Articles du Vendredi : Sélection du 17 mars 2017

Climat: des centaines de milliards de tonnes d’énergie fossile devront rester sous terre, sinon…

Publié le 12 mars 2014
http://dr-petrole-mr-carbone.com/climat-des-centaines-milliards-tonnes-energie-fossile-devront-rester-sous-terre/

“La transition écologique, un beau projet politique”

Pour l’économiste Gaël Giraud, la probabilité qu’une catastrophe planétaire liée au climat se produise est de 10%. Très inquiétant. Mais pas inéductable
L’OBS/N°2702-18/08/2016

Le désarmement de l’organisation ETA, un casse-tête pour l’Etat

Par Rémi Barroux et Julia Pascual
www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/03/17/le-desarmement-de-l-organisation-eta-un-casse-tete-pour-l-etat_5096216_1653578.html

Climat: des centaines de milliards de tonnes d’énergie fossile devront rester sous terre, sinon…

Publié le 12 mars 2014
http://dr-petrole-mr-carbone.com/climat-des-centaines-milliards-tonnes-energie-fossile-devront-rester-sous-terre/

Si nous voulons vraiment conserver une chance de rester en dessous de 2°C de réchauffement global par rapport au niveau préindustriel (c’est-à-dire garder un espoir de survie pour notre civilisation et même nos enfants), ce qui est l’objectif officiel des dirigeants de la planète, alors les calculs montrent qu’il nous est vital de conserver dans le sous-sol d’ici 2100, pas moins des 2/3 de nos réserves actuelles prouvées de charbon, de pétrole et de gaz, même si nous savons où elles sont et comment les exploiter. Question: si ce constat était partagé, par exemple par les « investisseurs », quid de la gigantesque « bulle boursière » des énergies fossiles ainsi créée ?

La Terre est un monde limité: ses terres et océans peuvent absorber chaque année, en harmonie durable avec le monde vivant, environ 3 à 5 milliards de tonnes de carbone de l’atmosphère (ses absorptions ont augmenté avec la hausse de nos émissions), mais avec un maximum. Il est convenu d’estimer que nous en y injectons deux fois plus avec nos émissions de gaz à effet de serre, soit environ 6 milliards de tonnes. Un surplus de l’ordre de 3 à 5 milliards de tonnes se concentre donc tous les ans au dessus de nos têtes, d’où notre problème climatique. En prenant pour référence 1990, les experts ont estimé que l’humanité devait avoir pour objectif de revenir relativement rapidement à 3 milliards de tonnes d’émissions maximum, c’est-à-dire environ 460 kg par humain et par an pour une population de 6,5 milliards d’habitants. Ce qui équivaut actuellement, si l’on prend en compte tous les gaz à effet de serre, à un aller simple en avion Paris – New-York. C’est également avec ces données que l’on a créé en France la notion de ″facteur 4″ (diviser par 4 à l’horizon 2050 nos émissions de gaz à effet de serre par rapport à celles de 1990) et pour la planète le facteur 2.

Cependant, plus on attend (comme actuellement) pour mettre la question climatique au centre de nos vies, plus la situation va se corser. En effet, en 2010 nos émissions de gaz à effet de serre n’étaient plus équivalentes à environ 6 milliards de tonnes de carbone, mais à plus de 9 milliards de tonnes… A l’échelle planétaire, même si les océans et les écosystèmes terrestres ont réussi à capter une partie du surplus injecté, l’objectif serait donc maintenant de les diviser par 3 dans les 40 prochaines années.

330 kg de carbone par an et par personne en 2050 pour 9 millliards de Terriens

D’autre part, puisque l’on se donne des objectifs à l’horizon 2050, il conviendrait en fait de prendre en compte la population officiellement prévue à cette date, soit 9 milliards d’humains, et pas celle de 2005. Avec ces paramètres, l’objectif de quota à adopter par individu est clairement raboté: 330 kg de carbone par an en 2050 à la place des 460 précédents, ce qui n’assure même plus un aller-simple Paris-New-York, sauf à finir à la nage. Cela modifie également les objectifs que devrait dès maintenant se fixer chaque pays, notamment en vue des négociations du sommet climat de Paris en 2015.

En prenant ces paramètres de 330 kg de carbone par personne et de 9 milliards d’humains en 2050, ainsi que les données diffusées par l’association The Shift Project et la Banque mondiale pour l’année 2010 (émissions de gaz à effet de serre, démographie), il est assez facile de réévaluer les efforts à faire par chacun si l’on veut limiter efficacement le bouleversement climatique.

