transformé 40 millions de Chinois en héroïnomane, avec des conséquences humanitaires désastreuses. Quant aux USA et à l’Europe, ils doivent en grande partie leur décollage industriel aux quatre millions d’esclaves africains produisant le nerf de la première révolution industrielle : le coton. (3)

Surtout, les études menées sur cette période témoignent de la grande difficulté qu’avaient les puissances coloniales à employer les populations colonisées dans des travaux « rémunérés », les locaux préférant l’agriculture vivrière reposant sur une économie non marchande aux emplois dans les mines et les usines. Lorsque des millions de paysans viennent s’entasser dans des bidonvilles après avoir été chassés des campagnes contre leur gré, peut-on parler de progrès ?

La courbe qui sert de point de départ à la discussion est donc trompeuse. La période coloniale (1820-1950) fut caractérisée par une expropriation violente des populations locales qui, en perdant l’accès aux ressources naturelles, ont dû transiter d’un mode de vie de subsistance où la monnaie tenait un rôle marginal à un mode de vie capitaliste, où la monnaie devint nécessaire mais rare.

Deux visions de l’extrême pauvreté

Si on considère le progrès sous le prisme de la proportion et du relatif, Hickel lui-même reconnaît que l’humanité a avancé. Mais en termes absolus, le nombre d’humains vivant dans l’extrême pauvreté a augmenté drastiquement depuis le début de la mondialisation.

Pour résoudre cette querelle de « point de vue », on peut adopter le prisme de lecture néolibéral de Bill Gates et Steven Pinker, et se demander combien d’années seront nécessaires au rythme actuel pour éradiquer l’extrême pauvreté.

Bill Gates reconnaît qu’aujourd’hui, seulement 5 % de la richesse créée va aux 60 % les plus pauvres. Selon la World Economic Review, il faudrait à ce rythme plus de cent ans pour éradiquer l’extrême pauvreté, définie par un seuil à 1,90 dollar par jour, et plus de deux cents ans pour le seuil à 7,40 dollars. Ceci impliquerait, par ailleurs, que l’économie mondiale produise 175 fois plus de richesses qu’aujourd’hui. Vu l’étendue de la crise écologique actuelle, on réalise la folie d’une telle proposition.

L’alternative consisterait à mener des politiques différentes de celles défendues par Bill Gates, Steven Pinker et les chantres du capitalisme qui se réunissent tous les ans à Davos.

Notes : 

(1) Par exemple, si un grand nombre d’étudiants renonce à leurs études pour rejoindre le marché du travail, et que seuls 5% d’entre eux ne trouvent pas d’emploi, on observera une hausse du nombre d’actifs qui produira une baisse du taux de chômage, tout en obtenant et une hausse du nombre de chômeurs total.
(2) Par paresse, on citera le livre Sapiens, de Harari, chapitre 2.
(3) : Lire l’excellent livre de Edward E. Baptist, The half has never been told – Slavery and the making of American capitalism, qui montre, chiffres à l’appui, comment le coton a joué le rôle de matière première essentielle à l’essor de l’industrialisation, et comment l’écrasante majorité de ce coton provenait des USA. Un résumé par le New York Times est disponible ici.

 

Hormigoiak itoko gaitu: materialik suntsitzaileena garapenaren kokaina
Pello Zubiria Kamino
www.argia.eus/argia-astekaria/2635/hormigoiak-itoko-gaitu-materialik-suntsitzaileena-garapenaren-kokaina

Betoiarekiko adikzioak bizi du gizakiaren azken mendeko desarroilismoa. Ura salbu, hormigoia da planetan gehien kontsumitzen den gaia. Plastikoa bezala hormigoia lagungarri izan zaio gure ongizate modernoari. Baina plastikoarekin gertatu bezala, orain hasi gara jabetzen bere benetako arriskuez. Zabortegiak betetzen ditu, hiriak gehiegi berotzen, milaka jende hil eta ekonomiak suntsitzen dituzten uholdeak eragiten, planetaren biziraupena mehatxatzen. Artikulu hau leitzeko behar duzun denboran, irakurle, munduko eraikuntza industriak 19.000 bainuontzi bete hormigoi isuriko ditu. Egun bakar batean, Txinako Hiru Arroiletako Urtegiaren harresikoa adina. Urtebetean, Ingalaterrako bazter guztiak, ibar eta muino, betonez estaltzeko adina. Horrela hasi du Jonathan Wattsek The Guardian egunkarian “Concrete: the most destructive material on Earth“ dossierra.

