“Un problème distant” – Les “riches” n’ont pas assez peur du changement climatique
Camille Hazard
www.parismatch.com/Actu/Environnement/Les-pays-riches-n-ont-pas-peur-du-changement-climatique-806360
Selon une étude menée par une équipe de scientifiques américains, seulement la moitié des habitants des pays riches perçoit le changement climatique comme une menace. Les chercheurs expliquent qu’il faut développer des stratégies de communication pour changer la tendance.
Les personnes vivant dans les pays les plus riches comprennent généralement ce qu’est le changement climatique, mais seulement la moitié d’entre eux le perçoit comme une réelle menace. Tel est le constat établi par une équipe de chercheurs américains dans une étude publiée dans la revue «Nature».
Le sondage effectué dans 119 pays a révélé que les niveaux de vie et la richesse relative n’étaient pas des critères légitimes pour savoir si un individu considérait le changement climatique comme un risque. L’Australie, récemment citée comme un chef de file mondial dans le climat, les Etats-Unis, l’Allemagne, ou les pays scandinaves, voient un peu plus de la moitié de leurs habitants avouer que le changement climatique est dangereux pour eux-mêmes.
Les risques du changement climatique sont largement considérés par les Français et les Espagnols, bien que leur plus grande préoccupation soit son impact sur les autres pays. Le Japon est l’un des rares pays riches dont la population est autant préoccupée par l’évolution climatique que les pays pauvres.
Education, sensibilisation, compréhension
Ces tendances ont été mises à jour grâce à différents facteurs qui conduisent à la sensibilisation du changement climatique. En Europe, la plupart des gens comprennent les enjeux via l’éducation ou les relations humaines, tandis que dans les pays africains et asiatiques, c’est la perception de l’évolution des températures qui prédomine. Selon les scientifiques, ces résultats démontrent «la nécessité de développer des stratégies de communications adaptées pour les pays riches. L’éducation de base, l’alphabétisation climatique, et la compréhension des dimensions locales du changement climatique sont vitales pour l’engagement du public dans le soutien de l’action climatique», peut-on lire dans le rapport.
«Trop de gens considèrent encore le changement climatique comme un problème distant», indique Debbie Hopkins, un expert à l’Université d’Otago (Nouvelle-Zélande). Selon lui, il faudrait diffuser plus de reportages engagés dans les médias et introduire des conversations avec des spécialistes au sein des localités, afin d’illustrer les menaces que le changement climatique peut engendrer.
Changement climatique : la proposition dont aucun Etat ne veut
Maxime COMBES Économiste, membre d’Attac France et de l’Association internationale de techniciens, experts et chercheurs (Aitec) et Nicolas HAERINGER Chargé de campagne pour 350.org
www.liberation.fr/terre/2015/05/28/changement-climatique-la-proposition-dont-aucun-etat-ne-veut_1318408
Nous sommes à six mois de la COP 21, vingt et unième conférence de l’ONU sur le changement climatique, qui se tiendra à Paris en décembre. Les négociations reprennent ce lundi 1er juin à Bonn. Sur la base d’un texte qui regroupe les propositions de chacun des 193 pays membres de l’ONU. Toutes les propositions sont donc sur la table. Des plus ambitieuses à celles qui le sont moins. Toutes ?
Non. Il en manque une. Une proposition qui est pourtant au cœur du défi climatique. Alors que les énergies fossiles représentent 80% des émissions mondiales de gaz à effet de serre, et qu’on ne cesse de forer pour en trouver davantage, aucun Etat, aucune institution internationale, ne propose de limiter la production de charbon, de gaz et de pétrole. Ce n’est pas nouveau : en plus de vingt ans de négociations sur le réchauffement climatique, il n’a jamais été véritablement question de définir des objectifs et des mécanismes visant à laisser tout ou partie des réserves d’énergie fossiles dans le sol.
Bien entendu, les négociations de l’ONU portent sur une multitude de propositions, plus ou moins appropriées, ayant pour objectif de réduire les émissions issues de la combustion des énergies fossiles. Si votre marmite commence à déborder, vous contentez-vous d’en essuyer les rebords ? Non : chacun sait qu’il faut réduire la puissance du feu pour stopper les frais. Pourtant, dans le cas des négociations sur le changement climatique, personne ne s’y résout. La planète se réchauffe, et certaines régions brûlent littéralement – la Californie n’a plus d’eau, New Delhi suffoque – mais personne ne propose de réduire la puissance du feu qui génère le réchauffement climatique mondial.
Les faits sont pourtant têtus. Depuis 1992 et le début des négociations, les émissions ont augmenté de près de 60%. C’est bien que quelque chose ne va pas. Dans leurs discussions sur les émissions de gaz à effet de serre, les Etats ne se sont jamais vraiment intéressés à la production d’énergies fossiles sur la planète. Volontairement ? C’est l’impression que l’on peut avoir : les études scientifiques, désormais nombreuses, qui montrent que deux tiers à quatre cinquièmes des réserves de combustibles fossiles doivent rester dans le sous-sol, ne sont pas réellement prises au sérieux.
Dernière en date, le travail de Christophe McGlade et Paul Ekins, de l’University College de Londres, publié dans la revue Nature du 8 janvier. Selon eux, un tiers des réserves de pétrole, la moitié de celles de gaz et plus de 80% de celles de charbon ne doivent pas être exploitées, si nous voulons conserver 50% de chances de maintenir le réchauffement sous la barre des 2°C : «L’instinct des hommes politiques, consistant à exploiter rapidement et complètement les énergies fossiles disponibles sur leur territoire, est incompatible avec leur engagement à tenir l’objectif de 2°C.»
Les auteurs en concluent que toutes les réserves d’hydrocarbures non conventionnels (Arctique, hydrocarbures de schiste, etc.), sur lesquelles se précipitent Etats et multinationales, devraient être classées comme «non brûlables». Ils proposent ainsi une forme de moratoire international sur toute nouvelle exploration et mise en exploitation d’énergies fossiles. Un bon début : ne pas augmenter le feu sous la marmite, à défaut de le réduire.
Cette proposition n’est pas nouvelle. Dès les années 90, des organisations luttant contre les impacts de l’exploitation des énergies fossiles sur les populations locales, comme Acción Ecológica (Equateur) et le réseau Oil Watch, avaient proposé un moratoire international de ce type. Leur proposition avait été balayée d’un revers de la main par des Etats appliqués à négocier le protocole de Kyoto, et n’avait pas connu le succès escompté auprès d’autres organisations de la société civile, (trop) focalisées sur les niveaux d’émissions de gaz à effet de serre.