Pour être un véritable exemple, l’Union Européenne devrait ainsi se donner comme objectif un facteur 6 à 7 d’ici 40 ans tandis que la France passerait d’un facteur 4 à un facteur 5, voire 6, et que les Etats-Unis s’imposeraient au moins un facteur 14. Facteur 6 pour la Chine, 9 pour la Russie, 9 pour l’Allemagne, 8 pour le Japon, 7 à 8 pour la Grande-Bretagne, 20 pour le Luxembourg, 23 pour l’Australie… Il ressort en plus que beaucoup de pays parmi les plus pauvres auraient également des efforts à réaliser sur le papier, ce qui nécessiterait bien sûr une aide supplémentaire des pays les plus riches. Notons également -ce qui met une nouvelle fois en évidence s’il en était besoin le lien intime entre émissions massives de gaz à effet de serre et énergies fossiles- que les rois du pétrole auraient droit à des facteurs particulièrement élevés : facteur 15 pour l’Arabie saoudite, 16 pour Oman, 18 pour Barheïn, 30 pour les Emirats arabes unis et le Koweit, et même 50 pour le Qatar, record absolu.

330 kg de carbone par habitant, cela équivaut à peu près en revanche aux émissions actuelles de l’Ethiopie, du Kenya, de la Zambie, du Bangladesh, du Népal, du Sri Lanka, du Tadjikistan… Certains pays comme l’Erythrée, le Mozambique, la Tanzanie, le Nigeria ou encore Haïti pourraient émettre encore un peu plus.

L’équation de Kaya

Les noms et les conditions de vie des pays contenus dans ces différentes listes illustrent l’immensité de la tâche qui nous attend en terme de transition et de performance énergétique ainsi qu’en terme de « décarbonation » de la société. Que les fans de « shale » gaz se le disent, la situation nous impose en fait de laisser volontairement dans le sous-sol un maximum d’énergie fossile disponible -charbon, pétrole et gaz confondus.

Développée par un économiste japonais spécialiste de l’énergie, l’équation de Kaya confirme cette nécessité. Cette équation met côte à côte des termes qui peuvent s’annuler. Elle se présente ainsi:

Emissions de gaz à effet de serre =  population X (PIB / population) X (énergie utilisée / PIB) X (émissions de gaz à effet de serre / énergie utilisée)

C’est-à-dire:

Emissions de gaz à effet de serre = population X revenu de chacun X intensité énergétique X intensité carbone.

Il suffit de la regarder pour comprendre deux choses:

– Un effondrement massif des revenus (crises économiques, catastrophes naturelles), une chute de la population (famines, guerres, catastrophes naturelles), peuvent aboutir à une baisse des émissions de gaz à effet serre. De grandes quantités d’énergie fossile resteraient ainsi dans le sous-sol. Mais de tels processus sont-ils souhaitables ?

– Si l’on veut diviser les émissions de gaz à effet de serre par 2 ou 3 tandis que la population et le revenu augmentent, alors il faut accroître d’autant l’effort à réaliser en terme d’intensité énergétique et d’intensité carbone.

Consumer au maximum 325 milliards de tonnes équivalent pétrole (tep) d’ici 2100

Certes, un tel projet semble à ce jour une véritable gageure pour beaucoup de pays, mais l’équation kaya n’est pas forcément insurmontable: en avance par rapport aux autres pays (taxe carbone, limitation des énergies fossiles), la Suède arrive avec notre calcul à un facteur 4 à réaliser d’ici 2050. Elle se situe ainsi au même niveau que le Brésil, le Portugal, la Slovénie, le Chili, le Mexique, la Thaïlande ou encore l’Azerbaïdjan, alors même qu’elle fait toujours figure en Europe de championne du confort de vie. Ce qui montre entre parenthèses que la réduction des émissions de gaz à effet de serre, en particulier la taxe carbone, ce n’est pas forcément une grosse punition avec moins de bonheur.

En revanche, si l’on continue sur la trajectoire actuelle, il apparaît de plus en plus que la grosse punition avec beaucoup moins de bonheur, viendra, y compris pour les hyper riches et leurs enfants, et même si l’on prend des mesurettes à droite et à gauche. L’atmosphère terrestre ne pourra s’adapter à des émissions massives persistantes qu’avec des modifications elles aussi massives et radicales, qu’il s’agisse de chaud, de froid, de vent ou de pluie. La première partie du nouveau rapport du GIEC permet à l’humanité d’y injecter encore une valeur moyenne de 270 milliards de tonnes de carbone entre 2012 et 2100 (*) si nous voulons vraiment limiter le réchauffement à quelque chose qui conserve encore une chance de ne pas ressembler à une apocalypse, c’est-à-dire qui reste dans la limite d’un réchauffement global de 2°C.