Kalkuluak eginez gero –dio Wattsek– sortu dugun hormigoi pilak dagoeneko pisu handiagoa dauka planetako zuhaitz, sasi eta landare guztiena batuta baino. Bestela esanda, eraikitako inguru artifiziala handiagoa da naturala baino (…) Plastikotan 8.000 milioi tona pilatu dira 60 urteotan, asmatu zenetik: hormigoi industriak bi urtetan metatzen du hori baino gehiago. Plastikoarena baino arazo handiagoa izan arren, ordea, ez da larritasun berarekin aztertzen”.

Betoia bere iraupenagatik maite dugunez, eragindako arazoek ere luzeago diraute. Ustez konpondu behar zituenak benetan nola okerragotu dituen denborarekin ikusten da. Lurraren inpermeabilizazioaren kalteez zalantzarik zuenak, 2005ean ireki ahal izan zituen begiak New Orleansen Katrina urakanak eragindako uholde izugarriekin: hormigoiari esker, lurrak ezin zituen euriak irentsi. Planifikatzaileek, ordea, ez dute ikasi ez AEBetan, ezta Euskal Herrian ere.

Klimaren gaiztotzea dakarten CO2 isurketen %4-8 betonaren ekoizte prozesuari dagozkio. Baina klimarengan askoz eragin gehiago ere baditu. Munduak kontsumitzen duen ur guztiaren %10 hormigoitarako da; nekazariek soroetan eta etxetan jendeak behar duten uraren lehiakide gogorra.

Gutxitan aipatzen da hondarra, baina hormigoitarako area dagoen lekuetan erauzi eta urrun eramateak hondatzen ditu ekosistema asko, arrantzale eta beste jende asko miserian utziz, korporazio handiek sikarioen esku lagata bertako herritarrak zanpatzeko lana.

Betonezko eraikin eta azpiegitura modernoek suntsitu dituzte berezko azpiegiturak, basoak, soroak, zelaiak, errekak… Gizakiak eta planetak berak beharrezkoak dituen funtzioak etenda utzi dituzte: lurzoruko bizia, polinizazioa, akuiferoen asetzea, uholdeen kontrola, oxigenoa sortzea, ura garbitzea.

Oxigenoa ebatsi dio politikari ere, Wattsen esanetan. “Hormigoiak ore berean nahastu ditu politikariak, burokratak eta eraikuntza konpainiak. Alderdietako buruzagiek hautatuak izateko eraikuntza enpresen diru-laguntzak eta bultzadak behar dituzte, administrazioko planifikatzaileek proiektu gehiago behar dituzte hazkundeari eusteko eta eraikuntzako ugazabek kontratu gehiago behar dituzte dirua mugiarazi, langileei zertan aritua eman eta politikariengan eragina izaten jarraitzeko”.

Askotan aipatu arren inork gelditu ezin duen mekanika zoro horrek baizik ezin du esplikatu politikariek zein bero bultzatzen dituzten ingurumenetik bezala gizartearentzako etekinetik begiratuta nabarmenki alferrikakoak edo gutxienez eztabaidagarriak diren azpiegitura erraldoiak. Watts ingelesa baita, Joko Olinpiarrak eta Munduko Koparako han eraikitakoak aipatzen ditu; euskalduna balitz, batik bat Hegoaldean politikariek daukaten hormigoi-mendekotasunaren adibideen zerrenda luzea egin beharko luke.