N’est-il pas temps de remettre cette proposition de moratoire international au goût du jour, et d’exiger qu’une série de gisements pétroliers, gaziers et charbonniers ne soient tout simplement pas exploités ? Nous pourrions ainsi poser les jalons d’objectifs compréhensibles par le plus grand nombre et, à rebours, blâmer et combattre toutes les forces politiques et économiques qui s’y refusent.
Ce n’est évidemment pas aisé, tant la production d’énergie fossile mobilise d’enjeux financiers, géopolitiques et de rapports de puissance entre les Etats. C’est un pari difficile. Il est pourtant plus porteur et réaliste qu’accepter de s’orienter vers 4°C à 5°C de réchauffement climatique – ce qui nous attend dans le scénario actuel. Le 27 mai, suite à une forte mobilisation citoyenne, la Norvège a annoncé que son fonds de pension souverain désinvestirait du secteur charbonnier – pour un montant qui dépasse les 5 milliards de dollars. Le même jour, Laurent Fabius annonçait que la COP 21 serait financée par les plus grands pollueurs français. Contraste saisissant.
Alors que des collectivités, des universités et des institutions privées sont chaque jour plus nombreuses à décider de mettre un terme à leurs investissements dans le secteur fossile, nous pourrions utiliser la caisse de résonance de la Cop 21 pour amplifier le mouvement et imposer que les Etats, l’ONU et les institutions internationales s’y mettent pour de bon.
Climat : vive la vélorution !
www.telerama.fr/monde/climat-vive-la-velorution,129496.php
Quarante cyclistes volontaires se relaient dans un grand tour de France alternatif. A chacune de ses étapes, Alternatiba, mouvement citoyen né en 2013, réveille les consciences face à l’urgence écologique.
Sous les maillots verts, ça transpire, le souffle court. Le mistral a beau jouer les ventilateurs, le thermomètre tutoie les 40 degrés en ce début de juillet caniculaire. Sur la route qui relie Crest à Valence, dans la Drôme, l’asphalte ressemble à une bande de réglisse suintant sous les roues des vélos. Embarqués sur des tandems à trois places, les cyclistes moulinent sec, ralentis dans leur effort par la chaleur accablante. Et pourtant, mieux qu’une seringue d’EPO, cette météo extrême dope la motivation des pédaleurs. Elle offre une actualité brûlante à leur défi : boucler un tour de France à vélo au secours du climat, à la veille de la COP21.
De l’énergie, il en faut pour avaler les 5 500 kilomètres d’un périple de quatre mois au cours duquel ce peloton vert veut mobiliser autour de l’urgence écologique avec le slogan : « Changeons le système, pas le climat. » Au total, 187 étapes entre Bayonne (d’où le tour s’est élancé le 5 juin) et Paris, où l’arrivée est prévue le 26 septembre. Autant de maillons d’une vaste chaîne destinée à secouer la France face au réchauffement planétaire. Objectif : « montrer qu’il existe un potentiel énorme pour modifier le cours des choses, des citoyens qui se sont déjà pris en main, des milliers d’initiatives qui se concrétisent un peu partout et qu’il faut relier, dans les transports, l’agriculture, l’alimentation, l’habitat ou le recyclage des déchets », explique un des organisateurs du périple, Txetx Etcheverry, silhouette robuste et accent rocailleux.
L’aventure a été pensée comme un « road-movie climatique »
Initiée par le mouvement citoyen Alternatiba (« alternative » en langue basque), né en 2013 à Bayonne, l’aventure a été pensée comme un « road-movie climatique ». Pour symboliser « la transition écologique, la solidarité et l’effort collectif », les cyclistes se sont embarqués sur des tandems, l’un à quatre places, les deux autres à trois places, une quadruplette et des triplettes, évidemment peints en vert. Ils seront quarante volontaires à se relayer au guidon tout l’été, se familiarisant avec les changements de plateaux parfois capricieux de ces drôles de biclous conçus par un atelier berlinois.
A l’arrivée dans le centre-ville de Valence, une quarantaine de cyclistes locaux rejoignent le peloton. C’est un rituel de chaque fin d’étape : la « vélorution », sorte de parade à deux-roues avec les habitants du coin et hymne aux transports non polluants. Dans le cortège, entre les vélos couchés, les VTT et les pignons fixes, douze courageux moulinent sur un vélomnibus à vingt places. Juchée sur un vélo-sono électrique, Sabrina briefe le cortège : « Soyez courtois et souriants avec les automobilistes, le but est de faire passer un message positif ! »
Allier mobilisation et esprit festif, c’est la philosophie d’Alternatiba, nous détaille Barth, une des chevilles ouvrières du tour, en égrenant les soirées de concert et de repas partagé qui ont émaillé les quatre semaines de route déjà dans les pattes. « Chaque étape nous permet de rencontrer des collectifs locaux, des associations, des citoyens engagés, qui se chargent d’organiser une animation autour de notre passage. Les gens nous accueillent, nous nourrissent et nous logent. » Le matin même, à Crest, Gabriel, membre d’un atelier vélo associatif, a remis d’aplomb la fourche d’une des triplettes. Du cambouis plein les doigts, il confie trouver dans l’aventure Alternatiba une résonance avec ses préoccupations de néorural trentenaire et de « militant du vélo ».
“Si une personne sur cinq se convertit à ces alternatives, on bascule dans un changement concret”Le soir tombe sur Portes-lès-Valence où s’est posée la « caravane » du tour. L’heure de la conférence-débat quotidienne sur le climat a sonné. Devant une centaine de personnes, militants associatifs, élus locaux, familles avec enfants, Barth et Sabrina se lancent dans un énoncé « des mauvaises et des bonnes nouvelles ». « La mauvaise nouvelle, attaque Barth, c’est que le réchauffement climatique connaît une hausse exponentielle et qu’on n’est qu’au début de la fièvre. Si on ne change rien, l’augmentation sera de 5 à 6 degrés en 2100. »
Sabrina embraye sur un mode plus positif : « Dans les dix, quinze ans à venir, tout est entre nos mains. Si on fait ce tour à vélo, c’est que la situation est grave et que les politiques ne sont pas à la hauteur de l’enjeu. Mais aussi que des milliers d’initiatives locales sont déjà à l’oeuvre. Couper le robinet quand on se lave les dents, c’est important. Mais choisir à qui on paie son électricité ou à qui on confie son argent, adhérer à une Amap, à une recyclerie, s’inscrire sur un site de partage pour emprunter des outils, c’est encore mieux. Si une personne sur cinq se convertit à ces alternatives, on bascule dans un changement concret. »
Buffet de salades de lentilles et de quiches vegan
Sur un écran vidéo, se succèdent les témoignages de Christiane Hessel, veuve de Stéphane Hessel, le parrain du mouvement Alternatiba, de l’économiste altermondialiste Geneviève Azam, du climatologue Christophe Cassou ou du philosophe Patrick Viveret, qui invite à « sortir du climat dépressif de résignation ».