Trouver la volonté de laisser sous terre plus de 600 milliards de tep disponibles…

Petit calcul: 270 milliards de tonnes équivalent carbone, cela représente environ 325 milliards de tonnes équivalent pétrole (tep), 0,83 tonne de carbone étant émise pour une tonne de pétrole brûlée, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME). Or, si l’on prend en considérations les données de l’Institut français du pétrole (IFP), les réserves prouvées de charbon, de pétrole et de gaz (sans tenir compte donc des réserves probables) affichent des ordres d’idées de respectivement 600 milliards de tep, 210 milliards de tep et 180 milliards de tep, soit environ 1000 milliards de tep au total. Si nous voulons sauver notre civilisation, nos enfants, et sans doute nous-mêmes, nous avons donc déjà à disposition au moins trois fois nos besoins définitifs d’énergie fossile !

Conséquence: il est vital pour l’humanité de trouver la volonté de ne pas sortir du sous-sol les centaines de milliards de « tep » restantes, même si nous savons où elles sont et comment les extraire. Si ce constat était partagé, par exemple par les « investisseurs », ce surplus d’énergie fossile n’aurait même plus de raison d’avoir une réelle valeur. Il serait également économiquement logique et sain de stopper toute recherche pétrolière et gazière, y compris celles qui sont relatives aux réserves d’hydrocarbures de schiste. Sur les marchés, cela s’appelle une bulle financière, une énorme bulle « carbone » dans laquelle on trouve tous les géants du pétrole, du charbon et du gaz, ainsi que leurs financeurs.

Ce n’est pas tout: comme l’explique l’expert climat-énergie Jean-Marc Jancovici, « pour limiter aussi vite que possible un changement futur, la division par deux de nos émissions mondiales (par rapport à celles de 1990 rappelons-le, ce qui revient donc à diviser par 3 celles de 2010, n.d.l.r.) est plus un minimum qu’un objectif suffisant« … En effet, il est par exemple établi qu’avec le phénomène de réchauffement et de bouleversement climatique en cours, les écosystèmes terrestres et les océans verront diminuer à terme leur capacité d’absorption de CO2. On peut également se préparer à ce que nos émissions anthropiques dues pour majeure partie aux énergies fossiles, provoquent des émissions naturelles de gaz à effet de serre (CO2, méthane), par exemple avec le dégel de pergélisol des hautes latitudes. En quelque sorte, cela fait partie des « intérêts » des émissions passées légués aux générations futures…

(*) Soit environ 1000 milliards de tonnes équivalent CO2, étant entendu qu’on en envoie chaque année plus d’une trentaine de milliards dans l’atmosphère.

———————————————————————————————————————-

Efforts à faire pays par pays

Facteur 50 (soit diviser les émissions de gaz à effet de serre par 50 d’ici 2050) Qatar / Facteur 20 à 30 Luxembourg, Australie, Koweït, Emirats Arabes Unis. /

Facteur 14 à 20 Etats-Unis, Arabie Saoudite, Canada, Bahreïn, Oman, Kazakhstan. / Facteur 13-14 Turkmenistan / Facteur 11 Singapour, Irlande, Pays-Bas. /

Facteur 10 République Tchèque. / Facteur 9 Allemagne, Danemark, Russie, Estonie, Belgique, Islande. / Facteur 7-8 Grande-Bretagne, Japon, Pologne, Afrique du Sud, Israël, Uruguay, Finlande, Grèce, Serbie. / Facteur 5-6 France, Espagne, Hongrie, Chine, Suisse, Italie, Argentine, Malaisie, Mongolie, Biélorussie, Lituanie, Ukraine, Bosnie-Herzégovine, Autriche, Bulgarie, Chypre, Malte, Norvège. / Facteur 4 Suède, Brésil, Portugal, Botswana, Namibie, Soudan, Thaïlande, Chili, Azerbaidjan, Ouzbekistan, Slovénie, Mexique. / Facteur 2 -3 Algérie, Albanie, Tunisie, Gabon, Cambodge, Indonésie, Vietnam, Bolivie, Colombie, Cuba, République dominicaine, Equateur, Jamaïque, Panama, Paraguay, Pérou, Arménie, Georgie, Croatie, Roumanie, Turquie, Irak, Jordanie. / Facteur 1-2

Ethiopie, Kenya, Zambie, Bangladesh, Népal, Sri Lanka, Tadjikistan, Inde, Sénégal, Angola, Bénin, Cameroun, Côte-d’Ivoire, Ghana, Maroc, Zimbabwe, Birmanie, Pakistan, Philippines, Costa Rica, El Salvador, Guatemala, Honduras, Nicaragua, Moldavie. / Pays émettant moins de 330 kg de carbone par an et par habitant

Erythrée, Mozambique, Nigéria, Tanzanie, Haïti / D’après Banque Mondiale, The Shift Project. Données 2010.

