Articles du Vendredi : Sélection du 22 avril 2016

Accord sur le climat : une décision de l’OMC sabote l’essor des énergies renouvelables

Maxime Combes
www.bastamag.net/L-Inde-interdite-de-soutenir-son-industrie-solaire-l-OMC-contre-l-Accord-de

L’action non-violente pour le climat et contre les fossiles est efficace

Jon Palais
http://reporterre.net/L-action-non-violente-pour-le-climat-et-contre-les-fossiles-est-efficace#nb2

Chez Sanofi, les salariés ont moins la santé que les actionnaires

Jean-Christophe Féraud
www.liberation.fr/futurs/2016/02/02/chez-sanofi-les-salaries-ont-moins-la-sante-que-les-actionnaires_1430614

Accord sur le climat : une décision de l’OMC sabote l’essor des énergies renouvelables

Maxime Combes
www.bastamag.net/L-Inde-interdite-de-soutenir-son-industrie-solaire-l-OMC-contre-l-Accord-de

L’accord sur le climat, négocié lors de la COP21 à Paris en décembre dernier, sera officiellement signé ce vendredi 22 avril à New York, ouvrant la porte à un long processus de ratification. Prévoyant de contenir le réchauffement climatique en deçà de 2°C, l’accord pourrait néanmoins avoir un effet limité sur la baisse de l’utilisation des énergies fossiles. En coulisses, les règles de l’OMC limitent considérablement les politiques de transition énergétique. L’Inde, dont le dispositif de soutien au solaire vient d’être invalidé par l’OMC, en fait l’amère expérience. Les règles du commerce international prendront-elles le pas, une fois de plus, sur la lutte pour le climat ?

Souvenons-nous. Lundi 30 novembre 2015. Journée d’ouverture de la Conférence sur le Climat (COP21) à Paris, avec une succession de discours présidentiels et ministériels visant à placer les négociations sur les bons rails. L’occasion pour François Hollande et Narendra Modi, Premier ministre indien, d’annoncer le lancement de l’Alliance solaire internationale [1]. Objectif ? Accélérer le déploiement de l’énergie solaire dans les pays en développement, notamment pour la centaine d’entre eux situés entièrement ou partiellement entre les Tropiques du Cancer et du Capricorne. La photo est belle, les discours enthousiastes et les commentateurs se félicitent. La COP21 est bel et bien sur de bons rails [2].

 

L’OMC, vent debout contre l’énergie solaire

Retour à la réalité le 24 février 2016. L’information est passée sous les radars des médias francophones. C’est pourtant le jour où l’Organisation mondiale du commerce (OMC) a jugé que le dispositif de soutien à l’énergie solaire en Inde était non-conforme aux règles du commerce international. Il serait, estime-t-elle, trop favorable aux entreprises locales au détriment des entreprises étrangères [3]. Ce dispositif impose en effet aux compagnies d’électricité d’utiliser des cellules et des modules solaires fabriqués en Inde pour pouvoir bénéficier de subventions. Du moins, le temps que l’énergie solaire devienne compétitive face au charbon, qui fournit aujourd’hui encore près de 60 % de l’électricité.

C’est en 2014 que l’Inde s’est doté d’objectifs très ambitieux visant à installer 100 gigawatts d’énergie solaire d’ici à 2022. Davantage que les cinq plus grands producteurs réunis – Allemagne, Chine, Italie, Japon, États-Unis. Mais voilà. Les États-Unis sont passés par là et n’ont pas apprécié que l’Inde mette en place un dispositif qui limite, de fait, l’importation de cellules et modules photovoltaïques américains sur le marché indien. La Maison-Blanche a donc porté le cas devant l’Organisme des règlements des différends de l’OMC et a obtenu gain de cause : les règles du commerce international interdisent les clauses fixant des exigences de contenu national dans les dispositifs de soutien public.