Devant la MJC, au milieu d’un buffet de salades de lentilles et de quiches vegan, la maire de Portes-lès-Valence, venue « par curiosité », reçoit des cyclistes le pacte pour la transition, remis à chaque étape aux élus locaux. « C’est une manière de les associer, indique Barth, en leur proposant de s’engager sur cinq mesures très concrètes parmi les quinze qu’on leur propose. Ils ont jusqu’au 26 septembre, date de l’arrivée du tour, pour se décider. » Un peu plus loin, une conseillère régionale Europe Ecologie-Les Verts exprime son enthousiasme face à la démarche : « Ces mouvements citoyens sont importants pour nous, élus. On s’appuie sur eux pour faire avancer le débat. Hier, au conseil régional, je suis parvenue à faire voter que la Région s’associe à la campagne internationale de désinvestissement du secteur des énergies fossiles, initiée justement par des citoyens. »
A Marseille Jean-Claude Gaudin a voulu interdire le passage du tour
Mais tous les élus n’accueillent pas avec la même bienveillance les tandems verts : à Marseille, quelques jours plus tôt, Jean-Claude Gaudin a voulu interdire le passage du tour et la tenue du village des alternatives prévu sur le cours Julien. Les cyclistes, soutenus par les associations locales, ont tenu bon. Terminant même leur parcours sous les fenêtres de la mairie, où des « vélorutionnaires » en maillot de bain, masque et tuba, ont souligné avec humour l’urgence de réagir face à la montée des mers.
A Grenoble, où les triplettes ont fait halte le 2 juillet, c’est au contraire avec le sourire complice du maire écolo Eric Piolle qu’elles ont été reçues. Une étape symbolique dans cette cité de cent quarante mille habitants, la plus importante dirigée par une municipalité verte (1). Symboliques aussi, l’arrêt prévu début août à Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais (un modèle de ville en transition sociale, économique et environnementale), la traversée de la plus vaste vallée bio de France, dans le Val-de-Drôme, ou encore la visite d’un projet de parc éolien destiné à alimenter 1 600 foyers du côté de Sedan.
Pour l’heure, ce 1er juillet, les cyclistes ont choisi de faire un crochet par la ZAD (« zone à défendre ») de Roybon, dans l’Isère. Là, au cœur de la forêt de Chambaran, des militants occupent depuis décembre un terrain de 76 hectares pour empêcher la construction d’un Center Park. Pour les équipiers d’Alternatiba, cette étape est une façon de manifester leur soutien « à ceux qui combattent les grands projets inutiles et imposés ».
Ils ont aussi mis sur leur route Notre-Dame-des-Landes et la ferme des « Mille Vaches », dans la Somme. « Ce sont des endroits de lutte contre les fausses solutions », souligne Txetx Etcheverry, en reprenant des forces devant le pique-nique offert par les zadistes. Dans la ZAD, vaste camp retranché forestier barré par d’imposantes barricades de troncs et de branchages, un jeune homme nous explique : « Ce que nous combattons ici, c’est la destruction d’une zone humide unique qui abrite une biodiversité très riche et des espèces protégées, tout ça pour créer une usine à touristes, une bulle tropicale à la consommation en eau et en énergie effarante. »
“Il n’y a que notre génération qui peut agir, dans les dix ans qui viennent. C’est une bataille qui ne se rejouera pas”La fraîcheur tombe doucement sur la forêt. Malgré la chaleur et les kilomètres, l’énergie de Txetx Etcheverry ne semble pas entamée. « Le changement climatique est exponentiel, insiste-t-il, mais je suis convaincu que la mobilisation peut l’être aussi. Ces derniers mois, on a vu naître une dynamique, il y a eu la marche de New York en septembre 2014, la plus grande jamais organisée avec 300 000 personnes, la récente encyclique du pape… Il faut maintenant réussir à lier les militants les plus radicaux, qui s’appuient sur le climat pour changer le système, et les gens qui, comme le pape ou le dalaï-lama, sans être anticapitalistes, ont le sens de l’intérêt commun et auront un effet d’entraînement. Il n’y a que notre génération qui peut agir, dans les dix ans qui viennent. C’est une bataille qui ne se rejouera pas. » De quoi pousser les forçats de la route à mouliner encore plus fort pour enclencher la dynamo.
Olivier De Schutter : « Nous sommes extrêmement immatures dans notre manière de concevoir l’avenir de nos sociétés »
Agnès Rousseaux, Sophie Chapelle
www.bastamag.net/Olivier-de-Schutter-Nous-sommes-extremement-immatures-dans-notre-maniere-de
« Avec quelques décisions courageuses, le problème de la faim pourrait être résolu. » C’est le constat sans appel dressé par Olivier De Schutter, ancien rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation, alors que 795 millions de personnes souffrent de sous-alimentation. Fervent défenseur de l’agro-écologie, il revient avec Basta ! sur les lobbys à l’œuvre qui bloquent tout changement, dans le secteur agricole comme énergétique. Partisan d’une nouvelle redistribution des richesses, il appelle à inventer de nouveaux rapports sociaux. « Sans revoir les modes de consommation des sociétés riches, nous n’éviterons pas une catastrophe à l’horizon 2080 », prévient-il. Entretien.
Basta ! : Vous avez été pendant six ans rapporteur spécial des Nations Unies sur le droit à l’alimentation. Aujourd’hui 795 millions de personnes dans le monde ont faim, selon la FAO – l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. La situation ne cesse d’empirer. Comment expliquez-vous cet échec ?
Olivier De Schutter [1] : Près d’un milliard de gens ne mangent pas à leur faim, souffrent de sous-alimentation. Et 2,5 milliards de personnes souffrent de malnutrition : elles mangent à leur faim mais leur régime n’est pas suffisamment diversifié pour éviter qu’elles ne tombent malade, résistent aux épidémies,… La sonnette d’alarme a été tirée il y a 25 ans ! Pourquoi rien ne bouge ? Les gouvernements des pays du Sud dépendent pour leur stabilité des élites des villes. Leur souci premier est donc d’écouler sur les marchés des villes des calories à bon marché pour éviter l’impatience des populations urbaines. Cela se fait au détriment des petits agriculteurs et des campagnes. Le problème n’est pas agronomique ou technique, ni même économique : c’est un problème d’absence de prise en compte des intérêts des petits paysans dans la formulation des politiques publiques.
Selon votre prédécesseur aux Nations Unies, Jean Ziegler, laisser mourir de faim un milliard de personnes est un crime contre l’humanité. Qui est responsable de cette malnutrition ?