“La transition écologique, un beau projet politique”

Pour l’économiste Gaël Giraud, la probabilité qu’une catastrophe planétaire liée au climat se produise est de 10%. Très inquiétant. Mais pas inéductable
L’OBS/N°2702-18/08/2016

Selon l’ONG Global Footprint Network, depuis le 8 août, nous avons épuisé, par notre consommation, les ressources naturelles que la Terre produit en un an. En 1971, cela n’arrivait pas avant le 24 décembre. L’accord de Paris sur le climat, conclu en décembre dans le cadre de la COP21, représente-t-il une rupture majeure, à même d’inverser la tendance ?

L’accord de Paris, on ne le dira jamais assez, est un immense succès diplomatique. On a obtenu le mieux qu’on pouvait espérer, ce qui n’était pas évident. C’est la première fois depuis 1945 qu’on a réussi à embarquer la totalité de la communauté internationale sur des ambitions fortes. C’est une rupture par rapport au dévoiement de l’esprit onusien auquel on assistait depuis le milieu des années 1980. A partir de cette époque, on a tenté de reconstruire un monde entièrement régi par la mobilité du capital. Comme l’a montré le politologue de l’université Harvard Rawi Abdelal, cette « utopie » a été, soit dit en passant, portée par des Français : Jacques Delors à la Commission européenne, Michel Camdessus au Fonds monétaire international (FMI), Pascal Lamy à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), Jean-Claude Paye à l’OCDE… Le FMI voulait même pouvoir imposer des sanctions aux pays s’ils mettaient des barrières douanières – les Etats- Unis s’y sont heureusement opposés. La zone euro est l’aboutissement de cette utopie- là : un gouvernement administratif, qui passe par des règles, sans souverain selon la définition de Carl Schmitt [« Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle », NDLR], et donc sans démocratie. C’est avec cela que la COP21 a rompu, en revenant à l’esprit initial des Nations unies : viser l’intérêt général. Les choses bougent, on voit poindre des revirements doctrinaux, au FMI, à l’OCDE…

La COP21 ne semble pourtant pas être suivie d’effets concrets spectaculaires. Où en est-on ?

On s’est fixé un objectif, ne pas aller au-delà d’une augmentation de la température de +2 °C à la fin de ce siècle. Certes, à moins d’une chance inouïe, il est déjà trop tard pour l’atteindre, mais l’engagement sera opposable aux nations. Le Groupe d’Experts intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (Giec) est chargé d’un rapport en 2018 pour faire le point sur un objectif encore plus ambitieux : tout faire pour rester aussi proche que possible du +1,5 °C. Cela obligera la communauté internationale à poursuivre ses efforts. Les petits Etats insulaires, qui seront les premiers sous l’eau, pourront s’appuyer sur ce rapport pour lui demander des dédommagements.

L’accord de Paris ne règle pas la question du changement climatique.

Non. Si l’on mettait en oeuvre tous les engagements pris par les pays à la conférence de Paris, on aboutirait, selon nos calculs, à une augmentation moyenne de la température de 3,5 °C à la fin du siècle, par rapport à l’ère préindustrielle. Mais avec une probabilité de 10% d’atteindre +6°C, ce qui voudrait dire l’apocalypse sur Terre : la survie de l’espèce humaine serait en jeu. Si on disait aux gens qui montent dans un avion : il y a une « chance » sur dix qu’il s’écrase, personne ne le prendrait. Eh bien, c’est le risque que nous prenons collectivement. On ne peut pas dire qu’on découvre le danger. En 1972, Dennis Meadows, du MIT, avait présenté un rapport au Club de Rome qui allait dans ce sens. Un best-seller mondial que la plupart des économistes d’alors ont jeté à la poubelle. Meadows voyait juste, même s’il disposait d’infiniment moins de données climatiques que nous. Un physicien australien, Graham Turner, en 2008, a vérifié les trajectoires simulées par Meadows : deux des scénarios collent parfaitement avec ce qui s’est passé. Et ces deux trajectoires nous mènent vers une catastrophe planétaire au xxie siècle. Nous avons refait l’exercice à l’Agence française du Développement (AFD) en intégrant le dérèglement climatique, et nous arrivons à une conclusion analogue. Si nous n’opérons pas de bifurcation majeure, et si le climat réagit comme le Giec le prédit, la pente sur laquelle nous sommes nous entraîne vers la catastrophe.

Avez-vous le sentiment que les économistes ont conscience de ce danger ?