 

Contraints de démanteler un dispositif créateur d’emplois

De telles clauses sont pourtant des instruments utiles pour des gouvernements nationaux – ou même locaux si l’on pense aux appels d’offres – désireux de soutenir le dynamisme de l’industrie et de l’innovation locale. Ces clauses pourraient être au cœur de vastes politiques de transition écologique et sociale visant à relocaliser des secteurs productifs et assurer des emplois sur les territoires. Malheureusement, ces clauses sont la plupart du temps contraires aux règles de l’OMC. Des règles que les États membres ont édictées il y a près de vingt ans, comme la règle du « traitement national » qui implique d’accorder les mêmes avantages à des multinationales qu’aux entreprises locales.

Au cours de l’examen du cas Indien, le gouvernement Modi fait valoir que son programme solaire va l’aider à respecter les engagements pris lors de la COP21. Des engagements salués par tous les observateurs le 30 novembre dernier, lorsque l’Alliance solaire internationale est dévoilée. Mais l’OMC rejette cet argument.

L’Inde a désormais le choix : se conformer à la décision de l’OMC ou risquer des rétorsions commerciales de la part des États-Unis. Le Canada et sa province de l’Ontario, condamnés dans un cas similaire en 2014, ont préféré démanteler un dispositif qui avait permis de créer près de 20 000 emplois dans le secteur des énergies renouvelables [4].

 

Priorité au commerce ou au climat ?

Quel que soit l’avis que l’on puisse avoir sur la sincérité du gouvernement Modi en matière de lutte contre le réchauffement climatique, difficile de ne pas voir l’absurdité de la décision de l’OMC. De vieilles règles commerciales supplantent l’impératif climatique et les politiques – encore insuffisantes – des États. Le résultat est extrêmement nocif : les règles du commerce prévalent, même au prix de la planète, et elles limitent la capacité des gouvernements à développer les énergies renouvelables. Ne serait-il pas temps d’inverser cette hiérarchie et faire en sorte que les règles et principes d’organisation de l’économie mondiale et du commerce international soient soumis à l’objectif climatique ?

L’accord de Paris, aussi historique soit-il, ne le permet pas. Il a été en effet expurgé, à la demande de l’Union européenne, de toute référence au commerce international [5]. La COP21 a montré que le multilatéralisme onusien n’était pas (tout à fait) mort. L’occasion est donc belle de le doter d’outils pour qu’il ne reste pas une coquille vide. Inverser la hiérarchie des normes, intégrer l’OMC dans le giron de l’ONU, confier aux négociations sur le réchauffement climatique la possibilité d’intervenir sur les principes mêmes de l’économie mondiale, voilà quelques pistes qu’il faudrait ouvrir, si l’on veut être sérieux en matière de lutte contre le réchauffement climatique. C’est un vaste chantier. Mais la « révolution climatique » annoncée par François Hollande n’est-elle pas à ce prix ?

 

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France, auteur de Sortons de l’âge des fossiles – Manifeste pour la transition, Seuil, Octobre 2015.

Aller plus loin :

« COP21 : ratifier c’est bien, changer de politique c’est mieux – 14 propositions pour amorcer la “révolution climatique ” ! », publié par l’association Attac, disponible ici en pdf
Au nom du climat, rénover les règles du commerce mondial

Notes

[1Voir le site de l’alliance solaire internationale

[2] Lire notre article qui décrypte l’accord : A Paris, les États s’accordent pour sauver le climat mais ne précisent pas comment y arriver

[3Voir ici

[4Voir les documents liés à la décision sur l’Ontario.

[5] Notre précédent article : Accord à la COP21 : même sur une planète morte, le commerce international devra se poursuivre sans entraves

L’action non-violente pour le climat et contre les fossiles est efficace

Jon Palais
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Des centaines d’activistes non-violents mais déterminés ont perturbé le congrès sur l’exploitation pétrolière en mer début avril à Pau. Enjeu : remettre la question climatique sur la table et sortir des énergies fossiles. L’action non-violente est efficace, assure l’auteur, militant d’ANV COP 21. Une autre action est prévue à Paris jeudi 21 avril, contre un nouveau sommet du pétrole.

Jon Palais est un militant Bizi, ANV-COP21 (Action non-violente COP 21) et Alternatiba.