C’est un paradoxe : nous produisons dans le monde de quoi nourrir plus de 12 milliards de personnes. 4600 kilocalories par jour et par personne sont disponibles. Mais un tiers environ de cette production est gaspillée, perdue, et résoudre ce problème ne semble pas une priorité. Une partie importante des céréales est utilisée pour l’alimentation du bétail. Une autre part, de plus en plus importante, va vers la production d’énergie – biodiesel, éthanol –, une tendance encouragée jusque récemment à coups de subventions par les gouvernements. Il reste tout juste de quoi nourrir un peu plus de 7 milliards de personnes. Les écarts de revenus considérables font qu’un grand nombre de personnes sont trop pauvres pour s’alimenter décemment.
Si Jean Ziegler parle de « crime », c’est parce que ces morts sont évitables. La faim et la malnutrition sont des questions politiques : nous avons toutes les solutions techniques requises, mais nos gouvernements n’en font pas une priorité. Avec quelques décisions courageuses, le problème de la faim pourrait être résolu : en mettant en place des politiques beaucoup plus redistributives, en donnant la priorité à l’alimentation par rapport aux autres demandes adressées au secteur agricole, et en ayant une meilleure représentation des agriculteurs dans les choix politiques. On pourrait très vite résoudre ce problème qui nous hante.
Les émeutes de la faim de 2008 ont été en partie causées par la spéculation financière. Quelles actions ont été menées pour mettre un frein à la spéculation sur les matières premières ?
En 2008, rares étaient ceux qui disaient que la spéculation financière – les acteurs financiers, les fonds d’investissements – jouaient un rôle dans l’augmentation des prix des denrées alimentaires et des matières premières agricoles. Aujourd’hui, la FAO, la Banque mondiale ou l’OCDE reconnaissent que cette spéculation a joué un rôle néfaste. Depuis, des mesures ont été prises. A la demande du G20, un système d’information sur l’état des réserves disponibles (Agriculture Market Information System – AMIS) a été mis en place. Cette transparence est importante car au printemps 2008, les rumeurs et informations erronées avaient joué un rôle dans l’explosion des prix du maïs, du blé ou du riz, en incitant les gouvernements à accroitre leurs stocks, et en créant ainsi une rareté artificielle. Mais le secteur privé, les grands céréaliers – Dreyfus, Cargill, Bunge par exemple – qui détiennent des réserves considérables, ne participent pas à cet échange d’informations. Si les gouvernements disposent de réserves alimentaires d’urgence, en cas de catastrophe naturelle, ils sont cependant réticents à en créer d’autres, qui pourraient causer des distorsions sur les marchés. On continue de faire comme si l’évolution erratique des prix était utile aux producteurs, ce qui est une absurdité.
Notre modèle agricole est à bout de souffle. Pour sortir de cette impasse, vous défendez l’agro-écologie…
L’agro-écologie, c’est le bon sens. C’est une manière efficiente d’utiliser les ressources, et de réduire l’empreinte écologique de nos modes de production. Mais l’agro-écologie ne se réduit pas à une série de techniques agronomiques. C’est une manière de penser le rapport de l’agriculture à d’autres enjeux de société : développement rural, santé des populations, maintien des fermes familiales qui sont en train de disparaître. Penser l’agriculture sans penser à la santé, à l’environnement, à l’emploi, au développement rural, à l’aménagement du territoire, cela n’a guère de sens. L’agro-écologie échappe en partie à la compétence d’un ministre de l’Agriculture. Il faut une véritable politique alimentaire en France, plus que des politiques agricoles, d’environnement, d’aménagement du territoire ou de santé. Une politique alimentaire intégrée qui fasse de l’agro-écologie un véritable levier de transformation.
Comment voyez-vous le rapport de force avec les acteurs économiques – lobbys, défenseurs d’une agriculture productiviste, multinationales ou acteurs bancaires – qui bloquent la transition vers ce modèle agricole ?
De nombreuses formes de pression sur l’agriculture vont dans le sens opposé à l’agro-écologie. Nous restons prisonniers d’une obsession pour les économies d’échelle, les monocultures, la production de larges volumes standardisés de matières premières agricoles. Très souvent l’agriculteur est lui-même « standardisé ». Les raisonnements économiques priment dans les choix de production. Nous sommes incapables de changer de paradigme car toutes les politiques agricoles sont focalisées sur l’augmentation des exportations. L’inverse de l’agriculture paysanne, qui n’est pas en adéquation avec les longues chaines de commercialisation. Mais au fond, ce sont les marchés qui ne sont pas en adéquation avec l’agro-écologie. Si l’on ne travaille pas aussi sur les marchés, l’agro-écologie n’a aucune chance de réussir.
Concrètement, comment fait-on pour remettre en cause les règles du commerce international ?
Le commerce international agricole est basé sur une idée très simple : une division internationale du travail toujours plus avancée. Chaque région se spécialise dans les productions sur lesquelles elle a un avantage comparatif, voire ne produit qu’une seule chose et dépend des autres pour le reste de ses besoins. C’est le modèle imposé dans les années 1980-1990, et qui a montré toutes ses limites, écologiques, agronomiques et économiques. Des régions sont extrêmement fragilisées. Quand le prix du riz est passé de 150 à 800 dollars la tonne en l’espace de quelques semaines, en 2008, les pays d’Afrique de l’Ouest ont été véritablement pris au piège, dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins, d’importer à ce prix.
Il faut encourager chaque région à satisfaire autant que possible ses propres besoins alimentaires. Malheureusement les règles du commerce international incitent exactement à l’inverse. L’OMC est une créature du 20e siècle. Il faut accepter que nous ayons changé de siècle. Et nous faisons face à une véritable crise de la démocratie avec les accords de commerce, négociés actuellement dans le secret. Une sorte de « Guantanamo de la démocratie » avec des accords qui échappent à tout véritable contrôle démocratique, et qui vont limiter le pouvoir des parlements, mis sous tutelle de ces accords de libre-échange. C’est extrêmement inquiétant.
Changer l’agriculture, mettre fin à la faim dans le monde, est une question de choix politique, dites-vous. Faites-vous le même constat sur la question de la transition énergétique ?
Sur le climat, nous nous gargarisons d’illusions. Le mot à la mode, « croissance verte », parie sur le génie de nos ingénieurs pour trouver les innovations technologiques qui vont nous permettre de « décarboniser » notre croissance. C’est une pure utopie. Depuis 1990, le PIB n’a pas cessé de progresser mais l’intensité en carbone de la croissance a diminué de 0,7 % par an environ. Sauf qu’en parallèle, la population augmente de 0,8 % par an, et les revenus de 1,4 % par an à l’échelle mondiale. Le « verdissement » de la croissance est insuffisant pour compenser l’augmentation de la population et des revenus, donc de la consommation. Sans revoir radicalement dans les sociétés riches nos façons de consommer, de produire, de nous déplacer, de nous chauffer, nous ne parviendrons jamais à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans les proportions nécessaires pour éviter une catastrophe à l’horizon 2080.