Garapena eta Yakuza

Japonia aipatzen da hormigoi-adikzioaren adibide klasikotzat. Bigarren Mundu Gerraren ostean hain sutsuki ekin zion elite japoniarrak herrialdea betoneztatzeari, ezen eta bere aginte estiloa doken kokka bataiatu baitzuten, eraikuntzaren herrialdea. 80ko hamarkada amaiera arte primeran funtzionatu zuen, hazkunde tasa handiekin.

Orduko Mendebaldeko irakurleen belarrietaraino iristen ziren Alderdi Liberal Demokratako buruzagien izenak: Kakuei Tanaka, Yasuhiro Nakasone, Noboru Takeshita… Ez zuten ezagutzen, ordea, agintari haien indarra ere eraikitzaile handien diru-laguntzetan oinarritzen zela: “Doken kokka sistema zen herrialde mailako racket-a, lapurreta”.

90eko hamarkadako krisiarekin hormigoiaren etekinak asko murriztu ziren, baina orduan agintariek eta enpresaburuek, elkar hartuta, erabaki zuten makinari presioa areagotzea: zubi izugarri garestiak kasik biztanlerik gabeko eskualdeetaraino iristeko, autopista zabalak landa eremuetan barrena, ibai eta erreka bazter guztiak betonez berbideratzea, Japoniako kostaldea betirako babestuko omen zuten harresi handiak eraikitzea.

Japoniako paisaia asko betirako hondatzea, hori lortu zuten. Baina hormigoiaren segurtasun ustez muga gabea Tohoku lurrikarak zartatu zuen 2011n:  minutu gutxitan tsunamiak urperatu zituen Ishinomaki, Kamaishi, Kitakami eta beste hainbeste herri, uhinek irentsirik itsas bazterrean eraikita zeuzkaten babes-harresi garaiezinak.

16.000 pertsona hil ziren, milioi bat eraikin  suntsitu, eta ezin sinestekoa: Fukushimako zentral nuklearrak eztanda egin zuen! Aldatzeko garaia heldua, akaso? Ez, bada: Liberal Demokratak itzuli ziren laster agintera, herritarrei aginduz hurrengo hamarkadan herri lanetan 200 biloi yen (1,6 bilioi euro) inbertituko zutela. Eraikuntza konpainia handiek ekin zioten itsas bazterrean are harresi handiagoak eraikitzeari, arrantzale herriak 12 metroko hormaz inguratuz, nahiz eta beren eraginkortasuna auzitan jarrita dagoen.

“Hormigoiak munduan –dio Wattsek– esan nahi du garapena. Teorian, giza aurrerapena zenbait erakuslerekin adierazten da: bizi itxaropena, hezkuntza maila eta beste. Baina lider politikoentzako erakuslerik handiena BPG Barne Produktu Gordina da, askogatik, horrekin kokatzen dute gobernuek beren lekua munduan. Eta horren osagai nagusietakoa hormigoia da”.

Japoniaren garapen ametsei garai oparoenak epeldu ostean, gaur Txina da XXI. mendeko ekonomia nagusi bilakatu nahi duena. Ondorioz, hormigoiaren super-txapelduna ere bihurtu da. Txinak erakusten du, bestalde, zementu, hondar eta urez osatutako material zahar-berri horrek nola eralda dezakeen naturarekiko elkarbizitzan oinarritutako kultura bat BPGean obsesionatutako ekonomia baterantz.

Txinak 2003tik gaurdaino bere lurzoruan erabili du AEBek XX. mende osoan erabili duten adina hormigoi. Gaur mundu osoko beton kontsumoaren erdia Txinarena da. Yu Kongjian arkitektoak ohartarazia du zein arriskutsua den ziklikoki bere astinduak ematen dituen naturari bizkar ematen dion garapena: “Hiritartze [lurraren artifizialtze] prozesu hau heriotzarako bidea da“. Agintariek ez dute horrelakorik entzun nahi, ordea, ez hemen eta ez Txinan.