Le sommet du pétrole offshore Mcedd [1], organisé dans le fief de Total, à Pau (Pyrénées-Atlantiques), a été bloqué et perturbé par des militants climat pendant trois journées d’affilée, du 5 au 7 avril 2016. Des vagues d’actions non-violentes et déterminées ont permis de créer des conditions d’anormalité autour de cette rencontre entre les plus grandes compagnies pétrolières comme Total, Shell, BP ou ExxonMobil et des exploitants offshore, montrant ainsi qu’après la COP21, certaines choses ne peuvent plus se dérouler comme avant, et ouvrant la voie à une nouvelle séquence de mobilisation pour le climat.

C’est le mouvement Action non-violente COP21, créé quelques mois avant la COP21 [2], qui a lancé l’appel à bloquer le sommet Mcedd. L’appel n’a été lancé que le 26 février 2016 [3] et pourtant, en seulement six semaines, cette campagne de mobilisation a rassemblé plus de 500 activistes climatiques, en pleine semaine, dans le Camp Sirène, un camp climat installé au Village Emmaüs Lescar-Pau pendant 7 jours d’affilée, et a permis de mener des actions directes non-violentes massives et déterminées pendant les trois journées du sommet.

Nous faisions tomber des barrières psychologiques

Cette mobilisation climat s’inscrit dans la suite de la mobilisation de la COP21. Elle a non seulement permis de bloquer et de perturber ce sommet du pétrole offshore, mais elle ouvre également une nouvelle séquence de mobilisation « post-COP21 », qui voit les citoyens entrer en scène pour faire appliquer les engagements — pris par les États du monde entier dans l’accord de Paris — de contenir le réchauffement climatique en deçà de + 1,5 °C ou + 2 °C maximum.

Les actions pour perturber le Mcedd ont toutes été menées à visage découvert, de manière à la fois strictement non-violente et très déterminée. Certaines actions ont même été particulièrement offensives, notamment les actions de franchissement pour pénétrer dans le site du palais Beaumont, où se tenait le Mcedd, et qui était protégé en permanence par un dispositif policier et des clôtures de deux mètres de haut.

Nous avons réussi à plusieurs reprises le blocage des accès du palais Beaumont, mais aussi ceux d’un hôtel cinq étoiles où étaient hébergés les plus hauts responsables des compagnies participantes, ou encore celui d’un fourgon logistique de l’organisation du sommet. Des activistes ont également déjoué les trois niveaux de sécurité du palais Beaumont et sont parvenus à s’infiltrer à l’intérieur même du centre des congrès dès le premier jour, pour s’enchaîner sur la scène juste avant le discours d’ouverture.

Il y a eu en permanence de notre part une recherche du dialogue, tant avec les forces de l’ordre qu’avec les congressistes, qui a favorisé de nombreux échanges. Nous croyons en la force de persuasion. Si les actions non-violentes ont ébranlé le dispositif policier, elles ont aussi ébranlé certaines certitudes.

Les échanges avec les congressistes et les forces de l’ordre ont peu à peu permis de faire évoluer les regards qu’ils portaient sur nous, nous faisant sentir que notre message avait une certaine portée, et que nous faisions tomber des barrières psychologiques.

Convaincus que c’est aussi dans les consciences qu’il faut faire bouger les lignes, il y a eu de la part des militants une volonté impressionnante de convaincre, et pas seulement de bloquer. L’un de nous s’est adressé à un policier avec assurance : « Bientôt, vous viendrez avec nous. Vous savez pourquoi ? Parce que ce seront vos propres familles en face de vous. »

L’attitude déterminée, dans l’interposition comme dans le dialogue, traduit le caractère impérieux de la cause climatique, et confère à l’action contre le changement climatique une légitimité de plus en plus forte, tant vis-à-vis de la presse que de la population. Au niveau politique également, les effets se sont fait sentir. Après une confrontation par tribunes interposées dans la presse de deux personnalités politiques locales (le député des Pyrénées-Atlantiques David Habib [4] et le maire de Billère, Jean-Yves Lalanne [5], tous deux membres du PS), c’est la ministre de l’Environnement, Ségolène Royal, qui a annoncé, dès le lendemain du blocage du sommet, à l’occasion de la deuxième conférence nationale de l’océan, un « moratoire immédiat sur la recherche d’hydrocarbures en Méditerranée » et déclaré qu’elle n’accorderait « plus aucun permis d’exploration, ni dans les eaux territoriales, ni sur le plateau continental ».