Si certains prétendent aujourd’hui que l’on peut continuer comme si de rien n’était, c’est parce que les objectifs de réduction de gaz à effet de serre ne sont pas liés au commerce international. Nous nous prétendons vertueux pour une raison très simple : pour satisfaire nos besoins, nous faisons produire ailleurs. Nous externalisons toutes les industries polluantes et importons toujours plus. C’est une hypocrisie complète. L’Union européenne ne peut pas s’engager à une réduction des émissions de gaz à effet de serre sans tenir compte des émissions qui résultent de notre consommation, des marchandises que nous importons, et en ne comptabilisant que ce qui est produit dans l’UE.
Dans ces conditions, qu’espérez-vous des négociations internationales sur le climat (COP21) qui auront lieu à Paris en décembre ?
Il faut remédier à cette anomalie, à ce système qui conduit à dédouaner les régions qui réduisent leurs émissions tout en important toujours plus et en laissant d’autres polluer à leur place. Ce n’est plus possible. Il faut aussi impérativement reconnaître le rôle des innovations sociales dans la lutte contre le changement climatique. Nous avons beaucoup misé sur les innovations technologiques, et sous-estimé l’importance de l’innovation sociale, comme les chaines courtes en matière d’alimentation, le recyclage des déchets à l’échelle des collectivités locales, l’économie du partage qui permet de s’attacher moins à la possession de biens qu’à l’échange de biens devenus des « biens communs ». Les citoyens sont inquiets et inventent de nouvelles manières de produire et de consommer, mais qui ne sont pas soutenues par les pouvoirs publics, ou rencontrent des obstacles règlementaires. Ces innovations ouvrent pourtant la voie de la transition écologique, à la manière de premiers de cordée en alpinisme.
Faut-il produire moins ? Faut-il réduire nos importations ? Est-ce aujourd’hui acceptable pour les plus pauvres d’entre nous ?
Depuis les années 1970, l’augmentation de la consommation matérielle n’a pas augmenté le bonheur. Les gens sont plus malheureux, plus stressés aujourd’hui, alors que le PIB a augmenté de manière considérable, sans doute triplé. La croissance des inégalités a conduit à une augmentation du ressentiment. Les gens se sentent moins bien dans leur peau. Il y a un mieux-vivre à recréer, qui passe par une réduction de la consommation matérielle. Parallèlement, au Sud, les pays très pauvres doivent pouvoir se développer. Décroissance chez nous, croissance au Sud, pour arriver à une convergence progressive vers des modes de vie qui soient soutenables pour la planète tout entière. C’est difficile.
La croissance est la base du système capitaliste. Cela veut-il dire qu’il faut changer de système économique ?
Pourquoi a-t-on besoin de croissance ? D’abord parce que les pays sont endettés, et que le coût de remboursement de la dette publique est plus important en l’absence de croissance économique. La solution passe par une restructuration de cette dette, des mécanismes pour se débarrasser de ce fardeau, qui détermine aujourd’hui nos choix de société. Ensuite, la croissance est vue comme nécessaire parce que les technologies ont permis d’augmenter la productivité du travail – c’est-à-dire de détruire de l’emploi. Cela signifie que la croissance économique est nécessaire pour créer de l’emploi – pour ceux qui n’en ont pas et ceux qui ont perdu de leur emploi en raison des innovations technologiques – pour éviter le chômage de masse.
Il nous faut aller vers une société où le travail sera moins central. Où nous attacherons beaucoup plus d’importance aux loisirs, à l’équilibre entre vie professionnelle et vie familiale. Nous avons dégagé du temps grâce aux gains de productivité du travail, mais ce temps a été utilisé non pas pour la culture, la musique, la conversation entre amis, mais pour travailler encore plus, gagner davantage et consommer toujours plus. C’est une impasse. Et une sorte d’aveu d’impuissance : nous sommes extrêmement immatures dans notre manière de concevoir l’avenir des sociétés.
Par où faut-il commencer ?
Nous sommes longtemps partis de l’hypothèse que les hommes et les femmes sont des êtres profondément égoïstes, intéressés uniquement par la maximisation de leur intérêt personnel. Les recherches anthropologiques montrent au contraire que nous sommes des êtres altruistes, qui coopérons les uns avec les autres. Des êtres qui nouent des liens sociaux, qui ont besoin des autres, et sont malades littéralement lorsqu’on encourage un comportement hyper individualiste, égoïste, comme celui des manuels d’économie politique. Il faut miser sur cet altruisme et lui permettre de s’épanouir. Avec des initiatives d’économie du partage, des services rendus entre voisins, des potagers collectifs où chacun peut contribuer ou se servir, des rapports entre producteurs et consommateurs fondés sur la confiance plutôt que sur le souci pour les consommateurs d’avoir les prix les plus bas et pour les producteurs de gagner le plus possible.
Tout cela existe déjà à une échelle relativement embryonnaire. Il faut réfléchir un cadre réglementaire et politique qui permette à ces initiatives de se déployer. Il s’agit au fond de définir un nouveau paradigme des rapports sociaux. La matière première de cette révolution est là. Il existe une série de révolutions tranquilles, qui préparent cet avenir. Mais le politique a du mal à suivre. C’est profondément un problème de gouvernance. Aujourd’hui les gens veulent réfléchir pour eux-mêmes et prendre en main leur destin. Ils veulent que le politique leur donne un espace pour inventer leurs propres solutions.
Vous êtes très optimiste sur la nature humaine. Ces alternatives sont le fait aujourd’hui d’un petit nombre de citoyens. On voit aussi beaucoup de repli sur soi, de haine de l’autre… Ce modèle peut-il être désirable pour la majorité de nos concitoyens ?
Le discours dominant depuis le XVIIIe siècle insiste sur le fait que nous sommes des êtres intéressés par l’amélioration de notre profit personnel. Ce discours qui se prétend scientifique – qui vient surtout des économistes – a imprégné les consciences. On a amené les gens à réprimer la meilleure part d’eux-mêmes, la part altruiste, coopérante. Max Weber explique bien dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme comment cette rupture s’est effectuée, lorsque la mentalité pré-capitaliste, traditionaliste, a été marginalisée. Il est très difficile de sortir de cette cage psychologique.
L’augmentation des inégalités depuis le début des années 1980 crée des tensions au sein de la société, une compétition. Il faut des politiques sociales qui renforcent l’égalisation des conditions matérielles, pour éviter que les gens ne se jaugent qu’au regard de la consommation dont ils sont capables par leur pouvoir d’achat. Et les politiques doivent cesser de jouer sur les peurs, et au contraire donner aux gens l’envie de collaborer pour une société meilleure. C’est une rupture culturelle autant qu’économique et politique qui est nécessaire.