Je ne suis pas le seul prophète de cette planète ! Beaucoup alertent désormais les opinions, et en mai dernier nous faisions chorus à Washington : Joseph Stiglitz explique qu’il faut changer complètement nos modèles macroéconomqiues. Nicholas Stern répète que nous, économistes, sous-estimons gravement les dommages climatiques. La Banque mondiale a publié un rapport baptisé « Ondes de choc », qui conclut que 100 millions de personnes peuvent tomber en dessous du seuil de pauvreté d’ici à 2030 à cause du climat. Le programme « Évaluation des écosystèmes pour le millénaire » conclut également qu’il existe une vraie possibilité de désastre planétaire, idem pour la prospective Agrimonde du Cirad (Centre de Coopération internationale en Recherche agronomique pour le Développement) et de l’Inra (Institut national de la Recherche agronomique)…

Ne sous-estimez-vous pas le progrès technologique, qui permettra de surmonter les menaces ?

C’est un pari aveugle. On propose par exemple de projeter des particules de souffre dans l’atmosphère, à la façon des éruptions volcaniques. Ceux qui promeuvent cette géo-ingénierie sont des apprentis sorciers. Si tant est qu’on puisse simuler des éruptions volcaniques, elles vont certes refroidir la température, mais nous ne pourrons plus nous en passer. Car le jour où on arrêtera de pulvériser ces particules dans l’atmosphère, on regagnera immédiatement en température. +3 °C en un siècle, c’est grave ; en quelques mois, ce serait pire que la bombe atomique.

Que faut-il faire ?

Il est possible de construire des sociétés résilientes aux désastres qui nous attendent. Cela vaut aussi pour la France : dans une génération, Bordeaux connaîtra le climat de Séville. Ce qui signifie qu’il n’y aura plus de vin de bordeaux, qu’il faudra bâtir des digues autour de la Garonne pour protéger la ville… Et ce qui vaut pour l’Aquitaine vaut pour l’ensemble du pays. Réagir passe donc d’abord par la transition écologique, un formidable projet politique et social. Les discussions que j’ai sur le sujet avec certains collègues économistes me laissent parfois pantois. On a devant nous un projet qui donne enfin du sens – alors que l’Europe est en panne eschatologique de sens depuis quarante ans. C’est un projet créateur d’emplois, susceptible d’assurer la prospérité à notre société pour les décennies à venir, et dont l’alternative est potentiellement cataclysmique : pourquoi hésiter ?

Mais concrètement ? Vous avez l’impression qu’on y va ?

La loi de transition énergétique, portée par Ségolène Royal, est assez courageuse. Mais ce dont je parle est plus ambitieux : construire des sociétés résilientes au changement climatique. Cela passe par un aménagement du territoire autour de petites villes très denses (pour faire des économies d’énergie), innervées par des transports publics et reliées entre elles par le train ou le car. On peut organiser de la polyagriculture paysanne autour d’elles. Dans un certain nombre d’années, une vingtaine peut-être, la nourriture sera principalement acheminée par des circuits courts vers les centres-villes. Les commerces seront au centre-ville. Du coup, les immenses supermarchés situés aux alentours à 4 kilomètres, auxquels on ne peut accéder qu’en voiture, sont condamnés. Cette économie des circuits courts doit également devenir circulaire (tout doit être systématiquement recyclé) et « déphosphatée ». Car le phosphore devrait vraisemblablement atteindre son pic d’extraction autour de 2050. Or l’agriculture mondiale est dopée au phosphate : on ne sait pas bien augmenter la productivité des sols sans lui.

La transition énergétique, qu’est-ce que c’est concrètement ?

Divers scénarios existent, mais on peut distinguer trois étapes : Première étape, la rénovation thermique des bâtiments, privés et publics. Elle sera vraiment créatrice d’emplois, permettra de lutter contre la précarité énergétique en France et de faire une économie énorme de pétrole. Elle ne pèsera pas forcément sur la dette publique, si on utilise la même astuce que pour sauver les grandes banques en 2008 : une société de droit privé (la Sfef, Société de Financement de l’Economie française) où l’Etat était minoritaire mais apportait sa garantie, a levé 70 milliards d’euros en un an. Elle a prêté cette cagnotte à bas taux aux banques françaises au bord de la faillite pour leur éviter la crise de liquidité immédiate. Deuxième étape, ce qu’on appelle la mobilité verte : la question des transports publics et de l’aménagement du territoire dont je parlais à l’instant. Il faut beaucoup moins d’avions, plus de véhicules électriques (ou à l’hydrogène, Air Liquide y travaille). Troisième étape, le verdissement des processus industriels et agricoles. Ce qui passe par un grand plan d’investissement vert.