Ce mode d’action à la fois 100 % non-violent et très déterminé tire sa spécificité de deux éléments : d’une part une conscience de la nature du changement climatique, et d’autre part une approche stratégique de l’action non-violente.

L’émotion était forte parmi les participants

Notre détermination tient au fait que nous avons compris qu’un réchauffement climatique de 4 °C ou 5 °C, que nous sommes actuellement en train de provoquer, correspond à l’ordre de grandeur d’un changement d’ère géologique, qui rendrait impossible les conditions de vie civilisée sur Terre à brève échéance. L’exploitation de toutes les énergies fossiles disponibles sur la planète provoquerait quant à elle un réchauffement de 9 °C, selon Michael Greenstone, professeur à l’université de Chicago et ancien chef économiste de la Maison Blanche [6]. Cette conscience que le changement climatique est un enjeu central pour l’humanité nous fait alors envisager l’action de désobéissance civile et l’action de confrontation non-violente sous un autre jour, et les rend à nos yeux nécessaires et légitimes.

Face à ce constat alarmant de la situation climatique, nous échappons pourtant au défaitisme, au désespoir ou au déni car nous croyons que nous pouvons relever ce défi. Inspirés par des figures comme celles de Gandhi ou de Martin Luther King, ou de mouvements citoyens comme celui des Indignés espagnols du 15-M, nous croyons en la pertinence de la stratégie de l’action non-violente pour gagner le soutien de l’opinion publique, et pour permettre à la diversité de la population d’agir au sein d’un même mouvement citoyen grâce à la grande diversité des formes d’actions non-violentes.

De nombreuses personnes qui sont venues participer aux actions de blocage n’avaient d’ailleurs jamais mené d’actions de désobéissance civile ou d’actions non-violentes auparavant. Informées du dispositif policier, des risques juridiques et des risques physiques liés à la répression, elles ont pourtant franchi le pas de la désobéissance civile avec une détermination qui n’a pas flanché après les coups de matraque et les jets de gaz lacrymogènes. C’est ainsi qu’on a vu les jours suivants des militants avec des béquilles ou un oeil bandé revenir franchir les barrières et les lignes des forces de l’ordre.

Vendredi 8 avril, au lendemain de la dernière journée d’action, le débriefing général a rassemblé 150 personnes. Les mains s’agitaient en signe d’approbation au fur et à mesure que les prises de parole se succédaient et que les militants formulaient ce qu’ils retenaient de cette semaine : l’organisation, la méthode, la non-violence, l’urgence climatique, la détermination, les alternatives et la résistance, l’apprentissage, la transmission, le partage, la solidarité, la confiance, l’esprit collectif… L’émotion était forte parmi les participants qui, venus de tous horizons, semblaient partager une même vision, mais aussi une pratique. Un type d’action non-violente se met en place, un état d’esprit collectif est en train de naître.

Une dynamique capable de perdurer au-delà du Sommet de Paris

La détermination dont ont fait preuve les militants, et la motivation avec laquelle les participants sont ressortis de cette expérience laissent penser que nous avons peut-être réussi, lors des deux années de mobilisation organisée dans la perspective de la COP21, à construire une dynamique capable de perdurer au-delà du Sommet de Paris.

Plus que jamais, les actions citoyennes contre le changement climatique doivent se multiplier et se renforcer, et plusieurs rendez-vous nous donnent l’occasion d’y contribuer dans les jours et les semaines qui viennent : une action contre le sommet international du pétrole à Paris est prévue dès le 21 avril [7], la semaine mondiale d’action contre l’exploitation des énergies fossiles Breakfree se déroulera du 4 au 15 mai, et la seconde édition de Ende Gelände aura lieu du 13 au 16 mai en Allemagne. Soyons nombreuses et nombreux à y participer !