Notes
[1] Professeur de droit international à l’Université catholique de Louvain, en Belgique, Olivier De Schutter a été à partir de 2008 à 2014 rapporteur spécial pour le droit à l’alimentation du Conseil des droits de l’homme à l’Organisation des Nations unies. Il a été secrétaire général de la Fédération internationale de la Ligue des droits de l’homme, en charge des questions liées à la mondialisation économique.
Barakaldotik Baionara lowcost bizimodua saltzen
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Barakaldokoaren ondotik, IKEAren bigarren frankiziak ateak zabalduko ditu Baionan. Hamaika urteko aldea dago Barakaldoko eta Baionako “errepublika independenteen” artean, baina, altzari merkeez gain, bada Suediako multinazionalaren bi egitasmoak batzen dituen haria: bizimodu prekarioa. Low cost ereduak bizi gaitu.
Abuztuaren 26a egutegian ondo markatuta izango du batek baino gehiagok, altzarien eta dekorazioaren alorrean mundu mailako ikurrak ateak irekiko baititu Baionan. Lehen hiru egunetan 40.000 bisitariren erromesaldia jasoko dute, frankiziako zuzendari Christian Kaelenen ustez. Izen ofiziala IKEA-Ametzondo izango du merkataritza-gune erraldoiak eta altzari dendarekin batera Carrefour, Mc Donald’s, Mango eta Primark moduko multinazionalek – orotara 92 markek– beteko dute. Hiriburu, Mugerre eta Baiona udalerrietako 37.747 metro koadro okupatuko dituzte eta urtero 8 milioi lagun jaso nahi dituzte. Hasiera batean frankizia berria Irunen ezartzeko asmoa zuen IKEAk, baina erakunde publikoen presio eta laguntzen bidez Baionara erakarri zuten. Alain Iriart Hiriburuko alkateak patuari egotzi zion suediarren etorrera, 2013ko abenduan saltokiaren lehen harria ezartzeko ekitaldian: “Urdina eta horia dira Ikearen koloreak, Hiriburuko armarri historikoaren berberak: elkar topatzeko eginak ginen”. Halere, “zoriak” ekonomiarekin, lan baldintzekin eta naturarekin lotutako kezkak ekarri ditu.
IKEA-Ametzondo guneak 8 milioi autoren poluzioa ekarriko du –%60 Hegoaldekoak– , Bizi! mugimendu altermundistak zabaldutako datuen arabera. A63 eta A64 autobideaksaltokitik 30 metro eskasera izateak ez du egoera hobetzen lagunduko. Ingurumenaren defentsan aritzen da Mugerreko Cadre de Vie elkartea eta ikuspegi ekologikoa eztabaidaren erdian kokatu duen taldeetako bat izan da. “Osasun publikoaren aurkako erasoa izango da IKEAren bueltan garraioak sortuko duena”, dio Martin Bouchet taldeko kideak. IKEA-Ametzondo ingurune natural baten gainean eraiki izana ere salatu dute Cadre de Vieko lagunek. “Urak erraz hartzen duen zonaldea da, eta merkataritza-gunearen inpermeabilizazioak uholde arriskua duten inguruko auzoen egoera kaltetuko du. Zonalde naturalak hormigoitzea akats larria da”, Boucheten ustez.
Merkataritza-gune handiz josita dago Baiona-Angelu-Biarritz triangelua. Biztanle eta saltoki kopuru arteko proportziorik handiena du Frantziako Estatuan, milioi erdi biztanle dituzten Estrasburgo edo Rennes moduko hirien pare. Baionako Merkataritza eta Industria Ganberak salatu zuen egoera hori 2012ko ikerketa batean, eta erakunde publikoei “aterabiderik ez duen eredu horri galga jartzeko” eskatu diete. Martin Bouchet ere kritiko agertu da erabakiarekin, “IKEA ezartzeko prozesuan herritarrek ezin izan dugu parte hartu, bulegoetan hartutako erabakia izan da”.
Merkataritza-guneen saturazioa ez du IKEA-Ametzondok soilik eragin, beste merkataritza-gune gehiago irekitzeko edo handitzeko prozesuan daude-eta. Landetako hegoaldean Ondres herrian Les Allées Shopping berria edo BAB2 merkataritza-gunearen handitzea, kasu. Merkataritza-gune erraldoien eraginez Baionako saltokien salmentak %25 jaitsiko dira, hirigintza eta merkataritza espezializatuaren aldeko Procos Federazioaren 2014ko ikerketa baten arabera. Nazioartean egindako azterketa askok berresten dute aurreikuspen ilun hori. David Neumark, Junfu Zhang eta Stephen Ciccarella unibertsitateko irakasleen ikerketaren arabera, multinazionaletan sortzen den enplegu bakoitzak tokiko komertzio txiki eta ertainean 1,64 lanpostu suntsitzen ditu.
Multinazionalen etorreraren alde erabiltzen den argudio sendoena lanaren sorrera da. IKEAk 300 lanpostu agindu ditu– gehi beste 800 Ametzondon–, BAB2ren handitzeak 300 eta Les Allées Shopping-ek 1.500 iragarri ditu. Ametzondoko agintariek diote lanpostuen %80 inguruko jendearentzat izango direla, baina Cadre de Vie-ko kideak marketinarekin lotzen ditu datu horiek: “Kopuru horiek egiazkoak direnentz jakiteko ez dute inolako azterketa ekonomikorik aurkeztu. IKEAk agindu dituen 300 horietatik, momentuz, 155 baino ez dituzte publikoki eskaini. Beraz, zeinek sinetsi dezake Ametzondon 800 lanpostu sortuko dituztela?.” Bizi! kolektiboko kideak ere ezkor dira erantzun gabeko galderen aitzinean: “Zer lanpostu mota eta, batez ere, zein kontratu eta lan-baldintza eskainiko dituzte?”.
Erantzunaren zantzuak 160 kilometrora aurki ditzakegu.
Barakaldoko ispilu prekarioa
2004an krisi ekonomikoaren aurreko “garai zoriontsuen” testuinguruan lurreratu zen IKEA Barakaldon; zehatzago MegaPark saltoki erraldoian. Europako bosgarren merkataritza-gunerik handiena da: 440.000 metro koadro, horietatik 127.000 saltokientzat, eta urtean 18 milioi bisitari izaten ditu. Ikeaz gain, Leroy Merlin, ToysRus, Decathlon, El Corte Inglés eta Media Markt daude marka handien artean. Baionako kasuan bezala, zonalde berean ugaldu dira merkataritza-gune handiak: MegaPark, MaxCenter, Max Ocio, Carrefour moduko saltokiak… Europan komertzio eta biztanle kopuru arteko ratiorik handienetakoa du Barakaldo, Trapagaran eta Sestaoko mugaldeko eremu horrek.