Est-ce que la transition vers une société « résiliente » passe par une rupture avec la croissance, voire par une décroissance ?

D’abord, le produit intérieur brut (PIB) est un très mauvais indicateur du bien-être : que le PIB augmente n’est pas forcément le signe de grand-chose. Au-delà d’un certain niveau, estimé à 12 000 dollars par habitant, sa hausse n’est plus corrélée au bonheur des gens. En revanche, la très forte corrélation entre l’augmentation du PIB et les émissions de CO2 persiste au-delà de ce seuil. Donc, tant qu’on n’a pas fait la transition vers une économie décarbonée, augmenter le PIB n’est pas un objectif rationnel après la COP21.

La croissance est, dans nos systèmes actuels, la seule solution trouvée pour créer des emplois…

Si on calcule les taux de sous-emploi en tenant compte du travail partiel et des autres heures non travaillées, alors l’Allemagne, réputée être en situation de plein emploi, est en réalité à 25% de chômage et la France est au même niveau que les Etats-Unis, à 35%. C’est massif. L’équivalence entre croissance et baisse du chômage a vécu. Or la transition énergétique est intrinsèquement créatrice d’emplois pour une raison très simple : c’est le pétrole qui mine l’emploi, car c’est l’énergie la plus productive, en particulier pour la mobilité. On a abandonné les esclaves au XIXe siècle un peu par conscience morale mais surtout parce que le pétrole était plus productif que l’« énergie » humaine. Au fur et à mesure qu’on va quitter le pétrole, on va passer à d’autres énergies. Or qui dit énergie moins productive dit forcément davantage d’emplois. La menace de « la machine qui rendra l’homme inutile» ne se réalisera que si on continue à miser notre avenir sur le pétrole et les ressources naturelles, ce qui serait irrationnel. Le pic d’extraction de pétrole, c’est au plus tard pour 2050, même en tenant compte de la fracturation hydraulique. Celui du cuivre, c’est probablement autour de 2040.

Est-ce possible dans le cadre du capitalisme ?

Le capitalisme, je ne sais pas ce que c’est. La Scandinavie n’a rien à voir avec le Texas. S’il s’agit de l’idée que tout doit reposer sur la propriété privée (de la terre, du travail, de la monnaie, la célèbre trilogie de Polanyi) et sur la mobilité absolue du capital, alors elle nous conduit dans une impasse incompatible avec les objectifs de la COP21. Le concept central de l’économie qu’il faut repenser, ce sont les « communs ». Un rapport renouvelé à la propriété, passant par le partage et le recyclage des ressources, qui permettra d’assurer notre résilience. Les communs, c’est une notion beaucoup plus ancienne que la propriété privée : on les pratique depuis des millénaires.

Le four banal, le lavoir…

Le droit romain connaissait la res communis, la « chose commune ». La propriété privée, explique l’anthropologue David Graeber, est une invention inouïe des juristes romains et des théologiens médiévaux aux XIIe-XIIIe siècles, qui consiste à étendre la relation maître-esclave à une relation homme-chose. Elle scelle un droit absolu : droit à l’usage (l’usus), droit de vente (l’abusus), droit de tirer profit (le fructus)… Les communs, eux, nous obligent à distinguer ces piliers de la propriété privée, à privilégier l’usus et à rendre négociable tout le reste.

Les communs, est-ce la fin de la propriété privée ?

Non, pas du tout. Il ne s’agit pas de collectiviser les biens. Les communs ne suppriment pas la propriété privée, ils la complètent. Voyez la multiplication de formes de propriétés originales qui sont nées autour des logiciels libres et sur lesquelles nous travaillons à l’AFD avec Benjamin Coriat. On a besoin d’institutions adaptées aux communs pour gérer les ressources naturelles, par exemple la faune halieutique dans nos océans. Si on continue de traiter le poisson comme une pure marchandise, il est possible que les poissons comestibles disparaissent de nos océans entre 2040 et 2050 ! Les Etats ne peuvent pas affronter seuls cette situation : il faut donc inventer une organisation internationale pour la gérer comme un commun.

Comment convertir les Etats à cette idée des communs ?

Je crois qu’il va nous falloir renouer en partie avec une forme d’interventionnisme saint-simonien, dans la grande tradition jacobine et planificatrice française, pour lancer et financer des grands travaux d’infrastructure dont nous avons besoin pour la transition. Je ne vois pas qui, à part l’Etat, pourrait le faire dans le contexte déflationniste actuel de surendettement privé et de banques zombies. Mais l’Etat peut aussi créer les possibilités législatives et réglementaires d’émergence de communs. Même si je suis jésuite, je ne crois pas qu’ils naîtront par l’opération du Saint-Esprit. Il faut favoriser les ONG, décentraliser, repenser la place de la société civile dans le débat démocratique, dans l’entreprise…

La transition écologique doit concerner tout le monde, y compris les pays du Sud qui n’ont pas connu la croissance des pays du Nord. Comment éviter l’injustice de la situation ?