La version longue de cet article est disponible ici.

[1Marine, Construction and Engineering Deepwater Development, un sommet de professionnels de la prospection pétrolière et gazière en eau profonde.

[2] L’appel Debout et déterminés pour le climat, signé par des milliers de citoyens, a lancé le mouvement ANV-COP21 le 26 septembre 2015.

[3«  Bloquons le sommet du pétrole offshore  !  ».

[4] Habib a dénoncé les «  extrémistes  » et les «  fous  » opposés au congrès du pétrole de Pau dans La République des Pyrénées du 6 avril 2016.

[5] Lire : Sommet du pétrole à Pau : clash entre Habib et Lalanne dans La République des Pyrénées du 7 avril 2016.

[6] Lire : Fossiles : dix raisons de sevrer la planète dans Libération du 8 mai 2015.

[7] Appel à mobilisation contre le Sommet international du pétrole le 21 avril 2016 à Paris (Rendez-vous à 8h15 devant l’hôtel Le Méridien Étoile, 81 Bd Gouvion St-Cyr, 75017 PARIS).

Chez Sanofi, les salariés ont moins la santé que les actionnaires

Jean-Christophe Féraud
www.liberation.fr/futurs/2016/02/02/chez-sanofi-les-salaries-ont-moins-la-sante-que-les-actionnaires_1430614

Le géant pharmaceutique français va encore supprimer entre 600 et 1000 postes d’ici 2018 alors qu’il profite du CICE et affiche d’énormes profits. La CGT est scandalisée. Interpellé, le gouvernement ne dit mot.

  • Chez Sanofi, les salariés ont moins la santé que les actionnaires

Les syndicats de Sanofi redoutaient un nouveau plan social massif dans l’Hexagone, leurs craintes se sont confirmées: le géant pharmaceutique français a confirmé ce mardi qu’il comptait supprimer «environ 600 postes sur les trois prochaines années» dans le cadre d’un «projet d’évolution de son organisation» visant à préserver sa «compétitivité». La CGT parle, elle, de plus d’un millier de suppressions de postes au total, en intégrant les postes actuellement non pourvus qui ne seront pas remplacés. Dans un communiqué diffusé après la tenue de plusieurs comités d’entreprise dans les différentes entités du groupe, la direction a pris soin de préciser que ces suppressions de postes interviendraient dans le cadre «d’un plan de départs volontaires». A priori aucun licenciement sec donc, dans les rangs des 27 000 salariés français de Sanofi. Le groupe insiste sur le fait qu’il privilégiera les «congés de fin carrière», autrement dit des départs en préretraite qui seront «entièrement financés» sur les fonds de l’entreprise et non par la collectivité.

Encore heureux, dit la CGT qui rappelle que Sanofi pèse plus de 35 milliards d’euros de chiffre d’affaires, «a réalisé 7 milliards d’euros de bénéfices et a versé 3,8 milliards de dividendes à ses actionnaires en 2015». Sans parler du fait qu’en 2014, l’entreprise a touché 17 millions d’euros d’aides de l’Etat au titre du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) – qui était censé favoriser des embauches et non des suppressions de postes – et 125 millions de mieux au titre du crédit impôt recherche… Pour le délégué central CGT de Sanofi Thierry Bodin qui n’a pas oublié que le groupe a déjà supprimé plus de 5 000 postes en France depuis 2008, il s’agit clairement d’une nouvelle vague de «licenciements boursiers» organisée par un groupe dont les dirigeants «pratiquent une stratégie axée sur la seule rémunération des actionnaires». A l’annonce de ce nouveau plan social, la Bourse est toutefois restée de marbre, l’action Sanofi cédant même plus de 2 % à la mi-séance. Mais il est vrai que les investisseurs avaient déjà largement anticipé cette nouvelle saignée dans les effectifs de l’entreprise dont le principe avait été annoncé en novembre dernier dans le cadre d’un plan d’économies de 1,5 milliard d’euros d’ici à 2018.