IKEA Barakaldoko azken hezegune naturalaren gainean eraiki zuten eta horrek herritarren eta talde ekologisten haserrea piztu zuen. Hezegunearen izen bera du IKEA alboko Zuatzu eta Arteagabeitia auzoetako elkarteak: Ibarreta. Elkarteko kide Txiki Castañosek herritarren nahiaren aurkako erabakia izan zela azpimarratu du. “Ibarreta-Zuloko hezegunearen inguruko lurren erabilerari buruzko inkesta egin zen 1990ean eta barakaldarrek parke publiko bat aukeratu zuten alde handiz. Ez ziguten inolako kasurik egin. Horren partez, naturgunearen suntsiketa, poluzioa eta prekarietatea ekarri zizkiguten”.
Politikarien hipokrisia salagarria iruditzen zaio Castañosi, alderdi guztiek komertzio txikiaren aldeko diskurtsoa izanik ere, multinazionalen etorrera sustatu baitute. “Multinazionaletan oinarritutako eredu ekonomikoak eragin handia izan du eskualde osoan, baina okerrena da multinazionalen etorrerak ez duela etenik izan”. Mercadonak MegaParken laster irekitzeko asmoa duen saltokia gogoan, irmotasuna eskatzen dio Udalari. “Udalak berak onartzen du zonaldea merkataritza-gunez gainasetuta dagoela. 2012an Saturn saltokiak egin zuen bezala, noizbait IKEA joango balitz, egin dezatela, behingoz, merkatari txikiaren aldeko apustua eta ez dezatela beste multinazionalik ezartzen laga”.
Baionan IKEA ezartzeko argudio nagusia Barakaldon erabilitako bera izan zen: lanpostu askoren sorrera. Hasieran agindutako 500 lanposturen kopurura inoiz heldu ez den arren, pertsona askok topatu du IKEAn bere eskulana saltzeko aukera. Zer nolako lana, baina? “IKEAk eskaini duen bakarra prekarietatea izan da”. Ziur mintzo da Gotzon Mardarats LAB sindikatuko ordezkaria. Hamaika urtez, sorreratik, egin du lan Barakaldoko IKEAn eta haren ustez, egoerak urtetik urtera okerrera egin du. “Ez dugu hitzarmen kolektibo propiorik, Estatu mailakoa inposatzen digute, justifikaziorik gabeko dozenaka kaleratze agindu dituzte, baja hartzeko baldintzak murriztu dituzte, lanegunetako plusekin egin duten bezala, eta larriena, langileak zatitu nahi dituzte lanpostu finkoa eta aldi baterako kontratua dutenen arteko aldeak handituz. %30 aldi bateko langilea da eta kontratu motaren arabera, lan eta ordu kopuru bera eginda, 4.000 euroko aldea egon daiteke soldatan. Dumping soziala da, xantaia”.
Barakaldoko IKEAn prekarietateak emakume gaztearen aurpegia duela dio Mardarasek azken datu ofizialetan oinarrituta (2012koak). 424 langileen artean 130ek gutxieneko soldata interprofesionala (645,30 euroko 14 paga) baino gutxiago kobratzen dute, eta horietatik %74 emakumeak dira. Langileen %39k baino ez dute 900 eurotik gorako lansaria jasotzen hilero.
Lan baldintzen gogortzeak ez du loturarik izan IKEAren irabaziekin. “Gaizki deitutako krisiak 2010-2011 inguruan jo zuen gogorren hemen. Ba, halere, 2011n IKEAk 11.926.000 euro irabazi zituen. Beste era batera esanda, 2008 eta 2014 artean, krisiak baldintzatutako 7 urtetan Barakaldoko IKEAk 57 milioiko irabaziak izan ditu, eta haren ibilbide osoan ez du inoiz galerarik izan”.
Prekarietatearen gurpil zoroan harrapatuta
Goizeko 6etan lantokira heldu, kontratua sinatu, lanean hasi, amaitu, kontratua zakarrontzira bota eta langabezira hurrengo goizera arte. Egunero kontratu berri bat eginez eta hilean 900 euroren truke, urtebete eman zuen emakume gazte batek Barakaldoko Decathlonen. Bazterketa sozialaren aurkako Berriotxoak taldeko kide Juan Carlos Becerrak, MegaParkeko lan motari buruz galdetuta, jarritako egiazko adibidea da. Baina galdera zera da; emakume horrek, gutako askok bezala, kamisetak Zaran, telebista Media Markten, tomateak Mercadonan, armairuak IKEAn eta kirol-oinetakoak Decathlonen erosten dituela jakingo bagenu, inor harrituko al litzateke? Multinazionalek eskaintzen duten lana herritar askok prekarietatearekin eta esplotazioarekin lotzen badu ere, erosketak horrelako saltokietan egiteari uzten al diogu? Edozein asteburutan merkataritza-gune handi batera hurbiltzea besterik ez dago low cost eredua gure bizitzan zeinen txertatuta dagoen jabetzeko.
Nielsen aholkularitza enpresak 2014an egindako ikerketaren arabera, erosketak egiteko orduan herritarren %90ak lehenesten duen baldintza prezioa da, eta %65ak bigarren aldagai gisa promozioak hobesten ditu. Produktuaren kalitatea atzetik dator, eta enpresako langileen baldintzak, naturarekiko errespetua edota irabazien erabilera soziala moduko kezkak ez dira zerrendan agertu ere egiten. “Ni ez naiz tontoa” ereduak harrapatuta gauzkala dirudi, baina low cost produktuen bitartez low cost bizimodua eskaintzen digun begizta maltzurretik ateratzerik ba al da?
Alternatibak sortzeko beharra
Bizi kolektiboak apirilean argitaraturako 10.000 enplegu klimatiko Ipar Euskal Herrian txostenean, Jose Ramon Becerra ingeniari eta militante ekologistak hala dio: “Mundu mailako krisi ekonomiko, sozial eta politikoaren aitzinean, herriak behartuak dira kohesio soziala atxikiko duten tokiko eta eskualdeko estrategiak sortzera”. Logika antzekoa konpartitzen dute kontsumismoari alternatibak sortzeko erronkari heldu dioten egungo mugimendu askok.