Evidemment, la situation est très injuste. Nous sommes les plus riches, nous sommes les pollueurs, ce sont les pays pauvres qui sont les plus touchés par le changement climatique et ils n’ont guère les moyens de s’adapter. A l’AFD, nous nous efforçons pourtant de promouvoir chez eux des modèles fondés sur la résilience et la valorisation du lien social.

Ce n’est pas ce qu’ils demandent…

Si. Ces sociétés résilientes traverseront mieux les crises à venir. Elles le savent. Il n’y a que dans les grandes villes du Nord qu’on ne voit pas le changement climatique. Pour avoir vécu sur place, je peux témoigner que les paysans de la savane tchadienne, de la mangrove du fleuve Niger ou du delta du Mékong le constatent tous les jours. Exemple : pourquoi le FMI et la Banque mondiale conseillent-ils à la Guinée- Conakry d’exploiter le fer et la bauxite alors que le monde devra apprendre à s’en passer à moyen terme ? Ce pays magnifique, déjà dévasté par Ebola, n’est pas autosuffisant sur le plan alimentaire, il est obligé d’importer son riz, alors que c’est une zone d’une richesse écosystémique inouïe. Les priorités, ce devrait donc être l’arrêt de la déforestation et la promotion de la culture du riz. Les autorités que j’ai vues sont très ouvertes à cette idée, et sont prêtes à résister aux conseils du FMI et de la Banque mondiale. L’AFD les y aide, notamment en soutenant depuis quinze ans des projets très réussis de pisciculture en Guinée forestière.

Le désarmement de l’organisation ETA, un casse-tête pour l’Etat

Par Rémi Barroux et Julia Pascual
www.lemonde.fr/police-justice/article/2017/03/17/le-desarmement-de-l-organisation-eta-un-casse-tete-pour-l-etat_5096216_1653578.html

Un collectif de la société civile veut restituer l’arsenal militaire de l’organisation basque, caché en France.

 

L’organisation ETA va-t-elle définitivement rendre les armes ? L’essentiel de l’arsenal militaire des séparatistes d’Euskadi Ta Askatasuna (« Pays basque et liberté », en basque) est caché en France.

 

Depuis l’abandon de la lutte armée en 2014, ces centaines de fusils d’assaut, de pistolets, d’explosifs restent disséminés dans la nature et chez des particuliers.  Une première tentative de désarmement, dans la soirée du 16 décembre 2016 à Louhossoa (Pyrénées-Atlantiques), près de Bayonne, s’était soldée par une spectaculaire intervention policière. Cinq personnes de la société civile (un syndicaliste, un agriculteur, un viticulteur et deux journalistes) chargées de rendre dix caisses d’armes aux autorités françaises – sans que celles-ci se soient engagées à les réceptionner – avaient été arrêtées. Après l’émotion suscitée par ces interpellations, les opérations de désarmement vont reprendre.

 

Le collectif Bake Bidea (« le Chemin de la paix »), représentant divers secteurs de la vie sociale, politique, syndicale et associative du Pays basque français, organise un colloque à Biarritz, les vendredi 17 et samedi 18 mars, intitulé « le désarmement au service du processus de paix », pour réfléchir à l’après-Louhossoa.

 

Selon les informations du Monde, une initiative d’ampleur permettant de restituer l’ensemble de l’arsenal d’ETA – le stock de dix caisses saisi en décembre ne représente que 15 % de l’ensemble de l’armement de l’organisation – est prévue le samedi 8 avril.

 

Plusieurs centaines de personnes de la société civile et de nombreux élus de la région participeraient à cette opération d’une ampleur inédite.

 

« ETA nous a confié la responsabilité du désarmement de son arsenal et, au soir du 8 avril, ETA sera totalement désarmée », confirme Txetx Etcheverry, militant de Bizi, organisation basque intervenant sur des thèmes sociaux et environnementaux, l’un des interpellés à Louhossoa.

 

Reste à obtenir l’engagement des autorités françaises de prendre en charge les armes restituées sous le regard d’observateurs internationaux. Des conditions qui ne sont pas réunies à ce jour.

 

« Ouverture d’un dialogue » 

 

Car les représentants de la société civile attendent de longue date du gouvernement français qu’il intervienne dans le processus de paix, initié lors de la conférence internationale d’Ayete, qui s’est tenue à Saint-Sébastien en octobre 2011.