«Un total de 1 098 postes» selon la CGT

Après la levée de boucliers qui avait suivi l’annonce de la fermeture du centre de recherche de Sanofi à Toulouse en 2013, la direction précise que les départs se feront «sur la base du volontariat», qu’elle ne «prévoit pas de fermeture d’usine» et que son plan «n’aura pas d’impact sur les effectifs de la R&D» (recherche et développement). Mais pour la CGT qui a sorti sa calculette à l’issue de tous les comités d’entreprise, ce ne sont pas 600 postes qui vont être supprimés d’ici 2018 mais «un total de 1 098 postes,dont 657 actuellement occupés».

Le syndicat arrive à ce chiffre en intégrant notamment 296 postes vacants dans la R&D et 145 postes de visiteurs médicaux qui n’ont pas été pourvus après le précédent plan social et ne seront pas remplacés «contrairement aux promesses qui avaient été faites à l’époque». La filiale la plus touchée serait la production pharmaceutique SWI (400 postes supprimés), devant SAF qui coiffe les visiteurs médicaux (155 postes) et les services centraux du siège SAG (102 postes).

Les syndicats attendent maintenant sans trop y croire une intervention des pouvoirs publics. La coordination CGT de Sanofi a notamment écrit le 28 janvier à Alexis Kolher, le directeur de cabinet du ministre de l’Economie Emmanuel Macron pour demander au gouvernement de «défendre l’outil scientifique et industriel français» et de s’opposer à «de nouvelles coupes dans les effectifs» du groupe. Mais la missive, assortie d’une demande de rendez-vous, est pour l’heure restée sans réponse.

L’argument de la «préservation de la compétitivité» de Sanofi, aujourd’hui numéro 3 mondial de la pharmacie derrière Novartis et Pfizer, ne convainc évidemment pas les syndicats. Le groupe croule en effet sous le cash: il est en train de céder sa filiale Merial (santé animale) à l’allemand Boehringer-Ingelheim en contrepartie de son activité santé grand public et surtout d’une soulte de 4,7 milliards d’euros. Ce qui fait dire à la CGT qu’on échange une activité capitale pour l’étude des nouveaux virus d’origine animale «contre des sirops pour la toux».

Les capacités de recherche du groupe semblent toutefois intactes puisque le laboratoire Sanofi Pasteur (qui n’est pas touché par la restructuration) a annoncé ce mardi qu’il se lançait dans la recherche d’un vaccin contre virus Zika.

«Machine à faire du fric»

Le climat social risque en tout cas de se tendre chez Sanofi où les salariés avaient très mal accueilli l’annonce du «golden hello» de 4 millions d’euros octroyé au nouveau patron du groupe Olivier Brandicourt lors de son arrivée début avril. D’autant que ce bonus faisait suite au «golden parachute» de 4,27 millions d’euros accordé fin 2014 à son prédécesseur Christopher Viehbacher, débarqué par des actionnaires qui exigent toujours plus de profits. Viebacher avait pourtant eu la main lourde sur les licenciements avec plus de 5 000 suppressions de postes en France sous son règne. Dans le même temps, l’action Sanofi a progressé de 45 % en cinq ans. Bref chez Sanofi les PDG se succèdent, la logique boursière reste la même.

Ce qui n’est pas du goût de l’ancien PDG de Sanofi, Jean-François Dehecq : «Il ne faut pas avoir le nez sur son cours de Bourse […]. On ne peut pas vivre en fonction du cours de Bourse, c’est une connerie», avait-il dit dans une interview fracassante au magazine Cash Investigation diffusée en 2015 sur France 2, en dénonçant ces patrons qui «passent 25% de leur temps à parler avec des analystes financiers et faire des grands discours». Et de conclure: «Si les entreprises deviennent des machines à faire du fric pour les investisseurs, on est mort […] C’est un système que je n’accepte pas. Je me bats contre». Mais bien que toujours président d’honneur du groupe qu’il a contribué à créer en pilotant la fusion avec Aventis en 2004, Dehecq ne pèse plus grand-chose face au président du conseil d’administration de Sanofi, Serge Weinberg, qui roule pour ses puissants actionnaires comme L’Oréal et le fonds américain Blackrock.