Bizi! mugimenduko kideen aldarri honek irudikatzen du ildo partekatua: “IKEAren eredu hiperkontsumista eta finantza mundializatuari lotuta ez dugu bizi nahi. Gutako bakoitzaren eroste edo kontsumo ekintza bozka bat da”. Botere faktikoek herritar baino kontsumitzaile gisa ikusten gaituzten garai hauetan, eguneroko gure kontsumo hautuei zentzu politikoa ematea azpimarratzen dute. Hau da, ezkerrek sarri alboratu duten erantzukizun pertsonalari heldu eta arazoaren muinean dagoen gure bizimodu eredua aldatzera ekitea proposatzen dute mugimendu askok. Inoren eta ezeren zain egon gabe, gaurko kontsumo ohitura “txarrak” desobedituz, gaurdanik “ondo” bizitzea helburu.
Feminismoak ezagun egin duen “pertsonala politikoa da” ideian sakonduz –egun multinazionalen eredua ordezkatzeko formula magikorik ez dagoela jakitun– kapitalismoak aurretik prefabrikatutako erantzun erosoetara ez jotzea iradokitzen dute, eguneroko gure kontsumo ohiturez hausnartzeko gonbitarekin batera: egiatan behar al dut erosi nahi dudan hori? Hala bada, birziklatzearen bitartez lor al dezaket? Bestela, tokiko edo gertuko saltokietan lor al dezaket? Produktuak niregana heltzeko izan duen prozesuaz zer edo zer ba al dakit? “Galderak zabaltzen du bidea” leloari jarraiki, erantzunak baino galderarekin batera datorren jabekuntza eta ardura ariketari lehentasuna ematen diote.
Logika horri tiraka,“brikolaje soziala” moduko proposamenak sortu dira. Zaharkitzapen programatuaren biktima izan diren altzari eta etxeko tresna elektrikoen birziklatzea eta berrerabilpena sustatzeko ekimen kolektiboak dira. “Ados, hori guztia oso polita da, baina hurrengo astean non erosiko dut nire gelarako armairua prezio antzekoan?” esango dizu lagun ernegatuak, izen eta abizendun denda eske. Eta kopeta belztuko zaizu, diruaren logikaren itsasoan esplotazioa eta prekarietatea bazka dituzten marrazoak beti garaile izanen direla jakitun. Horregatik, hain zuzen, teoriatik praktikarako saltoa –sarri amildegia dirudiena– emateko pedagogia garatzea da gizarte mugimenduek aurrean duten erronka nagusietakoa.
Ipar Euskal Herrian, IKEA eta inguruko zenbait merkataritza-gune handien eraikuntza saihesteko beranduegi da, baina Bizi!ko kideen iritziz, saltegi txikien akabera ez dago idatzita; gure ohiturak aldatu eta tokiko kontsumoa lehenetsiz gero. “Ziur gaude hori guzia nahi dugula ikusi desagertzen? Hauta dezagun bizitzeko nahi dugun mundua”. Herritarron erantzuna batekoa zein bestekoa izan, eguneroko gure hautu txikiak gidatuko dituen logikaren araberakoa izango da geure mundua, Barakaldon zein Baionan.
Ikea eredua
Multinazionalaren sortzaileak Ingvar izena du (I), Kamprad du abizena (K), Elmtaryd baserrikoa da (E), eta Agunnaryd-en hazi zen (A). Hortik jaio zen munduko altzari eta dekorazio enpresarik ezagunena: IKEA.
1940ko hamarkadan sortu zuen Ingvar Kampradek ia-ia ezerezetik abiatuta –pospoloak merke erosi eta auzokideei saltzen zizkien batengana eta bestearengana bizikletan joanez–. Gaur egun 35.000 milioi euro inguruko dirutzaren jabe egin da. Multinazionalaren etorkizuna bere hiru semeen esku dago egun.
Enpresa suediarrak 3.300 milioi euroko irabaziak izan zituen 2013an. Hazkundea dute jomuga: 2020 baino lehenago salmentak bikoiztu nahi dituzte –50.000 milioi euro–. Prezio merkeak eskaintzea da IKEAren karta nagusia, baina, nola lortzen dute? Kampradek hala esan zuen bere biografian: “Salneurri baxu hauek beti daude justifikatuta, eta horrek eskaera itzelak inposatzen dizkie gure kolaboratzaileei. Gure gastuak zorrotz mugatu ezean, inoiz ezingo dugu gure misioa bete”.
Kapitalismoaren arau guztiak jarraitu dituzten enpresa orotan bezala, “arrakastak” badu haren alde iluna. Ikus ditzagun horietako batzuk historian atzera luze jo gabe:
-1994tik 1998ra bitartean, Pakistan, India, Vietnam, Errumania eta Filipinetako IKEAren hornitzaileetako lan esplotazioak hedabideen arreta bereganatu zuen. Horren haritik, jendea ez esplotatzeko jokabide-kodea idatzi zuen multinazionalak, nahiz eta besteak beste, onartzen duen 12 urteko haurrek lan egitea, baldin eta euren herrialdeetan legezkoa bada.
-2007an Le Monde Diplomatique hilabetekariak argitaraturiko ikerketa batek India, Bulgaria eta Vietnameko fabriketako egoera salatu zuen: gutxienekoaren azpiko soldatak, 12 eta 15 ordu bitarteko lanaldiak asteko zazpi egunetan, haurren erabilera, mehatxuak eta sindikatuak antolatzeko trabak.
-2008an ZDF telebista kate publiko alemaniarrak argitara eman zuen langileak espiatzeko bideozaintza sistema ezarri zutela euren dendetan, enpresa-batzordeari jakinarazi gabe.
-Olivier Bailly, Jean-Marc Caudron eta Denis Lamberten IKEAk maite zaitu: desmuntatu beharreko eredua liburuak altzarietarako egurra Errusia eta Txinako basoetan kontrolik gabe lortzen dutela salatu zuen, besteak beste.
-2012an IKEAk barkamena eskatu zuen 1980ko hamarkadan altzariak muntatzeko Alemaniako Errepublika Demokratikoko (AED) eta Kubako preso politikoak erabili zituela jakin zenean.
-2011n Suediako telebistako kazetari Elisabeth Åsbrink-en liburu batek agerian utzi zuen Ingvar Kamprad Suediako Langileen Alderdi Nazionalsozialistako kide izan zela Bigarren Mundu Gerraren amaierara arte. Kampradek publikoki barkamenak eskatu zituen.
-2013an Terapia izeneko publizitate kanpainaren balio kontsumistak direla-eta, Ekologistak Martxan taldeak Premios Sombra sarietako finalista izendatu zuen IKEA.
-Aurten Network Social Responsability (NeSoVe) Gobernuz Kanpoko Erakundeak “IKEAren hipokrisia” salatu zuen. “Jendaurrean enpresa jasangarria dela dio, baina bere hornitzaileek langileen eskubideak urratzeaz gain, zergak ordaintzea saihesten saiatzen da”.