 

A cette occasion, en présence notamment de Kofi Annan, l’ancien secrétaire général des Nations unies, et de Pierre Joxe, ancien ministre de l’intérieur et de la défense, une déclaration avait été adoptée invitant ETA, ainsi que les gouvernements espagnol et français, à « l’ouverture d’un dialogue ».

Une commission de suivi avait alors été mise en place, réunissant des personnalités internationales. Certaines d’entre elles ont veillé à l’inventaire et à la mise sous scellés de l’ensemble de l’arsenal là où il est pour l’instant caché.

 

« Alors qu’ETA a annoncé, en 2014, l’abandon sans condition de la lutte armée, les Etats français et espagnol ont refusé de s’engager dans la voie du désarmement, explique Michel Veunac, maire (MoDem) de Biarritz, qui doit intervenir lors du forum. Ils doivent sortir de leur inertie et devenir des bâtisseurs de la paix que la société basque réclame. »

 

Le maire (UDI) de Bayonne et président de la communauté d’agglomération Pays basque, Jean-René Etchegaray, complète : « Si l’Etat veut rester aveugle et sourd à cette demande unanime, il n’y aura pas d’autre moyen que la société civile reprenne la main.

 

Ce processus engage notre avenir, nous vivons avec ce conflit depuis des décennies, c’est insupportable. » Le conflit basque aurait fait, depuis les années 1960, quelque 1 000 victimes, dont 837 attribuées à ETA, 170 dues à l’Etat espagnol et aux milices paramilitaires et groupes d’extrême droite, les indépendantistes parlant, eux, de quelque 450 morts de leur côté.

 

En réaction aux arrestations de décembre 2016, une manifestation de plusieurs milliers de personnes, à Bayonne, a montré la mobilisation des Basques. Et quelque 700 élus du département, tous les parlementaires et les maires des principales communes, des Républicains aux partis basques de la coalition Euskal Herria Bai (« Pays basque, oui »), en passant par le Parti socialiste, les centristes et les écologistes, ont adressé, le 23 décembre 2016, une adresse au gouvernement, lui demandant de « s’impliquer dans le processus de désarmement et la résolution globale du conflit ».  Depuis c’est le silence. « Nous n’avons reçu aucune réponse, malgré une lettre de relance, voici trois semaines, c’est incompréhensible, méprisant », s’indigne Michel Veunac.

 

Au lendemain des événements de Louhossoa, le gouvernement s’est félicité, lui, des saisies d’armes opérées par la police. Le ministre de l’intérieur avait alors martelé au Monde : « Personne n’a le droit de prêter son concours à ce qui relève d’une neutralisation ou d’une destruction d’armes. » Bruno Le Roux estimait qu’« il n’y a pas de processus de paix. On est encore sur des recherches de responsabilité ».

 

 « Prise de conscience » 

 

La sénatrice (PS) des Pyrénées-Atlantiques, Frédérique Espagnac, engagée dans le processus de paix depuis la conférence d’Ayete, veut croire à une « prise de conscience » du côté des autorités. « Les choses ont évolué depuis Louhossoa, appuie-t-elle. Des gens de la société civile s’engagent dans le processus de restitution des armes et cela oblige Paris à regarder les choses sous un nouvel angle. »  Sollicités, ni Matignon ni Beauvau n’ont souhaité s’exprimer sur le sujet. D’après nos informations, des échanges ont eu lieu avec des membres du gouvernement. « Il y a eu de multiples contacts avec les autorités françaises, mais elles semblent ne rien vouloir entendre, regrette Michel Tubiana, président de la Ligue des droits de l’homme et l’un des artisans de l’initiative de Louhossoa. La France a adopté la position du petit télégraphiste de l’Etat espagnol et campe sur une logique policière. » Il faut donc poursuivre l’action, dit-il. « Si le gouvernement veut entendre, très bien. Sinon, il se confrontera à l’ensemble de la société civile et politique basque. »  La députée socialiste des Pyrénées-Atlantiques, Sylviane Alaux, clame son incompréhension. « Je déplore l’attitude du gouvernement et du chef de l’Etat. Notre territoire a besoin de tourner définitivement le dos à la violence. Il y a une volonté politique unanime, et une chance inouïe pour le chef de l’Etat d’inscrire un acte positif qui marquera son mandat », professe-t-elle. Et de rappeler la visite récente de François Hollande en Colombie, en janvier, après l’accord signé entre le gouvernement et les FARC. Le président de la République avait alors salué « un choix courageux et un exemple pour le monde ».